Diriger une Ecole : l`animation et l`encadrement d`équipes entre

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Diriger une Ecole : l`animation et l`encadrement d`équipes entre
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Diriger une Ecole : l'animation et l'encadrement d'équipes entre
pouvoir et autorité
Intervention de Frederik Mispelblom Beijer, professeur de sociologie, chercheur au CRF (centre de recherche sur
la formation, Cnam), responsable équipe ETE (enseigner, transmettre, encadrer) "antenne" du CRF à l'université
Paris Univers Sud Evry
1. Diriger : une action contrainte sur des terrains variables
1.1. Les contours du poste : pour construire des stratégies en connaissance de cause, faire l'inventaire des
contraintes pour s'y ajuster et les transformer en appuis
-avoir ou non une décharge : entre direction et enseignement
-entre projets à moyen terme et "pompier" du quotidien
-au-dessus : les directives et programmes ministériels (évaluations ?), l'inspection académique, les élus
territoriaux, les règlements d'hygiène et de sécurité, le droit du travail
-à côté, en dessous, au dessus ? : les enseignants, les équipes, le conseil des maîtres/de cycle, les organisations
syndicales, les collèges
-en dessous ? les autres personnels, les élèves, les parents et leurs délégués
---) diriger et encadrer c'est plus souvent re-cadrer ce qui a sa propre dynamique, que gérer ce qu'on prévoit
d'avance
---) selon sa capacité à nouer des alliances multi-partenaires, les appuis sur le terrain peuvent être larges ou
étroits
1.2. Quels pouvoirs ?
-un budget propre ?
-organiser le service des maîtres ?
-organiser le travail des autres personnels ?
-des élèves imposés ?
-maîtrise du conseil de discipline ?
-on est responsable même de ce qu'on ne contrôle pas
1.3. Les contraintes du corps et de la morale
-des activités où les dimensions professionnelles et personnelles sont indissociables :
* où habitez-vous ?
* la bonne distance par rapport à soi-même
-le corps :
* un genre masculin-féminin
* en bonne ou moins bonne santé (l'usure physique et mentale)
* un certain âge et un âge certain qui incarnent l'histoire scolaire
* l'âge ne fait rien à l'affaire ? On s'adapte mais on ne se refait pas
-le moral et la morale :
* se regarder dans la glace le matin
* le critère du "bon" et du "mauvais" travail
1.4. Un "métier" sous forme d'inventaire à la Prévert
-tantôt directeur, enseignant, policier, éducateur, tantôt psychologue, pompier préventif, technicien des BTP,
infirmière, conseiller familial, assistante sociale
-les atouts :
* garantir et faciliter les conditions de travail des enseignants
* une place d'exception
* représenter les équipes à l'extérieur
---)la place existe mais la position est à construire et à conquérir
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2. Animer et encadrer une équipe : entre coordination et coopération
2.1. C'est le directeur qui donne vie à l'équipe : d'un ensemble d'individus à un groupe (auto ?)-organisé
-animer, encadrer : tenir une position, prendre position, ferrailler
-se débrouiller entre les directives d'en haut et les demandes des professeurs
-définir le sens du travail et de l'Ecole en alliance et opposition avec d'autres sens
-défendre dans les réunions certaines "orientations" (une certaine conception de l'Ecole publique)=des "valeurs"
en actes et en situation (ce sont les pratiques plus que les déclarations qui comptent)
-négocier des compromis multi-parties et multi-partenaires, pour assuer la "bonne marche" de l'école
-diriger, encadrer, animer : jamais de zéro défaut
2.2. Entre coordination et coopération :
-la coordination : faire en sorte que chacun à sa place fait ce qu'il a à faire
-le coopération : créer les conditions pour que les personnes co-opèrent, fassent oeuvre commune, s'entraident,
soient solidaires
-des pouvoirs minimes mais des projets qui peuvent être stimulants : le directeur/la directrice comme "personne
ressource" et "projeteur vers l'avenir"
3. Une activité gouvernée par les rapports entre pouvoir et autorité, force et fragilité :
3.1. Le pouvoir
-Pouvoir : capacité à "imposer" au besoin par la contrainte et la menace, liée aux "manettes" dont dipose le poste
qu'on occupe
-la pyramide des pouvoirs statutaires variés (financiers, organisationnels, techniques, d'embauche,
disciplinaire=sanction et récompense, symboliques)
-délégations étendues ou restreintes : l'importance de la signature, pile et face
-à l'Ecole élémentaire, des pouvoirs très restreints
3.2. L'autorité et son architecture
-l'autorité n'est ni tyrannie ni commandement : ce sont les autres qui la confèrent
-des sujets libres et consentants (ce qui n'exclut pas les contraintes)
-le Tout et ses représentants
-c'est le bas qui confère l'autorité au haut
-avoir du crédit, l'augmenter ou le perdre
-autorité : augmenter chacun par sa place dans le Tout
-l'autorité : une fragilitité constitutive sur le fil du rasoir
3.3. Les 4 récquisits de l'autorité
-un central excentrique :
* dedans et dehors, d'aucun « clan »
* travailler avec les fonctions et les statuts, ensuite les personnes
* un principe "anti-copinage"
-primat du système de relations :
* l'autorité venant des autres, ils peuvent ne pas obéir (écouter, entendre, s'entendre)
* l'importance de la connaissance des "codes" des autres
-l'esthétique de l'autorité :
* la symbolique : décor et docorum
* respecter les instances, les places, les Lois
* une certaine "classe"=éloquence, parler à tous en étant compris de chacun-e
* sérénité et gravité
* une posture corporelle autant que de langage
* "Pas Madame Lacoste !"
-une rationalité stratégique dans l'action :
* vouloir c'est prévoir et assumer les conséquences de ces choix
* une certaine cohérence entre les paroles et les actes
* avoir plusieurs fers au feu
-)Capacité décisive : savoir travailler avec les contradictions sans prendre parti pour une partie du Tout contre
d'autres
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4. La réunion : entre réunionnite et travail productif
4. 1. L'analyse et la conduite de réunions : un travail avec les mots
-une forme de travail très répandu (dont le caractère de "travail" est contesté)
-de très nombreux manuels
-quand dire c'est faire et faire faire (Austin)
-les "évènements de parole" (Hymes/Borzeix)
-on y discute du travail "absent" représenté
-on y produit des effets vers un ailleurs
4.2. L'analyse et la conduite de réunions : les bases
-se réunir : venir ensemble pour un objet partagé
-qui vient ? fonctions, statuts, personnes : l'invitation
-la réunion comme dispositif :
* une réunion se réfléchit à l'avance....
* pré-définir l'ordre du jour : de quoi l'on parle, de quoi pas
* présider une réunion : distribuer la parole, veiller au temps
* présider une réunion : traiter les points un à un
* présider une réunion : gérer les minorités, les majorités, et l'éventuel consensus
* présider une réunion : obtenir des engagements publics
* clôturer une réunion : faire le point et ramasser la mise
* le compte-rendu : entre relevé de décisions et questions à débattre
* la suite des réunions : veiller à la mise en oeuvre de ce qu'on a décidé
Trois grilles de lecture :
4.3. Hymes-Borzeix :
-cadre institutionnel : instances, règlements, permis et interdits
-participants : critères, statuts, hiérarchies
-finalité : objet explicite, décisions à prendre, consensus à obtenir
-actes posés : de parole comme de geste
-tonalité des débats : posé, véhément
-instruments mobilisés : outils et techniques, supports
-normes régissant les échanges : la doxa=ce qui est normal et évident, ce qui est inconvenant
-le "genre" de réunion : formel, informel, de direction, d'équipe, de décision ou de concertation
-l'enjeu = ce qui se modifie, se gagne ou se perd (ce qui l'emporte/résiste/s'affaiblit)
4.4. Clausewitz : Dimensions stratégiques et tactiques dans l'espace, le temps et les forces
réunies
- statuts institutionnels, réseaux de relations et capacités de prise de parole des participants : une partie des forces
-Stratégie : coordination théorico-pratique de "combats" (engagements) en vue des objectifs de la guerre=série
réunions (perdre une bataille/pas la guerre)
-Tactique : échanges en réunion, manières de parler, ruses employés, formes et manières de
mener les débats, attaques/défenses
3 Questions-clés dans les deux approches :
-"quel espace" (où mener la bataille, quel est le terrain, réel et symbolique)
-quel temps=quel moment, avant, après, opportun, dépassé
-quelles forces (gens qu'on a avec ou contre soi, mais aussi arguments, évidences, doxa ou
au contraire arguments "fragiles") ?
--)D'où : importance décisive des "préalables" à toute réunion
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4.5. Les luttes d'orientations dans les réunions :
-orientations : valeurs en actes et en situation, "styles", "manières de traiter les gens", de "donner le ton" par la
parole, de "situer le débat"
-objets, supports et enjeux (confirmer/infirmer, gagner/perdre) : ne pas confondre les apparences (points à ordre
jour, décisions à prendre, tâches à répartir)/les rapports de forces et orientations renforcées/affaiblies à cette
occasion;
-la réunion comme dispositif orienté (accepté/rejeté) : l'ordre du jour, les participants, les rapports de forces
préalable=d'avance jugé "acceptable" ou "inacceptable"
-joutes oratoires, discussions, luttes d'orientations=débats=moteur réunions=pas de maîtrise
-le principe de Non-Pas-Mais (Brecht) : comprendre ce qui se dit/fait en référence à ce qui ne
se dit pas ne se fait pas
-des actes de parole aux paroles en actes=cadres symboliques-opérationnels
4.6. La dynamique des échanges langagiers échappe aux sujets qui y sont pris
Conclusion : connaissance active et possibilité de prévision dans la conduite de réunions=des principes d'analyse
peuvent découler des règles de conduite
Bibliographie succincte
J-M. Barbier (dir.) Diriger, un travail, L'Harmattan, 2011
A. Barrère : Sociologie des chefs d'établissement. Les managers de la République. PUF, 2007
L. Boltanski : Les cadres, la formation d'un groupe social, Ed. Minuit, 1982
Y. Clot : Le travail à coeur, ou pour en finir avec les risques psycho-sociaux, La Découverte, 2010
C. von Clausewitz : Principes fondamentaux de stratégie militaire, Mille et une nuits, 2006
R. Damien : Le Conseiller du Prince de Machiavel à nos jours, genèse d'une matrice démocratique, PUF, 2004
F. Lantheaume/C. Hélou : La souffrance des enseignants. PUF, 2008
Cardinal Mazarin : Le bréviaire des politiciens, Altea, 2007
F. Mispelblom Beyer : Encadrer, un métier impossible ? Armand Colin 2010 (2ème édition enrichie) et
Travailler c'est lutter, l'Harmattan, 2007
Idem : Au-delà de la qualité : démarches qualité, conditions de travail et politiques du bonheur, Syros (2ème éd.
épuisée, téléchargeable sur site de l'auteur)
Idem : article "Encadrer, une guerre de positions", revue Sciences Humaines, no. 12, sept-nov. 2008, et
"Comment enseigner les dessous de l'activité d'encadrement ?" in : Revue Personnel, 2009 ainsi que "Autorité et
connaissance dans les dispositifs d'analyse des pratiques d'encadrement" (avec D. Bismuth), Education
Permanente, 2009; "Le management, dispositif de professionnalisaiton de l'encadrement, et ses râtés", Education
Permanente, no. Spécial "professionnalisation" dirigé par R. Wittorski, à paraître 2012.
Site web : www.encadrer-et-manager.com