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Josée Yvon
Les laides otages
à mon ami Bill
(Burroughs)
à Janet Kerouac
et Jack Micheline
pour le traveling-écriture
américain
et à Gena Rowlings
(Une femme sous influence)
et toutes les mortes-vivantes
OTAGE n.m. (Ostage, 1080, aussi «logement, demeure»; de oste «hôte», les otages étant
d'abord logés chez le souverain). Personne livrée ou reçue comme garantie de l'exécution
d'une promesse, d'un traité (militaire ou politique).
De l'éternité
Tu seras
Otage du temps
PASTERNAK,
Lettres à Maria Olga Ivinskaïa
Difference between sanity and insanity is analogious to the points in the rainbow when one
color begins and another ends.
MELVILLE
Mariées ou nonnes, patriciennes ou soubrettes, elles savent leur poste et revendiquent la
création.
GOLDONI
Un bruit sourd
Kâlisse guettait par le carreau, sa jaquette qui pendouillait ouverte.
La grande Betty rugissait,
à coups de poings féroces
sur la matrone assommée;
elle devint carnivore, lui arrachant les cheveux,
à pleines mordées elle entama les joues
et avec ses mains incroyables
lui arracha complètement la mâchoire
Kâlisse pissa sur le plancher froid
Betty s'attaquait aux orbites de la vieille en gris avec «nul autre» instrument
... que ses longues mains,
elle arrachait des lambeaux de chair sur la gisante déjà inanimée,
elle lui mordait le cou en saccades,
et elle coupait l'aorte, aspirant le sang, le recrachant avec dégoût
son œil noir pendait exorbité au bout du nerf optique
puis d'un coup sec furieux dément, Betty la décapita presque complètement
Kâlisse courut se coucher dans le dortoir sous son lit.
presque complètement
Kâlisse courut se coucher dans le dortoir sous son lit.
Kâlisse, elle s'appelle Triste, baptisée Tristanne aussi Treste-Anne
mais le prénom avait glissé tout doucement comme elle, oui, s'était écoulé de sa vie
sage dans de petits emplois puis l'acid de 67 et de bar en bar le speed de 70... et la junk.
Son dernier hit remonte au jour de l'An: on l'a retrouvée démente et nue dans un coma
laborieux.
En fait elle avait toujours suivi, toujours cherché.
Un grand voile l'emporte sans la secouer
une existence trop ordinaire.
«Nous sommes tuées par nos désirs, par nos sexes», dixit Marie-Thérèse.
On refusait l'entrée de tous les clubs à Marie-Thérèse. Parfois les bouncers la traînaient en
bas de longs escaliers. Elle se faisait battre parce qu'elle se promenait la poitrine nue. En prison sur
trop de mescaline, ils l'ont menée chez les folles: elle portait de la laine d'acier en guise de boucles
d'oreilles. Refusée.
«La crevette», qu'ils l'appelaient, et bannie de partout. Son Southern Comfort trop violent
faisait fuir et on la tirait hors du restaurant par les cheveux.
Son repaire passait surtout par les jeux d'arcades, tolérée... enfin pas vraiment presque
censurée. Dépendait des soirs.
Les machines à boules brillent plein gaz, les canards s'excitent et à chaque coup des
milliers de paillettes s'allument, flashent sur le chrome. La féerie éblouit; tout le luxe chic et
flamboyant halluciné.
Battue chez les hommes, reniée chez les butchs, Marie-Thérèse se réfugie chez les bums.
Devant elle s'extasient des chérubins qui dansent avec une élégance invitante.
Mais les machines se composent de papier mâché; le goudron dépasse du papier collé; le
plancher de slutch dégoutte un jus noirâtre. Bosselés, amputés, castrés les pauvres engins
gémissent encore quand on les heurte. Dans le noir quelques pitons encore mauve Indiana Jones
où apparaissent les filtres à cigarettes et les gommes-ballounes entassées sur la fausse vitre. Des
murs craquelés et jaunissants suinte cette fétide odeur de chasse-d'eau. Mais Marie-Thérèse cruise
les deux adolescents morveux, elle ne voit plus leur pissante vulgarité.
Jamais elle n'a craint le danger, elle le recherche.
Invités chez elle ce soir de pleine lune, pour la rapace de quelques objets, ils l'éventrèrent aux
tessons de bouteilles.
Elle aura été la dernière à commander
des «saucisses dégueulasses» au Sélect.
Au-dessus régnait Têtra, la boss, la maîtresse, la femme aux mille pattes.
Que savions-nous d'Elle, cette géante, cette super-intendante?
Qu'elle vivait de barbituriques et qu'elle laissait faire?
Stoned, elle enregistrait les plaintes en bas. Pour elle, les otages se tasseraient évidemment,
puisqu'elle-même n'aimait plus la vie et qu'elle les gaverait de poulets bar-b-cues, de pizzas, de
mets chinois: alors, comment peuvent exister les otages?
Un simple mécontentement qui vous ravage jusqu'au bout du cœur?
Et l'empirisme s'empoche la conscience.
Dans le fond des bars ils finissent par se remplir difficilement.
Et elle entendait la plus jeune surnommée «Kâlisse», parfois «Laide» ou «Laitte».
Kâlisse criait: «Je ne veux pas sortir. Où irions-nous à part d'ici?»
Têtra, la reine des fourmis rouges, gardait dans son aquarium une grosse chenille orangepoilue, flasque, obèse, couverte de pustules d'où dégouline un lait noirâtre.
Facile de la capturer, tant son estomac blême mou l'empêchait d'avancer.
Quelque mille ouvrières la transportèrent au nid.
Toute la «wing» se rassemble, donne des électrochocs à l'infirmier qui a violé la petite
Rosine Plating inconsciente.
Les deux autres matrones, Gertrude et celle qu'elles surnommaient Guidoune sont alors
facilement capturées.
De l'âge du bonze
frelatées au point de boire
le formol qui garde le fœtus
cette beauté qui ne s'écrit pas
cherche encore la veine-maîtresse
boit la strega
sur la gerbe des communiantes
étire la peau du silence.
Rosine n'était malgré elle qu'une incantatrice sorcière
ne portait que des brassières jaunies
des corsets agrafés de graisse
sous sa muqueuse sèche
pensait qu'elle se massait avec de l'huile de rose
d'hyacinthe, du musc
alors qu'elle renversait le sirop à tousser.
Mouvoir son corps comme la Chienne!
peut-être des fruits, des fleurs, des balles ou des masques
tombés
comtesses, ménagères, courtisanes, boulangères, froissant
toutes leur robe de satin noir
et ces photos médiocres seront fusillées
tous ces ridotti
pendant que le restant de bois économise l'énergie.
VENIMEUSES, ATTEINTES.
Livides, nombreuses:
Joni, Topaze, Saloppe, Alma qui suce toutte même les «pruneaux», Kathleen, CharlotteLina siamoises, Monday fille de calendrier, Lise «Capotée» Boudreau, la grande Christiane qui
cherche encore son jupon noir, la Ferrée, Canuck qui ne sait que raconter «Peau d'Âne», et
Nicole-Nympho et Courgette et Rosine Plating... et Betty l'émeutière qui renverse les comptoirs et
qui, mordue au gros orteil par un rat, prend sa douche cinq fois par jour, se désinfecte
constamment par peur du sida...
Pendant que gît ce bonheur psychotique, l'extérieur n'est que symptôme de ganglions
dissimulé qui se trompe: elles sont la vraie société, aussi pire, aussi malade, aussi vulnérable.
Bébette-Barbara, America, Eileen Treunde la gymnastique de Marie-Thérèse et Treste-Laitte,
toutes pauvres danseuses sur cette corde raide de la réputation de tout temps, comme si l'aptitude
à bouger son corps allait de pair avec la légèreté des mœurs
... mais Miss Menken, Gertrude Menken, la gardienne
déploguée, connaissait le pas du serpent
depuis sa petite amie Verity chaude
les pieds nus sur les crachats
elle longeait les murs des maladies de peau
rampait, quêtait
et les insectes demeuraient le seul danger
du porc salé, de la farine, du lard des fèves et du thé
elle ne conservait malheureusement qu'une très faible histoire...
Il y avait de la mort dans les grottes.
«Déprivation»...
seule l'horloge ne s'arrête...
Nous vivions un temps où il fallait s'installer. Seule la rumeur touchait encore un peu.
Solitude inadéquate,
mais qu'importe ce pays bâtard, car invisibles étaient les marques sur nos corps absents.
Ne saurais dire l'impact d'un désert si rude puisque j'en suis demeurée sans vie.
Katkleen Coburn s'était terrée à la cave depuis cette longue pénible histoire incestueuse avec son
père.
La belle Katkleen s'est enroulée dans sa longue tresse et dans une couverture sale, et se jurait bien
de se laisser mourir près de la suie de la grosse fournaise plutôt que de remonter son visage pâle au
soleil.
Elle aoûterait, un mois en avance comme l'érable de Norvège.
Son cœur sue à rebours
inacceptable et
les rosées perlent de folies
puisque morte quelle importance cette plage de motel
aucune place pour les perdantes, les ouvreuses...
Depuis le tribunal, tous savaient.
Soudainement sa mère sans lui parler descendit à la cave et subrepticement, grimpa, s'accrocha, se
pendit devant elle, rapide.
Elle n'avait plus besoin de lui exprimer sa détresse
et Katkleen ne comprendra plus jamais.
Il paraît que les corps des suicidées flottent quelque part...
et ne peuvent qu'onduler vers le plaisir
vers les rosiers jaune orange, les lys, les odorantes et les papyrus...
Celle qui fut comme sa sœur.
Toute pensée est avant tout l'œuvre
d'une existence singulière.
Jacques LAVIGNE
L'inquiétude humaine
et les répétitions sont dessinées comme de vieux mantras. On laissa Miss Menken venir soigner les
«deux cheurs» (surnom qu'on leur donnait) écorchées, Lina et Charlotte siamoises, parce que par
paresse ou par peur, on n'a jamais voulu savoir si elles étaient une dans l'autre ou l'une dans deux!
Miss Menken prit goût au vin qui coulait et à la pizza répandue.
Elle ne voulait plus retourner dans la chambre matelassée elle se mit à danser sur la musique qui
suintait de la petite radio de Rosine.
Elle branche une autre fois les électro-chocs à l'infirmier qu'elle avait toujours détesté.
Là-haut, Têtra riait d'un bon cœur, sur sa baie vitrée. Elle savait que Miss Menken ne resterait pas
longtemps une «otage». Elle aimait trop «ses» filles. Bien que Saloppe la surveillait étroitement,
barreau de lit à la main, Menken se mit à chanter et partit un pot-pourri que même Georgette dite
Courgette entama dans son sommeil. Lise «Capotée» Boudreau continua avec un rigodon et Nicole
entama un plain avec Joni.
Bébette-Barbara débuta un strip-tease pendant qu'Eileen Treunde se mit en tête de tabarnaquer une
volée à la dernière gardienne
Pendant qu'à Papeete, Léontine
drague dans une superbe robe à fleurs transparentes...
Hélas, la peine amère qui nous ronge
Pour le canoë naufragé, pour l'amie perdue.
Ma précieuse plume de héron flotte sur le rivage
de l'océan,
Et la foudre du ciel salue la mort.
Maintenant que tu as pris ce sentier glissant,
Y a-t-il une autorité au monde?
Puisque tu n'es plus rempart de ton peuple.
L'oiseau qui chantait la sagesse s'est envolé,
Désormais les femmes pleurent des ruisseaux de larmes.
Ton corps gît dans son beau manteau,
Mais ton esprit s'est enfui
Ah! mon précieux bijou de jade vert,
emblème des guerriers déchus
Paolo Grossi, poète polynésien
La bataille s'enfle dans le dortoir comme un ballon dirigeable. Elles meuglent. Monday bat Lise
qui bat Rosine Plating qui hurle à travers les barreaux; elle prépare une bannière «Au secours»
comme à Archambault.
Lise se rabat sur Topaze qui déchire les jaquettes pendant que Alma-les-Pruneaux essaie de voler
le jupon noir de la grande Christiane.
Kâlisse pleure à sanglots fous terrifiés tandis que Katkleen Coburn se berce en chantonnant.
Saloppe s'obstine avec Betty pour la direction des opérations.
Joni la noire appelle sa maîtresse: «Mona, Mona!» comme si Mona pouvait l'entendre.
Georgette dite Courgette casse le cou à toutes les poupées sur les lits, puis s'acharne sur le piano
avec la suce des toilettes.
Les robinets coulent, le sang gicle sur l'infirmier inconscient.
Eileen Treunde fait des exercices de gymnastique
et Bébette-Barbara fait l'amour à Nicole.
Les dernières décorations poussiéreuses de la Saint-Valentin flottent encore, pleuvent sur la
grande Christiane qui essaie de séparer les siamoises qui rient.
Lina et Charlotte soudées, les yeux renversés ne sursautent même pas.
Mais là-haut, Têtra rit à en pleurer en se versant un autre verre.
Couchées sur le ciment
les matelas tout éventrés et barricadés contre les fenêtres, toutes épuisées; suintait seulement un
immense gémissement peut-être aussi quelques cris sauvages Alma-les-Pruneaux se mit à chanter
le blues, un blues jamais entendu
souffrance et joie mais aussi hystérie et le son dépassa le matin.
Elles ont demandé du Bellini pour déjeuner
et pris un verre devant l'odeur du cadavre.
Topaze pratique son kung-fu, même si l'estomac lui craque; passe devant Betty et lui administre
un coup de pied plein centre
Betty voit rouge et frappe America-Susan qui hurle corrosive, comme patinée sur des aquatintes:
le combat de la veille reprend au ralenti.
Joni tremble en se faisant une rouleuse, elle réclame du pot, elle ricane, jacasse avec Lise
«Capotée» Boudreau qu'elle déteste, ne peut s'arrêter de parler
Eileen Treunde improvise un simulacre de tennis insensé.
Kâlisse se cache dans l'émeute
elle, la détestée, la mineure, l'enfant-chaloupe, la «Laitte»
elle se tasse sur ce qu'elle croit des rochers à l'ombre sans sex-appeal.
Maigre, trop grande, dans le vécu d'une autre, elle bourre sa brassière de kleenex, si parfaite qu'on
la demande à danser à la salle paroissiale ou à jouer au Monopoly;
elle faisait de la philatélie parce que les garçons
lui donnaient des timbres.
Courbée, gênée, elle finit par acheter «Like a Rolling Stone» au Miracle Mart et sa voisine-amiepianiste Danielle refusa de l'écouter.
de la poudre compacte
un pitt-bull en laisse très chic
et la souffrance n'est pas la faiblesse
«ce milieu-là» pour les fragiles
ça les excite
s'ils voient ta peur
Le mal ça existe, tu comprends pas ça?
Après les claques sur la gueule, Lise «Capotée» Boudreau se mit à danser avec Topaze, et Saloppe
avec Monday.
À danser, elles se souciaient peu de l'otage, «morte ou vive»: la vie continue.
Têtra, tout en se versant sur son gros ventre, se mit à rire et monta le volume
De s'enjouir de la mort n'est qu'un mauvais principe moraliste.
Et la fête existe!
Mais savaient-elles le soupçon de leur joie?
Saloppe se mit à rédiger la liste des réclamations.
Toutes hurlaient,
ce qui ne réveillait pas Bébette-Barbara qui ronflait sous la table d'électro-chocs.
Bébette-Barbara, gagnante même laide, celle qui a tout quitté, surtout l'amour, pour des
tournées de strip-tease aux États-Unis.
Jusqu'à ce que la mort envahisse tranquillement le quotidien.
Et le jack-knife vers le pusher; son sang goûtait bon et la barmaid toute-puissante inventa
un cocktail, le last-call sur sa pudeur et son immortalité.
Elle vous reverra demain pour crosser les fils et la toilette coule, le téléphone sonne, le
Yorkshire Terrier pisse sur le tapis. Les fenêtres se raréfient en ville, peu à peu et la mort
à souhait, elle s'enlise dans le double-crossing, devient si vulnérable que le chagrin d'une
amie l'emporte. Elle parle de 80 couches et de caisses de pots pour bébés en même temps
que de son dernier tatou sur la fesse.
La tournée, le métier. Hôtels, repas dans les cuisines avec le personnel et puis
l'«entertainment»,
poussée par cette tapette chiante money-maker, une routine jusqu'aux petites heures pour
les chauffeurs de trucks de lait, un lunch café-gin au «Cycle Sluts from Hell» avec les
autres artisses au mascara coulant, pendant que les enfants passent pour l'école en se
bousculant.
Assise encore un autre matin avec ses ami-e-s aux joues creuses. Et puis: «Salut les boys,
je vas crasher.»
... et cette encéphalite qui vint très vite...
Lise «Capotée» Boudreau la réveille mais elle ne veut rien commander.
Lise «Capotée» qui buvait en cachette depuis si longtemps et enfin ouvertement, elle s'est
tirée au bout du champ de blé d'Inde, dans la boue, seule au bout de l'alcool,
un demi-visage arraché,
elle qui savait si bien monter le silo à grains; elle ne pouvait produire d'enfant; elle s'est
manquée d'une escalade
gauche et titanesque
qui enflamma sa folie.
La vie ne revient plus: son cœur bat trop fort,
manque d'alcool et mal de cœur
elle ne revenait plus, malade de boisson, vraiment malade de boisson.
Monday, fille de porno, en fait elle s'appelait Janette, mais se choquait instantanément si
on ne l'appelait pas Monday.
Son personnage avait déjà vécu, il fallait le croire.
Celle à la piscine en cœur, aux renards blancs frôlant le sol, celle à quatre pattes pour
sucer les producteurs dans les bureaux,
la Jayne Mansfield qui se laisse caresser sans fin dans la loge pendant qu'elle se maquille
quelques barbituriques pour effacer sous les flashs
le petit remords taché au fond du cœur
comment se sortir de l'envie du rêve
telle une statue elle pose encore comme une vedette,
une étoile ou une star
qui s'ennuie à la porte de l'hôtel
en attendant la limousine.
Un jour elle a mélangé le cognac avec le sirop, un coma délirant qui dure...
elle ne croit plus à la pluie
même si elle en dégoutte
contre le mur où le ciel se safrane
vie-erreur
si petite soit-elle
et pendant qu'elle pleure
elle devient pieuvre des bois.
elle ne se souvient plus de ce motel aux draps fanés
sa brassière de cuir coulait de chocolat
mâchait le ciment
une fille qui ralentit ne s'arrête pas
sur la poudre d'or
qui couvre ses shiners
et ne serait-ce que de ce talon cassé
que la petite veut pour son chat
terreuses de peur, gaz pur
et violentes
sur cet air d'espoir où le pire était vrai
si nous nous perdions dans nos larmes
qui dira que cette peur nous mène dans un terrain mou?
Monday s'accoude épuisée sur la table à cartes, griffée, vomissant, jaquette en lambeaux,
les cheveux collés dans la confiture qu'elle s'applique comme maquillage.
Par terre à côté d'elle, Saloppe sanglote, avec sa carrure de femme de ménage elle essuie
encore une défaite. Issue d'une solitude presque parfaite.
Fleurs et cadeaux elle épouse cet individu absent et nerveux: trompée dans son premier
amour, effrontément jusqu'aux gonorrhées, elle découvre le mépris.
Servante de Monsieur à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, torcheuse, et courir
au troisième dépanneur pour un cartoon de gitanes.
Jamais un signe de satisfaction: «Trou puant!» «Grosse torche!»
Elle lave le tas de vaisselle collante, le blender où flotte encore l'œuf et la banane
il quitte négligemment, essuyant affairé le gruau qui dégoutte du coin de sa moustache
elle se tient près du chauffe-eau comme un lampadaire
elle regarde sa vie brisée, décousue entre ses doigts
puis vint cet accouchement impersonnel et rude
elle appuya fort sur la jugulaire du bébé comme on écrase une sauterelle verte
se mit à hurler au restaurant du coin: «La cigale ayant chanté tout l'été»
et criant: «Et bien chantez maintenant», commanda, mangea tout ce qu'elle n'avait jamais
goûté.
C'est ainsi qu'on la trouva.
«Malade d'être si pauvre, la pauvreté me dégoûte!» dit Monday
«it's creeping-crawling»
des restrictions, toujours des restrictions
le gris, la maladie finale, le désespoir constant
encore plus insupportable que la pauvreté qui crie,
parce qu'elle se tait, gémit et se cache du terminal tout
gentiment,
répressive, contrôle l'univers
et sa plus précieuse caractéristique demeure de s'adapter à n'importe quoi
même aux camps de concentration.
«Moi Monday me suis rendue à une agence du Palais du Commerce, me suis perdue dans
les couloirs, soit au bureau 319. Derrière une porte grillagée une grosse fille me fait
attendre deux heures dans un salon assez chic, genre peluche rouge.
Puis des photos sur tous les angles; c'est comme ça que
j'ai commencé
A cause d'une annonce.
Et au pourcentage!»
The Mass of women lead lifes of quiet desperation
THOREAU
Topaze a mis la radio au boutte
et plein de coquerelles en sont sorties
farce ou tragédie
elle pratique son kung-fu plein gaz
et Betty chante à tue-tête sous la douche
et Topaze se tape une soupe chaude
y trempant ses immenses cheveux couleur zircon
une hippie putain jusqu'aux roulottes du Texas
dans des bars «red-neck»
de fermiers, de rodeo-men, de pushers, de drag queens plutôt amanchés, de chauffeurs de
vannes évidemment, de gangs de bicycles, parfois sans bicycles, des musiciens, des
hipsters.
Quelques artistes ou des révolutionnaires...
Et cette police qui trouve toujours un morceau, de la dope, un recel, un suçage dans les
toilettes,
et le propriétaire cajun avec son dossier heavy, ses trois cents livres
c'est pas qu'ils le soupçonnaient
mais le feu prit soudainement
et ils accusèrent des patriotes fanatiques.
Un surnom.
Personne ne la connaît.
America-Susan, son nom trop compliqué sous les cheveux de jais
on dit que les Indiennes ne pleurent pas...
America a tiré son beau-frère parce qu'il abusait d'elle
et flagellée morte de sécheresse
un tatouage en forme de serpent entre les seins
elle sourit comme en rosière
Topaze veut des patates frites, enfin elle veut faire des patates frites avec de la margarine,
elle réclame aussi de la Stella Artois.
Kâlisse trop jeune pour avoir déjà vu un cadavre,
et il y a plein de vers dans la rue.
Mais Têtra a peur du feu, déjà les cigarettes, les cigares...
Topaze reçoit la bière et 24 casseaux de patates.
Tant qu'à Saloppe, à grands cris, elle veut du spaghetti, mais personne ne sait comment
elle a réussi à le vomir dans ses lunettes en plastique.
Betty dit qu'elle n'est qu'une grosse larve qui n'a pas demandé à être, mais elle va en jouir,
tant qu'à être là, et le plus facilement possible et se faire connaître tant qu'à y être
Monday réclame du speed, elle dit qu'il faut s'en introduire dans le vagin
la mort civile, la mort érotique, la mort intellectuelle, la mort déchirante.
La grande Christiane a lâché son mari insipide de l'Association des consommateurs. Il
écrit dans son agenda:
mardi: retoucher la peinture verte
mercredi: sortir les planches de la shed
jeudi: appeler mon dentiste
vendredi: prendre notes pour la réunion, souper,
réunion, faire l'amour
samedi: profiter des spéciaux de Super Carnaval,
ranger mes archives, cinéma: revoir Tristana de Buñuel.
Etc.
Comme ça, deux ou trois semaines à l'avance.
«Inquiète-toé pas Christiane, il n'y en aura ben un jour, un autre qui brisera pas ton cœur»
lui répondait
la Ferrée.
La Ferrée, la sage, celle qu'on a isolée dans le mauvais département, celui réservé aux
moins de trente ans.
Eileen Treunde invisible, transparente malgré ses cheveux teints vert, fraîchement
arrivée: elle avait peur qu'on voit au travers d'elle. Elle pleurait encore
la mort de son amie Marie-Thérèse, faisait inlassablement de la gymnastique pour ne pas
décompresser, disait-elle.
Tant qu'à Bébette-Barbara, elle raconte son arrestation.
Arrivée à la chambre d'hôtel, elle avait battu le client un peu sévèrement.
Un gars doux, Maurice ou quelle chose comme ça, paletot de tweed. Ils avaient mangé
des brochettes dans un restaurant italien, puis bu un vague rye au bar de l'hôtel Sheraton
Centre.
Dans la chambre, il avait exprimé le désir de recevoir des coups de ceinture mouillée.
Tous les deux nus, Bébette-Barbara avait pris un malin plaisir à le faire souffrir. Elle
transportait toujours un petit kit nécessaire pour ces cas: menottes, fouet portatif, ou à
boules, bâillon et bonnes cordes. Elle le ficela bien dur dans l'encadrement de la toilette,
et gicla la ceinture de toutes ses forces sans répit jusqu'à ce qu'il décharge. La boucle
métallique faisait jaillir le sang comme un calmar qui jette son encre. La frénésie
l'emportait et bien qu'évanoui, elle pense qu'elle a continué des heures, le rendant comme
une loque en charpie. Elle ne fut pas retrouvée cette année-là et ne se rappelle plus
combien elle en a tué ou blessé, pas pire que la grosse Denise qui suçait avec une lame à
rasoir dans la bouche. Puisqu'ils le demandaient.
Là-dessus, elle tabarnaque une bonne claque à Nicole la maudite nymphomane qui vient
de ramper sous le lit des siamoises «les deux cheurs» pour la rejoindre Et elle se demande
qu'est-ce que tous les gens peuvent bien faire le soir assis sur leurs balcons.
Non il n'existait pas cet Émil, Joseph-Émil que Nicole racontait de long en large.
Comment il l'amenait au cinéma, lui offrait des «banana split». Il aurait bientôt 34 ans et
il ressemblerait vaguement à son voisin ou à Charles Bronson.
Toutes les filles acquiesçaient, écoutaient, certaines disaient même le connaître, et
Kâlisse devint très attentive. Les points d'interrogation ne tapent pas si à l'envers que ça,
sur le super-ordinateur de Têtra, et surtout ils ne s'effacent pas.
Et Nicole commande du sucre à la crème et offre de payer les ingrédients.
La sinuosité porte sa marque et vient tuer tous les racoins du dessin.
«Ton gros, quand il dort, est-ce qu'il a l'air d'un bébé?»
«Il s'appelait Benny.»
«Mais t'as dit t'à l'heure, qu'il s'appelait Émil-Joseph!»
«Oh oui, c'est vrai, mais Benny c'était son surnom, il en avait toujours plein les poches
des bennies, on en prenait tellement. C'était à se rouler par terre, il en échappait partout.»
Et Nicole de se mettre à rire, démentielle.
Et la grande Christiane de lui soulever la table en pleine face: «Je t'ai toujours vue faire la
rue, t'as pas plus de mari que de crapaud dans ta baignoire. Encore que ça t'irait mieux!»
Et voilà que la grande Christiane et Nicole se poignent par les cheveux. Nicole a tout reçu
la sauce soya qui traînait depuis les mets chinois, et on dirait qu'elle est déjà sauvagement
battue. La grande Christiane lui frappe la figure sur les barreaux à une dizaine de reprises
et Nicole perd connaissance. Ça lui apprendra à conter des menteries, des histoires.
Christiane est toutes griffes dehors, les autres se tassent ou s'en vont: c'est vraiment pas le
temps de rester proche.
Les mâles sont complètement absents et les
femelles se reproduisent sans avoir été fécondées.
PIERRE DE TONNANCOURT,
entomologiste
Têtra, grand papillon noir
revêtue de mantilles blanches en polyester
et de ses ailes repliables, versatiles
linceul démoniaque à la Goya
talons aiguilles et armature de fer
pour un ventre plat
pas de puérilité et encore moins d'innocence
chienne mouillée, urinoir, évier couché,
vieille poussière
souriante si dure
avec encore un «neet» d'épuration
de silicone cheap elle se donne la syphilis
infection de préservatifs
le plastique se chauffe à Cleveland, Ohio,
et une lésion ça n'infecte pas.
Mais Têtra n'était qu'un ange supervisor amusé
par ses marionnettes.
Les otages n'avaient plus de mots.
L'infirmier inconscient et Guidoune strappée en truie.
Reste toujours la libération...
Les «libérées» se libéreraient, exhumeraient tous leurs fantasmes.
Et Têtra pense à les abandonner
son parchemin devient douloureux
Miss Menken s'occupe de tout maintenant
comme si de rien n'était
Miss Menken est devenue Edith Sitwell
Saloppe demande un chaudron
elle ne croit pas aux êtres humains
Kâlisse a ôté ses mitaines, elle peut recommencer
à se mutiler partout
elle se gratte, se mord d'une façon tellement démente que
son corps s'ouvre comme une plaie
Betty l'attache, de lanières bien tendues de draps
et Kâlisse regarde de ses yeux béats, pleure à petits coups, une vierge, mais à la regarder,
elle aurait connu les grandes guerres, les corps mutilés, violés, tués.
Les petites fesses continuent sans chandail
phosphorescent
le long des allées centrales
la sensualité fume des trottoirs
et Kâlisse a pensé: on ne fait pas sa vie dans un lit, dans une toilette, dans une maison
mais fatiguée de courir, de se plaindre «au vent mauvais»
elle a trouvé ce lit, cette toilette, cette maison
elle voudrait dormir pour une éternité.
Et le flux est parti tout d'un coup, l'a pliée en deux, ça coule de partout, ça glisse, ça sent
la marde, elle est pleine, tout son corps se vide. La grande Christiane à côté en est pleine
elle aussi, ça pue, ça coule, Christiane en riant glisse dedans.
Un seul muscle, et tout est fait; Nicole veut masturber Kâlisse pendant qu'elle se vide de
marde liquide, qu'elle nage dedans et glisse.
Elle glisse dans la marde jusqu'au ventre, la face maculée.
La grande Christine continue à boire le Bellini, elle boit mais elle en met partout, on
dirait qu'elle fait exprès, elle crache dans son verre en plastique, elle boit, recrache, boit:
on dirait que les cicatrices se mêlent aux larmes
You are terrific when you are drunk.
Les vecteurs de sa caresse d'acier
répugnant comme un baiser de Clint Eastwood
il y avait les autres sur la colline
qui avaient mesuré
seules ou avec des parents
et en bas les 2½ étrangement compartimentés
sans vouloir jouer le jeu des grands
entrer dans les conflits de toutes les petites coopératives
Tous les jours les deux eunuques à Têtra venaient chercher la liste des demandes et des
besoins, faisaient le ménage et rapportaient tout ce qui était demandé. Personne ne leur
parlait de toute façon; ils avaient peut-être aussi la langue coupée.
Aujourd'hui, il fallait sortir le cadavre de la matrone décapitée: ça commençait à sentir
l'enfer de la charogne.
Mais toutes s'en foutaient.
Les filles organisaient une disco pour ce soir: ça prendrait beaucoup de costumes et des
disques.
La petite Rosine Plating était si excitée qu'elle en vomissait sa nourriture.
Puis elles désiraient des drinks old fashion, des zombies, du irish whiskey, des
singapours, particulièrement tous les «long drinks».
Têtra se tordait comme une grosse chenille ventrue
et applaudissait comme l'endosseur en otage.
On en vint aux canapés. Georgette dite Courgette voulait absolument les préparer et se
battait avec Nicole-Nympho, disant qu'elle seule connaissait les bars.
Le combat et les gros mots prirent fin quand les fameux canapés arrivèrent tout faits.
Alors Nicole réclama des huîtres.
Elles se mirent à boire très tôt, ce qui ne présageait rien de bon.
Saloppe délire cauchemardesque
horrible sa fille délire dans l'autre wagon et elle est perdue
Elle ne peut rien faire pour elle
hystérique, qu'ils disent, c'est pourquoi elle est si révoltée,
oui.
âtre ou antre
on se retranche
inconfortables, laides et malheureuses
elles se dissolvent
sans être transfuges
altérées de désir
consignées, minutées
ce bizarre égarement
pour manufacturer
peut-être une bouffonnerie
quelque chose a été artificiel
et pour se travestir encore
elles fantasment en habitudes
pensionnaires
d'ordre, de crachats, de cachot
pour désinfecter la lessive qui colle
Lise «Capotée» Boudreau voulait revivre
entrer dans cette récréation
criblée ou transpercée
pour sceller ce défigurement
Kâlisse de l'intrinsèque ravissement de son âme,
se sentait un petit épagneul battu, atonique,
débile et fautive
les allergies lui rongeaient les bras, les chevilles, le dessous
de ses petits seins
mais une ténébreuse tentation se fomentait en elle
le circuit convulsif sans revolver se chambardait
graduellement en cataclysme doux.
Et Kâlisse regarde Monday comme une super grande idole, tout ce dégagement dans sa
façon de rire, de montrer son cul, de marcher comme la fin du monde, d'allumer sa
cigarette; elle s'était tressé les cheveux comme la Bo Derek locale
de cette fièvre qui brûle la dysenterie d'un pays
de cette sorte dont on se souvient une heure après l'avoir rencontrée
et Betty retourna prendre sa douche par peur de communiquer sa transpiration (Vive Tiny
Tim!).
Vie de carnaval de femmes
pendant que Saloppe et Lise «Capotée» Boudreau installent un super-circuit de lumières
de Noël, alternatif, double phosphorescence, triple stroboscope, psychédélique pour la
Réparation sans Fin.
Kâlisse ressentait une sourde souffrance qui la hérissait.
Entre l'asile et l'abri, Katkleen Coburn ne bronche pas malgré Rosine Plating qui la
chatouille, simagre, se trémousse en montrant sa petite rose des vents
le jeu de jambes trop évident.
Joni se berce dans son cauchemar de rêve local, dans la fenêtre Saint-Denis en bas de
Dorchester.
Passent des amoureuses, Joni a une «fixation» sur les amantes
elle caresse son pénis noir qui se ratatine; a commencé les hormones, fils d'Hermès et
d'Aphrodite
dans la chambre jaunie au tapis si taché
Joni divague.
Il fait un soleil de cinq heures et il pleut en même temps:
on dirait une neige fine.
Elle s'étend sur le lit craquant mou, bientôt viendrait Mona sa douce protégée.
Mona l'enfant-sourire, Mona l'enfant-rêve
et demain elle lui tiendrait la main
pour la grande opération,
comme une petite sœur angélique.
Non, elle ne pourrait pas lui tenir la main, pas dans la salle d'opération, mais au réveil elle
verrait ses grands yeux tatoués d'école de réforme.
Mona manquée, mais ses seize ans irréprochablement parfaits. Joni sniffe un peu de
crack. Elle entendait tous ces robinets qui dégouttent dans toutes les cavernes de la rue.
Elle soigne ses ongles, ses bijoux: elle serait bientôt complètement femelle, comme le
souhaite Mona, oui la grande maîtresse noire qui l'entraînerait dans les tourbillons fous de
sa magie.
Hôpital Saint-Luc en face, l'escargot, la sangsue
et le lombric,
ces hermaphrodites; les étamines et le pistil grandissent ensemble
pour regagner la hideur de ces lieux misérables.
Être cet athlète parfait grand comme un hévéa et en même temps cette femme du soir
vaporeuse en robe rouge à petites bretelles.
Naître sans l'avoir voulu, et en plus avec un sexe non-interchangeable.
Elle a rêvé d'être une fille.
Et Mona ouvre sa brassière, cachant des noyaux de raisins et des livres et tous les travaux
qu'on se donne
pourtant il fallait des rites
se peindre, attacher sa boucle d'oreille, etc.
adéquate dans le noir?
une compote d'oignons
comme fer de lame
pour y échapper peut-être.
Ici la stabilité rit
tapis de sueur de sang
une dernière vielle lacération
paroxystique.
Délinquante de droit commun
se donne un lavement avec des reliques
pour le mobile et les issues.
À l'infirmier qui s'est réveillé, Saloppe administre d'autres électro-chocs.
Elle ne désire pas de costume, se sent bien dans sa salopette pleine de trous de cigarettes.
Rosine Plating veut une petite jupe en polyester, comme celle qu'elle avait déjà eue
enfant, mais son tour de taille trop plein l'oblige à une robe genre plutôt sac.
Bébette-Barbara se met à faire un récital de ses chansons de club, délirant, tout croche,
avec des imitations.
Les siamoises se masturbent presque constamment, en se berçant: deux têtes, deux bras,
deux jambes et une petite ouverture entre.
Monday se pavane en vraie star de cinéma.
Dans la grosse poubelle, Nicole-Nympho a brûlé toutes les jaquettes, sauf pour Lina et
Charlotte: un peu difficiles, toutes nues, elles réclament des habits farfelus.
Saloppe leur a cependant commandé
de petits souliers italiens fins.
Seule Kâlisse veut garder sa jaquette et la Ferrée veut des bottines.
La soirée disco fut des plus éprouvantes.
Monday avait mis tellement de make-up qu'elle ressemblait à une momie.
Rosine Plating complètement saoule renvoyait partout.
Lise «Capotée» Boudreau essayait un twist dépassé, son gin à la main.
Nicole-Nue dansait un plain avec Saloppe.
Betty était accoudée les yeux complètement renversés dans une crinoline noire
transparente.
Malgré le bruit d'enfer, America-Susan dormait.
Lina et Charlotte battaient des mains à tout rompre.
Topaze avait obtenu une tambourine.
Miss Menken essayait son pas du serpent sur un cha-cha.
Bébette-Barbara faisait le disc-jockey pendant qu'Eileen Treunde continuait ses exercices
de gymnastique et que la Ferrée buvait dru dans un coin.
Alma-les-Pruneaux ronflait et la grande Christiane avait concocté un punch «fruits et
retsina» avec de l'alcool 94 %, ce qui acheva celles à peu près encore debout.
La grande Christiane dans son jupon noir avalait des pilules que c'en était épeurant. Par
poignées de dix, elle avait commandé tout un attirail. Elle avait dit qu'elle mélangerait le
meilleur des cocktails.
Au matin, il y avait des corps de femmes étendus un peu partout, la radio jouait encore, la
disc-jockey s'était fatiguée...
Une commande d'aspirine.
Toutes cherchaient un coke, ou un petit remontant, vite.
On s'aperçut que le corps de la grande Christiane était glacé.
Alma-les-Pruneaux s'empressa de lui voler son jupon noir.
Et Christiane prit le chemin de la morgue d'en bas dans une couverture grise: overdose de
pilules et d'alcool.
La grande Christiane qui avait été la reine de l'underground montréalais.
Elle les connaissait bien les nuits de l'underground.
Pionnière de toutes les boîtes, de la Paloma, à la Hutte suisse, du Chat noir à la Casa
espagnole.
Qui ne connaissait la grande Christiane, jusqu'au petit matin, immanquable, grasseyant
avec son sourire un peu croche, la bouche en coin.
Figure de proue des nuits interdites, elle avait bu sa grosse bière, fumé son joint, pris son
acid avec toutes ces mêmes figures qui hantaient nos bars illicites.
Elle était connue, la grande Christiane, et aimée: ça prendrait des funérailles sur les
petites nappes rouges qu'elle a presque brûlées.
Et combien de lavages d'estomac pour ces petites pilules qu'elle adorait.
Elle a bien roulé sa bosse de nuit, mais pas n'importe où avec n'importe qui, n'importe
comment.
Betty trop de l'est
Betty, de Berthe-Rose-Délima, sa mère, de sa chambre en biais regarde la boulangerie se
convertir, s'agrandir. Depuis la mort du grand-père Théodore, on transforme le petit
écueil de magasin, toute son enfance dans la Salaison Montréal.
Finies les tartes de la tante Malice et l'immense comptoir gélatineux fantastechnicolor des
bonbons à la cenne, les cornets à la napolitaine, dans l'odeur du pains frais. Toute la
famille avait gagné la paroisse Immaculée-Conception: «Il y a moins de bums»,
répétaient-ils.
Elle seule avait loué une petite chambre face à l'ancienne boulangerie et l'on peinturait
maintenant en grosses lettres rouges sur le ciment du trottoir «Salaison Montréal».
Fille de convenance, Betty n'acceptait ni la pointure ni la hauteur du talon du soulier.
Alignait son cœur sur le balcon.
Son petit lézard enchaîné au vieux frigidaire mort, les cordes à linge grincent, les chiens
jappent.
La grosse Suzie au premier, toute, toute tatouée de Tanguay, vient de donner un coup de
pelle à son beau-frère, le soleil se lève dans la buée de la rue Ontario.
La petite Betty se réconforte dans ses matins dodus et cette araignée qui descend, non elle
ne la tuera pas, signe de malheur.
Nonchalamment, elle échappe son verre sur la galerie.
Le vieux Émile qui y dort, crie:
- Vas-tu les ramasser tes jouets?
Betty répond: Pis toé, la marde de tes chiens?
«Je te l'enverrai par la malle», et il se rendort sur sa chaise en arborite, d'où coule la
bouteille de cidre.
Betty surveille les nuages, les lavages, le poudrage, les colibris à l'aile blessée, le caniche
avec ses vers intestinaux.
Les premiers chars commencent à péter.
Betty change de fenêtre en attendant le dépanneur
«Regul», toujours la première cliente, le Bellini pour
Mademoiselle. À peu près temps, deux grosses shots,
une cigarette; elle craint la journée qui s'annonce.
Passe la vieille Rose, la conversation niaise: elle attend Shoof qui ouvre la Taverne
Belhumeur.
Quelques vieux déjà, sur les bancs, les premiers autobus. Betty amène son Pomme-à-Rien
(poméranien) sur le balcon. Peut-être qu'ils vont encore lui livrer La Presse par erreur à
matin.
La peur
la serre tellement qu'elle cale toute la bouteille.
Elle respire.
Betty a l'âme à sec.
Peur morbide de l'agent du Bien-Être:
M'ame Lavigne, M. Barbeau, M. Ernest, l'autre qui ressemble à Lucifer, Brousseau,
Bonhomme, tant d'années de crainte...
aussi les comptes pas payés, le téléphone condamné:
elle se terre...
l'heure du parfum
se versant une bière, elle lave l'assiette d'hier.
La pauvreté agresse telle la poussière du gyproc. vert-de-gris de poudre, cherche le
tournevis pour fixer le toaster, mais rien n'a été déballé depuis tellement longtemps...
et si la spatule casse, elle grattera la poêle avec l'économe.
Puisqu'elle est déjà voûtée comme un mandarin, pourquoi pas nettoyer avec une garcette?
couvre son lit, une bien faible routine,
connue elle laisse sa porte entrouverte, descend sur ses longues jambes et ses bas en filet,
chicane les enfants qui passent pour la garderie au mégahertz, jase un peu en regardant
les petits totons blancs de la vendeuse de souliers à rabais qui lui promet de lui trouver
quelque chose.
Un bond au «pet shop»,
vie ordonnée, nette, incertaine.
Non pas la Taverne Belhumeur à matin, plutôt la Taverne du Faubourg, lire le journal
avec le facteur
axée sur le vide un petit drink apéritif à la Brassette Panet avant la rituelle soupe chez
Joe's Pizzeria.
Puis quelques heures à la Brassade en têtant un bock pour regarder la vue américaine
«télévision payante» sur écran géant.
On est loin des boisés sauvages de la Rivière-des-Prairies.
Une dernière à la Champlain, et la shot à la Brasserie Delorimier où avec son corps agile
de 28 ans, elle suce le waiter quotidiennement, le «vide» comme il dit, et parfois
quelques-uns de ses amis.
L'amour évaporé, bouche pleine de glands circoncis. Depuis le soir de l'Épiphanie, elle
marque à la craie près de son lit le nombre de fois... Elle a bien fait de suivre des cours de
mime et d'expression corporelle: elle se paiera encore sa bouteille pour la nuit.
À 4 heures, elle revient allègrement par la ruelle «ils» ne viendront plus, pas ce soir, ni
pour la fin de semaine!
elle laisserait même la porte ouverte.
La fenêtre flashe l'enseigne de Molson, bleu rouge, rouge bleu, bleu rouge, rouge, rouge
bleu, comme un mantra, le rouge flamboie tellement qu'elle sort nu-pieds jusqu'à
Dorchester pour voir les pompiers.
Il n'y avait rien qu'un mince filet de rue au fond d'une cour sale et ses néons pas
catholiques.
Cette fois juillet brûlait les pieds; l'étouffement des poêles gaz avait cessé.
Elle ne jurerait que par la prudence
et l'extincteur s'est déchargé par défaut.
Le chat Philomène se roule d'une extase si peu galvanisée, non elle ne pleurerait pas mais
la rage avait pénétré son corps par tous les petits pores et l'enflammait peu à peu comme
le Stromboli.
Et toutes les nuits elle guette, assise à la fenêtre, le bruit ralentir, le People's s'éteindre,
l'arcade qui flashe de toutes ses motos jusqu'au «Montréal Tchopper», les stroboscopes de
l'arcade, ses «star wars» et le Tatouage du Québec avec sa panthère illuminée, le Rock
Machine, l'affiche démesurée du Roi du Matelas d'un jaune mordant qui scande, qui
scande. Il traîne encore quelques putains
devant l'enseigne et ses cadrages sanglants.
Quelques pushers avachis.
Les itinérantes s'engouffrent dans l'entrée du Club des Vétérans en gougounes de
phentex.
Celui qu'elles appellent «le Caporal» les chasse avec sa jambe de métal et sa béquille.
Les vociférations, les rugissements montent, des bonds, des hurlements, des bousculades,
des gifles, des cris, des insultes, des prières et des coups
elles crachent, lancent des cochonneries dans sa vitre
et finalement vont se réfugier dans l'entrée de la lingerie
«Grosse Grandeur».
Betty ne sait plus tenir sa chambre dans son maigre itinéraire, son territoire de mandala;
elle rentre avec deux poireaux, sa bouteille, son linge sale.
Les quatre pharmacies la guettent; elle ne tient plus (serax, dalmane, libriums, ativans),
la cirrhose l'envahit, elle ne dort plus
ils l'ont amenée, elle si forte, si dure, elle volait
des débarbouillettes au People's parce qu'elle avait chié
sur la rue
et personne n'est venu
la propriétaire mal payée raconte des énormités: Betty garde un singe, des perroquets,
chiens et chats, elle hurle tôt le matin: des douleurs rhumatismales.
Que faisons-nous pour les blessées
et les néons se rallument devant l'angoisse et la télévision. La fameuse Salaison a brûlé au
ras du sol pour se relocaliser en face
plus aucune trace de peinture rouge sur le ciment noirci.
Le Jeu des otages
Wir sind ein wenig frei.
WAGNER,
Die Meistersinger,
dans la bouche de Hans Sachs
Comme un fer-angle
Pauvre Kâlisse, moins poignante qu'un accent étranger
manipulée tu seras
tu sens déjà l'ennui et le malheur
qui a pensé parler d'une femme!
et tu traîneras ton carosse en parka avec tes quatre
commissions
dans la neige fondante et l'imbroglio
tu ne sauras jamais te maquiller
tu verras les pleurs des petites
les invectives et une prochaine bouchée de pilules
Bébette-Barbara, à Haight-Ashbury à 15 ans, sans papiers ni argent ni pilules
contraceptives: seule avec son centre optique.
Les jours d'Halcyon: elle déclare, aujourd'hui la guerre des alcyons: elle dansait nue dans
le parc, couchait avec toutes les filles, tous les gars: le pouvoir du Flower People...
Dormait n'importe où, heureuse, stoned et belle.
Son body-painting phosphorescent illuminait cette réalité si évanescente. L'acid se
lançait, se donnait, on se l'avalait sur la langue, les cheveux tressés de fleurs.
Tout à coup elle se réveilla malade: les petites roses avaient fui, l'acid manquait: tout
avait fui.
Le sombre nuage des Hell's d'automne planait:
est-ce l'amour qui avait fui ou le harpon
qui se resserrait? Il fallait payer et chèrement.
Elle dansait seule, dans un «pad» devant quelques vieux et on lui disait: «Tu es belle
Cheetah.»
Elle est partie sur le premier bicycle avec le premier
gangster...
elle tombait dans les bleus.
Les Diggers ont fait main basse...
Et puis Bébette-Barbara ne veut plus parler.
Trop drôle: Nicole et Rosine décident de chatouiller
Guidoune,
qui, suppliante, demande un peu de cognac.
Bébette-Barbara cassée bégaye «Seconal» et elle se
rendort: elle n'a plus besoin de se déguiser, de mettre
du make-up sur ses cuisses brûlées aux cigarettes
et descendre, descendre, descendre...
la petite Rosine Plating sourit de son hébétement
triste, se cache derrière les portes.
Elle se met à danser le twist et avec ses yeux qui louchent
elle semblerait encore amoureuse de l'infirmier... Elle aime aussi les hommes de ménage,
qu'on ne voit plus...
Munie de gros seins, tous ses frères ont «passé» sur elle, dessus elle dans le logement
trois pièces et ses deux divans-lits pour sept personnes,
plus que promiscuité, où l'on dormait à tour de rôle.
Les religieuses voulaient la faire stériliser. Mais elle s'est sauvée la nuit. La fin de
semaine, elle entendait des sirènes dans l'hôpital et se cachait encore plus profond.
De dessous les corps entassés qui grommelaient d'un demi-sommeil ivre.
Nicole-Nympho suçait Bébette-Barbara qui éveillée agrippait America-Susan.
Elles ne sont pas nées sur le même bord de la planète, ça va être long avant que leur race
s'éteigne.
Betty boit démesurément, boit démesurément.
De ses grands bras, elle harangue le pavillon comme si c'était la terre entière.
Elle est bien accotée par Saloppe et Topaze.
Tant qu'à Monday, elle a découvert l'armoire à Thorazine et conserve ce secret bien pour
elle.
Eileen Treunde fait sa gymnastique et de grosses larmes roulent sur ses joues quand elle
pense à sa pauvre petite Marie-Thérèse, éventrée comme un faisan sauvage et ses
sanglots redoublent.
Nicole-Nympho suce Lise «Capotée» Boudreau qui commence à y prendre plaisir.
Rosine Plating et Kâlisse dansent sur de la musique évidemment trop forte.
Alma-les-Pruneaux découpe des revues avec des petits ciseaux comme une enfant: on
dirait qu'elle n'en a jamais vues...
Elles avaient toutes deux l'idée de faire un dépanneur.
Joni prie pour sa Mona qu'elle ne reverra jamais.
Le plan bien médité: le livreur quittait à dix heures
et la vieille se retirait chez elle en haut.
Elle connaissait bien Joni, c'est pourquoi celle-ci avait l'intention de la tuer.
Un petit dépanneur de fond de rue, médiocre et décadent qui fructifie un peu le jour et où
presque personne ne passe le soir. Un petit coin lugubre où la vieille allait bientôt mourir;
la porte verrouillée et la propriétaire qui vérifie ses frigidaires avant de monter à sa
chambre par l'escalier intérieur.
Quand elle aperçut la carrure de Joni à travers la porte, elle sortit machinalement ses clefs
et en bonne avaricieuse calcula une dernière commande de «booze».
Joni tira, la balle ricocha et sans le vouloir tua son amour:
elle abattit sa petite amie Mona.
Lise «Capotée» Boudreau, Bébette-Barbara, Eileen Treunde, Saloppe font des plans pour
remplir la petite cour de fleurs.
Joni dit que c'est inutile: «C'est mieux comme ça: les grilles, les barreaux puis les bancs.
Des fleurs, des fleurs, j'aime pas ça les fleurs, ça nous emmerde, suppose qu'il faut les
planter, les arroser.
Voulez-vous des arbres avec ça?»
«Toi Joni, ça paraît que t'es transexuelle, une tête d'homme dans un corps de femme! pis
une négresse en plus! T'avais rien qu'à pas tuer ta blonde!»
Joni empoigne Bébette-Barbara par ses longs cheveux, lui crisse la face dans le grillage,
puis continue à la battre de ses muscles déliés. Une volée féroce, comme lorsqu'on atteint
quelqu'une en plein cœur.
Bébette-Barbara se relève pleine de sang, toute tuméfiée, court aux toilettes en pleurant.
«Ben bon pour elle, dit Joni, pis je m'en crisse de vos maudits arbustes.» Et elle rentre
fumer sa cigarette sur son lit dans sa pose habituelle.
La commande avait été exhorbitante: des pétunias en cascade, des lobélies, géraniums,
des lierres, des capucines, fuchsias, bégonias, balsamines, impatientes, asters, œillets
d'Inde, zinias, dahlias, asperges, des browallies, plox, némésias, des tagètes, alyssums,
pourpiers, thum-gergies, mufliers, céloses plumeuses, kochias, cinéraires, calendulas, des
nicotines, des fougères pied-de-lapin et des lierres-kangourou.
Un flacon d'Equanil
Joni s'arrête à tous les coins de rue
saluer une amie, une ancienne barmaid ou pour pogner
une bonne bataille
pour les travesties, le «e» muet n'existe pas, il est omniprésent et l'emporte sur le
masculin.
Et Léontine, au Bounty, le club pédé de Papeete
Hao, l'atoll de la région
avec ses pantalons éléphant, ses mocassins blancs, chemise légère et une belle sacoche
ce que l'on ne connaît pas fait peur
polarise vers la fascination du danger
enchevêtrements de poignards
la misère vis-à-vis du crime
et la puissance du calme
Flattée de la sucer dans un ascenseur
dans un camion peut-être
de t'exhiber
de velours grenat
de parfum de perdition
ou l'idée de déchoir
le neutre, anglais ou allemand
demeure travesti
tissé sur la monstruosité sexuelle de l'écriture
élégance et raffinement dans la peau
pas de jeans serrés pour montrer ses fesses
«La prostitution, ça s'apprend comme le reste...»
Kâlisse est en admiration devant Monday, lui embrasserait les pieds; elle la suit et imite
chacun de ses gestes de vamp. Monday se maquille, se coiffe dès l'aube et l'opération
continue, dure tout l'avant-midi: elle n'a plus besoin de cacher ses crayons dans ses
pantoufles et dans son oreiller la nuit: elle possède maintenant tout un kit.
Kâlisse observe mais n'ose pas lui parler.
Quant à la soirée, Monday la passe entièrement au démaquillage.
Betty prend toujours sa douche cinq fois par jour: elle a peur de la contamination, comme
Tiny Tim. Elle nettoie tout ce qui l'entoure comme un raton-laveur.
Le pire fut quand Topaze décida de faire entrer un singe-écureuil.
Puis ce fut America-Susan qui réclama un chien, Monday un chat angora, BébetteBarbara un perroquet, Nicole-Nympho tenait une tarentule dans ses cheveux et la salle fut
bientôt envahie par une dizaine de chats.
Betty qui adorait les animaux, ne pouvait par contre pas supporter ceux des autres, et c'est
à grands coups de pieds que cette ménagerie chiait partout.
Rosine Plating gardait des lapins et des cochons d'Inde.
Lise «Capotée» Boudreau voulait un canard, comme celui qui la suivait partout et que
son père avait tué.
Alma-les-Pruneaux déménagea son lit dans le coin le plus reculé: elle détestait tout ce qui
bouge. Elle ne se souvenait même pas quelle avait été sa vie, avec quels hommes elle
l'avait partagée; ils se ressemblaient tous, ils se confondaient et elle continuait à ramasser
les mégots. Lina et Charlotte, folles d'ébahissement:
«Treblinka... Treblinka... Treblinka...». Elles se balançaient dans cette grosse berceuse à
cœur joie, essayant de tout attraper d'un tel bonheur.
Têtra pleura de rire et se tortilla sur tous les angles, quand Joni demanda un petit cochon.
Georgette, dite Courgette, a complètement décrissé le piano. Elle veut manger les
touches. Maudit vieux piano auquel on l'a si souvent menottée. Les touches revolent
comme des colombes autant étouffées et elle rit démentielle, saccageant, piétinant,
ensuite elle est allée s'ébouillanter les mains au lavabo.
Elle ignore que son mari l'attend, celui qui pratiquait l'alcoolisme avec elle.
Si seule. «Loose her mind?»
Courgette tous les matins allait chercher deux grosses bières tablette dans son vieux
manteau beige qui date et date, qu'elle porte même l'été. La maladie, la démolition ont eu
raison d'elle: elle ne sait plus rien et se prostre.
Automate, personne n'en sait rien.
Comme Duchamp avait raison à propos du «clandestin»
la fleur de rose
ou la marchandise de ses longs doigts
elle parlait continuellement aux cannettes vides
Joni avait perdu son peigne afro
et elle est loin sa Mona, sa John comme elle dit, et brisée de dope
elle se demande si elle a déjà existé.
Si ce n'est au cinéma. De fait elle ressemble à la voisine.
Elle s'appelle comme une princesse.
Mais elle tombe dans la misère, la dépendance, l'industrie, l'impromptu volontaire
et pour elle impossible de se taire
et Saloppe de dire: «Il avait les tempes sculptées en trois étages bien comme il faut.»
Eileen Treunde parle de sa Marie-Thérèse qui n'aimait pas le cinéma de répertoire: «C'est
trop clean-cut.»
America dans son langage qu'on ne comprend pas voit défiler les chevilles si fines des
chevaux,
America, fade décor de cactus
courant vers un renouveau devant la porte barricadée
celle qui n'a pas de nom
l'innocence de naissance
devant les grillages des «machos repentis»
elle sait encore dire non
elle porte toujours son matricule
manifeste otage
attention à celles qui ont souffert
pour ceux qui croient que le pardon s'adopte
il n'y a pas de rancune plus longue que celle tissée au cœur d'une Indienne.
Tel le Diotis, petite fleur de Bretagne
linge rouillé comme clou
loin de jouer «España»
miettes désabusées
si seulement les anges existaient
dans l'Ouest américain
vendanges de fleurs aux tomates
elle sombre sous un piment demi-fort
on lui a sucé le cœur pour le renvoyer au monde
guetteuse indienne comme les aimants sucrés.
Il faut quitter, toujours quitter
pour rester en vie
le contraire de la Belle au Bois dormant
il faut partir, continuer
briser ces petits heurts de fracture
ne pas se retourner
à moins qu'on en soit incapable...
ON NE SAIT PAS ENCORE POURQUOI ON MEURT
ALORS POURQUOI SAURAIT-ON
POURQUOI ON TUE?
Tu te réveilles un autre lundi: ton muffler est volé
tu téléphones, tu reviens, c'est ton char qui a disparu!
le pire, c'était celui de ton meilleur ami
And you realize
«You need a tune-up babe»
une gazelle sans rides
rends-toi désirable
tu la gagneras... peut-être
No leader can survive being a legend
F. F. COPPOLA
Un junkie a assommé Alma-les-Pruneaux, a volé sa maigre pitance, et les policiers
connaissent trop bien la blessée, cette artiste de la rue, lui ont administré le commun
dénominateur: désormais elle ne nuira plus.
Mais elle restait incapable de raconter sans mentir, de parler sans fabuler: jamais
exactement la vérité.
Les arbustes: personne ne connaissait de nom d'arbuste, alors on s'en passerait.
De toute façon, la cour devint un écheveau de fleurs tellement dense qu'on ne pouvait
plus jouer au jeu de poches. Et Bébette-Barbara pleure au Motel Diplomat entre le bain
tourbillon et le lit rond. Elle ne voit rien entre tous ces miroirs autour, au-dessus.
En réflexion, donnez-lui la paix, au moins le mystère.
Elle pense à se sauver par le balcon: paranoïa la guette.
Dessous la discothèque hurle, on se bat dans le parking et le sang des chars à gaz monte
comme un ravage.
Elle ouvre tous les robinets et essaie de se noyer dans les serviettes.
C'est Noël et elle se souvient de tous les Noëls sans
excitation et cesse de regarder au dehors, laisse tomber
le rideau.
Manipulée
Big Times Bruise.
Elle attend toujours le héros,
descend tranquillement, boite sur les papiers dans la slutch,
elle n'a pas la valeur, la rentabilité des autres, qu'elle croit:
un problème de distribution.
Finalement pourquoi gagner, elle se rendra de guerre lasse.
Elle fait la rue Ontario, il y a longtemps qu'elle est sortie du roman bourgeois,
et pourtant elle sait, elle voit mais n'a plus envie de rien dire
et il y a soudain les enfants fous
et ce petit vieux de sa taverne qui l'embrasse comme se sœur
et la dépression devient férocité.
On les appelait «les deux cheurs».
Lina et Charlotte se tenaient la douce main
sans savoir qui serrait l'une ou l'autre.
«Don't arch, don't arch» criait Eileen Treunde.
Saloppe sanglote de plus en plus: la thérapie Cameron, du nom du Dr Ewen Cameron et
la CIA-brain washing Experiments efface peu à peu la mémoire, rend infantile incontinent, presque aveugle.
Au Royal Victoria, un presbytérien écossais lui a administré le sodium amytal, il l'a
mesmérisée
comme au Cointreau et au LSD...
Elle imagine qu'un homme lui suce les orteils au supermarché et depuis lors elle ne cesse
de s'arroser.
Joni cherche une rouleuse et du papier Export.
Les yeux de Kâlisse surgissent du sombre, pleurent: elle veut soigner les animaux, elle
n'a jamais su se déshabiller.
Elle exige des papillons.
Elles étaient si seules, bien sûr comme les saules pleureurs.
Peu importe Lina et Charlotte aiment beaucoup ce genre de solitude.
Un peu jeunes, à part la Ferrée (on avait dû manquer de lits dans l'autre département),
Lina et Charlotte comprenaient pourtant toute
cette singerie
qui se trompait de travail.
«Ça fait chier! Ça fait chier!»
«Soucoupe! Soucoupe!»
Leur amusement, un rire continuel. Elles s'amusent
tellement.
Quel était cet endroit? Même pas une école de redressement ou une prison ou un hôpital!
Peut-être un nouvel habitat?
un bordel?
Elles regardent Rock Hudson sur la tévé plastique couleur et rient.
Qui est dans le cerveau de l'autre?
et Betty crie: «La violence pour la délinquance!» et leurs mains applaudissent à tout
rompre.
Elles réclament du sucre à la crème.
Elles ne sauront jamais dans quel escalier elles subsistent:
«Est-ce qu'on peut avoir du fudge?»
Et elle rit, elle rit; toutes la regardent presque en pleurant.
Betty drue comme un chêne turc, râblée, puissante, impose la discipline dans la garderie.
Toutes les pauvres comme toi exercent le commerce des larmes, saignent et puent
d'une bâtardise qu'on ne croit même plus à cette solitude. Les pleurs de femmes, des amis
sur tes épaules battues, pendant que tu regardes au travers des cellules, au-delà du large...
Des enfants roses, des filles de rue, des super-women qui ne se cassent jamais la jambe,
des fées-duchesses du cœur, des amoureuses blessées: la pire des trahisons et cette âme
qui traîne les canaux, flotte comme un rognon pas encore épluché.
Sur un seul palier, qui aurait pu crier l'immolation du sang et du poisson?
La peau seule au grand vent a cintré ta blouse et qui, où, comment?
Monday, reine de porno, fille de calendrier, retouche son maquillage.
Et Kâlisse-Tristessa ne se maquille jamais sur la vie brisée, ne saura pas,
les orteils collés dans le manger malade
un pauvre pigeon
un oreiller entre les deux cuisses et maître-pauvre s'incruste, hésite à faire nettoyer son
vieux manteau d'hiver.
Tout ce qui déteint ne revient jamais.
Ne serait-ce que le faisceau lumineux de ses jambes
les couples connaissent une même qualité de désespoir
des insectes dans un vivarium, chances en main pour cette bagarre
et les fourmis rouges ont crevé leur entrepôt,
elles se reproduisent
se répandent partout dans les cartons de pizzas
elles avaient des lettres gravées dans leur sang
de moutarde
chient, se procurent du Chicken Soo Guy.
Qu'est-ce qu'il y avait tant à faire?
Avec au-dehors la Menterie
l'argent, les pushers, encore les pénis mous ratatinés jaunes, la moquerie, la graisse des
hanches, la conduite à tenir.
Ici au moins, pensait Kâlisse, les lucioles du rire passaient parfois.
On était pour s'abriter selon les plans de Betty, dans une mosquée parfaite dans la cour
qui donnait sur le dortoir et Topaze est tellement sur les bennies avec Saloppe et Miss
Menken.
Maintenant elles construisent les plans les plus fous.
La mosquée ressemblerait à une synagogue où éclateraient des physiques éblouissants.
Rosine Plating en étouffe de joie et réclame d'essayer
le cigare
et aussi du Saint-Emilion dont elle a déjà entendu parler.
Eileen Treunde voudrait faire réincarner sa petite Marie-Thérèse éventrée, sa protégée,
mais il semble que ce soit la seule idée impossible à réaliser.
Elle l'avait bien couverte de son aura spectaculaire: une fissure s'est produite.
Watch her cooking!
elles travaillaient la tendresse sans le savoir
dessinaient de la main gauche au crayon à mine
et ce moto de Lina-Charlotte: «Ça va chier! Ça va faire chier! Ça va faire chier!» à tout
propos, si répétitif que les filles ne riaient plus.
Les siamoises avaient deux bouches, deux bras, deux jambes
et exactement synchronisées, elles criaient à l'unisson.
Fortes et costaudes, enfin comme deux,
pas faciles à bâillonner.
La télévision grésille entre deux postes zébrés et Saloppe regarde fixée avec
ébahissement.
Elle a des caractères burinés à l'intérieur d'elle-même, inscrits à l'encre de Chine avec son
sang menstruel.
Georgette dite Courgette pique une crise; elle ne veut pas d'un oreiller en couleur: elle ne
veut pas rêver, dit-elle,
la salive sèche sur ses lèvres crevassées comme les croûtes jaunes sous ses aisselles;
aujourd'hui on boira
décida Joni.
Rosine bat des mains. Betty allongée sur deux lits qu'elle s'approprie crache par terre.
Ouais avec du bicarbonate de soude, elle déclare la journée de l'Halcyon
et Bébette-Barbara se réveille: «Moé chu pas un trou de cul.»
«Je viens pour la mort»
un peu pute, un peu juive, un peu arabe, tout à fait
illégale dans les marges de sa vie
les serpents mouvant les franges de son châle
des échappées
il s'agit de déranger
l'horreur du voyage
strombe les oreilles
le dyachilon sur la narine blessée
les rails décrochent les boucles des ceintures
comme un garçon laid se clippe les ongles des orteils
de si proche et de si loin
aux sacs verts sur le bol de toilettes
de quoi parler à part des Basses Laurentides
et pleure encore la taïga
le whiskey apporté à la garderie
«Mort subite», une bonne marque de bière
boule de flippers!
une vieille de 45 ans lave la vaisselle
tue du regard comme un peuple d'avion
elle parlait d'aliments naturels comme en 1960
psychédéliques
«Mort subite», une bonne marque de ale
Mona dort tandis que Joni étire sa cigarette
sous ses lunettes fumées.
Dehors la rue Saint-Denis s'agite au soleil de robineux, de beaux petits couples; une
police
ramasse un quêteux écrasé le nez en sang gueulant,
il tonitrue et empile excessivement de bruit.
Le jazz crie en plein matin, Joni enlève ses lunettes soleil, éteint sa cigarette sur la porte
rouge, le disque de Janis vient de se briser.
Rue Gauthier, elle vend de porte en porte la crème «Cruelle»
comme Valérie Perrine
le plus souvent couchée
au goof
de muscles indécents
d'une madone noire
Saloppe saute comme une grosse gazelle, ses jeans sont déchirés pleins de trous de
cigarettes, le zipper ne monte pas sur ses bourrelets, sort un paquet de poils hirsutes
il y a autant de rides dans sa face que dans ses culottes
avec des taches, des spots
engravée comme une planche à dessins
avec ses bas dépareillés, elle marche sur ses pantalons trop longs
et elle danse et monte la radio
Rosine Plating ramasse encore toutes les boîtes des pizzas et les cartons des commandes,
si bien que Lise «Capotée» Boudreau l'aide à s'installer dans la deuxième chambre
capitonnée: elle prend trop de place, la petite.
Elle collectionne aussi les ficelles des emballages sous son lit et couche dans les boîtes de
carton qu'elle peinture, véritable fouillis. Elle s'invente des jeux, et malgré l'exiguïté des
lieux, on ne la trouve plus.
Pour cet atelier des métamorphoses, Joni arracha la porte capitonnée.
Eileen Treunde et America-Susan vinrent à la rescousse: on décida d'extirper la vieille
gardienne Stein de la troisième chambre. Oubliée là-dedans dans sa camisole de force,
seulement la Ferrée venait lui donner à manger en cachette. Elle hérita du banc de bois de
la salle commune. On décida de l'appeler Guidoune Stein et chacune en passant la giflait,
la cognait, lui crachait dessus.
Encore une fois la porte arrachée et déjà Monday s'installait. Un bon dégagement. Avec
tout son attirail, de perruques, de sacs de maquillage, de costumes, de crinolines; elle
occupait presque la moitié du dortoir: elle exigea un miroir plus grand.
Tant qu'à Miss Menken, elle était frappée du syndrome de Stockholm: celui qui rend
l'otage identique, sympathique à ses ravisseurs.
Dans quel pays était-elle tombée, qu'est-ce que ce ramassis de chaises, ce dortoir
désenligné entre les caisses
d'oranges. Où est-elle? Elle frôle de si près la folie et
elle se met à rire de Guidoune Stein.
Puis vaut mieux dormir, tout effacer, surtout les surprises, les questions: elle se sent si
euphorique, si libre.
pour Lévy-Strauss
Un vaste corridor
une arène, des escaliers, des lockers
elle était de toute éternité
les cartes ne mentent pas
«Aimer à l'opéra, c'est mourir»
et les embruns de la fille sauvage d'Irlande
pendant qu'elle ramasse le ventre plat des poissons morts
dans la rivière
elle s'est endormie s'accroupissant sur son visage
peut-être l'étouffant de pets puants
mais les arbres à fièvre étaient là
enflaient comme des grenouilles au travers des lianes
pour les lépreuses, les ignorantes, les malades
et une femme meurt toujours par petits intervalles
la mort d'amour, la pourrie, la célèbre
à demi-païenne-femme
Kâlisse se gratte à n'en plus finir: en plus du psoriasis, de la gale, elle a attrapé les puces
du chien de Monday, à force de dormir dans sa grosse toison,
ce que Monday ne permet pas, ça la décoifferait.
On devrait noyer Kâlisse dans le Kwallada.
Les chats sibyllins avaient forcé les barrages de carton de Rosine Plating et dévoré ses
deux gerboises.
Rosine hurlait, criait, pleurait.
«Plein le cass, plein le cass, plein le cass!» chantaient Lina et Charlotte.
Alma-les-Pruneaux avait opté pour la morphine.
Tant qu'à Nicole-Nympho, elle s'occupe très bien avec Bébette-Barbara.
«Ta gueule! Tu commanderas d'autres gerboises, fuck!» vociféra Saloppe en mâchant sa
réglisse rouge.
Le cri se fit plus aigu
comme au pas furtif d'un tam-tam.
La Ferrée et America-Susan
se déplacent vers l'édifice de carton de Rosine Plating.
Dans l'amoncellement des boîtes de pizzas et des pots de peinture, son ventre gondole
comme un étrange melon.
Personne ne voulait du bébé de Rosine Plating
surtout pas elle.
La Ferrée la prit dans son lit,
elle l'idiote du village, la canuck,
la folle.
L'enfant resta sans nom.
La commande vertigineuse: pas seulement des couches et des biberons, mais toutes les
extravagances, du hochet principal aux mobiles désaffectés, jusqu'aux habits de reines et
tout ce qu'une confiture peut valoir de plus...
et une bonne brûlure de cigarette pour Guidoune Stein.
America-Susan lui donne à boire quand toutes dorment.
Pourquoi, vandalisée dans un tel pays, avait-elle encore quelque pitié?
Le goudron noir1
où le flou se dessine
schéma de l'incongrue
trop étroit
au domaine de cette impossible tête en bas
demain elle sera à la piscine...
elle essuie quelques plaintes défuntes
piétinée de femmes
et soudain elle eut peur de cet attentat
même les petites punks iroquoises ont eu l'air sérieux.
1
Goudron noir: sorte d'héroïne très différente de la China White.
«Savages»
comme l'ultime cri, la première des ères
pensez-vous qu'elles vont lâcher
une société qui n'a pas la taille d'un amant digne de leur dire
une certaine prière qui n'émeut pas et le parti de détester s'avère comme une faux dans le
foin
super-performance pour une femme sans idéologie
le foie vibrant.
Pas de l'espèce des peureux, des laids, des caves, des malaimés.
D'instinct la suprématie du mâle.
Arrêtez d'être mères, puisque vous ne croyez pas à leur «mind».
Vicieux, hypocrites, instables, mal formés et schizo.
Le repère s'étiole
émeraude des gants beurre-frais
des hauts-fonds dangereux
la théine prend le quotidien en otage
et son odeur de menthe sauvage
de benjoin
pour mesurer l'abrasion
À quoi bon énumérer les lieux, les blessures et les hommes?
GEORGES MEMMI
Qui se souvient du café Rubens
Bébette-Barbara apprenait à parler au perroquet «Zadig» (celui qui est tellement «parfait»
qu'on ne peut que
le détester).
Zadig savait déjà: «Soucoupe», «Cask-de-bain», «Résine-de-sida», et «Blow-job»,
tous des jurons savamment étudiés
et c'est comme si Bébette-Barbara s'amusait à un jeu nouveau,
découvrait tout à coup une machine à boules
Devant le succès grandissant de sa jumelle au Woolworth
et à la piscine municipale,
elle essaya de se suicider
dans sa chambre
elle avala tout l'acid de sa sœur, puis très paniquée,
la réveilla pour de l'aide.
Toujours deuxième et battue par la dominante,
elle s'évade dans la maladie, se croit laide
elle n'imite plus, elle contredit, elle se moque,
adopte complètement le genre garçon manqué...
puis un jour vaincue elle la tue ou du moins s'imagine
le scénario de la tuer,
mais victime de sa beauté, de son corps-otage
elle ne parle plus, sauf à son perroquet.
La tournée de Bébette-Barbara l'a complètement ruinée physiquement.
Monosyllabique.
On aurait dû la voir à Lowell.
Toute son amertume s'est dévolue
sur Nicole-Nympho.
Aimer d'une délicatesse si terrible que même toutes les folles en reviennent.
Définitif.
Un beau petit ménage. Elles avaient collé le lit des mortes contre le piano cassé, où
Georgette dite Courgette s'obstinait à jouer «La Dame en bleu».
Bébette-Barbara, strip-teaseuse hors pair de Memphis, Tennessee, jusqu'à Houston, Texas
et elle trouve enfin les bras chauds que tous ces grossiers lui avaient reniés.
Tant qu'à Nicole, les rages d'amour maladives apaisent sa cirrhose
et Bébette-Barbara se laisse moitement vivre.
La route s'étire comme l'élastic d'une fronde.
VICTOR LEVY-BEAULIEU,
Jack Kerouac,
essai-poulet
Bébette-Barbara oublie tous ses strip-teases, devant les miroirs craqués des villes du Sud
et de l'Ouest, sur les lits en fausse peluche de l'Ontario jusqu'à Ville Laval, et du Texas à
l'Oklahoma.
Les jours passent, la vie s'en va
l'angoisse gagne parfois une des horribles Furies
et Têtra joue à la cobra et à la mangouste
peut-être de l'étain de roche.
Joni garde toujours une place pour Mona dans le lit simple et plie sa robe de religieuse de
nuit. Elle pense qu'elle a perdu Mona à cause de sa vie dissolue, de son alcoolisme, de
son gambling, de ses batailles de taverne, de rue, et parce qu'elle lisait des journaux idiots
de la première ligne à la dernière, de ses deux Kraft Dinner par jour, de ses crises
nerveuses les jours de fête, de ses cigarettes «light» pleines de coke, son peigne de
négresse dans sa poche arrière gauche,
elle oublie les «raids» de l'amour.
Même si la mort était inscrite
la mort «aux yeux bleus».
Les personnages féminins ne le sont pas nécessairement.
Psychopompes.
Eileen Treunde était entrée par la porte arrière, avait perçu vivement le désordre, et fait
fuir les voyous délaissant leur butin.
Vociférant, pleurant, elle a ramassé les morceaux de la petite tough à Marie-Thérèse.
Pauvre petite Sleepy-la-Goune, celle qu'on ne baisera plus jamais. Finis leurs longues
conversations dans les bars, leurs libations, leur théâtre.
Un grand masque pré-colombien pendait le long du mur et il semblait détenir le film du
combat.
Le spectacle a été trop dur pour Eileen Treunde et elle se met à errer
portant une tuque en plein juillet.
Seul son pas de gymnastique la rattache à la vie.
Comme Effie Briest, la Bovary allemande.
Lina et Charlotte: leur tic fatigue autant que le perroquet,
une œsophagie continuelle.
Pendant que le caniche de Monday formule des vers incestueux
Têtra se délecte de cet aquarium sous elle, qui grouille.
Elle envoie du Champagne et du pot,
redoutant «le syndrome des ensevelies», un empoisonnement du sang, qui, sous l'effet de
la compression,
ne bénéficie plus d'un apport suffisant d'oxygène.
Comment Topaze pouvait encore avoir une âme: après les électro-chocs, puis des doses
massives d'acide lysergique, parfois des quadruples doses.
Ensuite un sédatif dessous l'oreiller un message qui pouvait répéter 1/4 de million de fois,
et le traitement recommençait.
Il pouvait durer de 2 à 3 mois.
Chocs électriques-acid-repos subliminal
chocs-LSD-hypnose...
Toutes l'appelaient «Bleue», bleue comme une pervenche.
Léontine bleue, bleue comme une plogue, bleue comme un bleu.
Professionnelle de l'art
ne se dégonfle jamais
Topaze parfois avait peur de Léon, si jaune avec son souffle de paprika.
Topaze avait peur, elle le voyait quand il la regardait maghreb.
Topaze gratte avec bruit le fond de son assiette métallique racle avec zèle le spaghetti
avec le pain.
Elle recevait constamment des lettres de son amant homosexuel Léon.
Léontine des plus belles d'amour de Papeete.
Papeete, la ville des folles, la ville de tous ces garçons fous qui se répandent dans les
palmiers dans leurs culottes bouffantes. Le rêve, Léontine l'attend à Papeete dans tous les
bars clairs aux drinks fabuleux, tous les jeunes gars qui chantent bras dessus bras dessous
dans les rues
sur les terrasses.
Les gens peuvent avoir un cœur pur sans
vivre autant comme des clochards célestes.
DHARMA BUM
Topaze
quand elle s'est aperçue que son client était une police, elle
l'a jeté par la fenêtre
elle s'éclaire à la chandelle, transparente et dure, pas
d'espoir
les rasoirs sortent de toutes ses poches
les mauvais rêves
caustiques, cruels, lucides.
Papeete, le paradis des gais: on les honore, on les sert, on les complimente: ils sont tous
beaux bronzés, leurs dents éclatantes sur leur chemise ouverte fuchsia. Pieds nus dansant
dans leurs soies pastel, parfaitement maquillés avec leurs lèvres si rouges et leur nez fin.
Ouf! Topaze s'ennuie de Léontine, de son parfum si délicat dans les sables à coquillages.
Alors que le harcèlement, la pauvreté, la souffrance paraissent pareils à un combat dans la
jungle viet-cong. Oui, Léon attend sa petite pierre précieuse, son doux écrin de Topaze,
sans savoir dans quel pétrin elle s'est enroulée.
Topaze ne répond plus aux lettres: jamais elle ne pourra rejoindre Léon.
D'abord sortir et faire tellement de clients, et encore cette histoire du policier qu'elle avait
balancé par la fenêtre! Elle se contenterait de rêver à cette merveilleuse adulation et
liberté qu'elle avait connues, il y a si longtemps!
Plus rien ne pouvait l'atteindre désormais.
Cuirassée,
balafrée, indigne, infroissable de sexe
et que quelqu'une seulement lui enlève son écuelle.
Pour elle anyway, la différence entre sa partner Léontine et elle n'avait jamais existé,
sinon un immense amour frénétique.
Topaze, avec ses épaules larges, ses petits seins, saurait bien se déguiser.
Les autres la regardaient manger goulûment du coin de l'œil et jamais on ne lui poussait
une joke plate sur sa correspondance qu'elle embrassait dans sa brassière.
Betty et Saloppe somnolaient, les autres presque, de trop de spaghetti.
Monday ne dormait pas, le goulot sur ses lèvres onctueuses.
Elle pensait combien ce serait bon un spécial du jour à la Brassade avec soupe et dessert.
Georgette dite Courgette à la bouche un peu tordue se grattait d'une façon démente,
véhémente: elle change la radio de poste, elle change encore; elle ne trouve pas.
Parce qu'elles ne sauront jamais
le vrai niveau des larmes
elles se gardent des chapelets de baisers
pour redescendre des malheurs
séduites, épousées, abandonnées
comme le jouvenceau de Comencini
et à Papeete, Léon drague dans sa superbe robe
à fleurs transparentes
il s'était piqué le cœur sur les épines
et comme dit Carabosse, il dormira longtemps
damnées
elles se sont surprises de ce mélange incestueux
folles à tout jamais
de toute la caméra des petites créances
d'une élégance bohémienne
pour tuer cette soif qui monte
à l'ombre du cobra.
Elle ne ferait pas de mal à un ange.
Tellement sérieuse
désespérée-religieuse
agonise incessante une peuplade
remembrée au hasard
délices du métaphysique
dans des cheminées de marbre blanc évidemment
comme Watteau qui admirait Rosalba Carrera, depuis la mort du Corrège...
... et son clavecin... et son violon
victimes de l'allaitement
au bordel ou à la messe
un vieux blues décrépit s'intermine
mais aucun des musiciens n'osa
sur l'inoxydable déposer son rictus
et elle fend
sous les soucis locatifs
mais jamais en deux.
Elle fait fuir les animaux.
Elle regarde à travers la plaque vitrée
mais ne bouge pas
barbituriques
Têtra transportée
cannibalisme
encore une matrone et un infirmier en otages
otages perpétuels?
tout se consomme
en réel tapageur
sans science-fiction
l'analyste ne trouve pas les données
entre les murs si lisses
dans le couloir du métro Kimberley
d'une dimension débile
un ivrogne se crossait en grognant
un bourreau nostalgique
hachait cette distance
entre la veste de cœur et le tee-shirt
surveillait le dégoulis
institutrice
impossible à refaire
«don't arch»
elles parlent de rénovations, se mutilent
déploient des bracelets sarmates
les vandales s'avortent avec des broches à tricoter.
L'infirmier, le plus laid otage, gémit à fendre l'âme.
Saloppe veut le reploguer, mais Betty et Joni et
Alma-les-Pruneaux décident qu'il faut en finir avec lui.
Après tout Guidoune Stein restait otage: tous les privilèges seraient gardés en se
débarrassant de ce gros lard.
Il pue en plus.
Nicole-Nympho commence sa danse erotique; elle se fait rasseoir violemment par
Bébette-Barbara.
Betty décide pour la cravate chilienne: on perce un trou dans la gorge, on va chercher la
langue très loin et on fait un nœud de cravate avec. Courgette met la musique au boutte,
mais l'idiote plogue du Sibelius, ce qui cacherait peut-être les hurlements.
Saloppe tient absolument aux organes génitaux: il faut être puni par où on a péché.
Elle découpe minutieusement, et c'est America-Susan qui les lui coud dans la bouche,
comme elle sait si bien coudre une peau de castor.
Elles regardent toutes un bon moment le sang gicler.
L'infirmier s'affaisse sur lui-même avec un bruit horrible, déchiré, ulcéré.
Elles regardent toutes un bon moment les yeux s'exorbiter; il ne peut plus proférer un seul
son même sur le Sibelius. Ça devient lassant comme un boa constrictor qui s'endort.
Alors Eileen Treunde appuie le courant au maximum pour l'éteindre à tout jamais et
Monday dégoûtée le roule dans le corridor hors des grilles.
Betty s'empresse de prendre sa douche.
Kâlisse et Rosine Plating sont restées terrées.
La Ferrée fait semblant de ne rien voir, elle, l'idiote du village; Lina et Charlotte
applaudissent comme des folles en pleurant de rire. Elles détestaient toutes cet immonde.
Alma-les-Pruneaux ferme la musique et Lise «Capotée» Boudreau continue la partie de
cartes avec Topaze.
«Déprivation»
un seul cadran ne s'arrête pas
Katkleen vit sous les vents rabattants,
n'a plus d'horloge double-crossing and double-loving
elle devrait peut-être pourvoir son père
dans les grands Canyons
absolument de batey
entre la rumeur qui touchait encore très tôt
«Treblinka,... Treblinka... Treblinka» scandaient
incandescentes les jumelles dans leur habit de jogging,
moto d'un film qu'elles avaient déjà vu
dans leur camisole de sécurité
et Topaze fait semblant d'écrire, en fait elle ne fait que quelque couture
Le perroquet n'arrêtait pas son entraînement
«Cask-de-bain», «Soucoupe», «Soucoupe», «Blow-job», «Blow-job».
Lina et Charlotte riaient si fort en mangeant un beigne à deux mains qu'elles se mirent à
en recracher partout. Habillées d'une ample robe de chambre d'où n'apparaissaient que
deux jambes, un ventre énorme, et elles dodelinaient en se frappant les deux têtes parfois
très fort dans leur berceuse spéciale. Depuis longtemps elles avaient appris à coordonner
leurs mains.
«Ça fait chier, ça fait chier!» chantaient-elles en chœur. Et le perroquet de répondre:
«Soucoupe! Soucoupe! Cask-de-bain! Blow-job! Blow-job!»
Georgette dite Courgette s'était encore ébouillanté les mains au lavabo: c'est le genre
d'hystérie qui déplaît souverainement à Têtra, alors qu'elle adore tous les genres de folies.
Elle fit bander, plutôt emmaillotter Georgette d'une façon très sévère et presque
impossible à défaire.
Ce soir-là en regardant la télévision, après un régal de fruits de mer mélangé à du
spaghetti, Katkleen Coburn qui n'avait rien touché comme d'habitude mit le feu à sa couverture ou échappa sa cigarette, qui sait.
Si sale, que son huile naturelle la transforma en torche en quelques secondes.
Saloppe essaya de l'éteindre mais les flammes montaient de son fauteuil graisseux qu'elle
ne quittait jamais.
Têtra eut toute une crise, elle se roulait sur ses pustules, se tordait, en mâchouillait même
sa grosse chenille; le feu la rendait complètement hors d'elle. Les deux eunuques arrivent
avec les extincteurs et sans précaution shoutent partout.
Plein la face de Katkleen Coburn, et autour: elle ne porte pas de vêtement sous sa
couverture.
Le feu est éteint, mais elle est déjà morte.
Il y a une morgue au sous-sol, elle est emportée avec sa chaise.
Oscar Wilde disait que le plus grand chagrin de sa vie, c'était la mort de Lucien de
Rubempré
dans «Splendeurs et misères des courtisanes».
Un personnage romanesque vous accompagne, meurt, il ne vous
trahira jamais, il ne vous quittera plus; il préservera l'intensité de
vos émotions. Car il appartient à une autre durée et à une autre
mémoire.
FREDERIC VITOUX
Il me semble désormais que Roger est en Italie
On étouffe dans la miuf de l'extincteur, pendant que Betty prend sa douche une
cinquième fois.
Toutes les filles se rassemblent dans la petite cour pas encore aménagée, au bout des
toilettes.
America-Susan et la Ferrée transportent les siamoises qui rient: «Ça fait chier! Ça fait
chier!» Bébette-Barbara sauve le perroquet: «Soucoupe! Soucoupe!»
Nicole-Nympho fait un strip-tease, mais comme elle est déjà toute nue!
A dix-sept ans, elle a découvert la beauté de son corps et dès lors elle n'a cessé de se
déshabiller, partout où elle entrait: salons, bars, discothèques, restaurants; tout de suite les
vêtements par terre.
Puis elle développa une petite danse érotique.
Au début elle avait un succès fou dans les parties. Il fallait Nicole pour le piquant.
Évidemment elle couchait avec tout le monde, déesse-reine.
Puis les invitations se firent plus rares.
Jalousie? Mesquinerie? et les séjours en prison de plus en plus nombreux. Obscénité sur
la voie publique. La plupart des bars lui refusaient l'entrée. Elle dut fréquenter des clubs
de plus en plus louches.
Aucun garçon ne voulait être vu en sa compagnie:
elle possédait une solide réputation.
Elle se retrouva dans des sous-sols miteux où elle couchait encore avec tout le monde,
sans s'apercevoir qu'on collectait sur son dos. Encore la prison et à 27 ans,
elle se déshabilla au tribunal qui l'adjura folle.
Il faut dire que son manège était bien ancré, puisqu'elle le continuait dans cette aile de
femmes.
À Papeete, Léontine secoue son cul de «fruit» ou de «piccadilly», des armoires pleines de
petites culottes fuchsia avec un trou, des foulards bleu et vert
des robes serrées noires sans épaule toutes mordorées ou de couleurs vives
des porte-jarretelles roses, blancs ou noirs
des brassières en cuir
parfums, colliers, une table de maquillage incroyable:
toutes les couleurs de faux cils, tous les dégradés de fonds de teints, du rouge, du bleu, du
jaune pour les paupières et plein de sparkles par-dessus.
La petite culotte de dentelle sort de sa poche pendant qu'il enlace.
Évidemment l'assortiment fatal de tous les vernis, toutes les couleurs inimaginables et des
rouges à lèvres de grande qualité, des bas de soie, surtout noirs, mais aussi à motifs,
même des beiges, ressuscitent tous les parfums de l'Orient. En ouvrant, les délices
tombent, poudres, une centaine de ceintures en alligator ou crocodile de la plus piquante à
la plus chromée,
des tissus si fins, des nylons si soyeux importés...
Translucide ou minée et on ne parlera pas de l'extravagante collection de perruques.
Vêtements fous mais choisis délicatement, boas d'une rareté et d'une richesse que les
policiers en sont restés
bouche bée, c'est le cas de le dire,
jaloux peut-être
certains essayaient des accessoires en ricanant
la gloire de la princesse
même le délégué des Teamsters alla goûter au «fruit».
Comme amant, on ne pouvait rien voir de plus
désorganisé.
L'héroïne pas pire que le reste. Sniffer complètement hypocrite et non différent donne
l'impression d'une bonne conscience...
et les adeptes de se mépriser, ne se reconnaissent pas.
Ce sont les autres
Topaze ne croit pas, elle s'enfourche le speed direct dans la plotte comme si elle sortait un
rivet d'un seau.
Défenestrée aux bennies, elle réclame d'autres bennies, de la strychnine ou de la sauce
aux orties
ce qui rend Kâlisse absolument en larmes, hébétée, convulsée.
Ricordati di me...
DANTE
Lorsque Sacco et Vanzetti se mirent en marche vers le lieu de leur supplice, ils chantaient
l'air de Mario dans le dernier acte de La Tosca: «O dolci baci o languide carezze...»
Et Kâlisse aura toujours peur, depuis qu'elle a vu un pauvre pénis, la peau toute ratatinée
collée autour. Alors elle s'est rendue de bar en bar malgré son âge, elle s'est rendue
jusqu’aux brûlures sur les seins. Elle ne se lave plus: elle porte ses mites.
Sensible comme un porc-épic, elle commande de la goulash et ne connaît pas Le
Caravage.
Mais on la sent brûlante comme un baiser de Jane Birkin.
Elle cache un petit collier de verre dans sa main gauche comme une méduse échouée,
mais personne ne saura jamais...
La Ferrée s'est réduite à un vieux bagel le midi, non pas qu'elle ait abandonné, mais elle
se livre à un stage d'observation.
«That one day is gonne be your day. Better start crying now,
Anyway you gonne remember, believe me.»
Alma-les-Pruneaux s'assoit le plus souvent devant l'hôtel Lafayette, puis se dirige vers le
parc Beaudry et en soirée à la gare Centrale.
Elle n'a jamais vu le trou des voies ferrées, avant que la Place Ville-Marie fût construite.
L'ambiance de nuit, les voyageurs qui donnent trente sous, le banc chaud où elle se
recroqueville, le parfum à cinq cents des toilettes,
elle n'enlève pas ses bottines pour ne pas se faire pincer
mais tient la bouteille serrée fort entre ses dents.
Elle crache sur les passants qui lui refusent une cigarette et quand ils la donnent, elle
crache quand même.
La meilleure série d'invectives jamais entendue.
«J'ai des bijoux à vendre, une piasse, gang de chiens!»
«Donne-lui pas une cenne, si tu savais combien elle va chercher!»
Alma sans Abri a été amenée contre son gré au Centre.
Sur la bouche d'air de la Place Dupuis, elle se choquait, brûlait les bills qu'on lui donnait,
lançant des injures ou montrant son cul quand elle ne faisait pas ses besoins sur le trottoir,
c'est qu'elle était barrée des toilettes du Terminus Voyageur, et si elle refusait la
nourriture des assistances publiques, c'est qu'elle pouvait se la payer et qu'en plus elle ne
leur aimait pas la face.
L'asthme, la bête qui se repointe
les cow-girls, surtout celles qui ont hérité de l'Iroquois,
peut-être du gypsie, de la Cherokee.
Têtra à force de se rentrer des aiguilles, se déforme, se boursoufle.
Elle a beau s'entourer de sumérien et de gothique, elle devient comme une grosse larve à
pistons, pourtant elle maintient toujours son khôl parfait et d'un rire profond elle observe
le déchaînement du jeu.
Kâlisse et ses yeux violettes s'est construit un refuge, un nid dans la chambre d'isolation
capitonnée, la troisième, celle dont la porte est arrachée.
Elle revit la maladie du sommeil, celle de l'opossum, comme au temps où elle vendait des
pilules, des robes sales, des peintures, des carnets, des couteaux, des pendentifs, sauf que
maintenant elle ne laisse plus ses bobépines sur la table de chevet: elle s'est presque
complètement rasé les cheveux.
Et des centaines d'autruches volent dans ce rêve
mais le smog les tue une à une.
Couchée sur le miroir sans tain,
Têtra ci-dessus réglait le jaune et le brun, bien qu'elle eût les tendances d'une bibitte un
peu rouge.
Sa langueur se cramponnait à la brique, peu à peu aux plates-formes, devenait hystérique
et se ravissait graduellement des étages de la passion comme si elle revêtait le costume du
péché...
Sans fin Eileen Treunde s'exerce à un tennis imaginaire.
Elle parle même de son tennis elbow, compte ses scores et ses ampoules, décrit sa
collection de trophées.
Et la voilà encore qui attaque d'un lob défensif, d'un revers à deux mains.
Toutes s'écartent car elle tient une raquette Prince King Size avec ses poignets éponge,
bien qu'elle n'ait jamais rien commandé.
Pendant qu'elles buvaient
régnait la mort dans les tavernes
l'insonorisation dans les cellules
les ghettos s'éveillent
Lise «Capotée» Boudreau réalise son malheur; hélas trompée de vie dans la médiocrité
des risques: elle sait qu'elle ne sera jamais nulle part, en fait elle n'aura jamais été nulle
part.
Aucun règlement et l'imposer la termine.
Ne redouter personne et avoir raison.
Tant d'efforts pour vivre une vie.
Catégories pourries ce qui revient au même.
L'intégrité bien démunie et abusée
celle qui rejoint les castes, les classes sociales
l'égoïsme, la méchanceté même.
Lise «Capotée» Boudreau, agile dans le silo, connaissait la confiture et les ourlets
dans son «rêve», elle «calle» encore les légumes au marché
elle recule dans sa vie trop raide, elle ne peut avoir
d'enfant.
Elle ne craint plus sournoise, il y a longtemps qu'elle a
compris.
Tellement longtemps.
Les siamoises crient: «Ça fait chier! Ça fait chier!»
Et le perroquet de répondre: «Résine de sida! Résine de sida!»
Même la femme-maîtresse entretient ce calvaire de suicide, d'incompréhension.
Je ne dois pas m'exposer.
Je dois tuer mon enfant, mâle, sinon le sexe débordera de mon amour.
Je ne dois parler à aucun homme, même pour acheter un pyjama.
Mes seins, mes fesses sont des provocations: il ne faut surtout pas les mouler.
Exploitée évidemment.
Adresser la parole ou répondre à la parole d'un inconnu: il faut baisser les yeux.
Refuser le crédit, la carte Visa, la carte Oscar, le dépanneur, etc.
Intransigeante, trop sexy pour les malades, un mythe, une poutine.
Le meurtre suspect de tous les aléas.
Toujours pas de condominiums pour les fées.
Écrire rapproche de la lenteur,
de l'épaisseur, de l'opacité provinciales,
dont Flaubert a fait la matière de son œuvre.
DANIELLE SALLENAVE
L'œil perdu
et flamber avec extase!
mais où sont donc les nains de Blanche-Neige?
pendant que les anneaux se tordent en serpents,
du zen sur la montagne
avec un sac plein de liposomes
et les capucins pleuraient
un clinicien avec un fix psychiatrique
répétait, répétait comme dans Lili Marleen: «Vous êtes insécures, vous êtes faibles, vous
êtes insécures!»
trop métaphysiques pour être
d'une certaine mécanique
c'est un objet, un dérisoire
mais qui connaît encore
«l'effet de l'otage»
seule sur un îlot définitif
elle conduit sans connaître les virages
comme toujours difficiles
elle sue.
Je ne peux m'empêcher de penser que
celui qui découvre jusque dans l'existence
des vers, une certaine proportion de
souffrance et de mal inséparablement
enlacés, supportera son propre lot avec
plus de courage et de résignation.
THOMAS HENRY HUXLEY
La fumée monte des coussins doucement
comme une vapeur
la boule de hash s'enfonce tranquillement
dans le tapis tressé
le feu bondit en tigre
enlace la porte
d'un seul mouvement la boule s'abat grésillant la table
d'encore quelques hors-d'œuvre dans le casseau d'huile bouillante
un gros party secoué par les guitares électriques
ratissait le vaste appartement.
Ça dansait, piétinait, jacassait un verre à la main
Au 4e étage de Park Avenue.
Une bonne odeur de soie brûlée, chic
et Kâlisse a halluciné...
Un labyrinthe doré, fait de statues exquises, les loges de velours et des lumières, où des
plinthes, des praticables orientent leurs voix vers l'espace...
mais une otage n'est pas gérante de banque
de toute façon qui peut convenir de la qualité des idoles, des otages
comme un rêve, on séquestre les enfants dans des pâtisseries à part entière, flash-back de
noceuses, de religieuses otages-cautions, otages-arbitres?
Situé tout près de l'épicentre somato-psychique de l'âge, le coude est tout naturellement
l'organe où viennent s'exprimer la prohibition de l'inceste, du meurtre, du cannibalisme et
autres tabous non moins délectables. Quand un individu prend un plaisir trop intense au
tennis, le moi érige toute une série de mécanismes de défense contre l'angoisse de
castration. Comme on le sait, les coups fondamentaux du tennis, et plus particulièrement
le revers à deux mains, offrent des ressemblances troublantes avec les gestes de la
masturbation. Il n'est donc pas étonnant que le combat de Titan, que se livrent la pulsion
et le renoncement à la pulsion, se localise dans la zone cubitale.
FREUD
Étranges symptômes tennistiques
La vie, est-ce une vie?
Têtra d'un calme absolu
paraît si morne,
elle s'amuserait bien avec un patin à roulettes, un stéréo, un agrandisseur, ou un vidéo, à
quoi bon. Terne, désabusée, laide, otage d'elle-même, quel plan concevoir: elle pensait les
avoir tous exploités.
Si maigre sa laideur, si futile son obscénité, la vie longue. Il est un jour où le pouvoir
n'amuse plus, même toutes ses fourmis rouges échappées du bocal, le Champagne insipide, la terreur révolue; il s'agit de traîner son gros corps lourd, de se mépriser et la
charité pour une autre fois. Elle ne met plus d'algue dans son bain et malgré son obésité,
l'anorexie la dévore.
Le ciel fait pour qui?
Encore une mangeoire fade où aucune perversité ne pouvait s'établir.
Dans un tel dégât, quel équilibre?
Le désarroi d'en-bas l'intéressait très peu.
Elle se raccroche à son petit serpent, à ses bijoux, à son fan-club imaginaire, et puis lui
vint cette idée: la petite vulve rose de Kâlisse.
Non on ne leur coupera pas l'eau: Betty est encore dans la douche
et que meurent donc les otages, toutes
après tout, la géhenne n'était qu'une ville hors de Jérusalem, un dépotoir, une dompe!
«Ça fait chier! Ça fait chier!»
et Topaze pratique encore son kung-fu, brisant les chaises et la table à cartes.
«Racine-de-sida!
Racine-de-sida! Soucoupe! Soucoupe!
Cask-de-bain! Cask-de-bain! Blow-job!
Blow-job!»
et Georgette dite Courgette essaie de jouer du piano,
sur celui qu'elle a brisé. Cacophonie.
Sa cravate rouge/pour matcher le débardeur
sa cravate jaune/pour accompagner le mouchoir de poche
se faire payer au moins quatre fois
de jeux de mots vulgaires
de beaux meurtres (l'assassinée)
de beaux viols (une violée)
trop ne sont que sociales
d'un doux caca fécond
qui embue tristement le visage.
La prétention régnait dans la cabane.
L'ongle cassé dans le bouton
continuellement
nerveusement
Kâlisse dans une patine de poussière
son visage de suie
siccatif
à l'huile de lin des joints
demande encore un cigare
dans des gestes hiératiques
rédhibitoires
d'une intelligence colorée
il faut baisser les trois voiles
avant de fermer les yeux
grêle, granit et libellule
la différence entre les cumuli et les strati
et un lavement pour qui?
La prosodie, la prose intercalées, les chapitres débutant par des
chutes lexicales, les incantations des noms doubles passent à
l'action directe et sont voulus comme commandements de guerre.
Aimer se faire soigner, se faire opérer, se faire hospitaliser, se faire prendre en charge?
Maladie psychiatrique peu connue, sous le nom de syndrome de
Münchhausen, du nom du baron allemand mythomane Karl
Friedrich Hieronymus Münchhausen.
Les médecins allemands
et le national-socialisme
Dans le linceul stupide de la maison des hommes
inhabitée
le maquillage hybride de la violence
enceinte d'elles
qui est Madame Butterfly épinglée sur un clap-board.
La femme porte au-dedans d'elle-même, un organe susceptible de
spasmes terribles, disposant d'elle, et suscitant dans son imagination, des fantômes de toutes espèces.
DIDEROT
Une petite fille perdue dans le rêve d'Anderson
un dieu borgne qui la sacrifie
guerrières, désespérées, superbes, accablées,
toutes-puissantes, déesses...
ondines ou walkiries
fuck les Géants
des sauvages aux lèvres gonflées
la madame des pêcheurs
quand les madones ressuscitent et les druidesses pendues surgissent des forêts
les libellules vibrantes
les fées ne sont pas loin.
Un jour de lion vaut mieux que cent ans de mouton.
BENITO MUSSOLINI
L'hystérie, prise à son propre jeu, ne peut plus l'abandonner, sauf
à perdre la face: avidité et revendication affective, imitation,
plasticité, suggestibilité, théâtralisme ou histrionisme, fabulation
et mythomanie, conduites de séduction avec éviction de toutes
relations sexuelles.
DUMAS, G. et AIME, H.
Névroses et psychoses de guerre
Kâlisse apeurée suivit la trace rouge qui la menait au ciel, croyait-elle.
Un sinueux détour, des corridors vibrants, une façade rébarbative, des tours d'escaliers
sales, étrangement décolorés, où cascadait à tout rompre L'Or du Rhin, une porte
tronçonnée peu invitante et sur un lit-divan, genre Récamier, très large et pleine de soie
enveloppée, une femme-bête, grosse pleine de pustules, évachée, son estomac trop lourd.
Fit ouvrir par les deux servants-eunuques, assis à croupetons devant la maîtresse.
Kâlisse ose à peine avancer, se renfrogne dans le cadrage, tous crocs dehors.
Têtra fit exécuter toutes les manœuvres de son computer pour ébahir celle qu'elle croyait
la plus petite.
Kâlisse fit tomber sa jaquette et s'avança.
Têtra mit son gros doigt sur le sein gauche de Kâlisse qui ne broncha pas. Puis Kâlisse
s'amusa avec les manivelles comme si c'était un jeu d'enfant.
Les eunuques lui codaient les messages et puis Têtra attira la petite à elle, la tirant sur sa
couche.
Kâlisse ne résista pas, but le verre de Champagne d'un seul trait et approcha sa petite rose
écartillée près de la bouche de Têtra.
Pendant que Têtra préparait la coke, Kâlisse regarda le spectacle en bas:
Alma-les-Pruneaux se battait avec America-Susan qui découvrait soudain toute sa
véracité.
Lise «Capotée» Boudreau attendait le moment d'agir et Saloppe se roulait un joint en
feignant d'ignorer, en dédaignant le monde entier.
Elles n'étaient que de pauvres débris dans cet oasis de permission où règne la sécurité
comme une peur maladive.
Kâlisse saisit le petit poignard à coke et le darda raide sous la graisse de Têtra.
Têtra échappa son stock médusée.
Kâlisse fut rapide, poignarda, poignarda, poignarda sans arrêt, difficile à atteindre un
cœur sous tant de graisse.
Têtra se retourna, comme tombe un bloc de pierre du sphinx de Gizeh.
Elle darda, et darda, darda pleine de convulsions,
poignarda la Vistule, le fleuve Noir, les crapauds, le Niger, le Rio Grande
si bien que Têtra se roula sur elle-même et émit un petit son rauque comme un orgasme
mitigé et mal identifié.
Immédiatement Kâlisse releva les reins, fit signe aux deux eunuques de l'évacuer. Ce
qu'ils firent.
Et Kâlisse revêtit la longue robe de soie jaune et prit les commandes.