O Dépression et maladie de parkinson
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O Dépression et maladie de parkinson
Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques - 2e Partie DOSSIER 1 Dépression et maladie de Parkinson Un déséquilibre mélatonine/dopamine ? n La dépression est un des signes les plus fréquents de la MP ; elle peut même précéder les troubles moteurs dans un certain nombre de cas. Sa prise en charge reste encore difficile. Des données récentes suggèrent un lien entre dopamine et rythmes circadiens ; ainsi, la question de moduler ces rythmes pour traiter la dépression spécifique de la MP se pose. L a maladie de Parkinson (MP) est une maladie systémique : elle comprend en effet non seulement des troubles moteurs qui sont principalement la conséquence de l’atteinte du système dopaminergique nigrostrié, mais également une multitude d’autres signes cliniques essentiellement liés à l’atteinte des systèmes non dopaminergiques. On dénombre ainsi, pêle-mêle et de façon non exhaustive, la dysautonomie cardiovasculaire et vésico-sphinctérienne, les troubles cognitifs, les troubles sensitifs, dont la douleur, les troubles du sommeil et de la vigilance et les troubles psycho-comportementaux auxquels nous nous intéresserons plus particulièrement. Ces derniers sont particulièrement fréquents et polymorphes, et ce n’est guère un hasard si certains ont qualifié la MP de maladie davantage “neuro-psychiatrique” que “neurologique”. *Service de neurologie, CHU d’Amiens ; EA 4559, Laboratoire de Neurosciences Fonctionnelles et Pathologies, Université de Picardie, Amiens **Service de Neurologie, GH Henri-Mondor, Créteil ; INSERM U955, Université Paris XII-UPEC, Créteil 52 Pierre Krystkowiak* et Pierre Cesaro** Parmi ces troubles, on dénombre entre autres les hallucinations, les troubles anxieux, l’apathie mais également les troubles psychiatriques induits par les traitements dopaminergiques, sans oublier la dépression qui retiendra plus particulièrement notre attention dans cet article. En effet, la dépression est non seulement un des troubles psycho-comportementaux le plus fréquemment notés, mais également un des signes les plus fréquents de la MP au côté des troubles moteurs, pouvant même les précéder dans un certain nombre de cas. Grâce aux progrès des outils d’évaluation, elle est de mieux détectée et présente certaines caractéristiques cliniques spécifiques, mais elle est parfois confondue avec l’apathie avec laquelle elle partage certains traits communs. Sa physiopathologie commence à se préciser mais, sur le plan thérapeutique, sa prise en charge reste encore difficile, les essais thérapeutiques validant l’intérêt de telle ou telle molécule restant encore peu nombreux et parfois controversés. Plus récemment, de nouvelles approches thérapeutiques ont souligné l’intérêt de moduler les rythmes circadiens dans le traitement de la dépression et dans la mesure où certaines données récentes suggèrent un lien entre dopamine et rythmes circadiens, la question de moduler ces rythmes pour traiter la dépression spécifique de la MP se pose. Epidémiologie La prévalence de la dépression parkinsonienne varie classiquement de 20 à 50 % selon les études mais, si l’on reprend la méta-analyse de Reyjnders et al. (1), les choses se précisent : 17 % d’événements dépressifs (ED) “majeurs”, 22 % d’ED “mineurs”, 13 % de dysthymies et globalement 25 % des patients présentaient un diagnostic de dépression selon le DSM-IV. Les symptômes dépressifs cliniquement significatifs étaient de l’ordre de 36 %. Plus récemment, l’étude DOPAMIP (2) a montré une prévalence de dépression “possible ou probable” de 40 % selon l’échelle HADS dans une population de parkinsoniens de la région Midi-Pyrénées. Neurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145 Cependant, malgré cette prévalence élevée, 50 % des patients déprimés ne sont pas diagnostiqués comme tels et 57 % d’entre eux ne sont pas traités. Ce qui souligne à quel point des progrès restent à faire pour, d’une part, mieux détecter la dépression et, d’autre part, la considérer à sa juste valeur comme une source majeure d’altération des activités de la vie quotidienne (ADL) et plus globalement de la qualité de vie, et par conséquent la traiter. Histoire naturelle et particularités cliniques La dépression n’est pas corrélée à la sévérité de la maladie et peut survenir à tous les stades, y compris au stade prémoteur. Elle a un impact négatif sur les ADL, la qualité de vie du patient mais également celle de l’aidant, et l’espérance de vie. Des études plus anciennes ont rapporté un risque de MP multiplié par trois chez les déprimés, mais la notion de facteur de risque doit désormais être analysée à la lueur des études les plus récentes qui ont montré que Tableau 1 - Une dépression “atypique”. D’après Marsh et al. (3). • Dysphorie ++ • Morosité de l’humeur • Pessimisme pour l’avenir • Anxiété ++ • Exacerbation des ruminations nosophobiques • Aggravation phobie sociale • Symptômes obsessionnels compulsifs • Irritabilité • Plainte somatique • Idées suicidaires ++ (suicide : identique à la population générale) • Moins de culpabilité, de sentiment d’échec, ou d’autocritique • Plus d’apathie Neurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145 la dépression pouvait être un signe prémoteur de la MP. La dépression peut ainsi provenir de deux composantes distinctes : conséquence de la MP et/ou du handicap moteur d’une part et intrinsèque à la MP d’autre part. La composante “réactionnelle” à la MP est étayée par les faits suivants : • la dépression est plus importante au cours des phase Off (dysphorie du manque) et des phases On avec dyskinésies ; • on note un pic de dépression au stade I de Hoehn et Yahr (annonce du diagnostic) et au stade IV (perte de l’autonomie). La composante “intrinsèque” est argumentée par les éléments suivants : • la dépression est plus fréquente dans la MP que dans d’autres maladies invalidantes ; • la dépression de la MP est faiblement corrélée au score de Hoehn et Yahr ; • la dépression peut précéder la survenue des signes moteurs ; • l’effet positif de la L-dopa sur certains symptômes dépressifs précède l’amélioration motrice. La controverse qui opposait ces deux composantes tend actuellement à disparaître et leur rôle dual dans la dépression parkinsonienne est désormais admis. Sur un plan phénoménologique, la dépression parkinsonienne présente certaines spécificités par rapport à la dépression “classique” : celles-ci sont résumées dans le tableau 1 (3). L’apathie, fréquemment associée à la dépression, est une entité propre qu’il convient de distinguer de la dépression : le tableau 2 résume leurs caractéristiques communes et distinctes. Ainsi que nous l’avons signalé plus haut, la dépression est largement sous-diagnostiquée, et il est donc indispensable d’utiliser les outils mis à notre disposition qui, dans le cadre d’un simple dépistage, sont le plus souvent très simples à mettre en œuvre. Une Task Force de la Movement Disorders Society (4) a ainsi formulé les propositions suivantes : 1. Dépistage de la dépression : a. échelle de Hamilton (HAM-D), b. échelle de dépression de Beck (BDI), c. échelle de dépression de Montgomery et Asberg (MADRS), d. échelle de dépression gériatrique (GDS), e. HADS ; 2. Evaluation de la sévérité de la dépression : f. HAM-D, g. BDI, h. MADRS, i. l’échelle de Zung (SDS). Tableau 2 - Dépression et apathie. Apathie Apathie et dépression Dépression • Absence de motivation • Manque d’initiative • Réduction des réponses émotionnelles • Indifférence • Retrait social • Absence de persévérance • Etat permanent • Perte d’intérêt • Ralentissement • Fatigue, perte énergie • Hypersomnie •M anque de perspicacité • Perte d’espoir • Tristesse • Idées suicidaires • Dévalorisation • Sentiments de culpabilité • Pessimisme, idées noires • Perte d’appétit • Fluctuations possibles 53 DOSSIER 2e Partie - Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques - 2e Partie Photos Pr Philippe Rémy. DOSSIER Figure 1 - Imagerie fonctionnelle : une déplétion noradrénergique et dopaminergique au niveau limbique. les Traitements Ils découlent directement des mécanismes impliqués dans la physiopathologie de la dépression parkinsonienne. Ainsi, certaines études, notamment d’imagerie fonctionnelle, ont montré l’implication des systèmes monoaminergiques avec une déplétion noradrénergique et dopaminergique au niveau limbique (Fig. 1), mais également une atteinte sérotoninergique avec une diminution des récepteurs corticaux 5-HT2A. Par conséquent, les traitements utilisés seront tout naturellement des antidépresseurs tricycliques (noradrénergiques), des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) et des traitements dopaminergiques. Sur le plan non médicamenteux, les thérapies cognitivo-comportementales, voire l’électroconvulsivothérapie dans les formes sévères, peuvent avoir un intérêt. Les noradrénergiques doivent être utilisés avec précaution compte tenu de leur effet anticholinergique associé qui peut potentiellement aggraver un trouble cognitif, voire déclencher un syndrome confuso-hallucinatoire. Les IRS doivent être utilisés en tenant compte des interactions avec les 54 IMAO-B utilisés dans le traitement des troubles moteurs. Les traitements dopaminergiques peuvent améliorer la dépression par le biais d’une amélioration des fluctuations motrices (part “réactionnelle” de la dépression), mais peuvent également avoir un effet antidépresseur direct sur la composante “intrinsèque” de la dépression (cf. ci-dessous). Cependant, très peu d’études étayent ces stratégies thérapeutiques qui sont pourtant couramment utilisées. • Ainsi, Weintraub et al. (5), dans une méta-analyse de 27 études, ont montré qu’aucune d’entre elles n’avait fait la preuve de l’efficacité d’un quelconque traitement antidépresseur. • Par la suite, seules deux études contrôlées (avec toutefois des effectifs limités) ont étudié l’efficacité comparative d’un IRS et d’un tricyclique versus placebo : Devos et al. (6) ont ainsi démontré la supériorité de la desipramine et du citalopram sur le placebo, alors que Menza et al (7) ont démontré la supériorité de la paroxétine - mais curieusement pas de la nortriptyline - sur le placebo, ce qui peut paraître contradictoire et n’est pas sans soulever des interrogations méthodologiques. • Finalement, seule l’étude de Barone et al. (8) a montré de façon convaincante (en termes d’Evidence Based Medicine) l’efficacité antidépressive propre du pramipexole dans la MP, probablement par le biais de son action préférentielle sur les récepteurs dopaminergiques D3 de la voie méso- limbique. Cette efficacité était cependant modérée, qui plus est chez des patients parkinsoniens avec syndrome dépressif modéré et nul doute que des études ultérieures seront nécessaires. • Enfin, une étude contrôlée avec le piribédil est actuellement en cours chez les patients ayant bénéficié d’une stimulation bilatérale du noyau sousthalamique. Besoins non satisfaits Le lien entre MP et rythmes circadiens reste mal exploré. Dans une étude observationnelle récente, Bordet et al. (9) ont mesuré une altération du rythme nycthéméral de sécrétion de mélatonine chez des patients “avancés” vs des patients avec MP débutante : réduction de la sécrétion nocturne et augmentation de la sécrétion diurne, sans modification de la sécrétion de cortisol. Neurologies • Février 2012 • vol. 15 • numéro 145 2e Partie - Troubles dépressifs dans les pathologies neurologiques Plusieurs études expérimentales ont montré un effet anti-apoptotique de la mélatonine, avec un intérêt en termes de neuroplasticité. Cet effet serait en grande partie lié à la préservation de l’activité du complexe I mitochondrial de la voie nigro-striée (11). Les essais cliniques dans ce domaine sont à venir pour l’essentiel ; une étude de type phase II a cependant montré une amélioration des scores dépressifs (BDI) et des échelles de qualité de vie chez des parkinsoniens traités par photothérapie, notamment les patients plus sévèrement atteints (12). Ces effets seraient médiés par une action sur la sécrétion pinéale de mélatonine. La MP peut, selon certains, être vue comme une affection neuroendocrine, le déséquilibre mélatonine/dopamine étant partiellement en cause dans la progression de la maladie (13). Perspectives Nul doute que des interactions complexes existent entre le système pinéal, contrôlé par le système visuel et la dopamine, et les voies motrices striatales contrôlées par la dopamine. Un effet médié par la mélatonine ou des molécules interagissant avec la mélatonine pourrait agir sur la neuroplasticité et la progression de la MP, et plus spécifiquement sur les troubles de l’humeur particuliers de la MP (14). Dans ces domaines, le champ des essais cliniques reste malheureusement quasiment vierge. n Correspondance : • Pr Pierre Krystkowiak Service de neurologie, CHU Nord 80054 Amiens Cedex Tél. : 03 22668240 Fax : 03 3 22668244 E-mail : krystkowiak.pierre @chu-amiens.fr DOSSIER La sécrétion physiologique de mélatonine diminue avec l’âge et est contrôlée par les agonistes de la dopamine. Ses effets moteurs sont controversés : globalement, il semble qu’elle diminue la sécrétion striatale de dopamine, et puisse de ce fait accentuer les symptômes moteurs sur de modèles animaux de MP ; en revanche ses propriétés anti-oxydantes et son effet positif sur les rythmes nycthéméraux seraient favorables (10). En outre, elle aurait un effet favorable sur les dyskinésies. • Pr Pierre Cesaro Service de Neurologie, GH Henri-Mondor 551, avenue de Lattre de Tassigny 94010 Créteil Cedex E-mail : [email protected] Mots-clés : Maladie de Parkinson, Dépression, Signe prémoteur, Apathie, Epidémiologie, Qualité de vie, Echelles, Dépistage, Traitements, L-dopa, Antidépresseurs tricycliques, Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, Traitements dopaminergiques, Pramipexole, Piribédil, Rythmes circadiens, Mélatonine Bibliographie 1. Reyjnders JS, Ehrt U, Weber WE et al. A systematic review of prevalence studies of depression in Parkinson’s disease. Mov Disord 2008 ; 23 : 183-9. 2. Nègre-Pagès L, Grandjean H, Lapeyre-Mestre M et al, for the DoPaMiP Study Group. Anxious and depressive symptoms in Parkinson’s disease: the French cross-sectionnal DoPaMiP study. Mov Disord 2010 ; 25 : 157-66. 3. 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