Vive la retraite

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Vive la retraite
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Introduction
z La retraite : rêve ou cauchemar ?
Pour l’instant, votre vie est rythmée par vos obligations professionnelles… Le matin, vous partez de chez vous à peu près à la même
heure, vous vivez le même rituel, la même cohue dans les transports
en commun ou les mêmes embouteillages, vous croisez les mêmes
voisins plus ou moins renfrognés…
Les premiers temps, vous n’y pensez pas. Les collègues de travail
sont plutôt sympathiques, le travail plaisant. Et puis, au fil des
jours…, des semaines…, des années…, il faut vous rendre à l’évidence : un petit refrain commence à chanter dans votre tête et vous
vous entendez même chanter ses paroles de plus en plus souvent :
« Vivement la retraite, VIVEMENT LA RETRAITE… ». C’est vrai,
quoi ! « Vivement la retraite ! » Vous avez l’impression que cela
n’arrivera jamais. Et puis, la date fatidique approchant, la peur
s’insinue. Vous repensez à votre collègue Duval et à son pot
d’adieu ; au discours conventionnel et banal du DRH, au cadeau
auquel vous avez financièrement participé : les écrits du général de
Gaulle. Vous vous voyez quitter l’entreprise avec, sous les bras, cinq
volumes que vous ne lirez jamais.
Pourtant, Duval, lui, avait l’air très content. D’ailleurs, on ne l’a plus
jamais revu ni entendu parler de lui. Vous pensez qu’il a dû, comme
il avait toujours dit qu’il le ferait, partir dans sa maison dans le SudOuest, avec tous ses bouquins, réaliser son rêve : alterner voyages,
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stretching avec son épouse, farniente et lecture des livres d’histoire,
sa passion. Heureux homme !
Vous revient aussi en mémoire votre autre collègue, Tapernoux.
Même pot de départ, même discours banal et conventionnel d’un
autre DRH… Le premier à avoir quitté l’entreprise sans pot d’adieu.
À votre avis, il avait eu tort. Il était plutôt apprécié. Enfin, bref…
Tapernoux avait reçu son cadeau (auquel, aussi, vous aviez participé), les larmes aux yeux : un beau vélo tout-terrain dont il disait
avoir toujours rêvé. Il n’a pas dû s’en servir beaucoup… Il revenait
deux ou trois fois par semaine, à l’heure du café, au petit bistrot, en
face de l’entreprise, pour vous revoir, vous, ses anciens collègues. Il
n’arrêtait pas de dire que vous lui manquiez, que le boulot, aussi,
lui manquait, qu’il ne savait pas quoi faire de ses journées… Et le
vélo, il avait bien essayé, mais avec son arthrose des genoux, il était
remisé au fond du garage…, et lui, Tapernoux, il s’em…nuyait !
Tristes perspectives ! Elles ont bien duré trois ou quatre ans les
visites de Tapernoux. Puis, un jour, l’entreprise a reçu un faire-part.
Il était mort. Une quête, un nouveau discours, banal et conventionnel… Tristes perspectives, vraiment… et prise de conscience
que, oui, la retraite, ce n’est peut-être pas aussi simple que cela.
Qu’entre le « vivement la retraite » et « être en retraite », il y a
tout un monde auquel vous n’avez, en fait, jamais posément
réfléchi. Mais il est peut-être encore temps de le faire.
z Pourquoi avoir écrit ce livre et pour qui ?
L’âge faisant, de plus en plus d’amis, de membres de la famille,
prennent leur retraite. La manière dont ils envisagent, voire appréhendent, ce passage, nous a amenés à réfléchir sur l’importance de
cette transition.
D’autre part, notre activité de coachs et de formateurs nous a donné
l’occasion d’accompagner des personnes, de les aider à réfléchir et à
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INTRODUCTION
construire leurs projets de vie. Ce projet de vie individuel prend en
compte, et équilibre, le rêve et la réalité.
Nous avons également travaillé avec des salariés dans une tranche
d’âge de 50 à 60 ans, brutalement licenciés ou mis en préretraite.
Du jour au lendemain, ils se trouvaient confrontés à une réalité à
laquelle ils n’étaient pas du tout préparés. Certes, comme beaucoup,
ils avaient dit et répété : « Vivement la retraite ! », mais ce statut,
cette nouvelle identité de « jeune retraité », ils avaient beaucoup de
mal à l’intégrer.
Il est vrai qu’il n’est pas évident de quitter ses collègues le vendredi
soir après un pot d’adieu, et, le lundi matin, de se demander ce que
l’on va faire de sa journée et de toutes ces journées à venir, comme
si la vie n’était plus que jours de vacances, ou, comme le disait avec
humour l’une des personnes que nous accompagnions en coaching :
« Je viens de réaliser que je n’aurai plus jamais de vacances ».
C’est en écoutant ces expériences que nous avons acquis la
conviction qu’il était essentiel de préparer cette étape, si possible
quelques années avant l’échéance prévue.
L’expérience que nous menons, depuis bientôt vingt ans, d’aider,
par le travail en groupe, les personnes à élaborer, mettre en œuvre
un projet de vie, nous a permis de réaliser combien les participants
sont interactifs – ils apportent leur aide et en reçoivent de l’autre –
combien l’échange est fructueux. Ce lien d’échange et de parole
libérée autorise chacun à exprimer ses craintes, mais aussi, et c’est à
notre avis le plus important, ses rêves, ses désirs, ses ambitions. Au
bout de cinq jours de ces échanges et de ces réflexions en commun,
chacun repart avec une ébauche de projet, des idées et des pistes
d’action. Nous avons aussi, au fil des années, affiné notre méthodologie d’accompagnement théorisée dans un premier ouvrage1.
1. Jane Turner et Bernard Hévin, Construire sa vie adulte, InterEditions, 2005.
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Aujourd’hui, nous conduisons notre réflexion sur ce passage de la
vie active à celle de la retraite. Que peut représenter, pour chacun de
vous, de disposer de vingt-quatre heures de liberté, chaque jour
renouvelées ?
Le passage à la retraite constitue l’une des principales transitions
vécues au cours de la vie adulte. Certes, les acteurs sociaux, les
responsables politiques, syndicaux,
les chefs d’entreprises, relayés par les
En France, il est comptabilisé
médias et les revues spécialisées,
aujourd’hui 4 retraités pour
débattent
abondamment
du
10 actifs et prévu 7 pour 10
problème des retraites et des
en 2040 (prévisions du
Commissariat général du
remèdes à y apporter. Il faut reconPlan).
naître que le problème est réel et que
les chiffres sont impressionnants.
On évoque le manque de main-d’œuvre qui commence à se faire
sentir dans différents secteurs d’activité et, plus encore, les difficultés à trouver le financement des retraites. Le débat sur ce thème
est largement ouvert. En revanche, peu de place est accordée à l’aspect psychologique du passage à la retraite et à son vécu. Or, les
changements susceptibles d’affecter chacun sont importants. Ils
soulèvent la question des moyens d’adaptation et méritent largement que l’on s’y intéresse. Quelle sera la vie à deux partagée vingtquatre heures sur vingt-quatre ? Quel lieu adopter pour vivre cette
étape de la vie ? Comment rester proche des enfants, des petitsenfants et de tous ceux qui sont chers ? Car, s’il existe un âge légal
de départ à la retraite, il existe aussi un âge idéal qui est propre à
chacun. C’est là que les variations individuelles sont les plus importantes. Au même âge, tel peut se sentir épuisé et aspirer à un repos
bien mérité, mais tel autre, en pleine possession de ses moyens, peut
souhaiter continuer à exercer son activité.
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INTRODUCTION
Luc (60 ans), ancien conseiller commercial automobile : « Je
suis parti en préretraite à 58 ans, j’étais en bonne santé, mais me
sentais fatigué et mon travail s’apparentait de plus en plus à une
corvée. J’avais envie de “longues vacances” et de temps pour
réaliser les projets qui me tenaient à cœur depuis longtemps. »
A contrario, Janice (61 ans), secrétaire de direction, n’a aucune
envie de quitter son poste : « Cela fait vingt-trois ans que je fais
partie de cette entreprise. J’en suis en quelque sorte la
“mémoire vive”. Sans dire que je suis irremplaçable, je sais qu’on
a besoin de moi, que je suis appréciée. De toute façon, je ne
m’imagine pas faire autre chose. »
Quels que soient le choix ou le désir de chacun, la retraite est
une rupture manifeste avec un passé, certes de contraintes
horaires, hiérarchiques, d’enjeux économiques, mais aussi
contexte de socialisation, d’appartenance identitaire, de réalisation et de valorisation de soi.
Le domaine de la vie professionnelle offre, de manière formelle et
informelle, un environnement riche en valeurs autour duquel s’organise la vie. La rupture avec ce domaine de vie est un deuil, au
même titre que le passage à l’âge adulte est un deuil de l’enfance.
Ce passage mène vers un vide, nouvelle période de vie qu’il faut
investir. C’est un nouvel environnement d’insertion sociale, un
remaniement complet des domaines de vie : personnel, de couple,
familial et social. Les valeurs fondamentales doivent être réexaminées, les repères identitaires reconstruits. Cette période est également la dernière de la vie.
Bien qu’elle puisse sembler très lointaine ou être refoulée, l’issue
ultime est présente à l’esprit. Comme dans tous les rituels de
passage décrits par les chercheurs en sciences humaines, la retraite
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comporte ces trois composantes que sont : le retrait, la perte et la
renaissance à une nouvelle vie.
C’est précisément pour tous ceux et celles qui s’apprêtent à vivre
cette nouvelle période de leur vie que nous avons rédigé cet ouvrage.
Notre ambition est de les aider à appréhender les craintes et les
espoirs que suscite l’approche de cette étape, de leur fournir des
moyens, des outils, des aides à la réflexion, de permettre ainsi à
chacun de forger son propre itinéraire, d’élaborer, de mettre en
œuvre une avancée lucide et pleinement assumée vers leur vie de
retraité.
z La retraite : une transition à risque
« Les époques de transition sont ce qu’il y a de plus
difficile à vivre et de moins glorieux. L’avenir nous
tourmente et le passé nous retient. »
Gustave Flaubert
Les moments de transition sont souvent des moments problématiques car ils impliquent des ruptures, des choix et des changements
de repères. Pour un grand nombre de personnes, la retraite représente la transition la plus difficile de toutes celles qui se présentent
au cours de la vie.
Si le passage, parfois long, de l’enfance à l’âge adulte, marqué par la
crise de l’adolescence, a été largement traité dans des ouvrages
scientifiques comme dans ceux de vulgarisation en psychologie, a
contrario la transition de la vie active, professionnelle, à la retraite,
tout aussi importante et potentiellement traumatisante, ne fait
l’objet que d’un nombre restreint d’études et de publications. Une
explication réside peut-être dans cette nouvelle manière d’appréhender la durée de vie en trois temps : un temps de formation et de
dépendance à la famille qui va de l’enfance à l’adolescence et, à
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INTRODUCTION
notre époque, s’étend jusque vers 25 ans ; un deuxième temps, de
25 à 60 ans, caractérisé par l’engagement du sujet dans la construction de son domaine familial et sa contribution au fonctionnement
économique de la société ; enfin, la troisième période, objet de cet
ouvrage et de notre réflexion, qui s’ouvre sur le passage à la retraite.
Elle commence donc légalement, pour la majorité, à 60 ans et va
durer jusqu’au terme de la vie, soit en moyenne jusque vers 85 ans
pour les femmes et 77 ans pour les hommes. Il faut souligner que
cette durée de vie moyenne est en croissance constante.
Jean-Louis (64 ans), ancien chef d’équipe dans une entreprise de
BTP : « La retraite, je n’y ai jamais vraiment pensé autrement
qu’en déconnant avec les gars : “Au boulot ! On aura bien le
temps de se reposer quand on sera vieux !” Pour moi, la retraite,
c’était ça : être vieux. Ma vie ça a toujours été mon boulot, ma
famille. Mais les enfants sont grands et voilà qu’on me met à la
retraite. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse maintenant ? ! »
Cette période est marquée par un désengagement total du domaine
professionnel. C’est-à-dire que les trente-cinq à cinquante heures
hebdomadaires consacrées à la vie productive deviennent totalement disponibles. Cela n’est pas sans conséquences, tant sur les
pratiques de consommation que sur le remaniement des autres
domaines de vie, en particulier sur l’engagement dans le domaine
social, avec le choix d’activités non marchandes. Il faut savoir que le
poids économique de la population retraitée est considérable
puisque, depuis quelques années, son pouvoir d’achat est supérieur
à celui des actifs.
Nous pourrions dès lors considérer que cette période où l’on peut
pleinement profiter de la vie sans obligation de la gagner est bénie.
Mais, comme nous le verrons plus loin, ce n’est malheureusement
pas avec cet état d’esprit que certains abordent ce chapitre de leur
vie.
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Dans le cas de la retraite, les trois composantes propres à tout
phénomène de transition sont : le retrait d’intérêt pour l’ancien
mode de vie ; la perte de sens ; la renaissance à une nouvelle vie.
Divers travaux sur cette transition ont fait apparaître quatre
grands types de réactions et de comportements.
C’est d’abord « l’effondrement », fortement marqué par le retrait
du champ social : baisse des activités, distension des relations familiales et sociales. Sont essentiellement concernés les groupes faisant
partie de la population défavorisée de notre société dont la situation
est rendue encore plus difficile par ce passage à la retraite.
Le deuxième type de comportement est « le repliement », qui s’exprime par la diminution des relations sociales, surtout celles en
liaison avec le domaine professionnel ; une augmentation et un
allongement des périodes de vacances ; un allongement du temps
passé devant la télévision, etc. Nous retrouvons majoritairement dans
ce groupe les cadres supérieurs et les professions intermédiaires.
Le troisième est « la retraite réanimation », qui se caractérise par
un accroissement des activités de loisirs et des relations amicales,
sociales et familiales. Il concerne majoritairement les ouvriers et les
femmes seules.
Le quatrième est « l’épanouissement », impliquant un fort investissement dans les domaines de vie personnel, de couple, familial et
social. Il s’accompagne d’une grande satisfaction et d’une bonne
santé. Sont ici majoritairement concernées les classes moyennes et
les professions intermédiaires.
Dans ce livre, nous nous intéressons aux trois composantes de la
transition que représente la retraite, mais plus particulièrement à
l’anticipation de ce passage. Toute transition prévisible implique la
construction d’une représentation de la situation à venir. C’est tout
à fait le cas de la retraite, largement prévisible et donc « anticipable ».
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