L`action internationale de la Communauté Autonome de Catalogne.

Transcription

L`action internationale de la Communauté Autonome de Catalogne.
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Institut d'Etudes Politiques de Toulouse
L'Action internationale de la
Communauté Autonome de Catalogne
Paradiplomatie identitaire et protodiplomatie
Mémoire présenté sous la direction de :
Monsieur Fabrice Corrons
Présenté par :
Monsieur Thomas Bobo
Année universitaire 2013-2014
3
Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation
aux mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur
auteur(e).
4
Remerciements
Je tiens tout d’abord à remercier Monsieur Fabrice Corrons, pour son soutien tout au
long de la préparation de ce mémoire, ses conseils éclairants, sa disponibilité et ses
réponses toujours très stimulantes à toutes mes interrogations
Je remercie aussi les personnes m’ayant accordé un entretien, pour leur temps et
l’occasion qu’elles m’ont donnée de mieux comprendre l’action internationale de la
Catalogne. L’ouverture dont elles ont fait prévue a beaucoup compté dans la réalisation de
ce document.
Enfin, je remercie tout particulièrement famille et amis qui eux aussi ont joué un rôle
dans la construction de ce mémoire, pour leur apport déterminant hors du cadre
universitaire.
1
Table des matières
Remerciements.......................................................................................................................1
Index des abréviations............................................................................................................4
INTRODUCTION..................................................................................................................6
CHAPITRE 1 : Catalogne, histoire et société: un intérêt pour le niveau international........17
(A) Une région historiquement tournée vers l'extérieur..................................................17
La marca hispanica......................................................................................................17
Une relative indépendance jusqu'en 1714 ..................................................................22
Une zone d'enjeux pour les puissances européennes..................................................26
(B) Le tournant de la dictature.........................................................................................30
Une perte de foi en l'Espagne......................................................................................30
Le développement d'un réseau international d'opposition au franquisme...................34
(C) La Catalogne aujourd'hui, un terreau pour les revendications d'internationalisation ?
.........................................................................................................................................37
L'institutionnalisation d'une paradiplomatie catalane et le rôle de Jordi Pujol...........38
L'apparition d'un contexte propice..............................................................................43
Le politique : portrait des principaux partis catalans..................................................48
CHAPITRE 2 : La paradiplomatie catalane, développer l'ensemble des possibilités offertes
selon un modèle propre........................................................................................................55
(A) Une réappropriation des modèles d'action des régions.............................................55
Quel intérêt à de tels développements ?......................................................................55
Le réseau d'entités locales...........................................................................................57
La création d'entités sectorielles catalanes à l'étranger...............................................61
(B) Le dynamisme économique, variable centrale de l’internationalisation catalane.....65
L’importance du positionnement économique stratégique..........................................65
La montée en puissance des relations économiques internationales...........................68
(C) Barcelone, une « marque » internationale.................................................................71
Développer l'attrait de la métropole catalane..............................................................72
Le Barça, vitrine de la Catalogne à l'extérieur............................................................76
(D) Le cas particulier de la culture..................................................................................79
Quelles structures pour la promotion culturelle catalane ?.........................................80
La promotion de la connaissance de la culture catalane à l'étranger, un objectif non
politisé ?......................................................................................................................84
CHAPITRE 3 : Une participation de plus en plus active à l'aire internationale...................88
(A) L'imposition de l'identité catalane comme référentiel présidant à une
internationalisation de la cause........................................................................................88
Une montée en puissance de revendications sociales du « fait différentiel » ?...........88
La langue, élément définissant de l'identité catalane et sa diffusion ..........................93
Internationaliser la cause catalane comme moyen de la faire connaître.....................96
(B) Le développement d'une représentation étrangère catalane sur le mode
diplomatique ?...............................................................................................................100
L'institutionnalisation d'une administration de politique étrangère en Catalogne . . .100
Cas d’étude : les délégations de la Generalitat à l’étranger.......................................103
(C) Promouvoir la Catalogne comme acteur important dans des aires à enjeux...........107
2
L'ancrage dans le cadre de la Méditerranée...............................................................107
L'Europe comme fenêtre d'opportunités principale...................................................111
(D) Diplocat, l'exemple d'une volonté de croissance de l'action étrangère catalane......116
(E) Quel lien avec le niveau politique interne ?............................................................121
CHAPITRE 4 : La paradiplomatie catalane à visée indépendantiste, une réalité à relativiser
............................................................................................................................................128
(A) Un phénomène très tributaire de conditions, systèmes et possibilités extérieurs à la
volonté catalane.............................................................................................................128
(B) Le gouvernement catalan : Convergència i Unió, un vrai parti
nationaliste/indépendantiste ?........................................................................................130
(C) Le cas de l'Ecosse : nationalisme et absence de la sphère internationale................133
CONCLUSION..................................................................................................................137
BIBLIOGRAPHIE..............................................................................................................140
ANNEXES.........................................................................................................................150
Annexe 1 : Carte de la Catalogne administrative..........................................................151
Annexe 2 : Drapeaux catalans et leur sens....................................................................152
Annexe 3 : Exemple de production de l'Institut d'Estadístiques de Catalunya
(IDESCAT) : données économiques de la Catalogne pour l'année 2009.......................153
Annexe 4 : Extrait du discours de Pau Casals devant l'Assemblée Générale des Nations
Unies, le 24 octobre 1971..............................................................................................154
Annexe 5 : Extraits des deux discours de politique générale du Président de la
Generalitat de Catalogne, Artur Mas, en 2012 et 2013..................................................155
Annexe 6 : Exemple de publication proposée par Diplocat..........................................157
Annexe 7 : Déclaration de souveraineté votée au Parlement catalan le 23 janvier 2013
.......................................................................................................................................158
Index des illustrations
Illustration 1: Catalogne administrative. Source : Institut Cartogràfic i Geològic de
Catalunya (ICCC)...............................................................................................................151
Illustration 2: Exemple de Senyera.....................................................................................152
Illustration 3: L'estelada (étoilée); le drapeau du mouvement indépendantiste..................152
Illustration 4: L'estelada vermella (l'étoilée rouge), symbole de l'indépendantisme de
gauche ou d'extrême-gauche...............................................................................................152
3
Index des abréviations
ACCD :
Agència
Catalana
de
Cooperació al Desenvolupament (Agence
Catalane
de
Coopération
au
Développement)
ERC :
Esquerra
Republicana
de
Catalunya (Gauche Républicains de
Catalogne)
ACCIO : Agència per la Competitivitat
de l'Empresa (Agence pour la
Compétitivité de l’Entreprise)
GECT : Groupement
Coopération Territoriale
FCB : Football Club Barcelona
Européen
de
ANC : Assemblea Nacional de Catalunya
(Assemblée Nationale de Catalogne)
IBEI : Institut Barcelona
Internacionals
(Institut
d’Etudes Internationales)
d’Estudis
Barcelone
CAEUC : Comissió d'Acció Exterior,
Unió Europea i Cooperació (Commission
d'Action Exterieure, Union Europeenne et
Cooperation du Parlement de Catalogne
ICCC : Institut Cartogràfic i Geològic
de Catalunya (Institut Cartographique et
Géologique de Catalogne)
CCN : Cercle Català de Negocis (Cercle
Catalan d’Affaires)
ICEC : Institut Català de les Empreses
Culturals
(Institut
Catalan
des
Entreprises Culturelles)
CDC : Convergència Democràtica de
Catalunya (Convergence Démocratique
de Catalogne)
ICPS : Institut de Ciènces Politiques i
Socials (Institut de Sciences Politiques et
Sociales)
CECA : Communauté Européenne du
Charbon et de l’Acier
ICV : Iniciativa per Catalunya – Verds
(Initiative pour la Catalogne – Verts)
CUP : Candidatura d'Unitat Popular
(Candidature d’Unité Populaire)
IDE : Investissement Direct Etranger
CiU : Convergència i Unió (Convergence
et Union)
Cortes : Parlement espagnol
Corts : Parlement catalan
C’s : Ciudadanos (Citoyens)
Diplocat : Consell de Diplomàcia
Pública de Catalunya (Conseil pour la
Diplomatie Publique de Catalogne)
IDESCAT : Institut d'Estadístiques de
Catalunya (Institut de Statistiques de
Catalogne)
IEMED : Institut Europeu de la
Mediterrània (Institut Européen de la
Méditerranée
PME : Petites et Moyennes Entreprises
PIB : Produit Intérieur Brut
PP : Partido Popular/Partit Popular
(Parti Populaire)
4
PSC : Partit dels Socialistes de
Catalunya (Parti des Socialistes de
Catalogne)
PSOE : Partido
Español (Parti
Espagnol)
Socialista
Socialiste
Obrero
Ouvrier
TC : Tribunal Constitutionnel
TUE : Traité sur l’Union Européenne
UDC : Unió Democràtica de Catalunya
(Union Démocratique de Catalogne)
UE : Union Européenne
PSUC : Partit Socialista Unificat de
Catalunya (Parti Socialiste Unifié de
Catalogne)
UNESCO : l'Organisation des Nations
Unies pour l'Education, la Science et la
Culture
SDN : Société des Nations
UNICEF : Fonds des Nations Unies pour
l'Enfance
SI : Solidaritat Catalana per la
Independència (Solidarité Catalane pour
l’Indépendance)
Note : Les traductions des citations d'ouvrages et d'articles, des entretiens ou des discours
mentionnés sont l’œuvre de l'auteur.
5
INTRODUCTION
Alors que les relations internationales se diversifient, et que de nouveaux acteurs
apparaissent dans cette sphère, la question de l'action internationale des entités subétatiques
prend
une
nouvelle
importance.
Parallèlement
à
l'action
d'organismes
non
gouvernementaux ou d'organisations internationales, les régions se distinguent par leur
relation particulière avec l'unité traditionnelle des relations internationales : l'Etat. Les
entités subétatiques, rattachées à un Etat souverain, n'ont théoriquement pas de possibilité
d'action ni de représentation internationale (celle-ci étant l'une des compétences exclusives
étatiques), mais l'on observe l'apparition d'une certaine « diplomatie parallèle » des régions
– le Québec étant, à cet égard, l'un des exemples les plus pertinents. Au même moment, il
est possible d'observer, plus particulièrement en Europe, la montée en puissance de
revendications indépendantistes, à l'image du référendum prévu en 2014 pour l'Ecosse.
Dans ce contexte, nous étudierons le cas particulier de la Communauté Autonome de la
Catalogne, région située au nord-est de l'Etat espagnol. Depuis la transition démocratique
et la Constitution de 1978, celle-ci a tenté de mettre en avant certaines de ses spécificités et
de ses intérêts propres à l'international. Si, pendant une longue période – jusqu'au début du
XXIème siècle – la Catalogne a développé son action extérieure dans une relative harmonie
avec l'Etat central, les dernières années semblent donner lieu à des évolutions dans ces
relations. Plusieurs décisions prises par les organes de gouvernement espagnols
(notamment le refus du nouveau Statut d'Autonomie de 2006) et certaines des actions
entreprises par les dirigeants de la Generalitat (dont la création de représentations catalanes
à l'étranger) changent la nature des relations entre Madrid et Barcelone et donnent lieu à
une redéfinition de l'action internationale catalane.
Dès lors – au-delà d'un intérêt personnel pour la question, fruit d'un mélange entre
proximité avec la culture catalane, son histoire ou sa langue, et d'un intérêt pour la montée
en puissance d'acteurs distincts dans les relations internationales – ce mémoire tentera
d'aborder certains thèmes importants pour l'étude des relations internationales des régions,
et de la Catalogne en particulier. Tout d'abord, nous nous proposons d'étudier une période
encore peu traitée, car très contemporaine (depuis le début des années 2000). Ensuite, ce
travail s'intégrera dans le cadre d'analyse de l'évolution des relations internationales, de
6
l'apparition de nouveaux acteurs dont les positions, les intérêts et les modes d'action
complexifient le système et accentuent l'interdépendance entre ses unités. Enfin, la question
du
rapport
entre
action
internationale
de
la
Catalogne
et
sentiment
nationaliste-indépendantiste permettra d'aborder la celle de la montée des régionalismes, et
de leur incidence sur la sphère internationale.
Comment expliquer les développements récents de l'action extérieure de la
Catalogne ? Pour répondre à cette problématique, nous la déclinerons dans la série de
questions suivante : les développements récents de l'action extérieure de la Catalogne sontils liés à un glissement politique de sa population et de ses dirigeants vers un fort
nationalisme de type indépendantiste ? Comment ces changements se manifestent-t-ils ?
Quelles stratégies la Catalogne met-elle en place pour faire valoir ses intérêts à
l'international ? Ces stratégies ne donnent-elles pas lieu à la formulation d'un embryon de
diplomatie de type étatique ?
Etat de la littérature
Le nationalisme et le nationalisme catalan
Les études portant sur le phénomène nationaliste sont nombreuses. Depuis l'analyse du
XIXème siècle, « siècle des nations », jusqu'à celle du retour contemporain du sentiment
nationaliste, la problématique de ce sentiment d'appartenance a occupé une place centrale
dans nombre de recherches. D'Eric Hobsbawm à Bertrand Badie 1, de nombreux auteurs se
sont attachés à la description et à l'analyse de ce phénomène. Les liens entre nation et État,
la construction sociale des identités ainsi que leurs manifestations seront par exemple
abordés. Le débat sur le nationalisme renaîtra dans les années 1980, autour de la question
de la crise, voire de l’obsolescence du modèle de l'État-nation et se développeront les
études concernant les nationalismes dits « minoritaires ». Étudiant le phénomène sur le
temps long, Alain Dieckhoff en vient à proposer une définition de celui-ci comme
« principe d'affirmation de la spécificité historique, culturelle, sociale d'un peuple »2, le
détachant de sa connotation d'archaïsme, de son acception exclusivement étatique, et
1
2
HOBSBAWM Eric J., Nations et nationalisme depuis 1780, Paris :Gallimard, 1992, 371p. ; HROCH
Miroslav, The Social preconditions of national revival in Europe, Cambridge : Cambridge University
Press, 1985, 220 p.
DIECKHOFF Alain, La Nation dans tous ses états. Les identités nationales en mouvement, Paris :
Flammarion, 2000, p. 13.
7
l'intégrant dans les dynamiques des sociétés3. Il s'intéresse par ailleurs au nationalisme
contemporain, parlant de « nouveau nationalisme » comme d'un moyen de réponse à la
mondialisation, tout en maintenant des particularités culturelles.
Dans ce contexte apparaissent les études concernant les nationalismes régionaux, et le
nationalisme catalan en particulier. Dans une logique de multiplication des acteurs, de
transnationalisation des questions, de perte de souveraineté ou de marge de manœuvre des
États, les revendications nationalistes des régions s'imposent comme objet d'étude et de
questionnement4. Le cas du nationalisme catalan est à cet égard particulier. Son ancienneté,
la relative constance dans les revendications et certaines de ses spécificités (dont la quasiabsence de manifestations violentes) ont donné lieu à des études plus anciennes sur le sujet.
Joan Culla i Clarà5 centre son étude sur le catalanisme de gauche, vu comme l'un des
mouvements fondateurs de l'indépendantisme catalan actuel (avec le parti Esquerra
Republicana de Catalunya). Plus récemment, Montserrat Guibernau6 étudie le nationalisme
du XXème siècle, mettant en avant l'adaptabilité de ce mouvement aux différents
événements historiques, du franquisme à la transition et la consolidation d'une Espagne
démocratique. La problématique catalaniste intéresse par ailleurs au-delà des frontières
ibériques. Yolaine Cultiaux7 propose dans sa thèse d'appréhender le nationalisme
minoritaire comme un « différentialisme intégrateur », et refuse la conception d'une
incompatibilité entre nationalisme et démocratie. C'est aussi cette perspective que prendra
Miquel Caminal8, définissant les partis catalanistes comme « partis nationaux » à michemin entre les partis ayant pour cadre l'État-nation et les partis nationalistes se plaçant en
conflit perpétuel avec le centre. Le nationalisme minoritaire prend selon ces auteurs une
forte dimension d'action dans tous les domaines de la vie politique. Une fois posé ce
phénomène, ses manifestations seront étudiées, l'une d'entre elles étant la recherche de
3
4
5
6
7
8
Ibid.
BALME Richard, Les Politiques du néo-régionalisme. Action collective régionale et globalisation,
Paris : Economica, 1996, 301 p.
CULLA i CLARÁ Joan B., El Catalanisme d'esquerra : del grup de "L'opinió" al Partit Nacionalista
Republicà d'Esquerra : 1928-1936, Barcelone : Curial, 1977, 425 p.
GUIBERNAU Montserrat, Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, Barcelone : Pòrtic
Visions, 2002, 275 p.
CULTIAUX Yolaine, Le Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à l’État
espagnol et à la construction européenne, thèse de doctorat en science politique, IEP d'Aix-en-Provence,
1999, 954 p.
CAMINAL Miquel, Nacionalisme i partits nacionals a Catalunya, Barcelone : Editorial Empúries, 1998,
260 p.
8
légitimité et la poursuite d'intérêts spécifiques à la nation minoritaire par la formulation et
la mise en place d'une stratégie d'action internationale.
L'action internationale des entités subétatiques
Relativement récente, l'étude de l'action internationale des entités subétatiques prend
racine dans les mutations contemporaines de la sphère internationale. Parmi les nouveaux
acteurs concurrençant l'Etat, les régions intriguent de par leur spécificité et la nouveauté de
leur action. Alors que les entreprises ou les Organisations Non Gouvernementales peuvent
se définir parallèlement ou en opposition à la logique étatique, les régions restent fortement
liées à l'Etat. Dès lors, les études vont se multiplier, dans le but d'expliquer le phénomène 9.
Elles se concentrent principalement sur l'Union Européenne et l'Amérique du Nord, parfois
dans une perspective comparative10. Jacques Palard est ici un des producteurs les plus
importants de connaissances vis-à-vis de l'action internationale des régions d'Europe11.
Apparaissent trois régions particulièrement actives dans ce domaine : la Catalogne, le
Québec et la Flandre. Dans cette perspective, Stéphane Paquin est l'auteur de référence.
Dès sa thèse de doctorat12, il s'attachera à étudier ce nouveau phénomène, ses causes,
manifestations, succès et limites. Il produira de nombreux ouvrages et articles concernant
les objectifs de ces entités, mettant en avant la nouveauté de telles relations
internationales13, ou les liant à une forte composante identitaire14. Pour le cas plus
9
10
11
12
13
14
ALDECOA Francisco et KEATING Michael, Paradiplomacy in Action. The foreign relations of
subnational sovernments, Londres : Frank Cass Publishers, 1999, 223 p. ; HOCKING Brian, Localizing
foreign policy. Non-central governments and multilayered diplomacy, Londres : St.Martin’s Press,
249p. ; GARCIA I SEGURA Caterina, « La Actividad exterior de las entidades subestatales », Revista de
estudios políticos (Nueva época), n° 91, janvier-mars 1996, p. 235-264 ; HOCKING Brian, « Les Intérêts
internationaux des gouvernements régionaux : désuétude de l'interne et de l'externe ? », Études
internationales, vol. 25 n° 3, septembre 1994, p. 409-420 ; LECOURS André, « Paradiplomacy :
reflections on the foreign policy and international relations of regions », International negociation, vol. 7
n° 1, 2002, p. 91-114.
PAQUIN Stéphane, La Revanche des petites nations. Le Québec, l’Écosse et la Catalogne face à la
mondialisation, Montréal : Éditions VLB, 2001, 221 p. ; MASSART-PIERRARD Françoise, L'Action
extérieure des entités subétatiques. Approche comparée Europe Amérique du Nord, Louvain : Presses
Universitaires de Louvain, 2008, 180 p.
PALARD Jacques, « Les Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes
d'échanges », Études internationales, vol. 30 n° 4, 1999, p. 657-678 ; PALARD Jacques, « Les Relations
internationales des régions en Europe », Études internationales, vol. 30 n°4, décembre 1999, p. 653-887.
PAQUIN Stéphane, La Paradiplomatie identitaire. Le Québec et la Catalogne en relations
internationales, Paris : Institut d’études politiques, thèse de doctorat en science politique, 2002, 587 p.
PAQUIN Stéphane (dir), « Les Nouvelles relations internationales et le Québec en comparaison »,
Bulletin d'histoire politique, vol. 1 n° 10, 2002, 189 p.
PAQUIN Stéphane, « La Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », Politique et sociétés, vol. 23 n° 2-3, 2004, p. 203-237.
9
spécifique de la Catalogne, Paquin écrit, en 2003, La paradiplomatie identitaire en
Catalogne15, étude de cas tendant à prouver le caractère non concurrentiel de l'action
internationale catalane, et sa complémentarité avec l'action traditionnelle de l’État
espagnol.
Le concept de paradiplomatie
Croisant les deux champs précédemment décrits, le concept de paradiplomatie est
devenu un objet d'étude à part entière, et un modèle dans l'action internationale des entités
subétatiques. Défini différemment selon les auteurs (de Paquin à Panayotis Soldatos), elle
correspond à l'investissement par un acteur subétatique d'une partie de la sphère
internationale pour la défense d'intérêts propres. En y adjoignant la perspective du
nationalisme minoritaire au sein d'un État plurinational, la paradiplomatie identitaire aura
pour objectif le renforcement de la position ou de la légitimité d'une nation minoritaire au
niveau interne. Elle devient une manifestation du nationalisme, un de ses modes
d'expression et d'action. Malgré certaines tensions entre le centre et la périphérie
internationalement active, la paradiplomatie reste dans un modèle de relations peu
conflictuelles avec l'Etat central (sur le mode de la complémentarité ou de l'ignorance
mutuelle). Elle va même jusqu'à constituer un avantage pour celui-ci (entrée dans certaines
sphères dans lesquelles l’Etat ne pourrait intervenir, du fait des conséquences possibles de
ces actions). C'est le caractère mixte, en même temps sovereignty-bound16 – la région étant
une administration rattachée à un Etat souverain – et sovereignty-free17 – son administration
n'étant pas contrainte par un exercice de la souveraineté de type étatique – qui lui donnerait
sa marge de manœuvre à l'international. Le concept de paradiplomatie se différencie alors
de celui de protodiplomatie, à visée indépendantiste. Une entité subétatique pratiquant la
protodiplomatie tente de développer et d'institutionnaliser sa présence dans autant de
dimensions des relations internationales que possible et de démontrer sa capacité à se
comporter comme un acteur étatique souverain à l'international.
15 PAQUIN Stéphane, La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, Québec : Presses du l'Université Laval,
2003, 132 p.
16 VILTARD Yves, « Conceptualiser la ''diplomatie des villes''. Ou l'obligation faite aux relations
internationales de penser l'action extérieure des gouvernements locaux », Revue française de science
politique, 2008, vol. 58 n° 3, p. 511-533.
17 ROSENAU James, « Patterned chaos in global life : structure and process in the two worlds of world
polities », International Political Science Review, vol. 9 n° 4, 1988, p. 327-364.
10
Il nous faudra par ailleurs remarquer que la plupart des études mettant en avant le
concept de paradiplomatie identitaire pour la Catalogne sont relativement anciennes, et
datent au plus tard du début du XXIème siècle. Certains événements récents (la déclaration
souverainiste votée au Parlement catalan la 23 janvier 2013, le référendum
d'autodétermination prévu par la gouvernement d'Artur Mas le 9 novembre 2014 par
exemple), viennent remettre en question le caractère non conflictuel des relations
Barcelone-Madrid. Il semble alors important d'analyser les manifestations de l'action
internationale de la Catalogne, afin de tenter d'expliciter et de comprendre le lien entre une
évolution des revendications nationalistes catalanes et l'hypothétique formulation d'une
paradiplomatie plus affirmée, tendant vers le modèle protodiplomatique.
Cadre théorique employé
Cadre général
Dans la perspective de notre étude, nous nous placerons dans une cadre théorique
composite. Du fait de l'objet même de ce mémoire, il sera important de se positionner au
sein des théories libérales des Relations Internationales. L'entité subétatique étant, de par sa
nature même, un nouvel acteur qui s'insère dans cet espace et concurrence l'acteur central
qu'est l’Etat souverain, certains des postulats libéraux nous permettront de comprendre les
possibilités et perspectives d'action de la Catalogne à l'étranger. Reconnaître une certaine
capacité internationale à une entité non-étatique – et encore plus à une collectivité
territoriale subnationale – revient à se poser hors du cadre théorique réaliste traditionnel.
Mais certains postulats réalistes vont nous être nécessaires au long de notre étude. Dès
lors que nous nous proposons d'étudier le lien entre revendications nationalistes ou
indépendantistes et la formulation de l'action internationale d'une entité non étatique, nous
devons nous placer dans la perspective de la recherche de la constitution d'un nouvel Etat.
Il sera nécessaire de prendre en considération les éléments propres à un Etat souverain dont
la Communauté Autonome s'inspire ou qu'elle tente d'imiter. Présence de représentations
officielles à l'étranger, recherche de légitimité internationale ou voyages officiels de
gouvernants catalans seront des éléments centraux dans notre étude. A ces dimensions
s'ajouteront les évolutions et variations de l'expression nationaliste et leur influence sur les
représentations de la Catalogne, sa nature et son futur.
11
Cadre d'analyse du phénomène nationaliste catalan
Les théories du nationalisme et de l'indépendantisme seront présentes au long de notre
étude. Les acteurs catalans mettront en avant une unité du peuple catalan autour de
spécificités, d'un « fait différentiel » définissant une spécificité justifiant l'action
internationale mais se nourrissant aussi des succès de politique extérieure. Nous prendrons
pour cadre les différentes typologies établies par Miquel Caminal18 concernant la structure
des systèmes politiques catalan et espagnol, et les partis catalans. Dans le contexte de l'Etat
plurinational espagnol, l'aire politique catalane sera définie selon différentes variables, liées
à la coïncidence entre trois modèles de nation (politique, juridique et culturelle), à
l'influence de la politique étatique sur les partis, et à la nature de la relation entre culture
majoritaire et minoritaire. Nous reprendrons la typologie de Caminal concernant les partis
régionaux – nationaliste ; national-fédéraliste ; régional ; fédéral avec ambitions étatiques ;
unitaire avec ambitions étatiques ; centralistes avec ambitions étatiques – nous concentrant
plus particulièrement sur les trois premiers types de partis. Nous pourrons par ce biais
analyser le comportement politique des partis au pouvoir et des décideurs, et les confronter
à la stratégie internationale catalane afin d'en comprendre les logiques et objectifs.
Un concept central : la paradiplomatie et ses implications
Ces réflexions nous mèneront à reprendre les concepts de paradiplomatie,
paradiplomatie identitaire et de protodiplomatie, tels que définis par Stéphane Paquin ou
Panayotis Soldatos. L'analyse des positionnements, objectifs, modes d'action et
déclarations des acteurs de l'action internationale catalane nous permettront d'analyser les
stratégies d'action et les manifestations de la politique étrangère de cette Communauté
Autonome. Les cadres théoriques posés par Paquin et Soldatos fourniront aussi une
perspective d'étude de l'institutionnalisation de cette activité étrangère, son degré
d'autonomie vis-à-vis de l’État central, ainsi que les relations établies avec ce dernier dans
la poursuite d'une activité internationale. Alors que Paquin présente cinq variables
principales définissant l'intérêt d'une entité pour la sphère internationale – mondialisation,
intégrations régionales, nationalisme, type de régime politique et personnalité du décideur
– nous ferons le choix de considérer la variable nationaliste comme centrale dans le
développement de la paradiplomatie catalane. Les discours et voyages des officiels catalans
18 CAMINAL M., Nacionalisme i partits nacionals a Catalunya, op. cit.
12
portant sur la défense de la nation catalane et du processus d'autodétermination, l'existence
et le nombre des conflits avec le Tribunal Constitutionnel espagnol ou les relations
générales entre Barcelone et Madrid seront indicateurs de la force et de l'expression d'un
nationalisme catalan. Nous pourrons alors croiser cette grille théorique avec celle des
différents types de paradiplomatie afin d'établir des liens entre ces deux phénomènes et de
tester nos hypothèses.
Hypothèses
Hypothèses générales
•
Il existe un lien de corrélation positif entre l'intensité de l'expression du
nationalisme catalan et celle de l'action internationale développée par cette
Communauté Autonome.
•
Le caractère paradiplomatique ou protodiplomatique de l'action internationale
catalane dépend du positionnement de ses élites vis-à-vis du sentiment
nationaliste.
•
La Catalogne accroît sa présence internationale et son action extérieure tend
vers un modèle protodiplomatique.
Hypothèse rivale plausible
•
La présence et l'intensité de l'action internationale d'une entité subétatique est
déterminée par les caractéristiques historiques et culturelles de la région
considérée.
Méthodologie mise en oeuvre
En raison de la spécificité et de la complexité du phénomène paradiplomatique catalan,
et du fait de la multiplicité des variables pouvant influer sur celui-ci, nous ne prétendrons
pas utiliser une méthodologie à même de fournir une image exhaustive de l'action
extérieure de la Catalogne. Nous utiliserons quatre types de méthodes qui nous semblent
pertinentes dans notre étude, et applicables dans les limites d'un mémoire de recherche.
13
L'entretien
Afin de mesurer l'intensité, le contenu ainsi que les évolutions récentes de la
paradiplomatie catalane, il sera important de confronter nos hypothèses à la réalité de
l'action extérieure de cette Communauté Autonome. Nous nous attacherons, au cours de ces
entretiens, à aborder les thèmes suivants, qui nous semblent centraux dans notre travail de
recherche :
•
les rôles et fonctions spécifiques de la structure interrogée dans l'action
internationale catalane ;
•
les réussites, échecs et difficultés rencontrées par la structure ;
•
les évolutions et changements dans l'organisation de la structure ;
•
présence ou non d'un positionnement officiel de la structure quant au processus
d'autodétermination de la Catalogne ;
•
parcours personnel du responsable : nous tenterons ici de déceler des éléments
pouvant rapprocher le poste et le parcours personnel de l'individu de l'idéal-type
de la diplomatie d'Etat.
Les éléments obtenus par ces procédés nous donneront une image du contenu, de
l'intensité de l'action internationale catalane, ainsi que du discours que les acteurs
construisent autour de ce phénomène.
L'analyse de contenu
Il sera important d'analyser les discours prononcés par les élites catalanes sur la période
que nous nous proposons d'étudier (2000-2014). Plus précisément, nous nous
concentrerons sur les discours de politique générale ou contenant une variable
internationale prononcés par le président de la Generalitat, le conseiller à la Présidence
(« numéro deux » du gouvernement catalan) ou les représentants à l'étranger et tenterons de
mettre en lumière :
•
les références à des éléments forts du nationalisme catalan ;
•
les revendications d'autodétermination ;
14
•
l'appel aux autres nations minoritaires dans une situation semblable ;
•
la critique des politiques de l'Etat central vis-à-vis de la Catalogne.
Une fois ces éléments définis, nous tenterons de les mettre en lien avec l'apparition
ou pas, dans ces mêmes discours, de références à des objectifs internationaux à venir de la
Catalogne.
Etude de cas : Diplocat (Conseil de Diplomatie Publique de Catalogne)
Conglomérat public-privé créé en 2012, Diplocat se donne pour objectif d' « expliquer
la Catalogne au monde », mais aussi de la présenter comme un réel acteur des Relations
Internationales, légitime et efficace. L'étude spécifique de cette institution pourra mettre en
lumière de nouveaux éléments quant a la stratégie et à la mise en œuvre de l'action
internationale catalane. Nous travaillerons plus précisément pour cette étude de cas sur la
présentation de Diplocat par le biais de son site internet19, certains documents plurilingues
qu'il produit, l'un des événements qu'il a organisé (une journée d'étude sur le droit à
l'autodétermination de la Catalogne célébrée à Sciences Po Paris et Toulouse) et un
entretien réalisé avec un de ses dirigeants.
Suivi de l’actualité politique catalane
Il sera important d'inclure dans l'analyse un suivi de l'actualité catalane et espagnole,
aux niveaux des relations centre-périphérie, des politiques mises en place par les deux
administrations et touchant l'aire de relations internationales ou de la prise de décisions
quant à la question des nationalismes minoritaires.
19 Diplocat, site web : www.diplocat.cat.
15
Etude comparative : le cas de l'Ecosse
Ce cas comparatif nous permettra de relativiser les conclusions de notre étude et de
tester notre hypothèse rivale plausible. Alors que l'Ecosse se trouve dans une situation
similaire à celle de la Catalogne (nationalistes au pouvoir, prévision d'un référendum
d'autodétermination), l'action internationale de l'Ecosse est très faible voire inexistante.
Appréhender cette différence de comportement et ses origines permettra d'aborder
l'existence possible de variables autres que celle du nationalisme expliquant les relations
internationales des régions.
Croisant ces grands axes méthodologiques nous pourrons définir plus précisément le
lien entre notre variable indépendante et dépendante, et tenterons de comprendre la réalité
de l'impact du nationalisme catalan sur la formulation de sa paradiplomatie.
Afin d'atteindre cet objectif, notre mémoire se divisera en quatre parties, en majorité
indépendantes les unes des autres, mais possédant des liens forts et, parfois, des relations
de type causale. La première partie sera l'occasion de dresser un bilan sommaire des liens
entre Catalogne et niveau international, nous appuyant sur son histoire et sa société. Par la
suite, nous remarquerons que l'action internationale de la Catalogne s'exprime par le biais
des canaux habituels du phénomène d'internationalisation des entités subétatiques – la
rapprochant d'un modèle paradiplomatique – avant de soulever une série de comportements
et d'actions internationales plus agressives pouvant se rapprocher de la protodiplomatie et
ayant une forte composante nationaliste. Enfin, nous tenterons de relativiser la réalité d'une
relation mécanique entre nationalisme et action internationales
16
CHAPITRE 1 : Catalogne, histoire et société: un intérêt pour le
niveau international
Afin de comprendre les rapports entre politique et société catalanes et questions
internationales, il convient de se tourner vers l'histoire de cette région européenne, à
l'interface entre l'Europe du Nord et du Sud, au centre de voies de communication vers la
Méditerranée et entourée par deux États qui ont en leur temps constitué des leaders au
niveau international. Une analyse historique sur le moyen terme nous permettra de
proposer une image de l'internationalisation de la Catalogne selon trois grands axes :
l'importance de la zone catalane dans les enjeux européens jusqu'au XXème siècle (A), le
tournant de la dictature franquiste qui redéfinit la relation entre la Catalogne et l'Espagne
(B) et la question du champ politique catalan actuel et de son positionnement vis-à-vis du
« fait différentiel » (C).
(A) Une région historiquement tournée vers l'extérieur
La marca hispanica
À l'image de l'histoire de l'Europe, l'histoire de la Catalogne est complexe, faite de
conquêtes, d'échanges, de mouvements de population et de changements sociétaux. Si les
limites inhérentes à ce travail de recherche ne nous permettent pas d'étudier de façon fidèle
les spécificités historiques de cette zone, et partant du postulat que les œuvres déjà
produites sur le sujet donnent une image pertinente de l'évolution historique de cette région
– de Guifré le Poilu aux comtes de Barcelone –20, certains éléments sont néanmoins à
remarquer, en ce qu'ils construisent un environnement favorable à une recherche
d'internationalisation de la cause catalane.
Il apparaît en effet que la zone catalane s’impose, dès la constitution de sociétés
organisées dans la zone européenne et méditerranéenne, comme une zone de passage, de
transit pour des populations extrêmement diverses. Ses caractéristiques géographiques
20 Les œuvres concernant l'histoire catalane sont très extensives, des plus scientifiques aux plus orientées.
Nous avons dès lors choisi de présenter dans cette section certains des éléments qui nous semblent les
plus pertinents, à la fois dans l'histoire catalane et dans la perspective de notre étude. Conscient de
l'implication de ce choix en termes de démarche scientifique, nous nous proposons toutefois dans nos
sources bibliographiques plusieurs références qui permettent d'avoir soit une vision générale, soit une
étude de détail sur une période ou un aspect.
17
(proximité à la mer, mouvement facilité par la fin du massif pyrénéen) en font un lieu de
transit privilégié par les groupes humains de la zone. Jaume Vicens i Vives ira ainsi jusqu’à
le surnommer « un couloir défendu par des montagnes à l’entrée et à la sortie »21.
Phéniciens dans l'Antiquité, Wisigoths ou Maures utiliseront la région dans leurs
conquêtes. La zone apparaît aussi comme une plateforme commerciale importante, du fait
de sa position à l'interface de l'Europe du Nord et de la péninsule ibérique et profitant de
l'ouverture offerte sur la Mer Méditerranée pour en tirer des avantages tant économiques
que militaires. Ces flux de population, qui en viennent parfois à s’installer sur le territoire
catalan en construction22, participent de la constitution d'un espace mixte, tourné vers
l'extérieur et qui recherche, au-delà de ses frontières, des opportunités d'ouverture. En
outre, cette dimension d'échanges et de mouvements sera aussi un facteur d'unité de la
communauté catalane. En effet, l'accent mis depuis les premiers jours du catalanisme sur le
caractère composite du peuple catalan ne renvoie pas seulement aux dynamiques de la
Catalogne comme zone de passage médiévale. La recherche d'une identification commune
aux deux types de populations et d'environnement qui ont façonné cette région historique :
une façade maritime ouverte et dynamique des contreforts montagneux isolés mais offrant
ressources et protection contre les invasions est aussi à considérer dans cette perspective.
De Jordi Pujol à Artur Mas, les dirigeants de la Generalitat (restaurée après la mort de
Franco) ont eu à cœur de mettre en avant cette diversité et cette richesse historique 23. José
Montilla, président du gouvernement de la Communauté Autonome de 2006 à 2010 dira,
lors d'une visite dans son village d'origine le 7 septembre 2006, « Je suis un catalan né à
Iznajar »24. Il apparaît donc que, la Catalogne trouve dans l'ouverture vers l'extérieur son
facteur de rassemblement d'une population disparate. C'est une caractéristique d'autant plus
primordiale dans notre analyse lorsqu'on compare cette région avec, par exemple, le Pays
Basque (Euskadi / Euskal Herria) où historiquement l'identité s'est construite sur une
homogénéité sociétale25 qui est le fruit, entre autres, d'une géographie accidentée et
montagneuse, moins ouverte au passage que la catalane. Si l'influence de cette variable
21 MESTRE I GODES Jesús, Breu història de Catalunya, Barcelone : Edicions 62, 1998, p. 15.
22 Ibid, p. 15.
23 MAS Artur, 23 avril 2013, « Crida de Sant Jordi del President de la Generalitat » : « Oferirem al món el
gran espectacle del mosaic de la societat catalana participant activament, incorporant la diversitat i
celebrant el que ens uneix » ; PUJOL Jordi, 10 novembre 2004, « Discurs. Immigració : Gent i País ».
24 El Mundo, 8 octobre 2006, « El Catalán de Iznajar ».
25 Soulignée d'ailleurs par la fière tradition des huit noms de famille basque nécessaires pour prouver sa
« basquité ».
18
historique ne doit pas être surévaluée, notamment dans le contexte contemporain de la
montée en puissance des discours hostiles aux migrations en Europe occidentale, elle
demeure intéressante dans une analyse sur le long terme de la position catalane vis-à-vis de
l'international et éclaire en partie la phrase prononcée par Jordi Pujol, ancien Président de
la Generalitat de Catalogne et initiateur de sa paradiplomatie contemporaine : « Català és
tota persona que viu i treballa a Catalunya i que en vol ser »26.
Afin de retracer l’origine des dynamiques sociétales contemporaines, il est important de
se placer dans le temps long de l’analyse des phénomènes sociaux, et d’adopter une
perspective historique remontant jusqu’au Moyen-Age. C’est en effet à ce moment-là la
Catalogne acquiert un statut spécifique qui contribue à la placer dans une position
d'interface entre différentes logiques, organisations et puissance de l'époque. Pour les
Francs, et plus particulièrement l’empire carolingien, la Catalogne est avant tout la Marca
Hispanica, ou Marche Hispanique, une zone-tampon entre le royaume de France et celui
d’Espagne27. En fort lien avec le Comté de Toulouse et la monarchie de France, la Marche
Hispanique obtient ainsi une importance particulière dans le jeu des royautés médiévales,
mais aussi lui confère un statut qui lui permet de se placer dans une certaine indépendance.
Dès la tentative par Charlemagne de conquérir l’Espagne, la royauté comprend
l’importance des enjeux touchant à sa limite méridionale, mais aussi les risques
correspondant à l’absence d’action dans ces zones28. C’est à ce moment que la zone
catalane, ainsi que la Gascogne et le Midi toulousain 29, deviennent les premiers remparts
contre le danger Maure installé à Cordoue. Leur donnant un intérêt particulier, la
monarchie de Louis le Pieux tentera d’exercer un contrôle direct sur les différentes parties
de la future Catalogne (les comtés de Barcelone, Cerdagne-Urgell entre autres).
Néanmoins, cette tentative occasionnera des protestations de la part des nobles catalans.
S’ensuit alors une série de luttes de pouvoir entre notables, notamment de Barcelone, afin
de décider de la nature du pouvoir s’exerçant sur la zone30. Au-delà des implications
26 « Est Catalan qui vit et travaille en Catalogne et a la volonté de l'être », PUJOL Jordi, Construir
Catalunya, Barcelone : Pòrtic, 1979 cité par GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme,
transició i democràcia, op. cit., p. 116.
27 DE SOLA CANIZARES Felipe, « Le Droit civil catalan », Revue internationale de droit comparé, vol. 5
n° 1, janvier-mars 1953, p. 76.
28 ROSS LEWIS Archibald, The Development of southern French and Catalan society 718-1050, Austin :
the University of Texas Press, 1965, p. 21.
29 MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya, op. cit. p. 61.
30 Ibid., p. 24.
19
historiques importantes que ces événements et dynamiques de successions occasionnent,
elles dénotent de la constitution de la façade méditerranéenne de la frontière francoespagnole comme une zone stratégique, dont le contrôle donnera un avantage à celui qui
l’obtient. Le pouvoir dominant dans ces aires n’est ainsi plus celui de la monarchie, et les
tentatives d’influence par d’autres moyens (pressions et négociations avec les Comtes ou
signature d’accords par exemple) renforcent la perception du statut spécifique de la zone 31.
Cette Marche, fonctionnant sous un régime féodal lié à la monarchie 32, dans une double
relation de protection contre les invasions du côté catalan et accord sur une indépendance
relative accordée aux Comtés par les rois successifs, gagne peu à peu une autonomie
grandissante. Ainsi, au XIème siècle, si elle conserve ces relations importantes avec la
puissance voisine, la Catalogne est une entité indépendante, possédant son propre type de
gouvernement, un régime juridique33 et une marge de manœuvre qui contribuent à la
formation de sa perception propre. Si à nouveau, le caractère déterminant de ces
événements survenus dans une histoire relativement lointaine ne doit pas être surévaluée –
la zone du Midi et de la Gascogne, dans une situation similaire à l’époque, n’ont pas connu
de tels développements – ils apparaissent comme une tendance d’une Catalogne ayant
acquis une conscience de ses spécificités et de sa position d’interface entre différentes
entités, puissances ou États. D’autres facteurs seront à considérer par la suite, influant sur
la construction de la région, mais, si nous nous référons aux premiers moments lors
desquels le terme de Catalogne est employé, nous remarquerons qu’ils correspondent au
moment de l’apparition de cette entité qu’est la Marche. Dès lors, la constitution de cette
zone-tampon entre deux grandes royautés contribue à sa définition comme aire distincte
des autres, ni française ni espagnole mais ancrée dans le jeu politique, économique et
militaire dans cette région. En y ajoutant la perspective mentionnée plus haut de la
Catalogne comme zone de passage et de sa société comme résultat de ces échanges, nous
voyons que la région se constitue – de façon réelle comme imaginée – selon une relation
spécifique entre les individus et leur territoire, qui pourra avoir une influence sur le type de
comportement que les acteurs sociaux développeront, notamment quant au rapport entre la
région et l’international.
31 ROSS LEWIS A., The Development of southern French and Catalan society 718-1050, op. cit., p. 29.
32 DE SOLA CANIZARES F., « Le Droit civil catalan », op. cit., p. 76.
33 Ibid., p. 76.
20
Dès lors, le Catalan se définit comme un « homme de marche ». Les homophones en
langue catalane que sont les termes de « marche » et « marque » (marca dans les deux
cas34) semblent donc s'appliquer à un groupe humain qui se définit selon une double
différence : de statut vis-à-vis d'autres groupes ou entités proches et d'histoire ou de
représentations propres. Le lien entre les spécificités perçues du territoire et le
comportement de l'individu prend racine lentement. Ni Franque, ni Castillane, ni Maure, la
Catalogne trouve dans sa position géographique et son rôle dans le jeu de pouvoirs un reflet
de ce que seront les caractéristiques principales de reconnaissance propre de la population :
une représentation à priori paradoxale d'un peuple dont la constitution à la suite d'échanges
et de mouvements de populations, loin de diluer le sentiment d'appartenance à une
communauté commune, contribue à sa spécificité. La Catalogne se pose comme le point de
connexion entre le Nord et le Sud, comme une de ses interfaces principales. Ainsi, la zone
se tourne fortement vers l'extérieur pour se développer avec, par exemple, la mise en place
de voies de communication comme la Via Augusta reliant les Pyrénées à Cadix ou la Strata
francisca dès l’Antiquité romaine (ces routes seront maintenues par la suite, jusqu’aux
grands axes commerciaux actuels), tout en construisant une identité propre, sur le mode des
communautés imaginées d'Alain Dieckhoff35. Ces notions et apparentes oppositions seront
ainsi reprises dans l'histoire plus récente, et les syncrétismes entre mer et montagne, entre
monde rural et urbain, entre collectif et individuel36 seront posés comme bases d'une
identité catalane, du « fait différentiel » originaire, définissant profondément la particularité
de la Catalogne et justifiant par là même ses ambitions ou revendications de
reconnaissance, exprimées par le catalanisme ou l'indépendantisme.
C'est aussi au travers de cette prise progressive de pouvoir propre et sa constitution
comme organisation féodale différenciée de ses voisines, par le biais des différents comtés
que la Catalogne ouvre son époque de conquête et d'expansion. Cet âge d'or sera, a
posteriori, réapproprié par le nationalisme catalan, et son histoire, jusqu'à la perte
d'indépendance en 1714, deviendra un enjeu de la définition de l'identité catalane et de sa
projection internationale.
34 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 50.
35 DIECKHOFF A., La Nation dans tous ses états. Les identités nationales en mouvement, op. cit.
36 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia,, op. cit., p. 50.
21
Une relative indépendance jusqu'en 1714
La Catalogne parvient en effet, dès ses moments historiques fondateurs, à obtenir une
certaine forme d'indépendance, ou tout au moins d'autonomie. Ce processus n'est en réalité
que peu institutionnalisé dans le contexte de l'époque, et les évolutions du statut de la
Catalogne se font plus sur une dynamique ad hoc, par des mouvements unilatéraux, que par
une recherche réelle d'intégration en tant qu'entité propre dans le jeu international. En effet,
à la mort du héros catalan Guifré le Poilu en l'an 897 (le premier comte de Barcelone, dont
la légende dit qu'il aurait donné à la Catalogne son drapeau), l'idée de gouvernement propre
pour la région se développe, sans pour autant supposer une forte volonté d'indépendance
totale37. Les différents comtés constituant la Catalogne de l'époque 38 sont ainsi distribués
sans aucune participation de la monarchie carolingienne, bien que ceux-ci soient supposés
exercer un contrôle sur leur Marche Hispanique. Alors que ces comtés ne constituent pas
une entité catalane unifiée, et que les conflits de pouvoir entre les héritiers catalans de
Cerdagne, du Roussillon ou de Barcelone ne permettent pas la constitution d'une Catalogne
une autour d'une identité et d'une vision communes, les Comtes parviennent tout de même
à asseoir leur légitimité et à conforter leur position vis-à-vis des autres puissances. Le point
de rupture dans cette relation sera l'absence de soutien des carolingiens aux catalans à
l'occasion d'une razzia d'Al Andalus contre Barcelone. La Catalogne comprend alors
qu’elle devra se comporter en entité distincte, et éviter de donner son allégeance à une
seule puissance, qui pourra l'abandonner le cas échéant. Ainsi, le comte de Barcelone
Borrell II établira des relations avec les carolingiens, mais aussi avec l'autorité du Vatican
et le Califat de Cordoue (929-1031)39. Mais c'est au XIIème siècle que la souveraineté
catalane prend toute son ampleur. En effet, le roi d'Aragon donne à son frère, le comte de
Barcelone Ramon Berenguer IV, sa fille en mariage – avec l'objectif de contrecarrer la
domination castillane sur la péninsule. Se forme alors une confédération ou couronne
catalano-aragonaise, où les comtes catalans deviennent des comtes-rois40. La confédération
constitue, selon Antoni Riera Melis, le deuxième État chrétien de la péninsule ibérique en
37 MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya, op. cit., p. 61.
38 Barcelone, Roussillon, Cerdagne, Urgell, Berga, Besalú, Ribagorça, Pallars, Osona, Empúries, Conflent,
Gérone, Manresa. Leur nombre varie en fonction de la période, les conquêtes et les alliances portant
parfois à l'union entre deux ou plusieurs Comtés.
39 MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya , op. cit., p. 70.
40 Ibid., p. 94.
22
termes de démographie, pouvoir militaire, politique et économique 41.
Cette nouvelle
couronne s'impose ainsi comme une des puissances de la zone, dont l'existence et le
pouvoir sont à prendre en compte. C'est par ailleurs à cette période que le terme de
« Catalogne » apparaît et se diffuse, donnant une réalité à cette région jusqu'alors peu
unifiée.
Ces développements imposés par la réalité des faits seront progressivement
institutionnalisés dans les différentes relations européennes du Moyen-Age. C'est, par
exemple, à ce moment qu'une partie des différents comtés (hors les Comtés de Roussillon
et de Cerdagne) se réunissent autour d'une Principauté catalane (en 1162). Plusieurs traités
de l'époque vont en effet reconnaître l'existence de la Catalogne comme entité propre, voire
lui donner certains droits et prérogatives. Ainsi, le traité de Corbeil (1258) constitue une
reconnaissance implicite du rôle de la principauté, de son indépendance et son pouvoir de
décision – les négociateurs traitent en effet directement avec les représentants catalans, et
non avec ceux du monarque pour les questions relatives à la région. De même, le traité de
Carrión (1140), consacre les droits de la Catalogne à la réalisation de conquêtes militaires.
Ici encore, nous nous trouvons dans la situation mentionnée plus haut de reconnaissance
d'une réalité existante, puisque le traité ne fait qu'accepter des conquêtes déjà réalisées par
les Comtats. S'ouvre alors un « âge d'or » de la Catalogne, au cours duquel la région va
s'imposer comme un des grands leaders de la zone méditerranéenne, étendant son territoire
jusqu'aux Îles Baléares, Valence, la Sardaigne ou même la Sicile, participant du pouvoir de
la papauté (la famille Borgia42 ayant exercé le pouvoir pontifical est originaire de la zone
valencienne). Son rayonnement culturel la porte à exporter sa langue dans la région, et le
pouvoir économique croissant de Barcelone comme interface commerciale centrale dans
les relations entre les différents extrêmes de la Méditerranée et l'Europe du Nord en font
une place centrale dans les relations européennes de l'époque. Si la Catalogne n'est pas l'un
des grands centres que l'on trouve plus au nord sur le continent, elles constitue un passage
obligé pour les commerçants, mais aussi pour les armées (confirmant en ce sens la logique
amorcés par les passages carthaginois dans leurs conquêtes) ou pour toute autre voie de
41 RIERA MELIS Antoni, « El Tractat d'Almirra (1244). Fi de l'expansió a la península », p. 14-15, in
FIGUERES Josep M. (coord.), Catalunya i els tractats internacionals, Fundació Occitano Catalana,
2003, p. 13-28.
42 En catalan, Borja.
23
communication. La région se trouve à nouveau dans une situation composite, n'étant ni une
monarchie au sens de la royauté franque mais ayant des intérêts propres à défendre et
recherchant les capacités pour les atteindre. Les Usatges de Barcelona (Usages de
Barcelone) maintiennent alors le mode féodal dans la région, et garantissent au Comté une
base quasi-régalienne de fonctionnement43. La Catalogne renforce alors sa position de
portail entre l'Europe du Nord et du Sud, qui constituera son identité propre. En effet,
comme le démontre Daniel-Louis Seiler44 qui réévalue les critères posés par le politologue
et sociologue Stein Rokkan dans sa division entre Europe du Nord et du Sud, la Catalogne
se distingue car, bien que possédant des caractéristiques proches de l’Europe du Sud, elle
s'est constituée comme une région tournée vers le Nord, reprenant certains de ses codes, ses
dynamiques et les imposant comme des spécificités intrinsèques. Dans cette réflexion,
Seiler intègre la Catalogne dans l'ensemble des cités-Etats européennes, centrales sur le
continent, par opposition à des zones comme l'Andalousie ou la Galice, perçus comme plus
périphériques. Si nous ne pouvons pas nous attarder sur la description exhaustive des
facteurs qui, selon les modèles de Rokkan, posent la Catalogne au centre de l'Europe tout
en étant dans une relative périphérie géographique, ces éléments ajoutent à notre idée selon
laquelle l'histoire longue a vu la région se constituer sur les bases d'identifications
distinctes de celles de son voisinage proche, et l'ont poussée à prendre des décisions ayant
des conséquences encore dans la période contemporaine. C'est ainsi que cette position
particulière, à l'interface de zones et de représentations politique qui porte les Comtes,
toujours selon Seiler, à faire le choix de soutenir la monarchie des Habsbourg plutôt que les
Bourbons dans la Guerre de Succession espagnole45.
C'est à l'issue de cette guerre que la Catalogne perd l’indépendance qu'elle avait
obtenue. Si la situation de la région aux niveaux politique et militaire s'était déjà dégradée,
l'autorité des Comtés n'étant pas assez forte pour leur permettre de conserver leur propre
intégrité territoriale. La tentative de remise en cause d'une domination castillane à
l'occasion de la Guerra dels Segadors (Guerre des Faucheurs, 1640-1652)46, initiée par des
43 BISSON N. Thomas, « The Organized peace in southern France and Catalonia, ca. 1140 - ca. 1233 »,
The American historical review, vol. 82 n° 2, avril 1977, p. 291.
44 SEILER Daniel-Louis, « Comparaison et aires culturelles régionales. L'Europe du sud et les modèles de
Rokkan », Pôle sud, vol. 2 n° 21, 2004, p. 71.
45 SEILER D.-L., « Comparaison et aires culturelles régionales. L'Europe du sud et les modèles de
Rokkan », op. cit., p. 75.
46 MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya, op. cit., p. 165.
24
groupes paysans de la Catalogne rurale, ne parvient pas à masquer l'état de faiblesse
croissante de la région. Ainsi, en 1659, le Traité des Pyrénées entre France et Espagne
entérine le transfert du Roussillon et d'une partie de la Cerdagne à la couronne française 47,
sans consultation ou prise en compte du statut de la Catalogne comme réunion de Comtés
autonomes. Il apparaît alors que le processus ad hoc qui avait permis à la région d'obtenir
son autonomie s'inverse, et que le pouvoir et la marge de manœuvre catalans s'érodent. A la
mort de Philippe IV, les dynasties Habsbourg et Bourbon s'affrontent pour le trône
d'Espagne. Alors que la France soutient la monarchie bourbonne, la Catalogne, avec l'aide
relative de la Grande-Bretagne (de par le pacte de soutien de Gênes 48) se range du côté
austro-hongrois. S'ensuit un long conflit, dont l'un des grands moments sera le siège de
Barcelone, pendant 13 mois et demi. Lorsque la ville tombe, le 11 septembre 1714, la
victoire des Bourbons et l'accession au trône de Philippe V sonnent la fin de l'autonomie
catalane dans la péninsule. Les Décrets de Nueva Planta de 1716 réorganisent alors le
territoire espagnol, notamment au niveau administratif, et font tomber la Catalogne sous
domination totale de la couronne castillane 49. L'Etat se centralise, le pouvoir principal
revenant aux organes de gouvernement installés à Madrid, et une castillanisation culturelle
se met en place. Par exemple, le castillan devient la seule langue officielle sur le territoire 50.
La Catalogne, considérée comme une entité « dangereuse »51 , est particulièrement touchée
par ces réformes, et le contrôle étatique sur la région s'accroît fortement (renforcement des
contingents militaires, impôts). L'Etat qui en ressort, dans une volonté de rapprochement
du modèle français centralisé à Paris, tente d'unifier les différentes aires de la péninsule
ibérique, accordant une importance particulière à celles dans lesquelles les risques
d'opposition sont les plus importants, et dont la Catalogne fait bien partie52. La défaite
laisse dans la mémoire collective catalane une empreinte très importante. Le choix du 11
septembre comme fête nationale catalane est alors la confirmation de cette sorte de
nostalgie d'un passé glorieux où la Catalogne était pleinement intégrée dans le jeu des
47 Ibid., p. 150.
48 ALBAREDA Joaquim, « El Pacte de Gènova (1705). La posició anglesa a la Guerra de Successió », in
FIGUERES J. M., Catalunya i els tractats internacionals, op. cit., p. 53-70.
49 MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya, op. cit., p. 174.
50 LAITIN David D., « Linguistic revival: politics and culture in Catalonia », Comparative studies in
society and history, vol. 31 n° 2, avril 1989, p. 299.
51 DEDIEU Jean-Pierre, « La Nueva Planta en su contexto. Las reformas del aparato del Estado en el
reinado de Felipe V », Manuscrits, n°18, 2000, p. 129.
52 CULTIAUX Y., Le Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face a l'Etat
espagnol et à la construction européenne, op. cit., p. 83.
25
puissances européennes, et pouvait agir selon sa propre volonté.
Ainsi, il semble que la Catalogne se soit inscrite, en tant que région européenne, dans
des dynamiques très diverses de construction historique et identitaire. Des expériences
d'autonomie accrue, une position géographique et politique spécifique, une histoire de
conquêtes ou la prise de position parfois opposée à la volonté des grandes puissances
voisines en font un acteur particulier de la politique de l'époque. Ces facteurs, s'ils ne
confirment pas une relation directe ou automatique avec la position catalane vis-à-vis de
l'étranger, ont tout de même participé à la construction d'une situation d'ouverture forte vers
l'extérieur. Au fil du temps, la Catalogne se construit une spécificité, qui sera accentuée par
des évolutions de long terme conduisant à un intérêt important pour la domination sur la
région formulé par les grands acteurs de la zone européenne.
Une zone d'enjeux pour les puissances européennes
En effet, la Catalogne a développé, de par sa spécificité, des caractéristiques qui en font
une zone stratégique au niveau régional. Depuis le Moyen-Age et les logiques décrites plus
haut, les puissances ont tenté de profiter des intérêts que propose cette région, et encore
aujourd'hui son dynamisme est à remarquer. Nous ne reprendrons pas l'ensemble des
éléments qui donnent à la Catalogne cet attrait pour les acteurs extérieurs, ils ont
partiellement été définis plus haut dans ce travail de recherche, mais il convient néanmoins
de remarquer certaines grandes tendances qui se sont développées à travers le temps, pour
donner à la région sa fonction de carrefour entre différents flux, logiques et possibilités.
Tout d'abord, le dynamisme économique historique de la région lui permet d'attirer un
grand nombre d'investissements, mais aussi de se positionner comme plateforme du
commerce international et régional, de par le positionnement de ses activités principales
dans des grandes zones de transit économiques. Dès le XVème siècle, la Catalogne apparaît
en effet comme une puissance commerciale importante. Sous la dynastie des Trastàmara –
et du fait de l'établissement de ses héritiers à Naples (1458-1501), le commerce entre la
région et la zone italienne est très important 53. La Catalogne jouit alors d'un réseau
commercial très développé et organisé, qui s'étend en Europe du Sud.
Avec les Grandes Découvertes, l'Amérique reste une zone relativement fermée au
53 MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya, op. cit., p. 146.
26
commerce catalan car contrôlée par la puissance castillane. Mais la Nueva Planta, bien
qu'elle suppose la fin de l’autonomie de la région, lui ouvrira aussi des possibilités dans le
Nouveau Monde. Barcelone est alors l'une des principales places commerciales de la
péninsule, et son ouverture sur la Méditerranée lui donne les capacités pour développer un
commerce efficace. Le textile et l'eau-de-vie sont, par exemple, particulièrement
importants, et mènent à la constitution d'une Companyia de Comerç de Barcelona i les
Índies54 au cours du XVIIIème siècle55. Le commerce avec l'Amérique latine se transforme
en la pierre angulaire des relations économiques catalanes.
Cette stratégique position économique entretenue géographiquement et historiquement
la Catalogne avec le reste de l'Europe ainsi que la force des relations économiques
outre-Atlantique ont fait dès le début de l’époque contemporain de Barcelone et de la
Catalogne un territoire économiquement riche et puissant. La précoce révolution
industrielle de la région au XIXème siècle l'a renforcé davantage et a accru son importance
sur le plan étatique et international. Les évolutions qui suivront (si nous mettons de côté la
parenthèse du régime franquiste) confirmeront cette logique et imposeront Barcelone et la
Catalogne comme des exemples d'un dynamisme économique régional par rapport au reste
de l’Espagne et en Europe. Ainsi, le PIB de la Catalogne représente 25% de celui de l'Etat
espagnol, elle reçoit plus d'un quart des Investissements Directs Étrangers (IDE) de l’État 56
et développe une économie fortement tournée vers l'exportation. (en 2011, 52,9% des
exportations catalanes de font hors d'Espagne57). Les tentatives de constitution d'un
véritable réseau économique centré autour de Barcelone, la tenue de forums internationaux
de haut niveau (à l'image du Mobile World Congress concernant les technologies
téléphoniques) sont la manifestation non seulement du dynamisme de la région, mais aussi
de l'intérêt des grands acteurs du champ à développer l'action économique en Catalogne.
Cet attrait se traduira aux niveaux politique et culturel : Barcelone, sera ainsi au cours des
années le siège d'une exposition universelle (1888), de Jeux Olympiques (1992) et de toute
une série d'autres événements à retentissement national et international.
Dans une autre perspective, c'est au niveau stratégique que la région s'illustre. Comme
54
55
56
57
Compagnie de Commerce de Barcelone et des Indes.
MESTRE I GODES J., Breu història de Catalunya, op. cit., p. 179-180.
PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 39.
El Punt/Avui, 5 juillet 2012, « Catalunya ja exporta més al món que a Espanya ».
27
nous l'avons mentionné plus haut, le statut de Marca Hispanica est une preuve de l'intérêt
que peut constituer la région dans une logique d'affrontements entre puissances dans le jeu
européen. La Catalogne sera aussi, de façon plus marginale, l'objet de traités internationaux
régissant les relations européennes. Le pacte de Gênes mentionné plus haut est l'une des
preuves de l'intérêt de certaines puissances européennes à la mise en place de liens avec la
Catalogne. Même s'il n'est pas finalement respecté, la rédaction de ce texte nous permet de
supposer que la monarchie anglaise espérait utiliser la Catalogne comme tremplin dans ses
intérêts au Sud de l'Europe, et notamment afin de contrebalancer la puissance de la royauté
française par la pression au profit de l'accession d'un Autrichien au trône d'Espagne. Plus
tard, la Catalogne sera internationalement présentée comme la voix de l'opposition au
franquisme. A ce titre, et dans une perspective de jeu des puissances, le discours du
musicien Pau Casals devant l'Assemblée Générale des Nations Unies le 24 octobre 1971, à
l'occasion de sa présentation de son « Hymne à la Paix »58 nous porte à croire que certains
des acteurs de l'époque voyaient la Catalogne comme la porte d'entrée et de fracture dans la
dictature espagnole. La chute de Barcelone avait par ailleurs été vue comme une des
grandes victoires des troupes franquistes. Aujourd'hui encore, la Catalogne revêt un intérêt
très important pour l'Espagne, au niveau économique notamment, et l’État central se trouve
souvent dans une difficile situation, dans laquelle il doit assurer que la Communauté
Autonome continue d'être le moteur et l'un des plus importants donateurs au centre tout en
ménageant certaines de ces revendications afin d'éviter une contestation trop importante.
En ce sens, le refus par le gouvernement de Mariano Rajoy d'une renégociation de la
relation fiscale avec la Catalogne, s'il constitue une décision compréhensible au niveau
économique, semble être un échec politique en ce qu'elle conduit à la radicalisation de
certains partis catalans et ouvre la porte à des revendications plus agressives, mettant en
péril non seulement l'unité de l’État, mais aussi sa viabilité (la Catalogne apportant une
grande partie des recettes fiscales du pays).
Ainsi, nous posant dans une logique de construction identitaire d'une entité subétatique,
ces éléments historique constituent de potentiels arguments de mise en avant du « fait
différentiel » catalan. Le catalanisme se construira comme une forme particulière de
nationalisme, alliant à la fois des revendications à la différence et à l'autonomie, une
58 FIGUERES J. M., Catalunya i els tractats internacionals, op. cit., p. 133 ; voir Annexe 4 pour un extrait
de ce discours.
28
recherche de consensus (le « pactisme » lié aux relations historiques entre les Comtés
catalans, ainsi qu'avec la Couronne), une recherche d'identité propre alliée à la
reconnaissance d'une diversité très importante au sein de la population. La thèse de Yolaine
Cultiaux, Le Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à
l'Etat espagnol et à la construction européenne59, met bien en lumière cette réalité
particulière du catalanisme : ouvert à l'extérieur, culturellement et économiquement
dynamique mais aussi grandement dépendant des volontés de ses voisins, qui voient en elle
une zone important d'un point de vue stratégique. La Catalogne se développe autour d'un
paradoxe entre volonté de différenciation et prégnance d'un rapport organique avec les
autres acteurs. Nous supposerons alors que cette Catalogne, lieu de convoitises et de
dynamiques contradictoires, influera sur la position de ses décideurs quant à la manière de
faire valoir leurs revendications à tous les niveaux. En découleront le caractère
éminemment politique et peu violent du catalanisme, la recherche continue de nouvelles
concessions par accord et « petits pas », à l'image de la proposition d'un nouveau Statut
d'Autonomie plus large en 2006, ainsi que la croyance en la capacité du niveau
international à relayer les aspirations d'une communauté infra-étatique. De même, ces luttes
d'influence historiques sont, à notre sens, l'une des explications du positionnement du
nationalisme catalan en réaction aux comportements des autres acteurs (notamment le reste
de l’Espagne ou le voisinage proche et régional). Ces éléments seront à discuter plus
précisément par la suite, mais il convient de soulever le fait que, à la fin du franquisme
comme dans les temps postérieurs, la Catalogne, au lieu de revendiquer frontalement des
droits ou une autonomie accrue, cherche à trouver des vides dans les décisions des grands
acteurs de la zone afin d'y intégrer la poursuite de ses intérêts propres.
Si la Catalogne apparaît comme une des régions d'Espagne les plus tournées vers
l'international, c'est aussi et avant tout le résultat du tournant que constitue la dictature
franquiste. Cette période, qui a profondément affecté pendant près de quarante ans les
structures sociales et politique ibériques, et a forcé les républicains à un exil massif, oblige
aussi la région catalane à créer des structure propres de reconnaissance voire de
gouvernance hors des frontières étatiques et initiant une recherche importante de soutien
étranger à sa cause.
59 CULTIAUX Y., Le Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à l'Etat
espagnol et à la construction européenne, op. cit.
29
(B) Le tournant de la dictature
L'accession au pouvoir de Francisco Franco constitue un grand changement, non
seulement dans la structure politique et sociale d'une Espagne sortant d'une guerre civile
extrêmement violente et meurtrière, mais aussi dans la perception catalane de ce que l’État
central peut offrir et de la confiance qui peut lui être attribuée. L'interdiction des
institutions catalanes de la Seconde République, le rejet de sa langue et de sa culture, le
centralisme accru et la fermeture totale du pays sont autant d'éléments de perte de
confiance en l'Espagne, qui vont pousser les leaders catalans exilés à chercher un soutien à
l'extérieur des frontières et créer des réseaux internationaux.
Une perte de foi en l'Espagne
Afin de comprendre la spécificité de la position catalane au cours de la dictature, il
convient tout d'abord d'obtenir des éléments d'appréhension de la guerre d'Espagne et de
ses causes. Alors que la fin de la dictature de Primo de Rivera amorce la Seconde
République d'Espagne, une fraction du pays – et notamment une partie de l'armée – est
opposée à ce nouveau régime, à l'expulsion du roi et à certaines des politiques mises en
œuvre. L'élection d'un Front des Gauches espagnol en 1936, sur la base d'un programme se
rapprochant de la gauche socialiste, sera l'élément déclencheur d'un soulèvement sous le
commandement du Général Francisco Franco depuis l'Afrique du Nord. Ce groupe
principalement issu de l'armée lancera donc une offensive contre la République. Nous ne
pourrons pas, pour les besoins de ce mémoire, rentrer dans les détails de ce conflit
complexe et violent et ne mentionnerons que certaines de ses caractéristiques les plus
remarquables du point de vue de la Catalogne. Le principal facteur à remarquer est alors
celui d'une fracture profonde entre deux fractions du pays, les franquistes et les
républicains.
Ces « deux Espagnes » qui s'affrontent autour d'une vision concurrente affectent très
profondément les structures du pays, à tel point que certains intellectuels de l'époque le
considéreront comme « mort » et perdu60. Au niveau de la Catalogne, ces divisions
apparaissent selon des logiques semblables à celles de l’ensemble de l'Etat. Les fractures
60 Luis Cernuda, poète andalou, écrira ainsi « España ha muerto » (l'Espagne est morte) dans son poème
« Impresión de destierro ».
30
entre secteurs républicain et franquistes parcourent ainsi l’ensemble de la société, et touche
tous les secteurs, de la bourgeoisie, classes dominantes et secteur ecclésiastique 61, aux
classes moyennes et populaires. Au-delà de l’opposition frontale entre républicanisme et
franquisme, un grand nombre d'individus souffre de la guerre, prenant part souvent
passivement à la résistance au soulèvement (notamment par la culture et la pratique de la
langue)62. L'issue du conflit, et la victoire franquiste lancent un mouvement massif de
migrations. Du Mexique à la France, les Républicains fuient la perspective d'un coup d'Etat
réussi par les franquistes. L'une des principales routes de l'exil passera par ailleurs par la
Catalogne et la frontière du Perthus, ou des milliers de Républicains se trouveront réunis
dans des camps le long du littoral français, dans des conditions souvent difficiles.
Dans ce contexte, la foi en la capacité de l'Espagne à se relever et à redevenir un Etat
démocratique prenant en compte les spécificités de la Catalogne se réduit fortement. Les
conséquences du régime sur la société nationale, les tentatives de centralisation accrue et la
mémoire de la défaite participent de ce désespoir. L'Espagne ne peut, en l'état, permettre
aux Catalans de vivre pleinement leur « fait différentiel ». La dictature représente ainsi
l'exact opposé de ce qui, selon Monsterrat Guibernau, est la vision la plus répandue de
l'Espagne pour les Catalans : une « Espagne plurielle »63. De plus, l'absence de réponse de
la part des autres Etats ou puissances proches – la France du Front Populaire espérant éviter
le conflit avec Hitler – alors que Franco reçoit des soutiens politiques et matériels de l'Italie
et de l'Allemagne, ajoute à ce sentiment d'abandon. La société catalane doit trouver d'autres
voies pour se faire entendre et protéger ses spécificités culturelles, et une série d'initiatives
et d'associations se mettent en place. Au niveau individuel les agents tentent de continuer à
faire vivre leur culture et à échapper à la répression. Au niveau collectif, les secteurs
politiques, universitaire et l'Eglise sont les principaux champs dans lesquels se développent
des mouvements de défense de la Catalogne, de la culture catalane et de la démocratie 64.
Montserrat Guibernau parle alors de « résurgence » d'un mouvement catalaniste65. Alors
61 L'Eglise catalane s'illustrera par exemple par plusieurs actions pro-républicaines, comme lors de la
Caputxinada, quand les moines capucins permettent à des étudiants républicains de se réfugier dans les
murs du couvent de Sarrià.
62 GUIBERNAU M., une résistance « passive », Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia,
op. cit. p. 91.
63 Ibid, p. 91.
64 Ibid., p. 48-49.
65 Ibid., p. 48. Yolaine Cultiaux parle de cette période comme de celle de l'apparition du « catalanisme
politique » ; CULTIAUX Y., Le Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face a
31
que la forte répression sur une population minoritaire peut résulter en l'avortement de
certaines initiatives de création de mouvements nationalistes, Guibernau affirme que, du
fait de la présence d'un catalanisme latent datant du XIXème, le franquisme a pour
conséquence la réactivation des mouvements et des réseaux qui comptaient sur la
République pour faire valoir leurs revendications. Mais ces groupes restent extrêmement
divisés, notamment selon des lignes de fracture sociales et politiques. Les partisans
d'Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) s'opposent par exemple à des mouvements
plus au centre et à la dimension religieuse. Ces dissensions bloquent la création d'un
mouvement unitaire de défense de la Catalogne et la déception des populations catalanes
s'accroît. Les individus se replient alors sur des modes de fonctionnement et des réseaux
familiaux, proches et de solidarité locale66. Alors que la victoire des Alliés contre
l'Allemagne nazie apparaît comme une victoire du républicanisme, de la démocratie et une
perspective de chute du franquisme, les leaders du monde préfèrent laisser l'Espagne dans
son isolationnisme. Les Républicains ne peuvent donc, à priori, compter sur aucune forme
de soutien, et la division du mouvement présage un allongement de la dictature et un
durcissement de celle-ci, Franco pouvant se sentir implicitement soutenu par des Etats
récemment sorti d'un des conflits les plus traumatiques de l’histoire contemporaine.
Résultant de cette déception, la période de la dictature sera l'occasion d'une
« réémergence »67 du nationalisme catalan, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières de
la région et de l'Etat. Alors que la Seconde République, notamment par la mise en place de
la première Généralité de Catalogne (suivant l'exemple de la Mancomunitat de 1914),
donne à la Catalogne des pouvoirs relativement étendus et la reconnaît comme cas
particulier dans le contexte espagnol68, la dictature opère des changements radicaux et
bloque toute expression autre que celle émanant du centre. Les politiques d'unification
culturelle, de migrations massives de travailleurs en Catalogne, l'interdiction de la langue
dans l'espace public, l'absence de réponse de la part de leurs soutiens traditionnels incitent
les Catalans à trouver des moyens d'agir de façon individuelle 69. Au niveau de la société, la
l'Etat espagnol et à la construction européenne, op. cit., p. 161.
66 Ibid., p. 97-98.
67 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., Chapitre 3, « La
reemergència del nacionalisme català durant el franquisme ».
68 CULTIAUX Y., Le Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à l'Etat
espagnol et à la construction européenne, op. cit, p. 138.
69 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 91.
32
pratique de la langue dans les cercles privés, la constitution de groupes informels de
promotion de la culture catalane, tentent de contourner la répression franquiste. Des
réseaux informels de solidarité et d'aide se construisent aussi des deux côtés de la frontière
avec la France, permettant à des Républicains en danger de fuir le pays ou à des produits
d'être envoyés de France en Catalogne – par les circuits légaux ou la contrebande. Ici
encore, nous nous trouvons dans une situation où la société catalane construit des modes
informels, recherche des solidarités particulière en parallèle des canaux traditionnels, avec
toujours le référentiel commun du sentiment d'appartenance à une « nació minoritzada »
(par opposition à l'idée de « minorité nationale », incluant la Catalogne dans le cadre de la
nation espagnole)70. Si l'élite espagnole reste, à l'image de sa société, divisée entre pro et
anti-dictature, certains intellectuels s'engagent en faveur de la Catalogne, dans un contexte
où l'expression artistique se perçoit principalement comme une action politique. Si les plus
fameux de ces intellectuels ou artistes sont Pau Casals ou Lluis Llach (le compositeur de la
fameuse Estaca, appel à l'action contre la dictature exporté dans le monde entier), ils ne
sont pas les seuls à défendre, par leurs écrits, l'idée de la défense d'une Catalogne
« démocratique, auto-gouvernée et moderne »71.
Il apparaît donc que la dictature est une période où deux mouvements contraires se
développent. D'une part, un contrôle social accru limite les possibilités d'expression
catalanes dans le contexte espagnol, allant jusqu'à en criminaliser la pratique. De l'autre, la
sphère privée et parallèle vit un moment de croissance forte du sentiment catalan. Si les
circuits traditionnels ne parviennent pas à offrir les droits auxquels les catalans aspirent,
ceux-ci tenteront de trouver d'autres canaux par lesquels agir. Parmi ces canaux, la
recherche de soutiens influents à l'international – et ses acteurs traditionnels ou parallèles –
et la construction de structures propres de gouvernement et d'action à l'étranger sont un
premier pas vers ce que Joan Amorós i Pla, dans son avant-propos au travail de Josep
Maria Figueres nomme la nécessaire « internationalisation de la cause catalane »72.
70 « Nation en minorité » BALCELLS Albert, « La Conferència de pau a París (1919). Catalunya i la
Societat de Nacions », p. 106-107, in FIGUERES Josep M. (coord.), Catalunya i els tractats
internacionals, op. cit., p. 89-112.
71 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit. p. 49.
72 AMOROS I PLA Joan, « Presentació », p.8, in FIGUERES Josep M. (coord.), Catalunya i els tractats
internacionals, op. cit., p. 7-10.
33
Le développement d'un réseau international d'opposition au franquisme
Il convient tout d’abord de remarquer que, en lien avec les dynamiques mentionnées
plus haut, la recherche par les acteurs catalans d’une extension des revendications et d’une
reconnaissance hors des frontières de l’Etat national n’est pas un mouvement nouveau. Dès
les débuts du catalanisme politique, et notamment du fait de la division des territoires de
langue et culture catalanes entre différents pays, le besoin de trouver une forme plus
inclusive d’expression catalane se fait ressentir. De même, la spécificité de la notion de
« nationalité en minorité », et le rapport entretenu entre la communauté catalane et la
notion d’Etat-nation forcent les leaders politiques et d’opinion à tenter de développer des
structures de dépassement de ces cadres. Bien que l’Etat reste, jusqu’à une période très
récente, l’unique acteur des Relations Internationales, le XXème siècle voit apparaître de
nouvelles voies. Ainsi la Société des Nations (SDN), créée au lendemain de la Première
Guerre Mondiale, donne-t-elle une première perspective de représentation pour les
gouvernants catalans. Sa vocation à être en premier lieu une représentation des peuples du
monde et non des Etats qui le composent constitue a priori une reconnaissance de la
diversité culturelle, historique ou linguistique au sein du phénomène étatique, et offrirait
une « fenêtre d’opportunités »73 intéressante pour mettre en avant l’intérêt d’une
représentation
des
minorités
au-delà
des
frontières
nationales.
L’Organisation
Internationale propose en effet dans ses objectifs de reconnaître l’existence et les droits des
minorités nationales. A l’occasion de ses recommandations du 21 septembre 1921, elle
appelle ainsi les Etats à « respecter les traités quant à leurs minorités »74 (dont la portée
reste limitée par le fait que les vainqueurs de la guerre ne sont pas liés par ces traités 75)
Comme le mentionne Albert Balcells76, si la Catalogne ne se considère pas comme une
minorité nationale, elle entend utiliser cette dénomination, dans un processus graduel de
croissance de son autonomie (encore une fois, nous nous trouvons face à cette stratégie
« pactiste » de recherche progressive d’avantages permettant à terme une reconnaissance
effective). Certains leaders, à l’image de l’homme politique indépendantiste et Président de
73 KINGDON John W., Agendas, alternatives and public policies, Boston : Little, Brown and Co., 1984,
240 p.
74 BALCELLS A., « La Conferència de pau a París (1919). Catalunya i la Societat de Nacions » , op. cit., p.
106-107.
75 Ibid.
76 Ibid.
34
la Generalitat de 1932 à 1933 Francesc Macià, espèrent même que le contexte postPremière Guerre Mondiale résultera en une prise d’indépendance de la Catalogne et que
cette « nationalité [pourra] assister à la SDN »77. Au niveau social, des organisations et
associations se mettent en place afin de promouvoir la Catalogne à l’étranger, et participent
de la création d’un mouvement dont l’idéologie aura des conséquences à la suite même de
la dictature : un catalanisme a forte dimension internationaliste. Le Centre d’Estudi i Acció
Internacionalista78 ou les appels internationaux contre la dictature de Primo de Rivera
comme l’appel.lació a favor de Catalunya de Manuel Massó i Llorens ou la conférence
Per la valoració internacional de Catalunya de mars 192079 ainsi que le retrait du régime
de la SDN deviennent autant d’arguments permettant au mouvement catalaniste de se
développer, espérant être considéré comme un rempart face à la dictature et donc un
interlocuteur légitime. Malgré l’échec de l’initiative de la SDN et l’entrée dans une
nouvelle phase de dictature, les leaders du catalanisme politique vont continuer de
rechercher dans la sphère internationale un tremplin pour faire entendre leurs
revendications.
Ces réseaux se créent et se développent tout d’abord dans le cadre de l’ensemble d’un
mouvement républicain espagnol qui cherche le moyen de continuer la lutte contre la
dictature depuis l’exil. Cette image de l’Espagnol exilé luttant pour la démocratie (par
ailleurs largement diffusée par des ouvrages, par certains Etats ou par les républicains euxmêmes)80 se trouve être une porte d’entrée pour les leaders catalans exilés. Ainsi, la
déclaration de Pau Casals mentionnée plus haut, l’édition de pamphlets politiques (du type
Free Catalonia ou Facts about Catalonia81) la mise en place de groupes plus ou moins
formels de républicains exilés ou la production artistique participent de la création d’une
image du Catalan comme figure de l’opposition à la dictature franquiste et combattant pour
la liberté du pays. Se forme alors le mythe du républicain catalan, qui sera réutilisé par la
communauté à l’heure de faire valoir une situation spécifique, celle d'une minorité
opprimée par l’Etat et que les autres acteurs se doivent de défendre. Ainsi, en 1953, le
77 « Para que esta nacionalidad pueda asistir a la Liga de Naciones », Ibid., p. 98.
78 Centre d’Etudes et d’Action Internationalistes, Ibid., p. 97.
79 BALCELLS A., « La Conferència de pau a París (1919). Catalunya i la Societat de Nacions » , op. cit., p.
108-109.
80 Voir, par exemple, ORWELL George, Homage to Catalonia, Londres : Secker and Warburg, 1938, 232 p.
81 Catalogne Libre et Faits Concernant la Catalogne.
35
Consell Nacional Català82 appelle, lors de la conférence de l’Organisation des Nations
Unies pour l'Education, la Science et la Culture (UNESCO) à Montevideo en 1954, à la
reconnaissance des persécutions contre la langue et la culture catalanes83.
Le Consell Nacional Català est par ailleurs l’un des exemples du second type de
mouvements que nous pouvons remarquer dans le cadre de l’organisation de la lutte
internationale contre le franquisme : la tentative de formation ou de reformation
d’institutions catalanes à l’extérieur, ayant pour objectif de devenir de vrais organes de
gouvernement en exil. Ce Consell sera tout d’abord créé à Paris en mai 1940 par le
Président de la Generalitat Lluis Companys, mais son arrestation et déportation en Espagne
avorte le projet84. Il est à nouveau mis en place le 29 juillet 1940 à Londres par Carles Pi i
Sunyer (dirigeant d’ERC, indépendantiste et ancien Conseiller de la Generalitat de la
Seconde République). Son objectif premier sera donc de réunir et d’appuyer la cause
catalane à l’étranger (à ce moment précis, une majorité des exilés se trouve en Amérique
Latine), ainsi que de se poser comme organisme de coordination des initiatives propres aux
catalans85. De même, fonctionne à Paris en 1939 et 1940 un Front Nacional de Catalunya86.
Des tentatives de reformation de la Generalitat de Catalogne en exil se mettent aussi en
place et Josep Irla (à la suite de l’exécution de Lluis Companys à Barcelone), puis Josep
Tarradellas en assument la présidence87. Bien que l’autorité de cette structure et la
continuité qu’elle donne à la Generalitat de la République soient reconnues par les partis
catalans exilés et leurs leaders, elle ne parvient pas à unifier un mouvement de récupération
des institutions catalanes à l’étranger. Là où des structures comme le gouvernement
français du Général de Gaulle parviennent à maintenir un caractère de mouvement
réellement unifié et de représentation légitime de la France, les initiatives catalanes restent
éparses et peu coordonnées. Particulièrement en Amérique Latine, elles ont plus pour
fonction de réunir les catalans et de les aider à traverser cette période de grande incertitude
82 Conseil National Catalan.
83 DIAZ ESCULIES Daniel, « La Lluita per la internacionalització de la qüestió catalana durant el
franquisme (1939-1955) », p. 129, in FIGUERES Josep M. (coord.), Catalunya i els tractats
internacionals, op. cit., p. 113-134.
84 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 93.
85 DIAZ ESCULIES D., « La Lluita per la internacionalització de la qüestió catalana durant el franquisme
(1939-1955) », op. cit., p. 118-119.
86 Front National de Catalogne, GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i
democràcia, op. cit., p. 93-94.
87 Generalitat
de
Catalunya,
Présentation
historique
de
la
Généralité,
http://www.gencat.cat/generalitat/cat/guia/antecedents/antecedents17.htm
36
qu’une vocation à être de réels moteurs de la contestation au franquisme.
Mais ces éléments sont bien la preuve d’une certaine propension des catalans – du
moins dans les secteurs des élites politiques – à rechercher dans la sphère internationale des
soutiens permettant de traiter une situation nationale. Reprenant les critères présentés en
introduction de ce travail et développés par Stéphane Paquin ou Panayotis Soldatos 88, il
nous semble que ces actions du début du XXème siècle s’apparentent à un embryon de
paradiplomatie identitaire, voire dans les cas de ces catalans les plus indépendantistes,
d’une protodiplomatie qui tente de se former. L’échec relatif de ces initiatives ne doit pas
masquer le fait qu’elles avaient bien pour objectif de promouvoir, par le biais du niveau
international, la défense d’un projet et de spécificités internes et, à terme, d’occasionner un
changement dans la politique nationale. Mettant en parallèle ces constatations et les
éléments décrits dans la première section de ce travail de recherche, il apparaît que la
Catalogne utilise un contexte qui est propice à l’internationalisation pour mettre en avant
ses spécificités et son orientation vers l’extérieur. Il semble que le contexte contemporain,
qui constitue le cœur de notre étude, est très favorable à de tels développements.
(C) La Catalogne aujourd'hui, un terreau pour les revendications
d'internationalisation ?
Comme le précise Stéphane Paquin, la Catalogne n’est pas la région qui a lancé le
phénomène au niveau mondial89. Le Québec a, par exemple, été plus précoce dans le
contexte fédéral canadien. Si la dictature apparaît évidemment comme l’un des principaux
facteurs ayant empêché ce développement, il convient de s’interroger sur les raisons et les
possibilités qui ont permis ou non à la Catalogne de formuler son propre modèle d’action
extérieure. Ainsi, la centralité de la période suivant directement la mort de Franco et la
figure de son dirigeant emblématique créent un contexte favorable et permettent la
constitution d’un espace politique catalan dans lequel les questions d’internationalisation et
d’indépendance sont très prégnantes.
88 SOLDATOS Panayotis, « An Explanatory framework for the study of federated States as foreign-policy
actors », in MICHELMANN Hans et SOLDATOS Panayotis (dirs.), Federalism and International
Relations. The role of subnational units, 1990, Oxford :Clarendon Press, 1990, p. 34-53.
89 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 69.
37
L'institutionnalisation d'une paradiplomatie catalane et le rôle de Jordi Pujol
La sortie de la dictature est en effet un des moments fondateurs de la formulation de la
paradiplomatie catalane. C’est par la période de transition démocratique que la région
amorcera le processus de récupération tout d’abord, puis d’obtention de nouveaux droits et
d’une autonomie accrue. La transition espagnole, reconnue comme l'un des modèles de
transition démocratique « pactée » (soit une transition peu violente et marquée par la
transmission progressive du pouvoir des anciennes élites de la dictature vers les nouvelles
élites démocratiques), donne ainsi la possibilité aux acteurs catalans d'être présents dans
tout le processus de définition de cette nouvelle Espagne, et de tenter de trouver des points
d'entrée pour leurs revendications. Le nouveau régime cherche à s'éloigner du modèle
dictatorial et centraliste, et le texte constitutionnel s'attache à institutionnaliser les pratiques
que le franquisme avait voulu effacer. Ainsi, l'article 2 de la Constitution espagnole de
1978 tente de réconcilier Etat-nation et minorités par la référence à une « nation espagnole
une et indivisible » mais constituée de certaines « nationalités historiques ». En outre, la
mise en place des Statuts d'Autonomie pour les différentes Communautés Autonomes
renvoie elle aussi à cette volonté de se distancier de l'idée d'une Espagne socialement,
historiquement et politiquement unifiée.
Concernant le Statut de la Catalogne, plusieurs éléments sont à remarquer. Tout
d'abord, celle-ci – du fait de l'existence préalable d'une Generalitat et de caractéristiques
historiques et culturelles fortes – obtient dès la formulation de la Constitution le statut de
« Communauté historique » (à l'image du Pays Basque et de la Galice) et peut donc
prétendre à la rédaction de son propre Statut d'Autonomie 90. Ce Statut sera ainsi
principalement le fait de jeux de négociations et de compromis selon les élites franquistes
et républicaines, mais aussi selon une seconde dimension des relations entre Espagne et
Catalogne91. Si le pouvoir central parvient alors à garder le monopole de l'action
internationale, la proximité entre revendications d' « autogovern »92 et
démocratie en
90 Les autres Communautés Autonomes auront leur propre processus de rédaction d'un statut et d'intégration
dans la logique du café para todos.
91 GENIEYS William, « Les Elites périphériques espagnoles face au changement de régime. Le processus
d'institutionnalisation de l'État autonomique », Revue française de science politique, vol. 46 n° 4, 1996,
p. 4.
92 Auto-gouvernement. Forme d'autonomie accrue de la région, selon l'idée d'une Catalogne
« démocratique, autogouvernée et moderne », GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme,
transició i democràcia, op. cit. p. 49.
38
Catalogne porte les élites autonomiques à utiliser les failles de la Constitution à leur
avantage. Malgré une crise politique et une opposition relativement importante en
Catalogne entre les forces souhaitant un Statut très large, et d'autres plus modérées mettant
en avant un besoin de construction démocratique stable dans l'Etat, le premier Statut
d'Autonomie de la Catalogne – porté par une coalition des partis de centre droit
(Convergència i Unió, Unió del Centre Democràtic) et de centre-gauche (Parti Socialiste
Catalan), le Statut d'Autonomie est adopté par référendum en 197993. Parmi les éléments
remarquables relevés par Stéphane Paquin et Monsterrat Guibernau, il est important de
souligner pour notre étude que :
•
le Statut reprend une grande partie des symboles propres de la Catalogne, fait
explicitement référence au droit à l'autonomie des régions espagnoles ;
•
les compétences en termes de transports, culture et patrimoine, tourisme,
commerce, navigation, ou de la prise de mesures d'adoption des traités et
conventions internationales dans les champs touchant à ses aires d'action sont
dévolues à la Catalogne ;
•
la Constitution reste un texte flou, confus et le terme de Relations
Internationales n'y est pas particulièrement défini94. Ceci laisse donc la place à
des réappropriations, réinterprétations et peut justifier les comportements de
certains acteurs (tant du gouvernement central que de la Catalogne).
Il faudra remarquer que cette dynamique du compromis a débouché sur un ensemble de
textes qui ne satisfait pleinement aucun des acteurs, et qui dès lors peut être sujet à des
évolutions. Mais la perception de la Constitution espagnole et des Statuts d'Autonomie
comme des ensembles relativement figés a tendance à bloquer ce processus d'évolution (à
l'image, par exemple, du long processus de modification constitutionnelle et d'entrée en
vigueur du nouveau Statut de 2006). C'est alors à l'acteur lui-même de s'emparer de ces
logiques et de les orienter à son avantage. Jordi Pujol, figure centrale de ce processus de
réappropriation de la Catalogne post-dictature, sera l'un des architectes de ce mouvement.
93 GENIEYS W., « Les Elites périphériques espagnoles face au changement de régime. Le processus
d'institutionnalisation de l'État autonomique », op. cit., p. 8.
94 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 51-52.
39
Premier président élu de cette nouvelle Generalitat, Pujol imprimera pendant ses
vingt-trois années à la tête du gouvernement catalan (de 1980 à 2003), sa vision de la
Catalogne, du catalanisme et des possibilités d’action catalanes. Emprisonné pendant la
dictature, il sera l’un des artisans de la reconstruction de la Catalogne, de la recherche de
transferts de compétences de l’Etat central, et de l’unification d’un catalanisme « ouvert et
internationaliste ». C’est par exemple lui qui initiera un mouvement de récupération des
symboles nationaux catalans, mais aussi de la reformulation d’une politique active de la
Catalogne dans les domaines de compétences qui lui ont été attribués. Déterminé à
défendre le fait différentiel, mais pas dans une perspective indépendantiste, il reste encore
aujourd’hui, une personnalité politique de référence en Catalogne 95. En ce sens, son apport
à la construction politique de la région ne peut être ignoré, et ses positions politiques
pourront être considérées comme des points de comparaison dans l’analyse des choix des
décideurs catalans du XXIème siècle. Pujol recherche avant tout une reconnaissance
politique, économique et culturelle de la Catalogne96, sans attendre pour autant une
indépendance. Il se posera, durant sa présidence, comme leader politique mais aussi
comme une réelle « incarnation de la nation catalane »97. Le nationalisme promu par Pujol
sera par ailleurs défini par Montserrat Guibernau comme « nationalisme-providence »98, en
appelant non seulement à des déterminants émotionnels du nationalisme, mais aussi à des
éléments pratiques qui lui permettront de rallier une partie des élites et de la population
catalanes à son projet. Bien que certaines de ses prises de position aient été critiquées au
cours de ses mandats, tant au niveau catalan qu’à celui de l’Etat, Jordi Pujol a su mettre en
place de fortes mesures de récupération de l’identité et du sentiment catalans, et s’est
attaché à créer un projet commun pour la Communauté Autonome, tout en tentant de
ménager un Etat démocratique espagnol en reformation. C’est donc un leader pragmatique
et ayant une vision très pratique du rôle de la Catalogne, de ses possibilités et limitations
dans le contexte ibérique, de ses forces et de ses faiblesses. Il a su se présenter au cours de
ses mandats et dans ses prises de positions postérieures, selon un mode quasi-messianique,
95 Les événements récents et la reconnaissance par Pujol de sa propre évasion fiscale en Suisse ont
partiellement écorné cette image.
96 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 72.
97 PAQUIN S., « La Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », op. cit., p. 213.
98 Nacionalisme de benestar, en reference à l’Etat-providence, GUIBERNAU M., Nacionalisme català,
franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 228.
40
celui d’un dirigeant ayant réussi à faire revenir la Catalogne à sa situation pré-dictature, et à
améliorer sa position. Son parti, Convergència Democràtica de Catalunya, et la coalition
de centre-droit à laquelle il participe, Convergència i Unió, s’imposent ainsi comme le
visage d’un catalanisme modéré, intégré dans les contextes espagnol et européen. Si nous
ne discuterons pas du bien-fondé de telles suppositions ou de l’image qui est souvent
véhiculée de Pujol, il est important de dire que cette image constitue un précédent
important dans la définition d’une paradiplomatie catalane. Selon Stéphane Paquin, la
personnalité du décideur est une des variables à prendre en compte dans l’analyse de
l’action internationale d’une région99. En ce sens, le modèle proposé par les vingt-trois
années de la Présidence de Pujol constituera une ligne de comparaison centrale, selon
laquelle une grande partie des acteurs politiques catalans se positionnera – dans une
logique de soutien comme de critique. La formulation d’une paradiplomatie identitaire par
son administration est un des événements importants dans la construction d’un
environnement favorable à l’internationalisation de la Catalogne.
Réunissant les deux facteurs mentionnés plus haut – la sortie de la dictature et
l’émergence et le retour de leaders catalans prêts à faire valoir leurs intérêts dans le cadre
espagnol – la période post-1978 constitue une fenêtre d’opportunité importante pour la
formulation d’une paradiplomatie catalane. Au-delà des strictes compétences de projection
internationale étatique (diplomatie, nationalité, douanes), la Catalogne trouve les moyens
d’investir la variante internationale de certaines des compétences autonomiques (dont la
culture ou la langue). Elle proposera ainsi des stratégies et mécanismes de projection
extérieures (aides à l’exportation pour les entreprises culturelles, ouverture de bureaux
sectoriels à l’étranger) et tentera de s’intégrer dans le processus de prise de décision
étatique dans ces aires et au niveau international 100. Cette future paradiplomatie identitaire
se développe, selon Stéphane Paquin, selon un modèle spécifique, à mi-chemin entre une
recherche très active de marge de manœuvre en politique étrangère comme nationale et une
99 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 43.
100 SAGARRA TRIAS Eduard, « Els Acords de Maastricht (1999) : de Roma (1950) a Barcelona (2002) »,
p. 139-140, in FIGUERES J. M., Catalunya i els tractats internacionals, op. cit., p. 135-151. Dans le
cadre de l’Union Européenne en particulier, Sagarra Trias propose le double modèle d’influence
ascendante (par la pression de la région sur la formulation des politiques espagnoles vis-à-vis de
l’Europe) et descendante (par la recherche d’une marge de manoeuvre dans l’application des législations
communautaires).
41
normalisation progressive des relations entre Barcelone et Madrid dans cette aire
d’action101. Comme nous l’avons remarqué plus haut, la Constitution espagnole, si elle
maintient la politique étrangère comme le monopole de l’Etat central, laisse la place à des
réinterprétations et à l’intégration de certaines compétences dans les Statuts d’Autonomie.
La Catalogne de Pujol va donc définir son propre mode de politique internationale, qui aura
pour objectif de renforcer la recherche mentionnée plus haut d’une unité catalane 102, ainsi
que la reconnaissance de celle-ci par le gouvernement central. Nous nous trouvons donc
bien dans une logique paradiplomatique identitaire, l’action internationale catalane ayant,
in fine, un objectif national qui apparaît dans un premier temps concurrent à l’Etat mais
dont les dynamiques d’opposition tendent à se réduire avec le temps. Caterina Garcia i
Segura définira ainsi ce comportement comme une « présence indirecte » (par le discours,
la recherche d’une mise à l’agenda international de la question catalane ou une action
semblable à du lobbying auprès des instances décisionnaires), par opposition à une
« présence directe » plus agressive, dans laquelle la Catalogne se présente comme un acteur
libre et dépasse le contrôle de l’Etat103. Certaines des initiatives de la Communauté
Autonome sur cette période se rapprochent tout de même du modèle de la présence
directe : activité au sein de l’Assemblée des Régions d’Europe (Pujol en est le président en
1992104), mise en place de mécanismes de coopération avec d’autres administrations ou
rencontres internationales avec des personnalités de haut niveau. Néanmoins, le
gouvernement de Jordi Pujol parvient à limiter le caractère trop actif de sa paradiplomatie,
et d’en réduire la portée et l’importance aux yeux de Madrid. Les principales avancées
catalanes dans ce domaine se feront alors par la création d’un grand nombre d’instances de
représentation internationales spécialisées, mais toujours présentées dans une perspective
pragmatique – et souvent économique – de valorisation de la Catalogne (et, par là même,
du territoire espagnol). Ces institutions n’auront que peu de liens ou de solidarité organique
entre elles105. Les années 1980 sont, toujours selon Stéphane Paquin, un moment de
développement large et désorganisé des institutions catalanes à l’étranger (à l’image, par
101 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitare en Catalogne, op. cit., p. 15-16.
102 Il dira ainsi : "La Catalogne est l'unique région espagnole qui réunit les conditions nécessaires,
linguistiques, culturelles et historiques, pour avoir le droit à l'autonomie", cité par CULTIAUX Y., Le
Nationallisme comme différencialisme intégrateur : le catalanisme face à l'Etat espagnol et à la
construction européenne, op. cit., p. 279.
103 GARCIA I SEGURA C., « La actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 255-256.
104 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitare en Catalogne, op. cit., p. 43.
105 Ibid.,p. 17.
42
exemple, du Patronat Català Pro-Europa de 1982, du Centre d'Inovació i
Desenvolupament Empresarial 1985, ou de l’Institut Català de la Mediterrània de 1989)106
principalement destinées à améliorer l’attractivité de la Catalogne à l’étranger, d’augmenter
les flux d’Investissements Directs Etrangers (IDE) ou de consolider le tourisme. A cet
égard, le cas des Jeux Olympiques est, selon nous, la marque de cette intégration de la
Catalogne dans les mécanismes internationaux pour lesquels elle a une compétence. Cet
événement lance selon Paquin une nouvelle période de l’action diplomatique catalane, plus
structurée et donc plus controversée. La création de services administratifs chargés des
Relations Internationales ou la présence au premier chapitre du programme de CiU pour la
période 1995-1998 du titre « Catalunya en el món »107 en sont la preuve. S’il reconnaît que
la dynamique de conflits reste présente (notamment autour de l’image de Pujol et de ses
voyages « présidentiels » à l’étranger) Paquin affirme que la relation entre les deux entités à
tendance à se normaliser, tendant vers l’institutionnalisation d’une paradiplomatie catalane
acceptée par l’Etat. Pour notre période de référence – le début du XXIème siècle – la thèse
que nous mettrons en avant divergera de celle de Paquin, ancrée dans la fin du XXème
siècle. Si nous reconnaissons que les relations entre Barcelone et Madrid ne sont pas
uniquement basées sur le conflit, les développements récents (apparition de nouvelles
unités indépendantistes, chaîne humaine du 11 septembre 2013, multiplication des points
de désaccord entre les deux administrations) nous font supposer que les relations entre les
deux acteurs sont largement dépendantes du contexte politique et que leurs comportements
peuvent être extrêmement changeants. Ajoutée à l’analyse de la position actuelle des
principales forces politiques catalanes et en lien avec nos hypothèses de recherche, nous
appréhenderons plutôt la structuration de l’action extérieure catalane comme un mécanisme
préparatoire, une base de départ sur laquelle lancer une action internationale plus forte, qui
sera par ailleurs favorisée par de forts facteurs catalyseurs dans le contexte politique
international, national et catalan.
L'apparition d'un contexte propice
Les conditions qui permettent le développement d'une paradiplomatie catalane sont
nombreuses, complexes et en évolution permanente. Ainsi, le contexte international offre
106 Ibid., p. 64-67.
107 « La Catalogne dans le monde », Ibid., p. 69-70.
43
pour les acteurs non-étatiques de nouvelles possibilités d'action, alors que le champ aurait
été bloqué quelques décennies auparavant. Mais le contexte national, les changements et
évolutions spécifiques de la Catalogne sont aussi à remarquer, en mettant l'accent tout
particulièrement sur l’importance de la relation Barcelone-Madrid dans la perception de la
nécessité de s'affranchir des frontières nationales et dans les moyens permettant de réaliser
cet objectif.
La fin de la Guerre Froide ouvre un nouveau contexte dans le champ des Relations
Internationales. La chute du régime soviétique et la multiplication des moyens de
communication, la montée en puissance de nouvelles revendications et de nouveaux
mouvements sociaux tendent à déséquilibrer l'ordre reposant jusqu'alors sur la figure de
l'Etat souverain. Cet Etat se modifie, de nouveaux modèles moins centralisés apparaissent,
dans lesquels les régions ont un fort pouvoir, distinct de celui du centre. Si l'exemple des
Etats-Unis est le plus souvent employé pour caractériser ce phénomène il convient, dans
une perspective de paradiplomatie et de paradiplomatie identitaire, de mentionner plutôt les
cas des Pays-Bas ou de l'Allemagne. Comme le dit Stéphane Paquin, ces Etats leaders dans
la mise en place d'un système proche du modèle fédéral, donnent à leurs entités
décentralisés les moyens d’agir quasi-indépendamment du centre. Et ils y trouvent un
intérêt : une région pourra agir dans des aires ou l'Etat ne peut parvenir, prendra des
positions plus fortes, insoutenables pour un pays souverain. Les Etats perdent dès lors la
caractéristique unitaire qui leur était souvent attribuée108.
Reprenant certains des
facteurs de la paradiplomatie proposés par Paquin
(mondialisation et crise de l'Etat-nation, intégrations régionales)109 et par Caterina Garcia i
Segura (notamment les caractéristiques institutionnelles, politiques et économiques des
Etats : type de régime, organisation administrative, pouvoir donné aux collectivités
territoriales, rôle des leaders locaux, dynamisme commercial et industriel de la région) 110, il
apparaît que nous sommes dans une période relativement favorable pour l'action des
collectivités territoriales. En outre, dans la perspective de la théorie libérale des Relations
Internationales brièvement mentionnée dans l’introduction de ce travail, l'affaiblissement
108 HOCKING Brian, «Regional governments and international affairs: foreign policy problem or deviating
behavior?», International Journal, vol. 41 n° 3, été 1986, p. 478.
109 PAQUIN Stéphane, « Les Actions extérieures des entités subétatiques : quelle signification pour la
politique comparée et les relations internationales ? », op. cit., p. 132.
110 GARCIA I SEGURA C., « La actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 245-251.
44
de la capacité d’action extérieure de l'Etat national et son incapacité à répondre aux
nouveaux défis posés par la mondialisation ouvre la voie à l’intégration de nouveaux
acteurs dans le champ (incluant les entités subétatiques). Nous nous trouvons donc devant
une « fenêtre d'opportunité » au sens de John Kingdon, correspondant à l'influence de
facteurs conjoncturels et institutionnels sur une action et ses chances de succès 111. Il semble
donc plus aisé pour la région d'agir en-dehors des frontières étatiques dans le contexte
international actuel. Reprenant les éléments historiques mentionnés plus haut, il apparaît
que le contexte a une importance centrale : de la période franquiste ou toute action
internationale devait se réaliser hors du cadre étatique – et était donc très limitée et
réprimée – à la période actuelle dans laquelle les opportunités sont bien plus importantes,
en passant par une phase de tâtonnements à la fin du XIXème siècle, un grand nombre de
variables extérieures ont influencé les possibilités d'action de la Catalogne. Ces facteurs
renvoient, par ailleurs, non seulement à des éléments très généraux de structuration du
système international, mais aussi à des caractéristiques du contexte proche de la Catalogne.
Au cours de son analyse de la capacité politique des régions européennes, Romain
Pasquier remarque en effet un fort différentiel entre régions françaises et Communautés
Autonomes espagnoles112. En effet, si certains facteurs ou catalyseurs sont communs à une
grandes partie des entités subétatiques, notamment dans le cadre de l'Europe, la Catalogne
bénéficie d'un contexte qui aura, à notre sens, tendance à accentuer cette propension à se
tourner vers l'extérieur. Tout d'abord, le cadre communautaire fournit aux régions un niveau
supplémentaire par lequel faire valoir leurs intérêts, face à un niveau international qui reste
relativement fermé aux régions (du fait, notamment, de leurs liens de dépendance à un Etat
national ou à des contraintes de moyens ou de légitimité vis-à-vis des autres acteurs). Ceci
est en partie dû au fait que l'Europe considère souvent la région comme un moyen de
contourner la volonté des Etats-membres et tentera donc de favoriser sa participation aux
politiques de l’Union. Si l'organisation continue de traiter en majorité avec les Etats (selon
l'article 3 du traité d'Amsterdam « l'Union respectera l'identité nationale de ses Etats »), une
série de mécanismes permettent aux collectivités territoriales de pénétrer les cercles de
111 KINGDON John W., Agendas, alternatives and public policies, op. cit..
112 PASQUIER Romain, « I. La Capacité politique des régions. Une comparaison France-Espagne. »,
Annuaire des collectivités locales, tome 22, 2002. p. 809-815.
45
décision communautaires113. Au-delà de ces dynamiques, les régions peuvent aussi tenter
d'influencer la prise de décision en Europe par le biais de l'Etat, selon les logiques
« ascendante » (pression sur le gouvernement central) et « descendante » (réinterprétations
et application du droit européen) décrites par Eduard Sagarra Trias 114. Néanmoins, ces
nouvelles opportunités ne sont pas suffisantes pour expliquer l'influence du contexte dans
le comportement international catalan. Toutes les régions européennes, malgré les éléments
décrits plus haut, n'ont pas la même activité internationale que la Communauté Autonome
– il suffit de s'intéresser au cas des régions française pour le remarquer. Il faut donc ajouter
à notre analyse des éléments plus spécifiques relatifs au contexte hispanique, et au cas très
particulier qu'est la Catalogne en Espagne et que nous avons décrit plus haut. Le système
politique du pays, les échecs passés de centralisation et la volonté des leaders donnent donc
aux régions espagnoles ce que Caterina Garcia i Segura décrit comme « une gamme
d'actions internationales très large »115.
Le dernier des facteurs contextuels nous apparaissant comme central dans l’analyse de
la volonté d’internationalisation contemporaine de la Catalogne est celui de la réponse du
gouvernement central et des relations avec celui-ci. En effet, selon notre opinion, une
relation conflictuelle avec le centre – la Catalogne poussant pour une autonomie accrue et
se trouvant face à une opposition forte de la part de l’Etat – peut être l’un des déclencheurs
d’un mouvement nationaliste et d’une paradiplomatie plus active. Sans pour autant discuter
du caractère légitime ou non des revendications catalanes, nous supposerons que le
sentiment de ne pas être écouté peut engendrer des réactions de radicalisation et de rejet de
la part d’un mouvement catalaniste cherchant à s’unifier. De plus, le gouvernement ne
répondant pas aux attentes de la population catalane et de ses leaders, ceux-ci pourront être
tentés de contourner le niveau étatique et de chercher des soutiens au-delà des frontières
espagnoles. Reprenant l’analyse de Stéphane Paquin, nous remarquerons que l’auteur
établit un lien très important entre paradiplomatie identitaire et relations centre-périphérie.
Selon lui, la paradiplomatie tend à être progressivement acceptée par le gouvernement
113 Paquin citera, par exemple, le Comité des collectivités régionales et locales, le Comité des Régions ou
l'intégration du catalan comme langue communautaire, PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en
Catalogne, op. cit., p. 49-50.
114 SAGARRA TRIAS Eduard, « Els Acords de Maastricht (1999) : de Roma (1950) a Barcelona (2002) »,
op. cit., p. 148.
115 GARCIA I SEGURA C., « La Actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 235.
46
central comme une forme incontournable d’expression de ses régions et y voit même un
intérêt, réduisant dès lors les risques de conflit entre les deux administrations 116. En effet,
sur la période plus spécifiquement étudié par Paquin, les relations entre Espagne et
Catalogne sur le terrain de l’international – et sur l’ensemble de la vie politique – se
normalisent. Les nécessaires coalitions gouvernements centraux et partis catalans pour la
formation de majorités gouvernementales (pacte du « Majestic » de 1996 au cours duquel
le Parti Populaire espagnol, récemment élu à la majorité simple, doit s’allier à CiU),
l’acceptation relative des représentations catalanes à l’étranger117 ou la période de
croissance économique importante laissent la place à des relations peu conflictuelles entre
les deux administrations. La paradiplomatie ne crée plus de conflit. Néanmoins, prenant la
relation dans le sens inverse (l’influence du conflit sur la paradiplomatie), il convient de
reprendre certains des facteurs décrits par Caterina Garcia i Segura118 :
•
« Perte d’importance du pouvoir central ;
•
Recherche d’ordre ;
•
Peur des conséquences de l’action de l’entité subétatique ;
•
Peur de difficultés politico-administratives ;
•
Peur d’un égocentrisme subétatique ;
•
Peur d’un potentiel indépendantiste. »
Ainsi que certains de ceux proposés par Paquin119 :
•
« Litiges devant les Tribunaux Constitutionnels ;
•
Divergence dans les positions internationales ;
•
''Balisage'' des actions internationales et tentatives d'introduction d'une forte
hiérarchie ;
116 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 106 .
117 Ibid., p. 106 et 112.
118 GARCIA I SEGURA C., « La actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 261-263.
119 PAQUIN Stéphane, « La Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », op. cit., p. 206-207.
47
•
Perception des acteurs, rivalités. »
Nous remarquons qu’une partie des facteurs de conflit sont présents dans les relations
contemporaines entre les deux zones, et que certains de ces conflits sont eux-mêmes perçus
comme les causes principales de la situation de tension actuelle et du futur référendum
d’autodétermination, non validé par l’autorité centrale. Un Statut d’Autonomie perçu
comme trop nationaliste, et utilisant les symboles catalans à des fins politiques, juridiques
et de confrontation avec le centre120, un refus de discussion d’un nouveau statut fiscal pour
la Catalogne par le gouvernement de Mariano Rajoy dans un contexte de crise
économique121 ou la déclaration de souveraineté du Parlement catalan122 sont autant de
facteurs expliquant d’une part une résistance du centre à tout mouvement catalan et d’autre
part la montée en puissance des indépendantistes au Parlement autonomique. Dès lors que
la dynamique nationaliste s’accroît et que la rivalité avec le centre devient plus importante,
nous pourrons supposer que les acteurs catalans réagissent en proposant des mécanismes de
projection intérieure et extérieure basées sur la variable identitaire et le « fait différentiel »,
qui deviennent des variables centrales dans l’organisation sociale et politique de la région.
Ainsi, le jeu catalan est modifié de telle sorte que le système actuel pose la question de
l’autodétermination comme ligne de fracture principale entre les forces politiques
catalanes.
Le politique : portrait des principaux partis catalans
La Catalogne est en effet marquée par le catalanisme politique. Idéologie définie
comme « projet politique et constitutionnel de doter la Catalogne d’une capacité
d'auto-gouvernement »123, cette question n’est pas, comme en France ou dans d’autres pays
européens, l’expression d’une infime minorité d’acteurs, sans grand espoir de faire
entendre leur voix124. Elle est devenue partie intégrante du débat public dans la région. A la
suite de l’effervescence et des espoirs quant à l’autogovern dans les temps suivant
directement la dictature, la société catalane et ses élites politiques sont, selon le terme de
120 CULTIAUX Yolaine, « Le Nouveau statut d'autonomie de la Catalogne : acte II de l'État des
Autonomies », Critique internationale, 2007, vol. 4 n° 37, p. 24-25.
121 El País, 20 septembre 2012, « Rajoy rechaza el pacto fiscal por ser ''contrario a la Constitución'' ».
122 Parlement de Catalunya, 23 janvier 2013, « Declaració de sobirania i el dret a decidir del poble català »,
adoptée avec 85 voix favorables, 41 contre, 5 abstentions.
123 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 80.
124 Voir, pour comparaison, les scores des partits indépendantistes en Catalogne du Nord.
48
Montserrat Guibernau, « déçues »125. Les fortes attentes ne sont pas réalisées, les transferts
de compétences sont peu importants et le pays n’a pas atteint un niveau de stabilité
suffisant pour assurer d’un fonctionnement démocratique (la tentative de coup d’Etat des
Généraux de 1981 apportera une solution partielle à cette question, prouvant que l’Espagne
est assez solide pour résister à ce type d’attaques). Cette déception se transformera,
toujours selon Guibernau, en un nationalisme catalan exacerbé126. Si l’auteur note que ce
catalanisme n’a pas su évoluer suffisamment et, aujourd’hui encore, s’adapter aux
nouvelles problématiques de l’Espagne démocratique (l’assimilation entre refus espagnol et
espagnolisme/franquisme étant encore très importante), il n’en demeure pas moins que ce
nationalisme a posé la question du fait catalan comme élément structurant de la politique
autonomique. De même, les années 2000 et la victoire du Parti Populaire à la majorité
absolue, faisant disparaître le besoin de concession vis-à-vis des partis catalanistes,
renforce ce retour à la vie politique locale. La question n’est plus alors comment intégrer la
Catalogne dans le système espagnol naissant, mais bien jusqu’à quel point celle-ci peut-elle
accroître son autonomie, redéfinir son mode d’autogovern et, à terme, atteindre le niveau
qui semblera le plus profitable à la communauté. Et, si ce niveau ne peut être atteint,
chaque parti développera son approche de la question du catalanisme et de l’indépendance.
L’une des preuves de cette prégnance de la question catalane est l’utilisation de la langue :
hormis le parti Ciutadans (C’s), l’ensemble des partis en Catalogne – Parti Populaire inclus
– s’exprime en catalan, et l’utilisation de termes espagnols est souvent perçue de façon très
négative. De même, toute tentative de modification législative touchant de près ou de loin à
une compétence propre de la Catalogne sera interprétée comme une attaque à la spécificité
culturelle de la région et à une tentative d’ « espagnolisation »127. Le catalanisme est l’une
des questions principales de la vie politique catalane, et l’attitude envers la culture propre
sera un fort élément d’identification. Guibernau définira ainsi trois grands types d’attitude :
« essentialiste » (voyant la culture comme une donnée objective), « pactiste » (en référence
aux interactions et échanges perçus) ou « espagnoliste » (minoritaire, refusant la Catalogne
comme nation)128. En croisant les variables proposées par Miquel Caminal quant aux
125 GUIBERNAU M.Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 16.
126 Ibid., p. 16.
127 Voir, en ce sens, les débats quant au catalan comme langue véhiculaire à l’école ou ceux relatifs aux
moyens de transports, notamment à l’aéroport de Barcelone – El Prat.
128 GUIBERNAU M.Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 53-55.
49
« partis nationaux », nous pourrons développer une grille succincte de présentation des
principales sensibilités politiques des différents mouvements en Catalogne. Caminal
propose trois grands types de partis dans la région : les partis étatiques ayant une
ramification en Catalogne ; les partis dits « nationaux » (dont le spectre d’action est la
Catalogne, mais qui ont aussi des intérêts à défendre dans le centre) ; et les partis ayant
comme unique référentiel la Catalogne129. Nous diviserons dès lors le jeu politique catalan
de la façon suivante, reprenant les typologies précédemment mentionnées et y ajoutant la
question de la dimension de projection internationale ainsi que leur force relative dans le
système :
La majorité catalaniste :
Partis traditionnellement tournés vers le catalanisme politique, ils représentent une
majorité de l'électorat actuel en Catalogne. Les dernières élections autonomiques (élections
anticipées suivant la manifestation de 2012 et présentées comme la conséquence du refus
espagnol de renégocier la relation fiscale entre les deux zones130) ont donné lieu à une
montée en puissance des partis indépendantistes, ainsi qu'à la nécessaire reprise de ces
questions par les partis moins radicaux. Ici, nous trouvons, du plus au moins importants en
termes d'électoral :
•
Convergència i Unió (CiU) : comme mentionné précédemment, CiU est en
réalité la coalition formée par deux partis du centre de l'échiquier politique :
Convergència Democràtica de Barcelona (CDC – catalaniste mais non
indépendantiste, issu de la mouvance social-démocrate, très tourné vers
l'Europe131) et Unió Democràtica de Catalunya (UDC – catalaniste lui aussi,
mais plus proche de la démocratie chrétienne, et très porté sur la question du
pluralisme et de la langue dans le cadre plus large des Pays Catalans132). Les
deux force s'unissent en 1978 pour former CiU, et obtiennent le pouvoir avec
Jordi Pujol en 1980. Assimilé au centre-droit, le parti s'illustre par son
pragmatisme et sa capacité à s'adapter à un grand nombre de situations. Par
exemple, CiU est l'un des partis catalans représentés aux Cortes de Madrid et
129 CAMINAL M., Nacionalisme i partits nacionals a Catalunya, op. cit., p. 52-53.
130 El País, 20 septembre 2012, « Rajoy rechaza el pacto fiscal por ser ''contrario a la Constitución'' ».
131 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 196-197.
132 Ibid., p. 216-221.
50
souvent ouvert à un dialogue avec l'administration centrale. Il a ainsi pu
dominer la vie politique catalane pendant la plus grande partie des années de
démocratie, et serait la force politique la plus proche de l'idéal-type du « parti
national » développé par Caminal133. Aujourd'hui, le contexte de montée des
revendications indépendantistes, l'attitude de refus du gouvernement central et
sa relative perte d'influence au Parlement donnent une teneur plus agressive au
catalanisme de CiU. Etant le parti actuellement au pouvoir, à l’origine de
nombreuses initiatives en matière internationales, mais aussi du référendum
d'indépendance du 9 novembre 2014, il sera le cœur de notre étude. Néanmoins,
d'autres partis ont aussi leur influence dans les jeux de pouvoir catalans, et
méritent donc d'être mentionnés ;
•
Esquerra Republicana de Catalunya (ERC) : ce parti de gauche se présente
comme la base historique de l'indépendantisme catalan. Au cours de la Seconde
République, il
réunissait l'ensemble
des
sensibilités
catalanistes
(de
l'indépendantisme au fédéralisme, en passant par la question culturelle). Depuis
le retour à la démocratie, il s'est néanmoins radicalisé, et en est arrivé, par la
voix de son leader actuel Oriol Junqueras, à appeler à une indépendance pure et
simple du pays. Dans la typologie de Caminal, si certaines des caractéristiques
d'ERC (pactisme, relative ouverture à un mouvement de gauche plus large) le
rapprochent du parti national, il reste tout de même intrinsèquement lié à la
réalité catalane, et ne voit que peu d'intérêt à la dépasser – se rapprochant dès
lors plus du second modèle développé par l'auteur. Sa victoire aux dernières
élections (il est devenu la deuxième force politique avec 13,70% de voix, soit
21 sièges au Parlement)134 et son alliance avec CiU en font une force dont les
choix et positionnements seront à prendre en considération dans le jeu politique
catalan.
•
Iniciativa per Catalunya Verds (ICV) : Ce parti, relativement minoritaire dans
l’espace politique catalan, se présente comme le successeur du Partit Socialista
Unificat de Catalunya (PSUC) et porte un projet politique de gauche socialiste
133 CAMINAL M., Nacionalisme i partits nacionals a Catalunya, op. cit., p. 47-48.
134 Generalitat de Catalunya, Resultats definitius de les eleccions autonòmiques
http://www.gencat.cat/governacio/resultats-parlament2012/09AU/DAU09999CM_L2.htm.
de
2012,
51
et défendant le droit à l’autodétermination (les écologistes rejoindront le parti
au cours de sa formation). Résolument orienté vers la Catalogne (faisant de lui
un parti plus « nationaliste » que « national », bien qu’il rejette le terme
« nationalisme » pour lui préférer « catalanisme de gauche ») il considère, selon
Montserrat Guibernau, que l’Espagne centraliste est la cause de la situation
difficile de la Catalogne et n’accepterait un Etat espagnol que sous un modèle
fédéral135. ICV met fortement en avant une vision du catalanisme comme un
mouvement ouvert culturellement et politiquement (il s’oppose à un
catalanisme « folklorique » ou conservateur136), tourné vers l’Europe – tendant
vers l’idée d’une Europe fédérale137 – et visant à faire comprendre les
spécificités catalanes à l’étranger, ce qui lui confère une pertinence particulière
pour notre étude, malgré ses scores modestes aux élections autonomiques
(9,89% en 2012)138.
L’opposition139 :
•
Partit Socialista de Catalunya (PSC) : Il reste l’un des partis les plus
influents dans le jeu politique catalan (il a, de la transition à 2011, été à la
tête de la mairie de Barcelone et d’une grande partie des villes de la
Diputació140 de Barcelone), malgré des difficultés récentes. Relativement
indépendant de la fédération du Parti Socialiste Ouvrier Espagnol (PSOE),
le PSC reste néanmoins très lié à celui-ci. D’orientation fédéraliste, il s’est
imposé en Catalogne comme la représentation de la gauche plus opposée
aux processus d’autodétermination141. Les développements récents et la
montée en puissance des partis plus radicaux l’ont isolé dans le jeu
politique, bloqué entre un bloc catalaniste et une droite centraliste incarnée
par le Parti Populaire.
135 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 163-171.
136 Ibid., p. 55.
137 Ibid., p. 173.
138 Generalitat de Catalunya, Resultats definitius de les eleccions autonòmiques de 2012,
http://www.gencat.cat/governacio/resultats-parlament2012/09AU/DAU09999CM_L2.htm.
139 Notre étude se concentrant sur la question de l’indépendantisme et des défenseurs de l’autodétermination
en Catalogne, nous ne proposerons qu’un survol de ces partis plus ou moins opposés à cette idée. Pour
une vision plus profonde du jeu politique dans la Communauté Autonome, voir les écrits de Guibernau.
140 Agglomération
141 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 174-176.
52
•
Partit Popular (PP) : Il représente l’exemple le plus important en Catalogne
de parti appartenant à une fédération nationale. Correspondant à la droite
traditionnelle ayant émergé à la suite du franquisme, le PP voit la Catalogne
comme partie intégrante d’une Espagne indivisible et centraliste. Bien qu’il
accepte de de se plier à certaine des exigences du jeu politique de la
Communauté Autonome (les dirigeants du parti s’expriment en catalan, le
programme
intègre
la
question
de
l’auto-gouvernement),
il
suit
majoritairement la ligne dictée par le commandement central et est
totalement opposé à un référendum d’autodétermination ou à une extension
des compétences de la Catalogne – au niveau national comme international.
Le PP garde une base électorale relativement solide en Catalogne et son
score a peu changé entre les différentes échéances, mais la montée en
puissance d’ERC et son alliance avec CiU le forcent à rechercher d’autres
moyens de nouer des relations avec le parti dominant.
•
Ciutadans (C’s) : Lancé en Catalogne en 2006, puis étendu théoriquement à
l’ensemble de l’Etat (il n’a, en réalité, de représentation que dans son
Parlement d’origine) ce parti, très minoritaire, se présente comme un groupe
de citoyens luttant contre des « nationalismes » destructifs pour la société
espagnole142. C’est d’ailleurs le seul des partis de la région à s’exprimer en
exclusivement en castillan (par exemple lors d’événements publics ou
d4interventions au Parlement autonomique). Il a été l’un des initiateurs de
manifestations anti-indépendantistes de Barcelone (avec, entre autres, le
slogan « Mejor unidos »). C’s est par ailleurs critiqué par les autres partis –
et surtout par la gauche catalaniste – pour être une façade du retour d’une
extrême-droite populiste et « espagnoliste ».
Les nouvelles forces indépendantistes :
•
Assemblea Nacional Catalana (ANC) : Collectif de la société civile créé en
2011 (à la suite de la première des grandes manifestations du 11 septembre)
agissant en vue de l’indépendance catalane au prochain référendum143,
142 Ciudadanos, site web, http://www.ciudadanos.org.
143 Assemblea Nacional Catalana, site web, http://assemblea.cat.
53
l’ANC n’est pas à proprement parler un parti, mais elle a réussi à s’insérer
dans le jeu politique catalan. Elle a ainsi été l’une des entités organisatrices
des grandes manifestations des 11 septembre 2012 et 2013.
•
Candidatura d’Unitat Popular (CUP) : La CUP est une formation
relativement jeune, née en 1991 avec l’objectif de donner son indépendance
à la Catalogne. Son idéologie socialiste, anticapitaliste et son orientation
vers l’union de l’ensemble des Pays Catalans144 en font l’une des forces les
plus actives en ce qui concerne la recherche d’indépendance de la
Catalogne. Absente de la sphère politique catalane, la CUP a réussi à obtenir
trois sièges aux dernières élections du Parlement catalan (3,47%) 145,
devenant par là même l’un des exemples de la montée du sentiment
indépendantiste en Catalogne, alors que la région s’enfonce dans une crise
économique et cherche de nouvelles solutions.
Il semble donc que la question de l’autodétermination est particulièrement importante
dans l’analyse du jeu politique catalan actuel, en ce qu’elle devient l’une des lignes de
démarcation politiques les plus importantes dans la Catalogne actuelle. De plus, il apparaît
que cette question obtient un nombre croissant de soutiens dans la société catalane, du fait
de conditions économiques difficiles, d’un contexte politique et d’un leadership espagnol
apparaissant aux yeux de certains catalans comme éloigné de la situation dans la
Communauté Autonome, ou de la prise de conscience que ce processus n’est pas
impossible à réaliser. A cela s’ajoutent les liens forts mentionnés plus haut entre la
Catalogne et le niveau international. Ainsi, selon nos hypothèses, les deux mouvements
sont liés et l’international devient un facteur catalysant des revendications catalanes. Si les
ambitions d’autodétermination ont pris de l’importance dans les dernières années, la
paradiplomatie catalane devrait donc en faire autant. Dans une logique de gradation de
paradiplomatie à protodiplomatie, nous tenterons donc de voir dans un premier temps
comment la Catalogne tente d’optimiser les ressources qui sont les siennes, dans un cadre
relativement accepté dans les Relations Internationales.
144 Candidatura d'Unitat Popular, site web, http://cup.cat.
145 Generalitat de Catalunya, Resultats definitius de les eleccions autonòmiques
http://www.gencat.cat/governacio/resultats-parlament2012/09AU/DAU09999CM_L2.htm.
de
2012,
54
CHAPITRE 2 : La paradiplomatie catalane, développer l'ensemble des possibilités
offertes selon un modèle propre
Si nous avons pu constater précédemment l’existence de grands idéaux-types de
projection internationale des régions, il nous est nécessaire de souligner le fait que ceux-ci
ne sont pas à appliquer de façon univoque ou imperméable. Paradiplomatie, paradiplomatie
identitaire et protodiplomatie peuvent être mis en place en parallèle, complémentarité voire
concurrence, selon des paramètres structurels et conjoncturels. Appliquées à notre champ
d’étude, ces constatations nous portent à supposer que l’action internationale de la
Catalogne ne se limite pas à l’un de ces modèles, mais mobilise une série d’outils tenant de
chacun d’entre eux. Nous mettrons donc en lumière au cours de ce chapitre les éléments
paradiplomatiques semblables à ceux théorisés par Stéphane Paquin, pour tenter d’y
déceler des intérêts ou des logiques pouvant se rapprocher d’une perception plus identitaire
ou protodiplomatique du phénomène d’internationalisation.
Il apparaît alors que la
Communauté Autonome développe une action internationale proche de celle observée dans
un grand nombre d’entités subétatiques, par l’utilisation des outils à la disposition d’une
collectivité locale et régionale (A) et pour une promotion de la connaissance et de
l’attractivité de la région (B). Les deux cas d’étude de la ville de Barcelone (C) et de la
culture catalane (D) compléteront ce chapitre, mettant déjà en lumière de nouvelles
dimensions paradiplomatiques en Catalogne.
(A) Une réappropriation des modèles d'action des régions
Les éléments contextuels définis au cours du chapitre précédent incitent les entités
subétatiques (du moins celles des États dont les possibilités institutionnelles et politiques le
permettent) à aller défendre certaines de leurs visions et de leurs intérêts hors des
frontières, indépendamment du centre. Ainsi, la Catalogne s'insère dans un réseau de
collectivités locales aux niveaux européen et international, et met en place une série de
structures se rapprochant d'un modèle paradiplomatique.
Quel intérêt à de tels développements ?
Les dynamiques d'ouverture des Etats et de prise d'importance des régions sont en effet
au cœur d'un large processus de redéfinition du champ international. Si l'Etat reste l'entité
55
principale dans la majorité des questions internationales – notamment celles ayant une
importance particulière, touchant aux réseaux diplomatiques, aux conflits ou aux jeux de
puissance –, d'autres aires s'ouvrent à l'entrée des régions. Principalement concentrées sur
des thèmes techniques, d'économie ou de coopération locale, celles-ci complètent le tissu
de la présence de l'Etat hors de ses frontières, dans une dynamique qui est bien
complémentaire de l'action gouvernementale. Ce mouvement est relativement général dans
les pays occidentaux, et les dynamiques d'internationalisation touchent même les régions à
faible « capacité politique » (selon les termes de Romain Pasquier)146. A titre d'exemple,
nous pourrons citer la région Languedoc-Roussillon qui, en partie par le biais de sa marque
Sud de France, promeut la connaissance de son territoire au niveau économique et
touristique à l'étranger. La Maison du Languedoc-Roussillon à New-York propose ainsi une
série d'événements (guinguettes, dégustation de produits locaux), de sorties culturelles
(dans un cloître new-yorkais dont certains éléments sont directement issus des chapelles
languedociennes) indépendamment ou en coopération avec les organismes consulaires sur
place147. Là où les différentes représentations étatiques n'ont pas la capacité d'agir selon les
particularités de chacune des régions qui composent le pays, la paradiplomatie s'imprègne
de ces spécificités, et les met en avant, proposant un modèle hybride entre centre et
périphérie, entre espace public et espaces privé et entrepreneurial. Parmi les dossiers
pouvant toucher à la paradiplomatie, Stéphane Paquin cite alors : la recherche
d'investissements, la promotion commerciale (exportations, connaissance de la production
locale), la recherche d'attractivité (touristique, mais aussi industrielle), le développement
universitaire, scientifique et technologique ainsi que la recherche de croissance dans des
marchés importants pour la région (l'aéronautique en Midi-Pyrénées, par exemple), voire
les questions de défense des droits de l'Homme (par le soutien à des projets associatifs ou
la coopération décentralisée)148. Reprenant la notion de fenêtre d'opportunité, il apparaît
que la région tente tout d'abord d'investir un espace non seulement disponible, mais aussi
que les acteurs étatiques ne peuvent intégrer.
Se forme alors ce que Bernard Gagnon et Jacques Palard nomment le
146 PASQUIER R., « I. La Capacité politique des régions. Une comparaison France-Espagne. », op. cit.
147 http://www.suddefrance-developpement.com/en/sud-de-france-export/maison-new-york.html.
148 PAQUIN S., « Les Actions extérieures des entités subétatiques : quelle signification pour la politique
comparée et les relations internationales ? », op. cit., p. 134.
56
« méso-gouvernement », échelle intermédiaire et à la croisée de la majorité des nouvelles
dynamiques des relations internationales (entrepreneuriale, non-gouvernementale, étatique,
macro-régionale)149. Ce caractère hybride multiplie les niveaux de complexité (avec
différents modèles d'action, du lobbying des régions auprès des instances internationales à
une présence directe ou aux partenariats public-privé), ajoutant de nouveaux mécanismes
d'action au lieu de monopoliser ceux déjà existants. Caterina Garcia i Segura parlera ainsi
de « diversification de l'agenda international » et de « disparition des frontières entre
politique extérieure et intérieures »150. C'est donc bien un double phénomène que nous
rencontrons : les entités subétatiques recherchent de nouveaux moyens de poursuivre leurs
intérêts, alors que l'Etat ne parvient plus totalement à les satisfaire ni à les contrôler. Elles
trouvent alors des secteurs dans lesquels leur expertise peut être valorisée, l’investissent et
parviennent à créer de nouveaux espaces dans lesquels d'autres collectivités peuvent
s'engouffrer. L'exemple du Québec est à cet égard parlant, en ce qu'il nous permet de
comprendre que cette province canadienne a bien servi d'exemple et a ouvert la voie pour
ce nouveau phénomène dans les Relations Internationales (il apparaît alors relativement
compréhensible que certaines des plus importants chercheurs en la matière, dont Paquin,
soient issus des universités québécoises). La Catalogne s'intègre alors dans ce processus,
s'insérant dans le plus large réseau des collectivités locales à l'international.
Le réseau d'entités locales
Les collectivités locales est un acteur peu reconnu dans les relations internationales et
son statut hybride entre l'acteur non gouvernemental et l'Etat peut constituer un obstacle à
sa légitimation dans cette aire (comme nous l'avons vu précédemment, cet obstacle est
aussi sa force, en ce que sa position lui permet d'aller là où les ONG ne jouissent pas du
statut d'entité publique et où les Etats subissent des pressions qui entravent leurs
mouvements). Il semble donc logique que ces entités intègrent les sphères de la politique
étrangère tout d'abord en créant leurs propres réseaux et relations. Dans l'ensemble des
possibilités offertes par la mondialisation et ses changements institutionnels, et du fait de la
complexité des relations entre collectivités territoriales (dans le cadre notamment des
149 GAGNON Bernard. et PALARD Jacques, « Relations internationales des régions et fédéralisme. Les
provinces canadiennes dans le contexte de l'intégration nord-américaine », Revue internationale de
politique comparée, vol. 12, 2005, p. 178.
150 GARCIA I SEGURA C., « La Actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 240-241.
57
infrastructures, mais aussi de la coopération administrative ou politique), de la variété des
acteurs considérés (privés, publics, mixtes), nous choisirons de nous concentrer sur
quelques exemples qui nous semblent être les plus intéressants pour notre étude.
La Catalogne s'insère dans les réseaux internationaux tout d'abord en tant que région
administrative de l'Espagne. L'intégration européenne ayant permis aux régions de trouver
de nouveaux partenaires et ayant formulé le modèle de coopération décentralisée, les
réseaux communautaires sont alors les mieux placés pour leur permettre de se mettre en
relation avec d'autres entités aux caractéristiques comparables. C'est par ailleurs
principalement au niveau de l'Union que la Communauté Autonome de Catalogne crée son
réseau (malgré quelques exceptions dont des initiatives de coopération avec le Québec).
Dans son ouvrage La paradiplomatie identitaire en Catalogne, Stéphane Paquin cite ainsi
différent modèles de coopération inter-régionale : les Quatre moteurs de l'Europe (incluant
des régions à fort potentiel économique : Bade-Wurtemberg, Lombardie, Rhône-Alpes et
Catalogne), l'Eurorégion (modèle institutionnel de coopération régionale avancée créée
spécifiquement dans le cadre de l'Union Européenne), la Communauté de Travail des
Pyrénées, ou l'Arc Sud-Européen entre autres151. Les deux premiers de ces exemples
suscitent particulièrement notre attention, en ce qu'ils permettent de comprendre deux
grandes orientations des politiques paradiplomatiques catalanes. Les Quatre Moteurs
constituent un forum de dialogue, de coopération et d'échange d'informations ou de
technologie entre des entités qui recherchent un développement accru de leur secteur
économique innovant. Nous retrouvons bien ainsi la variable de développement
économique mise en avant plus haut dans cette étude, mais y voyons aussi une volonté
d'organiser de nouveaux types de réseaux, plus informels que les modèles institutionnels
proposés et liant intrinsèquement différents secteurs de la vie sociale régionale et
européenne. Les Quatre Moteurs ont par ailleurs pour ambition de se projeter au-delà des
frontières européennes (par des relations économiques extra-régionales) et de tenter
d'influencer la construction communautaire par leur action152. En parallèle, les initiatives du
type Eurorégion proposent le pendant institutionnel et politique à cette coopération. Créée
en 2004, l'Eurorégion Pyrénées-Méditerranée réunit les Communautés Autonomes de
Catalogne et des Iles Baléares, et les régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon, dans
151 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit.
152 Ibid., p. 84.
58
une logique de « coopération politique »153 et dans des secteurs aussi variés que l'éducation,
le développement durable ou la coopération universitaire et culturelle. Elle correspond
explicitement à une initiative visant à favoriser la zone méditerranéenne, mettant en avant
une proximité historique et culturelle, ainsi que des problématiques proches. Les
Eurorégions sont ainsi le modèle le plus représentatifs de cette coopération entre entités
subnationales. La plupart d'entre elles sont frontalières et proposent des modèles de
développement dans un cadre reconnu par les instances étatiques et européennes, réduisant
ainsi le danger pour les autorités centrales d'une « coalition » ayant pour but de déstabiliser
l'Etat. La Catalogne s'inscrit donc bien dans cette démarche pragmatique de création de
liens forts entre les régions, de formulation et de poursuite de projets communs dans un
cadre institutionnel stable.
A ces dynamiques s'ajoute toute une palette d'autres relations internationales et de
coopération entre unités locales. Les grandes villes de Catalogne multiplient ainsi les
jumelages (Barcelone est jumelée avec vingt-quatre autres villes du monde, de Montpellier
à San Francisco), la Communauté Autonome s'insère dans les structures communautaires
qui lui permettent d'avoir une voix (à l'image du Comité des Régions, que nous traiterons
plus tard dans cette étude), les exemples de coopération sectorielle entre entités
transfrontalières se multiplient (à l'image du projet de Train à Grande Vitesse entre
Barcelone et Montpellier ou de la coopération des corps de pompiers français et catalans
lors des incendies survenus à la frontière des deux Etats l'été 2013). De même, Barcelone
participe au réseau « Eurocités » créé en 1986 et visant à réunir les grandes métropoles
d'Europe et fonctionnant selon une double logique de soutien et de coopération mutuelle
dans des projets spécifiques, mais aussi de groupe de pression afin d'orienter la politique
bruxelloise154. La Catalogne apparaît ainsi comme l'un des acteurs de la politique régionale
européenne, égal en tous points à une autre région de la zone. Néanmoins, là où ses
ambitions différeront des autres régions, dans ce que nous pourrons appeler une
paradiplomatie réellement identitaire (en ce qu'elle utilise comme principale variable
l'identité), ce sera dans la collaboration avec la « Catalogne Nord », c’est-à-dire la zone du
Département français des Pyrénées-Orientales français. Là encore, les exemples de liens
transfrontaliers sont multiples tant dans l'organisation d'événements (à l'image de la venue
153 Eurorégion Pyrénées-Méditerranée, site web : www.euroregio.eu section « l'Eurorégion ».
154 Eurocities, site web : http://www.eurocities.eu.
59
de l'équipe perpignanaise à Barcelone lors des quarts de finale de la coupe d'Europe de
rugby), la coopération culturelle (musée de la Mémoire du franquisme et de la Retirada à
Rivesaltes), la santé (construction d'un hôpital transfrontalier dans la zone des Pyrénées) ou
économique (fonds commun d’aide aux projets transfrontaliers). Mais ce sont deux autres
exemples de coopération institutionnelle qui attirent notre attention. La représentation
permanente de la Catalogne à Perpignan (Casa de la Generalitat a Perpinyà155) propose
ainsi de faire le lien entre deux zones culturellement, historiquement et linguistiquement
liées. Les deux régions deviennent alors le catalyseur des intérêts de l'autre, Barcelone
s'ouvrant au Nord de l'Europe et Perpignan profitant du dynamisme de la capitale
catalane156. Ici, c'est bien la variable culturelle et identitaire qui est la première à être mise
en avant, tranchant avec le pragmatisme affiché par les autres modèles de relations. Au-delà
des routes commerciales, la Catalogne a en effet peu d'intérêt à établir des relations avec
une zone de la France relativement en retard au niveau économique, et qui n'offre que peu
d'ouvertures pour sa production. De même, l'Eurodistrict de l'Espace Catalan
Transfrontalier réunit plusieurs administrations et collectivités territoriales catalanes et
françaises (Généralité, Département des Pyrénées-Orientales, comarques de la province de
Gérone incluant l’ensemble de la Cerdagne157, Parc Naturel Régional des Pyrénées
Catalanes) avec l'objectif de dynamiser et de favoriser une coopération rapprochée entre
ces différentes entités158. Le terme « espace catalan transfrontalier » ainsi que la présence de
références régulières au « sud » et au « nord » de la Catalogne permettent de comprendre la
force de la variable identitaire dans cette structure. L'Eurodistrict est par ailleurs en phase
de transformation institutionnelle, selon le modèle du Groupement Européen de
Coopération Territoriale (GECT). C'est donc bien un exemple de paradiplomatie
identitaire, dans lequel les structures relativement légitimées par les différents acteurs du
champ international sont utilisées afin de promouvoir le « fait différentiel ». Il apparaît que
la Catalogne crée ses réseaux avec l'objectif de s'insérer dans un mouvement plus large
d’internationalisation des régions, mais tente aussi de profiter de cette dynamique pour
rechercher la reconnaissance de sa différence vis-à-vis du reste de l'Etat. Si comme le
155 Maison de la Généralité à Perpignan.
156 MAURY Caroline, « Faut-il nécessairement ''s'aimer'' pour coopérer entre européens ? Deux exemples
transfrontaliers », Politique européenne, vol. 3 n° 26, 2008, p. 75-95.
157 Alt Empordà, Baix Empordà, Garrotxa, Gironès, Pla de l’Estany, Ripollès, Selva, Cerdanya, Osona.
158 Eurodistrict de l'Espace Catalan Transfrontalier, site web : http://www.eurodistricte.cat.
60
montre Paquin, ces logiques ne sont pas conflictuelles avec le centre et correspondent à un
phénomène largement répandu, nous pensons trouver ici les premiers éléments nous
menant à questionner l'objectif recherché par la Catalogne. De même, la création de
représentations sectorielles de la région à l'étranger, correspondant a priori à un phénomène
peu perturbateur des Relations Internationales (comme mentionné plus haut dans le cas du
Languedoc-Roussillon) semble révéler la poursuite indirecte d'autres objectifs.
La création d'entités sectorielles catalanes à l'étranger
Comme le fait remarquer Caterina Garcia i Segura, certains des principaux moyens
d’action paradiplomatiques sont les missions à caractère économique, commercial ou
industriel ; la participation à des événements de promotion à l’étranger ; ou les bureaux
permanents implantés à l’étranger ou ayant une vocation internationale159. Or, sur ces
questions, la Catalogne est particulièrement active et a développé un réseau intégré
d’entités sectorielles dans les aires où elle a une compétence. L’objectif premier est non pas
de défendre une identité une histoire ou des revendications politiques. A cet égard, un haut
représentant de l’Institut Ramon Llull de promotion de la création contemporaine catalane à
l’étranger nous a affirmé lors d’un entretien que le rôle de son institution n’est absolument
pas politique160 mais de s’inscrire dans une démarche pragmatique de promotion et de
reconnaissance du territoire national. Si les niveaux d’action sont variés, c’est avant tout la
variable économique qui domine, ainsi que les questions d’image voire, dans une analyse
extrême de ces initiatives, de soft power161. La Catalogne tente ainsi de se présenter comme
un centre dynamique et innovant, comme une région leader en Espagne. Reprenant les
caractéristiques définies par Garcia i Segura et mentionnées plus haut, il apparaît que la
Catalogne investit ces nouvelles logiques de mondialisation et les possibilités offertes par
l’Europe pour un rayonnement dépassant les limites de son Etat.
En effet, la Generalitat a mis en place une série de représentations sectorielles à
l’étranger. Elles sont au nombre de 58, et occupent les secteurs suivants162 :
159 GARCIA I SEGURA C., « La actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 257-258.
160 Entretien réalisé avec C. responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l’étranger.
161 Notion développée par Joseph Nye pour une définition de la nouvelle politique étrangère américaine et
qui accorde une grande importance aux facteurs d’image, de projection d’un modèle et d’attractivité d’un
Etat dans la poursuite d’une activité internationale efficace ; NYE Joseph, « Soft power », Foreign policy,
n.°80, automne 1990, p. 153-171.
162 Secretaria d’Afers Exteriors de la Generalitat de Catalunya, section « Altra representacio del Govern a
l’exterior »
61
•
Promotion de « l’internationalisation des entreprises catalanes » (antennes de
l’Agència per la Competitivat de l’Empresa163 – ACCIO qui œuvre pour le
développement entrepreneurial catalan dans la région, en Espagne et à
l’étranger – 34 bureaux décentralisés) ;
•
Promotion de la production contemporaine catalane (Institut Ramon Llull164 quatre bureaux à Paris, Berlin, Londres et New York) ;
•
Promotion du tourisme (Agència Catalana de Turisme, travaillant à l’attractivité
de la région et proposant des soutiens logistiques ou d’information aux touroperators ayant des projets en Catalogne – 11 bureaux) ;
•
Promotion des entreprises culturelles catalanes (Institut Català de les Empreses
Culturals – ICEC – quatre bureaux).
Nous pouvons alors tirer les conclusions suivantes : il semble bien que la Catalogne
s’inscrive dans un modèle de promotion à grande échelle, dans une logique « neutre »
politiquement. Le nombre très important d’instituts traitant de questions purement
économiques nous permet de supposer que c’est bien cette dimension qui est privilégiée,
avec l’objectif d’attirer des capitaux, des investisseurs et de développer les secteurs les plus
porteurs en Catalogne. En outre, une grande partie de ces initiatives s’insère dans une
logique qui semble caractéristique de l’action paradiplomatique : le partenariat publicprivé. Si c’est la Généralité qui lance ces programmes et crée ces instituts, ils le sont le plus
souvent en collaboration avec les grands acteurs économiques de la région. Celle-ci sera
définie par Jacques Palard comme un « secteur de valorisation de l’entreprise »165. Selon
ses termes, l’objectif est de transformer la région en « milieu innovateur » qui constituerait
un lien plus efficace entre le monde privé et l’administration166. Cette logique s’est par
ailleurs mise en place dans un temps relativement long (depuis le retour à la démocratie qui
http://afersexteriors.gencat.cat/ca/representacio_a_l_exterior/altra_representacio_del_govern_a_l_exterio
r/ .
163 Agence pour la compétitivité de l’entreprise.
164 Cet Institut sera traité plus profondément dans les prochaines sections touchant au cas particulier de la
culture.
165 BALME Richard (dir.), Les Politiques du néo-régionalisme. Action collective régionale et globalisation,
Paris : Economica, 1996, p. 15 et 18-19.
166 PALARD J., « Les Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes
d'échanges », op. cit. p. 665.
62
ouvre des possibilités d’action nouvelles) et ce dès la présidence de Pujol. Le Patronat
Català pro-Europa167 de 1982 visant à la recherche d’information pour le conseil aux
acteurs dans le cadre européen ou Centre d'Inovació i Desenvolupament Empresarial168 de
1985 pour l’information aux investisseurs étrangers sont des exemples de cette logique
progressive de création de mécanismes de promotion commerciale à l’étranger169.
En parallèle de la volonté d’attirer des acteurs économiques étranger en Catalogne, la
seconde dimension de cette internationalisation transparaît dans la présentation de la
région, et plus particulièrement Barcelone, comme un centre important de réflexion et
d’innovation aux niveaux européen et international. Cela correspond au pendant de
l’objectif d’attirer les acteurs étrangers sur le territoire : permettre aux acteurs catalans euxmêmes de s’exporter. La Catalogne s’attache ainsi à constituer des institutions capables de
s’exporter, et leur donne les moyens de le faire. Les instituts spécialisés dans le
développement entrepreneurial sont au-devant des aides à l’exportation des entreprises et à
l’information internationale sur la Catalogne. Ils sont tous, par ailleurs, organiquement liés
à une structure présente sur le territoire catalan, et dont le champ d’action mélange souvent
compétences internes et externes – à l’image de l’ICEC, de l’Agència Catalana de Turisme
ou de l’Institut Ramon Llull qui comptent sur un bureau central dans la capitale de la
région. Dans le champ universitaire et de production de connaissances, la Catalogne tente
de se poser comme un pôle central en Espagne, et d’exporter cette image à l’étranger.
Ainsi, l’Institut de Ciències Polítiques i Socials (ICPS)170 de Barcelone (créé de concert par
l’Universitat Autònoma de Barcelona171 et la Generalitat en 1988) propose, selon Elisabeth
Dupoirier, de « développer des relations d'enseignement et de recherche avec des
institutions étrangères et collabore avec des universités étrangères » et de produire de
l’expertise concernant les politiques des Communautés Autonomes 172. Ses publications
sont par ailleurs multilingues. De même, la mise en place d’une formation de Master
bilingue anglais-espagnol en Relations Internationales par la fondation privée (mais
167 Fondation Catalane pro-Europe.
168 Centre d’Innovation et de Développent Entrepreneurial.
169 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 64-67.
170 Institut de Sciences Politiques et Sociales.
171 Université Autonome de Barcelone, université publique constituée en 1968.
172 DUPOIRIER Élisabeth, « L'Institut de Ciences Politiques i Socials de Barcelone (ICPS) : 20 ans de
participation active au rayonnement international de la recherche en sciences sociales », Revue
internationale de politique comparée, vol. 16, 2009, p. 155-157.
63
largement sponsorisée par le secteur public catalan) Institut Barcelona d’Estudis
Internationals (IBEI) confirme cette volonté de se présenter comme une région dynamique
– d’autant plus en ce qui concerne les questions internationales. Au niveau de la production
et du conseil au décideur, l’Institut Europeu de la Mediterrània (IEMED) se présente
comme un think tank de haut niveau dans l’analyse des politiques européennes dans la zone
méditerranéenne173. La dimension paradiplomatique est ici bien visible, l’action
internationale visant à développer la capacité et l’attractivité des structures nationales.
Néanmoins, dans la perspective de notre étude, il serait difficile d’occulter la variable
nationaliste qui, même si elle perd de l’importance face à des considérations économiques,
transparaît dans certains des comportements des acteurs. L’ICPS est par exemple aussi une
entité productrice d’études d’opinion publique sur la Catalogne174. Avoir un tissu
institutionnel et une présence à l’étranger, même si elle n’est qu’économique, permet aussi
à la région d’établir un tissu solide de représentations, et de lui donner une image positive.
Enfin, il conviendra de remarquer (et nous le mentionnerons plus précisément dans le
troisième chapitre de ce mémoire) que très souvent les représentations sectorielles sont liés
à d’autres type de structures extérieures catalanes, bien plus actives dans les revendications
d’autodétermination. Dès lors, et sans établir de liens trop directs – du fait d’un discours
extrêmement peu imprégné de considérations indépendantistes par ces acteurs –, nous
pourrons supposer que la croissance relative des actions mentionnées plus haut dans les
dernières années sont le résultat d’une volonté de se présenter comme un interlocuteur
crédible dans divers domaines. La perception positive de la production, du secteur
universitaire ou de l’ouverture culturelle catalanes pourraient ainsi servir à rendre plus
légitimes les aspirations formulées par les leaders politiques. Dans son discours au
Parlement catalan du 23 septembre 2013, et peu après avoir mentionné le processus
politique vécu par la Catalogne, Artur Mas se félicite par exemple des bons résultats
catalans dans l’internationalisation économique, sportive et culturelle ou associative :
173 Source: www.iemed.org. Nous reviendrons sur cette structure plus en avant dans notre étude, pour le cas
spécifique de la politique catalane vis-à-vis de la Méditerranée.
174 DUPOIRIER Élisabeth, « L'Institut de Ciences Politiques i Socials de Barcelone (ICPS) : 20 ans de
participation active au rayonnement international de la recherche en sciences sociales », op. cit., p.
155-157.
64
« La Catalogne, son tissu productif, ses professionnels,
son tissu associatif et les institutions publiques réalisent un
processus remarquable, tenace, nécessaire et réussi
d’internationalisation et d'ouverture au monde »175.
Le niveau économique devient alors l’un des principaux piliers du développement
paradiplomatique catalan et la Communauté Autonome utilise les bases institutionnelles
qu’elle possède pour, dans la continuité avec sa position historique, améliorer son rôle
d’interface entre différentes zones géographiques, dans et au-delà de l’Etat espagnol.
(B) Le dynamisme économique, variable centrale de
l’internationalisation catalane
Toujours selon Garcia i Segura176, le dernier des facteurs centraux dans
l’internationalisation d’une région réside dans sa capacité à constituer des « zones
franches », dans lesquelles l’activité économique sera facilitée et où les investisseurs seront
tentés de s’installer. Si ces « zones » ne se mettent pas entièrement en place dans les faits,
la volonté de faciliter les relations économiques est, elle, bien présente. En lien avec les
structures permanentes mentionnées plus haut, la tenue d’événements et l’augmentation
des flux économiques permettent à une région d’augmenter son autonomie de facto. Si les
flux ne passent plus nécessairement par l’Etat central pour parvenir à l’entité subétatique,
celle-ci améliore sa capacité d’action indépendante de la volonté du centre, mais aussi sa
capacité de négociation avec celui-ci (bien que, dans le cas catalan, le pouvoir de pression
économique doive être relativisé, comme le montre le refus de renégociation de
l’organisation fiscale par le gouvernement espagnol en 2012). Dans une perspective de
paradiplomatie identitaire, cette variable devient donc particulièrement importante, et la
promotion à l’internationalisation des acteurs économiques catalans met en lumière
l’objectif de poser la Catalogne comme une plateforme économique centrale.
L’importance du positionnement économique stratégique
Comme nous l'avons vu dans les sections précédentes, la question de l'économie est
extrêmement importante en paradiplomatie. Le secteur productif est l'une des aires dans
175 MAS Artur, 25 septembre 2013, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p.10-13.
176 GARCIA I SEGURA C., « La actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 257-258.
65
lesquelles les entités subétatiques ont le plus de marge de manœuvre vis-à-vis de l'Etat. En
ehors des grands projets ou des plus importantes entreprises liées intrinsèquement à la
puissance étatique (du type, en Europe et plus particulièrement en France, de l'industrie
aéronautique et d'Airbus/EADS), les gouvernements centraux tendent à voir d'un bon œil
les politiques mises en place au niveau régional pour dynamiser l'économie. La question de
la balance commerciale étant très importante dans la santé des comptes d'un Etat, une
région tentant d'attirer les investisseurs et d'augmenter ses exportations est – même si ces
actions se réalisent dans une perspective identitaire – un poids en moins sur les épaules de
l'administration centrale, et l'assurance que la région sera à même de se rapprocher au plus
près des entreprises locales. En ce sens, la Catalogne développe un certain nombre
d'activités afin d'apparaître économiquement attractive.
Tout d'abord, les autorités locales et régionales catalanes tentent d'imposer leur région
comme un modèle de dynamisme, d'innovation et de santé économique. La tenue de grands
rendez-vous internationaux est ainsi l’occasion de réunir les acteurs principaux d’un
secteur en imposant la Catalogne comme un acteur incontournable. Le Mobile World
Congress mentionné dans notre premier chapitre (conférence internationale des
technologies mobiles, téléphoniques et autres, ayant lieu chaque année en février) est l'un
des exemples les plus parlants de ce phénomène. Au vu de l'importance prise par les
nouvelles technologies, et l'engouement pour cette sorte d'événements rappelant les grands
rendez-vous de la Silicon Valley, la Catalogne se place comme un expert au niveau
international sur un secteur porteur et d'avenir. Interrogé sur les projets portés par sa
structure, l'un des dirigeants du conglomérat public-privé (renvoyant de nouveau à cette
logique mixte de la paradiplomatie) Diplocat assure d’ailleurs à l'auteur de ce mémoire que
l'un des objectifs à court terme de l'institution est de
« expliquer l'impact [du Mobile World Congress] sur la projection
internationale de la Catalogne »177.
D'autres exemples de cet intérêt pour l'organisation d'événements internationaux
transparaissent dans les secteurs de la mode (Barcelona Fashion Summit), de festivals
culturels (Sitges et le cinéma fantastique) ou d'événements sportifs. A cet égard, l'exemple
des Jeux Olympiques est particulièrement parlant, puisque l'événement de 1992 a permis
177 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
66
de lancer l'attractivité d'une Catalogne sortie il y a peu de la dictature – et ses retombées
sont encore visibles aujourd'hui, une partie du tourisme de la ville s'orientant vers les
infrastructures olympiques de Montjuïc. En ce sens, la candidature de Barcelone pour les
Jeux d'Hiver de 2022 peut être interprétée comme une tentative de renouveler cette
expérience et de rechercher au travers d'un événement à répercussions internationales un
avantage économique et une reconnaissance symbolique semblable à celle obtenue en
1992. La Generalitat avait alors parié sur les JO, finançant entre autres des encarts
publicitaires intitulés « Where is Barcelona ? »178. De même, le projet d'un espace de jeu en
Europe nommé Eurovegas a été vu par la Communauté Autonome comme un important
facteur d'attractivité, et a donc amorcé une compétition féroce entre les différents acteurs
intéressés179.
En parallèle, il convient de remarquer le rôle de promotion mis en place pour les
entreprises catalanes à l'étranger. Comme nous l'avons mentionné plus haut ACCIO et
d'autres organismes de ce type ne se contentent pas de mettre en avant une meilleure
connaissance de la Catalogne à l'étranger, mais cherchent aussi à faciliter l'accès des
entreprises locales aux marchés extérieurs. L’agence se positionne alors comme un
mécanisme de coordination et d’information à l’internationalisation des entreprises. Elle
avance aussi l’objectif de devenir un forum dans lequel ces acteurs puissent échanger, se
mettre en relation et coordonner l’action économique catalane à l’étranger. ACCIO propose
enfin des aides et des financements, et soutient l’innovation technologique par le conseil en
recherche et développement, tant pour les Petites et Moyennes Entreprises (PME) que pour
les grands groupes180.
Mais là encore, si elles apparaissent à première vue comme essentiellement pratiques et
pragmatiques, ces initiatives ont aussi comme conséquence de relancer la question du
nationalisme catalan, et de la marge d’action de la Communauté Autonome face au
gouvernement central. La tenue d’événements internationaux – si elle semble pouvoir
bénéficier à l’ensemble de l’Etat et améliorer l’attractivité espagnole – est aussi le moyen
de présenter aux acteurs étrangers la question catalane et le « fait différentiel ». Les visites
178 PAQUIN Stéphane, « La Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », op. cit., p. 220.
179 Le projet avait finalement été obtenu par la Communauté de Madrid, mais refusé par le gouvernement
central et local du fait des demandes de concessions sur le droit social trop importantes.
180 Pour plus d’informations concernant ACCIO, voir leur site internet http://accio.gencat.cat/.
67
d’officiels ou de grands entrepreneurs étrangers sont l’occasion de véritables sessions
d’information sur la Catalogne, son histoire et ses spécificités. Jordi Pujol en avait fait une
de ses spécialités181, et ce modèle de comportement est repris par d’autres entités catalanes
recevant des visites de l’extérieur. Lors d’un de nos entretiens, un dirigeant de Diplocat
nous avoue organiser des repas avec des parlementaires et des visites des Corts ou de lieux
d’importance pour les visiteurs182.
De même, les liens entre les grandes entreprises catalanes (à l’image des banques
comme la Caixa) et des entités dépendant de la Generalitat et relativement politisées
(comme Diplocat) renforcent cette impression de neutralité très relative de l’action
économique. Le fait que la compétition entre les deux projets de casinos Eurovegas ait
rapidement dévié sur une opposition Madrid-Barcelone, puis Catalogne-Espagne183,
apparaît ainsi comme l’un des indicateurs de conflit développés par Paquin dans sa
définition de la paradiplomatie et de la protodiplomatie.
Il semblerait donc que la Catalogne tente d’utiliser la variable économique à son
avantage, poussant la logique paradiplomatique dans ses limites maximales. Si la récente
crise économique a fortement freiné le dynamisme catalan, la région se perçoit toujours
comme une interface commerciale en Europe, tente d’accentuer cette dimension, voire
utilise les conditions actuelles pour réorienter sa relation économique avec le centre.
La montée en puissance des relations économiques internationales
Reprenant les éléments historiques avancés dans le premier chapitre de ce travail, nous
avons conclu que l'histoire de la Catalogne au regard les mouvements de populations mais
aussi des les premiers échanges économiques et politiques internationaux avait contribué à
la constitution d'une identité catalane comme carrefour de différentes dynamiques et
ouverte sur le monde. C'est cette logique que nous retrouvons aussi dans la mise en place
des relations économiques extérieures.
Le développement des infrastructures catalanes s'est en effet fortement orienté vers la
181 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 220.
182 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
183 The Guardian, 29 février 2012, « Europa Vegas draws Madrid and Barcelona into battle over
megacasino » ; Time Magazine, 7 mars 2012, « Spain's big gamble : what to cities will give up to win
Eurovegas ».
68
facilitation des transports de marchandises et les moyens de communication. Autour du
centre industriel et productif qu'est Barcelone, un réseau s'est mis en place permettant la
poursuite de la Via Augusta et d'autres voies de communication antiques. La facilité de
l'accès à la région par voies naturelles (grande façade maritime, lien avec le sud de la
France par le Perthus) sont sûrement des facteurs à prendre en compte dans l'analyse de ces
question. Mais la Catalogne a elle-même été capable de parier sur ces avantages naturels
afin de soutenir son tissu productif. Le projet de voie de TGV reliant la métropole catalane
à la France en est un des exemples. De même, l'afflux important de marchandises
provenant du sud de l'Espagne par le biais du Perthus (et les conflits entre agriculteurs et
transporteurs qui s'ensuivent) prouvent qu'une grande partie du trafic de biens entre
l'Espagne et le nord de l'Europe transite par ce point. Enfin, la Catalogne s'impose aussi
dans le secteurs des transports de marchandises par voie maritime. Le port de Barcelone est
en effet l'un des premiers espaces maritimes de transports de marchandises en Europe, et
son trafic entrant et sortant a une dimension mondiale.
La plus grande ville de Catalogne reste le leader de la région en termes économiques,
d'autres mécanismes sont aussi mis en place au niveau local pour avancer le dynamisme de
la région. Des grandes zones commerciales à la frontière franco-espagnole (nous penserons
ici aux « zones franches » de Garcia i Segura) apparaissent par exemple, mettant en avant
une volonté d'attirer le consommateur frontalier. L'économie catalane se diversifie et se
tourne de plus en plus vers l'extérieur. Les exportations de la Communauté Autonome sont
ainsi passées de 8 millions d'euros en 1991 à 41 millions en 2009. De même, le taux
d'ouverture de la région (calculé en pourcentage de la somme des exportations et des
importations sur le Produit Intérieur Brut) a atteint plus de 68% en 2001, avant de retomber
à 43% en 2009 (du fait de la crise économique)184.
Mais là encore, nous devrons nuancer l'apparente disparition de la variable nationaliste
dans la conduction d'une action catalane tournée vers l'extérieur. Si nous considérons
qu'une économie en bon état est le garant du fonctionnement d'un Etat, il apparaît que la
région se doit de faire preuve d'un dynamisme accru, afin de prouver qu'elle est capable de
se soutenir elle-même. Lorsqu’Artur Mas mentionne dans son discours de politique
184 Voir Annexe 3 pour plus des indicateurs économiques catalans stabilisés pour 2009 (document en
catalan).
69
générale de 2013 l'état de l'économie catalane, commence par saluer l'augmentation des
exportations hors de l'Etat espagnol et avance comme premier argument l'amélioration de
l'internationalisation des entreprises catalanes, il semble difficile de séparer cette section de
son discours de celle qui la précède directement et qui traite traitant du processus politique
d'autodétermination :
Les exportations continuent de croître, pour la quatrième année
consécutive ; la Catalogne vend plus hors d'Espagne que dedans. Notre
économie dépend plus du monde que du marché espagnol. Il faut
continuer de suivre ce bon chemin185.
Alors qu'en 2011 la majorité des exportations catalanes se sont faites hors de l'Espagne,
se développe dans les discours (à l'image de celui précédemment cité) l'idée que la
Catalogne a augmenté son autosuffisance vis-à-vis de l'Etat central. Ainsi, la phrase
prononcée par Joaquim Llimona186 à la fin des années 1990 trouve-t-elle un écho dans la
formulation contemporaine de la paradiplomatie catalane : « la Catalogne était auparavant
protectionniste, son marché était la région et le reste de l'Espagne. Plus maintenant. Nous
pensons maintenant que l'Europe est notre marché. Nous faisons partie des structures
européennes avec 400 millions de consommateurs »187. Dans un contexte économique
difficile (chômage à 20% en Catalogne au second trimestre 2014188, chute du secteur
immobilier) qui touche l'ensemble de l'Etat espagnol, la perspective d'une réorientation
économique facilitée par l'indépendance attire de nombreux acteurs. Nous citerons ici
l'exemple d'une série de spots radiophoniques financés par une association d'entrepreneurs
catalans (le Cercle Català de Negocis189) et vantant les mérites de l'indépendance en termes
de développement de l'économie de la région. L'une des annonces donnait l'espoir d'un
salaire supérieur dans une Catalogne indépendante, l'autre affirmant que l'Etat catalan
aurait le quatrième PIB par tête d'Europe.
185 MAS Artur, 25 septembre 2013, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p. 11.
186 Directeur chargé des Relations Internationales à la mairie de Barcelone et ancien Secrétaire aux Relations
Extérieures de la Generalitat.
187 NEWHOUSE John, Europe Adrift, New York : Pantheon Books, 1997, p. 46, cité par PAQUIN S., « La
Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations internationales », op. cit.,
p. 211.
188 Source : Institut d'Estadístiques de Catalunya (IDESCAT) : http://www.idescat.cat. Voir Annexe 3 pour
les indicateurs économiques catalans stabilisés pour l'année 2009 (document en catalan).
189 Cercle Catalan d'Affaires, site web : http://www.ccn.cat.
70
Cercle Català de Negocis
Le Cercle Català de Negocis se présente comme une association
d'entrepreneurs en faveur de l'indépendance catalane, et qui tente de
promouvoir les bienfaits économiques d'une Catalogne indépendante.
Basant sa réflexion sur le fait que la Catalogne est sous tutelle
économique de l'Espagne et que, pour cette raison, elle ne parvient pas
à se développer et à sortir des crises économiques dans lesquelles elle
se trouve, le Cercle a à cœur de participer au processus
d'autodétermination par la production « d'études sur la situation
économique de la Catalogne », de « rapports sur des questions
d'actualité liées à l'aire économique » (par exemple « L'indépendance
est l'unique option pour la Catalogne » de mai 2013 ou « Globalisation
et exportations » de juillet 2012) et par la diffusion de ces
connaissances produites au travers de la région.
Ici encore, les relations entre les variables de l'action internationale d'une entité
subétatique ne sont pas aussi rigides que selon le modèle paradiplomatie/paradiplomatie
identitaire/protodiplomatie. L'autogovern étant l'un des arguments-phare du catalanisme
contemporain, et ce quel que soit le parti politique considéré190, tout facteur pouvant tendre
vers plus d'autonomie – qu'elle soit consacrée par la loi ou de facto – doit être considérée
comme un espace d'intérêt pour le nationalisme catalan. Ainsi selon l'opinion que nous
avons développée suite à notre recherche, les éléments de paradiplomatie économique
peuvent servir in fine des ambitions tendant vers la protodiplomatie. Dans une région où la
question de l'identité et de l'autonomie ont occupé une place prépondérante dans les débats
public et sociétal, il est difficile de séparer de façon étanche les intérêts « objectifs » du
développement régional et les fins politiques nationalistes ou indépendantistes. C'est par
exemple le cas avec la ville de Barcelone, image de l'ensemble des logiques se déroulant
dans la région, et de la relation complexe entre internationalisation pragmatique et
recherche d'une reconnaissance identitaire.
(C) Barcelone, une « marque » internationale
Poursuivant la logique économique mentionnée plus haut, il convient de remarquer que
la recherche d’attractivité doit être l’une des préoccupations majeures dans une
paradiplomatie efficace. Pour qu’une action internationale soit efficace de la part d’une
entité n’ayant pas la politique étrangère comme compétence propre, celle-ci se doit de
présenter une image positive à ses possibles partenaires (publics comme privés, individuels
190 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit, p. 196-247.
71
comme collectifs). En ce sens, la présence d’un pôle d’attractivité aux niveaux local,
régional mais aussi mondial devient un enjeu de politique extérieure. La ville de Barcelone
endosse ce rôle pour la Catalogne. Si la région jouit d’une reconnaissance relative à
l’étranger, le nom de Barcelone renvoie une image positive, tant – nous le supposons –
dans l’esprit des individus que dans la présentation qui en est faite (et ce particulièrement
dans la zone européenne). Par ailleurs, on aura sans doute remarqué que ce mémoire de
recherche fait bien souvent référence à la métropole catalane pour ses exemples.
Particulièrement à partir du début des années 2000191 Barcelone apparaît comme l’un des
principaux atouts de la Communauté Autonome, une « marque » à promouvoir, de même
que son pendant sportif, le Football Club Barcelona (FCB).
Développer l'attrait de la métropole catalane
Les villes deviennent des éléments à part entière de projection internationale. Comme
souligné par Yves Viltard, elles constituent un des acteurs des Relations Internationales, à
l’image des régions192. Si nous ne reprendrons pas ici la définition proposée par l’auteur –
« la diplomatie des villes tient dans les institutions et les processus par lesquels les villes
s’engagent dans des relations réciproques avec d’autres acteurs sur la scène politique
internationale dans le dessein d’y être représentées, ainsi que leurs intérêts »193 – l’idée
d’une internationalisation des villes nous semble particulièrement intéressante pour la
métropole catalane. Alors que l’image internationale devient une variable de grande
importance dans la conduite de la politique étrangère, le city branding peut être considéré
comme un outil paradiplomatique. Les études sur cette question se multiplient et
deviennent un champ spécifique du management, de l’urbanisme ou de l’architecture.
Ainsi, la question de la « marque » que propose la ville devient centrale pour les stratégies
d’attractivité, notamment touristique194.
191 En 2003, le PSC obtient à la fois la mairie de la ville et la Présidence, entame une période d’assimilation
croissante entre la région et la ville – les rivalités PSC/CiU et leurs visions concurrentes de la question
identitaires en avaient limité la portée jusqu’alors. L’arrivée de CiU aux sièges de maire (Xavier Trias) et
de Président de la Communauté Autonome en 2011 continue cette dynamique.
192 VILTARD Yves, « Conceptualiser la ''diplomatie des villes''. Ou l'obligation faite aux relations
internationales de penser l'action extérieure des gouvernements locaux », op. cit, p. 514.
193 VAN DER PLUIJM Rogier et MELISSEN Jan, City diplomacy : the expanding role of cities in
international politics, La Haye : Netherlands Institute of International Relations Clingendael, avril 2007,
cité par VILTARD Yves, ''Conceptualiser la « diplomatie des villes''. Ou l'obligation faite aux relations
internationales de penser l'action extérieure des gouvernements locaux », op. cit., p. 514.
194 BARTIKOWSKI Boris et al., « Les Villes ont-elles une personnalité ? », Revue française de gestion,
n° 197, 2009, p.52.
72
Dans cette perspective, Barcelone semble être parvenue à s’imposer comme une des
destinations les plus attractives d’Europe. Alors qu’elle était vue jusqu’à la seconde moitié
du XXème siècle comme une ville industrielle, peu intéressante voire dangereuse (la
« Barcelone grise »195), elle est devenue à partir des derniers temps de la dictature un
modèle de dynamisme et de créativité. En 2004, Newsweek l’élit ainsi « ville la plus cool
d’Europe »196. Il convient alors de remarquer que cette image n’est pas simplement le fruit
du développement et la conséquence « naturelle » de la chute de la dictature, de
l’effervescence qui s’ensuit ou des atouts que la métropole possédait déjà (accès facilité,
climat méditerranéen, mer ou culture artistique) mais bien la conséquence de politiques
conscientes de valorisation urbaine et de projection hors des frontières. Franco avait déjà
amorcé ce mouvement, concentrant autour de la Costa Brava ses efforts de création d’une
image festive du littoral catalan. Mais c’est bien après la transition démocratique que les
autorités catalanes s’attacheront à réaliser cette tâche. Comme l’explique Andrew Smith,
trois grands mouvements sont à remarquer dans le développement de l’attractivité
catalane : la Barcelone-artiste (au travers de la promotion du mouvement moderniste et de
l’initiative « Barcelona, posa’t guapa » de 1986 à 1999), la Barcelone-sportive (Jeux
Olympiques de 1992, Championnats du Monde de natation, Football Club de Barcelone) et
la Barcelone-contemporaine (multiplication des réalisations architecturales)197. En
parallèle, l’attrait des plages catalanes et de la fête barcelonaise continuent de drainer un
grand nombre de touristes. La Sagrada Familia, Montjuïc, ou la Torre Agbar deviennent
des éléments de reconnaissance immédiate et d’attractivité de la ville. Ce mouvement se
poursuit encore aujourd’hui, comme l’ont montré les différents entretiens que nous avons
conduits au cours de notre recherche.
Les officiels de représentation catalane ont en effet réitéré une vision de la Catalogne et
de Barcelone comme une marque à promouvoir et à développer. Ainsi, un envoyé au
Royaume-Uni parle de « donner de la puissance à la marque de la Catalogne dans les pays
voisins »198, et remarque le rôle de l'ouverture de bureaux catalans à l'étranger dans cette
195 SMITH Andrew, « Conceptualizing city image change : the ''re-imagining'' of Barcelona », Tourism
geographies, vol. 7 n° 4, septembre 2005, p. 407.
196 Ibid., p.408.
197 SMITH Andrew, « Conceptualizing city image change : the ''re-imagining'' of Barcelona », op. cit., p.
408-414.
198 Entretien avec D., officiel de la représentation de la Catalogne pour le Royaume-Uni et l'Irlande.
73
perspective. La représentation pour l'Allemagne et l'Autriche199 ainsi que Diplocat
utiliseront les mêmes termes200. C'est dans le cadre de ce dernier que la promotion de la
« marque Barcelone » nous apparaît comme la plus pertinente pour notre étude. En effet,
dans l'une des publications de l'institution, destinée à être distribuée lors d'événements ou
de rencontres avec des partenaires étrangers, Barcelone occupe la place centrale. En
partenariat avec la Généralité, Diplocat propose un prospectus intitulé « Catalunya » qui,
sous la forme d'un journal, évoque en trois langues (français, catalan et anglais) les mérites
de la Communauté Autonome en termes touristiques, artistiques, économiques,
entrepreneuriaux ou sportifs. La Sagrada Familia apparaît sur sa couverture et la ville de
Barcelone y occupe les deux pages centrales (p. 8-9). La « capital del país »201 y est
présentée comme un espace de « tradition et modernité », ayant son « style de vie » propre
et proposant des éléments « à ne pas manquer ». La métropole apparaît donc bien comme
l'épicentre des politiques de développement international touristique, et la multiplication
des services offerts aux voyageurs (agrandissement de l'aéroport Barcelone-El Prat avec un
nouveau terminal, sites dédiés202, aménagement de la ville) confirment l'objectif de projeter
une image positive de la ville au-delà de ses frontières. Les résultats de ce processus sont
réels, et Barcelone s'impose comme l'une des villes mondiales où l'attrait touristique est le
plus important (avec New York, et selon une étude basée sur les perception du caractère des
villes visitées par un échantillon de touristes)203.
La question de la « marque » en arrive même à investir le champ politique, où son
développement prend une nouvelle importance. La mairie de Barcelone a ainsi un siège
dans une grande partie des comités de direction des institutions de projection étrangère
catalane (Diplocat, Institut Ramon Llull). De même, Artur Mas parle dans son discours au
Parlement de septembre 2013, à propos du développement touristique, de l'apport de
199 Entretien réalisé avec B., officiel de la représentation de la Catalogne pour l'Allemagne et l'Autriche.
200 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
201 Capitale du pays.
202 www.barcelonaturisme.cat ; www.barcelona.com entre autres.
203 L'étude apparaît tout au long de BARTIKOWSKI B. et al., « Les Villes ont-elles une personnalité ? », op.
cit.
74
« la puissante marque que représente la capitale de notre pays, la
marque Barcelone ; pour la première fois, Barcelone fait partie des dix
villes au monde ayant accueilli le plus de touristes étrangers […]
pendant les six premiers mois de 2013, Barcelone a accueilli plus d'un
million de touristes de croisière […] et est devenue l'une des villes les
plus attractives pour la tenue de foires, congrès, réunions
entrepreneuriales et professionnelles internationales »204.
Les débats au Parlement de Catalogne en viennent aussi à aborder la question de la
marque. L'échange du 28 juin 2013 correspondant au débat sur l'internationalisation de la
Catalogne, met en avant l'importance de la « marque Barcelone » dans la consolidation de
la « marque Catalogne comme marque-pays de prestige et de qualité »205 confirmant donc
cette analyse.
Toutefois, en allant plus loin, nous pourrons considérer que l'inclusion du politique
dans le secteur du développement touristique d'une ville – s'il est nécessaire à toute
métropole affichant des ambitions d'attractivité au niveau global – permet aussi d'entrevoir
un début de logique identitaire, voire protodiplomatique. Comme le fait remarquer Andrew
Smith, Barcelone se présente comme la capitale de la « nation » catalane, la métropole d'un
pays, la Catalogne. Dès lors, les intérêts régissant le développement touristique de la ville
se complexifient, et ajoutent une dimension catalaniste à la question. Selon Smith,
Barcelone en vient à poursuivre en parallèle des objectifs touristiques, des ambitions
politiques et culturelles et tente de se poser non pas en ville d'une Communauté Autonome
espagnole, mais bien comme une « Euro-city » catalane206. Suivant cette analyse, à en y
ajoutant les éléments mentionnés au long de ce mémoire ainsi que, plus récemment, les
références faites aux discours politiques du Président catalan et du Parlement, nous nous
éloignerons encore un peu de la logique de paradiplomatie identitaire proposée par Paquin.
S'il apparaît à première vue que le développement de Barcelone sert à imposer la ville
comme un leader dynamique aux niveaux tant mondial que national, le fort lien entre les
instances barcelonaises et le leadership politique de la région nous feront supposer que la
variable nationaliste est à prendre en compte dans la stratégie catalane. Ainsi, nous
204 MAS Artur, 25 septembre 2013, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p. 12.
205 Comparution du Secrétaire aux Affaires Extérieures et à l'Union Européenne de la Generalitat devant la
Commission d'Action Extérieure, Union Européenne et Coopération (CAEUC) du Parlement de
Catalogne, 28 juin 2013.
206 SMITH Andrew, « Conceptualizing city image change : the ''re-imagining'' of Barcelona », op. cit., p.414.
75
pourrons remarquer que l'image centrée sur une Barcelone festive et ensoleillée cède
progressivement la place à des attraits culturels spécifiques à la Catalogne (art, architecture,
nourriture). Le sport, est, à cet égard, particulièrement central dans la projection de l'image
catalane et son club-phare, le « Barça » en vient à être un ambassadeur international de la
Communauté Autonome.
Le Barça, vitrine de la Catalogne à l'extérieur
Le sport peut en effet être perçu comme l'un des moyens les plus efficaces de projection
internationale d'une idée, d'une question ou d'une entité. Dans cette perspective, la
Catalogne s'est – comme nous l'avons remarqué précédemment – illustrée par l'organisation
d'événements à portée internationale. Les Jeux Olympiques, les Championnats du Monde
de natation ou les X-Games (réunissant une série de sports extrêmes) ont ainsi le triple
intérêt de mettre en avant la région au niveau international durant leur tenue, d'attirer
touristes et professionnels du secteur pouvant transmettre une image positive de la ville ou
de la région qu'ils ont visitée, mais aussi de construire des infrastructures, de lancer des
travaux pour lesquels les partenariats avec des grands acteurs internationaux sont
importants (publicité ou travaux publics par exemple).
Mais c'est bien le football qui s'impose comme le meilleur emblème de Barcelone et,
entre les deux équipes présentes dans la ville, plus particulièrement le Football Club
Barcelone. Il nous faudra tout d'abord remarquer l'importance globale du football et sa
position de premier sport mondial. La très récente Coupe du Monde 2014 en est l'une des
preuves. Durant cet événement, l'ensemble de la planète semble tourné vers le pays
organisateur, les chaînes de télévision enregistrent des records d'audience et les contrats
publicitaires autour et dans les stades se négocient au plus haut prix. Les ligues nationales
sont aussi le théâtre d'oppositions très fortes entre des intérêts économiques et sportifs issus
du monde entier, comme en témoignent l'achat du Paris-Saint-Germain par le Qatar ou les
guerres des sponsors et l'apparition du logo de la Qatar Airways sur les maillots du FCB. Il
conviendra dès lors d'analyser les équipes de premier plan ayant un espace d'action
international non seulement selon la perspective sportive mais aussi comme une
représentation étrangère de la société de laquelle il provient.
Le Barça a en effet, depuis les débuts du XXème siècle, constitué l'un des éléments
76
centraux de la projection de la Catalogne, tout d'abord au niveau local et national, puis
au-delà. Comme le montre Pierre Lanfranchi207, l'image du FCB est très liée à celle de son
lieu d'origine et aujourd'hui, lorsque l'on parle de Barcelone, l'image du club blaugrana
vient bien souvent à l'esprit. Or, toujours selon Lanfranchi, le Barça s'est développé selon
une double dynamique : cosmopolite et nationaliste. Tandis qu'en début de XXème siècle,
les clubs de football dans la capitale catalane se multiplient et adoptent des positions
distinctes quant à leur appartenance (locale, catalane, espagnole ou européenne), le Barça
s'illustre par son recrutement très international et son cosmopolitisme affirmé 208. Les
développements subséquents porteront le Barça à devenir cet emblème de la Catalogne –
notamment pendant la période dictatoriale, Franco supportant le Real Madrid 209 – et à
générer tout une dynamique touristique, économique autant que sportive autour d'une
équipe qui s'est hissée en haut des classements nationaux et internationaux. Le triplé Coupe
du Roi – Ligue espagnole – Champions League de 2009 est ainsi l'un des exemples de cette
montée en puissance de l'équipe. Depuis Johann Cruyff jusqu'à Pep Guardiola ou Lionel
Messi, le Barça (qui par ailleurs comprend d'autres équipes comme le Barça bàsquet qui
obtiennent aussi des résultats internationaux) a su, dans son recrutement comme dans sa
ligne de jeu, mêler les joueurs internationaux aux talents locaux. Le club est par ailleurs
explicitement utilisé comme argument d'attraction dans différents documents – qu'ils soient
touristiques ou plus politisés comme le Catalunya de Diplocat et la Generalitat – et son
stade, le Camp Nou, est l'une des attractions les plus visitées par les touristes étrangers210.
C'est ainsi que le FCB s'élève au-dessus du statut de simple club sportif pour devenir l'une
des vitrines internationales de sa ville, et par extension de la Catalogne. La ferveur locale
autour de l'équipe – à Barcelone comme en tout autre lieu de la région – ajoute à cette
impression. Le club s'est ainsi construit une identité allant au-delà de l'aspect sportif,
intégrant des aspects propres à la Catalogne (hymne, langue, couleurs du maillot –
particulièrement celui pour les matchs à l’extérieur), la proximité avec ses supporters (le
207 LANFRANCHI Pierre, « Football, cosmopolitisme et nationalisme », Pouvoirs, vol. 2 n° 101, 2002,
p. 15-25.
208 Ibid., p. 22.
209 GONZALEZ CALLEJA Eduardo, « El Real Madrid, ¿"equipo de España"? Fútbol e identidades durante
el franquismo », Política y sociedad, vol. 51 n° 2, 2014, p. 276.
210 En 2013, par exemple, le Vice Président du Barça Carles Vilarrubí annonce attendre plus de 2 millions de
touristes étrangers au Camp Nou (qu'ils visitent le musée du stade ou assistent à des matchs). La
Vanguardia, 29 septembre 2013, « Catalunya bat el rècord del 2007 de turistes i despesa turística fins a
l'agost ».
77
système des socis élisant chaque président), accentuant l'importance du recrutement local
des joueurs (par le biais de son centre de formation, la Masia) et allant jusqu'à réserver une
partie de son maillot pour le logotype du Fonds des Nations Unies pour l'Enfance
(UNICEF). Dès lors, lorsque le club voyage pour rencontrer une autre équipe, ou lorsque
Barcelone reçoit un adversaire étranger dans ses murs, le Barça participe de la projection
internationale de la Catalogne. La ville et son club deviennent donc les deux grandes
« marques » catalanes au niveau international211.
Mais, là encore, nous devrons remarquer que les logiques mentionnées ici ont un autre
pendant, plus politique et identitaire. Si le Barça se veut le « porte-drapeau d'un
catalanisme ouvert »212, il est bien le représentant – volontaire ou non – du catalanisme. La
phrase « més que un club »213 renvoie ainsi non seulement à la ferveur que le Barça suscite,
mais aussi à la forte composante identitaire et à une réelle recherche de spécificité parmi
les équipes espagnoles. Alors que l'Espanyol de Barcelone – l'autre grand club – s'est
développé pour contrer les orientations catalanistes et internationalistes du Barça 214, ce
dernier a rapidement assumé le rôle de catalyseur des revendications catalanes. Ainsi, le
clàssic (en castillan clásico) opposant les équipes de Barcelone et de Madrid est devenu un
miroir des oppositions entre la Catalogne et le reste du pays. De même, lorsqu'à la suite de
la finale de la Coupe du Monde de 2009 des joueurs issus du Barça comme Carles Puyol
ou Xavi Hernández font leur tour d'honneur, tenant dans leurs mains une senyera215, il est
difficile de ne pas voir le lien entre le retentissement international de l'événement, le club
d'origine de ces joueurs et la situation politique spécifique de la Catalogne vis-à-vis de
l'Espagne (au plus fort de la crise économique de 2008, la question de la séparation prend
une toute nouvelle importance). Ainsi il ne paraît pas complètement impensable qu'un
ancien président du club, Joan Laporta, fonde et soit à la tête du parti Solidaritat Catalana
per la Independència216. Reprenant les schémas d'analyse de Paquin, on constate à première
vue que, selon le spectre de l'action internationale des régions, le Barça n'est qu'un élément
de paradiplomatie, de rayonnement et de connaissance internationale d'une région. Mais en
211 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
212 LANFRANCHI Pierre, « Football, cosmopolitisme et nationalisme », op. cit., p. 22.
213 Plus qu'un club.
214 LANFRANCHI Pierre, « Football, cosmopolitisme et nationalisme », op. cit., p. 22.
215 Le drapeau de la Catalogne. Voir Annexe 2 pour les principaux drapeaux catalans.
216 Solidarité Catalane pour l'Indépendance. (SI) Laporta a par ailleurs toujours affirmé son
indépendantisme, même lorsqu'il occupait le fauteuil de président du club.
78
tentant d'apposer au club les variables de conflit que l'auteur propose, nous retrouvons
certaines d'entre elles (conflit avec le centre, fort lien avec l'identité, personnalité du
dirigeant du club) qui nous amèneront à nuancer notre analyse, et à y introduire des
éléments, non de protodiplomatie au sens propre (le club ne correspondant à aucune
structure dont aurait organiquement besoin un Etat indépendant) mais bien de soutien à des
ambitions plus larges que le cadre espagnol.
Il apparaît par conséquent que la projection de la Catalogne, par le biais de grands
centres d'attractivité internationaux que nous nommerions « de loisirs », renforce son
activité mixte de paradiplomatie et protodiplomatie, profitant du rayonnement offert par sa
capitale et par son club pour faire valoir d'autres types d'intérêts. Un autre secteur, celui de
la culture, vient renforcer cette impression selon laquelle la neutralité apparente – et
explicitement revendiquée – de la promotion internationale catalane peut avoir des effets
non seulement paradiplomatiques mais aussi protodiplomatiques.
(D) Le cas particulier de la culture
La culture constitue en effet un champ très spécifique, tout particulièrement dans le
cadre européen. Alors que dans d’autres zones du monde, dont l’Amérique du Nord, elle
est considérée comme un bien marchand comme les autres, l’Europe a développé une
vision de la production culturelle comme une aire dont l’importance justifie la mise en
place d’un statut particulier. En témoignent les discussions autour de l’Uruguay round de
l’Organisation Mondiale du Commerce (et la sortie des biens culturels du champ des
négociations), la question de l’accès public à la culture (prix des livres ou des musées par
exemple) ou la défense de l’ « exception culturelle » française. En parallèle de cette
exception culturelle, le « fait différentiel » catalan apparaît comme un autre exemple de
mise en avant de la culture comme champ nécessitant une approche distincte du reste des
relations économiques, mais aussi sociales ou politiques. Dès lors que la culture se présente
comme la manifestation la plus reconnaissable d’un groupe humain et de son identité,
promouvoir sa connaissance à l’international est une stratégie centrale dans une logique
paradiplomatique. La Catalogne se dote ainsi d’une série d’entités pour son propre
rayonnement culturel. Celles-ci poseront néanmoins la question du caractère « neutre » et
non politisé de l’action culturelle internationale, dans une logique de comparaison entre
79
paradiplomatie, paradiplomatie identitaire et protodiplomatie.
Quelles structures pour la promotion culturelle catalane ?
La Catalogne met en place une grande variété de modèles de promotion culturelle.
Comme décrit par Stéphane Paquin, la stratégie de développement paradiplomatique
catalane des années Pujol (basée sur une variété de pratiques peu institutionnalisées, afin de
ne pas entrer en conflit direct avec le centre)217 a eu des conséquences dans les décisions
prises par la suite. Il convient tout d’abord de remarquer que la grande majorité des acteurs
de la « présence internationale »218 catalane possèdent des attributions relatives à la
question culturelle. Le fait que la culture en soit venue à être l’une des grandes
compétences dévolues à la Catalogne (par le premier Statut d’Autonomie de 1979) a
participé de cet élan d’internationalisation culturelle catalane. Reprenant la logique
paradiplomatique identitaire, et si la Catalogne a bien pour objectif de renforcer sa position
dans le cadre de l’Etat espagnol, elle devra faire valoir sa spécificité, son « fait
différentiel » à grande échelle, comme un argument de valorisation devant ses partenaires
étrangers. La diversité du patrimoine culturel qu’elle possède, et plus particulièrement
l’histoire et l’art contemporain – de Gaudí à Tàpies, mais aussi dans l’art culinaire (par
exemple la cuisine moléculaire de Ferran Adrià ou le restaurant de Gérone El Celler de
Can Roca, qui a obtenu le titre de meilleur restaurant du monde en 2013) ou le cinéma
(cinéastes comme Ventura Pons, José Luis Guerin et Issona Passola, acteurs comme Sergi
López ou films comme Pa negre, d’Agustí Villaronga, choisi pour représenter l’Espagne
aux Oscars de 2012) et les arts de la scène (les compagnies Fura dels Baus ou Comediants,
les dramaturges Sergi Belbel, Jordi Galceran ou Esteve Soler sont ainsi reconnus au niveau
mondial) – deviennent alors des facteurs de la connaissance internationale de la Catalogne,
en parallèle de l’action économique ou touristique. Si les différents secteurs ne peuvent être
perçus comme complètement hermétiques les uns des autres, il n’en demeure pas moins
que le champ culturel, tout en reprenant des dynamiques proches des autres aires,
fonctionne selon ses propres logiques tant dans la promotion d’un bien que dans sa
protection. De plus, certains des artistes précédemment mentionnés – à l’image de Sergi
López ou Issona Passola – revendiquent ouvertement une position nationaliste ou
217 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p.44.
218 Ibid., p.44, cite Jordi Pujol.
80
indépendantiste219. Résultant de ces deux dynamiques – dispersion originelle de l’action
internationale catalane et statut du champ culturel – la projection mise en place par la
Catalogne se développe selon un réseau étendu d’entités.
Si le nombre d’entités culturelles catalanes à l’étranger est très modeste (neuf selon le
Secrétariat aux Affaires Extérieures de la Communauté Autonome)220, l’ensemble des
bureaux sectoriels possède des compétences touchant à cette aire. Ainsi, ACCIO propose
ainsi un angle Indústries Culturals i Basades en l’Experiència, intégrant la question de la
production culturelle et artistique à son programme de politique industrielle. De même, les
différentes délégations catalanes à l’étranger que nous avons interrogées soulignent toutes
l’importance de l’action culturelle dans leur mandat d’action.
Un officiel de la représentation en Allemagne et en Autriche nous
assure ainsi que les deux grands axes de sa délégation concernent
l’action culturelle et entrepreneuriale, mettant en avant la tenue d’une
exposition d’artistes catalans résidant à Berlin. 221
Dans cette même perspective, les entités liées à la question catalane tissent un réseau
entre elles, et participent à des actions ou des événements conjoints. Le cas des universités
est par exemple à mentionner, la Generalitat mentionnant 165 universités et autres
établissements d’enseignement hors de l’aire linguistique catalane proposant des cursus
dans la langue ou la culture de la région222.
Mais la Catalogne développe aussi des organismes spécifiques de promotion de la
culture catalane. Les Casals Catalans223 vont, dans un ample réseau allant de Quito à
Nantes ou Washington, promouvoir la culture catalane par l’organisation de cours de
langue, l’organisation d’événements (par exemple, au Costa Rica, le concert d’un quartet
venu de Catalogne et d’Andorre224). Ils se présentent en même temps comme des pôles de
219 El Punt/Avui, 11 février 2014, « El futur passa pel corredor » (intervention d’Issona Passola) ; El
Punt/Avui, 29 novembre 2012, « Observez la Catalogne, c'est passionant » (Sergi López est à la tête d’une
liste d’artistes catalans proposant d’expliquer le processus d’autodétermination catalan en France).
220 Secrétariat aux Affaires Extérieures et à l'Union Européenne de la Generalitat de Catalogne :
http://afersexteriors.gencat.cat/ca/representacio_a_l_exterior/altra_representacio_del_govern_a_l_exterio
r/.
221 Entretien réalisé avec B., officiel de la représentation de la Catalogne pour l'Allemagne et l'Autriche.
222 Secrétariat aux Affaires Extérieures et à l'Union Européenne de la Generalitat de Catalogne :
http://afersexteriors.gencat.cat/ca/representacio_a_l_exterior/altra_representacio_del_govern_a_l_exterio
r/.
223 Semblables, à plus petite échelle, aux Alliances Françaises ou aux Institutos Cervantes.
224 Concert du 20 août 2014, Trio de No-Claret, http://www.casalcatalacr.com.
81
liaison des comunitats catalanes a l’estranger225, et apportent des éléments culturels
catalans au pays dans lequel ils sont implantés. Toutes ces entités travaillent par ailleurs en
réseau, comme nous le confirmeront certains des entretiens que nous avons réalisés
(notamment avec les délégations en Allemagne et en France)226, et proposent souvent des
projets conjoints, dans lesquels chaque entité à un rôle à jouer. Dans le cas de l’exposition à
Berlin mentionnée plus haut, la délégation aura pour rôle de coordonner les initiatives,
alors que l’ICEC ou l’Institut Ramon Llull travailleront sur des questions plus pratiques
(contact aux artistes, lieu de l’événement par exemple).
Pour les besoins de notre étude, nous prendrons l’Institut Ramon Llull comme cas de
travail en ce que, nous semble-t-il, il résume bien les logiques décrites précédemment. Pour
cela, nous nous sommes basé sur un entretien réalisé avec un haut représentant de l’Institut
dans l’une de ses délégations internationales, ainsi que des informations que nous avons pu
trouver sur son site227. Créé en 2002, l’Institut Ramon Llull se présente sous la forme d’un
conglomérat entre les Communautés Autonomes de Catalognes et des Iles Baléares (ces
dernières ayant retiré leur participation depuis) et ayant pour objectif de promotion de la
culture catalane à l’étranger. Un bureau central à Barcelone coordonne l’action des
délégués à Paris, Berlin, Londres et New York. Selon les mots de C. :
« Ses missions [celles de l'Institut] sont la promotion de la
connaissance et de la visibilité de la culture catalane, la création de
réseaux de contacts et de connaissance de la création contemporaine
(avec, par exemple, des conventions de coopération) […] et par la
présence de créateurs catalans (subventions à la mobilité internationale
des individus et entreprises culturelles catalanes) »228.
De même, l’ICEC mentionné plus haut dans ce travail agit aussi pour la promotion des
entreprises culturelles catalanes hors des frontières (par le biais de quatre bureaux
implantés à Berlin, Bruxelles, Londres et Paris). L’Institut s’organise selon trois branches
liées mais indépendantes : langue et universités (conventions, formation de spécialistes en
culture catalane), littérature (traduction d’œuvres catalanes, présence d’écrivains dans des
foires littéraires) et théâtre, arts visuels, musique et cinéma (participation aux circuits
225 Communautés Catalanes à l’Etranger.
226 Entretiens réalisés avec B., officiel de la représentation de la Catalogne pour l'Allemagne et l'Autriche et
avec E. de la représentation de la Generalitat à Paris.
227 Institut Ramon Lull, www.llull.cat.
228 Entretien réalisé avec C. responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l’étranger.
82
internationaux du champ). Il propose principalement des projets de partenariats avec des
groupes, troupes, ou associations locales, et tente de créer des relations durables avec ces
acteurs. Par exemple, C. nous expliquera que l’Institut a réussi à maintenir des liens
relativement forts avec le Festivals off d’Avignon, et envoie régulièrement des troupes y
participer.
Si l’une des conditions pour qu’un artiste puisse bénéficier du soutien de l’Institut est
son identification explicite comme « artiste catalan », C. nous assure que sa ligne politique
est complètement neutre. Dans la logique de la promotion de la création contemporaine
catalane, il met l’accent sur l’importance de l’établissement de relations de confiance avec
les partenaires (et avec la structure dont l’Institut dépend229) et affirme donc que Ramon
Llull ne peut se permettre d’avoir, par exemple, une position quant au processus politique
d’autodétermination en Catalogne. C. précise que, bien que la Généralité fasse partie du
Comité de Direction de l’Institut, l'action de ce dernier se situe plus aux niveaux
« technique et institutionnel » que politique230, et prend dès lors ses distances avec toute
connotation idéologique de l’action de Ramon Llull.
Il semble donc que, dans l’espace particulier qu’est la culture catalane, la variété
d’actions développées, dont l’Institut Ramon Llull est un exemple, correspond fortement à
l’idéal-type de la paradiplomatie identitaire. Ainsi, la promotion culturelle serait vue
comme un entre-deux, une position intermédiaire entre une internationalisation uniquement
pragmatique et la mise en place d’un réel réseau de type diplomatique. Néanmoins, les
éléments développés plus tôt dans cette section nous amènent à nous interroger sur la
véracité de cette supposition et à aller plus loin dans notre analyse. La plupart des logiques
que nous avons décrites (aux niveaux économiques comme de la création de liens entre
régions), si elles apparaissent comme non-concurrentes de l’action diplomatique
traditionnelle, possèdent un intérêt dans la logique identitaire et nationaliste catalane. En ce
sens, nous en sommes venus à remettre en question l’imperméabilité des concepts de
paradiplomatie et protodiplomatie et avons supposé, conformément à certaines de nos
hypothèses, que la montée du nationalisme débordait dans des aires en apparence plus
229 La Fundació Ramon Llull, intégrant l’Institut, la Generalitat, le gouvernement andorran, le Conseil
Général des Pyrénées-Orientales et une association de communes de la Communauté Valencienne. C.
affirme que la promotion de l’ « identité catalane » pourrait être perçue de façon négative par les acteurs
autres que la Catalogne.
230 Entretien réalisé avec C. responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l’étranger.
83
« politiquement neutres ». La spécificité du secteur culturel et l’accent mis sur la rhétorique
identitaire par les leaders catalans nous portent à questionner le caractère peu politisé de la
promotion de la culture catalane à l’étranger.
La promotion de la connaissance de la culture catalane à l'étranger, un objectif
non politisé ?
En effet, depuis les premiers temps du catalanisme politique, la revendication
identitaire a été l'un des éléments unificateurs du mouvement catalan. Si aujourd'hui
encore, les termes de « fait différentiel » ou de « cas catalan » sont présents dans le débat
public ibérique ainsi que dans les publications scientifiques231, en lien avec le dret a decidir
et les revendications indépendantistes, c'est bien parce que la culture catalane est vue
comme l'une des raisons pour lesquelles la Communauté Autonome pourrait envisager de
se séparer de l'Espagne. Ainsi, pendant la dictature franquiste, différents intellectuels
s'élèvent déjà pour demander le respect des droits culturels catalans, que ce soit au plus
haut des organisations internationales (les Nations Unies et le discours de Pau Casals 232) ou
dans d'autres instance comme l'UNESCO233. C'est par ailleurs par cette instance que l'une
des plus importantes reconnaissances culturelles sera implicitement donnée à la Catalogne :
l'organisation déclare le 23 avril, jour de la Sant Jordi en Catalogne234 « Journée
internationale du livre » (suite à un fort lobbying des entités catalanes en ce sens).
Dans une logique de paradiplomatie identitaire, ou de protection des droits culturels, la
culture de la nation minoritaire dans un Etat plurinational aurait tendance à perdre de
l'importance face à la culture dominante et risquerait de disparaître. Toutefois, dans le cas
catalan – et en lien avec les initiatives décrites dans le paragraphe précédent, la culture
devient non seulement un élément à protéger face à des agressions, mais aussi un outil de
projection internationale et d'argumentation en faveur d'une différence et d'une autonomie
accrue. Ainsi, dans son discours à l'occasion de la Sant Jordi 2013, Artur Mas mettra en
231 La thèse de Yolaine Cultiaux en étant l'un des exemples les plus pertinents ; CULTIAUX Y., Le
Nationalisme comme différentialisme intégrateur : le catalanisme face à l'Etat espagnol et à la
construction européenne, op. cit.
232 Voir Annexe 4 pour un extrait du discours (document en catalan).
233 DIAZ ESCULIES D., « La Lluita per la internacionalització de la qüestió catalana durant el franquisme
(1939-1955) », op. cit., p. 129.
234 Saint-Georges, patron de la Catalogne. Lors de cette journée, les hommes offrent traditionnellement une
rose à leur bien-aimée, qi en retour leur donne un livre. Cette pratique s'est aujourd'hui étendue, et la Sant
Jordi est devenue en Catalogne la fête des roses et des livres.
84
avant le caractère « unique au monde » de cette fête et de ce qu'elle représente235. Replacée
dans le contexte actuel de poussée indépendantiste et de mouvement vers un référendum,
cette déclaration semble aller plus loin que le simple rappel de la spécificité culturelle d'une
région.
En ce sens, nous nous proposons d'analyser les politiques de développement culturel
catalan selon un modèle qui, s'il ne correspond pas totalement à une protodiplomatie
agressive, en vient néanmoins à poser certaines des bases de la reconnaissance du droit à
l'autodétermination. Deux dynamiques sont à l’œuvre ici :
•
dans un premier temps, nous avons remarqué lors de nos différents entretiens
avec des responsables catalans que beaucoup exprimaient l'ambition d'expliquer
le processus et la situation catalane actuelle aux partenaires étrangers – dans une
perspective de recherche de soutien au référendum236. En ce sens il faut non
seulement faire comprendre les dynamiques actuelles, mais aussi donner des
éléments plus structurels de définition de la Catalogne et de son peuple sur le
long terme. La question culturelle en vient alors à occuper une place centrale.
•
Ensuite, le droit international, qui préside aux questions d'autodétermination des
peuples, donne comme l'un des critères nécessaires à la reconnaissance de ce
droit l'existence d'une forme de colonisation ou de différence culturelle entre le
centre et la périphérie cherchant à décider de son futur. Si la Catalogne ne
remplit pas les autres conditions énoncées dans ce droit (notamment la distance
géographique ou la situation de différence dans le statut légal des individus
entre Etat et colonie), la reconnaissance d'une différence culturelle vis-à-vis de
l'Espagne peut donner un autre argument au partisans de l'autodétermination et
ajouter aux soutiens à la cause catalane les individus, groupes ou institutions
sensibles à la question des minorités.
En ce sens, il nous semble que l'attribution de compétences culturelles dans le Statut de
1979 a constitué une importante fenêtre d'opportunités pour la promotion du « fait
différentiel », tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières. Comme le note Yolaine
235 MAS Artur, 23 avril 2013, « Crida de Sant Jordi del President de la Generalitat », p.1.
236 Les officiels de délégations catalanes à l'extérieur et de Diplocat ont tous mentionné cet objectif.
85
Cultiaux, l'identité catalane est instrumentalisée (notamment à l'occasion du dernier Statut
d'Autonomie, sur la question des termes de nations/nationalité) « à des fins politiques et
juridiques »237. Nous remettrons donc en partie en question les affirmations de C. relatives à
l'Institut Ramon Llull et à son indépendance vis-à-vis des revendications catalanistes, et
étendrons cette réflexion à l'ensemble du secteur culturel catalan. Par exemple, la présence
des différents bureaux de représentation de la Catalogne dans les mêmes locaux – dont
ceux de la représentation officielle de la Generalitat plus active dans la question de
l'autodétermination238 – ainsi que la réalisation d'événements conjoints entre ces entités
nous porte à supposer que la culture n'est pas vue seulement selon le prisme neutre de la
promotion et protection de l'art. Si certaines représentations culturelles à l'étranger
revendiquent l'absence de positionnement quant au droit à décider, il n'en demeure pas
moins qu'ils peuvent être instrumentalisés dans cette optique. En outre, la constitution
d'entités spécifiquement dédiées à la création de liens entre régions de langue et d'histoire
catalanes, comme la Casa de la Generalitat de Perpignan, renforce cette idée. Selon
Caroline Maury, la culture est ici utilisée dans le « rapport de force avec l'Etat espagnol »,
dans le but de construire « une nation catalane aux limites plus larges que celles reconnues
officiellement »239. Si la nation est conçue comme un « groupe humain conscient de former
une communauté et de partager la même culture, liée à un territoire clairement déterminé,
avec un passé et un projet de futur communs, et qui réclame le droit à s'auto-gouverner »240,
les relations culturelles transfrontalières viennent soutenir l'idée qu'une « nation
minoritaire » s'est trouvée dominée par d'autres puissance et a dès lors le droit de choisir sa
propre voie par des moyens politiques.
Nous avons donc tenté de comprendre dans ce chapitre comment la Catalogne utilisait
les instrument traditionnels de la paradiplomatie et de la paradiplomatie identitaire à son
avantage et créait son propre modèle d'action internationale. Or, au cours de cette analyse,
il nous a semblé que la Communauté Autonome en arrivait non seulement à exploiter
l'espace international laissé libre par l'Etat central, mais tentait aussi, de façon plus ou
237 CULTIAUX Y., « Le Nouveau statut d'autonomie de la Catalogne : acte II de l'État des Autonomies », op.
cit., p. 24-25.
238 Entretien réalisé avec C. responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l’étranger.
239 GARCIA Marie-Carmen, L’Identité catalane. Analyse du processus de production de l’identité nationale
en Catalogne, Paris : L’Harmattan, 1998, p.92, citée par MAURY Caroline, « Faut-il nécessairement
''s'aimer'' pour coopérer entre européens ? Deux exemples transfrontaliers », op. cit., p. 82.
240 GUIBERNAU Montserrat, Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 25.
86
moins déguisée, de trouver un terrain favorable aux revendications d'autodétermination.
Sans remettre complètement en cause la thèse de Paquin d'une paradiplomatie catalane
tendant vers la normalisation et la réduction de la concurrence avec Madrid, il semble que
certains des développements les plus récents viennent poser la question de l'accentuation de
certains types d'action internationale catalane.
Nous devrons tout de même relativiser les propos énoncés plus haut et mettre en avant
le fait que les possibilités d'action de cette région sont extrêmement faibles par rapport aux
services diplomatiques de l'Etat central. A., de Diplocat parlera ainsi d'un « gouvernement
espagnol avec 6000 fonctionnaires, 130 ambassades et 90 consulats [alors qu'au] niveau de
la Generalitat, il y a un Secrétariat aux Affaires Extérieures comptant 25 ou 30
personnes »241
Les effets réels de cette paradiplomatie seront donc à prendre avec précaution.
Néanmoins, du point de vue de notre mémoire de recherche, et de l'orientation que nous lui
avons donnée, les intentions des acteurs comptent tout autant que les réalisations. Il nous
semble alors intéressant de discerner dans les dynamiques mentionnées au long de ce
chapitre une volonté à demi-cachée de transformer la paradiplomatie identitaire catalane en
y ajoutant graduellement des éléments protodiplomatiques, que nous allons tenter de
décrire dans notre troisième chapitre.
241 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
87
CHAPITRE 3 : Une participation de plus en plus active à l'aire
internationale
En parallèle des actions paradiplomatiques décrites plus haut, il apparaît que la
Catalogne commence à définir une politique plus directe d’investissement de la sphère
internationale. Si nous prenons la définition de la protodiplomatie comme un embryon de
diplomatie étatique, nous remarquerons que certaines actions catalanes tendent à se
rapprocher de cette vision. Les références croissantes à l’identité catalane comme argument
principal de l’internationalisation (par opposition à un pragmatisme économique) (A), la
mise en place de représentations du gouvernement autonomique sur le mode diplomatique
(B) ou l’action plus spécifique dans des aires où la Catalogne pourra faire valoir ses intérêts
et revendications d’autodétermination (C) forment partie de cette protodiplomatie
naissante. De plus, en analysant le cas de Diplocat (D), nous verrons que cette dynamique
devient de plus en plus explicite, nous portant alors à poser la question du niveau interne et
des relations Barcelone-Madrid (E).
(A) L'imposition de l'identité catalane comme référentiel présidant
à une internationalisation de la cause
Si la Catalogne tente de s’imposer comme un futur Etat légitime et viable, l’entrée de
l’identité en est l’un des paramètres centraux. Depuis les premiers moments du catalanisme
jusqu’au nouveau Statut d’Autonomie, la question de la « nation » catalane s’est imposée
comme un élément définissant du jeu politique dans la région. En ce sens, la montée en
puissance d’un mouvement sociétal de revendication du droit à l’autodétermination de
cette nation et la centralité du facteur identitaire et linguistique dans la Catalogne
contemporaine en viennent à mettre en avant la volonté d’internationaliser la question
catalane pour la faire valoir.
Une montée en puissance de revendications sociales du « fait différentiel » ?
Comme nous l’avons montré plus haut dans ce travail, le catalanisme et
l’indépendantisme sont devenus les principaux thèmes délimitant le jeu politique catalan
contemporain. Dès lors, la question de la définition de la nation catalane et de sa nature est
88
extrêmement importante à l’heure de comprendre les logiques de l’action internationale
catalane. Comme le mentionne Jacques Palard, la Catalogne s’est présentée dans un grand
nombre de domaines comme une « nation sans Etat »242, ayant une aspiration légitime à
l’autodétermination. Nous n’aurons pas l’occasion de reprendre les différentes théories du
nationalisme, ni les différentes conceptions de la nation telles que définies par Miquel
Caminal (culturelle, politique, juridique)243. Néanmoins, nous rappellerons les liens
importants entre conceptions sociétales de la nation et aspirations politiques, plus
particulièrement dans le cadre de la Catalogne. Le « plébiscite de tous les jours » d’Ernest
Renan244 devra donc s’analyser selon l’optique de l’influence que peut avoir une
manifestation sociale dans la prise de décision et le nationalisme des leaders politiques.
Si nous considérons que les représentations ont une influence sur les faits, il conviendra
tout d’abord de s’interroger sur la nature de l’auto-perception des Catalans, de leurs
caractéristiques principales. A un niveau différent de celui développé par Daniel-Louis
Seiler (qui cherchera à comprendre les différences organiques entre les zones d’Europe du
sud)245, nous attacherons plus d’importance à la caractéristique de la différence
« imaginée ». En effet, la Catalogne se perçoit comme différente du reste de l’Espagne. Au
niveau de sa société même, les symboles, critères d’identification ou de caractérisation des
relations sociales se posent comme distinctes de celles du voisin castillan. Comme le
mentionne Christian Lagarde, les Catalans se perçoivent comme plus Européens,
voyageurs, polyglottes alors que les Espagnols sont vus comme plus fermés246. En parallèle,
le même type d’identifications croisées se produit côté castillan, les Catalans étant souvent
critiqués pour leur avarice ou leur égoïsme. Ces représentations se sont vues accentuées par
les récentes crises entre Barcelone et Madrid, notamment au niveau du déficit fiscal.
L’Espagne a ainsi été accusée de voler l’argent durement acquis des Catalans, afin d’en
profiter. La Catalogne a, dans l’autre sens, été critiquée pour son manque de solidarité
envers l’Etat. Au-delà de ces perceptions et stéréotypes, l’idée d’une culture catalane
242 PALARD J., « Les Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes
d'échanges », op. cit., p. 670.
243 CAMINAL M., Nacionalisme i partits nacionals a Catalunya, op. cit.
244 RENAN Ernest, 11 mars 1882, discours prononcé à l'Université de la Sorbonne« Qu'est-ce qu'une
nation ? ».
245 SEILER D.-L., « Comparaison et aires culturelles régionales. L'Europe du sud et les modèles de
Rokkan », op. cit.
246 LAGARDE Christian, Identité, langue et nation. Qu'est-ce qui se joue avec les langues ?, Canet :
Editions du Trabucaïre, 2008, p. 139.
89
organiquement différente de l’espagnole a aussi son importance. Les fêtes (à l’image de la
Sant Jordi ou du 11 Septembre), les danses et autres manifestations culturelles (sardane,
castells247), la cuisine ou la langue (que nous mentionnerons plus avant dans cette section)
sont autant d’arguments selon lesquels « la Catalogne n’est pas l’Espagne ». Le terrain des
représentations politiques est aussi frappé par ce processus, et les Catalans se considèrent
souvent dominants économiquement et socialement mais dominés politiquement dans leur
région, et projettent l'image inverse sur la population castillanophone 248. Ces considérations
ont déjà des conséquences au niveau local. Ainsi, la Catalogne décide en 2010 d’interdire
les corridas sur son territoire, arguant que cette pratique ne fait pas partie de la culture
catalane249. Cette interdiction a par ailleurs été critiquée pour sa logique plus politique que
le simple objectif de défense des droits des animaux, et notamment du fait du maintien des
correbous (courses de taureaux traditionnelles des terres de l’Ebre, au sud de la
Communauté Autonome). Il apparaît donc que l'idée d'une différence s'institutionnalise,
dans les discours comme dans les actes de la société catalane. Si nous considérons d'autres
exemples de nationalismes affichant des succès relatifs, comme au Québec ou en Ecosse, il
apparaît que l'image d'une différence culturelle très profonde entre la région et l'Etat central
– et vue dès lors comme élément fondateur de deux identités concurrentes – est l'un des
grands facteurs de cohésion du mouvement, et de prise d'action concrètes.
Ces dynamiques de différenciation trouvent dans le tissu social catalan des catalyseurs
efficaces. La société catalane nous apparaît comme relativement organisée et prête à agir
indépendamment de ses décideurs, spécialement dans les questions touchant au
catalanisme. Paquin considère ainsi la Catalogne comme une « société globale » (se
rapprochant ainsi d'un modèle proche de l'Etat-nation) lorsqu'il met en avant la présence de
plus de 250 000 associations250 ou de 4 500 entreprises dans la région, largement favorisée
par les politiques autonomiques du post-franquisme251. Dès lors, cette société possède la
capacité de réunion et de mobilisation nécessaire pour exprimer une opinion forte et tenter
de se faire entendre de ses leaders. Si nous devons relativiser l'originalité de ce processus
247 Châteaux humains : pyramides humaines réalisées lors de fêtes traditionnelles.
248 LAGARDE C., Identité, langue et nation. Qu'est-ce qui se joue avec les langues ?, op. cit., p. 143.
249 Le Monde, 28 juillet 2010, « La Catalogne vote l'interdiction des corridas » ; El País, 25 juillet 2010, « El
mundo del toro solo ve motivos políticos »
250 Dans une tradition d’ « associationisme » très singulière. HACHUEL Esther, « Història local, patrimoni i
associacionisme a Catalunya », Treballs d’Arqueologia, n◦18, 2012, p. 32.
251 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 32-33.
90
de responsabilisation et d'organisation de la société catalane, vis-à-vis d'autres groupes
sociaux dont les moyens de mobilisation sont plus élevés, il nous semble que la société
catalane possède les moyens de se positionner dans la logique identitaire. Reprenant
l'argumentaire de Montserrat Guibernau, selon laquelle la présence préalable de structures
nationalistes a permis au catalanisme de renaître pendant la dictature, nous pouvons
supposer que l'existence d'organisations sociales en Catalogne permettra de canaliser des
aspirations d’autodétermination ou facilitera la création de nouvelles structures à ces fins.
L'exemple de l'ANC, que nous avons déjà mentionné dans le premier chapitre de notre
étude, est l'un des plus pertinents dans l'analyse de ces processus. Par l'organisation
d'événements (pour le 11 septembre par exemple) ou la mise en place de campagnes de
communication (affichage, spots, réseaux sociaux), l'association – qui se dit complètement
séparée de toute logique partisane – a réussi à remettre à l'avant de l'agenda politique
catalan la question de l'indépendance de la région. De même, lorsque des consultations sur
l'indépendance (mais sans conséquences juridiques) sont organisés par des groupes
nationaux et locaux, la société civile montre son désir d'être entendue 252, malgré une
participation relativement faible à ces votes (18,92%, dont 91,74% de votes favorables en
2011)253. L’ANC collabore par ailleurs étroitement avec Omnium Cultural254, association
visant à défendre le catalan et son expression qui lui est antérieure. Basée sur l’ensemble
du territoire catalan, Omnium Cultural permet ainsi de compléter le maillage d’un réseau
d’associations pro-indépendance qui, depuis le territoire catalan, peuvent s’étendre et
participer au rayonnement du mouvement hors des frontières de la région.
Mais c'est aussi au niveau individuel que cette volonté identitaire se manifeste. Depuis
quelques années, les drapeaux aux couleurs de la Catalogne se sont multipliés aux balcons
des résidences catalanes, certains allant jusqu'à arborer l'estelada255, réclamant ainsi
explicitement l'indépendance de la région. De même, l'importance des manifestations
récentes autour du 11 septembre témoignent de cette montée en puissance de l'idée que la
Catalogne doit avoir le droit à décider de son futur politique (l'un des slogans étant « Som
252 The Guardian, 10 avril 2011, « Barcelona votes on Catalan independence from Spain ». L'ANC
revendique ces consultations (de 2009 et 2011) affirmant être l'héritière de ces mouvements :
http://assemblea.cat/quisom.
253 El Punt/Avui, « 10A : tot sobre la consulta per la independència ».
254 http://www.omnium.cat.
255 Le drapeau indépendantiste. Voir Annexe 2 pour les principaux drapeaux du mouvement catalaniste.
91
una nació, nosaltres decidim »256). En 2013, une chaîne humaine, la Via Catalana per la
Independència257 parvient à s'étirer des limites méridionale et septentrionale de la
Communauté Autonome. La Via était par ailleurs organisée par l'ANC, qui espère pouvoir
répéter l'expérience en 2014, à l'occasion des trois-cents ans de la chute de Barcelone
(1714). Il nous semble donc que, pour des raisons diverses que nous ne pourrons aborder
ici (conditions économiques, politiques du centre, sentiment d'abandon ou opportunités
offertes par la mondialisation), la société catalane souhaite faire savoir dans et hors de ses
frontières qu'elle entend lancer un mouvement d'autodétermination. Ce mouvement
croissant est bien résumé par la phrase d'un couple de barcelonais, fils d'immigrés
andalous : « nous n'avons jamais été indépendantistes, ni ne nous sommes sentis
complètement ''catalans''. Mais, vu comment le gouvernement traite la Catalogne, nous
commençons à nous sentir catalans et à croire que les choses iraient mieux hors
d'Espagne »258.
Il est alors difficile de croire que ces dynamiques n'auront pas de conséquences au
niveau des décideurs politiques. Ainsi, dans l'un des entretiens que nous avons réalisés, un
officiel de la délégation catalane au Royaume-Uni dira : « depuis, il y a eu une succession
de faits historiques qui ont fait que la majorité de la population catalane a un projet
commun : effet de cohérence démocratique, que les partis souverainistes soient plus unis
que jamais »259.
Les représentations et les dynamiques sociales semblent donc bien être liées. Toutefois,
comme le formule Emmanuel Bouju, « le rapport entre la littérature et la société ne ressortit
aucunement à quelque causalité linéaire ni à quelque déterminisme univoques »260. En
d'autres termes, nous ne saurions établir définitivement la nature ou la direction de ce lien.
Ainsi, parmi les éléments centraux promus par les mouvements identitaires, la culture,
256 «Nous sommes une nation, nous décidons ».
257 Voie catalane pour l'indépendance. Les chiffres concernant le nombre de personnes présentes en 2013 le
long des 400 kilomètres séparant les frontières sud et nord de la Catalogne : la Generalitat avance une
participation de 1,6 millions de personnes, alors que le gouvernement central la réduit à 600 000. El
Periódico, 13 septembre 2013, « La sucesiva guerra de cifras ».
258 Entretien réalisé avec F. et G.
259 Entretien avec D., officiel de la représentation de la Catalogne pour le Royaume-Uni et l'Irlande.
260 BOUJU Emmanuel, Réinventer la littérature : démocratisation et modèles romanesques dans l'Espagne
post-franquiste, Toulouse : PUM., 2002, p. 325-327, cité par CORRONS Fabrice, Le théâtre catalan
actuel (1980-2008) : une pratique artistique singulière ? L'étude de la relation théâtrale chez Sergi
Belbel et Lluïsa Cunillé, deux auteurs de l' « Escola de Sanchis », thèse de doctorat inédite, Université de
Toulouse-le Mirail, 2009, p. 17.
92
comme mentionnée plus haut, et plus particulièrement la langue, occupent une place
déterminante.
La langue, élément définissant de l'identité catalane et sa diffusion
Reprenant les conclusions que nous avons tirées des chapitres et sections précédents, il
nous semble bien que la langue est l'un des facteurs les plus importants de la définition
sociale, historique mais aussi politique de la Catalogne et donc, par extension, de la
projection internationale de celle-ci. Si l'histoire de la Catalogne nous enseigne certaines de
ses spécificités, qui sont mises en avant dans les discours et les actes des dirigeants de la
région, ceux-là même s'appuyant sur la conscience sociale d'un fait culturel différentiel du
reste de l'Etat espagnol, l'existence d'un moyen de communication exclusif à la
communauté de la nation minoritaire devient à la fois facteur d’unification de cette
communauté, spécificité à protéger et argument de justification d'une recherche
d'autonomie et d'indépendance.
Nous nous proposons donc de remonter la chaîne suivante : si, comme nous le
supposons, l'un des facteurs importants de l'internationalisation de l'action catalane (et de
l'accélération de celle-ci) est le sentiment identitaire grandissant tant dans la société que
chez les élites politiques régionales, et si la question de la langue, de sa pratique et de sa
diffusion, est centrale dans la définition de l'identité d'un groupe humain, alors la défense
d'une identité linguistique inscrite dans le mouvement nationaliste catalan peut-être l'un des
éléments fondateurs de la paradiplomatie actuelle. Tisser des liens trop directs entre les
variables nous apparaît peu avisé dans le contexte de ce mémoire de recherche, toutefois il
semble aussi important de reconnaître le possible apport d'un élément dans la
compréhension du phénomène que nous étudions. De plus, plusieurs auteurs apportent des
éclairages intéressants sur la relation entre pratique de la langue, nationalisme et
revendications identitaire. Christian Lagarde exprime ainsi la force du lien entre langue,
culture, identité et expression politique, en ce que la langue participe de la définition du
« nous » par rapport aux « autres »261. Il ajoute par ailleurs que « l'identité linguistique est la
forme la plus tangible de l'identité culturelle »262 dans la mesure où elle permet de projeter
une vision du monde partagée et d'unir le groupe autour de caractéristiques communes. Or
261 LAGARDE C., Identité, langue et nation. Qu'est-ce qui se joue avec les langues ?, op. cit., p. 6 et 41.
262 Ibid., p. 59.
93
à l'heure ou la question identitaire envahit le débat public catalan, le paramètre linguistique
ne peut être ignoré. Etendant ces réflexions à la question des relations internationales des
régions, Bernard Gagnon et Jacques Palard ajouteront que les instances linguistiques ont un
rôle très important dans la politique étrangère des entités subétatiques 263. Les
revendications des droits linguistiques d'un idiome dominé forment alors partie intégrante
de la stratégie internationale de la région, tout comme le rayonnement économique ou
culturel – le Québec en fera ainsi la preuve dans les forts liens qu'il tisse avec la France et
avec le monde francophone, incluant l'Organisation Internationale de la Francophonie264.
Quel sens donner à ces constatations au niveau de la Catalogne ? Tout d'abord, nous
devons souligner que le catalan se trouve dans une situation spécifique. Langue parlée par
environ dix millions de personnes265, elle dispose de statuts très différents selon la zone
considérée : co-officielle en Catalogne autonomique dans les Iles Baléares et la
Communauté Valencienne (même si ces variantes de la langue ont moins de poids que dans
l’ancienne Principauté), langue régionale inscrite dans la loi aragonaise ne jouissant pas
d’un statut co-officiel266, officielle en Andorre, reconnue dans la région d'Alghero (en
Sardaigne267), elle ne commence à être introduite que très récemment et de façons limitée
dans
les
usages
officiels
et
administratifs
du
le
département
français
des
Pyrénées-Orientales (enseignement scolaire, documents bilingues)268. C'est peut-être cette
différence de statut officiel et l’existence de zones ou le catalan est peu protégé qui pousse
les leaders catalans à tenter de la défendre d'une façon particulièrement forte, malgré le fait
que la Communauté Autonome soit l'une des zones où elle est le mieux protégée. Depuis
Pompeu Fabra, qui le codifie pour la première fois en 1913, le catalan a vécu des périodes
de reconnaissance et de limitations, mais n'a pas cessé d'être un marqueur de l'identité
locale, et l'un des moyens les plus diffusés de revendiquer son héritage culturel (à l'image
du maintien de la langue dans la sphère privée pendant la dictature) 269. Dans la période
263 GAGNON B. et PALARD J., « Relations internationales des régions et fédéralisme. Les provinces
canadiennes dans le contexte de l'intégration nord-américaine », op. cit., p. 171.
264 Ibid., p. 171.
265 NORTH Xavier (dir.), « Le Catalan », Langues et cité (Bulletin de l'observatoire des pratiques
linguistiques), n° 21, novembre 2012, p.1.
266 Loi 10/2009, de 22 de décembre, de uso, protección y promoción de las lenguas propias de Aragón.
267 Loi régionale (11 septembre 1997) de Promozione e valorizazzione della cultura e della lingua della
Sardegna. Statut municipal de l’Alguer (1991), article 9.
268 ALMARCHA PARIS Miriam et BAYLAC FERRE Alà, « La Langue des pays catalans », in NORTH
Xavier (dir.), « Le Catalan », op. cit., p. 2.
269 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 91.
94
contemporaine et alors que la globalisation change la nature des relations au niveau
international, il semble donc logique que la langue comme expression de l'identité s'adapte,
et tente de se projeter au-delà des frontière étatiques.
Dès lors, nous pourrons tenter d'établir le lien suivant, en relation avec celui posé plus
haut dans ce point : les mesures de promotion et d'expression linguistique sont la
manifestation d'une volonté de reconnaissance de la différence, et de valorisation de celleci. Ainsi, lorsque Raül David Martinez, directeur de l'Institut Ramon Llull à Paris
mentionne la mise en place d'un nom de domaine « .cat » en 1995 ou la création d'une page
de l'encyclopédie en ligne Wikipedia dans la langue, le délégué catalan s'inscrit dans cette
logique d'insertion du catalan dans les dynamiques technologiques contemporaines, et donc
participe de l'internationalisation de la question identitaire270. La promotion linguistique fait
par ailleurs partie des trois grands axes d'action de l'Institut, ayant pour objectif de « former
des spécialistes, afin qu'ils connaissent et diffusent la culture catalane […] per des
ramifications, réseaux et autres moyens de diffusion »271.
Nous avons aussi remarqué dans notre analyse des discours d'Artur Mas dans les
dernières années, que la question de la langue apparaît de plus en plus fréquemment. En
effet, lors de son second discours d'investiture en 2012, Mas n'a prononcé le terme de
llengua qu'une fois272. Un an après, pour la Sant Jordi, il appelle explicitement à la défense
de la langue273. Si le Président de la Generalitat doit effectivement centrer son discours sur
la langue et la culture à l’occasion d’une fête spécifiquement catalane, sa Crida à des
actions concrètes dans la sphère publique nous semble aller plus loin que la simple
exaltation d’une caractéristique propre au groupe. Enfin, lors de son discours de politique
générale au Parlement du 25 septembre, les termes de « langue » et de « catalan »
apparaîtront neuf fois, dont dans la phrase suivante :
270 « Entretien avec Raül David Martínez, délégué de l'Institut Ramon Llull à Paris », in NORTH Xavier
(dir.), « Le catalan », op. cit., p. 9.
271 Entretien réalisé avec C. responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l’étranger.
272 MAS Artur, 24 décembre 2012, « Discurs del president de la Generalitat, Artur Mas, en la presa de
possessió del càrrec », p. 5.
273 MAS Artur, 23 avril 2013, « Crida de Sant Jordi del president de la Generalitat », p. 2.
95
« Pour cela nous lutterons avec force pour que la réalité de la langue
catalane soit de plus en plus connue et reconnue par la communauté
européenne et internationale »
Il nous semble alors que cette phrase résume les différentes dynamiques que nous avons
décrites dans cette partie : un attachement très fort à la langue comme facteur identitaire
(selon, comme le dit Guibernau, une identification émotionnelle 274) qui sans aucun doute
contribue à cette recherche de reconnaissance par-delà les frontières. Dans une logique
protodiplomatique, avoir sa langue acceptée par le reste des acteurs internationaux semble
extrêmement important en termes de crédibilité, et ce alors que le catalan souffre d'une
ignorance internationale assez importante. De par sa proximité avec d'autres langues
latines, notamment l'espagnol, il risque fortement d’être réduit à un dialecte dans la vision
de nombre de pays européens, et très souvent entièrement assimilé au castillan au-delà des
frontières de l'Union. Dès lors, on comprend aisément que la candidature du catalan
comme langue communautaire européenne soit l'une des manifestations les plus poussées
de cette recherche de légitimité internationale.
La culture, la langue, et les aspirations politiques de la Catalogne vont donc tenter de
s'internationaliser, de se faire connaître en tant que phénomène propre (non lié au reste de
la péninsule ibérique) plutôt que de rester uniquement dans le cadre de l'Etat espagnol.
Favoriser la formation à la culture catalane à l’étranger contribue ainsi à la constitution de
groupes d’individus en contact avec celle-ci. Ces dynamiques peuvent alors s’intégrer dans
un mouvement visant à internationaliser le « fait différentiel », non seulement pour
échapper à un contrôle ou à des limitations étatiques, mais aussi pour le faire connaître des
partenaires étrangers.
Internationaliser la cause catalane comme moyen de la faire connaître
Comme nous l’avons remarqué dans les sections précédentes de ce travail, la question
de l’internationalisation a une importance particulière en Catalogne. Puisque la région se
considère différente des autres, ouverte sur le monde et plus spécifiquement sur l’Europe,
elle compte sur le niveau international et sur ses changements comme sur un tremplin pour
faire valoir ses aspirations. En ce sens, la projection identitaire et la recherche d’une
connaissance internationale de la réalité catalane nous sembleront être des objectifs
274 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 59-60.
96
prioritaires pour le décideur catalan. Le « catalanisme-internationalisme » mentionné
précédemment a largement compté sur le soutien extérieur pour donner à la Catalogne les
droits qu’elle réclame. Dès la période suivant la Première Guerre Mondiale et la conférence
de la Paix de Paris (1919), les leaders catalans définissent une stratégie de « projecció
exterior del moviment nacional català » ayant pour objectif non seulement la poursuite des
aspirations catalanes au-delà des frontières, mais aussi la diffusion d’une connaissance de
la « realitat catalana »275. De même, lorsque Carles Pi i Sunyer représente la Generalitat
en Angleterre et envoie une série de rapports au Foreign Office afin de lutter contre l’image
négative de la Catalogne présente à l’époque, il s’inscrit dans cette initiative de promotion
de l’image catalane à l’étranger276.
Ce phénomène a été théorisée par Joseph Nye, dans son article de 1991 intitulé « Soft
power »277. Selon ce théoricien, les Relations Internationales contemporaines ne sont plus
uniquement gouvernées par l’exercice de la force (qu’elle soit militaire, politique ou
économique), mais aussi par l’image et par l’attractivité que les acteurs arrivent à
développer. Ainsi, la reconnaissance culturelle, l’attrait économique et une perception
positive par les autres acteurs peuvent permettre d’obtenir des résultats de politique
internationale aussi voire plus efficaces que l’emploi de la force. Cette théorie est
développée sur la base du constat de changements importants survenus dans l’aire
internationale suite à la chute de l’Union Soviétique. Dans un contexte où les Etats-Unis
n’ont plus d’ « ennemi » direct, et où la multiplication des relations sociales et
communicationnelles internationales crée des flux d’information toujours plus importants,
un pays trop actif militairement se verrait isolé vis-à-vis des autres Etats et acteurs de la
sphère internationale. En revanche, la projection d’une image positive, d’un modèle à
suivre peut amener ces acteurs à valoriser et à suivre la position proposée. Dès lors, nous
pouvons étendre l’analyse de Nye aux logiques de l’apparition de nouveaux acteurs dans
les Relations Internationales, dont les collectivités territoriales font partie. Prenant
l’exemple de la Catalogne, il semble évident que, n’ayant pas la possibilité d’agir
militairement ou selon aucune des prérogatives régaliennes (citoyenneté, diplomatie
275 BALCELLS A., « La Conferència de pau a París (1919). Catalunya i la Societat de Nacions », op. cit., p.
90-91.
276 DIAZ ESCULIES D., « La Lluita per la internacionalització de la qüestió catalana durant el franquisme
(1939-1955) », op. cit., p. 118-119.
277 NYE J., « Soft power », op. cit..
97
officielle par exemple), elle doit trouver d’autres moyens de s’imposer dans la sphère
internationale. Par conséquent, la projection d’une image positive est tout aussi importante
que la création de réelles structures proches de celles de l’Etat national. La question de la
promotion internationale de la cause catalane – dans le but de la faire connaître – devient
ainsi centrale, et suppose, comme le montre Paquin, de réussir à s’insérer dans la
mondialisation – ne pas le faire serait laisser le champ libre à l’administration centrale –
tout en gardant ses spécificités culturelles278.
Comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, c’est la présidence de Jordi Pujol qui
a lancé l’action internationale de la Catalogne. Par ailleurs, en se présentant comme la
figure de la communauté catalane, sa représentation devant les autres acteurs, il a aussi
amorcé cette internationalisation de la cause. Pujol s’est en effet forgé une stature de chef
d’Etat, qui lui a permis de mettre en place sa stratégie visant avant tout à faire connaître la
Catalogne à l’étranger, dans sa perspective de « fer país »279. Il multipliera ainsi les voyages
à l’étranger, aura à cœur de rencontrer des officiels, voire des Chefs d’Etats 280, mettant
toujours en avant les intérêts de la Catalogne, sa culture et son projet de futur.
Ces dynamiques seront par la suite poursuivies par les successeurs de Pujol et plus
particulièrement dans les années récentes par la présidence Mas. Selon notre analyse, les
conditions internationales sont en effet encore plus favorables à la promotion d’une
connaissance et d’une reconnaissance de la nation catalane à l’étranger qu’elles ne l’étaient
à la fin du XXème siècle. Du fait de la remise en cause du rôle de l’Etat-nation, mais aussi
de la révolution des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, les
possibilités se sont multipliées. Or, comme nous l’avons vu, la variable identitaire, qui
avait déjà son importance en Catalogne, est devenue encore plus centrale dans ce contexte
de crise de l’Etat espagnol. En parallèle, nos constatations précédentes ont mis en lumière
une forte tendance des élites catalanes à utiliser les moyens à leur disposition pour agir hors
278 LACHAPELLE Guy, « Identity, integration and the rise of identity economy. The Quebec case in
comparison with Scotland, Wales and Catalonia » in LACHAPELLE Guy et TRENT John,
Globalization, Governance and Identity. The Emergence of New Partnerships, Montréal : Les Presses de
l’Université de Montréal, 2000, p. 228, cité par PAQUIN S., « La paradiplomatie identitaire : Le Québec,
la Catalogne et la Flandre en relations internationales », op. cit., p. 209.
279 Faire pays. Idée d’activisme culturel et de promotion de celui-ci, afin d’unifier la communauté autour
d’un projet. L’internationalisation fait partie de cette stratégie.
280 PAQUIN S., « La Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », op. cit., p. 209.
98
des frontières étatiques. Dès lors, nous remarquerons que, au-delà des aspirations de
« présence internationale », c’est l’ambition d’ « internationalisation » de la Catalogne qui
transparaît dans les discours et les actes des leaders catalans. Ainsi, pour les deux discours
dont nous avons étudié un extrait, les termes d’ « internationalisation », « international » et
du « monde » comme objectif de développement catalan seront mentionnés 281. De même,
lors de l’un de nos entretiens, A. de Diplocat nous expliquera que le premier des grands
axes de son institution se nomme « internacionalització de Catalunya », dans une
perspective d’« expliquer la Catalogne au monde »282. Il nous semble alors que cet objectif,
placé au premier plan des nouvelles dynamiques de projection internationale de la
Catalogne (Diplocat est un organe très jeune) est un indicateur de la nature de son action à
l'étranger, et de la logique d'une recherche de légitimation extérieure de ses revendications.
Or, ces revendications sont bien actuellement celles de la tenue d’un référendum
d’autodétermination. Dès lors, sur la base de nos hypothèses, nous pouvons conclure ici
que l'accentuation d’un sentiment nationaliste-indépendantiste a eu des conséquences sur la
formulation des stratégies internationales de la communauté catalane, visant ainsi à faire
accepter la légitimité de ce référendum aux partenaires étrangers (en se concentrant plus
particulièrement sur certains d’entre eux comme nous le verrons par la suite).
Reprenant les propos de Montserrat Guibernau, qui considère que la définition d’un
groupe social comme une nation confère à ce dernier la légitimité pour aspirer à l’autogouvernement ou à la constitution d’un Etat-nation283, nous étendrons cette constatation au
fait que la nation doit aussi être reconnue par les reste des acteurs pour que cette légitimité
puisse avoir des conséquences concrètes. Néanmoins, nous pensons que la recherche de
reconnaissance ne suffit pas pour affirmer que la Catalogne est dans un processus de
passage d’une paradiplomatie identitaire à un début de protodiplomatie : elle doit pouvoir
créer des structure institutionnelles proches de celles de l’Etat afin de se rapprocher le plus
possible des domaines de compétences régaliennes.
281 22 occurrences en 2013, 37 en 2012.
282 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
283 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 25.
99
(B) Le développement d'une représentation étrangère catalane sur
le mode diplomatique ?
La politique étrangère catalane doit en effet passer du statut de phénomène marginal
des Relations Internationales, conséquence des changements survenus dans cette aire, à
celui de stratégie institutionnelle concrète et efficace. Si Jordi Pujol s’est attaché à
fragmenter l’action étrangère catalane, afin d’éviter les blocages par le gouvernement
central, ce choix politique semble être en train de changer, et une réelle administration de
politique étrangère se met en place. Ce processus d’institutionnalisation est ainsi illustré
pas la constitution de délégations du gouvernement catalan à l’étranger, au rôle proche de
celui d’un diplomate.
L'institutionnalisation d'une administration de politique étrangère en Catalogne
Il nous apparaît en effet que la Catalogne tente de dépasser les limites des compétences
qui lui sont attribuées par la Constitution espagnole et par son statut d’autonomie, selon
une logique de pérennisation de l’action internationale. En lien avec les questions de
l’image et de la culture mentionnées plus haut, la première étape de ce processus, comme le
note C., officiel de l’Institut Ramon Llull, est celle de la création d’une relation de
« confiance » avec les partenaires284. En effet, pour que l’action internationale catalane soit
complètement légitimée, celle-ci doit prouver qu’elle constitue un partenaire efficace et
crédible, dans toutes les aires où elle s’investit. Nous avons ainsi eu l’occasion d’entendre
le même argument de confiance dans les entretiens que nous avons eu avec les délégations
catalanes à l’étranger (Paris, Berlin, Londres et Bruxelles), ainsi que lors de notre rencontre
avec les officiels de Diplocat. La question est ici particulièrement importante car, dans son
processus même, elle est la preuve de la capacité ou de l’incapacité d’une structure
politique à participer à des actions de type « diplomatique ». Ainsi, les projets proposés par
la Catalogne, sa participation à des forums de haut niveau, à des organisations
internationales ou la mise en place de structures propres devront jouer le double jeu de la
promotion de la spécificité catalane, dans un respect des positions de ses partenaires et en
évitant l’opposition frontale avec les officiels espagnols. C’est cette action qui sera le cœur
de certaines des institutions formées par la Catalogne, et la recherche de légitimité pourra
284 Entretien réalisé avec C. responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l’étranger.
100
devenir un objectif en soi. Considérant que, même si le champ international s’est beaucoup
élargi dans les dernières années, celui-ci reste tout de même limité à certains acteurs, le
statut d’interlocuteur régulier aura une portée symbolique particulière. Or, pour devenir cet
interlocuteur crédible, et pouvoir agir et être entendu dans cette sphère, tout acteur a
besoins d’institutions solides.
Dans le cas de la Catalogne le fait que l’une des compétences données par le Statut d’
Autonomie concerne la mise en place d’institutions285 permet de faciliter ce mouvement de
structuration de l’action étrangère. Il se développe tout d’abord par la mise en place d’un
service administratif entièrement dirigé vers les Relations Internationales. La Secretaría
d’Afers Exteriors i de la Unió Europea286 constitue le premier pas vers la mise en place
d’un service d’action internationale. Sous la direction du Departament de la
Presidència287(qui lui donne par ailleurs une reconnaissance symbolique forte), il tente
d’apporter des solutions à l’état de fait de la désorganisation de l’action internationale
catalane. Alors qu’anciennement la projection internationale était une compétence du
Departament de la Presidència, sans spécification d’un organe particulier, cette Secretaría
permet de donner un visage et une structure à la politique étrangère catalane. La
nomination au poste de Secrétaire de Roger Albinyana288, jeune membre du gouvernement
catalan, illustre aussi cette volonté de redynamiser l’international au sein de
l’administration autonomique. Par ailleurs, deux éléments sont à remarquer concernant
cette structure :
•
Dans son texte d’ouverture du site web de la Secretaría, Albinyana ne fait
aucune référence à l’Etat espagnol. Il se concentre uniquement sur la
Catalogne et argue que : « l’action extérieure est un instrument qui doit être
au service des nécessités de notre pays […] et des intérêts de ses citoyens.
[…]. En dernier lieu, nous sommes en train de transmettre aux acteurs
européens et internationaux ce que pense et ce qu’espère la Catalogne,
285 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 29-30.
286 Secrétariat aux Affaires Extérieures et à l’Union Européenne ; http://afersexteriors.gencat.cat.
287 Département de la Présidence, niveau directement inférieur à celui du Président. Le Conseiller à la
Présidence (Francesc Homs à l’heure où ce mémoire est écrit) a des attributions proches d’un Premier
Ministre (soutien au Président, coordination des autres Conseillers, représentation du gouvernement entre
autres) ; http://www.gencat.cat/presidencia.
288 http://afersexteriors.gencat.cat/ca/secretaria_d_afers_exteriors_i_de_la_unio_europea/el_secretari/ .
101
puisque ses citoyens se sont explicitement prononcés en faveur de l’exercice
d’un droit à décider »289. Ce propos confirme ainsi par la voie
institutionnelle les suppositions que nous avions faites plus haut dans cette
étude (lien entre revendications sociales, positionnement des leaders et
expression de l’action internationale).
•
Le Secrétaire se comporte de plus en plus, nous semble-t-il, sur le mode du
Ministre délégué aux Affaires Etrangères. Au-delà des positions
officiellement exprimées (promotion touristique et autres initiatives pouvant
se rapprocher de la paradiplomatie), il tente de s’intégrer dans les grands
débats internationaux, publiant des communiqués sur la situation dans la
bande de Gaza suite à la guerre avec Israel 290 ou sur la chute du vol MH17
en Ukraine291 par exemple.
Ce Secrétariat nous apparaît par ailleurs très fortement lié à Francesc Homs, du fait non
seulement du lien hiérarchique direct entre les deux services, mais aussi parce que, comme
nous l’avions mentionné, l’action internationale est vue comme l’un des points focaux dans
la légitimation du processus de dret a decidir (notamment dans le cadre de l’Union
Européenne et de l’intégration dans les instances communautaires d’une Catalogne
indépendante). Si ces dynamiques doivent être fortement relativisées (le Secrétaire aux
Affaires Extérieures n’ayant pas le statut formel de Conseiller), elles prouvent néanmoins
cette volonté d’étendre et d’institutionnaliser la paradiplomatie catalane sur un modèle
proche de celui d’un gouvernement étatique.
Par ailleurs, le nombre et l’aire d’action des autres structures de projection
internationale dépendant de la Generalitat catalane méritent que l’on s’y attarde. Nous en
avons déjà décrit une partie dans les sections précédentes, mais nous aimerions aller plus
loin et porter la comparaison à des structures semblables dans d’autres Etats. Ainsi, la
Catalogne s’est dotée d’une Agència Catalana de Cooperació al Desenvolupament292
(ACCD) visant à être « le principal instrument permettant au Gouvernement et aux
289 Ibid.
290 http://premsa.gencat.cat/pres_fsvp/AppJava/notapremsavw/detall.do?
id=273641&idioma=0&departament=42&canal=43.
291 http://premsa.gencat.cat/pres_fsvp/AppJava/notapremsavw/detall.do?
id=273096&idioma=0&departament=42&canal=43.
292 Agence Catalane de Coopération pour le Développement : http://cooperaciocatalana.gencat.cat/ca.
102
citoyens catalans de participer à l’engagement de la communauté internationale [à aider]
les peuples à travers le monde »293. Si l’aide au développement fait bien partie des
compétences allouées à la Catalogne, et si Paquin la considère comme une partie de la
paradiplomatie positive pour le gouvernement central, il est difficile de ne pas faire le lien
avec d’autres modèles d’agences étatiques travaillant sur le développement (à l’image de
l’Agence Française de Développement) d’autant plus que, à l’inverse d’autres Agences de
Coopération au Développement des Communautés Autonomes, l’ACCD fait explicitement
référence à une politique de développement ouvrant les citoyens catalans au champ
international (l’agence d’Extrémadure, par exemple, mentionne uniquement des objectifs
de développement sans faire référence à l’insertion de la société de la Communauté
Autonome dans le monde de l’aide). Plus récemment, la Catalogne a mis en place un
registre des catalans à l’étranger (se rapprochant ainsi du modèle consulaire) 294, et a
approfondi sa structure d’action internationale par la mise en place d’une Direction aux
Affaires Multilatérales et Européennes avec l’objectif affiché de « donner de la cohérence »
à l’action internationale catalane295. Ces initiatives nous paraissent alors tenir non pas de la
recherche de l’amélioration de la position de la région dans le cadre de l’Etat, mais bien de
la mise en place de structures tendant à concurrencer ce dernier et à chercher à le dépasser
dans des domaines qui devraient être de sa compétence propre. En ce sens, la mise en place
d’un mode de représentation de type diplomatique doit recevoir une attention particulière.
Cas d’étude : les délégations de la Generalitat à l’étranger.
Les délégations du gouvernement catalan à l'étranger nous apparaissent en effet comme
certains des meilleurs exemples à même de confirmer notre propos et de vérifier nos
hypothèses quant au lien entre nationalisme et activité internationale. Ces délégations sont
relativement jeunes (moins de dix ans) et implantées dans les villes suivantes : Paris (pour
la France et la Suisse), Londres (Royaume-Uni et Irlande), Berlin (Allemagne et Autriche),
Bruxelles (Union Européenne) et New York/Washington D.C. (Etats-Unis). Nous avons pu
au cours de notre étude, obtenir des entretiens avec quatre de ces cinq délégations, et
supposerons ainsi que les éléments que nous avons réunis et les conclusions que nous en
293 Ibid.
294 http://premsa.gencat.cat/pres_fsvp/AppJava/notapremsavw/detall.do?
id=270375&idioma=0&departament=42&canal=43.
295 http://premsa.gencat.cat/pres_fsvp/AppJava/notapremsavw/detall.do?
id=270402&idioma=0&departament=42&canal=43.
103
tirerons sont relativement pertinentes à l'heure d'analyser la projection étrangère catalane
dans cette aire.
Les premières délégations du gouvernement catalan sont mises en place en 2004 (pour
la délégation à Bruxelles)296 et en 2008 par des décrets du Département de la Présidence,
pour la représentation en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux Etats-Unis297. Ces
décrets et leurs modifications subséquentes298 deviendront ainsi la base de fonctionnement
de ces structures. Selon eux, les délégations ont pour fonctions principales de coordonner
l’action extérieure catalane, de suivre et évaluer ses réalisations (tant vis-à-vis d’autres
régions, des comunitats catalanes de l’exterior299 ou dans la participation à d’autres
mécanismes ou organisations internationales), de donner de la visibilité à la région, de
défendre ses intérêts (qu’ils soient politiques, économiques ou culturels par exemple) et de
promouvoir son image internationale. Les délégations tentent ainsi de se poser, comme
nous l’explique D. de la Generalitat au Royaume-Uni, comme les réels représentants du
gouvernement catalan à l’extérieur (se rapprochant alors du mode diplomatique) et de
consolider leur structure comme les principaux référents de la Catalogne dans les pays où
elles sont implantées300. Les délégations sont hiérarchiquement rattachées au Secrétariat
aux Affaires Extérieures, et par extension au Département de la Présidence. C’est donc un
nouveau niveau dans l’organisation institutionnelle de la Communauté Autonome qui se
met en place. Si nous reprenons la sous-partie précédente, concernant la question de la
structuration de la paradiplomatie catalane face à son fractionnement originel, il nous
semble que ce niveau est une nouvelle strate qui structure les mécanismes de projection. En
effet, un niveau intermédiaire, permettant de relayer les instructions données par le
gouvernement, et agissant aussi comme plateforme de centralisation des projets des
différentes représentations sectorielles, peut tendre à améliorer le degré de cohérence de ces
institutions et leur efficacité. Ainsi, les délégations de la Catalogne jouent le rôle de
296 Decret 314/2004, de 22 de juny, de creació de la Delegació del Govern de la Generalitat a Brussel·les.
297 Decret 49/2008, d’11 de març, de creació de la Delegació del Govern de la Generalitat a França ;
Decret 50/2008, d’11 de març ,de creació de la Delegació del Govern de la Generalitat al Regne Unit ;
Decret 51/2008, d’11 de març, de creació de la Delegació del Govern de la Generalitat a Alemanya ;
Decret 179/2008, de 9 de setembre, de creació de la Delegació del Govern de la Generalitat als Estats
Units d’Amèrica.
298 Decret 195/2013, de 16 de juliol, de modificació parcial dels decrets de creació de les Delegacions del
Govern de la Generalitat.
299 Communautés catalanes de l'extérieur.
300 Entretien avec D., officiel de la représentation de la Catalogne pour le Royaume-Uni et l'Irlande.
104
catalyseur des différentes dynamiques de paradiplomatie, tout en intégrant dans ces
logiques une certaine politisation et un lien avec les leaders d’opinion en Catalogne. Ce
sont donc bien, comme nous le confirmeront nos entretiens, des institutions extrêmement
liées au champ politique catalan, qui tentent de se poser comme structures inclusives,
générales et positionnées à un niveau semblable à celui des représentations diplomatiques.
Dans les présentations que nous ont faites les différents officiels catalans à l’étranger, il
est vrai que l’idée diplomatique est particulièrement présente. Tous nous présentent ainsi
leur rôle comme avant tout celui d'incarner image de leur gouvernement devant les officiels
des pays d’accueil. De surcroît, la recherche de soutiens et la création de contacts aux plus
hauts niveaux de l’échiquier politique de ces Etats constituent la seconde facette de leurs
attributions. Ainsi, la délégation en Angleterre exprime l'objectif de « faciliter les relations
bilatérales avec le Royaume-Uni et l’Irlande, […] représenter et développer les intérêts de
la Généralité sur le territoire […] aider les entités et entreprises catalanes sur le territoire »,
ou tout simplement de « faire connaître la Catalogne à l’ensemble du corps diplomatique
présent dans le pays »301. De même, la délégation en France emploiera les termes de
« représentation institutionnelle » devant le gouvernement français (E. mentionnera par
exemple des rencontres avec des parlementaires, avec le Président de l’Assemblée
Nationale Claude Bartolone ou avec d’autres personnalités politiques), de « politique
extérieure » et se définira comme une « ambassade »302. Les mêmes éléments seront par
ailleurs mentionnés par les délégations allemande ou belge. La délégation devant l’Union
Européenne jouera avant tout le rôle de lien avec les structures dans lesquelles la Catalogne
est présente – comme le Comité des Régions – ainsi que celui de lobby devant les instances
communautaires. Le représentant de la Generalitat à l'étranger possède aussi d'autres
caractéristiques assimilables à l'idéal-type du poste diplomatique. Le délégué en lui-même
nous apparaît comme un ambassadeur à sa propre échelle. Lors de nos entretiens, nous
avons par exemple entendu qu’ils étaient nommés par les instances politiques catalanes –
alors qu’un agent administratif aurait obtenu le poste par l’expérience – que leurs
possibilités de carrière leur offraient une grande mobilité (le représentant au Royaume-Uni
est arrivé en 2013, celle en Allemagne en 2012 et prévoyait déjà un mouvement futur vers
un autre pays), à l’image d’un diplomate en poste pour quelques années, puis muté dans un
301 Entretien avec D., officiel de la représentation de la Catalogne pour le Royaume-Uni et l'Irlande.
302 Entretien réalisé avec E., officiel de la représentation de la Catalogne pour la France et la Suisse.
105
autre Etat. Enfin, les délégations jouissent d’une autonomie et d’une marge de manœuvre
relativement importante. E. de la délégation parisienne affirmera ainsi que sa structure a
l’initiative des projets qu’elle entreprend (après une consultation de Barcelone dont la
réponse lui est apparue « toujours positive »)303 et qu’elle a la possibilité de prendre des
décisions importantes elle-même, notamment dans les relations avec les partenaires. La
seule aire qui reste totalement soumise à la volonté du gouvernement est –là encore, à
l’image d’une représentation diplomatique – celle du champ politique.
Or, le champ politique catalan est aujourd’hui principalement centré sur la question de
l’indépendance et du processus d’autodétermination. Dès lors, les délégations se doivent
d’être les porte-paroles de ce mouvement et de rechercher des soutiens politiques
internationaux aux revendications catalanes. Malgré la constatation de certaines difficultés
– notamment dans des Etats réticents à ces questions comme la France – les délégués
réaffirment la position officielle selon laquelle la Catalogne a le droit de décider de son
futur dans un référendum légitime et reconnu internationalement. Il nous semble donc bien
que les questions d’action internationale et de nationalisme soient particulièrement liées en
Catalogne. Reprenant le déroulement des événements dans les années 2000, nous voyons
que la montée en puissance du désir d’autonomie a lancé un mouvement d’investissement
de l’aire internationale par la Catalogne. C’est bien le Statut d’Autonomie de 2006 qui
initie ce processus (donnant la possibilité à la Communauté Autonome de mettre en place
de telles délégations). Or, ce Statut a souvent été perçu comme une montée du nationalisme
en Catalogne, notamment par la mention dans son préambule du statut de la « nation » (et
non nationalité) catalane. Si les succès réels de ces initiatives doivent être mis en
perspective (les délégations n’étant qu’au nombre de cinq), la volonté qui sous-tend à leur
mise en place tient plus de la protodiplomatie que de la paradiplomatie. Leur récente
création, concomitante à la poussée nationaliste récente en Catalogne, confirmera donc en
partie nos hypothèses, selon lesquelles le nationalisme influence positivement l’intensité de
l’action internationale, cette dynamique poussant la Catalogne à développer des structures
proches de celles de l’Etat national. En outre, la présence de ces délégations dans ces
grands centres de décision internationaux met en lumière une stratégie de concentration
autour d’aires et d’acteurs permettant la valorisation de la Catalogne, de ses intérêts et
303 Entretien réalisé avec E., officiel de la représentation de la Catalogne pour la France et la Suisse.
106
revendications.
(C) Promouvoir la Catalogne comme acteur important dans des
aires à enjeux
Comme l’explique Caterina Garcia i Segura, l’une des dimensions importantes de
l’action internationale des collectivités subétatiques est ce qu’elle nomme la
« paradiplomatie régionale transfrontalière »304. Selon elle, la proximité géographique, la
ressemblance dans les caractéristiques historiques, politiques et culturelles, mais aussi dans
les problèmes rencontrés, et les relations constantes et informelles entre élites des
différentes régions proches font que cette aire d'action est l'une des dynamiques
importantes de la paradiplomatie. Cette logique nous semble avoir une pertinence
particulière dans le cadre catalan. Une région fermée sur elle-même, dépendant
principalement du centre à tous les niveaux ne pourrait pas prétendre au statut d'Etat
viable). Sur la base d'une conception de la Catalogne comme une zone d'interface entre les
différentes régions de l'Europe et de l'Afrique du Nord, nous pourrons supposer que la
recherche d'un leadership ou d'une réelle influence sur les politiques régionales peuvent
être des facteurs déterminants dans le développement de la Catalogne comme acteur
légitime, et dont les revendications nationalistes peuvent être crédibles.
L'ancrage dans le cadre de la Méditerranée
Comme nous l’avons vu précédemment, la Méditerranée est bien l’une des aires
« naturelles » d’action de la Catalogne305. Sa position géographique mais aussi ses liens
historiques en sont la cause. Néanmoins, profiter d’une position privilégiée n’est pas un
élément suffisant pour justifier ou pour permettre la formulation d’une action régionale
efficace. Comme le mentionne Daniel-Louis Seiler, l’Europe du Sud se distingue par sa
diversité de dynamiques d’une région à l’autre. Ces différences sont réduites par la
présence d’une variable commune qui met en relation l’ensemble des unités de l’aire
régionale : le littoral méditerranéen (ce qui, par ailleurs, donnera à cette région le surnom
moqueur de « Club méd. », lié à cette idée d’une zone en retard et centrée principalement
304 GARCIA I SEGURA C., « La Actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit. p. 260.
305 GARCIA I SEGURA C., , « La Dimensión mediterránea de la proyección exterior de Cataluña : el Arco
Latino », Papers, n° 46, 1995, p. 44.
107
sur les questions touristiques)306. Or, comme nous l’avons observé dans les sections
précédentes, et toujours selon l’analyse de Seiler, la Catalogne se présente comme un
« centre » dans cette Europe du Sud perçue par le Nord comme une périphérie 307. En ce
sens, il nous semble que la Communauté Autonome pourra profiter des opportunités
existantes pour son développement dans l’aire méditerranéenne, et améliorer son image par
le positionnement en tant que leader local.
La Catalogne a bien, par le passé, développé une stratégie vis-à-vis de la Méditerranée
autour de deux grands axes. Dans un premier temps, et principalement dans le contexte
européen, elle participe à une série de rencontres, d’organisations internationales ou crée
ses propres structures tournées vers cette aire, avec des buts aussi divers que la promotion
des transferts de technologie, le tourisme ou l’économie. Stéphane Paquin et Caterina
Garcia i Segura mentionnent ainsi l’Arc Méditerranéen des Technologies (1990 – pour la
coopération dans la recherche, la formation et les transferts de technologies), l’Arc
Sud-Européen (s’étendant jusqu’à l’Europe centre-orientale pour la coopération
économique) ou le réseau C-6 (réunissant les villes de Barcelone, Montpellier, Palma de
Majorque, Saragosse, Toulouse et Valence pour la création d’une « macro-région
méditerranéenne en Europe », le développement d’analyse et de stratégies communes dans
cette perspective)308. L’idée est donc de mettre en avant des mécanismes de coopération
sectorielle dans la région, dans une logique de recherche de stabilité par le développement
partagé. Alors que la région méditerranéenne est en retard vis-à-vis d’autres zones
européennes, ces structures cherchent donc à proposer un modèle propre de
développement, prenant en compte les caractéristiques de ces unités et – autant que
possible – hors des circuits et des recommandations du reste des Etats. Ceux-ci restent
relativement réticents à ce processus, comme le montre l’opposition de l’Allemagne à la
mise en place d’une Union Méditerranéenne n’incluant qu’une partie de l’Europe
communautaire309.
306 SEILER D.-L., « Comparaison et aires culturelles régionales. L'Europe du sud et les modèles de
Rokkan », op. cit., p. 70.
307 Ibid., p. 73.
308 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 89-93 ; GARCIA I SEGURA C.,
« La Dimensión mediterránea de la proyección exterior de Cataluña : el Arco Latino », op. cit., p. 53.
309 SCHMID Dorothée, « Du Processus de Barcelone à l'Union pour la Méditerranée : changement de nom
ou de fond ? », Questions internationales, n° 36, mars-avril 2009, p. 50.
108
Dans une perspective catalane, et si nous prenons la vision protodiplomatique de son
action extérieure, ces initiatives ont un intérêt triple. Tout d’abord, elles constituent un
développement positif de la paradiplomatie identitaire, la Catalogne pouvant profiter de ces
politiques de coopération indépendamment des volontés de l’Etat central, et donc renforcer
sa position de région dynamique en Espagne. Ensuite, l’action méditerranéenne insère la
Catalogne dans une série de réseau entre les grands acteurs de la zone, ce qui peut lui
permettre de faire valoir son poids, ses modèles de perception et sa vision d’un
développement méditerranéen dans lequel les régions ont un rôle central. Enfin, la
Méditerranée constitue un terrain d’avancées protodiplomatiques pour les élites catalanes :
la région y étant déjà dans une position relativement dominante, elle peut donc mettre en
place des expérimentations de ce que serait une action diplomatique catalane à plus grande
échelle. Ici, l’Arc Latin est vu tant par Paquin comme par Garcia i Segura comme l’un des
exemples les plus pertinents de cette action internationale dans la fin du XIXème siècle.
Autour d’une idée de « latinité » ou de « méditerranité »310, concernant principalement le
sud de l’Europe mais allant aussi au-delà, l’Arc latin propose la reconnaissance de
caractéristiques et d’impératifs de développement communs. La Catalogne, en tant que
« nord de la Méditerranée et sud de l’Europe »311 trouve donc toute sa place dans ce
processus.
En parallèle, la seconde partie de l’action méditerranéenne catalane concerne les
relations avec le Maghreb. Mais celles-ci, placées principalement sous le mode de l’aide au
développement, de la lutte contre le phénomène migratoire ont peu d’occasions d’être
mises en place312. L’importance géopolitique de la zone pour les puissances globales
(notamment en termes d’accès aux ressources pétrolières ou de lutte contre le terrorisme)
peut être une explication de cette difficulté d’action de la Catalogne dans cette aire. C’est
d’ailleurs probablement ici que nous trouverons l’une des grandes limitations de la
paradiplomatie/protodiplomatie : la place encore extrêmement importante des Etats dans le
système international qui ont le pouvoir d’empêcher l’accès au champ à des acteurs qu’il ne
considère pas comme légitimes.
310 GARCIA I SEGURA C., « La Dimensión mediterránea de la proyección exterior de Cataluña : el Arco
Latino », op. cit., p. 49.
311 Ibid., p. 44.
312 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 74-75.
109
Cependant, une autre explication peut être avancée quant à la dimension principalement
européenne de l’action internationale catalane. Si nous suivons les propositions de Garcia i
Segura, la Méditerranée est vue par les leaders catalans comme un espace intrinsèquement
européen313. Il apparaît en effet que les politiques catalanes se sont principalement
concentrées autour de la côte nord de la région et ce malgré certaines initiatives allant dans
le sens du Sud. Même dans ces cas, le Nord aura toujours un grand rôle, comme lorsque
Jordi Pujol voyage en Tunisie et tente de mettre en avant non seulement l’importance du
développement du Maghreb mais aussi la centralité de cette région pour l’Espagne) 314.
Reprenant la perspective paradiplomatique, et si nous supposons que l’objectif de l’action
internationale est celui de renforcer la Catalogne au sein de l’Espagne, ou de poser la
Communauté Autonome comme un acteur légitime et un Etat viable, il semble plus
pertinent pour la région de concentrer son action autour d’acteurs dont l’influence pourrait
lui être bénéfique. Ainsi, comme le mentionne Garcia i Segura, la Méditerranée reste une
part intégrante de la stratégie internationale de la Catalogne, comme l’une de ses arrièrecours et possible zone d’influence (notamment pour compenser la domination de l’Europe
du Nord), tout en n’étant pas son terrain d’action principal315.
En ce sens, quelles sont les dynamiques de développement de l’action internationale de
la Catalogne en Méditerranée ? Tiennent-elles vraiment de la paradiplomatie ou de la
protodiplomatie ? Nous avancerons qu’elles sont bien partie intégrante de la stratégie
contemporaine catalane, et constituent des manifestations de la mise en place graduelle
d’un
socle
solide
donnant
à
la
Catalogne
une
position
de
leadership.
Protodiplomatiquement parlant, cette position ajoute bien à la constitution de l’image d’un
acteur et possible Etat légitime pour une entité subétatique. Nous illustrerons notre propos
par trois exemples. Tout d’abord, la Catalogne s’est attachée à créer ou à héberger sur son
sol des institutions orientées vers la Méditerranée et internationalement reconnues. Le
processus de Barcelone, lancé en 1995 et ayant abouti à la mise en place de l’Union pour la
Méditerranée en 2008 en est l’un des exemples. Si l’initiative ne provient pas de la
Communauté Autonome elle-même, elle suppose la reconnaissance du rôle de la Catalogne
313 GARCIA I SEGURA C., « La Dimensión mediterránea de la proyección exterior de Cataluña : el Arco
Latino », op. cit., p. 45.
314 Ibid., p. 46-47.
315 Ibid., p. 46-47, « la Méditerranée n’est pas une aire prioritaire, mais elle n’est jamais absente de l’action
catalane ».
110
dans le développement méditerranéen et la position de Barcelone comme centre de
décisions et d’action dans ce domaine. De même, le think tank Institut Europeu de la
Mediterrània (IEMED)316 permet aussi de placer Barcelone et sa région comme
d’importants producteurs de connaissances et d’analyses quant à l’espace méditerranéen.
Enfin, l’emphase que nous avons remarquée dans notre entretien avec la délégation
française317 et dans les discours de politique générale de 2012 et 2013 autour de la mise en
place d’un « corridor méditerranéen »318 donnant le leadership à la région renforce notre
idée d’une série de politiques sur le long terme visant à promouvoir le rôle de la Catalogne
dans sa macro-région historique.
Néanmoins, ces initiatives ne peuvent à elles seules confirmer l’idée d’une action
régionale catalane visant à établir un embryon de diplomatie dans une perspective
indépendantiste. Il nous faudra, pour cela, élargir notre cadre d’analyse aux liens constatés
par Segura entre action méditerranéenne et européenne, autour des possibilités offertes par
les instances communautaires aux collectivités territoriales.
L'Europe comme fenêtre d'opportunités principale
Le cadre communautaire est l'une des ouvertures principales pour l'action internationale
catalane. Alors que la dynamique d'intégration s'est accrue et institutionnalisée depuis les
premiers temps de la construction européenne, de la déclaration de Robert Schuman de
1950 à la Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) et jusqu'aux plus
récents traités de l'Union Européenne (dont le traité de Lisbonne de 2007), ces entités
originales ont participé de la perte de pouvoir de l'Etat et de la valorisation des autres
acteurs internationaux. En effet, l'Europe, par ses transferts de souveraineté sur une série de
domaines importants – dont des domaines régaliens comme la monnaie –, a remis en cause
la centralité de l'Etat comme seul acteur susceptible de conduire une action internationale,
et de s'imposer comme acteur légitime. Les plus récents développements et la mise en place
d'un Commissaire Européen aux Affaires Extérieure (Lady Catherine Ashton aujourd'hui)
confirment cette idée – et ce malgré les critiques faites à cette institution pour son maque
d'efficacité et son échec dans l'objectif d'unifier une position européenne sur les grands
316 Institut Européen de la Méditerranée ; http://www.iemed.org/.
317 Entretien avec E., officiel de la représentation de la Catalogne pour la France et la Suisse.
318 MAS Artur, 25 septembre 2013, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p. 26.
111
sujets de politique internationale319. Il n'en demeure pas moins que l'Union apparaît comme
un nouveau niveau de décision internationale, niveau qui légitime et intègre dans ses
processus des acteurs non-étatiques. La Catalogne a alors tout intérêt à tenter de s'insérer
dans ces dynamiques, et de trouver des interlocuteurs sensibles à ses positions et
revendications. Comme l'explique Eduard Sagarra Trias, le statut du Catalan comme
citoyen européen peut lui permettre de faire valoir ses positions devant une institution autre
que l'Etat, et capable d'imposer certaines décisions320. L'exemple de la crise économique de
2008 et le conditionnement de l'aide aux pays en difficulté à des mesures de redressement
économique en sont la preuve. A cette occasion, les statuts de la Banque Centrale
Européenne ont été modifiés, autorisant le refinancement de la dette souveraine aux Etats
s'engageant dans des politiques efficaces de réduction du déficit public 321. C'est donc bien
un acteur des relations internationales sur lequel la Catalogne peut espérer faire pression
(par la phase ascendante d'action internationale mentionnée plus haut) et qui pourra en
retour (par un processus descendant) être à l'origine de certains changements dans la
politique intérieure espagnole322.
En parallèle, l'Europe elle-même compte sur les collectivités locales dans son processus
de développement. Les transferts de compétences et l'institutionnalisation de procédures
européennes contraignantes rencontrent parfois un refus très fort de certains Etats. Le
référendum prévu par le gouvernement britannique de David Cameron en est l'une des
manifestations323. Dès lors, avoir un allié à l'intérieur même d'un Etat peut être déterminant
à l'heure de faire passer une modification législative, ou de mettre en œuvre une politique
commune. De plus, les logiques récentes de décentralisation augmentent les compétences
dévolues aux régions (nous l'avons vu avec le nouveau Statut d'Autonomie), leur donnant
encore plus de poids dans la formulation et l'application des décisions communautaires.
C’est pourquoi les instances européennes vont de façon croissante s'appuyer sur le niveau
319 Voir, par exemple, le cas de la crise ukrainienne. Radio France Internationale, 17 décembre 2013,
« UE/Etats-Unis : tensions sur la crise ukrainienne ».
320 SAGARRA TRIAS E., « Els Acords de Maastricht (1999) : de Roma (1950) a Barcelona (2002) », op.
cit., p. 143-144.
321 Ministère de l'Economie de la République française, « L'Evolution du rôle de la Banque Centrale
Européenne », http://www.economie.gouv.fr/facileco/banque-centrale-europeenne#EvolutionBCE.
322 Ibid., p. 148.
323 La Vanguardia, 9 octobre 2012, « Cameron propone un referéndum sobre la presencia del Reino Unido
en la UE ».
112
régional pour « contrebalancer le poids des Etats-membres »324, créant alors un double
« méso-gouvernement » : celui d'une Union à mi-chemin entre l'Etat et la sphère
internationale, et celui d'une région entre les niveaux étatique et local/individuel. L'Union
prend alors des mesures de valorisation du rôle de la région dans le niveau international, à
l'image de la Convention sur les Relations Transfrontalières de 1980 qui a donné lieu au
Décret Royal 1317/1997, obligeant l'Etat espagnol à consulter les Communautés
Autonomes sur les questions de coopération transfrontalière325 (qui ont une pertinence
particulière dans le cas catalan avec la situation de la Catalogne du Nord). De même,
Jacques Palard note l'importance de l'activité de la Commission Européenne dans cette
perspective, notamment par le biais du Fonds Européen de Développement Régional
(FEDER) et visant, toujours selon Palard, à renforcer la « vocation internationale » des
régions326. En outre, le Comité des Régions de l'Union Européenne, issu du Traité de
Maastricht (1992), bien que n'ayant qu'un rôle consultatif, doit être vu comme une
composante de la prise de légitimité des régions sur la scène européenne327.
Ces réflexions nous amènent donc à conclure que la phrase suivante, extraite du
sixième rapport de la Commission sur les régions en Europe, résume parfaitement la
situation des régions dans le cadre de l'Union : « les autorités régionales et les institutions
de l'Union européenne se perçoivent mutuellement de plus en plus comme des alliés
potentiels dans la recherche de l'intégration »328.
Dès lors, la Catalogne doit pouvoir trouver dans les mécanismes européens des moyens
de mettre en place sa paradiplomatie, voire sa protodiplomatie. Dans la perspective
catalaniste, une « Europe des régions » est en effet l'un des meilleurs modèles pour le
développement des ambitions d'auto-gouvernement, et la position d'allié proposée par les
instances européennes vont participer de cet attrait pour le niveau communautaire. Dans un
324 PALARD J., « Les Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes
d'échanges », op. cit., p. 660.
325 SAGARRA I TRIAS E., « Els Acords de Maastricht (1999) : de Roma (1950) a Barcelona (2002) », op.
cit., p. 148.
326 PALARD J., « Les Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes
d'échanges », op. cit., p. 668-669.
327 Ibid., p. 673.
328 Commission Européenne, Sixième rapport périodique sur la situation et le développement économique et
social des régions de l'Union européenne, Bruxelles, Luxembourg, 1999, cité par PALARD J., « Les
Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes d'échanges », op. cit., p.
668-669.
113
premier temps, la Communauté Autonome s'intègre dans les mécanismes institutionnels
proposés, sans en remettre en cause les fondements, et en respectant l'une des bases de
l'Union Européenne, selon laquelle elle « respectera l'identité nationale de ses
Etats-membres »329 (barrant alors la route à une revendication indépendantiste). La
Catalogne travaillera ainsi en faveur de l'intégration du Comité des Régions dans le Traité
sur l'Union Européenne (TUE), et se réjouira lorsque celui-ci entrera en fonctions 330. Par la
suite, elle utilise ces structures dans une logique plus identitaire. Certaines actions comme
une réunion des « régions constitutionnelles » d'Europe à Bruxelles en 2001, à l'issue de
laquelle les participants en appellent à la mise en place d'un pouvoir de décision réel
attribué au Comité de Régions, tempèrent notre supposition d'une action catalane
respectant strictement le cadre des politiques européennes 331. Il s'avère en effet que la
région tente, non seulement de participer d'un mouvement existant en Europe, mais de faire
évoluer ce système à son avantage. Correspondant à notre analyse précédente sur
l'expression paradiplomatique catalane, l'action au sein des instances européennes a aussi et
avant tout – et plus particulièrement au début du XXIème siècle – une composante
nationaliste et d'autodétermination.
Yves Gounin, dans son analyse des dynamiques d'éclatements d'Etats, pose ainsi l'idée
selon laquelle la question de l'indépendance est intrinsèquement liée à celle de l'intégration
à l'Union. Selon lui, si l'UE est une alliée dans la protection d'une identité minoritaire, elle
doit aussi l'être dans la perspective du détachement de la région de son Etat d'origine 332.
Reprenant les grandes théories des Relations Internationales, au miroir des changements
récents dans ce champ, il nous apparaît que les dynamiques internationales laissent peu de
place à un Etat nouvellement créé, mais non intégré dans un ensemble plus large et isolé
par l'hostilité de ses voisins. Nous supposerons que si l'intégration à l'UE ne se fait pas, elle
sera due en partie à des considérations politiques éloignant automatiquement une
Catalogne libre des circuits politiques de la macro-région. Gounin confirme cette analyse,
considérant qu'un Etat nouvellement indépendant et ne faisant pas partie de l'UE « ne serait
329 Traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union Européene, article 3.
330 PAQUIN S., La Paradiplomatie identitaire en Catalogne, op. cit., p. 73.
331 Ibid., p. 80.
332 GOUNIN Yves, « Les Dynamiques d’éclatements d’États dans l’Union européenne : casse-tête juridique,
défi politique », Politique étrangère, n°4, 2013, p. 12.
114
pas viable »333. Le nationalisme catalan doit donc agir à deux niveaux :
•
convaincre la population que, si elle vote en faveur de l'indépendance,
l'adhésion à l'Union sera automatique ou très rapide ;
•
agir au niveau des instances européennes pour que la possibilité d'une
adhésion rapide soit envisageable.
Nous ne traiterons pas la première de ces conditions, tenant plus de la politique interne
que de l'action internationale, mais il nous est apparu, au fil de nos recherches, que les
leaders catalans et leurs comportements tendaient à privilégier une image de la Catalogne
favorable à l'autodétermination, mais aussi et surtout tournée vers l'Europe. Du moins
politiquement orienté (l'Institut Ramon Llull, qui se réjouit lors de notre entretien de la
réalisation de projets dans le cadre de l'UE)334 aux plus engagés en faveur du référendum
d'autodétermination, les représentations étrangères de la Catalogne définissent l'Europe
comme le cadre de référence de leur action. A. de Diplocat utilisera par exemple 13 fois le
terme « Europe » au cours de notre entretien, mentionnera des contacts avec des
eurodéputés et l'Union comme le « terrain naturel d'action » de son institut335. De même, le
fait que la délégation de la Catalogne à Bruxelles ait été la première à être mise en place
témoigne de l'intérêt que suppose l'Europe dans la dynamique paradiplomatique et
protodiplomatique catalanes. Nous prendrons alors le parti d'avancer que c'est bien de la
protodiplomatie devant laquelle nous nous trouvons, et ces suppositions se trouveront en
partie confirmées par les positionnements déjà mentionnés des délégations catalanes à
l'étranger, mas aussi dans les discours d'Artur Mas. En effet, reprenant les discours de
politique générale de 2012 et celui de 2013, nous remarquons que ceux-ci regorgent de
références à l'Europe (49 en 2012 et 29 en 2013). Deux des phrases prononcées par Mas
attire particulièrement notre attention, en ce qu'elles nous semblent résumer une grande
partie des développements de ce mémoire de recherche (en référence à la manifestation du
11 septembre 2012 à Barcelone) :
333 Ibid., p. 12.
334 Entretien réalisé avec C., responsable de l’une des branches de l’Institut Ramon Llull à l'étranger.
335 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
115
« Un million et demi de personnes, dans la manifestation la plus
importante jamais fait en Catalogne, occupent paisiblement les villes de
la capitale de la Catalogne, sous le slogan : ''la Catalogne, nouvel Etat
d'Europe'' […] Un pays cultivé est un pays plus démocratique, plus
ouvert, […] plus européen et plus pertinent dans le contexte global »336
Mas propose ici des références à l'identité, à l'unicité d'un « pays », la Catalogne, ouvert
au monde et avant tout dans le cadre européen. Ces deux phrases nous paraissent alors
résumer la protodiplomatie catalane telle que nous l'entendons : l'utilisation de
revendications sociales légitimant au niveau interne une prise de décision et
d'intensification de la présence internationale, tentant de prouver aux partenaires étrangers
l'ouverture de la Catalogne et la légitimité de ses aspirations.
Néanmoins, l'Europe n'est pas qu'un accélérateur de l'action internationale des régions :
elle peut aussi s'opposer à certaines dynamiques contraires à ses principes fondamentaux.
Ainsi, la question de l’indépendance est refusée par les instances communautaires, qui
arguent d'un nécessaire processus complet de demande d'intégration pour tout Etat
nouvellement créé337. Le travail des leaders catalans se complexifiera donc, et les poussera
à chercher des points d'entrée mettant en avant une facilitation de l'entrée dans l'Union
d'une Catalogne indépendante. Dans ce processus de recherche – encore une fois – de
soutiens internationaux pour un processus ad hoc, l'exemple de Diplocat, à mi-chemin
entre un think tank pro-autodétermination et une agence gouvernementale, semble
particulièrement intéressant.
(D) Diplocat, l'exemple d'une volonté de croissance de l'action
étrangère catalane
Partant de l’idée selon laquelle la paradiplomatie, et par extension la protodiplomatie,
tentent d’occuper l’ensemble des espaces disponibles dans les Relations Internationales, la
question d’une structure proposant une participation active et une expertise quant aux
nouvelles dynamiques de la mondialisation se pose. Si les entités sectorielles, les structures
de type délégation à l’étranger ou les réformes administratives internes ont permis la mise
336 MAS Artur, 25 septembre 2013, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p. 2 et 13.
337 GOUNIN Y., « Les Dynamiques d’éclatements d’États dans l’Union européenne : casse-tête juridique,
défi politique », op. cit., p. 19 : l'article 49 du Traité sur l'Union Européenne prévoit une procédure
complète d'adhésion pour les Etats issus d'une scission ou d'une sécession.
116
en place et la professionnalisation d’une stratégie d’action internationale, Diplocat propose
une formule qui nous paraît originale, bien intégrée dans la globalisation, tout en mettant
en avant l’une des variables centrales définies lors de notre étude : le nationalisme et la
promotion du droit à l’autodétermination catalan.
Créé en 2012 sur les bases du Patronat Català Pro-Europa, Diplocat (Consell de
Diplomàcia Pública de Catalunya)338 est un consortium public-privé, comprenant une série
d’institutions publiques catalanes (Generalitat, municipalités et diputacions de Gérone,
Tarragone, Lérida et Barcelone, associations de villes et comarques catalanes), des acteurs
privés (économiques, bancaires, sportifs) et universitaires (les 12 universités catalanes, les
écoles de commerce de Barcelone et l’IBEI)339. Il propose de réunir l’ensemble de ces
structures autour de la « diplomatie publique », champ d’action qu’A. nous décrira comme
une série d’actions ayant pour objectif d’avoir :un impact « sur l’opinion publique
internationale : population, secteurs déterminés dela population, les secteurs les plus
influents, les plus multiplicateurs de l’opinion publique »340, utilisant pour cela « les
instruments habituels de la diplomatie publique : qu’ils soient académiques, culturels, de
participation citoyenne, entrepreneuriaux etc. »341. L’objectif avoué du conglomérat est
alors double : « expliquer la Catalogne au monde » et « établir des relations de confiance,
solides entre la Catalogne, les institutions et les citoyens de Catalogne, et les institutions et
les citoyens d’autres territoires ou d’autres pays »342.
Dans la perspective actuelle, ces objectifs et instruments tendent tous vers le même
objectif : légitimer la position catalane et ses revendications du droit à décider, selon toute
une série de mécanismes donnant de visibilité et d’image.
338 Conseil pour la Diplomatie Publique de Catalogne.
339 Diplocat, site web : http://www.diplocat.cat.
340 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
341 Ibid.
342 Ibid.
117
Le cadre de Diplocat :
Nous avons eu l’occasion de réaliser un entretien au sein des
bureaux barcelonais de l’institut, et l’analyse du lieu et de son cadre
nous semble importante, en parallèle des éléments présents dans cette
partie :
Diplocat se trouve en effet au cœur de Barcelone, dans la Casa de les
Punxes, maison de style moderniste pensée par l’architecte Puig i
Cadafalch, sur l’une des principales artères de la ville – l’Avinguda
Diagonal – et extrêmement proche d’une autre grande artère – le
Passeig de Gràcia. Lors de notre arrivée dans les bureaux, notre
première impression fut celle d’une structure jouissant de moyens et
d’une reconnaissance relativement importante, les bureaux étant situés
dans un ancien appartement très bien préservé de la maison. L’entrée
dans le bureau a confirmé cette idée et a ajouté à cela la constatation
d’une structure proche d’une administration traditionnelle : secrétariat,
portrait des anciens Présidents de la Generalitat entre autres.
Si ces constatations ne constituent pas des variables déterminantes dans l’analyse de
l’action internationale catalane, elles nous semblent mettre en lumière l’importance et
l’intérêt dont jouit le consortium, ainsi que les liens très forts qu’il entretient avec le
pouvoir catalan. La reconnaissance donnée à une structure aussi jeune apparaît comme la
manifestation de l’importance de l’aire internationale pour les leaders catalans.
Les premières caractéristiques importantes que nous voudrons souligner concernant cet
institut tiennent dans son mode de fonctionnement organique, ses structures de
gouvernance et sa stratégie d’action. En effet, le caractère multi-niveaux et multi-champs
du consortium lui confère une marge d’action et d’influence relativement grande, tout en
confirmant les suppositions que nous avions faites plus haut dans ce travail, et ce à deux
niveaux :
•
Le lien affirmé et reconnu entre champ politique, économique et
universitaire dans la promotion de la Catalogne à l’étranger et, par
conséquent,
la
possible
dimension
protodiplomatique
de
l’action
apparemment non marquée de ces acteurs ;
•
La politisation de cette forme d’action par des contacts quasi-constants avec
le Président et le Département de la Présidente, en parallèle de réunions
régulières du Comité de Direction de Diplocat (avec l’ensemble de ses
membres).
118
Par la suite, A. nous exposera les thèmes d’aires d’action principales de Diplocat. Mis
en perspective avec les éléments de gouvernance, ils permettent de comprendre que
l’orientation proposée par la structure et ses partenaires a bien un caractère proche de la
protodiplomatie (non pas dans le sens de la construction de structures de type étatique,
mais de projection de l’image d’un Etat catalan) :
•
« Internationalisation de la Catalogne » ;
•
« Implication des acteurs catalans dans les débats internationaux » ;
•
« Renforcement des capacités catalanes en matière internationale » ;
•
« Programme de visiteurs internationaux » ;
•
« Production de documents en différentes langues ».343
Les deux premières et les deux dernières dimensions nous semblent bien correspondre
à l’objectif de la formation d’une image positive de la Catalogne à l’étranger. Quelques
exemples apparaissent comme clés pour comprendre quel type d’image Diplocat promeut.
Nous avons pu participer à un événement dans le cadre universitaire, proposé à Sciences Po
Toulouse (à la suite d’une même conférence tenue à Sciences Po Paris) et traitant
explicitement de la question de l’autodétermination. La venue de personnalités de haut
niveau incluant la déléguée de la Generalitat à Paris, dans un cadre universitaire
correspond ainsi à l’objectif de façonner l’opinion internationale par l’influence sur ses
leaders (la coopération universitaire sera par ailleurs un des axes principaux de succès du
consortium mentionnés par A.). Au-delà de la connaissance de la Catalogne, l’institut
propose aussi de prendre position sur des questions internationales importantes. Ainsi,
l’image de la Catalogne est légitimée comme celle d’un acteur engagé dans les relations
internationales, ce qui conduit, à notre sens, à augmenter le potentiel des leaders d’opinion
internationaux à prendre en compte la question catalane – ou tout du moins à reconnaître
son existence. Des actions plus larges sont organisées dans la perspective de sensibiliser
une large part de l’ « opinion publique mondiale » à la réalité catalane. Les réseaux sociaux
sont ainsi mis en avant. L’institut propose par exemple un compte Twitter intitulé
343 Ibid.
119
CatalanVoices, dans lequel un « Catalan ou ami de la Catalogne »344 va, chaque semaine,
exposer dans le réseau social sa vision de la Catalogne, sa culture, son environnement et,
bien sûr, sa position vis-à-vis du processus politique actuel et des revendications sur le
droit à décider. L’utilisation de médias plus traditionnels vient compléter ce panel
d’activités : publications multilingues comme le tract « Catalunya » mentionné plus haut
dans ce travail345, envoi d’article dans des grands journaux internationaux, publication
d’études et de tout autre type de document informatif sur la Catalogne 346. Ces supports
soulignent l'intégration de la Catalogne dans l’ensemble des nouveaux mécanismes de
communication internationaux, mettant en avant l’autodétermination comme l’une des
questions principales, tout en évitant de se limiter à cette aire, ce qui aurait pour
conséquence de projeter une image négative de la région. En parallèle, le troisième axe
proposé par A. constitue, encore plus que les questions d’image internationale, l’illustration
d’un modèle paradiplomatique. La formation d’experts
catalans
en Relations
Internationales – notamment par le diplôme de Master proposé par l’IBEI (Màster en
Diplomàcia i Acció Exterior)347 – nous apparaît en effet comme une volonté de création
d’une élite propre, à même de s’intégrer dans les réseaux internationaux traditionnels, dans
une perspective finalement diplomatique.
Nous pourrons donc conclure de ce cas d’étude que la paradiplomatie catalane tend
bien à évoluer dans le sens d’une action plus directement tournée vers des objectifs
nationaliste et indépendantiste. La formation de Diplocat en novembre 2012 – faisant
directement suite élections autonomiques qui ont vu une montée en puissance des partis
indépendantistes catalans –, son positionnement officiellement semblable à celui de la
Generalitat, son organisation institutionnelle et sa direction 348 l’imposent comme l’un des
exemples de ces mécanismes représentatifs d’une nouvelle orientation protodiplomatique
catalane. Comme nous l’avons vu avec Nye, les questions d’image et de mise à l’agenda
344 CatalanVoices : http://www.catalanvoices.com ou http://www.twitter.com/CatalanVoices.
345 Voir Annexe 6 pour un exemple de ces publications.
346 A. nous affirmera avoir réussi à faire publier une vingtaine d’articles d’opinion dans des journaux comme
le New York Times, signés le plus souvent par des officiels de la Generalitat.
347 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
348 Albert Royo, jeune secrétaire général de Diplocat est fonctionnaire européen, formé à Barcelone et à
Londres sur les questions internationals et européennes, et a été directement nommé par le Comité de
Direction de l’Institut. Il correspond ainsi à l’idée d’un jeune catalan dynamique, impliqué dans les
questions internationales et à même de proposer un projet nouveau pour l’action international de la
Communauté Autonome, au vu des développements récents vers le referendum d’autodétermination.
120
sont extrêmement importantes dans la réussite d’un projet politique international. En ce
sens, Diplocat participe bien de la formation d’une protodiplomatie catalane qui, même si
elle diffère de la diplomatie traditionnelle, est appelée à être un instrument important pour
la Communauté Autonome ou le futur Etat de Catalogne349.
Les institutions espagnoles ne s’y trompent pas, et reconnaissent le possible danger que
constitue la présence d’un tel acteur dans le champ international. Si la plupart des éléments
empiriques que nous avions obtenus dans notre recherche ne mettaient pas en lumière une
dynamique explicite de conflit entre administration espagnole et mécanismes catalans de
promotion extérieure, Diplocat apparaît comme un cas différent :
A notre question « quelles difficultés avez-vous rencontrées dans la
mise en place des projets de Diplocat, A. répond :
« Si je dois parler de difficultés, je dois parler de celles que nous
pose le Ministère aux Affaires Etrangères espagnol, qui ne comprend
probablement pas très bien ce qu’est la diplomatie publique, la confond
avec la diplomatie classique [...]. Parfois, nous avons vu, et cela nous
surprend, des tentatives d’empêcher la tenue d’activités données,
comme cela a été le cas [pour la conférence à] Sciences Po [Paris]. On
nous l’a dit, et par différents canaux ; le Ministère a tenté activement et
passivement d’empêcher que cette conférence ait lieu [...] Par chance,
nous sommes dans un contexte démocratique et les universités sont
libres de décider de ce qu’elles font ou ne font pas et ces tentatives... je
crois que, ils se sont un peu tiré une balle dans le pied, vu la manière
dont ils se sont présenter à l’extérieur et devant le monde académique
international en tentant de réaliser ce type de pressions »350.
C’est donc une dynamique d’opposition qui se met en place dans l’aire internationale
sur ce thème. Or, comme nous allons le voir dans la section suivante, ces conflits et
tensions sont présents en miroir au niveau interne à l’Etat espagnol, autour de questions et
prises de positions semblables.
(E) Quel lien avec le niveau politique interne ?
Il est important d’intégrer dans notre analyse et dans les conclusions que nous avons
faites quant à l’action internationale catalane, le lien entre phénomènes internes et externes
349 Tout en expliquant que la diplomatie publique n’est pas incompatible avec la diplomatie traditionnelle du
centre, A. avoue qu’il considère ce champ comme indispensable à tout Etat dans les Relations
Internationales du XXIème siècle, proposant implicitement le projet d’un Diplocat plus développé dans
une Catalogne indépendante.
350 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
121
à l’Etat espagnol. Comme le montrent certaines études sur le sujet, la teneur et la nature de
la relation entre centre et périphérie à l’interne peuvent avoir des conséquences sur la mise
en place des relations internationales de la région et, inversement, le type d’action
internationale proposé par la collectivité subétatique peut changer le type d’interaction dans
l’Etat. Stéphane Paquin l’exprime bien, et inclut dans sa grille d’analyse de l’action
internationale des régions les situations de conflit avec le centre :
•
Litiges devant les tribunaux constitutionnels ;
•
Perceptions croisées et rivalités des acteurs351.
Dans la même perspective, Caterina Garcia i Segura cite John Kincaid, qui montre que
les mécanismes de coopération et conflit à l’intérieur de l’Etat national se dupliquent dans
la sphère internationale352, et ajoute que ces relations de conflit seront accentuées dans le
cadre d’ambitions sécessionnistes, l’action internationale devenant un moyen de projection
du conflit hors du cadre étatique, dans lequel l’Etat a une plus grande marge de contrôle 353.
Garcia i Segura ajoute par ailleurs que la consolidation du phénomène paradiplomatique ne
fait pas disparaître son caractère conflictuel354.
La variable des relations Catalogne-Espagne à l’interne est donc importante pour la
compréhension des liens entre nationalisme et paradiplomatie ou protodiplomatie. Le sens
de la relation sera plus difficile à établir ici mais la présence d’une logique de tensions
entre Barcelone et Madrid autour des questions de l’identité et de l’autodétermination
seront éclairantes pour dans la description de la politique extérieure mise en place par les
dirigeants catalans. Ces tensions seront alors analysées sous deux angles. Tout d’abord,
nous
les
considérerons
comme
des
manifestations
d’une
volonté
catalane
d’approfondissement de la logique d’auto-gouvernement jusqu’à l’autodétermination, selon
laquelle le niveau international est important, et qui se heurte au refus d’un Etat souverain
cherchant à maintenir son unité. En parallèle, les conflits avec le centre pourront être
351 PAQUIN S., « La Paradiplomatie identitaire : Le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », op. cit., p. 206-207.
352 KINCAID John, «Constituent diplomacy in federal polities and the Nation-State as foreign-policy actor»
p. 73, in MICHELMANN H. J. et SOLDATOS P. (dirs.): Federalism and international relations. The
role of subnational units, Oxford : Clarendon Press-Oxford, 1990, p. 54-75, cité par GARCIA I
SEGURA C., « La Actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 258.
353 GARCIA I SEGURA C., « La Actividad exterior de las entidades subestatales », op. cit., p. 259.
354 Ibid., p. 236.
122
interprétés comme des accélérateurs de l’action internationale catalane, dans la lignée de
nos constations précédentes sur la période franquiste (bien que dans une dimension
extrêmement différente) : si le centre bloque les demandes de la Catalogne, celle-ci se
tourne vers l’extérieur pour chercher des soutiens.
En ce sens, le niveau politique et ses évolutions récentes sont particulièrement
pertinents. Selon notre analyse, la situation actuelle trouve sa source dans le Statut
d’Autonomie de 2006 et les événements qui ont suivi. Alors que le Parlement catalan avait
adopté en 2005 un texte modificatif du Statut d’Autonomie issu de la transition
démocratique – et validé par une consultation de la population par voie électorale –, le Parti
Populaire introduit un recours devant le Tribunal Constitutionnel (la plus haute instance
juridique du pays), contre certains de ces ajouts. En 2010, le Tribunal rend son verdict et
censure une partie du texte – notamment la référence à la « nation » catalane.355 Par la suite,
plus d’un million de personnes descendent dans les rues de Barcelone pour protester contre
cette décision, autour du slogan « som una nació, nosaltres decidim »356. Ces contestations
se fondaient alors sur la légitimité populaire accordé au Statut. Elles accusaient d'une part
le Parti Socialiste Espagnol (Partido Socialista Obrero Español – PSOE) au pouvoir – et
qui s'était engagé à respecter le résultat du référendum statutaire – d'avoir retardé
l'examination du dossier par le Tribunal et d'autre part le PP de rejeter entièrement tout ce
qui état issu de la Catalogne357. A partir de ce moment-là, les événements nous semblent
conduire à une accentuation des oppositions entre Barcelone et Madrid.
Cette censure est ainsi perçue comme une attaque directe contre la Catalogne pour des
raisons politiques et non juridique. Certains leaders politiques et universitaires mettent
alors en avant un changement dans la composition du Tribunal juste avant la décision, et le
blocage de l’argumentation catalane dans le processus afin de démontrer que la décision ne
correspond pas à une interprétation fidèle du cadre constitutionnel.358 Ajouté aux
355 VIVER PI-SUNYER Carles, « El Tribunal Constitucional, ¿ ''Sempre, només… i indiscutible'' ? La
funció constitucional dels Estatuts en l’àmbit de la distribució de competències segons la STC 31/2010 »,
Revista d’estudis autonòmics i federals, n° 12, mars 2011, p. 343-362 ; El País, 9 juillet 2010, «"La
Constitución no conoce otra nación que la española" ».
356 « Nous sommes une nation, nous décidons ». La Vanguardia, 10 juillet 2010, « Un millón de personas
inundan Barcelona en una histórica manifestación de rechazo a la sentencia contra el Estatut ».
357 Ibid. ; La Vanguardia, 31 juillet 2006, « El PP recurre el Estatut ante el TC por ser una ''Constitución
paralela'' ».
358 Intervention de Marta Franch, professeur de Droit Administratif à l’Université Autonome de Barcelone
(UAB), à l’occasion du colloque organisé par Diplocat à Sciences Po Toulouse, autour du thème « La Loi
123
développements de la crise économique de 2008, le sentiment de mécontentement dans les
élites et la population catalanes augmente. En témoignent une série de manifestations
autour du 11 septembre : en 2012 un million et demi de personnes défilent à Barcelone (le
slogan « Catalunya, nou Estat d’Europa » y apparaît) et en 2013, la Via catalana per la
independència s’étend du nord au sud de la région 359. Les leaders politiques participent
aussi de ce mouvement d’opposition, que ce soit par leur présence lors de manifestations
pro-indépendance, ou dans le champ des affaires publiques catalanes. Ainsi, la situation
devient rapidement plus tendue lorsque, à la suite de la manifestation du 11 septembre
2012, Artur Mas menace de convoquer des élections autonomiques anticipées et un
référendum d’autodétermination si le gouvernement refuse de renégocier le statut fiscal de
la Catalogne. La fermeture du gouvernement de Mariano Rajoy, élu en 2011 et issu du PP
centraliste, lance alors le mouvement dont nous avons déjà parlé : élections anticipées,
monté en puissance des formations indépendantistes et poussée vers l’organisation d’un
référendum.360 S’ensuivent une série de déclarations, mesures ou propositions de loi qui
tendent vers la perspective de ce référendum, lancées par CiU et sous la poussée d’ERC
(avec lequel Mas a dû trouver un accord pour pouvoir gouverner au Parlement), la plus
importante d’entre elles étant le projet de llei de consultes361, permettant au Parlement
catalan de convoquer des « consultations populaires non référendaires » dans la
Communauté Autonome362. Alors que le gouvernement et le Parlement catalan affirment
que la compétence pour convoquer ce type de consultation fait partie du Statut
d’Autonomie catalan363, Madrid refuse cette possibilité, arguant que la question qui sera
posée dans le premier de ces votes364 est liée à un changement dans la Constitution, et doit
au service des peuples: Le droit de décider de la Catalogne », le 31 janvier 2014.
359 « La Catalogne, nouvel Etat d’Europe », « Voie catalane pour l’indépendance ». La Vanguardia, 11
septembre 2012, « Masiva manifestación por la independencia de Catalunya » ; El Periódico, 12
septembre 2012, « Golejada independentista » ; La Vanguardia, 11 septembre 2013, « Catalunya muestra
su Via al mundo ».
360 El Periódico, 3 janvier 2012, « CiU fija ya un ultimátum a Rajoy para negociar el pacto fiscal » ; El
Periódico, 20 septembre 2012, « Artur Mas tras el 'no' de Rajoy: ''La semana que viene tomaremos
decisiones'' » ; El Periódico, 20 septembre 2012, « Mas se prepara para las elecciones tras la negativa de
Rajoy al pacto fiscal ».
361 « Loi de consultations populaires non référendaires et de participation citoyenne ».
362 Parlement de Catalogne, « Resum explicatiu de la proposició de llei de consultes no referendàries I
participació ciutadana ».
363 Ibid.
364 Le 9 novembre 2014, les Catalans devront répondre à deux questions : « Souhaitez-vous que la Catalogne
soit un Etat » et si oui, « Souhaitez-vous que cet Etat soit indépendant ? » ; intervention de Francesc
Homs, Conseiller à la Présidence de la Generalitat de Catalogne, à l’occasion du colloque organisé par
Diplocat à Sciences Po Toulouse, autour du thème « La Loi au service des peuples: Le droit de décider de
124
donc être accepté par les trois cinquièmes des deux chambres des Cortes avant d’être
convoqué dans l’ensemble de l’Etat365.
La llei de consultes
Autour de l’idée de « participation citoyenne à la vie publique », la
llei de consultes prévoit une série de mécanismes par lesquels la société
civile et les citoyens catalans auraient la possibilité de s’intégrer dans le
processus de prise de décision, incluant des « forums citoyens et de
participation institutionnelle » et la « consultation non référendaire par
le biais électoral » (explicitement mentionnée dans la perspective de
convoquer un vote sans l’accord de l’Etat. La « loi de consultation
populaire par voie référendaire » d’avril 2010 prévoit des référendums
sanctionnés par l’Etat – elle a par ailleurs été soumise à plusieurs
recours d’inconstitutionnalité, confirmant ainsi la logique de conflit que
nous avons avancée 366. La llei de consultes est ainsi vue comme le
principal instrument dans la mise en place du processus
d’autodétermination actuel, et elle se trouve dans la dernière des phases
de son approbation367.
Si nous devons mettre en avant un autre exemple de l’accentuation des tensions et
zones de conflit de la part de l’administration catalane (nous n’aurons pas la possibilité de
mentionner dans ce mémoire l’ensemble des déclarations et positionnements politiques sur
le sujet)368, il nous apparaît important de mettre en avant la déclaration de souveraineté du
Parlement catalan du 23 janvier 2013369. Les Corts catalanes soulignent en effet ici leur
positionnement majoritairement favorable à une Catalogne ayant la possibilité de choisir
son futur, par le biais d’un « peuple catalan souverain ». Lancée par des députés de CiU,
ERC et ICV, elle donne aux Catalans le statut de sujets politiques juridiques et différents du
reste de l’Espagne. Alors Parlement catalane s'engage par ce document à « dialoguer » avec
le gouvernement centre, le tout dans un cadre « européiste », nous retrouvons les logiques
décrites tout au long de ce mémoire et qui, il nous semble, sont les traits distinctifs du
catalanisme politique contemporain : pactisme et ouverture internationale. Cette
déclaration est évidemment critiquée par les députés et le gouvernement étatique, et la
la Catalogne », le 31 janvier 2014.
365 Constitution espagnole, articles 167 (pour les modifications constitutionnelles) et 92 (pour les modalités
d’un « referéndum consultivo de todos los ciudadanos »).
366 Parlement de Catalogne, « Resum explicatiu de la proposició de llei de consultes no referendàries I
participació ciutadana ».
367 Ara, 16 juillet 2014, « Tot el que volíeu saber sobre la llei de consultes que ha de donar cobertura al
9-N ».
368 Voir Annexe 5 pour un extrait des discours de Mas portant sur ces questions.
369 Voir Annexe 7 pour la déclaration.
125
question est portée devant le Tribunal Constitutionnel, qui annule le texte370.
Cependant, les tensions ne sont pas alimentées que par les indépendantistes catalans. Le
gouvernement espagnol a lui aussi participé de cette dynamique de radicalisation et a, par
ses décisions ou par les effets qu’elles ont eus, contribué à la montée de la rivalité
Catalogne-Espagne. Le refus total de négocier avec Mas sur la question du pacte fiscal
nous apparaît alors comme l’une des actions politiques clé dans la compréhension de la
situation actuelle. La crise économique et le déficit fiscal au détriment de la Catalogne 371
s’étant imposés comme l’un des facteurs principaux d’union du mouvement catalaniste, la
fermeture des négociations a été interprétée comme une absence totale d’ouverture au
dialogue de la part de Madrid.
Le problème de l’argument économique
Dans cette logique de tensions entre l’Espagne et la Catalogne, la
question fiscale s’est révélé être à double-tranchant. Si elle a permis
d’unifier le mouvement catalan autour de l’idée d’un espoli fiscal372 qui,
dans le contexte de la crise économique, devient un argument d’autorité
– autour de l’idée qu’une Catalogne indépendante aurait la liberté de
gérer ses impôts comme elle le souhaite –, elle a aussi contribué à la
projection de l’image Catalogne avare et non solidaire vis-à-vis des
autres Communautés Autonomes. Ceci a, par ailleurs, accentué les
dynamiques de conflits internes à l’Etat, tant au niveau sociétal que
politique. Dans une perspective d’action internationale, la Catalogne
doit alors présenter l’argument économique de façon mesurée et faire
valoir d’autres facteurs de pression étatique373.
D’autres politiques venues du centre pourront être remarquées, à l’image de la tentative
par le Ministre de l’Education José Ignacio Wert d’introduire le castillan comme langue
véhiculaire à l’école catalane (alors que la langue est l’une des compétences des
Communautés Autonomes)374 ou des déclarations du Ministre aux Affaires Etrangères José
Manuel García-Margallo comparant la situation catalane à celle de l’Ossétie du Sud375.
370 El País, 20 mars 2014, « El Constitucional considera ilegal que Cataluña se declare soberana ».
371 En 2010, selon Diplocat, la Catalogne a contribué à hauteur de plus de 60 millions d’euros, et n’aurait
reçu de la part de l’Etat que 45 millions. Source : http://www.diplocat.cat/es/internacionalizacionpolitica/67-deficit-fiscal/227-the-fiscal-deficit-between-catalonia-and-spain.
372 Spoliation fiscale.
373 A. de Diplocat confirmera cette idée, affirmant que son consortium doit développer la question fiscal,
tout en expliquant qu’elle n’est pas la seule cause de la situation actuelle.
374 El País, 10 octobre 2012, « Wert quiere ''españolizaz'' Cataluña ».
375 La Vanguardia, 10 mars 2014, « Margallo afirma que Catalunya "vagaría por el espacio" si se
independiza ».
126
C’est donc un contexte de conflit qui se met en place entre la Catalogne et l’Espagne au
niveau interne. Ces dynamiques auront alors, il nous semble, des conséquences sur le mode
et la nature des Relations Internationales mises en place par la Communauté Autonome,
dans le contexte d’une montée du nationalisme. L’Etat pourra alors tenter, comme nous l’a
confirmé A., de bloquer certaines des actions de la Catalogne376, alors que cette dernière
utilisera les tensions comme argument justifiant d’une pression venant du centre. Dès lors,
les dynamiques dont nous avons parlé plus haut, incluant plus particulièrement la mise en
place à la fin des années 2000 et au début des années 2010 de nouvelles structures et de
nouvelles stratégies de projection internationale constituent bien, à notre sens, un debut de
protodiplomatie étroitement liée à l’expression indépendantiste contemporaine.
Nous avons donc pu voir dans ce chapitre, qui apparaît comme central dans notre
étude, que les années récentes avaient vu la formulation et la mise en place d’une politique
plus active de représentation internationale, se voulant complètement indépendante et
parfois en compétition avec l’action diplomatique traditionnelle. Dans une logique
protodiplomatique, ces inititatives prennent deux dimensions : la recherche de la projection
d’une image et d’une légitimation internationale pour la question catalane, et la création de
structures et d’institutions à même de se rapprocher des modèles caractéristiques de l’Etat
souverain. Néanmoins, les résultats de ces actions resteront à relativiser, du fait des moyens
modestes dont jouissent ces instrument de projection internationale. En outre, il nous paraît
important d’inclure dans notre analyse des nuances importantes quant à la réalité du lien
que nous avons constaté entre nationalisme et action internationale. Nous mettrons ainsi en
avant dans notre quatrième et dernier chapitre quelques éléments de réflexion et de
l’influence d’autres variables dans ce phénomène.
376 Entretien réalisé avec A., officiel du conglomérat de diplomatie publique Diplocat.
127
CHAPITRE 4 : La paradiplomatie catalane à visée
indépendantiste, une réalité à relativiser
Les phénomènes du nationalisme et de la paradiplomatie ou protodiplomatie ne
peuvent, il nous semble, être interprétés de façon univoque. La diversité de facteurs
régissant tant l’expression identitaire comme l’internationalisation d’une collectivité
subétatique nous pousse à supposer que la variable indépendante que nous avons choisie
(le nationalisme) n’est pas la seule explication possible à la projection extérieure catalane.
Nous proposerons donc ici quelques pistes de relativisation, invitant à repenser le modèle
de l’action paradiplomatique selon des cadres non hermétiques, et spécifiques à chacune
des entités subétatiques considérées. Nous avancerons alors que les facteurs structurels ont
une importance centrale, et que les facteurs conjoncturels, s’ils ne sont pas à l’origine du
sentiment identitaire ou de la « vocation internationale »377, pourront en être les catalyseurs.
Les conditions et le contexte général (A) influenceront ainsi le positionnement de la force
politique au pouvoir – ici CiU qui, nous le pensons, n’est pas un parti profondément porté
vers l’autodétermination (B). En outre, le contre-exemple de l’Ecosse (C) nous amènera à
questionner le caractère automatique d’une corrélation positive entre nationalisme et
projection internationale dans une région.
(A) Un phénomène très tributaire de conditions, systèmes et
possibilités extérieurs à la volonté catalane
Comme nous l’avons vu tout au long des parties précédentes – et notamment au cours
de notre premier chapitre – les éléments contextuels sont à prendre en compte dans
l’analyse de la paradiplomatie d’une région. Les différentes périodes historiques ont ainsi
influencé l’expression nationaliste catalane (d’une intégration au modèle espagnol au
pactisme, en passant par le refus du centre) et celle de son action internationale (la dictature
en étant l’un des exemples les plus flagrants). Si nous pouvons supposer que l’expression
d’une identité et d’une histoire spécifique en Catalogne sont relativement constantes dans
le temps, et peuvent périodiquement donner lieu à des expressions fortes de nationalisme,
qu’il se fasse par le biais politique, sociétal ou par la voie des Relations Internationales,
377 PALARD J., « Les Régions européennes sur la scène internationale : conditions d'accès et systèmes
d'échanges », op. cit. p. 669.
128
nous ne pourrons affirmer que ces manifestations ont toujours la même force ou
s’expriment toujours par les mêmes canaux.
En effet, les facteurs conjoncturels influencent grandement le nationalisme et son
expression. La structure de pouvoir telle qu’elle existe dans l’Espagne contemporaine,
alliée aux conditions de la sphère internationale nous apparaissent ici comme
déterminantes. Le champ politique ibérique semble actuellement laisser peu de place à
l’expression du catalanisme dans ses frontières, alors que la région a eu – comme nous
l’avons vu – l’occasion d’être entendue au niveau central dans le passé (lors du premier
Statut d’Autonomie ou de l’alliance avec le PP). Dès lors, cette variable doit être
considérée et ses changements peuvent avoir une influence sur la tenue de la
paradiplomatie catalane. Nous pourrions par exemple avancer qu’un changement dans les
logiques de gouvernement au centre, une réouverture des négociations sur des thèmes qui
tiennent à cœur aux décideurs catalans ou un transfert de certaines compétences pourraient
avoir pour résultat une réduction du sentiment de frustration des élites autonomiques au
pouvoir et des populations. En conséquence, les aspirations nationalistes trouveraient une
forme d’expression dans la marge de manœuvre accrue qu’elles posséderaient,
ressentiraient moins le besoin de s’opposer frontalement au centre, ce qui réduirait le
caractère protodiplomatique de l’action internationale de la région. De même, comme
l’argument de la crise économique a été cité comme un facteur mobilisateur de la
population et des leaders catalans, il devrait être considéré au même titre que des
arguments plus « émotionnels »378. Une sortie de la crise actuelle et un retour de la
Catalogne comme région leader en Espagne réduirait la pression ressentie par les Catalans
quant à l’espoli fiscal ou à la recherche d’une indépendance économique vis-à-vis du
centre. Les relations commerciales que la Catalogne entretient sortiraient alors du cadre de
ce que nous avons défini comme une paradiplomatie poussée dans son expression la plus
extrême, pour rentrer à nouveau dans les logiques décrite par Stéphane Paquin, de
conflictualité réduite avec le centre.
De même, la structure de la sphère internationale peut avoir une influence sur ces
questions. En reprenant les grandes théories des Relations Internationales, nous avons pu
voir que l’apparition du phénomène paradiplomatique était largement due à l’ouverture du
378 GUIBERNAU M., Nacionalisme català. Franquisme, transició i democràcia, op. cit., p. 58-59.
129
champ à d’autres acteurs que les Etats. Or, dans une perspective réaliste, et posant
l’hypothèse que les Etats sont les seuls acteurs pertinents des Relations Internationales, les
collectivités subétatiques, quel que soit le niveau de leur expression nationaliste, ne
peuvent trouver l’espace nécessaire à l’expression de leurs revendications. Puisque
l’international apparaît en partie selon le prisme de l’image pour les collectivités
territoriales, une organisation réaliste du champ n’aurait que peu d’intérêt pour ces acteurs :
même s’ils parvenaient à avoir une présence internationale, l’absence de légitimité et de
reconnaissance limiteraient fortement l’impact possible d’une politique étrangère. Or, si la
communauté tente avant tout d’agir dans la perspective de l’obtention de résultats concrets,
une présence internationale sera probablement vue comme inutile, voire contre-productive
(car mobilisant des moyens relativement importants pour peu de résultats concrets). Les
régions devraient alors passer par d’autres canaux que l’international (action directe,
pression politique devant le gouvernement ou autres).
Ces variables contextuelles nous semblent être très indépendantes de la nature de
l’expression du nationalisme. Elles viennent donc remettre en perspective la corrélation
unique entre expression accrue d’un « fait différentiel » différentialisme et action
internationale. A ces constatations s’ajouteront des observations faites par des chercheurs,
qui tendront à relativiser le rôle du leader et de son idéologie dominante dans la mise en
place d’une politique. René Girault qualifiera ainsi, dans sa perspective historiographique,
l’action du décideur comme une « poussière de faits divers »379 face aux facteurs
structurels. La décision politique devient donc le résultat d’une série de pressions
contextuelles, et est donc très peu liée à une réelle volonté du leader. En outre, lorsque nous
considérons les caractéristiques du leader catalan actuel et de sa formation politique, nous
pourrons nous rendre compte qu’elles sont particulièrement sujettes à ce type de
dynamiques, contrastant avec la position d’autres partis organiquement liés à l’objectif
indépendantiste.
(B) Le gouvernement catalan : Convergència i Unió, un vrai parti
nationaliste/indépendantiste ?
Lorsque Graham Allison analyse la crise des missiles de Cuba de 1962, il met en
379 GIRAULT René, Etre historien des Relations Internationales, Paris : Publications de la Sorbonne, 1998,
p. 40.
130
lumière une série de jeux administratifs et bureaucratiques qui limitent la marge de
décision du leader380. Rapporté à la question catalane, nous avancerons que la position de
Mas vis-à-vis de l’indépendance correspond elle aussi à des dynamiques d’opposition entre
différentes forces qui constituent autant son parti que le champ politique catalan. Les
pressions contextuelles, alliées à la personnalité du décideur et du jeu des forces politiques
locales pourront donc tendre à relativiser notre idée d'une montée en puissance de
l’indépendantisme dans les rangs des leaders catalans au pouvoir, et mettra en lumière une
autre série de variables à prendre en compte dans l’analyse de la paradiplomatie catalane.
Comme nous l'avons vu au cours de notre premier chapitre, la formation politique dont
est issu le président actuel de la Generalitat n'est pas à proprement parler un parti
indépendantiste. Catalaniste et tourné principalement vers la Communauté Autonome dont
il provient, CiU n'a pas exprimé jusqu'aux années récentes une volonté de donner à la
Catalogne le droit à l'autodétermination ou à l'indépendance. Sa figure la plus importante,
Jordi Pujol, ainsi que les grands acteurs à la tête du parti ne poursuivaient pas cet objectif.
Ainsi, lorsque Stéphane Paquin analyse l'action internationale catalane à la fin du XXème
siècle et qu'il mentionne la figure de Pujol, il précise bien que celui-ci a développé sa
politique de « présence internationale » en tentant de réduire les occasions de conflit avec
le centre – ce qui a permis, par ailleurs, de l'imposer comme l'image de la défense des
intérêts de la Catalogne dans le cadre de l'Etat espagnol.
Dès lors, quelle sont les logiques qui apparaissent être à l’œuvre en ce début de
XXIème siècle ? Comme nous l'avons vu précédemment, CiU et Artur Mas ont fait preuve
d'une grande adaptabilité aux conditions politiques, économiques et sociales auxquelles la
Catalogne était confrontée, et a façonné sa position et son système d'alliance selon les
dynamiques présentes à chaque instant de la vie politique du pays. L'alliance avec le PP
dont nous avons déjà parlé, mise en parallèle avec le pacte récent avec les indépendantistes
d'ERC en constituent des exemples. En ce sens, nous pourrons supposer que, selon la
logique des « partis de gouvernement » mise en avant par François Mitterrand au moment
de l'accession du Parti Socialiste français au pouvoir (1981) 381, CiU et Mas tentent
380 ALLISON Graham, The Essence of decision : explaining the Cuban missile crisis, Londres : Pearson,
1999 (2ème édition), 416 p.
381 Parti ayant ou ayant eu une experience gouvernementale, et qui se sont donc trouvés face aux limites
posées par l’exercice du pouvoir politique (pressions, moyens, jeux d’alliances et de concessions).
INCLURE citation si possible
131
d'intégrer leur vision du champ politique catalan en profitant des opportunités offertes par
celui-ci, et non en tentant d'imposer leur vision et leurs idées. Ces questions sont
particulièrement importantes dans le cadre de notre objet de recherche. En effet, il nous
apparaît que la paradiplomatie, et par extension la protodiplomatie, sont des phénomènes
nécessitant beaucoup de temps et de moyens pour s’institutionnaliser, et être réellement
efficaces dans la poursuite des objectifs définis par les leaders.
Le pouvoir en place doit disposer d'une base de soutien solide, et lui même proposer
une vision cohérente et sur le long terme du développement de la « nation minoritaire »,
pour que la protodiplomatie puisse se mettre en place avec succès. Or, le fait que la
position favorable à l'autodétermination de CiU et d'Artur Mas résulte plus, selon notre
analyse, d'une réflexion pragmatique d'un parti au pouvoir donnant sa réponse à une
dynamique sociétale que d'une profonde volonté de ces élites de parvenir à l'objectif de
l'indépendance, peut remettre en question le lien entre nationalisme et projection
internationale. Reprenant la suite des événements que nous avons brièvement relatée
précédemment, il est facile de remarquer que le parti a plus réagi à la suite de phénomènes
politique qu'engagé par lui même la modification de sa ligne d'action – intérieure et
internationale – dans la perspective d'augmenter la probabilité d'une autodétermination de
la Catalogne. L'exemple des élections de 2012 est à cet égard particulièrement parlant. Il
nous semble que Mas espérait, par la convocation d'élections anticipées (et à l'image d'un
Jacques Chirac dissolvant l'Assemblée Nationale en 1997), obtenir une majorité absolue au
sein des Corts, qui lui aurait permis de gouverner plus facilement et d'avoir un meilleur
moyen de pression vis-à-vis de Madrid (notamment dans le cas de la négociation du statut
fiscal de la Communauté Autonome). Les évolutions du discours et des prises de position
du Président dans un nationalisme accru seraient alors une tentative de réponse au fort
mouvement catalaniste exprimé dans les rues de la région et d'unification d'un front aussi
large que possible de la société catalane autour de son leader. Or, la relative défaite de CiU
aux élections, et surtout la montée en puissance des partis indépendantes ont poussé la
formation à accentuer encore les prises de position nationalistes sans pour autant, il nous
semble, faire de l'aspiration à l’indépendance la ligne politique principale du parti. Ainsi, la
rencontre entre Mas et Rajoy du 30 juillet 2014 382, si elle apparaît comme un progrès très
382 El País, 30 juillet 2014, « Rajoy y Mas discrepan sobre la consulta pero mantienen abierta la
negociación ».
132
relatif dans le dégel des relations entre Madrid et Barcelone, illustre bien le positionnement
de CiU et de son leader : nationalisme et défense de la culture catalane, mais dans un cadre
pragmatique et dans l'espace politique espagnol.
Quelles sont alors les conséquences de ces questionnements en matière d'analyse
paradiplomatique ? Suite à notre remise en cause du caractère profondément porté sur
l'autodétermination du gouvernement de Mas, il nous semble que la définition de l'action
internationale catalane actuelle comme un début de protodiplomatie mérite d'être remise en
perspective. Si les éléments empiriques que nous avons collectés au cours de notre
semblent indiquer l'accélération de l'activité internationale catalane et la mise en place
d'une politique étrangère plus institutionnalisée, nous devrons nuancer la solidité de ce
phénomène, nous rapprochant alors de l'analyse de Stéphane Paquin. La personnalité du
décideur étant l'une des variables que l'auteur propose dans son analyse de la
paradiplomatie, Mas nous apparaîtra comme un leader paradiplomatique, mais qui a profité
d'une ouverture nouvelle pour tenter d'augmenter son pouvoir de pression vis-à-vis du
centre. Nous nous retrouvons alors bien dans une logique de renforcement de la position de
la nation minoritaire dans le cadre d'un Etat multinational. Ceci nous invitera, encore une
fois, à remettre en cause le caractère imperméable des modèles d'action internationale, et à
relativiser l'influence directe de l'intensité du nationalisme sur ce phénomène. Dans le cas
particulier de la Catalogne, l'action internationale nous apparaît alors comme une série
d'opportunités qui, si elles se présentent, doivent être saisies par les décideurs, et non
comme une fin en soi dans la voie vers l'indépendance. Un autre cas particulier, celui de
l'Ecosse, vient souligner l'importance d'autres variables que le nationalisme dans la
conduite de l'action internationale des régions.
(C) Le cas de l'Ecosse : nationalisme et absence de la sphère
internationale
En effet, le cas écossais semble venir en contradiction avec nos conclusions
précédentes quant à l'action internationale des régions. Ce territoire du nord de la GrandeBretagne s'illustre aujourd'hui par l'état de grande avancée de son processus
d'autodétermination. Alors que son modèle nous apparaît comme relativement proche de
celui de la Catalogne, tant au niveau administratif (Parlement et organes de gouvernement
133
propres, compétences dans certains domaines de la vie publique) que politique (la question
du nationalisme ayant pris une importance particulière dans les dernières années, et étant
devenue l'une des lignes de fracture principales dans le champ politique écossais) ou
culturel et identitaire (l'Ecosse revendique une différence culturelle forte vis-à-vis du
centre, et se présente comme une nation minoritaire au sein d'un Etat multinational
composé de l'Angleterre, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord), l'Ecosse se trouve dans un
processus d'autodétermination plus avancé que la Communauté Autonome. En effet, la
région britannique votera le 18 septembre dans un référendum d'autodétermination validé
par l'Etat central, et qui aura des conséquences juridiques réelles dans la relation avec
Londres. Si nous reprenons les conclusions que nous avons faites au cours de notre étude,
l'Ecosse devrait avoir développé dans son mouvement vers l’autodétermination une
structure protodiplomatique forte, miroir de l'expression de son nationalisme interne.
Or, ceci n'est pas le cas, et l'Ecosse n'a pas mis en place de telles structures 383. Il faudra
alors rechercher l'explication de la paradiplomatie dans d'autres variables que celle du
nationalisme, ou dans la combinaison de cette dernière avec d'autres facteurs. Nous
n'aurons pas la possibilité de détailler précisément la série de possibles explications pour ce
différentiel d'action internationale, ceci pouvant être l'occasion d'une étude comparative
dans un autre travail de recherche, mais il nous semble important d'avancer quelques
suppositions qui pourraient amorcer une réflexion sur la question. Les principales
différences qui nous apparaissent alors seront les suivantes :
•
les facteurs historiques : la Catalogne et l'Ecosse ont en effet eu une
trajectoire historique différente, qui pourrait être l'une des raisons du
positionnement différent quant à la paradiplomatie et à son importance dans
l'expression du nationalisme ;
•
le type de relations politiques avec le centre : en lien avec les questions
historiques, il nous apparaît que les relations Ecosse-Angleterre diffèrent
considérablement des rapports Catalogne-Espagne. La Grande-Bretagne
n'ayant, par exemple, pas connu de régime répressif ou dictatorial pendant le
XXème siècle, les régions qui la composent n'ont pas eu à recherche une
383 PAQUIN S., « La Paradiplomatie identitaire, le Québec, la Catalogne et la Flandre en relations
internationales », op. cit., p. 40.
134
légitimation extérieure de leurs aspirations. De même, la force de l'action
diplomatique anglaise au cours du XXème siècle peut expliquer le peu de
fenêtre d'action pour une collectivité locale dans ce cadre ;
•
la position de la région : alors que la Catalogne a pu profiter se sa position
centrale dans la zone européenne et méditerranéenne, l'Ecosse, du fait de
son relatif isolement géographique, peut ne pas avoir été confrontée aux
mêmes dynamiques internationales et donc développer des moyens de
politique étrangère.
Ces réflexions nous semblent constituer des axes de recherche intéressants, et restent
des suppositions que des travaux postérieurs pourraient nous permettre de confirmer ou
d'infirmer. Il n'en demeure pas moins, et malgré la maigre recherche que nous avons
effectuée sur l'Ecosse, que cet exemple est un autre des facteurs de relativisation de
l'influence du nationalisme et sur l'action internationale des régions. Si ce cas particulier ne
nous permet pas de conclure sur le caractère non pertinent de la variable nationaliste (les
trois principales régions à paradiplomatie citées par Paquin : le Québec, la Flandre et la
Catalogne, sont aussi des régions à nationalisme très prononcé) – nous continuons de croire
que, dans un contexte aussi complexe et politisé qu'est celui de la paradiplomatie, le
nationalisme doit être considéré comme l'un des éléments déterminants –, il nous amène à
supposer l'existence d'une diversité de facteurs présidant à l'existence et la nature de ce
phénomène.
Il apparaît donc que la situation des régions dans l'aire internationale se trouve dans une
dynamique de changement constant, entre recherche de légitimation, influence de variables
contextuelles et de la perception identitaire des leaders et de la société locaux. Une étude
complète des phénomènes d'internationalisation régionale devra alors considérer non pas
un type de relations, mais une multiplicité de logiques à niveaux et dimensions variés, et
appelées à changer très rapidement – mélangeant une prise en compte des facteurs
structurels, mais aussi une analyse en profondeur de l'actualité des champs politiques local,
national et international. En ce sens, les récents développements incluant le maintien du
référendum, les rencontres entre Mas et Rajoy ainsi que la reconnaissance d'une évasion
135
fiscale par Jordi Pujol (qui pourrait entamer la légitimité du leader historique et – par
extension – de son parti) invitent à penser ce travail de recherche non pas comme un
ensemble figé, mais comme une série de questionnements relatifs à un phénomène
relativement nouveau et très évolutif.
136
CONCLUSION
Le phénomène de l'action internationale des régions apparaît comme l'une des
nouvelles problématiques émergeant de la redéfinition du champ international dans les
années ayant suivi la fin de la Guerre Froide. Malgré sa jeunesse, ce champ d'études a été
largement étudié dans le cadre universitaire, dans les perspectives d'analyse des nouvelles
dynamiques internationales et de la mondialisation. En effet, alors que le système change,
et que les acteurs qui le dominaient auparavant doivent en abandonner une partie – restant
tout de même les unités de référence dans une grande majorité de domaines –, de nouvelles
structures vont tenter de chercher à poursuivre des intérêts propres dans cette sphère. Le
cas des régions est à cet égard très spécifique, en ce qu'il concerne un acteur organiquement
lié à l'Etat, qui utilise parfois les avantages conférés par le statut de puissance publique,
mais qui peut aussi se poser en concurrence voire en opposition avec celui-ci. Dès lors, les
régions peuvent être une menace pour le monopole de l'Etat dans les Relations
Internationales, mais aussi une opportunité de délégation de pouvoir dans des aires
spécialisées (ces deux cas de figure constituent les hypothèses principales de l'étude de la
paradiplomatie). Stéphane Paquin, reprenant Panayotis Soldatos, avait ainsi proposé trois
modèles
pour
ce
phénomène :
paradiplomatie,
paradiplomatie
identitaire,
et
protodiplomatie. Ces idéaux-types nous aident ainsi à comprendre la nature de l'action
internationale d'une région donnée, les intentions qui y sous-tendent et, plus
particulièrement, la logique nationaliste et identitaire.
Notre mémoire s'est attaché à appliquer ces modèles de réflexion au cas de la
Communauté Autonome de Catalogne, partant du constat que, dans les années récentes – et
contrairement à ce que proposait Paquin dans son ouvrage –, l'action internationale catalane
semblait prendre un tour plus conflictuel et protodiplomatique. Nous avons alors tenté de
déceler quels éléments pouvaient être à l'origine de ces changements, mettant tout
particulièrement en avant la question de l'expression nationaliste et de la poussée vers un
processus d'autodétermination de la région. Nous avons donc essayé d'analyser la situation
de la Catalogne selon le prisme de l'action internationale des régions, des théories du
nationalisme et des Relations Internationales, prenant en compte à la fois les facteurs
structurels, conjoncturels, sociétaux et individuels dans la construction de l'identité et du
137
nationalisme, afin de les rapporter au modèle de projection extérieure catalan.
Nous avons ainsi pu, tout d'abord, nous intéresser aux facteurs historiques, contextuels
et sociétaux qui font de la Catalogne contemporaine un terreau favorable à, d'une part,
l'expression nationaliste et, d'autre part, l'internationalisation des questions régionales.
Notre deuxième chapitre a alors pu aborder une série de manifestations apparaissant
comme tenant du modèle paradiplomatique de Paquin, mais révélant de façon implicite une
volonté de faire valoir le droit à la différence catalan et la représentation de la région
commun une « nation minoritaire » pouvant aspirer à l'autodétermination. Ces réflexions
nous ont mené à souligner la mise en place récente de plusieurs mécanismes, institutions
ou outils se rapprochant de l'image d'une diplomatie étatique et, dès lors, pouvant être
assimilée à une protodiplomatie (embryon de diplomatie de type étatique) naissante. Notre
quatrième chapitre a été l'occasion de brièvement relativiser ces constatation, et de
remarquer l'influence d'un grand nombre de variables croisées dans le phénomène étudié.
Ces réflexions nous amènent alors à valider l'une des trois hypothèses que nous avons
formulées (« La Catalogne accroît sa présence internationale et son action extérieure tend
vers un modèle protodiplomatique »), et à confirmer avec quelques nuances une autre
d'entre elles (« Le caractère paradiplomatique ou protodiplomatique de l'action
internationale catalane dépend du positionnement de ses élites vis-à-vis du sentiment
nationaliste », au vu de l'influence des leaders comme Jordi Pujol ou Artur Mas, qu'il
faudra toutefois mettre en perspective avec toute une série de variables, dont les facteurs
contextuels). En ce qui concerne la troisième de nos hypothèses, si nous pouvons conclure
sur l'existence d'un lien fort de corrélation positive entre nationalisme et projection
internationale, il nous sera difficile de définir la nature exacte de ce lien, et les conditions
sous lesquelles le nationalisme est réellement à l'origine d'une poussée de l'action
internationale dans une direction protodiplomatique.
Il sera alors important, pour comprendre de façon plus complète les logiques de l'action
internationale de la Communauté Autonome de Catalogne, de suivre avec attention les
événements à venir, et plus particulièrement le vote organisé autour de l'indépendance le 9
novembre 2014. L'issue de ce « référendum » et les réactions des différents acteurs de
l'action internationale catalane (qu'ils soient issus de la société civile, de l'entreprise ou des
138
secteurs politiques) seront extrêmement éclairants quant aux modes de projection du « fait
différentiel » au-delà des frontières du país.
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CatalanVoices : http://www.catalanvoices.com ; ou http://www.twitter.com/CatalanVoices ;
Cercle Català de Negocis : http://www.ccn.cat ;
Ciudadanos : http://www.ciudadanos.org ;
Consell de Diplomàcia Pública de Catalunya (Diplocat) : http://www.diplocat.cat ;
Eurocités : http://www.eurocities.eu ;
Eurodistrict de l'Espace Catalan Transfrontalier : http://www.eurodistricte.cat ;
Eurorégion Pyrénées-Méditerranée : http://www.euroregio.eu ;
Generalitat de Catalunya : http://www.gencat.cat ;
148
Institut d'Estadístiques de Catalunya : http://www.idescat.cat ;
Institut Europeu de la Mediterrània : http://www.iemed.org ;
Institut Ramon Lull : http://www.lull.cat ;
Omnium Cultural : http://www.omnium.cat ;
Secretaria d’Afers Exteriors de la Generalitat de Catalunya :
http://afersexteriors.gencat.cat ;
Sud de France : http://www.suddefrance-developpement.com :
Tourisme de Barcelone : www.barcelonaturisme.cat ; www.barcelona.com.
149
ANNEXES
Annexe 1 : Carte de la Catalogne administrative..........................................................151
Annexe 2 : Drapeaux catalans et leur sens....................................................................152
Annexe 3 : Exemple de production de l'Institut d'Estadístiques de Catalunya
(IDESCAT) : Données économiques de la Catalogne pour l'année 2009......................153
Annexe 4 : Extrait du discours de Pau Casals devant l'Assemblée Générale des Nations
Unies, le 24 octobre 1971..............................................................................................154
Annexe 5 : Extraits des deux discours de politique générale du Président de la
Generalitat de Catalogne, Artur Mas, en 2012 et 2013..................................................155
Annexe 6 : Exemple de publication proposée par Diplocat..........................................157
Annexe 7 : Déclaration de souveraineté votée au Parlement catalan le 23 janvier 2013
.......................................................................................................................................158
150
Annexe 1 : Carte de la Catalogne administrative
Illustration 1: Catalogne administrative. Source : Institut Cartogràfic i Geològic de
Catalunya (ICCC)
151
Annexe 2 : Drapeaux catalans et leur sens
Illustration 2: Exemple de Senyera
Illustration 3: L'estelada (étoilée);
le drapeau du mouvement
indépendantiste
Illustration 4: L'estelada vermella
(l'étoilée rouge), symbole de
l'indépendantisme de gauche ou
d'extrême-gauche
152
Annexe 3 : Exemple de production de l'Institut d'Estadístiques de
Catalunya (IDESCAT) : données économiques de la Catalogne
pour l'année 2009
153
Annexe 4 : Extrait du discours de Pau Casals devant l'Assemblée
Générale des Nations Unies, le 24 octobre 1971
“Aquest és l’honor més gran que he rebut a la meva vida.
La pau ha estat sempre la meva més gran preocupació. Ja
en la meva infantesa vaig aprendre a estimar-la. La meva
mare – una dona excepcional, genial - , quan jo era noi, ja
em parlava de la pau, perquè en aquells temps també hi
havia moltes guerres. A més, sóc català. Catalunya va tenir
el primer Parlament democràtic molt abans que Anglaterra.
I fou al meu país on hi hagué les primeres nacions unides.
En aquell temps – segle onzè – van reunir-se a Toluges –
avui França – per parlar de la pau, perquè els catalans
d’aquell temps ja estaven contra, CONTRA la guerra. Per
això les Nacions Unides, que treballen únicament per l’ideal
de la pau, estan en el meu cor, perquè tot allò referent a la
pau hi va directament. (...) Fa molts anys que no toco el
violoncel en públic, però crec que he de fer-ho en aquesta
ocasió. Vaig a tocar una melodia del folklore català: El cant
dels ocells. Els ocells, quan són al cel, van cantant: "Peace,
Peace, Peace" (pau, pau, pau) i és una melodia que Bach,
Beethoven i tots els grans haurien admirat i estimat. I, a
més, neix de l’ànima del meu poble, Catalunya.”384
384 Traduit de l'anglais par CASALS Enric, Pau Casals, dades biogràfiques inèdites, cartes íntimes i records
viscuts, Barcelone : Pòrtic, 1979, 347 p.
154
Annexe 5 : Extraits des deux discours de politique générale du
Président de la Generalitat de Catalogne, Artur Mas, en 2012 et
2013
2013, sur la sentence du TC
“Veient com ha anat el fotograma que els he descrit, algú
realment es pot sorprendre del perquè hem arribat fins
aquí? Hi hem arribat perquè la sentència del TC aixeca un
mur en la relació entre la majoria de la societat catalana i
l’Estat espanyol, i constitueix l’evidència plàstica que el
famós “encaix” de Catalunya a l’Estat no és possible en els
termes que el catalanisme plural, divers i transversal l’ha
buscat històricament i fins a èpoques ben recents. Dit d’una
altra manera, l’encaix solament és possible si Catalunya
renuncia al seu projecte col·lectiu, si renuncia a ser un
subjecte polític. Si acceptem ser un objecte, l’encaix és
possible. Si volem ser un subjecte, amb personalitat i
identitat pròpies, amb opcions d’oferir als set milions i mig
de catalanes i de catalans un projecte propi, no subordinat,
aleshores l’encaix no és possible, encara que l’haguem
perseguit molt de temps. Més de cent anys. […] Amb
modulacions diverses, que van des de la reforma
constitucional fins a la configuració d’un estat independent,
hi ha una cosa clara: 107 dels 135 diputats d’aquest
Parlament portaven en el seu programa electoral recent
propostes que avalaven diferents formats per canviar
l’actual marc de relacions entre Catalunya i la resta de
l’Estat espanyol.”385
385 MAS Artur, 25 septembre 2013, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p. 2-3.
155
2012, Mas dissout le Parlement catalan
« Conscient d’aquesta realitat, després de constatar en la
recent trobada amb el president del Govern espanyol que no
hi ha voluntat d’avançar en la proposta de Pacte Fiscal que
aquest mateix Parlament va votar per una folgada majoria
el passat mes de juliol, i després d’uns dies de reflexió
personal, m’he reunit aquest matí amb la presidenta del
Parlament i amb el Govern i els he anunciat la meva decisió
de dissoldre el Parlament de Catalunya els propers dies i
convocar eleccions el proper diumenge 25 de novembre. En
moments excepcionals, decisions excepcionals »386
386 MAS Artur, 25 septembre 2012, « Discurs del president de la Generalitat en el Debat de Política
General », p. 2.
156
Annexe 6 : Exemple de publication proposée par Diplocat
Date: 02/07/2013
Author: Michael Keating*
IS CATALONIA HEADING TOWARDS INDEPENDENCE?
« Catalonia is one of Spain´s historic nationalities, with a population of some seven and
a half million people and located on the border with France. It has its own language, part of
the Romance family along with French, Spanish and Italian. Catalan is understood by all
and spoken by most people, and is used in the education system and public administration;
all Catalans also speak Castilian Spanish. Historically, Catalonia was part of the Kingdom
of Aragon, which was united with Castile in the early sixteenth century, but, within the
union of the crowns, Catalonia kept its own governing institutions (the Generalitat) and
legal system. Only in 1714, after Catalans sided with the losing side in the War of Spanish
Succession, were these abolished. The broad movement known as Catalanism, like other
European national movements, is a product of the late nineteenth century, the product of a
cultural revival and the industrial take-off that made Catalonia one of the most dynamic
territories in Spain. Historically, Catalanism has sought the transformation of Spain into a
plurinational state, with Catalonia playing a full part in Spanish politics, although from the
early twentieth century there has also been a movement in favour of an independent state of
Catalonia. Early Catalanists called themselves regionalists but gradually the term nation
came to be preferred, coming into conflict with Spanish nationalists, for whom the only
possible nation is Spain. Catalan nationalism is the stronger version of Catalanism,
prioritizing Catalonia over Spain. The early twentieth century and the 1960s and 1970s saw
a massive movement into Catalonia of migrants from other parts of Spain and the
Catalanist movement has sought to assimilate them into the community, notably by
encouraging them to learn the language. »387
387 Extrait du paragraphe introductif de KEATING Michael, « Is Catalonia heading towards
independence ? », Catalonia background information, 5 p.
157
Annexe 7 : Déclaration de souveraineté votée au Parlement
catalan le 23 janvier 2013
DECLARACIÓ DE SOBIRANIA I DEL DRET A DECIDIR DEL POBLE DE
CATALUNYA
D’acord amb la voluntat majoritària expressada democràticament pel poble de
Catalunya, el Parlament de Catalunya acorda iniciar el procés per a fer efectiu l’exercici del
dret a decidir per tal que els ciutadans i les ciutadanes de Catalunya puguin decidir llur
futur polític col·lectiu, d’acord amb els principis següents:
Primer. Sobirania. El poble de Catalunya té, per raons de legitimitat democràtica,
caràcter de subjecte polític i jurídic sobirà.
Segon. Legitimitat democràtica. El procés de l’exercici del dret a decidir serà
escrupolosament democràtic i garantirà especialment la pluralitat i el respecte de totes les
opcions, per mitjà de la deliberació i el diàleg en el si de la societat catalana, amb l’objectiu
que el pronunciament que en resulti sigui l’expressió majoritària de la voluntat popular,
que serà el garant fonamental del dret a decidir.
Tercer. Transparència. Es facilitaran totes les eines necessàries perquè el conjunt de la
població i la societat civil catalana tingui tota la informació i el coneixement adequat per a
exercir el dret a decidir i perquè es promogui la seva participació en el procés.
Quart. Diàleg. Es dialogarà i es negociarà amb l’Estat espanyol, amb les institucions
europees i amb el conjunt de la comunitat internacional.
Cinquè. Cohesió social. Es garantirà la cohesió social i territorial del país i la voluntat
expressada en múltiples ocasions per la societat catalana de mantenir Catalunya com un sol
poble.
Sisè. Europeisme. Es defensaran i es promouran els principis fundacionals de la Unió
Europea, particularment els drets fonamentals dels ciutadans, la democràcia, el compromís
amb l’estat del benestar, la solidaritat entre els diferents pobles d’Europa i l’aposta pel
progrés econòmic, social i cultural.
158
Setè. Legalitat. S’utilitzaran tots els marcs legals existents per a fer efectiu
l’enfortiment democràtic i l’exercici del dret a decidir.
Vuitè. Paper principal del Parlament. El Parlament, com a institució que representa el
poble de Catalunya, té un paper principal en aquest procés i, per tant, s’han d’acordar i
concretar els mecanismes i les dinàmiques de treball que garanteixin aquest principi.
Novè. Participació. El Parlament de Catalunya i el Govern de la Generalitat han de fer
partícips actius de tot aquest procés el món local i el màxim de forces polítiques, d’agents
econòmics i socials i d’entitats culturals i cíviques de Catalunya, i han de concretar els
mecanismes que garanteixin aquest principi.
El Parlament de Catalunya encoratja tots els ciutadans i ciutadanes a ésser
protagonistes actius del procés democràtic d’exercici del dret a decidir del poble de
Catalunya.
Palau del Parlament, 23 de gener de 2013
El secretari quart
David Companyon i Costa
La presidenta del Parlament
Núria de Gispert i Català
159