le retour du dragon - Association Orients

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le retour du dragon - Association Orients
LE RETOUR DU DRAGON
La bête des origines
Aux commencements était le Dragon…La bête chtonienne sommeillait sous la croûte
terrestre en gestation. Elle était la trame même de la vie ; elle était force brute et
promesse : d’elle allait surgir tout ce qui germe, pousse et fleurit, tout ce qui nage,
rampe, court et vole.
Le tissu de la vie de Gaïa, notre planète mère, se nourrissait déjà de l’énergie du
Dragon des origines. La Terre frissonnait, parcourue par les veines du Dragon d’où
surgissaient des milliards de formes de vie, mais aussi mille dangers. Parfois il vomissait
sa bave incandescente et consumait ce qu’il avait crée ; parfois aussi il s’ébrouait en
secouant ses ailes immenses, alors tout vacillait sur son échine d’humus et de rocs. Il
était la force des eaux ruisselantes, les soubresauts du sol, le grondement des monts et le
feu des volcans ; il était la tempête et l’orage. Mais, surtout, il incarnait l’être mystérieux
par lequel la Nature offrait ce qu’elle avait de meilleur.
C’est pourquoi les hommes des ages obscurs le vénéraient et le craignaient ; Ils
savaient sa puissance dévastatrice et son pouvoir de vie. Ils avaient conscience que leur
survie dépendait de la bienveillance de cette énergie rampante qui palpitait comme les
veines d’une monstrueuse créature cachée dans les replis de la Terre. C’est pourquoi les
anciens avaient coutume de soigner ses humeurs et d’en réguler les énergies telluriques.
Ils lui édifiaient des sanctuaires à sa mesure et plantaient le long de son échine de
puissants alignements de pierres levées. Parfois, en certains points particuliers de son
corps immense, ils dressaient une haute pierre régulatrice destinée à capter l’énergie de
la bête souterraine au bénéfice de l’humanité naissante.
Le Dragon des origines incarnait alors la force incontrôlée de la Nature ; étant de
nature féminine, il était la Grande Mère chtonienne ; et, chez ses enfants égarés sur son
dos, il suscitait le respect, la crainte et parfois l’effroi.
Les chamanes avaient alors pour mission sacrée de s’en faire un allié ; leurs qualités
d’intuition leur permettaient d’intercéder pour que le Dragon chaotique des origines
devienne la force des hommes qui se multipliaient sur son dos et en parasitaient la
fourrure nourricière. Il était la Mort, tant sa puissance pouvait être dévastatrice ; il était
aussi la Vie même, garant de l’épanouissement des créatures qui se nourrissaient de son
énergie. C’est ainsi qu’il devint un être ambivalent, au fil des ages : parfois l’allié des
rois, le catalyseur de leur pouvoir et l’emblème des puissants ; parfois il devenait
l’ennemi absolu, grimace du chaos, menaçant l’ordre voulu par les hommes inspirés des
Dieux.
Métamorphoses du Dragon
L’âpre lutte entre l’harmonie divine et le désordre apparent de la Nature commença
dès l’aube de la civilisation. Le conflit éclata lorsque les chasseurs cueilleurs
commencèrent à s’établir dans les cités et se sédentarisèrent car c’est à ce moment que
naquirent les bases du pouvoir mâle. La grande déesse des origines fut chassée du
panthéon des cultures sémitiques antiques et l’univers devint l’empire des Dieux. En
Mésopotamie, les tablettes d’argile nous racontent comment le dieu Marduk, garant de
l’ordre viril, entra en lutte contre sa mère Tiamak, la bête chaotique, incarnation du
féminin primitif, donc incontrôlable, qui n’engendrait que désordre et pulsions
primaires. Marduk fendit en deux le serpent monstrueux, car évidemment ce ne pouvait
être qu’un reptile, et l’enfouit au plus profond de la Terre. Ce serpent néfaste
continuera à faire parler de lui au début de la Bible, associé à la faute de la première
femme, il continuera de dévaloriser les valeurs féminines au sein des cultures judéochrétiennes pendant plusieurs millénaires. Mais ce récit est sans doute aussi à l’origine
du visage infernal du Dragon en Occident médiéval et dans le monde sémitique. Issu de
Mésopotamie la bête chtonienne prendra la forme du Léviathan biblique en passant par
le serpent de la Genèse pour trouver sa double apothéose dans le dragon de l’Apocalypse
de Saint Jean et l’ennemi satanique de l’Archange Mikaël. Des traditions sémitiques et
égyptiennes (où le Dragon Apopis tente de dévorer chaque soir la lumière solaire de Râ)
nous avons hérité de cette peur antique du chaos, des ténèbres et des forces telluriques
incontrôlables ; et nous en avons fait la Bête que l’on sait…
Si Apopis et Tiamat n’étaient que de grands serpents, le Dragon de notre imaginaire
commença à prendre forme dans les récits grecs où il devint l’incarnation même de
l’obstacle à vaincre par le héros en quête du trésor convoité. Dans la Grèce antique, le
héros se forge au contact de la bête qu’il combat : Elle prend le visage de la Gorgone, de
l’Hydre de Lerne ou du serpent monstrueux qui s’oppose à Jason. Herakles lui-même
aura fort à faire avec Le monstre hostile qu’il s’agit de détruire à tout prix : l’ascension
de l’homme primitif vers la civilisation en dépendait.
Le Dragon va se parer de tous ses attributs reptiliens au cours des ages. Qu’il soit
Dragon ou vouivre, serpent ou guivre, nâgas ou Mélusine, le dragon des origines
appartient à ce qui rampe ; il appartient avant tout au monde inquiétant des serpents,
qu’il soit armé de deux ou quatre pattes griffues, son corps immense se termine par une
queue reptilienne. Et même s’il lui arrive de voler, ses ailes surgissent du fond des ages,
elles proviennent d’un temps reculé où les reptiles s’octroyaient l’espace avec des ailes
de quinze mètres d’envergure. Car, et c’est cela qui est étrange, l’imaginaire des
hommes à paré le dragon tellurique des formes données par l’évolution aux plus
terribles des dinosaures : le Dragon de nos cauchemars est le fils improbable d’un
Tyrannosaurus rex et d’une Pteranodonia quetzalcoaltus.
Ces monstres médiévaux étaient réputés habiter grottes et cavernes ; et la croyance
populaire se trouvait parfois justifiée par la découverte d’os fossiles ou de crânes
antédiluviens enchâssés dans le roc. Autrefois le Dragon n’était pas un mythe, dans
l’esprit de tous, son existence était aussi concrète que celle du loup ; Marco Polo affirme,
dans son Livre des Merveilles, en avoir rencontré…D’autre part, il figure en bonne
place dans des ouvrages scientifiques du Moyen Age et de la Renaissance, paré de tout
ses terribles attributs. L’un de ses descendants hante toujours les brumes du Loch
Ness…
La constance dans la forme prise pas le Dragon au sein de cultures très éloignées
n’est pas sans nous surprendre et l’on s’interroge sur l’origine de la permanence
reptilienne de la Grande Force de Vie tant en Orient qu’en Occident. Si l’on contemple,
non sans effroi, le dragon celtico-nordique, reprise par le moyen age chrétien ; et que
l’on se tourne ensuite, non sans fascination, vers le dragon Asiatique qui hante les quatre
éléments de la Chine impériale, on constate que ces créatures reposent sur des
archétypes identiques et son issues d’un même inconscient collectif : l’immense serpent
griffu, ailé et cracheur de feu issu des tréfonds de notre âme collective torturée. Serions
nous capables de lire dans les annales akashique, ou dans les arcanes des champs
morphiques décrits par Rupert Sheldrake ? Dans quels replis de notre mémoire
collective avons-nous découvert l’Image de la Bête absolue, le visage terrible de la Déesse
Mère ?
Le Dragon Celtique
L’image du Dragon est omniprésente dans l’art et l’ornementation des anciens celtes ;
et les néo-celtes contemporains ne sont pas étrangers à sa résurrection récente.
Les peuples et les cultures qui ont précédé l’irruption du christianisme en Europe
semblaient vénérer la puissance majestueuse du Dragon. Ils ornaient leurs emblèmes et
leurs bijoux de dragons enlacés ; on retrouve sa gueule grimaçante sur les armes et les
parures nordiques, scythes, et celtiques, depuis l’Europe orientale jusqu’en Irlande.
Les celtes se sentaient reliés aux forces de la Nature ; le paganisme européen
accueillait alors les puissantes forces de la vie comme de terribles alliées, elles étaient
reconnues et respectées ; elle était aussi garantes de la force des guerriers et du pouvoir
des chefs.
La geste d’Arthur et le cycle de la Table ronde conservent la trace du dragon
celtique : son père était Uther « Pendragon » c'est-à-dire « tête de dragon » et son
oriflamme arborait l’emblème du dragon sur les champs de bataille. Le roi Arthur luimême repris cet emblème sur son drapeau. Déjà sous le règne de Vortigen la présence de
Dragons défraya la chronique et il fallu faire appel au jeune Merlin, futur enchanteur
mais déjà très doué, pour résoudre un problème d’architecture qui chagrinait le chef
celte : celui-ci tentait de se faire batir une haute tour défensive sur une colline, mais
l’édifice s’écroulait immanquablement avant d’arriver à son faite. Merlin révéla la
présence de deux dragons sous l’édifice et, après avoir fait creuser le sol sous les regards
de la foule assemblée là autour du roi, un grand dragon rouge surgit de terre
accompagné d’un terrible dragon blancs ; les deux créatures se battaient à mort faisant
trembler la terre par leur lutte. Cette réminiscence médiévale de la lutte entre les deux
forces tellurique opposées, puise ses racines dans d’anciens mythes celtes, issus eux
même d’antiques connaissances intuitives appartenant aux cultures mégalithiques.
Merlin dona à ce combat une interprétation symbolique basique : Les Bretons
entreront en lutte avec les envahisseurs saxons et ceux-ci en sortiront vainqueurs.
Mais il y a deux autres niveaux de lecture, plus ésotériques, du symbole des deux
dragons en lutte, qui appartiennent à la mythologie duelle des celtes : l’un est donné par
l’alchimie où la lutte du mercure (blanc) et du soufre (rouge) au sein de la dualité
primordiale permet la fusion unitaire vers le Grand Œuvre alchimique, apothéose de
l’unité retrouvée.
Une troisième lecture nous ramène aux sources orientales de la sagesse et de la
connaissance des énergies spirituelles qui nous animent. Dans cette interprétation, on
pourrait comparer la tour du roi Vortigen avec la Kundalini Shakti des yogas
tantriques indo-tibetains, axe de la conscience de l’homme. Les deux dragons composant
les deux nâdis entrelacés, représentés en Inde sous la forme de deux serpents (tout
comme le caducée d’Hermès). La Kundalini elle-même est symbolisée par un cobra et
son gîte secret est situé à la base de la colonne vertébrale, au Muladhara chakra . Dans
la tradition yoguique ces deux nâdis sont dits d’or et d’argent, ce sont les aspects solaires
et lunaires de l’Energie de Vie.
Tant qu’il sont en conflit, la Kundalini ne peut s’éveiller et se dresser vers le sommet
de la conscience, au chakra couronne, et la tour sacrée du roi s’écroule alors avant
terme ; mais si les deux serpents nâdis s’harmonisent, la tour d’énergie-conscience
atteindra son sommet et rencontrera enfin sa source divine : La tour achevée se dressera
dans toute sa magnificence et fera de l’homme un Roi…
Le coté obscur de la Force.
Puis vint le temps de la grande peur judéo-chrétienne…Influencé par le Serpent de
la genèse et la Bête reptilienne de l’Apocalypse de Jean, le Dragon incarna les forces
obscures du chaos, l’hôte des ténèbres ; il devint l’emblème grimaçant des forces de vie
incontrôlées qui désiraient nous tirer vers le bas, le matérialisme, le plaisir des sens, les
enfers…
Sous le règne d’un Dieu masculin, la Bête incarna les forces féminines qui mettaient
en danger le pouvoir mâle établi au nom de Dieu dans les cultures judéo-chrétiennes
depuis Sumer. La Grande Dispensatrice de Vie incarna le Mal absolu, donc la mort de
l’Ame ;
Le langage symbolique propre au Moyen Age et à la renaissance utilise la forme
terrifiante du dragon pour symboliser l’ennemi de l’Eglise, le danger de la damnation et
Les forces lucifériennes. Le Dragon incarna pendant plus d’un millénaire l’adversaire
de Dieu et le dévoreur d’âmes en quête de Paradis. Le Monstre, cracheur de tous les
feux de l’enfer, était Satan et son pouvoir ouvrait les portes béantes des ténèbres de
l’Ame. C’est pourquoi il se dressait souvent sur le chemin des saints et des saintes qui se
faisaient un devoir sacré de le détruire.
Afin d’exorciser la grande peur médiévale du Dragon, les compagnons maçons et les
tailleurs de pierres tentèrent de le figer dans la pierre des cathédrales et à l’extérieur des
églises. Gardien du sanctuaire divin, il était prisonnier de ses rictus afin de montrer aux
fidèles le visage du danger et les grimaces du Malin. Il fut condamné à ne cracher que les
eaux de pluie ; privé de son haleine de feu dispensatrice de vie, il demeura jusqu’à nos
jours figé dans la mort minérale. Le monde médiéval tenta ainsi d’exorciser la Bête des
origines en le ridiculisant dans les figures grotesques des gargouilles qui étirent leur long
cou reptilien aux coins des moindres chapelles dressées sur les landes bretonnes.
Toujours présent, le coté obscur de la force nous rappelle son emprise sur le monde
vivant et la fascination intacte qu’il a su exercer sur les hommes. Enfin pétrifié en
d’insignifiantes gargouilles de granit, le Grand Dragon immobile nous a privé de la
conscience des réseaux d’énergie de la Terre. Les forces de Vie condamnées, l’homme
pouvait enfin se consacrer à l’élévation de son âme…
L’ère des tueurs de dragons.
L’homme en évolution se sentit menacé. Toutes les traditions concourent, en occident,
à montrer du doigt le fauteur de troubles, l’ennemi de la civilisation : le Dragon.
Depuis le temps où Marduk le sumérien détruisit le serpent des origines, Tiamat, les
héros tueurs de dragons se succédèrent au cours des ages pour affirmer la suprématie de
la Conscience sur le Chaos : La lutte entre l’ombre et la lumière va s’incarner dans le
couple mythique Héros-Serpent, qu’il soient dieux, chevaliers, saints ou archange.
Le serpent des origines, Python, eut à combattre Apollon, dieu solaire ; puis Héraclès
viendra débarrasser l’humanité de l’Hydre de Lerne, suivi de Jason et de Cadmos tous
deux grands tueurs de reptiles. Dans la Grèce antique, le héros civilisateur n’eut à faire
qu’à des créatures reptiliennes classiques : serpents monstrueux ou gorgones. En
Europe l’affaire va se corser car les héros vont devoir rencontrer l’authentique reptile
ailé, cracheur de feu ; car l’ancien Dragon protecteur des rois celtes et des navigateurs
du Nord, va se retrouver dans le camps de l’ennemi et il faudra l’épée de Sigur
(Siegfried) pour parvenir à dominer la force brute de la créature ; mais le héros se
nourrira de son sang. Le dragon celtique, même abattu, demeure source de bienfaits : en
buvant le sang encore chaud de sa victime, le héros acquiert la Connaissance (le langage
des oiseaux) ; s’y baignant ; il devient invincible. Le dragon demeure, dans la mort,
l’allié secret du héros préchrétien ; si ce n’est cette fameuse feuille posée sur son dos
comme la punition d’un matricide intolérable.
Puis viendra le tour de notre breton, Tristan qui vainqueur du dragon d’Irlande se
verra ouvrir le coeur d’Iseult la blonde. Les héros celtes, après Lancelot, ouvriront la
voie aux saints de la chrétienté naissante. Mais en attendant leurs exploits, on peut
s’interroger sur la fonction initiatrice du dragon : est il ennemi, ou passage obligé vers la
Lumière, la Connaissance ou l’Amour ? Pour certains chevaliers de la Table Ronde,
l’affrontement avec son haleine de feu semble servir à affiner la vaillance de leur quête
sacrée.
Cependant le vieux dragon celte demeure l’emblème de la puissance en maints lieux
de Grande Bretagne et sur la bannière des chefs écossais et gallois. Il va figurer sur les
armoiries royales d’Angleterre jusqu’en 1603. Le Dragon rouge découvert par Merlin
est encore l’emblème national du Pays de Galles et il figure dans la devise de la ville de
Cardiff. L’ancien Dragon celte, bien que vaincu par les héros chrétiens, n’en demeure
pas moins l’ami secret des descendants des farouches guerriers celtes de Grande
Bretagne.
Mais c’est en Bretagne armoricaine que l’on rencontre le plus grand nombre de
tueurs de dragons. En effet, chaque paroisse semble vénérer l’un d’entre eux. C’est à
croire que la lutte fut âpre, sur ces terres druidiques, entre les croyances païennes
associées au Dragon et les missionnaires qui tentaient d’évangéliser ces provinces.
Il est impossible de raconter ici toutes les légendes associées à ces exploits mais les plus
célèbres d’entre ces héros catholiques ont droit à un culte ardent : Marguerite
d’Antioche est représentée piétinant son dragon au sein de nombreuses églises (Cast,
Collorec, Saint Hernin, Confort, Landerneau, etc.), mais nous reparlerons de la
particularité de son combat plus loin. Quant aux saints sauroctones spécifiquement
bretons, ils sont innombrables : St Armel occit un dragon en 545 ; St Samson abat un
dragon en Cornouaille, à Dol et même à Pental prés de Paris ; St Armel, St Brévelaire ,
St Brieux, St Derrien ; St Efflan jusqu’à St Ursin en passant par St Gildas, St Malo, St
Nonna et St Pol, plusieurs dizaines de missionnaires en froc sont réputés avoir terrassé
un dragon armoricain. Il ne devait pas faire bon se promener dans la lande avant
l’arrivée de ces héros en chasuble…
Ces combats manichéens reflètent les conflits entre le message évangélique et la
tradition chamano-druidique enracinée en terre celte. La lutte entre les deux cultures fit
rage pendant plusieurs siècles dans les deux Bretagnes, et elle n’est pas encore achevée.
L’apothéose de ce combat s’incarna dans la légende du Mont Saint Michel dans
laquelle l’Archange, si semblable à Dieu, entre dans un conflit cosmique avec un Satan
draconien incarnant les anciennes traditions druidiques où Lug, déité lumineuse,
s’incarne en Lucifer, l’ange déchu faiseur de lumière. Belenos doit être détruit pour
laisser place au Christ. L’archétype du tueur de dragon porte des ailes de lumière car il
est comme Dieu lui même : Mikaël.
Symbolique ésotérique d’un combat.
Au-delà des récits légendaires et des mythes, la lutte entre le héros et la bête porte en
elle un message essentiel que nous allons tenter de décoder.
L’archétype de ce combat entre l’ombre et la lumière, l’ordre et le chaos, l’esprit et la
matière, s’inscrit dans le mouvement même de l’évolution de la psyché vers un plus être,
un absolu de la conscience, auquel le Dragon défend l’accès.
Sur le chemin initiatique du héros, le Dragon occupe la position clé de Gardien du
Seuil. La bête terrible incarne les forces qui barrent l’accès au trésor, but de la quête. Le
Dragon protège l’accès aux montagnes d’or et de pierreries qu’il garde farouchement
et, le héros étant le plus souvent mâle, la récompense suprême sera cristallisée dans la
délivrance, au fil de son épée de pouvoir, d’une pure jeune fille emprisonnée au fond de
l’antre de son geôlier : Persée délivrera Andromède et les contes médiévaux européens
regorgent de princesses captives d’un Dragon. Le personnage de Saint Georges en est
l’archétype ; la fille de roi qu’il libère de la bête vorace préfigure l’anima, mise en relief
par C.G.Jung, c'est-à-dire la part féminine du héros : s’il veut la délivrer de l’ombre, le
chevalier doit à tout prix dépasser sa virilité primaire et traverser ses propres ténèbres.
Il doit maîtriser ses instincts animaux pour prétendre rencontrer celle qui le révèlera à
lui-même dans sa noblesse d’être et dans l’unité de l’amour enfin dévoilé. Le Dragon est
le passage essentiel vers la féminité du héros, sa capacité d’amour et d’éveil spirituel.
Sans la fusion essentielle avec son anima ; aucun prince ne saurait prétendre à la
royauté de l’Eveil.
Cette révélation de l’Etre est aussi symbolisée par le trésor qui dort au fond de l’
antre du Dragon : Dans la caverne du cœur gît un joyau, un Graal sacré, que le héros
recherche éperdument. Là aussi, le Dragon dresse ses ailes de vampire pour en occulter
la présence, il crache son haleine soufrée afin de décourager les pleutres et les lâches ;
car seul un héros peut prétendre au trésor. Le chevalier en quête devra , d’une façon ou
d’une autre, passer au delà du Gardien du Seuil : le Dragon des forces obscures qui
habite les méandres de son inconscient.
En Inde et au Tibet, le Serpent de Origines est Kundalini, L’énergie latente qui dort
à la base de la colonne vertébrale. Cette puissance de vie est la base même de notre
existence mais son pouvoir est terrible ; son réveil intempestif peut détruire l’adepte
imprudent ou le rendre fou, c’est pourquoi lui est-il conseillé, tout comme aux chevaliers
occidentaux, de s’armer d’une épée magique, en l’occurrence un mantra possédant le
Pouvoir de protection divine. Kundalini-Shakti est un dragon féminin, une force brute
qui peut nous pousser aux pires excès, mais aussi nous tirer vers le haut, vers le
meilleurs de nous même, vers la Lumière divine, car l’éveil spirituel ne saurait être
réalisé sans son action ignée. Le serpent Kundalini correspond au tigre taoïste que
l’adepte doit chevaucher. Il peut nous dévorer ou nous conduire au but suprême ; mais il
est impossible au chercheur d’absolu de passer outre sa présence ou d’occulter son
existence. Le héros devra impérativement passer par le pouvoir du Dragon et traverser
tous les dangers qu’il incarne.
Face au Dragon, le héros a le choix entre plusieurs stratégies :
Il peut évidemment tenter de tuer la Bête, mais cela s’avère souvent délicat : l’Hydre
de Lerne est armée de nombreuses gueules ; Siegfried perdra la vie après sa victoire sur
Fafnir, et Mikaël ne parviendra pas a détruire Satan ; il l’enchaînera pour un temps
dans les Ténèbres, d’où il peut resurgir…
D’autres vont choisir de l’apprivoiser, tels Saint Georges, ou Sainte Marthe avec la
Tarasque. Mais apprivoiser les forces obscures nécessite une vigilance constante, elles
pourraient montrer les crocs et se retourner contre le héros au moment où il s’y attend
le moins ; on ne chevauche pas impunément le tigre..
Cependant, il existe une autre stratégie, choisie par Sainte Marguerite ; ou par
Krishna en Inde qui se laissa avaler par le monstrueux serpent qui engloutit les
villageois : Il les délivra en ouvrant de l’intérieur le ventre du monstre. Marguerite fit de
même : une fois avalée, elle ouvrit l’abdomen du dragon qu’elle combattait avec le
simple pouvoir tranchant de son crucifix.
Sur le plan symbolique, la victoire définitive du héros sur le dragon ne consisterait
elle pas à se laisser avaler par le monstre pour, ensuite, (armé du bouclier et de l’épée
magiques que possèdent, en général, tout tueur de dragon,) traverser sans encombre les
entrailles même du Gardien du Seuil, et accéder au trésor qu’il protège ?
Sur le plan psychologique, il est impossible de prétendre accéder à la transparence et
l’équilibre de la psyché si l’on n’accepte pas de traverser les traumatismes occultés dans
notre inconscient. On ne peut ni les combattre, ni les contourner, ni les apprivoiser à
long terme, car leurs effets pervers resurgiront un jour ou l’autre.
Sur le plan spirituel, la quête de l’Eveil passe aussi par la traversée de nos enfers
intérieurs. Mais ce voyage à travers l’Ombre et la Mort de l’âme ne doit s’effectuer que
lorsque l’on est armé du Pouvoir divin, tels la prière ou le mantra, symbolisés par l’épée
magique du chevalier ou la croix de Marguerite. Ces objets de pouvoirs spirituels
protègent le héros des monstres grimaçants, des peurs et des douleurs qui sont tapis
dans l’ombre. Tout chevalier du Graal qui refuserait cette traversée n’a aucune chance
de découvrir l’objet sacré, et c’est pourquoi si peu d’entre eux contemplèrent le Saint
Calice. La princesse, l’or ou le Saint Graal sont de l’autre coté du Dragon. Orphée ou le
Christ, accompagnés en Inde par la princesse Savitri, ont montré le chemin terrible de
cette voie salvatrice.
Le Dragon en Orient.
L’Extrême Orient et L’Inde nous offrent un tout autre visage du Dragon.
Cependant quelques antiques rois de Perse eurent à combattre des dragons hostiles ;
certains, selon le « Shah Nameh », furent victorieux et entrèrent au panthéon des héros,
d’autre furent dévorés. Mais la Perse ancienne était soumise à l’influence des mythes
mésopotamiens. La Perse musulmane de Firdûsî voyait, quant à elle, le Serpent d’un
très mauvais oeil.
Mais plus on pénètre les Pays d’Orient, plus les symboles reptiliens offrent des
aspects positifs : Nous avons vu le rôle joué par Kundalini et ses nâdis dans la
symbolique hindoue et tibétaine. Les divinités des fleuves et des cours d’eaux sont
représentées par des Nâgas au corps de serpents. Le Dieu Shiva arbore un cobra autour
de son cou, semblable à l’aureus des pharaons d’Egypte ; et le Bouddha fut protégé par
un immense cobra lors de ses médiations.
En Chine et dans l’ensemble des pays d’Extrême Orient, nous retrouvons notre
Dragon familier : immense, griffu, terrible et grimaçant ; et parfois même ailé.
Or, là, il n’est pas l’ennemi des hommes, au contraire ; s’il est bleu, il va
représenter et garantir le pouvoir de l’empereur. Il symbolisera aussi les quatre
éléments et les forces de la Nature. Il présidera au cycle des années : Dragon de bois,
Dragon de feu …Il est yang, ou yin. Il figure sur les emblèmes et les vêtements
impériaux, il décore les façades des temples, protège les sages et les philosophes et reçoit
la vénération du peuple : lors des fêtes saisonnières, il danse en grande sarabande parmi
la foule émerveillée car il est l’ami de tous. Il figure dans le Yi-king, l’astrologie,
l’alchimie.
Au Viet Nam, la célèbre Baie d’Along abrite un dragon qui sauva autrefois le pays
d’une invasion étrangère et qui continue de protéger se habitants.
A Bali, le protecteur des villageois est le dragon Barong qui est en lutte perpétuelle
avec la sorcière cosmique Rangda, assoiffée de malheurs, de calamités et de destructions.
Le Dragon asiatique incarne la puissance de Vie alliée aux hommes ; la force sans
laquelle aucune vie ne serait possible ; il est l’ami respecté et le héros des fêtes
populaires données en son honneur.
Le retour du Dragon.
Tolkien nous raconte un dragon de l’ancien monde : Smaug est hostile et terrible,
mais son irruption dans la littérature du 20eme siècle a ouvert paradoxalement la porte
à un nouveau regard sur le monstre d’antan.
J’ai récemment demandé à mon petit-fils quel était son animal favori ; sans l’ombre
d’une hésitation il m’a répondu : « Le dragon !... »
Cette récente fascination pour l’antique cauchemar de nos ancêtres, est un signe des
temps, elle préfigure peut être une mutation de conscience et un changement de regard
sur notre rapport avec la Vie. La fascination pour les dragons s’est emparée de la
jeunesse depuis trois décennies. Il est le centre des romans d’heroïc Fantasy, de nombre
de jeux (donjons et dragons) et de films spectaculaires tel le récent Eragon ou l’on conte
l’amitié entre le héros et le Dragon. Le dragon médiéval a cessé de répandre l’effroi, il
n’incarne plus le Mal absolu mais la Force dont on désire être l’allié, comme dans
l’ « Histoire sans fin » de Michaël Ende. Les enfants de ce début de millénaire n’ont plus
peur du grand cracheur de feu, ils rêvent de s’endormir entre ses pattes griffues,
protégées des affres du monde sous ses ailes parcheminées. Le Dragon s’est soudain
métamorphosé en ami intime, grand frère protecteur, et, à l’ombre de sa gueule
immense, il n’y a plus rien à craindre des dangers de la vie.
Faut il y lire une réconciliation entre la Conscience et la Vie ? L’incarnation terrible
des forces naturelles doit maintenant s’allier à notre quête d’harmonie. La prise de
conscience actuelle d’un nécessaire retour à l’équilibre écologique et au respect du
vivant vient d’engendrer un nouveau visage aux forces de Vie : La grimace du monstre
devient sourire et il fait patte de velours. Le Grand Dragon devient la monture et le
complice d’une jeunesse en quête de sens. Son retour à la lumière est aussi le signe d’une
renaissance des valeurs féminines qui ont cruellement manqué aux sociétés judéochrétiennes, il accompagne le retour du Grand Dieu Pan, la résurgence de la Déesse
primordiale et du culte de la Wicca. Il symbolise la volonté nouvelle d’une quête de
l’unité des contraires.
Le grand Dragon féminin des origines est de retour…Il annonce la résurrection du
Féminin sacré dont nous avons tant besoin, il s’apprête enfin à laisser le pouvoir à la
princesse captive dont il était le gardien.
Jean Bernard Cabanes
Bibliographie :
Dragons et serpents. (Édition Time Life)
Du Dragon à la Licorne. Par Patrick Darcheville. (éditions Trédaniel)
Alchimie et mystique. Par A. Roob. (Taschen)
Chevaliers et dragons. Par P.G. Sansonetti. (éditions du porte glaive)
Le Dragon en Bretagne. Par Claire Arlaux. ( Keltie Graphic)
Les Dragons. Par P. Absalon et F. Canard (Gallimard)
Le Mont Saint Michel. Par Jean Markale.
Célestes Dragons. Par Li X (éditions You-Feng, Paris)
La vie de Merlin.
Le roman de Tristan.
Mythologie grecque.
La Légende Dorée.
Bilbo le hobbit. Par Tolkien.
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J.B.Cabanes animera un séminaire en Dordogne en Août 2007 sur la lecture symbolique
de notre chemin de vie personnel, à travers l’exploration des grands symboles et
archétypes et leurs résonances avec notre monde intérieur.
Renseignements et programmes : 04 42 20 02 04 et : [email protected]
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