Forum 2011 - Rudolf Steiner Schulen der Schweiz

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Forum 2011 - Rudolf Steiner Schulen der Schweiz
forum 2011
« Devenir enseignant (e) »
Editorial
Chère lectrice, cher lecteur,
Voici la traduction française du forum dans sa 11ème édition.
En choisissant pour thème central : « Devenir enseignant, devenir enseignante », nous plaçons
au cœur de nos réflexions une profession que nous connaissons tous de façon très personnelle.
Ce n’est pas un hasard si beaucoup d’entre nous se ressentent dans le domaine scolaire quelque
peu experts à différents niveaux. Par ailleurs, on ne s’étonnera pas outre mesure que les
remarques concernant cette profession soient rarement positives tandis qu’abondent plutôt
doléances et critiques. Les exigences croissantes de la société font grossir le volume du cahier
de charges de l’école dans une mesure telle que nombreux sont les enseignants qui se sentent
débordés par leurs tâches quotidiennes. C’est ainsi que dans son édition du 11 décembre 2010 le
Thurgauer Zeitung pouvait formuler la question suivante : « Beaucoup de professeurs des écoles
publiques se plaignent des nombreuses réformes. Dans les écoles Rudolf Steiner on n’entend
aucune réclamation dans ce sens. Est-ce à dire que ces écoles n’évoluent pas ?
Kurt Bräutigam, enseignant à l’école Rudolf Steiner de Kreuzlingen répond ainsi : « La différence
essentielle tient au fait que chez nous ce sont les enseignants eux-mêmes qui sont à la direction
de l’école. Ainsi les réformes ne viennent pas dictées d’en haut mais se développent et sont mises
en application à partir de la base elle-même. Lorsque les enseignants découvrent un point faible,
ils essaient d’initier un changement sur une base collégiale. »
De la même façon, la formation anthroposophique des enseignants se réfère à la base et par
suite elle s’avère très axée sur la pratique pédagogique. Ici l’on ne pose d’abord ni exigences ni
programme mais on cherche à développer des aptitudes spécifiques pour apprendre à saisir le
caractère et les besoins des enfants et des jeunes. Robert Thomas décrit dans son article sept
qualités qu’il place au cœur de cette formation.
Dans ce forum, nous présentons l’Académie pour une Pédagogie Anthroposophique (AfaP) ainsi
que la Formation pédagogique anthroposophique de Suisse Romande (FPAS). Ces deux
institutions proposent des cursus de formation spécifiques pour les enseignants des écoles
Waldorf/Steiner. Une possibilité nouvelle existe pour les étudiants ayant achevé une formation à
plein temps et pour ceux qui ont fait une formation en cours d’emploi à l’ AfaP : ils peuvent avoir
accès directement à la Haute Ecole de pédagogie de l’Ecole Supérieure Spécialisée de la
Nordwestschweiz (Institut pour le niveau primaire) et ce, par le biais de la Passerelle. Astrid
Eichenberger, directrice de l’Institut pour le niveau primaire, décrit brièvement ce qui l’a motivée
à créer cette Passerelle. Par ailleurs, il nous est donné d’acquérir une impression pleine de vie de
ce qui se fait dans la formation pratique des enseignants à travers un entretien avec un de ses
étudiants.
L’image professionnelle classique d’un enseignant d’une école Rudolf Steiner s’est tout à fait
diversifiée comme le montre la contribution de Beatrice Maulaz avec son article sur le
Jobscharing. La relation entre jeunes enseignants et enseignants plus expérimentés peut
naturellement être sujette à des tensions et s’avérer un terrain fort glissant : c’est ce que révèle
clairement l’article de Sybille Naito : Trouver l’équilibre … entre « Prometteurs» et
« Transmetteurs ».
Afin de pouvoir introduire des changements réellement efficaces en ce qui concerne la base, à
savoir la vie scolaire au quotidien, la méthode élaborée par la recherche par la pratique
pédagogique s’avère précieuse. Thomas Stöckli décrit cette approche de la recherche qui se
propose d’améliorer sa propre façon d’agir sur le plan professionnel. A travers l’exemple d’un
projet théâtral, Joseph Aschwanden décrit, sur la base d’une telle approche, ce que furent ses
expériences personnelles.
Roland Muff
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Sept piliers de la profession d’enseignant
Il dépend de chaque enseignant, de chaque enseignante, qu’une pédagogie soit ou non
couronnée de succès.
A côté de nombreuses compétences sur différents plans, ce qui est la signature d’une vocation
épanouie et épanouissante s’appuie bel et bien sur des caractéristiques tant psychiques que
spirituelles. S’il est impossible de mesurer de tels critères purement qualitatifs, on peut en
revanche en décrire les traits distinctifs. Une formation anthroposophique des enseignants
montre comment ces qualités doivent être également exercées et développées.
A la fin du 19e siècle, Frédéric Nietzsche déclare : « Dieu est mort » (Le gai Savoir, 1886); vers la
fin du 20e siècle, Michel Foucault constate que l’homme de l’âge des Lumières se meurt
(Archéologie du savoir, 1969). En 1919, Rudolf Steiner façonne le concept de « l’être humain en
devenir ». Ces trois philosophes nous laissent entendre par là qu’une nouvelle pensée est requise
si nous voulons véritablement rencontrer le présent et structurer l’avenir. Il s’ensuit pour nous
que la conscience se trouve actuellement devant un seuil.
L’intérêt pour le présent unit tous les êtres humains, indépendamment de leur origine culturelle,
sociale et politique. Les éducateurs et éducatrices, les enseignant(e)s, les jardinières et jardiniers
d’enfants s’intéressent tout particulièrement aux germes d’avenir dans l’être humain en devenir
et c’est celà qui les motive à accompagner enfants et adolescents. Afin d’être à la hauteur de
cette tâche exigeante, ces personnalités ont besoin d’une formation pédagogique à la fois vaste
et stimulante. L’enfant porte en lui l’avenir. Le devoir des éducatrices et des éducateurs consiste
à créer pour l’enfant un environnement qui lui permette de déployer ce qui vit en lui.
En quoi consiste une formation d’enseignant Waldorf ? Qu’est-ce qu’un professeur Waldorf ?
Qu’est-ce qui fait l’attrait d’une telle formation ? Pourquoi y a-t-il aujourd’hui des personnes qui
désirent la suivre (une telle formation? Que propose la démarche anthroposophique et ses
applications sociales dans une école Rudolf Steiner? Qu’est-ce qui relie la théorie et la pratique?
Peut-on « enseigner » cette profession?
Les développements qui suivent vont tenter de cerner ce que représente une telle formation et
évoquer les sens qu’elle propose de développer.
Le sens de ce qui est en devenir
La déclaration bien connue d’Héraclite « Panta rhei/ tout s’écoule » constitue, selon moi, le
fondement même d’une formation pédagogique. Lorsqu’on observe les étapes du développement
de l’enfant, il nous faut patience et méthode pour percevoir les changements qui s’opèrent en lui,
tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. C’est lorsque la faculté d’attention aux phénomènes de la nature
a été assez longtemps formée qu’apparaît ensuite une compréhension pour les passages, les
métamorphoses, les changements et toutes les transformations possibles au sein des formes
visibles. Rudolf Steiner incite à renforcer cet intérêt spécifique par des exercices afin de
développer une capacité de perception acérée. Dans la conférence « Formation pratique de la
pensée », il expose explicitement comment développer par de nombreux exercices pratiques une
confiance profonde (fondamentale) entre pensée et réalité. (Karlsruhe 18 janvier 1909, édition
spéciale GA 108). Ce qui peut être perçu aujourd’hui dans la nature et l’être humain porte, caché
en lui, le germe de la forme future.
Afin de rendre ceci plus concret : il est toujours passionnant et stimulant d’observer par exemple
un enfant de sept ans – à condition d’en connaître la famille - et d’essayer de se représenter en
esprit le visage ou l’allure qu’il aura vingt ans plus tard. Au début, c’est difficile, naturellement,
mais, avec le temps et des exercices fréquents, il est possible de parvenir à une certaine image.
Il ne s’agit en aucun cas d’établir des pronostics mais bien d’éduquer son sens pour saisir ce qui
se transforme. A l’inverse, on peut aussi observer une personne de soixante ans et essayer
d’imaginer son apparence extérieure lorsqu’elle était enfant. Pour cet exercice, il est évidemment
possible d’évaluer après coup au moyen d’une photographie dans quelle mesure on était proche
ou non de la réalité.
A chaque fois, il ne s’agit pas de rechercher une utilité mais d’atteindre un équilibre entre
exactitude et imagination. C’est cela qui constitue la réalité de la vie. Des enseignants attentifs
ont besoin de cette dimension, de ce sens du devenir afin d’accompagner leurs élèves des années
durant dans leur croissance physique et psychique ainsi que leur évolution spirituelle.
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Le sens des polarités
Dans l’être humain, les changements
s’accomplissent au long des jours, des mois, des
années et de la vie dans le cadre de processus
contrôlables : la naissance et la mort, la veille et le
sommeil, l’oubli et le souvenir, l’activité et le repos,
la sympathie et l’antipathie, l’inspiration et
l’expiration. L’évolution de tous les êtres vivants se
fonde sur un rythme. Selon Rudolf Steiner, les
éducateurs doivent prendre en considération ces
polarités : « Pendant que nous enseignons, notre
attitude globale serait insuffisante si nous n’avions
pas en conscience la pensée suivante : l’être humain
est né ; par ce fait même, la possibilité lui a été
offerte de faire ici ce qu’il ne pouvait pas faire dans
le monde spirituel. Il nous faut éduquer, enseigner
et tout d’abord établir par la respiration un rapport
harmonieux avec le monde spirituel. Dans le monde
spirituel en effet, l’être humain ne pouvait pas vivre
l’alternance rythmée entre la veille et le sommeil
comme il le fait dans le monde physique. Ce rythme,
nous devons le régler de façon juste par l’éducation
et par l’enseignement… » (Anthropologie générale,
21 août 1919). On peut dire ainsi que l’éducation est
toujours un processus de respiration.
Il y a des enfants qui sont enclins à rêver, d’autres
qui sont bien éveillés et curieux; il y en a qui sont
maladroits, d’autres qui sont sont très habiles de
leurs dix doigts. Il y a en outre des phases au cours
desquelles les enfants sont portés au jeu et à
l’imagination, d’autres en revanche où ils recherchent l’attention soutenue, l’effort de
concentration. Certains adolescents ont un rapport déficient avec leur corps tandis que d’autres
l’investissent au point d’être potentiellement violents.
Le devenir biographique se situe en plein milieu de ces tendances inhérentes à la nature
humaine; il nécessite un entourage social porteur afin de neutraliser les tendances extrêmes. La
formation d’une communauté de classe (parents, élèves et enseignants) au cours des années
scolaires permet de construire des relations fiables et de confiance réciproque. La classe, l’école
et les familles élaborent ensemble un réseau social, dans lequel les enfants et les adolescents
acquièrent de l’expérience dans un climat de confiance; il y a bien entendu des hauts et des bas
mais il existe une communauté qui est là pour porter ces expériences. L’empathie consciente des
adultes peut pallier les déficits et apporter des correctifs lorsque c’est nécessaire. Enseignants et
parents peuvent acquérir cette compétence sociale; c’est pourquoi l’école Waldorf est aussi une
école de parents. Une didactique appropriée permettra aussi d’harmoniser les tendances
polarisantes. Nous en parlerons plus loin.
Le sens de l’art
L’étude de la Théorie des couleurs de Goethe appartient certainement aux prémisses d’un art
moderne de l’éducation car cette approche des couleurs se construit sur l’acte de perception et
non sur une hypothèse. Georges Braque a écrit: « L’art a pour mission de jeter le trouble; la
science offre la sécurité ». Cette phrase peut s’appliquer également au travail des pédagogues :
ils doivent toujours reconsidérer leur méthode, leur pratique; inlassablement se poser toujours de
nouvelles questions et chercher de nouveaux points de départ; les progrès comme les reculs dans
le processus d’apprentissage des élèves sont toujours des indices sur la façon dont les prochaines
phases de l’enseignement devront être structurées. L’enseignant peut travailler avec cette
inquiétude, cette « agitation » permanente; elle l’incite à mieux se saisir de la situation
pédagogique lorsqu’elle se présentera la prochaine fois. Dans cette profession, la mauvaise
expérience c’est de découvrir qu’on a glissé dans une routine. Habitudes, automatismes,
standardisations dans la méthode d’enseignement comme dans la transmission de savoirs sont le
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signal qu’un burn-out est proche ou même qu’il est temps de changer de métier. Seuls des
enseignants actifs et en recherche peuvent satisfaire les besoins des élèves et redécouvrir et
retransmettre de façon toujours nouvelle la matière de leur enseignement. Un processus vivant
se crée, décrit également par de nombreux artistes: une relation étroite avec l’activité que l’on
est en train d’exercer et dans le même temps une grande distance. Dans la vie, proximité et
distance ne se contredisent pas.
Ce processus ne peut être enseigné dans aucun séminaire ni aucune haute école pédagogique.
On ne peut qu’attirer inlassablement l’attention sur sa réalité.
Ce n’est que dans et par la pratique que l’on peut expérimenter la pédagogie en tant qu’art. Pour
cette raison, la formation anthroposophique des enseignants est toujours axée sur la pratique. L’«
inquiétude » des enseignants au sujet de la paresse et de la négligence des élèves est souvent la
meilleure source de renouvellement de la méthode afin d’améliorer l’enseignement lui-même. Et
cela pour le profit de tous les élèves.
Le sens de la connaissance de soi
Le célèbre psychologue Howard Gardner (Université d’Harvard)
connu pour ses travaux sur les intelligences multiples a
étudié « le cas Mahatma Gandhi ».
Il en arrive à la conclusion que Gandhi possédait une
intelligence particulière: une intelligence de la connaissance de
soi qui lui conférait une authentique maîtrise de soi. De même
qu’une intelligence mathématique permet des performances
intellectuelles complexes tout à fait déterminées, de même il
existe une forme d’intelligence qui peut conduire à une
connaissance de soi, claire, compétente et sans concessions. Le
pouvoir particulier que Gandhi exerçait sur ses semblables - qui
reposait, au demeurant, sur une pure abnégation - est le
contre-exemple de l’abus de pouvoir et des prétentions
politiques usuelles. Gandhi nous dit : «Sois toi-même le
changement que tu veux voir en ce monde». Une connaissance
de soi authentique requiert patience, travail, méthode et
discipline. Rudolf Steiner considère les enseignants comme des
êtres humains qui cheminent sur un long chemin
d’autodiscipline. Par suite, il n’y a pas de contradiction entre ce
qu’ils disent et font d’une part et ce qu’ils pensent, ressentent
et sont eux-mêmes d’autre part. Le sens de cette discipline est individuel et peut laisser son
empreinte par le travail sur sa propre biographie, par des exercices de concentration, la
contemplation artistique, la proximité avec la nature, l’étude de personnalités exemplaires, des
méditations, l’attention portée sur soi-même et sur les effets de sa personnalité sur les autres.
Dans cette optique, celui qui travaille sur lui-même, fut-ce de façon très modeste, sera à même
de servir ses semblables de manière plus judicieuse. Dans la conférence « Nervosité et
Moi » (Munich, 11 janvier 1912, édition spéciale dans GA 143), Rudolf Steiner montre que
l’éducation de l’attention à ce que l’on fait représente une guérison de l’être humain tout entier.
Seul un enseignant qui s’efforce continuellement de préserver son équilibre intérieur peut
véritablement accompagner des enfants et des adolescents.
Le sens de la créativité didactique
Ceux qui enseignent ont besoin d’un bon flair quand il s’agit de transmettre des connaissances.
Ils ont à leur disposition toutes sortes de méthodes d’enseignement qui ont été
systématiquement étudiées ces dernières années par la neuro-psychologie et les sciences de
l’éducation. Une connaissance approfondie de ces différentes méthodes constitue la condition
préalable pour, au moment voulu, faire le choix de la méthode appropriée pour aider les élèves à
progresser. Une formation anthroposophique des enseignants tient compte de la valeur pratique
des méthodes. Dans la salle de classe, les étudiants seront confrontés à des problèmes qu’il leur
faudra résoudre peu à peu. Des praticiens accompagnent en tant que mentors ces expériences
importantes et créent la distance critique qui sert à approfondir ce vécu. Cette activité et le reflet
(feed-back) collégial qui la complète font l’intérêt de la formation des enseignants.
En effet, ce qui aide les enseignants, ce n’est pas la seule théorie mais c’est l’expérience
accompagnée et, plus tard, le soutien du collège. Une didactique est créative lorsqu’elle repose
sur un échange intense, dans le collège des professeurs, quant aux étapes d’apprentissage que
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franchissent les élèves (ce que l’on nomme Kinderbesprechung). Elle n’est pas normative mais
elle correspond aux besoins et aux aptitudes des élèves. La matière enseignée elle-même devient
facteur d’évolution et pas seulement un savoir à acquérir ou un entraînement à des techniques de
civilisation. Cette didactique sert en priorité le développement sain de l’enfant et tente de
soutenir en fonction de son âge (Jean Piaget, L’éveil de l’intelligence chez l’enfant, 1973) son
évolution individuelle, psychique et motrice. De par un équilibre maintenu entre le physique et le
psychique ainsi que par un rythme sain dans les matières enseignées, la didactique a qualité de
salutogenèse. La façon de transmettre les connaissances doit agir sur les élèves en leur apportant
harmonie, équilibre et force.
Quel est l’impact des différentes matières scolaires sur les élèves? Comment les processus
d’apprentissage (récits, calcul, gymnastique, dessin, grammaire, musique, langues étrangères ou
histoire) agissent-ils sur les élèves du point de vue de l’incarnation (permettant au corps de se
faire le véritable instrument de l’âme)? Cette question capitale est abordée dans l’étude de la
nature humaine et dans la pratique; elle constitue le domaine de recherche privilégié de tout
enseignant.
Le sens de la relation pédagogique
L’éducation est relation. Une éducation qui vise à l’aptitude relationnelle est un objectif
généralement reconnu que se fixe l’école aujourd’hui et les psychologues, médecins et autres
experts sont unanimes sur ce point. Mais la question décisive est bien de savoir comment cette
capacité peut être formée et développée chez les élèves, de façon libre, individuelle et sans
préjugés. Une fois de plus, ce n’est pas le Quoi mais le Comment qui est essentiel. L’aptitude
relationnelle ne peut être enseignée ni inscrite dans l’horaire scolaire, par exemple le mercredi à
11h ! Elle peut, par le biais de moyens interdisciplinaires et de façon globale, favoriser l’action
conjointe de différentes disciplines comme par exemple la biologie, l’allemand, la peinture et le
modelage. « Veux-tu un enfant capable de relation, alors offre-lui un environnement qui lui donne
protection, enveloppe et une large expérience sensorielle. Construis ta relation à l’enfant - mais
aussi aux autres adultes - de sorte qu’elles valent la peine d’être imitées. » (Christian
Breme/Joseph Aschwanden, Schulkreis 4/09). Cela veut dire que l’attitude intérieure de
l’enseignant est capitale. Martin Buber confirme avec la profondeur qu’on lui connaît que la
pédagogie Waldorf en explorant la qualité de cette relation du JE à TU génère le développement
individuel. Bien entendu, ce processus relationnel sera accompagné autant par les parents que
par les enseignants; c’est pourquoi il sera fiable et objectif.
Le sens des besoins de la société
L’héritage génétique, les qualités dues à l’influence du milieu et l’identité propre sont des réalités
difficiles à distinguer les unes des autres et à percer à jour. C’est depuis relativement peu de
temps que l’humanité commence à comprendre et à devenir consciente de ce que des valeurs
communes ne sont pas négociables (sur les plans du droit, de la philosophie, de la religion et de
la science): la dignité de l’être humain est inaliénable; les droits à la vie, à la liberté, à l’égalité, à
la liberté d’opinion et d’expression forment un espace où l’humanité veut pouvoir se déployer à
l’avenir. Au fond, il ne s’agit pas d’élaborer une nouvelle pédagogie alternative ou intéressante
mais de donner force à un avenir qui respecte la dignité de l’homme ! Et un tel avenir verra le
jour non pas si une idéologie ou si la collectivité s’impose mais si la réalité individuelle s’y
épanouit. Et pour cela, il faut respecter l’autonomie de la pensée. „Ce qui importe aujourd’hui,
c’est d’ancrer l’école dans une vie spirituelle libre. Ce qui sera enseigné et éduqué doit être issu
de la connaissance de l’être humain en devenir et de ses dispositions individuelles. Il ne faut pas
demander: Quelles sont les connaissances et les facultés dont l’homme a besoin dans le contexte
social existant mais plutôt quelles sont les facultés latentes qui peuvent être éveillées en l’être
humain? Il sera ainsi possible d‘insuffler de nouvelles forces provenant de la génération montante
à cet ordre social. Et il deviendra ce que feront de lui les êtres pleinement réalisés qui s‘y
insèreront. Dans ce cas là, la génération montante ne se soumettra pas à ce que veut faire d’elle
“l’organisation sociale en place”. (Rudolf Steiner: Articles sur la tripartition de l‘organisme social
et sur la situation contemporaine. 1915-1921)
Ce qui caractérise les enseignants, c’est le désir d’exercer une responsabilité particulière. Ils
s’engagent à connaître et à prendre en compte, de façon fondamentale, globale et systématique
les dispositions individuelles de l’enfant et de l’adolescent, à étudier une anthropologie élargie
incluant l’esprit et à encourager par des moyens didactiques et appropriés la réalisation de soi de
l’enfant (mise en pratique de l’anthropologie). Cet engagement envers l’individualité des élèves
anime la collaboration avec les parents et les collègues. A dire vrai, les enseignants sont
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hautement engagés politiquement; ils ont à structurer ce qui, de façon décisive, donnera son
empreinte à la société civile de demain. Ceci s’accomplit sans prétention extérieure de puissance;
seules sont concernées la dignité humaine et la liberté. Les enseignants Waldorf s’efforcent
consciemment d’inclure la dimension spirituelle et essentielle dans leur travail quotidien parce
que cette dimension fait partie intégrante de la conscience humaine.
Si nos représentations de Dieu ont fait leur temps (Frédéric Nietzsche) ou sont devenues
fondamentalistes lorsque l’image de l’homme raisonnable et éclairé ne correspond plus aux
exigences de l’universellement humain (Michel Foucault) alors les enfants et les adolescents se
doivent de devenir adultes par eux-mêmes. Des enseignants formés sont là pour les encourager
et les accompagner afin que l’avenir puisse toujours apparaître avec ce qu’il apporte de neuf, des
enseignants qui doivent franchir une étape de conscience et connaître l’homme et Dieu d’une
manière nouvelle.
En guise de bilan
En quoi consiste une formation d’enseignant Waldorf ?
Vérifier l’anthropologie anthroposophique dans et par la pratique, exercer une culture de la
rétrospective et acquérir une compétence sociale
Qu’est-ce qu’un professeur Waldorf?
Un apprenant, un praticien de l’éducation vécue comme une respiration.
Qu’est-ce qui fait l’attrait d’une telle formation?
La possibilité d’assumer de façon autonome une responsabilité réelle face à l’avenir; d’apprendre
à connaître les interactions entre les matières enseignées et à découvrir les perspectives du
devenir de l’être humain.
Pourquoi y a-t-il des personnes qui désirent suivre une telle formation?
Parce qu’elle offre la satisfaction de pouvoir exercer avec compétence sa liberté de décision quant
à l’aide spécifique dont chaque élève a besoin afin de se réaliser lui-même.
Que propose la démarche anthroposophique et ses applications sociales dans une école
Rudolf Steiner?
Un travail d’équipe, un travail collégial, des rencontres avec les parents d’élèves, un
accompagnement de destinées et la création d’espaces de liberté pour de nouvelles initiatives.
Comment relier théorie et pratique?
L’anthroposophie n’est féconde que dans la pratique; seul celui qui vit en situation de recherche
peut faire ce lien et en tirer un apprentissage.
Robert Thomas, né en 1949, a grandi en France. Etudes en sciences sociales et psychologie. Actif en tant
qu’enseignant à Zurich depuis 1976 et plus spécialement dès 2003 à l’école-atelier, pour les cours d’histoire
et d’histoire de l’art dans les classes de la 10ème à la 12ème. Responsable du poste de Coordination des écoles
Rudolf Steiner en Suisse. Co-fondateur et professeur à la Formation pédagogique anthroposophique de
Suisse romande.
Ce texte est un extrait d’une contribution qui paraîtra en été 2011 dans la publication de la Communauté de travail, sur le
thème de la formation des enseignants.
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L’Académie pour une pédagogie anthroposophique (AfaP)
La formation d’enseignant dans une
école Rudolf Steiner est une formation
spécialisée, reconnue et que l’on peut
acquérir par un cursus spécifique sur
plusieurs années. L’institution de
référence pour la Suisse de langue
allemande est située près de la Haute
Ecole de Science spirituelle à Dornach.
Regard vers le passé
La formation d’enseignant a commencé
avec la fondation des deux premières
écoles à Bâle et à Zurich dans les
années 1926-1927. A côté de Willi
Aeppli, de l’école de Bâle, ce sont avant
tout des enseignants de Zurich qui
furent déterminants lors du premier
Séminaire pédagogique à Zurich. La
formation des enseignants se consolida en 1952 lors de la fondation du Séminaire pédagogique
de Dornach sous la direction de Annie Heuser. En 1974, des enseignants des écoles de Bâle et de
Zurich fondèrent une association dans le but d’assurer
au séminaire sa nécessaire indépendance sur les plans juridique et économique. Cette association
érigea les bâtiments du séminaire toujours en activité aujourd’hui. En conséquence, le séminaire
acquit une forte implantation dans le Mouvement des Ecoles en Suisse. En 1997, le séminaire,
sous la direction de Marcus Schneider et de Thomas Stöckli se positionna comme Haute Ecole
Spécialisée et développa un nouveau concept de formation, fort et directement relié à la pratique
pédagogique. C’est sur cette base que fut fondée en 2007 l’Académie pour une pédagogie
anthroposophique (AfaP) qui propose un profil de formation clair ainsi qu’une offre élargie.
L’AfaP aujourd’hui
La qualité et la valeur durable du travail pédagogique qui se fait dans les écoles Rudolf Steiner
dépendent de façon déterminante de la capacité dont font preuve les enseignants
à mettre en pratique, tant avec imagination qu’avec compétence, les fondements de cette
pédagogie. Cet « art de l’éducation » requiert des qualités précises indispensables qui seront
transmises dans le cadre des études à l’AfaP : l’acquisition des connaissances de base de la
pédagogie anthroposophique et de ses fondements anthropologiques, une conscience des
méthodes et moyens didactiques, une réflexion sur son propre travail dans le contexte de ses
propres ressources et compétences, une discipline pour développer une conscience artistique,
des aptitudes quant à la réalisation de la vie quotidienne scolaire globale et la perception de la
réalité scolaire vécue par les enfants.
Aujourd’hui, l’AfaP avec ses 80 étudiants est la plus grande institution de formation pour la
pédagogie anthroposophique en Suisse. Au cours des 14 dernières années, environ 140 étudiants
ont été formés dont les deux tiers sont en activité actuellement dans des écoles Rudolf Steiner
ou d’autres établissements pédagogiques en Suisse ou en Allemagne. Une partie des enseignants
formés travaille également dans des institutions de l’Etat.
Les programmes d’études de l’AfaP
A l’AfaP, les étudiants sont préparés selon quatre filières possibles à la pratique professionnelle du
métier d’enseignant ou à une activité dans le domaine pré-scolaire. Le choix de la filière
appropriée se fait en tenant compte des acquis personnels et des points forts de chaque
étudiant. Les offres de formation de l’AfaP s’adressent à de jeunes étudiants, à des enseignants
formés des écoles d’état, à des enseignants des écoles Rudolf Steiner sans formation
anthroposophique et à des parents intéressés qui souhaiteraient apporter leur contribution au
travail pédagogique des écoles.
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Programme du cycle élémentaire (3 ans)
La filière pour le cycle élémentaire s’adresse à des professionnels qui apportent avec eux des
expériences pédagogiques dans le domaine social ou le domaine de l’éducation et qui aspirent à
une activité en tant qu’éducateur (éducatrice) pour la petite enfance (domaine pré-scolaire des 4
à 7 ans). Les cours et séminaires à l’AfaP ont lieu principalement pendant les week-end de sorte
que la participation à ces cours est compatible avec sa propre activité professionnelle.
Programme à plein temps (2 ans)
Le cursus d’études à plein temps s’adresse à des personnes intéressées à participer dans le cadre
de leurs études à la pratique pédagogique d’une école Rudolf Steiner. Ce cursus est conçu de
façon à ce que, en plus des cours de week-end et séminaires (en temps bloqué) communs avec
les autres filières, des cours et autres travaux prévus aient lieu pendant les cours de la semaine
à l’AfaP.
Programme d’accompagnement de stages (3 ans)
Le programme d’accompagnement de stages s’adresse à ceux qui sont déjà actifs dans une école
Rudolf Steiner en tant qu’enseignant mais n’ont pas accompli une formation pédagogique
anthroposophique. Ce programme est également ouvert aux enseignants des écoles d’Etat qui
souhaitent se former en pédagogie anthroposophique. Cette étude est conçue de façon telle que
l’activité régulière d’enseignement puisse être intégrée à la partie pratique du programme. Les
cours à l’AfaP ont lieu principalement en week-end de sorte que la participation à ces cours est
compatible avec sa propre activité professionnelle.
Programme en cours d’emploi (4ans)
Le programme d’études en cours d’emploi s’adresse aux intéressés qui, parallèlement à leur
activité professionnelle, qui peut s’avérer être l’enseignement dans une école d’Etat, souhaitent
accomplir leur formation à l’AfaP. Ce programme est conçu de sorte que les étudiants puissent
d’une part, être amenés progressivement à la pratique pédagogique dans une école Rudolf
Steiner et, d’autre part, suivre les cours donnés à l’AfaP, cours ayant lieu principalement en fin de
semaine , ce qui permet de concilier son activité professionnelle personnelle et la participation
aux cours.
Les concepts de formation en rapport avec la pratique pédagogique
Une caractéristique importante de toutes ces filières est le rapport entre la pratique et l’étude.
Ceci permet à l’étudiant une confrontation intensive avec les tâches du métier d’enseignant et
place l’enfant au centre des intérêts. A travers l’activité de chercheur-praticien, ces expériences
sont reliées aux contenus des études de façon telle qu’une relation riche et réciproque puisse
exister entre la théorie et la pratique. L’étude pratique comprend quatre domaines : des stages
d’observation auprès d’un enseignant expérimenté, des expériences personnelles d’enseignement
, la participation aux réunions hebdomadaires pédagogiques et la réalisation d’un projet individuel
de chercheur-praticien. Afin que cette étude devienne un enrichissement précieux tant pour les
écoles que pour les étudiants, l’AfaP collabore directement avec les écoles, leurs mentors et la
Communauté de Travail des écoles Rudolf Steiner.
Les trois piliers des études à l’AfaP
Les études à l’AfaP s’édifient sur trois piliers : une anthropologie anthroposophique reliée en
permanence à un travail d’approfondissement des méthodes et de la didactique ainsi qu’à un
travail artistique dans les différentes disciplines. Au-delà, les étudiants élargissent leurs
compétences particulières à travers le choix de modules spécialisés et peuvent acquérir des
qualifications ciblées en vue de l’activité professionnelle envisagée. Actuellement, voici les
modules spécialisés qui peuvent être choisis, également d’ailleurs indépendamment d’un cursus
particulier : peinture et histoire de l’art, éducation physique, langues étrangères et musique.
Accueil et admission à l’AfaP
L’admission à un programme d’études de l’AfaP se fait après un entretien avec la direction
d’études. Au premier plan sont prises en considération la biographie individuelle et l’aptitude
personnelle.
Voir critères spécifiques d’admission sous : www.paedagogik-akademie.ch
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Le cursus d’études pour le cycle élémentaire (niveau jardin d’enfants) commence chaque année
en janvier (inscription jusque mi-décembre), les autres filières d’études commencent selon
l’entretien individuel avec la direction d’études.
Diplômes d’études
Tous les programmes d’études conduisent à un diplôme en pédagogie anthroposophique qui
autorise à enseigner dans les écoles Rudolf Steiner (ou écoles Waldorf) du monde entier. La
qualification selon les disciplines d’enseignement et l’âge spécifique des élèves concernés repose
sur les justificatifs de compétence individuelle présentés par les diplômés.
Du nouveau : une Passerelle
Depuis l’automne 2010, une passerelle permet aux diplômés des programmes d’études à temps
complet ainsi qu’à ceux des stages accompagnés de l’AfaP l’accès direct à la Haute Ecole de
Pédagogie FHNW (institut du primaire). Ces études, au moyen de cette passerelle, sont
sanctionnées par un diplôme d’enseignement suisse pour les classes primaires de 1 à 6 et par
l’obtention du titre d’ « enseignant diplômé pour le degré primaire » (CDIP) ainsi que le
« Bachelors of Primary Education ». La Passerelle de l’AfaP est conçue pour une durée d’études
sur trois semestres.
Thomas Stöckli, Marcus Schneider,
Directeurs d’études –AfaP
D’autres informations concernant les études à l’AfaP se trouvent sur notre site :
www.paedagogik-akademie.ch
Passerelle AfaP—Haute Ecole Pédagogique FHNW
Chemins professionnels et développements individuels s’influencent positivement, dans le
meilleur des cas. Les jeunes gens d’aujourd’hui relient le choix de la profession à l’espoir que ce
chemin professionnel individuel puisse s’associer à un projet de vie également individuel et
porteur d’avenir. La maîtrise de nouveaux défis et de nouvelles qualifications à acquérir ainsi
que de nouvelles possibilités de promotion s’avèrent, à juste titre, occuper le centre des
préoccupations.
La passerelle pour les diplômés de l’AfaP est une perspective commune de
développement :
Les étudiants hautement motivés acquièrent un diplôme d’Etat. Les étudiants et les professeurs
de la Haute Ecole Pédagogique de l’Ecole Spécialisée(FHNW), du fait de leur
participation à un autre chemin de formation, s’en trouvent enrichis sur les plans humain et
pédagogique. Les échanges dans les salles de professeurs des écoles Rudolf Steiner et des
écoles d’Etat reflètent de nouveau l’hétérogénéité sociale. Les racines de la Passerelle toute
nouvellement créée sont aussi à retrouver dans les journées de formation continue de Dornach
qui furent conçues et vécues en collaboration.
Astrid Eichenberger, directrice de l’Institut du niveau primaire, Haute Ecole Pédagogique FHNW,
Liestal
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« J’ai ressenti comment je peux personnellement me développer. »
Un étudiant à l’Académie de Pédagogie Anthroposophique (AfaP) raconte comment il s’est décidé
pour le programme d’accompagnement de stages, comment se sont passées ses premières
expériences pratiques dans une classe et comment il se trouve dès lors en apprentissage
permanent.
Comment as-tu été éduqué ?
J’ai vécu une enfance en contact avec la nature. Après
l’école primaire, j’ai fréquenté l’école cantonale de
Kreuzlingen. A côté de l’école, le sport a toujours été
important pour moi et j’ai pratiqué l’athlétisme léger.
Après la maturité, je me suis décidé pour des études
d’ingénieur du bâtiment. C’était évident du fait que ma
famille, depuis quatre générations, s’est occupée de
construction routière.
Pourtant, après une année, j’ai constaté que c’était
trop théorique pour moi. J’ai fait une pause et, à
l’occasion du service civil, j’ai pu jeter un regard sur le
travail avec les gens. Je travaillais dans un centre de
traitement des dépendances. Ensuite, j’ai fait un stage dans un foyer pour les sans-abris et j’ai
commencé une formation en pédagogie sociale à Zurich. Le pas vers une profession sociale s’est
fait parce que je ne m’étais moi-même pas encore trouvé.
C’était un processus me permettant de mieux me connaître moi-même car travailler avec d’autres
personnes, c’était comme être en face d’un miroir. Là, j’ai acquis une grande confiance en moi et
j’ai commencé à m’engager politiquement avec des projets comme par exemple jouer au foot
avec les enfants dans les rues. C’est à travers cet engagement que j’en suis arrivé à mon activité
actuelle. A côté des études, je travaille avec de jeunes demandeurs d’emploi et je les
accompagne jusqu’à ce qu’ils aient repris pied sur le plan professionnel.
Est-ce que c’était clair depuis toujours que tu voulais faire une formation pour devenir
enseignant dans une école Waldorf ?
J’avais en arrière-pensée une certaine recherche, je voulais trouver une approche pour mieux
transmettre aux jeunes sans emploi la joie d’apprendre. C’est comme ça que je me suis décidé à
commencer la formation pour la pédagogie anthroposophique à l’AfaP. Au début de la formation,
je n’avais pas trop l’idée de devenir enseignant. Ce désir n’est devenu vraiment concret qu’ici à
Wetzikon, lorsque j’ai commencé le stage et constaté que le métier d’enseignant me plaît
particulièrement. J’ai suivi mon sentiment intérieur.
Peux-tu te souvenir d’un (e) enseignant(e) qui t’a particulièrement impressionné ?
Mon professeur de géographie à l’école cantonale. Il était tout près de la retraite. Sa salle de
préparation était pleine de livres du monde entier. C’était un magnifique conteur d’histoires. Nous
autres, les élèves, nous l’encouragions toujours à nous raconter une histoire. Il était très érudit
et, de par ses nombreux voyages, il connaissait toutes sortes d’anecdotes sur les différentes
cultures et les régions. A travers ses histoires, il pouvait me donner une compréhension du
monde. Je n’en suis devenu conscient que lorsque j’ai commencé à
me confronter avec la pédagogie anthroposophique. Car il s’agit exactement de cela quand on
enseigne.
Tu as commencé ta formation à l’AfaP en septembre dernier. Quelles sont tes premières
impressions ?
Je suis plein d’impressions ! Au début, je ne savais pas vraiment à quoi je devais m’attendre.
Apprendre à travers des entretiens et des discussions me convient bien. Il y a beaucoup de
nouveaux thèmes comme par exemple l’anthropologie qui peut être très passionnante à travers
les entretiens en groupe. Je trouve très précieuses les disciplines artistiques comme la peinture,
l’eurythmie ou l’art de la parole.
J’ai ressenti comment je pouvais personnellement me développer. Il y a des domaines dans
lesquels j’ai toujours connu des difficultés à l’école. Très tôt, on m’a renvoyé l’image de quelqu’un
qui dessine mal. Maintenant c’est avec joie et enthousiasme que je pratique le dessin.
10
En ce moment, nous sommes 35 participants, répartis dans les différents programmes, le cours à
temps complet sur deux ans, le programme d’accompagnement de stages de trois ans ou le
programme en cours d’emploi sur quatre ans. Les études sont conçues de façon telle que si
possible, tous aient pu traiter tous les thèmes à la fin de leur cours. Je participe au cours
d’accompagnement de stages.
Actuellement tu es en stage à Wetzikon. Peux-tu raconter comment cela se passe ?
Avant les vacances de Noël, chaque jeudi j’ai fait un stage dans différentes classes. J’ai eu la
chance que dès la première fois, on m’a demandé si je voulais bien assumer, en tant que
remplaçant, un cours de deux heures de travail manuel en 6ème classe. J’étais reconnaissant
pour ce défi. Ainsi, en plus du jeudi, j’étais aussi à l’école pour deux heures le mercredi.
Comment c’était de se tenir pour la première fois en face d’une classe ?
J’étais excité, j’étais tendu, me demandant quel effet je ferais aux enfants. Du côté de
l’enseignante, j’ai été bien préparé du fait qu’elle m’a conseillé de ne pas commencer avec
l’aiguille et le fil comme dans le travail manuel classique mais plutôt avec du papier. Je me suis
décidé à transmettre aux enfants l’art du pliage de papier japonais, l’origami, et ça s’est très bien
passé. Au début, les enfants ont essayé de tester les limites. Un enfant m’a directement demandé
si je pouvais être sévère. Jusqu’à Noël, tout est très bien allé. Ensuite nous avons commencé
avec un nouveau travail, le tissage sur petit métier. Là, par deux fois, j’ai eu des difficultés. La
classe était agitée et bruyante. Une enseignante de travail manuel m’a donné quelques tuyaux,
comment, au commencement de l’heure, je pouvais discuter avec les élèves afin de convenir avec
eux de certains arrangements. Après cela, nous avons connu deux bonnes heures de cours où ils
étaient appliqués. Après les vacances de Noël jusqu’aux vacances de sport, j’ai été en stage et
j’ai enseigné dans la 5ème classe de Michèle Truog.
Comment cela s’est-il passé?
C’était très passionnant pour moi. Tout était nouveau. J’ai remarqué qu’il me fallait acquérir les
compétences nécessaires seulement par la pratique. Au début, c’était difficile d’évaluer où en
sont les enfants, à quel rythme je peux avancer et comment je peux préparer le cours pour qu’ils
puissent suivre et se sentir concernés par le contenu. J’étais tendu et surtout concentré sur mon
travail de préparation, comment j’en voyais le déroulement. Ainsi je ne pouvais pas bien
m’impliquer dans la classe et j’étais parfois dépassé par les réponses inattendues venant des
enfants. Plus j’étais devant la classe, plus je me sentais assuré. Maintenant, pendant la leçon, je
me déplace plus librement, je peux mieux recevoir les questions et les remarques des enfants et
les intégrer. C’est beau de remarquer que je suis maintenant une partie du tout. Pendant les
dernières leçons, je pouvais vraiment me réjouir de l’enseignement et ressentir
à quel point c’est passionnant et instructif de rencontrer des enfants et d’apprendre à mieux les
connaître. Bien sûr, ça ne réussit pas toujours. Dans ce cas, le cours me paraît pénible et après je
me sens fatigué.
Ce que je trouve difficile c’est lorsque je perds le fil et ne sais plus dans l’instant comment je vais
continuer et trouver le passage d’un thème à un autre de façon harmonieuse. Aussi lorsque,
pendant des travaux à faire tout seuls, quelques enfants ne font pas ce qui leur est demandé, je
suis encore débordé quand il s’agit d’avoir une vue d’ensemble sur les 25 élèves et de réagir en
même temps à toutes leurs questions. Alors je remarque que je n’ai pas suffisamment expliqué.
En ce moment, je ressens comme un stress lorsque trop de choses inattendues arrivent.
En tant que jeune professeur, tu bénéficies sûrement d’un plus ?
Par exemple, pour les cours de travail manuel, je remarque que les élèves se réjouissent d’avoir
un professeur jeune. Ils ont pensé que je suis sûrement plus souple et que je vais être plus
tolérant que d’autres.
En 5 ème classe, ça fait plaisir quand quelques élèves demandent quand je viendrai pour la
prochaine leçon et s’en réjouissent. Quand je vois la manière dont les enfants participent pendant
le cours, je pense qu’ils doivent être contents avec moi. Cependant, ce qui a sûrement une
grande influence sur la classe c’est le fait que leur enseignante soit assise derrière eux.
Tu as déjà assisté aux conférences des maîtres. Quelle fut ton impression ?
Aux conférences des maîtres, je trouve la première partie, avec son temps consacré aux arts, la
présentation d’un cours par un enseignant, les entretiens sur l’anthropologie, tout cela très
enrichissant. Pendant les conférences des classes primaires, du fait que les classes fonctionnent
11
en auto-gestion, il faut parfois de
longues discussions pour qu’une
solution acceptable soit trouvée ; de
plus il y a des points sensibles qui
sont difficiles à comprendre pour
quelqu’un de l’extérieur comme moi.
Je pense que tout cela s’exprime de
façon particulièrement forte parce
que tous sont indépendants tout en
étant une partie de l’école.
Lorsque je parle avec d’autres
étudiants, j’entends dire que ce
serait plus facile pour les jeunes de
déléguer certains domaines de
responsabilité.
Que penses-tu de
l’anthroposophie ?
Il y a une année, j’ai entendu parler pour la première fois d’anthroposophie dans une ferme
Déméter lors de la récolte des olives ; depuis, je suis en train de découvrir. Steiner a dit dans les
conférences que nous devions en tant qu’enseignants continuer de nourrir l’âme des enfants en
leur offrant du lait. Ainsi, leur donner non pas quelque chose d’abstrait mais quelque chose qui
les touche, cela les nourrit et rend possible l’imagination. Lorsque je lis Steiner, je trouve toujours
des passages que j’ai l’impression de connaître déjà et qui me parlent. Il arrive que je ressente
une émotion profonde et une grande joie lorsque je trouve dans ses textes des réponses à des
questions qui m’accompagnent depuis longtemps. Bien sûr, il arrive aussi que cela suscite des
questions.Parfois, j’ai le sentiment que les nouvelles questions foisonnent. Je trouve la
confrontation avec Steiner très passionnante et je ne me laisse pas déconcerter par ce qu’il dit
mais j’y vois plutôt comme une provocation qui donne à réfléchir.
Merci de tout cœur pour cet entretien.
Cet entretien avec Pascal Pauli, étudiant à l’Académie pour une Pédagogie anthroposophique et
stagiaire à l’école Rudolf Steiner de Wetzikon, a été mené par Michèle Truog et Christian Labhart
Article (légèrement raccourci ) paru dans les Mitteilungen der Rudolf Steiner Schule Zürcher Oberland, Printemps 2011
Pourquoi une recherche-par-la-pratique dans la formation des
enseignants?
De façon générale et au sens large du terme un enseignant devrait être un enseignant purement
et simplement. Un vaste champ d’études sur de nombreux thèmes et disciplines s’ouvre et l’on
peut étudier et s’informer sans fin. Pourtant le domaine le plus important de la recherche c’est la
pratique et l’action qu’on exerce sur les élèves eux-mêmes.
A l’Académie pour une pédagogie anthroposophique (l’AfaP) c’est maintenant avec une
expérience de plus de 15 ans que la recherche orientée vers la pratique en pédagogie et tout
particulièrement en pédagogie Waldorf occupe une place centrale. Ainsi la recherche par la
pratique offre une base fondée scientifiquement pour établir des synergies précieuses entre
théorie et pratique et intégrer directement dans leur relation ces deux domaines essentiels dans
la formation des enseignants. De cette façon, les étudiants accompagnés dans leurs études,
peuvent être conduits vers la pratique pédagogique et se développer progressivement en
fonction des exigences requises par le métier d’enseignant. L’implication conséquente de la
recherche orientée vers la pratique dans le cadre de la formation apporte une contribution
essentielle de sorte que les enseignants concernés accordent également une signification
importante à cette compréhension du processus d’apprentissage et d’acquisition de compétences
12
aussi dans leur pratique professionnelle immédiate.
Rudolf Steiner soutient lui aussi une conception similaire quant à la relation entre théorie et
pratique : « Cela n’a pas de sens, dans la connaissance de l’être humain, de parler de différence
entre théorie et pratique. Car une connaissance de l’homme qui ne peut devenir essentiellement
active dans la pratique de la vie, est une somme de représentations qui planent comme des
ombres dans les entendements mais ne parviennent pas jusqu’à l’homme lui-même. Une pratique
de vie qui n’est pas éclairée par la connaissance de l’homme tâtonne, incertaine, dans
l’obscurité. » (1) Car Steiner attendait des enseignants qu’ils puissent accomplir eux-mêmes pour
leurs tâches quotidiennes d’enseignement la transformation nécessaire, à partir des forces
intérieures d’imagination, d’une conscience pédagogique qualifiée, orientée par une psychologie
du développement étendue et une compréhension globale de l’être humain.
Parallèllement, il mit en place des conférences hebdomadaires pour les enseignants comprises
comme formation continue permanente : « Ces conférences pour les enseignants ne sont pas
destinées à la préparation des bulletins pour les élèves , à l’examen des situations administratives
de l’école ou autres points de ce genre (…) mais ces conférences constituent en réalité l’école
supérieure vivante et persistante pour le collège des professeurs. Elles sont le séminaire
permanent. Et elles le sont en ce sens que pour l’enseignant chaque expérience singulière qu’il
fait à l’école devient objet de sa propre éducation. » (2)
Les conférences hebdomadaires des maîtres dans les écoles se raccordent ainsi dans le concept
même directement à la formation des enseignants et relient de cette façon une recherche
orientée par la pratique à la formation continue collégiale. A dire vrai, la réalité des conférences
ne correspond qu’avec certaines réserves à cette exigence et cela même constitue pour les
écoles une tâche actuelle dans le cadre du développement de leur organisation.
C’est pourquoi disposer en conscience d’une méthode de recherche est particulièrement essentiel
afin que les écoles Waldorf ne se limitent pas exclusivement aux « indications données » par
Steiner mais qu’elles les comprennent comme instigation dans le contexte des développements et
besoins actuels des élèves. En pensant à la configuration du plan scolaire,
Tobias Richter formule cet aspect de la façon suivante : « La pédagogie Waldorf est une
pédagogie de renouvellement permanent, aussi bien vers l’intérieur que vers l’extérieur. Cela
signifie que chaque enseignant, à partir de la perception de la situation de développement de
l’enfant et de ce qui change avec l’époque que nous vivons, est appelé à exercer une recherche
pédagogique. Le résultat de cette recherche crée le plan scolaire. » (3)
Par là, les enseignants sont invités à s’adonner à un travail permanent de recherche, fondement
qui leur permet d’évaluer eux-mêmes leur propre enseignement et de le développer. Et, ils sont
amenés de cette façon, à exercer la recherche par la pratique dans leur salle de classe.
Thomas Stöckli
Littérature :
(1) Steiner, Rudolf : Pédagogie et art
(2) Steiner, Rudolf : Vie spirituelle actuelle et éducation
(3) Richter,Tobias : Pädagogischer Auftrag und UnterrichtszieleVom Lehrplan der Waldorfschule, Stuttgart, 2003 (non traduit)
13
Que veut dire recherche-par-la-pratique?
La recherche par la pratique représente une tendance de recherche selon laquelle les praticiens
par l’exploration de leur propre pratique créent de nouvelles théories lesquelles ont à leur tour
une influence sur la pratique. Ainsi la recherche par la pratique peut être comprise comme
processus cyclique par lequel un échange se fait entre théorie et pratique.
La recherche par la pratique poursuit l’objectif de voir les praticiens examiner des problèmes
concrets de leur activité professionnelle afin d’analyser leur propre façon d’agir et de
l’améliorer. La recherche par la pratique se propose ainsi de surmonter le clivage entre théorie
et pratique. L’objet de la recherche est exploré en tenant compte des théorie et méthodes
scientifiques existantes.
La recherche par la pratique repose sur la réflexion que produire de nouvelles théories n’a de
sens que lorsque celles-ci se révèlent praticables. En comparaison avec la recherche empirique
qui cherche à objectiver les résultats de la recherche, la recherche par la pratique poursuit le
but d’offrir une solution adéquate à un problème concret.
De plus, la recherche par la pratique se comprend comme une invitation faite aux praticiens
d’exercer une réflexion critique quant à leurs propres valeurs et théories. Le processus de
recherche peut alors être considéré comme une occasion de poursuivre son développement
personnel.
Sur le site de l’AfaP vous trouverez des exemples de travaux de recherche d’étudiants pour
concrétiser cet article: www.afap.ch
Info
Pour Adresses lors de Réunion de classes
Prière d’envoyer tout changement d’adresse à :
Doris Blösch, Schützengasse 134
2502-Biel
E-mail : [email protected]
Recherche-par-la-pratique - un projet de théâtre
Même des enseignants de longue date continuent d’apprendre et sont en recherche quotidienne
en ce sens.Des formations complémentaires spécifiques apportent toujours encore de nouvelles
inspirations et de nouveaux points de vue à ce sujet.
Dans le cadre d’un module de master, j’ai mené une enquête il y a trois ans sur un projet de
théâtre dans une 10ème classe.
L’investigation portait sur les questions suivantes :
-- Jusqu’à quel point les élèves sont-ils interpellés dans leur personnalité globale par un tel projet
de théâtre ?
-- Comment la motivation scolaire en est-elle influencée, en général ?
-- Quels effets ce projet a-t-il eu sur le climat de la classe ?
Pour moi personnellement, ce genre de travail à portée scientifique était nouveau. Nouveau en ce
sens que, même si dans le passé je réfléchissais plus ou moins de façon critique à ma pratique
d’enseignement, ici je me sentais contraint, à travers la méthode de recherche, de procéder de
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façon systématique. La méthode scientifique que je perçus tout d’abord comme un véritable
corset se révéla au fil du temps une approche à la mesure de la vie, approche à laquelle je
confère aujourd’hui un caractère de questionnement et d’investigation.
Ce qui fut fascinant dans tout ce projet de
recherche auquel je consacrai environ une
centaine d’heures, ce fut le résultat. Par
exemple, mes thèses du début
comme : « le théâtre améliore le climat de
la classe » ou encore « le théâtre favorise la
motivation scolaire », furent bonnes à jeter
aux orties. Quelque peu déstabilisé, ce n’est
pas sans peur que je me posai la
question : « Qu’ai-je donc fait de faux ou
alors est-ce que ce sont mes thèses
élaborées sur un espace de temps d’une
bien plus longue expérience qui sont
fausses ? »
Cependant je vis clairement que les
résultats de mon enquête sur la pratique
devaient être justes car ils reposaient sur de nombreux interviews, questionnaires, entretiens de
groupes et observations, réalisés avant, pendant et après le projet de théâtre. Que mes thèses ne
puissent pas être jugées comme complètement à côté de la plaque, c’est ce que je pouvais
ressentir sur la base de mes expériences des années précédentes mais , du point de vue de la
recherche par la pratique, je n’avais aucune preuve solide à apporter. La question se posait : « A
quoi, dans le passé, ai-je accordé trop peu d’attention puisque justement un projet de théâtre
n’améliore pas purement et simplement le climat (l’ambiance) d’une classe ? «
Quand un projet de théâtre améliore visiblement le climat d’une classe et qu’ensuite aussi la
reprise de la vie quotidienne scolaire se fait au mieux, je m’en réjouis sans toutefois être d’avis
que le théâtre en tant que tel se doit d’améliorer l’ambiance d’une classe car il est tout aussi
possible que des processus soient déclenchés qui, par exemple, amènent au grand jour des
conflits larvés.
Ma recherche par la pratique m’a en tous cas appris que les processus sociaux lorsqu’on prépare
une pièce de théâtre exigent une régie au même titre que la pièce elle-même. La « régie sociale »
peut déjà être en activité avant l’étude à proprement parler et thématiser par exemple de
quelle sorte de culture sociale la classe est empreinte et à quoi il faut particulièrement prêter
attention dans le cadre d’un projet théâtral.
La « régie sociale » et la régie du théâtre sont devenues pour moi, entre temps, inséparables,
elles se conditionnent réciproquement car le théâtre est une sorte de discipline sociale et
artistique pour groupes. C’est précisément ici, à travers le travail intense de la recherche par la
pratique qu’il m’est venu à l’esprit que la régie ne peut pas être simplement une instance en
dehors de la réalité vécue. Dans l’espace de recherche, le chercheur est partie prenante de la
recherche. De même, dans l’espace pédagogique, le pédagogue fait partie de l’activité
pédagogique et il est déterminé par cette réalité au même titre qu’il la détermine. Exprimé en
d’autres termes, voici ce que cela signifie pour moi :
Il me faut passer avec les élèves par le chas de l’aiguille. Je ne peux pas diriger du dehors les
événements mais j’ai le droit de rire, souffrir et me réjouir avec eux. C’est de cette façon que
naît une immense force créatrice.
Par cela j’entends aussi un autre rôle peut-être, voire un nouveau rôle pour l’enseignant. On parle
aujourd’hui très volontiers de professionnalité et l’on suppose ainsi donner une garantie
que tout se passe de façon claire, réglée et prévisible. Tant de professionnalité, n’est-ce pas pour
les jeunes totalement ennuyeux ? Ne devons-nous pas développer beaucoup plus le courage de
l’inhabituel, de ce qui n’a encore jamais été fait, de ce qui n’est pas planifiable
afin de nous diriger, ensemble avec les jeunes, vers de nouveaux rivages ?
Joseph Aschwanden (1959), enseignant dans les Grandes Classes à l’école Rudolf Steiner de
Soleure, marié et père de 4 enfants
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Trouver l’équilibre - un exercice plus que saisonnier
Cet article est paru dans «Entr’écoles», Journal des écoles Rudolf Steiner de la Suisse romande.
Au fil des jours, je vois beaucoup d'équilibristes à l'école: les enfants du groupe des petits qui
grimpent sur un tronc d'arbre couché, les petites classes qui dansent au son de l'accordéon dans
la cour, grands élèves et parents qui repeignent les pavillons sur des échafaudages de fortune.
Sans oublier la mémorable journée de janvier quand tout, cour, prés et chemins, était transformé
en patinoire - tout était recouvert d'une belle glace épaisse, lisse, scintillante et impraticable sans
patins! Malgré les gravillons et les attaques courageuses au pic, la glace a imposé des exercices
d'équilibre à tous pendant plus d'une semaine.
Observons notre recherche d'équilibre: nous avançons et posons un pied après l'autre avec
précaution, en tâtant le sol, nos bras se lèvent, se transforment en balancier, notre cou se
dresse, nos doigts prennent appui sur l'air . . . La conscience de la périphérie de notre corps
augmente (bien avant la chute!!), il s'agit de tout relier au centre immobile, au point qui ne
vacille pas.
Chercher le centre sans oublier la périphérie: cet exercice se fait ailleurs que sur des patinoires et
des cordes raides - dans des endroits apparemment aussi stables que des salles de classe, le
cercle des chaises du collège des maîtres . . . !
Parlons du collège de l'école de Lausanne! Il y a une année, nous avons pris conscience du fait
que notre collège se composait essentiellement de deux types de personnes: les éléments
"prometteurs" et les éléments "transmetteurs" comme l'a joliment formulé une collègue. Les
"prometteurs" sont bien sûr les jeunes collègues pleins d'enthousiasme et de questions, les
"transmetteurs" les (plus ou moins) vieux collègues expérimentés. Si le plaisir des découvertes
réciproques est certain ("J'admire ton entrain!" "Je n'avais jamais réfléchi à ça - maintenant que
tu le dis - !") les divergences d'opinion, l'opposition entre habitude et besoin d'innover ne
manquent pas non plus. Quel défi pour le collège! Comment trouver l'équilibre entre ces deux
forces archétypiques, celle qui se projette dans l'avenir et celle qui sauvegarde les acquis du
passé? Les notions de centre et de périphérie nous aident: en réalité, les deux positions sont
périphériques et il nous incombe de chercher le centre qui les relie (en évitant le danger de
considérer l'autre comme périphérique). Lors de l'exercice pernicieux sur la glace, il s'agissait de
droiture et de souplesse physique - qu'en est-il du travail commun? Sur quel pivot prendre appui?
Quelques idées pour orienter la recherche:
- mettre en commun toutes les questions,
soucis et préoccupations
- rendre conscient, formuler ce vers quoi
nous nous orientons tous - notre idéal
pédagogique et de collaboration (cf. champ 1
des Chemins vers la qualité, la tâche que
nous nous donnons)
- s'exercer à cultiver l'attitude opposée à la
sienne: je fais partie des collègues
expérimentés, où se situent donc les
domaines d'apprentissages nécessaires pour
moi? Si, au contraire, je suis encore nouveau/nouvelle dans l'école, je me demande ce qui fait la
force et le charactère unique de l'école.
- saisir le moment présent - dans quelle mesure sommes-nous capables de nous y investir
pleinement? Cette recherche du centre rejoint les préoccupations de base da la pédagogie
Steiner: équilibrer les forces de la pensée avec celles de l'action, du faire (Steiner parle de
volonté) veut dire soigner les forces du milieu - les perceptions du coeur, l'élan créateur. Une
pédagogie du saltimbanque en quelque sorte!
Mais revenons à l'actualité concrète, voyons un autre terrain de recherche d'équilibre de l'ERS de
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Lausanne: l'initiative du pédibus. Le pédibus est entré en activité grâce à l'engagement des
élèves de la 11ème classe 2007/08. Leur éveil aux questions concernant l'écologie et la santé les
a motivés à proposer ce service d'accompagnement des plus petits sur le(s) chemin(s) de l'école.
Marcher pour préserver la nature, pour renforcer sa santé, pour créer l'occasion de rencontres
entre petits et grands! Certains, dans leur enthousiasme, auraient été prêts à abolir le service des
bus mais se sont rendus à l'évidence: pour les parents, les choses ne sont pas si simples. Que
faire le jour du violoncelle? Et le petit frère doit de toute façon être amené au groupe des petits
. . . et quand il pleut des cordes ?!
Encore une fois, l'opposition entre l'élan innovateur et le poids des contraintes de la vie pratique.
Là aussi, des attitudes opposés au premier élan à cultiver: persévérance, patience du côté des
jeunes (ne pas céder à l'envie de tout plaquer les jours où les "chauffeurs" sont plus nombreux
que les usagers); du côté des adultes, le courage de changer d'habitude, de point de vue - donc
d'envisager le trajet jusqu'à l'école non pas comme moyen d'atteindre un but mais comme une
expérience à vivre, comme un moment pédagogique dans la mesure où il y a rencontre, défi,
occasion d'apprentissage.
Tous des équilibristes donc, enseignants, parents et élèves confondus! Et nous en devenons plus
droits, plus souples, tel le saltimbanque sur sa corde raide entre deux abîmes, prêts à affronter
préaux glacés et autres catastrophes plus ou moins naturelles!
Sibylle Naito, professeur de l’école Rudolf Steiner de Lausanne
« Travailler à deux pour une même classe »
Conduire la même classe de la première à la huitième: c’est la représentation classique qu’on se
fait de la tâche d’un enseignant d’une école Steiner – et qui correspond encore en beaucoup
d’endroits à la réalité. Mais en fait, l’image professionnelle s’est transformée; elle s’est diversifiée
et se définit à chaque fois de nouveau en situation. Comme le montre l’exemple de Beatrice
Maulaz qui a conduit les 5 et 6ème classes de l’école Steiner de Berne en Jobsharing (partage de
poste d’enseignant) et qui reprend avec joie seule une première classe, assistée par un
professeur spécialisé.
Beatrice Maulaz est arrivée à l’automne 2008 à l’école Rudolf
Steiner de Berne pour donner des cours de langues étrangères
et des cours principaux. En été 2009, elle a pris la
responsabilité d’une classe en compagnie de la professeur de
classe attitrée comme cela avait été annoncé sans éclat dans le
périodique de l’école Rudolf Steiner de Berne Ittigen Langnau.
L’innovation de partager la responsabilité d’une classe sur deux
enseignantes avait été décidée par le collège en fonction d’une
situation concrète; on demanda à Beatrice Maulaz d’assumer
cette tâche nouvellement définie.
« Une
solution optimale pour ménager ses forces durablement »
L’allègement occasionné par le Jobsharing arriva à point pour Beatrice Maulaz. Cela lui permit de
prendre la responsabilité d’une classe sans devoir d’emblée assumer un emploi à temps complet.
«Conduire une classe avec un emploi à 100% et en même temps gérer une famille avec des
enfants, ce n’est pratiquement pas possible“ dit cette mère de trois enfants. Deux de mes enfants
sont à l’école à Berne et à Ittigen; le plus âgé fait déjà un apprentissage. Le Jobsharing était pour
moi la solution idéale pour investir au mieux mes forces et les ménager durablement. »
Comme les deux partenaires pouvaient toutes les deux donner les cours de langues un poste
supérieur à 100% pour ce Johsharing était disponible. Beatrice Maulaz put prendre 55% et sa
partenaire 75%. Elles ont fait avec cette répartition les meilleures expériences. « Il est très
enrichissant de mener une classe en commun » c’est le bilan inconditionellement positif que tire
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Beatrice Maulaz. Il n’y a certainement pas moins à faire, la tâche ne se laisse pas couper en deux
car beaucoup de choses doivent être concertées. Mais le grand avantage est que la
responsabilité est partagée et les charges sont réparties. Et surtout: « il y a nécessairement
davantage de retour d’une autre personne – cela m’aide à me remettre en question et à regarder
certaines situations plus à fond. »
« Les compte-rendus d’enfant en petit cercle »
„Des comptes rendus sur les enfants en petit cercle“ découleraient en quelque sorte du
Jobsharing. Ce ne fut pas un inconvénient pour les comptes rendus dans le grand cercle du
collège – et il ne s’agissait pas non plus d’un substitut. Peut-être y avait-il la tendance à
considérer à deux les questions et problèmes qui surgissaient et de ne pas les porter aussitôt
dans la réunion des enseignants. Mais en revanche les comptes rendus de la réunion plénière
devinrent plus conscients et préparés d’une autre manière: justement à deux. « Le regard est
plus complet. » Beatrice Maulaz voit des avantages similaires pour les entretiens de bilan avec les
parents qui sont préparés et effectués à deux. « Il y a davantage de points de vue; une image
plus diversifiée se forme.»
Ce qui est décisif pour la conduite commune d’une classe c’est la collaboration des deux
personnes. Elles doivent être ouvertes aux critiques, souples, tolérantes et sans préjugés, dit
Beatrice Maulaz: « Ce sont justement deux personnes différentes avec des facultés et des
préférences différentes qui travaillent à deux pour la même chose, la même classe. »
Pour les enfants ils ont l’occasion de ne pas devoir se fixer sur un enseignant. Ils ont une marge
de manoeuvre, une deuxième personne.
« Le Jobsharing: sensible à l’esprit de la classe, soutenu par les parents »
Naturellement les élèves testent à l’occasion si et comment la collaboration des deux
enseignantes fonctionne – comme avec le père et la mère à la maison. Les effets du modèle
quotidien qui peut émaner du Jobsharing est sûrement capital: « La collaboration, la tolérance,
l’ouverture envers l’autre qui est différent: tout cela nous pouvons le vivre quotidiennement » dit
Beatrice Maulaz et constate l’effet correspondant dans la classe: « les élèves se perçoivent
comme ils sont. » Aux deux enseignantes qui se partagent la responsabilité de la classe le
Jobsharing apporte « davantage de soutien, de force, de feu intérieur. Nous pouvons nous
stimuler réciproquement et mobiliser des forces pour des projets qu’une personne seule n’aurait
oser entreprendre. » Ceci est très important à une époque où l’on parle d’enseignants épuisés.
Même si l’expérience positive du Jobsharing dans la conduite d’une classe tranche avec l’image
classique de l’enseignant dans une école Rudolf Steiner, il ne fut jamais remis en question ni par
les parents ni par le collège. « En tous cas, ce ne me fut jamais communiqué » dit Beatrice
Maulaz, «notre Jobsharing a été souhaité par le collège et accompagné avec empathie et un
esprit d’ouverture de la part des parents».
Rester souple pour des solutions en situation
Il est vrai que le cliché du professeur de classe qui assume seul les huit années de conduite de
classe dans une école Steiner ne correspond plus à la réalité. Dans de nombreux endroits les
classes de 1 à 8 ne sont plus conduites automatiquement par le même enseignant; de plus en
plus d’enseignants spécialisés assument un soutien et permettent un allègement. Et pour cause:
« Il n’est presque plus possible d’assumer tout ce qu’un professeur de classe devrait faire. » Avec
une conduite de classe en Jobsharing ou aussi le soutien d’enseignants spécialisés il est possible
de couvrir davantage de disciplines et de proposer davantage aux élèves.
Du fait de toutes ses bonnes expériences avec le Jobsharing, Beatrice Maulaz n’est cependant pas
fixée sur cette forme d’enseignement. Justement à l’époque où il est difficile de trouver des
enseignants, il est important de chercher en situation des solutions optimales et ce, en partant de
la question: Quels sont les enseignants disponibles et qu’est-ce qui est opportun pour cette
classe. Avec cette attitude de flexibilité, madame Maulaz a pris seule entre temps, la
responsabilité de la sixième classe, soutenue en effet par un enseignant qui la décharge au
niveau des périodes de cours principal. Et, pour cette nouvelle année scolaire, elle assume
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maintenant seule la responsabilité de la première classe: « Je me réjouis de prendre une
première classe avec un enseignant spécialisé. »
Bruno Vanoni a mené cet entretien avec Beatrice Maulaz. Il est journaliste BR, travaille comme chargé
d’informations et est engagé comme co-président (représentant des parents) de l’école Rudolf Steiner Berne
Ittigen Langnau.
La formation d’enseignant dans une école Steiner (Waldorf)
en Romandie
Il existe une pièce de théâtre de Luigi Pirandello « Six personnages en quête d’auteur », (1920),
qui peut être considérée comme signe précurseur du drame moderne. Ainsi, lors d’une répétition
théâtrale, six personnages font soudain irruption et exigent du directeur de théâtre que celui-ci
les « mette en scène ». Leur auteur les a créés comme personnages de théâtre mais il n’a pas
achevé son œuvre. Quant à eux, ils veulent absolument voir leur pièce jouée sur scène, ils
veulent « vivre ». Le directeur de théâtre : maintenant je suis en répétition ! Et vous savez
parfaitement que pendant la répétition personne n’est autorisé à entrer. Qui sont ces Messieurs,
ces Dames ? Que voulez-vous ? Le père : Nous sommes en quête d’un auteur. Le directeur de
théâtre : Mais il n’y a pas d’auteur ici, nous ne répétons pas une nouvelle pièce. La belle-fille :
Raison de plus, Monsieur le Directeur ! Nous pourrions justement devenir votre nouvelle pièce.
Avec réticence, le directeur finit par accepter de montrer leur histoire.
C’est un peu de cette façon que le Séminaire anthroposophique de Suisse Romande a commencé
en 1984, séminaire qui depuis 1999 a pris l’appellation de Formation pédagogique
anthroposophique de Suisse romande (FPAS).
Une quinzaine d’enseignant(e) s, déjà engagés dans les écoles Rudolf Steiner de Genève et de
Lausanne sans toutefois avoir suivi une formation spécifique pour les écoles Waldorf,
s’adressèrent à trois personnes - auxquelles se joignirent par la suite dix autres pédagogues
intéressés - afin que soit créée en langue française une formation d’enseignants pour personnes
en cours d’emploi. Les étudiant(e)s demandaient à ce que leur soient transmises les
connaissances essentielles dont un enseignant Waldorf doit pouvoir disposer et ce, au moyen
d’une formation régulière : un défi intéressant à relever ! A ce moment-là, tous étaient déjà
ancrés dans une pratique de l’enseignement et en quête de fondements. Après quelques
hésitations puis finalement de manière toujours plus intense, un dialogue étroit s’engagea entre
les professeurs (formateurs) et les étudiant(e) s.
En l’espace de trois ans et demi, un cours avec différents points forts, se constitua pour répondre
aux besoins spécifiques de ces personnes. La flexibilité des participants était très grande, ce qui
correspondait à la situation de pionniers. Le financement était très simple pour ne pas dire
primitif : les étudiants déposaient dans une caisse verte, de façon anonyme, ce qu’ils voulaient ou
pouvaient ; les responsables subvenaient ainsi aux
dépenses courantes.
Après cette expérience qui jusqu’à ce jour a donné
son empreinte à la formation pédagogique en cours
d’emploi, c’est bien dans l’esprit de Luigi Pirandello
que la formation anthroposophique des
enseignants a continué d’être conduite. Environ
180 personnes ont suivi cette formation et les 2/3
sont devenus enseignant(e)s dans les écoles
Rudolf Steiner de Romandie, de France ou du
Québec. Une partie de ces anciens étudiants est
également active dans des institutions d’Etat.
Deux fois par semaine, on se rencontre pour
travailler dans les domaines artistiques ou manuels (eurythmie, art de la parole, peinture, travail
du bois, modelage etc…). L’étude des œuvres fondamentales de Rudolf Steiner dans le contexte
de la recherche contemporaine représente un élément important de la formation. Pendant
l’année, au cours de dix week-ends (fins de semaine), le travail se concentre sur des thèmes
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spécifiques. Ce qui semble préoccuper toujours davantage les étudiants, c’est le contact avec la
classe : en ce sens des stages d’observation ou des stages supervisés s’avèrent bénéfiques et
d’une grande utilité. Les futur(e)s enseignant(e)s font preuve d’un intérêt toujours grandissant
pour les méthodes qui leur permettent de s’en sortir le mieux possible dans le domaine social.
Comment fait-on pour structurer la vie d’une école autogérée ? Il n’est pas juste de consacrer
trop d’énergie pour cette autogestion; au premier plan se trouve l’exercice de la pédagogie en
tant qu’art. Le concept d’artiste rattaché à l’activité de l’enseignant(e) peut paraître au premier
abord assez surprenant. Pourtant n’y a-t-il pas là un processus tout à fait comparable à celui du
peintre ou du sculpteur. « Le sens artistique de l’éducateur et de l’enseignant apporte de l’âme
dans l’école. Il fait naître la joie au cœur du sérieux et dans la joie un je ne sais quoi qui éveille.
Au moyen de la raison, on ne fait que comprendre la nature; à travers le sentiment artistique, on
peut enfin en faire l’expérience. L’enfant qui est conduit à la compréhension mûrit jusqu’à
acquérir des « aptitudes » lorsque la compréhension s’avère vivante ; mais l’enfant qui mûrit
grâce à l’art, mûrit pour « créer ». Dans l’activité qui se révèle par une « aptitude » l’être humain
s’exprime ; lorsqu’il « crée », son « aptitude » entre en croissance. (Pédagogie et art, avril 1923,
GA 36). Voici comment Rudolf Steiner caractérise une attitude pédagogique qui engage les
enseignants à élargir leur connaissance de l’être humain de sorte que processus d’apprentissage,
éducation et enseignement au sens strict se réunissent en une réalité globale afin de porter des
fruits de façon durable.
De futur(e)s enseignant(e)s Waldorf sont-ils en quête d’auteur et d’un parcours formateur afin de
structurer une démarche artistique qui puisse renforcer leurs motivations pédagogiques? Si c’est
le cas, c’est ainsi que pourra s’écrire le prochain chapitre de l’histoire des écoles Steiner-Waldorf
en Romandie.
Robert Thomas, responsable de la formation pédagogique anthroposophique de Suisse romande.
www.fpas.ch
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