Les comédiens
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Les comédiens
Les comédiens Les comédiens On dit souvent Ça vend du vent À la sauvette Ils vont De scène en scène et partent en tournée Et dès qu'ils sont vêtus Des habits qu'on leur prête Ils deviennent Jésus Harpagon ou Hamlet Les comédiens Disent les gens Ont bien souvent Des amourettes À force de jouer Ils se prennent au jeu Sans être Roméo On s'éprend de Juliette Juste le temps qu'il faut Pour en souffrir un peu Les comédiens Quand l'âge vient Quittent la scène Et quand il leur advient De vivre de longs jours Sur cour ou sur jardin Tout seuls ils se souviennent De ce fichu métier Qu'ils ont aimé D'amour 110 mots Jean Roger Caussimon Le feu des étoiles Le feu est né dans une étoile Voici plusieurs milliards d’ années Quand le ciel était encore vide. De cette étoile, jaillit une autre étoile Puis le Soleil, cet immense brasier D’où sont sorties les planètes : La Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Comme la cendre après la flamme. Sur Terre, enfin, la vie est apparue : Poissons, reptiles, mammifères, Et, monté dans les arbres, Un petit animal semblable à l’ écureuil Qui, plus tard, deviendra un homme. L’ Homme est donc bien le fils du feu. Quand, par une claire nuit d’ été, Il regarde la Voie Lactée, Cette poussière d’ étoiles, C’est son enfance qu’ il contemple À des millions d’années- lumières, L’ enfance de l’ Humanité. Jean Orizet 117 mots Le blaireau sans gêne Lui offrait- on quelque gâteau ? C’est simple, il en réclamait deux. Devant un cadeau, ce blaireau Faisait la moue, remerciait peu. Partout il se sentait à l’aise Se glissant à la meilleure place. On le vit devenir obèse Mais toujours faisant la grimace. Un jour chez la Dame Belette Il dit un gros mot incongru ; Alors sa renommée fut faite : Désormais nul ne le reçut. Moralité : Soyez polis, soyez courtois Dites bonjour, dites merci, On vous recevra avec joie, Et vous aurez beaucoup d’amis Yvon Danet 86 mots Dans Paris Dans Paris, il y a une rue; Dans cette rue, il y a une maison; Dans cette maison, il y a un escalier; Dans cet escalier, il y a une chambre; Dans cette chambre, il y a une table; Sur cette table, il y a un tapis; Sur ce tapis, il y a une cage; Dans cette cage, il y a un nid; Dans ce nid, il y a un œuf, Dans cet œuf, il y a un oiseau. L'oiseau renversa l'œuf; L'œuf renversa le nid; Le nid renversa la cage; La cage renversa le tapis; Le tapis renversa la table; La table renversa la chambre; La chambre renversa l'escalier; L'escalier renversa la maison; La maison renversa la rue; La rue renversa la ville de Paris. Paul Eluard 126 mots Apothéose du Point "Foin, de tout ce qui n'est point le Point !" Dit le Point, devant témoins. "Sans Moi, tout n'est que baragouin! Quant à la Virgule ! Animalcule, qui gesticule Sans nul besoin, Je lui réponds à brûle-pourpoint : Qui stimule une Majuscule ? Fait descendre les crépuscules ? Qui jugule ? Qui férule ? Fait que la phrase capitule ? Qui ? Si ce n'est : le Point ! Bref, toujours devant témoins : Je postule et stipule Qu'un Point c'est Tout ! " Dit le Point. André Chedid 87 mots La Prisonnière Plaignez la pauvre prisonnière Au fond de son cachot maudit ! Sans feu, sans coussin, sans lumière... Ah ! maman me l’avait bien dit ! Il fallait aller chez grand-mère Sans m’amuser au bois joli, Sans parler comme une commère Avec l’inconnu trop poli. Ma promenade buissonnière Ne m’a pas du tout réussi : Maintenant je suis prisonnière Dans le grand ventre noir du loup. Je suis seule, sans allumettes, Chaperon rouge bien puni : Je n’ai plus qu’un bout de galette, Et mon pot de beurre est fini ! Jacques Charpentreau 90 mots Naissances Le ciel retient son souffle à chaque vie qui prend. Pour lui, toute naissance est un évènement: Une étoile, un enfant, un faon, un éléphant, Baleine, écureuil, fleur, girafe ou froment. Tout retentit, sans fin dans l'univers immense, Et l'agneau étonné qui sur la paille danse, S'essayant à marcher pour la première fois, Compte autant que l'aîné dans le berceau des bois. Les anges, ce matin, comme des chats ronronnent, Se racontant, joyeux, la belle information: Sur la Terre, là-bas, pareille à une pomme, Près d'un ruisseau, sans nom, est né un hanneton. Marc Alyn, L'arche enchantée (1979) 93 mots Le moulin au printemps Le chaume et la mousse Verdissent le toit ; La colombe y glousse, L'hirondelle y boit. Le bras d'un platane Et le lierre épais Couvrent la cabane D'une ombre de paix. La rosée en pluie Brille à tout rameau ; Le rayon essuie La poussière d'eau ; Le vent, qui secoue Les vergers flottants, Fait de notre joue Neiger le printemps. Sous la feuille morte, Le brun rossignol Niche vers la porte, Au niveau du sol. L'enfant qui se penche Voit dans le jasmin Ses œufs sur la branche Et retient sa main. Lamartine 93 mots Bleu et blanc Un petit chat bleu Semé de pois blancs Vit un gros rat blanc Semé de pois bleus. Leurs mignonnes queues Différaient de peu. Oui, mais seulement Le nez du chat bleu Était tout tout blanc, Le nez du rat blanc Était tout tout bleu. Leurs joues et leurs yeux Différaient de peu. Oui, mais seulement Un cil du chat bleu Était tout tout blanc, Un cil du rat blanc Était tout tout bleu. À cause de ce peu, De ce petit peu De blanc et de bleu, Ils continuèrent À se faire la guerre. Maurice Carême 94 mots Le cerf-volant Soulevé par les vents Jusqu'au plus haut des cieux, Un cerf-volant plein de superbe Vit, qui dansait au ras de l'herbe, Un petit papillon, tout vif et tout joyeux. - Holà ! minable animalcule, Cria du zénith l'orgueilleux, Ne crains-tu pas le ridicule ? Pour te voir, il faut de bons yeux Tu rampes comme un ver... Moi je grimpe je grimpe Jusqu'à l'Olympe, Séjour des dieux. - C'est vrai, dit l'autre avec souplesse, Mais moi, libre, à mon gré, Je peux voler partout, Tandis que toi, pauvre toutou, Un enfant te promène en laisse. Jean-Luc Moreau 95 mots La Poule aux œufs d'or L'avarice perd tout en voulant tout gagner. Je ne veux, pour le témoigner, Que celui dont la Poule, à ce que dit la fable, Pondait tous les jours un oeuf d'or. Il crut que dans son corps elle avait un trésor. Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable À celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien, S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien. Belle leçon pour les gens chiches : Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus Qui du soir au matin sont pauvres devenus Pour vouloir trop tôt être riches ? Jean de La Fontaine, Fables 97 mots La nièce attentionnée Séraphine, dans sa main, Tient QUATRE fleurs du jardin Qu’elle a cueillies à QUATRE pattes, Quatre fois un, quatre, Va au marché, choisit des truites, Quatre fois deux, huit, Qu’elle pose dans sa blouse Quatre fois trois, douze, Achète un panier de fraises, Quatre fois quatre seize, Une bouteille de vin, Quatre fois cinq, vingt, Un cornet de belles dattes, Quatre fois six, vingt-quatre, Puis une douzaine d’huîtres, Quatre fois sept, vingt-huit, Puis un ananas juteux, Quatre fois huit, trente-deux Enfin, des grappes de cassis, Quatre fois neuf, trente-six Pour la fête de sa tante, Quatre fois dix, quarante. Jean Tardieu 99 mots Les hiboux Ce sont les mères des hiboux Qui désiraient chercher les poux De leurs enfants, leurs petits choux, En les tenant sur les genoux. Leurs yeux d'or valent des bijoux Leur bec est dur comme cailloux, Ils sont doux comme des joujoux, Mais aux hiboux point de genoux ! Votre histoire se passait où ? Chez les Zoulous ? Les Andalous ? Ou dans la cabane bambou ? A Moscou ? Ou à Tombouctou ? En Anjou ou dans le Poitou ? Au Pérou ou chez les Mandchous ? Hou ! Hou ! Pas du tout, c'était chez les fous. Robert Desnos 99 mots Le silence est d'or « Oui, le silence est d'or », Me dit toujours maman. Et pourquoi pas alors, En fer ou en argent ? Je ne sais pas en quoi Je puis bien être faite : Graine de cacatois M'appelle la préfète. D'accord ! Je suis bavarde. Mais est- ce une raison Pour que l'on me brocarde En classe, à la maison, Et que l'on me répète Et me répète encor À me casser la tête Que le silence est d'or ? Est- ce, ma faute à moi Si j'ai là dans la gorge, Un petit rouge- gorge Qui gazouille de joie ? Maurice Carême (1899-1978) 100 mots Le jour de la rentrée D'abord je me HOP HOP du bon pied, Puis je gloup gloup mon petit- déjeuner. Je pschitt bien mes dents Et je smack smack papa, maman. À l'école je ne oin oin même pas, Mais je bonjour bonjour tout le monde ! Je LALALALALA des chansons en faisant la ronde, Mais je chutttttttt aussi pour écouter la maîtresse. Tout à coup, dring dring, l'école est terminée. Je retrouve maman Et je lui smack smack des baisers. Puis je lui blablablablabla toute ma journée. Pffff ! C'est fatigant, la rentrée ! Ce soir, c'est sûr, Je vais ronpschit ronpschit sans discuter ! Gwénaëlle Boulet 101 mots Mon cartable Mon cartable a mille odeurs, Mon cartable sent la pomme, Le livre, l'encre, la gomme, Et les crayons de couleurs. Mon cartable sent l'orange, Le bison et le nougat, Il sent tout ce que l'on mange, Et ce qu'on ne mange pas. La figue, la mandarine, Le papier d'argent ou d'or, Et la coquille marine, Les bateaux sortant du port. Les cowboys et les noisettes, La craie et le caramel, Les confettis de la fête, Les billes remplies de ciel. Les longs cheveux de ma mère, Et les joues de mon papa. Les matins dans la lumière, La rose et le chocolat. 102 mots Pierre Gamarra Green Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des branches Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous. Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit doux. J'arrive tout couvert encore de rosée Que le vent du matin vient glacer à mon front. Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée Rêve des chers instants qui la délasseront. Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête Toute sonore encor de vos derniers baisers ; Laissez- la s'apaiser de la bonne tempête. Et que je dorme un peu puisque vous reposez. Verlaine,Romances sans paroles 102 mots La mouche et la crème Une mouche voyant une jatte de crème S'écria: "Quelle chance ! Ah ! que cela me plait ! Ô délice ! Ô bonheur extrême ! Des œufs frais, du sucre et du lait, Un tendre arôme de vanille; Rien ne met plus de douceur en mon cœur." Elle volette, elle frétille, Elle s'approche, elle gambille, Sur le rebord Et c'est alors Que sur la faïence trop lisse, La mouche glisse Et succombe dans les délices De cette crème couleur d'or. Parfois, les choses que l'on aime Sont des dangers. Il n'est pas toujours sûr que l'on puisse nager Dans la meilleure des crèmes. Pierre Gamarra 103 mots La cigale et la fourmi La Cigale, ayant chanté Tout l'été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu'à la saison nouvelle. "Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l'Oût, foi d'animal, Intérêt et principal. " La Fourmi n'est pas prêteuse : C'est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. - Nuit et jour à tout venant Je chantais, ne vous déplaise. - Vous chantiez ? j'en suis fort aise. Eh bien! dansez maintenant. Jean de La Fontaine, Fables 107 mots La guenon, le singe et la noix Une jeune guenon cueillit Une noix dans sa coque verte ; Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes, dit-elle, Ma mère mentit Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes. Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes Qui trompent la jeunesse ! Au diable soit le fruit ! Elle jette la noix. Un singe la ramasse, Vite entre deux cailloux la casse, L'épluche, la mange, et lui dit : Votre mère eut raison, ma mie : Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir. Souvenez-vous que, dans la vie, Sans un peu de travail, on n'a point de plaisir. Jean-Pierre Claris de Florian 108 mots La fourmi et la cigale La fourmi ayant stocké Tout l’hiver Se trouva fort encombrée Quand le soleil fut venu : Qui lui prendrait ses morceaux De mouches ou de vermisseaux ? Elle tenta de démarcher Chez la cigale, sa voisine, La poussant à s’acheter Quelques grains pour subsister Jusqu’à la saison prochaine. « Vous me paierez, lui dit-elle, Après l’oût, foi d’animal, Intérêt et principal. » La cigale n’est pas gourmande : C’est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps froid ? Dit-elle à cette amasseuse. - Nuit et jour à tout venant Je stockais, ne vous déplaise. - Vous stockiez ? j’en suis fort aise ; Et bien soldez maintenant ! » Françoise Sagan 109 mots L’enfant et l’étoile Un astre luit au ciel et dans l’eau se reflète. Un homme qui passait dit à l’enfant- poète : « Toi qui rêves avec des roses dans les mains Et qui chantes, docile au hasard des chemins, Tes vains bonheurs et ta chimérique souffrance, Dis, entre nous et toi, quelle est la différence ? — Voici, répond l’enfant. Levez la tête un peu ; Voyez-vous cette étoile, au lointain du soir bleu? — Sans doute ! — Fermez l’œil. La voyez-vous, l’étoile ? — Non, certes. » Alors l’enfant pour qui tout se dévoile Dit en baissant son front doucement soucieux : « Moi, je la vois encor quand j’ai fermé les yeux. » Catulle Mendès (1841-1909) 112 mots Les sept nains La princesse Blanche- Neige, Chez les sept nains qui la protègent Lave, nettoie, époussette, Sept fois un, sept... Lorsqu’une vieille aux jambes torses, Sept fois deux, quatorze, Lui dit : "Prends ce beau fruit, tiens !" Sept fois trois, vingt et un. Mais un des nains frappe à la vitre, Sept fois quatre, vingt-huit. Et lui dit : "Garde-toi bien, Sept fois cinq, trente- cinq. De mordre à ce fruit dangereux, Sept fois six, quarante-deux. C’est un poison qu’elle t’offre !" Sept fois sept, quarante-neuf. La vieille, dans les airs, s’enfuit... Sept fois huit, cinquante-six. Et la Princesse des bois, Sept fois neuf, soixante-trois, Est sauvée par ses amis, Sept fois dix, soixante-dix. 113 mots Jean Tardieu Le cow-boy et les voleurs Ces huit voleurs de chevaux Sont surpris un peu trop tôt Par le cow-boy Hippolyte, Huit fois un, huit. Ils s'enfuient et chacun d'eux Tire sur lui deux coups de feu Quel vacarme ! Quelle fournaise ! Huit fois deux seize... ...Mais ils ne peuvent l'abattre, Huit fois trois vingt-quatre Alors il lance sur eux, Huit fois quatre trente-deux Son lasso de cordes puissantes Huit fois cinq quarante, Et les entraîne à sa suite Huit fois six quarante-huit. Sur son passage, on applaudit, Huit fois sept, cinquante-six On entend les tambours battre, Huit fois huit soixante-quatre Tous les enfants sont à ses trousses, Huit fois neuf soixante-douze, En triomphateur il revient Huit fois dix, quatre-vingts. Jean Tardieu 117 mots L’enfant de lune La lune en maraude* au cœur des vergers Grimpait aux pommiers en jupon d'argent ; Surgirent des chiens rauques, déchaînés : La lune s'enfuit, laissant un enfant. Il vint avec nous en classe au village, Tout à fait semblable aux autres garçons Sauf cette clarté nimbant son visage Sous le feu de joie de ses cheveux blonds. Il aimait la pluie, les sources, les marbres, Tout ce qui ruisselle et ce qui reluit ; Le soir il veillait très tard sous les arbres Regardant tomber lentement la nuit. La lune en maraude au cœur des vergers Vint chercher l'enfant un soir gris d'automne : Vite, il s'envola. J'entends à jamais Le bruit de son aile amie qui frissonne. Marc Alyn 118 mots L'Albatros Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers, Qui suivent, indolents compagnons de voyage, Le navire glissant sur les gouffres amers. À peine les ont-ils déposés sur les planches, Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux, Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches Comme des avirons traîner à coté d'eux. Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule ! Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid ! L'un agace son bec avec un brûle-gueule, L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait ! Le Poète est semblable au prince des nuées Qui hante la tempête et se rit de l'archer; Exilé sur le sol au milieu des huées, Ses ailes de géant l'empêchent de marcher. Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal 119 mots L’ordinateur et l’éléphant Parce qu'il perdait la mémoire Un ordinateur alla voir Un éléphant de ses amis - C'est sûr, je vais perdre ma place, Lui dit- il, viens donc avec moi. Puisque jamais ceux de ta race N'oublient rien, tu me souffleras. Pour la paie, on s'arrangera. Ainsi firent les deux compères. Mais l'éléphant était vantard Voilà qu'il raconte ses guerres, Le passage du Saint- Bernard, Hannibal et Jules César... Les ingénieurs en font un drame Ça n'était pas dans le programme Et l'éléphant, l'ordinateur Tous les deux, les voilà chômeurs. De morale je n’en vois guère À cette histoire, je l'avoue. Si vous en trouvez une, vous, Portez-la chez le Commissaire; Au bout d'un an, elle est à vous Si personne ne la réclame. 123 mots Jean Rousselot Le Petit Prince et le marchand “Bonjour, dit le Petit Prince. - Bonjour, dit le marchand. C’était un marchand de pilules perfectionnées qui apaisent la soif. On en avale une par semaine Et l’on n’éprouve plus le besoin de boire. « Pourquoi vends- tu ça ? dit le Petit Prince - C’est une grosse économie de temps, dit le marchand. Les experts ont fait des calculs. On épargne cinquante-trois minutes par semaine. - Et qu’est-ce qu’on fait de ces cinquante-trois minutes ? - On en fait ce que l’on veut... » « Moi, se dit le petit prince, Si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser, Je marcherais tout doucement vers une fontaine. » Antoine de Saint Exupéry 105 mots L'enfant qui criait au loup À trop crier au loup, On en voit le museau. Un enfant bâillait comme un pou Tout en gardant son troupeau. Il décide de s'amuser. "Au loup ! hurle-t-il. Au loup ! Vos troupeaux sont en grand danger ! " Et il crie si fort qu'il s'enroue. Pour chasser l'animal maudit, Les villageois courent, ventre à terre, Trouvent les moutons bien en vie, Le loup, ma foi, imaginaire... Le lendemain, même refrain. Les villageois y croient encore. Troisième jour, un vrai loup vint Et c'était un fin carnivore. Au loup ! cria l'enfant. Un loup attaque vos troupeaux ! "Ah ! Le petit impertinent ! Mais il nous prend pour des nigauds ! " S'écrièrent les villageois. Le loup fit un festin de roi. Ésope, Fables 122 mots Je te souhaite Je te souhaite un jour de velours, D'iris, de lis et de pervenches, Un jour de feuilles et de branches, Un jour et puis un autre jour, Un jour de blés, un jour de vignes, Un jour de figues, de muscats, Un jour de raisins délicats, Un jour de colombes, de cygnes. Je te souhaite un jour de diamant, De saphir et de porcelaine, Un jour de lilas et de laine, Un jour de soie, ô ma maman Et puis un autre jour encore, Léger, léger, un autre jour Jusqu'à la fin de mon amour, Une aurore et puis une aurore, Car mon amour pour toi, ma mère, Ne pourra se finir jamais Comme le frisson des ramées Comme le ciel, comme la mer... Pierre Gamarra 124 mots Le castor et le ragondin Avec beaucoup de soin, un castor bâtissait ; Pour son futur logis, rien ne semblait trop beau. Il choisissait ses troncs puis il les ajustait, Son chant accompagnant sa scie et son rabot. À quelques pas de lui, un triste ragondin Fort pressé d’en finir, bâclait sa finition : Ses chevrons étaient fins et trop courts ses boulins ; Mais ne point trop en faire était son ambition. À peine leurs maisons étaient-elles achevées Qu’un ouragan violent de très loin arriva. Pendant que le castor dormait à poings fermés, Du ragondin le « home »* à terre se retrouva. Moralité : Si l’ouvrage bien fait exige du courage On sera satisfait devant son résultat. Celui qui bâcle tout, et par trop se ménage Devra se contenter d’une œuvre sans éclat. 127 mots Yvon Danet, Fabulines Le lion et le rat Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde: On a souvent besoin d'un plus petit que soi. De cette vérité deux fables feront foi ; Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d'un Lion Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie. Le roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu'il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu'un aurait-il jamais cru Qu'un lion d'un rat eût affaire ? Cependant il advint qu'au sortir des forêts Ce Lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. Jean de La Fontaine, Fables 127 mots Mon école Mon école est pleine d'images, Pleine de fleurs et d'animaux, Mon école est pleine de mots Que l'on voit s'échapper des pages, Pleine d'avions, de paysages, De trains qui glissent tout là-bas Où nous attendent les visages Des amis qu'on ne connaît pas. Mon école est pleine de lettres, Pleine de chiffres qui s'en vont Grimper du plancher au plafond Puis s'envolent par les fenêtres, Pleine de jacinthes, d'œillets, Pleine de haricots qu'on sème ; Ils fleurissent chaque semaine Dans un pot et dans nos cahiers. Ma classe est pleine de problèmes Gentils ou coquins quelquefois, De chansons, de vers, de poèmes, Dont on aime la jolie voix Pleine de contes et de rêves, Blancs ou rouges, jaunes ou verts, De bateaux voguant sur la mer Quand une brise les soulève. Pierre Gamarra 131 mots Les après-midi d’automne Oh ! les après-midi solitaires d'automne ! Il neige à tout jamais. On tousse. On n'a personne. Un piano voisin joue un air monotone ; Et, songeant au passé béni, triste, on tisonne. Comme la vie est triste ! Et triste aussi mon sort. Seul, sans amour, sans gloire ! Et la peur de la mort ! Et la peur de la vie, aussi ! Suis-je assez fort ? Je voudrais être enfant, avoir ma mère encor. Oui, celle dont on est le pauvre aimé, l'idole, Celle qui, toujours prête, ici-bas nous console !... Maman ! Maman ! Oh ! Comme à présent, loin de tous, Je mettrais follement mon front dans ses genoux, Et je resterais là, sans dire une parole, À pleurer jusqu'au soir, tant ce serait trop doux. Jules Laforgue 131 mots Le Laboureur et ses Enfants Travaillez, prenez de la peine : C'est le fonds qui manque le moins. Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine, Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins. « Gardez-vous, leur dit- il, de vendre l'héritage Que nous ont laissé nos parents. Un trésor est caché dedans. Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout. Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût. Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place Où la main ne passe et repasse. » Le père mort, les fils vous retournent le champ Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an Il en rapporta davantage. D'argent, point de caché. Mais le père fut sage De leur montrer avant sa mort Que le travail est un trésor. Jean de La Fontaine, Fables 134 mots Complainte du petit cheval Le petit cheval dans le mauvais temps, Qu'il avait donc du courage ! C'était un petit cheval blanc, Tous derrière et lui devant. Il n'y avait jamais de beau temps Dans ce pauvre paysage. Il n'y avait jamais de printemps, Ni derrière ni devant. Mais toujours il était content, Menant les gars du village, À travers la pluie noire des champs, Tous derrière et lui devant. Sa voiture allait poursuivant Sa belle petite queue sauvage. C'est alors qu'il était content, Eux derrière et lui devant. Mais un jour, dans le mauvais temps, Un jour qu'il était si sage, Il est mort par un éclair blanc, Tous derrière et lui devant. Il est mort sans voir le beau temps, Qu'il avait donc du courage ! Il est mort sans voir le printemps Ni derrière ni devant. 135 mots Paul Fort C’est tout un art d’être un canard C'est tout un art d'être un canard Canard marchant canard nageant Canards au vol vont dandinant Canards sur l'eau vont naviguant Être canard c'est absorbant Terre ou étang, c'est différent Canards au sol s'en vont en rang Canards sur l'eau s'en vont ramant Être canard ça prend du temps C'est tout un art, c'est amusant Canards au sol cancanants Canards sur l'eau sont étonnants Il faut savoir marcher, nager Courir, plonger dans l'abreuvoir. Canards le jour sont claironnants Canards le soir vont clopinant Canards aux champs ou sur l'étang C'est tout un art d'être canard. Claude Roy 95 mots Chanson de la Seine La Seine a de la chance Elle n'a pas de souci Elle se la coule douce Le jour comme la nuit Et elle sort de sa source Tout doucement, sans bruit, sans sortir de son lit Et sans se faire de mousse Elle s'en va vers la mer En passant par Paris. La Seine a de la chance Elle n'a pas de souci Et quand elle se promène Tout au long de ses quais Avec sa belle robe verte Et ses lumières dorées Notre- Dame jalouse, immobile et sévère De haut de toutes ses pierres La regarde de travers Mais la Seine s'en balance Elle n'a pas de souci Elle se la coule douce Le jour comme la nuit Et s'en va vers le Havre, et s'en va vers la mer En passant comme un rêve Au milieu des mystères. Des misères de Paris Jacques Prévert (1900-1977) 143 mots RECOMMENCE Si tu es las et que la route te paraît longue Si tu t’aperçois que tu t’es trompé de chemin Ne te laisse pas couler au fil des jours et du temps ! RECOMMENCE ! Si la vie te semble trop absurde Si tu es déçu par trop de chose et trop de gens, Ne cherche pas à comprendre pourquoi… RECOMMENCE ! Si tu as essayé d’aimer et d’être utile, Si tu as connu la pauvreté et les limites, Ne laisse pas là une tâche à moitié faite. RECOMMENCE ! Si les autres te regardent avec reproche, S’ils sont déçus par toi, irrités, Ne te révolte pas, ne leur demande rien. RECOMMENCE ! Car l’arbre rebourgeonne en oubliant l’hiver, Car le rameau fleurit sans demander pourquoi, Car l’oiseau fait son nid sans songer à l’automne, Car la vie est Espoir et RECOMMENCEMMENT ! Auteur inconnu 138 mots Les écoliers Sur la route couleur de sable, En capuchon noir et pointu, Le 'moyen', le 'bon', le 'passable' Vont à galoches que veux-tu Vers leur école intarissable. Ils ont dans leurs plumiers des gommes Et des hannetons du matin, Dans leurs poches du pain, des pommes, Des billes, ô précieux butin Gagné sur d'autres petits hommes. Ils ont la ruse et la paresse Mais l'innocence et la fraîcheur Près d'eux les filles ont des tresses Et des yeux bleus couleur de fleur, Et des vraies fleurs pour leur maîtresse. Puis les voilà tous à s'asseoir. Dans l'école crépie de lune On les enferme jusqu'au soir, Jusqu'à ce qu'il leur pousse plume Pour s'envoler. Après, bonsoir ! Maurice Fombeure 114 mots Monsieur interroge Monsieur - Monsieur quels sont ces gens Que je vois rassemblés Et qui semblent attendre Avant d’avancer ? - Monsieur ce sont des arbres Dans une plaine immense Ils ne peuvent pas bouger Car ils sont attachés - Monsieur Monsieur Monsieur Au-dessus de nos têtes Quels sont ces yeux nombreux Qui dans la nuit regardent ? - Monsieur ce sont des astres Ils tournent sur eux-mêmes Et ne regardent rien - Monsieur quels sont ces cris Quelque part on dirait On dirait que l’on rit On dirait que l’on pleure On dirait que l’on souffre ? - Monsieur ce sont les dents Les dents de l’océan Qui mordent les rochers Sans avoir soif ni faim Et sans férocité 115 mots Jean Tardieu Ma bohème Je m’en allais, les poings dans mes poches crevés; Mon paletot aussi devenait idéal; J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal; Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées! Mon unique culotte avait un large trou. - Petit Poucet rêveur, j’égrenais ma course Des rimes. Et mon auberge était à la Grande ourse - Mes étoiles au ciel avait un doux frou-frou. Et je les écoutais, assis au bord des routes, Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes De rosée à mon front, comme un vin de vigueur; Où, rimant au milieu des ombres fantastiques Comme des Lyres; je tirais des élastiques De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur! Arthur Rimbaud 117 mots Les colchiques Le pré est vénéneux mais joli en automne Les vaches y paissant Lentement s’empoisonnent Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit .Tes yeux sont comme cette fleur-là Violâtres comme leur cerne et comme cet automne Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne. Les enfants de l’école viennent avec fracas Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica. Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères Filles de leurs filles et sont couleurs de tes paupières Qui battent comme les fleurs battent au vent dément. Le gardien du troupeau chante tout doucement Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent Pour toujours Ce grand pré mal fleuri par l’automne. Guillaume Apollinaire 112 mots Promenade de Picasso Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle Une pomme pose Face à face avec elle Un peintre de la réalité Essaie vraiment de la peindre La pomme telle qu’elle est Mais Elle ne se laisse pas faire La pomme Elle a son mot à dire Et plusieurs tours dans son sac de pommes La pomme Et voilà qui tourne Dans son assiette réelle Sournoisement sur elle-même Doucement sans bouger Et comme Duc de Guise qui se déguise en bec de gaz Parce qu’on veut malgré lui tirer le portrait La pomme se déguise en beau fruit déguisé Et c’est alors Que le peintre de la réalité commence à réaliser Que toutes les apparences de la pomme sont contre lui. Jacques Prévert, Paroles 120 mots Le petit chat Tout d’abord de son nez délicat il le flaire, Le frôle; puis à coups de langue très petits Il le lampe : et dès lors il est à son affaire. Et l’on entend pendant qu’il boit, un clapotis. Il boit, bougeant la queue , et sans faire une pause ; Et ne relève enfin son joli museau plat Que lorsqu’il a passé sa langue rêche et rose Partout, bien proprement débarbouillé le plat. Alors, il se pourlèche un moment les moustaches, Avec l’air étonné d’avoir déjà fini ; Et comme il s’aperçoit qu’il s’est fait quelques tâches, Il relustre avec soin son pelage terni. Edmond Rostand 105 mots Le hareng saur Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu, Contre le mur une échelle - haute, haute, haute, Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec. Il vient tenant dans ses mains - sales, sales, sales, Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu, Un peloton de ficelle - gros, gros, gros. Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute, Et plante le clou pointu - toc, toc, toc, Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu. Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui tombe, Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue, Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec. Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute, L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd, Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin. Et depuis, le hareng saur - sec, sec, sec, Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue, Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours. Charles Cros 154 mots Les mouches Les mouches d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois elles sont moins gaies plus lourdes, plus majestueuses, plus graves plus conscientes de leur rareté elles se savent menacées de génocide Dans mon enfance elles allaient se coller joyeusement par centaines, par milliers peut-être sur du papier fait pour les tuer elles allaient s'enfermer par centaines, par milliers peut-être dans des bouteilles de forme spéciale elles patinaient, piétinaient, trépassaient par centaines, par milliers peut- être elles foisonnaient elles vivaient Maintenant elles surveillent leur démarche les mouches d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois. Raymond Queneau 97 mots Toujours et Jamais Toujours et Jamais étaient toujours ensemble ne se quittaient jamais. On les rencontrait dans toutes les foires. On les voyait le soir traverser le village sur un tandem. Toujours guidait Jamais pédalait C'est du moins ce qu'on supposait... Ils avaient tous les deux une jolie casquette L'une était noire à carreaux blancs L'autre blanche à carreaux noirs À cela on aurait pu les reconnaître Mais ils passaient toujours le soir et avec la vitesse... Certains d'ailleurs les soupçonnaient Non sans raison peut- être D'échanger certains soirs leur casquette Une autre particularité Aurait dû les distinguer L'un disait toujours bonjour L'autre toujours bonsoir Mais on ne sut jamais Si c'était Toujours qui disait bonjour Ou Jamais qui disait bonsoir Car entre eux ils s'appelaient toujours Monsieur Albert Monsieur Octave. Paul Vincensini 128 mots Impression fausse Dame souris trotte Noire dans le gris du soir, Dame souris trotte, Grise dans le noir. On sonne la cloche : Dormez les bons prisonniers, On sonne la cloche : Faut que vous dormiez Pas de mauvais rêve : Ne pensez qu'à vos amours Pas de mauvais rêve : Les belles toujours ! Le grand clair de lune ! On ronfle ferme à côté Le grand clair de lune En réalité ! Un nuage passe, Il fait noir comme en un four, Un nuage passe, Tiens le petit jour ! Dame souris trotte, Rose dans les rayons bleus, Dame souris trotte, Debout, paresseux ! Paul Verlaine 103 mots Conciliabule Trois lapins, dans le crépuscule, Tenaient un long conciliabule. Le premier montrait une étoile Qui montait sur un champ d'avoine. Les autres, pattes sur les yeux, La regardaient d'un air curieux. Puis tous trois, tête contre tête, Se parlaient d'une voix inquiète. Se posaient- ils, tout comme nous, Les mêmes questions sans réponse ? D'où venons- nous ? Où allons- nous ? Que sommes- nous ? Pourquoi ces ronces ? Pourquoi dansons- nous le matin, Parmi la rosée et le thym ? Pourquoi avons- nous le cul blanc, Longues oreilles, longues dents ? Pourquoi notre nez tout le temps, Tremble- t- il comme feuille au vent ? Pourquoi l'ombre d'un laboureur Nous fait- elle toujours si peur ? Trois lapins dans le crépuscule Tenaient un long conciliabule. Et il aurait duré longtemps Encore si une grenouille N'avait plongé soudainement Dans l'eau de lune de l'étang. Maurice Carême 145 mots Le relais En voyage, on s'arrête, on descend de voiture ; Puis entre deux maisons on passe à l'aventure, Des chevaux, de la route et des fouets étourdi, L'œil fatigué de voir et le corps engourdi. Et voici tout à coup, silencieuse et verte, Une vallée humide et de lilas couverte, Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, Et la route et le bruit sont bien vite oubliés ! On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre, De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre, Et sans penser à rien on regarde les cieux. Hélas une voix crie : « En voiture, messieurs! » Gérard de Nerval 104 mots L’oiseau bleu Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu Sa tête est d'un vert mordoré Il a une tache noire sous la gorge Ses ailes sont bleues Avec des touffes de petites plumes jaune doré Au bout de la queue il y a des traces de vermillon Son dos est zébré de noir et de vert Il a le bec noir les pattes incarnat et deux petits yeux de jais Il adore faire trempette, Se nourrit de bananes et pousse Un cri qui ressemble au sifflement d'un tout petit jet de vapeur. On le nomme le septicolore. Blaise Cendrars 95 mots L'enfant qui battait la campagne Vous me copierez deux cents fois le verbe: Je n'écoute pas. Je bats la campagne. Je bats la campagne, tu bats la campagne, Il bat la campagne à coups de bâton. La campagne ? Pourquoi la battre ? Elle ne m'a jamais rien fait. C'est ma seule amie, la campagne, Je baye aux corneilles, je cours la campagne. Il ne faut jamais battre la campagne : On pourrait casser un nid et ses oeufs. On pourrait briser un iris, une herbe, On pourrait fêler le cristal de l'eau. Je n'écouterai pas la leçon. Je ne battrai pas la campagne. Claude Roy 98 mots Clown Je suis le vieux Tourneboule Ma main est bleue d'avoir gratté le ciel Je suis Barnum je fais des tours Assis sur le trapèze qui voltige Aux petits, je raconte des histoires Qui dansent au fond de leurs prunelles Si vous savez vous servir de vos mains Vous attrapez la lune Ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas la prendre Moi je conduis des rivières J'ouvre les doigts elles coulent à travers Dans la nuit Et tous les oiseaux viennent y boire sans bruit Les parents redoutent ma présence Mais les enfants s'échappent le soir Pour venir me voir Et mon grand nez de buveur d'étoiles Luit comme un miroir. Werner Renfer 111 mots Portrait de l’autre L’Autre : Celui d’en face, ou d’à côté, Qui parle une autre langue Qui a une autre couleur, Et même une autre odeur Si on cherche bien… L’Autre : Celui qui ne porte pas l’uniforme Des bien-élevés, Ni les idées Des bien-pensants, Qui n’a pas peur d’avouer Qu’il a peur… L’Autre : Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous Des- fois- qu’il- irait- les- boire, Celui qui ne lit pas les mêmes bibles, Qui n’apprend pas les mêmes refrains… L’AUTRE : N’est pas nécessairement menteur, hypocrite, vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche, cynique, grossier, sale, cruel… Puisque, pour Lui, l’AUTRE… C’est Toi. 100 mots Robert Gélis Demain, dès l'aube... Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends. J'irai par la forêt, j'irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées, Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit, Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées, Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit. Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe, Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur, Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur. Victor Hugo 93 mots La Fenêtre Pour les autres, pour les passants, Tu es simplement la fenêtre. Pour moi qui t'aime du dedans Tu es ma plus profonde fête. Celle qui accroît le regard Et limite chaque nuage, La gardienne du paysage Où je viens me perdre le soir. J'ai le monde sous mes paupières Mon front à ta vitre appuyé Et tu es glissante lisière Sur le bord de l'illimité. Reste ma sœur très patiente, Fais- moi l'aumône d'un oiseau, Redis- moi les paroles lentes De cet horizon sans défaut. Et posée entre ciel et terre Sois ce chemin aérien Près duquel doucement je viens Apaiser ma faim de lumière. Anne-Marie Kegels 105 mots La leçon de choses Venez poussins Asseyez- vous Je vais vous instruire sur l'œuf Dont tous vous venez, poussins. L'oeuf est rond Mais pas tout à fait Il serait plutôt ovoïde Avec une carapace Et vous en venez tous, poussins. Il est blanc Pour votre race Crème ou même orangé Avec parfois collé Un brin de paille Mais ça, C'est un supplément À l'intérieur il y a ... Mais pour y voir Faut le casser Et alors d'où - vous, poussins - sortiriez ? Raymond Queneau 75 mots Les hiboux Ce sont les mères de hiboux Qui désiraient chercher les poux De leurs enfants, leurs petits choux, En les tenant sur leurs genoux. Leurs yeux d’or valent des bijoux Leur bec est dur comme cailloux, Ils sont doux comme des joujoux, Mais aux hiboux, point de genoux ! Votre histoire se passait où ? Chez les Zoulous ? Les Andalous ? Ou dans la cabane bambou ? À Moscou ? Ou à Tombouctou ? En Anjou ou dans le Poitou ? Au Pérou ou chez les Mandchous ? Hou ! Hou ! Pas du tout, c’était chez les fous. Robert Desnos 87 mots Le globe Offrons le globe aux enfants, au moins pour une journée. Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un ballon multicolore Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles. Offrons le globe aux enfants, Donnons-leur comme une pomme énorme Comme une boule de pain toute chaude, Qu’ une journée au moins ils puissent manger à leur faim. Offrons le globe aux enfants, Qu’une journée au moins le globe apprenne la camaraderie, Les enfants prendront de nos mains le globe Ils y planteront des arbres immortels. Nazim Hikmet 83 mots Déjeuner du matin Il a mis le café Dans la tasse Il a mis le lait Dans la tasse de café Il a mis le sucre Dans le café au lait Avec la petite cuiller Il a tourné Il a bu le café au lait Et il a reposé la tasse Sans me parler Il a allumé Une cigarette Il a fait des ronds Avec la fumée Il a mis les cendres Dans le cendrier Sans me parler Sans me regarder Il s’est levé Il a mis Son chapeau sur la tête Il a mis son manteau de pluie Parce qu’il pleuvait Et il est parti Sous la pluie Sans une parole Sans me regarder Et moi j’ai pris Ma tête dans ma main Et j’ai pleuré. 124 mots Jacques Prévert Chanson pour les enfants de l’hiver Dans la nuit de l’hiver Galope un grand homme blanc Galope un grand homme blanc C’est un bonhomme de neige Avec une pipe en bois Un grand bonhomme de neige Poursuivi par le froid Il arrive au village Il arrive au village Voyant de la lumière Le voilà rassuré Dans une petite maison Il entre sans frapper Dans une petite maison Il entre sans frapper Et pour se réchauffer Et pour se réchauffer S’ asseoit sur le poêle rouge Et d’un coup disparaît Ne laissant que sa pipe Au milieu d’une flaque d’eau Ne laissant que sa pipe Et puis son vieux chapeau. Jacques Prévert 102 mots Le coeur trop petit Quand je serai grand Dit le petit vent J’abattrai La forêt Et donnerai du bois À tous ceux qui ont froid. Quand je serai grand Dit le petit vent Je nourrirai tous ceux Qui ont le ventre creux. Là- dessus s’en vient La petite pluie Qui n’a l’air de rien Abattre le vent Détremper le pain Et tout comme avant Les pauvres ont froid Les pauvres ont faim. Mais mon histoire N’ est pas à croire : Si le pain manque et s’il fait froid sur terre Ce n’est pas la faute à la pluie Mais à l’homme, ce dromadaire Qu’ à le coeur beaucoup trop petit. Jean Roussel 107 mots L’homme qui te ressemble J’ai frappé à ta porte J’ai frappé à ton cœur Pour avoir bon lit Pour avoir bon feu Pourquoi me repousser ? Ouvre- moi, mon frère… ! Pourquoi me demander Si je suis d’Afrique Si je suis d’Amérique Si je suis d’Europe ? Ouvre- moi, mon frère… ! Pourquoi me demander La longueur de mon nez L’épaisseur de ma bouche La couleur de ma peau Et le nom de mes dieux ? Ouvre- moi, mon frère… ! Je ne suis pas un noir Je ne suis pas un rouge Je ne suis pas un jaune Je ne suis pas un blanc Mais je ne suis qu’un homme Ouvre- moi, mon frère… ! Ouvre- moi ta porte Ouvre- moi ton cœur Car je suis un homme L’homme de tous les temps L’homme de tous les cieux L’homme qui te ressemble !... 132 René PHILOMBÉ, Petites gouttes de chant pour créer l’homme mots Éditions Semences Africaines, 1977 Tout petit petit Petit petit tout petit petit Où vas-tu de ce pas ? Petit petit tout petit Où cours- tu comme ça ? Petit petit tout petit petit Où est partie maman ? Petit petit tout petit Que devient papa ? Et pourquoi pleures-tu ? Et pourquoi ne ris-tu pas ? Pourquoi ton ventre est-il gros comme ça ? Qu’as-tu avalé dis-le moi Une goyave ou un crapaud ? Petit petit tout petit garçon Viens avec moi à la maison J’ai encore sur la claie un peu de poisson Nous mangerons assis à califourchon Sur des caisses comme deux petits polissons Petit petit tout petit ami Viens avec moi chasser les fourmis Qui font mourir les légumes dans mon jardin Où poussent oranges corosols et plantains Petit petit tout petit frangin Viens avec moi à la maison Nous chanterons de belles chansons En rangeant des hameçons Qui demain serviront sans façons À la pêche en chantant des chansons. Épalé -NDIKA, La Mort en silence 150 mots A Poor Young Shepherd J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer. J'ai peur d'un baiser! Pourtant j'aime Kate Et ses yeux jolis. Elle est délicate Aux longs traits pâlis. Oh ! que j'aime Kate! C'est Saint- Valentin! Je dois et je n'ose Lui dire au matin... La terrible chose Que Saint-Valentin! Elle m'est promise, Fort heureusement ! Mais quelle entreprise Que d'être un amant Près d'une promise! J'ai peur d'un baiser Comme d'une abeille. Je souffre et je veille Sans me reposer: J'ai peur d'un baiser ! Verlaine 89 mots Les hiboux Ce sont les mères des hiboux Qui désiraient chercher les poux De leurs enfants, leurs petits choux, En les tenant sur les genoux. Leurs yeux d’or valent des bijoux, Leur bec est dur comme cailloux, Ils sont doux comme des joujoux, Mais aux hiboux point de genoux ! Votre histoire se passait où ? Chez les Zoulous ? Les Andalous ? Ou dans la cabane bambou ? À Moscou ? Ou à Tombouctou ? En Anjou ou dans le Poitou ? Au Pérou ou chez les Mandchous ? Hou ! Hou ! Pas du tout, c’était chez les fous. Robert Desnos 99 mots