Les comédiens

Transcription

Les comédiens
Les comédiens
Les comédiens
On dit souvent
Ça vend du vent
À la sauvette
Ils vont
De scène en scène
et partent en tournée
Et dès qu'ils sont vêtus
Des habits qu'on leur prête
Ils deviennent Jésus
Harpagon ou Hamlet
Les comédiens
Disent les gens
Ont bien souvent
Des amourettes
À force de jouer
Ils se prennent au jeu
Sans être Roméo
On s'éprend de Juliette
Juste le temps qu'il faut
Pour en souffrir un peu
Les comédiens
Quand l'âge vient
Quittent la scène
Et quand il leur advient
De vivre de longs jours
Sur cour ou sur jardin
Tout seuls ils se souviennent
De ce fichu métier
Qu'ils ont aimé
D'amour
110 mots
Jean Roger Caussimon
Le feu des étoiles
Le feu est né dans une étoile
Voici plusieurs milliards d’ années
Quand le ciel était encore vide.
De cette étoile, jaillit une autre étoile
Puis le Soleil, cet immense brasier
D’où sont sorties les planètes :
La Lune, Mars, Mercure, Jupiter,
Comme la cendre après la flamme.
Sur Terre, enfin, la vie est apparue :
Poissons, reptiles, mammifères,
Et, monté dans les arbres,
Un petit animal semblable à l’ écureuil
Qui, plus tard, deviendra un homme.
L’ Homme est donc bien le fils du feu.
Quand, par une claire nuit d’ été,
Il regarde la Voie Lactée,
Cette poussière d’ étoiles,
C’est son enfance qu’ il contemple
À des millions d’années- lumières,
L’ enfance de l’ Humanité.
Jean Orizet
117 mots
Le blaireau sans gêne
Lui offrait- on quelque gâteau ?
C’est simple, il en réclamait deux.
Devant un cadeau, ce blaireau
Faisait la moue, remerciait peu.
Partout il se sentait à l’aise
Se glissant à la meilleure place.
On le vit devenir obèse
Mais toujours faisant la grimace.
Un jour chez la Dame Belette
Il dit un gros mot incongru ;
Alors sa renommée fut faite :
Désormais nul ne le reçut.
Moralité :
Soyez polis, soyez courtois
Dites bonjour, dites merci,
On vous recevra avec joie,
Et vous aurez beaucoup d’amis
Yvon Danet
86 mots
Dans Paris
Dans Paris, il y a une rue;
Dans cette rue, il y a une maison;
Dans cette maison, il y a un escalier;
Dans cet escalier, il y a une chambre;
Dans cette chambre, il y a une table;
Sur cette table, il y a un tapis;
Sur ce tapis, il y a une cage;
Dans cette cage, il y a un nid;
Dans ce nid, il y a un œuf,
Dans cet œuf, il y a un oiseau.
L'oiseau renversa l'œuf;
L'œuf renversa le nid;
Le nid renversa la cage;
La cage renversa le tapis;
Le tapis renversa la table;
La table renversa la chambre;
La chambre renversa l'escalier;
L'escalier renversa la maison;
La maison renversa la rue;
La rue renversa la ville de Paris.
Paul Eluard
126 mots
Apothéose du Point
"Foin, de tout ce qui n'est point le Point !"
Dit le Point, devant témoins.
"Sans Moi, tout n'est que baragouin!
Quant à la Virgule !
Animalcule, qui gesticule
Sans nul besoin,
Je lui réponds à brûle-pourpoint :
Qui stimule une Majuscule ?
Fait descendre les crépuscules ?
Qui jugule ? Qui férule ?
Fait que la phrase capitule ?
Qui ?
Si ce n'est : le Point !
Bref, toujours devant témoins :
Je postule et stipule
Qu'un Point c'est Tout ! "
Dit le Point.
André Chedid
87 mots
La Prisonnière
Plaignez la pauvre prisonnière
Au fond de son cachot maudit !
Sans feu, sans coussin, sans lumière...
Ah ! maman me l’avait bien dit !
Il fallait aller chez grand-mère
Sans m’amuser au bois joli,
Sans parler comme une commère
Avec l’inconnu trop poli.
Ma promenade buissonnière
Ne m’a pas du tout réussi :
Maintenant je suis prisonnière
Dans le grand ventre noir du loup.
Je suis seule, sans allumettes,
Chaperon rouge bien puni :
Je n’ai plus qu’un bout de galette,
Et mon pot de beurre est fini !
Jacques Charpentreau
90 mots
Naissances
Le ciel retient son souffle à chaque vie qui prend.
Pour lui, toute naissance est un évènement:
Une étoile, un enfant, un faon, un éléphant,
Baleine, écureuil, fleur, girafe ou froment.
Tout retentit, sans fin dans l'univers immense,
Et l'agneau étonné qui sur la paille danse,
S'essayant à marcher pour la première fois,
Compte autant que l'aîné dans le berceau des bois.
Les anges, ce matin, comme des chats ronronnent,
Se racontant, joyeux, la belle information:
Sur la Terre, là-bas, pareille à une pomme,
Près d'un ruisseau, sans nom, est né un hanneton.
Marc Alyn, L'arche enchantée (1979)
93 mots
Le moulin au printemps
Le chaume et la mousse
Verdissent le toit ;
La colombe y glousse,
L'hirondelle y boit.
Le bras d'un platane
Et le lierre épais
Couvrent la cabane
D'une ombre de paix.
La rosée en pluie
Brille à tout rameau ;
Le rayon essuie
La poussière d'eau ;
Le vent, qui secoue
Les vergers flottants,
Fait de notre joue
Neiger le printemps.
Sous la feuille morte,
Le brun rossignol
Niche vers la porte,
Au niveau du sol.
L'enfant qui se penche
Voit dans le jasmin
Ses œufs sur la branche
Et retient sa main.
Lamartine
93 mots
Bleu et blanc
Un petit chat bleu
Semé de pois blancs
Vit un gros rat blanc
Semé de pois bleus.
Leurs mignonnes queues
Différaient de peu.
Oui, mais seulement
Le nez du chat bleu
Était tout tout blanc,
Le nez du rat blanc
Était tout tout bleu.
Leurs joues et leurs yeux
Différaient de peu.
Oui, mais seulement
Un cil du chat bleu
Était tout tout blanc,
Un cil du rat blanc
Était tout tout bleu.
À cause de ce peu,
De ce petit peu
De blanc et de bleu,
Ils continuèrent
À se faire la guerre.
Maurice Carême
94 mots
Le cerf-volant
Soulevé par les vents
Jusqu'au plus haut des cieux,
Un cerf-volant plein de superbe
Vit, qui dansait au ras de l'herbe,
Un petit papillon, tout vif et tout joyeux.
- Holà ! minable animalcule,
Cria du zénith l'orgueilleux,
Ne crains-tu pas le ridicule ?
Pour te voir, il faut de bons yeux
Tu rampes comme un ver...
Moi je grimpe je grimpe
Jusqu'à l'Olympe,
Séjour des dieux.
- C'est vrai, dit l'autre avec souplesse,
Mais moi, libre, à mon gré,
Je peux voler partout,
Tandis que toi, pauvre toutou,
Un enfant te promène en laisse.
Jean-Luc Moreau
95 mots
La Poule
aux œufs d'or
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la Poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor.
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
À celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches :
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus
Qui du soir au matin sont pauvres devenus
Pour vouloir trop tôt être riches ?
Jean de La Fontaine, Fables
97 mots
La nièce attentionnée
Séraphine, dans sa main,
Tient QUATRE fleurs du jardin
Qu’elle a cueillies à QUATRE pattes,
Quatre fois un, quatre,
Va au marché, choisit des truites,
Quatre fois deux, huit,
Qu’elle pose dans sa blouse
Quatre fois trois, douze,
Achète un panier de fraises,
Quatre fois quatre seize,
Une bouteille de vin,
Quatre fois cinq, vingt,
Un cornet de belles dattes,
Quatre fois six, vingt-quatre,
Puis une douzaine d’huîtres,
Quatre fois sept, vingt-huit,
Puis un ananas juteux,
Quatre fois huit, trente-deux
Enfin, des grappes de cassis,
Quatre fois neuf, trente-six
Pour la fête de sa tante,
Quatre fois dix, quarante.
Jean Tardieu
99 mots
Les hiboux
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d'or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
A Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c'était chez les fous.
Robert Desnos
99 mots
Le silence est d'or
« Oui, le silence est d'or »,
Me dit toujours maman.
Et pourquoi pas alors,
En fer ou en argent ?
Je ne sais pas en quoi
Je puis bien être faite :
Graine de cacatois
M'appelle la préfète.
D'accord ! Je suis bavarde.
Mais est- ce une raison
Pour que l'on me brocarde
En classe, à la maison,
Et que l'on me répète
Et me répète encor
À me casser la tête
Que le silence est d'or ?
Est- ce, ma faute à moi
Si j'ai là dans la gorge,
Un petit rouge- gorge
Qui gazouille de joie ?
Maurice Carême (1899-1978)
100 mots
Le jour de la rentrée
D'abord je me HOP HOP du bon pied,
Puis je gloup gloup mon petit- déjeuner.
Je pschitt bien mes dents
Et je smack smack papa, maman.
À l'école je ne oin oin même pas,
Mais je bonjour bonjour tout le monde !
Je LALALALALA des chansons en faisant la ronde,
Mais je chutttttttt aussi pour écouter la maîtresse.
Tout à coup, dring dring, l'école est terminée.
Je retrouve maman
Et je lui smack smack des baisers.
Puis je lui blablablablabla toute ma journée.
Pffff ! C'est fatigant, la rentrée !
Ce soir, c'est sûr,
Je vais ronpschit ronpschit sans discuter !
Gwénaëlle Boulet
101 mots
Mon cartable
Mon cartable a mille odeurs,
Mon cartable sent la pomme,
Le livre, l'encre, la gomme,
Et les crayons de couleurs.
Mon cartable sent l'orange,
Le bison et le nougat,
Il sent tout ce que l'on mange,
Et ce qu'on ne mange pas.
La figue, la mandarine,
Le papier d'argent ou d'or,
Et la coquille marine,
Les bateaux sortant du port.
Les cowboys et les noisettes,
La craie et le caramel,
Les confettis de la fête,
Les billes remplies de ciel.
Les longs cheveux de ma mère,
Et les joues de mon papa.
Les matins dans la lumière,
La rose et le chocolat.
102 mots
Pierre Gamarra
Green
Voici des fruits, des fleurs, des feuilles et des
branches
Et puis voici mon cœur qui ne bat que pour vous.
Ne le déchirez pas avec vos deux mains blanches
Et qu'à vos yeux si beaux l'humble présent soit
doux.
J'arrive tout couvert encore de rosée
Que le vent du matin vient glacer à mon front.
Souffrez que ma fatigue à vos pieds reposée
Rêve des chers instants qui la délasseront.
Sur votre jeune sein laissez rouler ma tête
Toute sonore encor de vos derniers baisers ;
Laissez- la s'apaiser de la bonne tempête.
Et que je dorme un peu puisque vous reposez.
Verlaine,Romances sans paroles
102 mots
La mouche et la crème
Une mouche voyant une jatte de crème
S'écria:
"Quelle chance ! Ah ! que cela me plait !
Ô délice ! Ô bonheur extrême !
Des œufs frais, du sucre et du lait,
Un tendre arôme de vanille;
Rien ne met plus de douceur en mon cœur."
Elle volette, elle frétille,
Elle s'approche, elle gambille,
Sur le rebord
Et c'est alors
Que sur la faïence trop lisse,
La mouche glisse
Et succombe dans les délices
De cette crème couleur d'or.
Parfois, les choses que l'on aime
Sont des dangers.
Il n'est pas toujours sûr que l'on puisse nager
Dans la meilleure des crèmes.
Pierre Gamarra
103 mots
La cigale et la fourmi
La Cigale, ayant chanté
Tout l'été,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue :
Pas un seul petit morceau
De mouche ou de vermisseau.
Elle alla crier famine
Chez la Fourmi sa voisine,
La priant de lui prêter
Quelque grain pour subsister
Jusqu'à la saison nouvelle.
"Je vous paierai, lui dit-elle,
Avant l'Oût, foi d'animal,
Intérêt et principal. "
La Fourmi n'est pas prêteuse :
C'est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps chaud ?
Dit-elle à cette emprunteuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je chantais, ne vous déplaise.
- Vous chantiez ? j'en suis fort aise.
Eh bien! dansez maintenant.
Jean de La Fontaine, Fables
107 mots
La guenon, le singe et la
noix
Une jeune guenon cueillit
Une noix dans sa coque verte ;
Elle y porte la dent, fait la grimace... ah ! Certes,
dit-elle,
Ma mère mentit
Quand elle m'assura que les noix étaient bonnes.
Puis, croyez aux discours de ces vieilles personnes
Qui trompent la jeunesse !
Au diable soit le fruit !
Elle jette la noix.
Un singe la ramasse,
Vite entre deux cailloux la casse,
L'épluche, la mange, et lui dit :
Votre mère eut raison, ma mie :
Les noix ont fort bon goût, mais il faut les ouvrir.
Souvenez-vous que, dans la vie,
Sans un peu de travail, on n'a point de plaisir.
Jean-Pierre Claris de Florian
108 mots
La fourmi et la cigale
La fourmi ayant stocké
Tout l’hiver
Se trouva fort encombrée
Quand le soleil fut venu :
Qui lui prendrait ses morceaux
De mouches ou de vermisseaux ?
Elle tenta de démarcher
Chez la cigale, sa voisine,
La poussant à s’acheter
Quelques grains pour subsister
Jusqu’à la saison prochaine.
« Vous me paierez, lui dit-elle,
Après l’oût, foi d’animal,
Intérêt et principal. »
La cigale n’est pas gourmande :
C’est là son moindre défaut.
Que faisiez-vous au temps froid ?
Dit-elle à cette amasseuse.
- Nuit et jour à tout venant
Je stockais, ne vous déplaise.
- Vous stockiez ? j’en suis fort aise ;
Et bien soldez maintenant ! »
Françoise Sagan
109 mots
L’enfant et l’étoile
Un astre luit au ciel et dans l’eau se reflète.
Un homme qui passait dit à l’enfant- poète :
« Toi qui rêves avec des roses dans les mains
Et qui chantes, docile au hasard des chemins,
Tes vains bonheurs et ta chimérique souffrance,
Dis, entre nous et toi, quelle est la différence ?
— Voici, répond l’enfant. Levez la tête un peu ;
Voyez-vous cette étoile, au lointain du soir bleu?
— Sans doute !
— Fermez l’œil. La voyez-vous, l’étoile ?
— Non, certes. »
Alors l’enfant pour qui tout se dévoile
Dit en baissant son front doucement soucieux :
« Moi, je la vois encor quand j’ai fermé les yeux. »
Catulle Mendès (1841-1909)
112 mots
Les sept nains
La princesse Blanche- Neige,
Chez les sept nains qui la protègent
Lave, nettoie, époussette,
Sept fois un, sept...
Lorsqu’une vieille aux jambes torses,
Sept fois deux, quatorze,
Lui dit : "Prends ce beau fruit, tiens !"
Sept fois trois, vingt et un.
Mais un des nains frappe à la vitre,
Sept fois quatre, vingt-huit.
Et lui dit : "Garde-toi bien,
Sept fois cinq, trente- cinq.
De mordre à ce fruit dangereux,
Sept fois six, quarante-deux.
C’est un poison qu’elle t’offre !"
Sept fois sept, quarante-neuf.
La vieille, dans les airs, s’enfuit...
Sept fois huit, cinquante-six.
Et la Princesse des bois,
Sept fois neuf, soixante-trois,
Est sauvée par ses amis,
Sept fois dix, soixante-dix.
113 mots
Jean Tardieu
Le cow-boy et les voleurs
Ces huit voleurs de chevaux
Sont surpris un peu trop tôt
Par le cow-boy Hippolyte,
Huit fois un, huit.
Ils s'enfuient et chacun d'eux
Tire sur lui deux coups de feu
Quel vacarme ! Quelle fournaise !
Huit fois deux seize...
...Mais ils ne peuvent l'abattre,
Huit fois trois vingt-quatre
Alors il lance sur eux,
Huit fois quatre trente-deux
Son lasso de cordes puissantes
Huit fois cinq quarante,
Et les entraîne à sa suite
Huit fois six quarante-huit.
Sur son passage, on applaudit,
Huit fois sept, cinquante-six
On entend les tambours battre,
Huit fois huit soixante-quatre
Tous les enfants sont à ses trousses,
Huit fois neuf soixante-douze,
En triomphateur il revient
Huit fois dix, quatre-vingts.
Jean Tardieu
117 mots
L’enfant de lune
La lune en maraude* au cœur des vergers
Grimpait aux pommiers en jupon d'argent ;
Surgirent des chiens rauques, déchaînés :
La lune s'enfuit, laissant un enfant.
Il vint avec nous en classe au village,
Tout à fait semblable aux autres garçons
Sauf cette clarté nimbant son visage
Sous le feu de joie de ses cheveux blonds.
Il aimait la pluie, les sources, les marbres,
Tout ce qui ruisselle et ce qui reluit ;
Le soir il veillait très tard sous les arbres
Regardant tomber lentement la nuit.
La lune en maraude au cœur des vergers
Vint chercher l'enfant un soir gris d'automne :
Vite, il s'envola. J'entends à jamais
Le bruit de son aile amie qui frissonne.
Marc Alyn
118 mots
L'Albatros
Souvent, pour s'amuser, les hommes d'équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
À peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l'azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à coté d'eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu'il est comique et laid !
L'un agace son bec avec un brûle-gueule,
L'autre mime, en boitant, l'infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l'archer;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l'empêchent de marcher.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal
119 mots
L’ordinateur et
l’éléphant
Parce qu'il perdait la mémoire
Un ordinateur alla voir
Un éléphant de ses amis
- C'est sûr, je vais perdre ma place,
Lui dit- il, viens donc avec moi.
Puisque jamais ceux de ta race
N'oublient rien, tu me souffleras.
Pour la paie, on s'arrangera.
Ainsi firent les deux compères.
Mais l'éléphant était vantard
Voilà qu'il raconte ses guerres,
Le passage du Saint- Bernard,
Hannibal et Jules César...
Les ingénieurs en font un drame
Ça n'était pas dans le programme
Et l'éléphant, l'ordinateur
Tous les deux, les voilà chômeurs.
De morale je n’en vois guère
À cette histoire, je l'avoue.
Si vous en trouvez une, vous,
Portez-la chez le Commissaire;
Au bout d'un an, elle est à vous
Si personne ne la réclame.
123 mots
Jean Rousselot
Le Petit Prince et le
marchand
“Bonjour, dit le Petit Prince.
- Bonjour, dit le marchand.
C’était un marchand de pilules perfectionnées qui
apaisent la soif.
On en avale une par semaine
Et l’on n’éprouve plus le besoin de boire.
« Pourquoi vends- tu ça ? dit le Petit Prince
- C’est une grosse économie de temps, dit le
marchand.
Les experts ont fait des calculs.
On épargne cinquante-trois minutes par semaine.
- Et qu’est-ce qu’on fait de ces cinquante-trois
minutes ?
- On en fait ce que l’on veut... »
« Moi, se dit le petit prince,
Si j’avais cinquante-trois minutes à dépenser,
Je marcherais tout doucement
vers une fontaine. »
Antoine de Saint Exupéry
105 mots
L'enfant qui criait au loup
À trop crier au loup,
On en voit le museau.
Un enfant bâillait comme un pou
Tout en gardant son troupeau.
Il décide de s'amuser.
"Au loup ! hurle-t-il. Au loup !
Vos troupeaux sont en grand danger ! "
Et il crie si fort qu'il s'enroue.
Pour chasser l'animal maudit,
Les villageois courent, ventre à terre,
Trouvent les moutons bien en vie,
Le loup, ma foi, imaginaire...
Le lendemain, même refrain.
Les villageois y croient encore.
Troisième jour, un vrai loup vint
Et c'était un fin carnivore.
Au loup ! cria l'enfant.
Un loup attaque vos troupeaux !
"Ah ! Le petit impertinent !
Mais il nous prend pour des nigauds ! "
S'écrièrent les villageois.
Le loup fit un festin de roi.
Ésope, Fables
122 mots
Je te souhaite
Je te souhaite un jour de velours,
D'iris, de lis et de pervenches,
Un jour de feuilles et de branches,
Un jour et puis un autre jour,
Un jour de blés, un jour de vignes,
Un jour de figues, de muscats,
Un jour de raisins délicats,
Un jour de colombes, de cygnes.
Je te souhaite un jour de diamant,
De saphir et de porcelaine,
Un jour de lilas et de laine,
Un jour de soie, ô ma maman
Et puis un autre jour encore,
Léger, léger, un autre jour
Jusqu'à la fin de mon amour,
Une aurore et puis une aurore,
Car mon amour pour toi, ma mère,
Ne pourra se finir jamais
Comme le frisson des ramées
Comme le ciel, comme la mer...
Pierre Gamarra
124 mots
Le castor et le ragondin
Avec beaucoup de soin, un castor bâtissait ;
Pour son futur logis, rien ne semblait trop beau.
Il choisissait ses troncs puis il les ajustait,
Son chant accompagnant sa scie et son rabot.
À quelques pas de lui, un triste ragondin
Fort pressé d’en finir, bâclait sa finition :
Ses chevrons étaient fins et trop courts ses boulins
;
Mais ne point trop en faire était son ambition.
À peine leurs maisons étaient-elles achevées
Qu’un ouragan violent de très loin arriva.
Pendant que le castor dormait à poings fermés,
Du ragondin le « home »* à terre se retrouva.
Moralité :
Si l’ouvrage bien fait exige du courage
On sera satisfait devant son résultat.
Celui qui bâcle tout, et par trop se ménage
Devra se contenter d’une œuvre sans éclat.
127 mots
Yvon Danet, Fabulines
Le lion et le rat
Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde:
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi ;
Tant la chose en preuves abonde.
Entre les pattes d'un Lion
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire ?
Cependant il advint qu'au sortir des forêts
Ce Lion fut pris dans des rets,
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire Rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Jean de La Fontaine, Fables
127 mots
Mon école
Mon école est pleine d'images,
Pleine de fleurs et d'animaux,
Mon école est pleine de mots
Que l'on voit s'échapper des pages,
Pleine d'avions, de paysages,
De trains qui glissent tout là-bas
Où nous attendent les visages
Des amis qu'on ne connaît pas.
Mon école est pleine de lettres,
Pleine de chiffres qui s'en vont
Grimper du plancher au plafond
Puis s'envolent par les fenêtres,
Pleine de jacinthes, d'œillets,
Pleine de haricots qu'on sème ;
Ils fleurissent chaque semaine
Dans un pot et dans nos cahiers.
Ma classe est pleine de problèmes
Gentils ou coquins quelquefois,
De chansons, de vers, de poèmes,
Dont on aime la jolie voix
Pleine de contes et de rêves,
Blancs ou rouges, jaunes ou verts,
De bateaux voguant sur la mer
Quand une brise les soulève.
Pierre Gamarra
131 mots
Les après-midi
d’automne
Oh ! les après-midi solitaires d'automne !
Il neige à tout jamais. On tousse.
On n'a personne.
Un piano voisin joue un air monotone ;
Et, songeant au passé béni, triste, on tisonne.
Comme la vie est triste !
Et triste aussi mon sort.
Seul, sans amour, sans gloire !
Et la peur de la mort !
Et la peur de la vie, aussi ! Suis-je assez fort ?
Je voudrais être enfant, avoir ma mère encor.
Oui, celle dont on est le pauvre aimé, l'idole,
Celle qui, toujours prête, ici-bas nous console !...
Maman ! Maman ! Oh !
Comme à présent, loin de tous,
Je mettrais follement mon front dans ses genoux,
Et je resterais là, sans dire une parole,
À pleurer jusqu'au soir, tant ce serait trop doux.
Jules Laforgue
131 mots
Le Laboureur et ses
Enfants
Travaillez, prenez de la peine :
C'est le fonds qui manque le moins.
Un riche laboureur, sentant sa mort prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
« Gardez-vous, leur dit- il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents.
Un trésor est caché dedans.
Je ne sais pas l'endroit ; mais un peu de courage
Vous le fera trouver, vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'Oût.
Creusez, fouillez, bêchez ; ne laissez nulle place
Où la main ne passe et repasse. »
Le père mort, les fils vous retournent le champ
Deçà, delà, partout ; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.
D'argent, point de caché. Mais le père fut sage
De leur montrer avant sa mort
Que le travail est un trésor.
Jean de La Fontaine, Fables
134 mots
Complainte du petit
cheval
Le petit cheval dans le mauvais temps,
Qu'il avait donc du courage !
C'était un petit cheval blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il n'y avait jamais de beau temps
Dans ce pauvre paysage.
Il n'y avait jamais de printemps,
Ni derrière ni devant.
Mais toujours il était content,
Menant les gars du village,
À travers la pluie noire des champs,
Tous derrière et lui devant.
Sa voiture allait poursuivant
Sa belle petite queue sauvage.
C'est alors qu'il était content,
Eux derrière et lui devant.
Mais un jour, dans le mauvais temps,
Un jour qu'il était si sage,
Il est mort par un éclair blanc,
Tous derrière et lui devant.
Il est mort sans voir le beau temps,
Qu'il avait donc du courage !
Il est mort sans voir le printemps
Ni derrière ni devant.
135 mots
Paul Fort
C’est tout un art d’être
un canard
C'est tout un art d'être un canard
Canard marchant canard nageant
Canards au vol vont dandinant
Canards sur l'eau vont naviguant
Être canard c'est absorbant
Terre ou étang, c'est différent
Canards au sol s'en vont en rang
Canards sur l'eau s'en vont ramant
Être canard ça prend du temps
C'est tout un art, c'est amusant
Canards au sol cancanants
Canards sur l'eau sont étonnants
Il faut savoir marcher, nager
Courir, plonger dans l'abreuvoir.
Canards le jour sont claironnants
Canards le soir vont clopinant
Canards aux champs ou sur l'étang
C'est tout un art d'être canard.
Claude Roy
95 mots
Chanson de la Seine
La Seine a de la chance
Elle n'a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et elle sort de sa source
Tout doucement, sans bruit, sans sortir de son lit
Et sans se faire de mousse
Elle s'en va vers la mer
En passant par Paris.
La Seine a de la chance
Elle n'a pas de souci
Et quand elle se promène
Tout au long de ses quais
Avec sa belle robe verte
Et ses lumières dorées
Notre- Dame jalouse, immobile et sévère
De haut de toutes ses pierres
La regarde de travers
Mais la Seine s'en balance
Elle n'a pas de souci
Elle se la coule douce
Le jour comme la nuit
Et s'en va vers le Havre, et s'en va vers la mer
En passant comme un rêve
Au milieu des mystères.
Des misères de Paris
Jacques Prévert (1900-1977)
143 mots
RECOMMENCE
Si tu es las et que la route te paraît longue
Si tu t’aperçois que tu t’es trompé de chemin
Ne te laisse pas couler au fil des jours et du temps !
RECOMMENCE !
Si la vie te semble trop absurde
Si tu es déçu par trop de chose et trop de gens,
Ne cherche pas à comprendre pourquoi…
RECOMMENCE !
Si tu as essayé d’aimer et d’être utile,
Si tu as connu la pauvreté et les limites,
Ne laisse pas là une tâche à moitié faite.
RECOMMENCE !
Si les autres te regardent avec reproche,
S’ils sont déçus par toi, irrités,
Ne te révolte pas, ne leur demande rien.
RECOMMENCE !
Car l’arbre rebourgeonne en oubliant l’hiver,
Car le rameau fleurit sans demander pourquoi,
Car l’oiseau fait son nid sans songer à l’automne,
Car la vie est Espoir et RECOMMENCEMMENT !
Auteur inconnu
138 mots
Les écoliers
Sur la route couleur de sable,
En capuchon noir et pointu,
Le 'moyen', le 'bon', le 'passable'
Vont à galoches que veux-tu
Vers leur école intarissable.
Ils ont dans leurs plumiers des gommes
Et des hannetons du matin,
Dans leurs poches du pain, des pommes,
Des billes, ô précieux butin
Gagné sur d'autres petits hommes.
Ils ont la ruse et la paresse
Mais l'innocence et la fraîcheur
Près d'eux les filles ont des tresses
Et des yeux bleus couleur de fleur,
Et des vraies fleurs pour leur maîtresse.
Puis les voilà tous à s'asseoir.
Dans l'école crépie de lune
On les enferme jusqu'au soir,
Jusqu'à ce qu'il leur pousse plume
Pour s'envoler.
Après, bonsoir !
Maurice Fombeure
114 mots
Monsieur interroge
Monsieur
- Monsieur quels sont ces gens
Que je vois rassemblés
Et qui semblent attendre
Avant d’avancer ?
- Monsieur ce sont des arbres
Dans une plaine immense
Ils ne peuvent pas bouger
Car ils sont attachés
- Monsieur Monsieur Monsieur
Au-dessus de nos têtes
Quels sont ces yeux nombreux
Qui dans la nuit regardent ?
- Monsieur ce sont des astres
Ils tournent sur eux-mêmes
Et ne regardent rien
- Monsieur quels sont ces cris
Quelque part on dirait
On dirait que l’on rit
On dirait que l’on pleure
On dirait que l’on souffre ?
- Monsieur ce sont les dents
Les dents de l’océan
Qui mordent les rochers
Sans avoir soif ni faim
Et sans férocité
115 mots
Jean Tardieu
Ma bohème
Je m’en allais, les poings dans mes poches crevés;
Mon paletot aussi devenait idéal;
J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal;
Oh ! là ! là ! que d’amours splendides j’ai rêvées!
Mon unique culotte avait un large trou.
- Petit Poucet rêveur, j’égrenais ma course
Des rimes. Et mon auberge était à la Grande ourse
- Mes étoiles au ciel avait un doux frou-frou.
Et je les écoutais, assis au bord des routes,
Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes
De rosée à mon front, comme un vin de vigueur;
Où, rimant au milieu des ombres fantastiques
Comme des Lyres; je tirais des élastiques
De mes souliers blessés, un pied près de mon cœur!
Arthur Rimbaud
117 mots
Les colchiques
Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s’empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit .Tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s’empoisonne.
Les enfants de l’école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l’harmonica.
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des
mères
Filles de leurs filles et sont couleurs de tes
paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent
dément.
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches
abandonnent
Pour toujours
Ce grand pré mal fleuri par l’automne.
Guillaume Apollinaire
112 mots
Promenade de Picasso
Sur une assiette bien ronde en porcelaine réelle
Une pomme pose
Face à face avec elle
Un peintre de la réalité
Essaie vraiment de la peindre
La pomme telle qu’elle est
Mais
Elle ne se laisse pas faire
La pomme
Elle a son mot à dire
Et plusieurs tours dans son sac de pommes
La pomme
Et voilà qui tourne
Dans son assiette réelle
Sournoisement sur elle-même
Doucement sans bouger
Et comme Duc de Guise qui se déguise en bec de gaz
Parce qu’on veut malgré lui tirer le portrait
La pomme se déguise en beau fruit déguisé
Et c’est alors
Que le peintre de la réalité commence à réaliser
Que toutes les apparences de la pomme sont contre lui.
Jacques Prévert, Paroles
120 mots
Le petit chat
Tout d’abord de son nez délicat il le flaire,
Le frôle; puis à coups de langue très petits
Il le lampe : et dès lors il est à son affaire.
Et l’on entend pendant qu’il boit, un clapotis.
Il boit, bougeant la queue , et sans faire une pause ;
Et ne relève enfin son joli museau plat
Que lorsqu’il a passé sa langue rêche et rose
Partout, bien proprement débarbouillé le plat.
Alors, il se pourlèche un moment les moustaches,
Avec l’air étonné d’avoir déjà fini ;
Et comme il s’aperçoit qu’il s’est fait quelques
tâches,
Il relustre avec soin son pelage terni.
Edmond Rostand
105 mots
Le hareng saur
Il était un grand mur blanc - nu, nu, nu,
Contre le mur une échelle - haute, haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur - sec, sec, sec.
Il vient tenant dans ses mains - sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou - pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle - gros, gros, gros.
Alors il monte à l'échelle - haute, haute, haute,
Et plante le clou pointu - toc, toc, toc,
Tout en haut du grand mur blanc - nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau - qui tombe, qui tombe, qui
tombe,
Attache au clou la ficelle - longue, longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur - sec, sec, sec.
Il redescend de l'échelle - haute, haute, haute,
L'emporte avec le marteau - lourd, lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs - loin, loin, loin.
Et depuis, le hareng saur - sec, sec, sec,
Au bout de cette ficelle - longue, longue, longue,
Très lentement se balance - toujours, toujours, toujours.
Charles Cros
154 mots
Les mouches
Les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois
elles sont moins gaies
plus lourdes, plus majestueuses, plus graves
plus conscientes de leur rareté
elles se savent menacées de génocide
Dans mon enfance elles allaient se coller
joyeusement
par centaines, par milliers peut-être
sur du papier fait pour les tuer
elles allaient s'enfermer
par centaines, par milliers peut-être
dans des bouteilles de forme spéciale
elles patinaient, piétinaient, trépassaient
par centaines, par milliers peut- être
elles foisonnaient
elles vivaient
Maintenant elles surveillent leur démarche
les mouches d'aujourd'hui
ne sont plus les mêmes que les mouches d'autrefois.
Raymond Queneau
97 mots
Toujours et Jamais
Toujours et Jamais étaient toujours ensemble
ne se quittaient jamais. On les rencontrait dans toutes les
foires.
On les voyait le soir traverser le village sur un tandem.
Toujours guidait
Jamais pédalait
C'est du moins ce qu'on supposait...
Ils avaient tous les deux une jolie casquette
L'une était noire à carreaux blancs
L'autre blanche à carreaux noirs
À cela on aurait pu les reconnaître
Mais ils passaient toujours le soir et avec la vitesse...
Certains d'ailleurs les soupçonnaient
Non sans raison peut- être
D'échanger certains soirs leur casquette
Une autre particularité
Aurait dû les distinguer
L'un disait toujours bonjour
L'autre toujours bonsoir
Mais on ne sut jamais
Si c'était Toujours qui disait bonjour
Ou Jamais qui disait bonsoir
Car entre eux ils s'appelaient toujours
Monsieur Albert Monsieur Octave.
Paul Vincensini
128 mots
Impression fausse
Dame souris trotte
Noire dans le gris du soir,
Dame souris trotte,
Grise dans le noir.
On sonne la cloche :
Dormez les bons prisonniers,
On sonne la cloche :
Faut que vous dormiez
Pas de mauvais rêve :
Ne pensez qu'à vos amours
Pas de mauvais rêve :
Les belles toujours !
Le grand clair de lune !
On ronfle ferme à côté
Le grand clair de lune
En réalité !
Un nuage passe,
Il fait noir comme en un four,
Un nuage passe,
Tiens le petit jour !
Dame souris trotte,
Rose dans les rayons bleus,
Dame souris trotte,
Debout, paresseux !
Paul Verlaine
103 mots
Conciliabule
Trois lapins, dans le crépuscule,
Tenaient un long conciliabule.
Le premier montrait une étoile
Qui montait sur un champ d'avoine.
Les autres, pattes sur les yeux,
La regardaient d'un air curieux.
Puis tous trois, tête contre tête,
Se parlaient d'une voix inquiète.
Se posaient- ils, tout comme nous,
Les mêmes questions sans réponse ?
D'où venons- nous ?
Où allons- nous ?
Que sommes- nous ?
Pourquoi ces ronces ?
Pourquoi dansons- nous le matin,
Parmi la rosée et le thym ?
Pourquoi avons- nous le cul blanc,
Longues oreilles, longues dents ?
Pourquoi notre nez tout le temps,
Tremble- t- il comme feuille au vent ?
Pourquoi l'ombre d'un laboureur
Nous fait- elle toujours si peur ?
Trois lapins dans le crépuscule
Tenaient un long conciliabule.
Et il aurait duré longtemps
Encore si une grenouille
N'avait plongé soudainement
Dans l'eau de lune de l'étang.
Maurice Carême
145 mots
Le relais
En voyage, on s'arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l'aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L'œil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers,
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l'herbe et l'on s'écoute vivre,
De l'odeur du foin vert à loisir on s'enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux.
Hélas une voix crie : « En voiture, messieurs! »
Gérard de Nerval
104 mots
L’oiseau bleu
Mon oiseau bleu a le ventre tout bleu
Sa tête est d'un vert mordoré
Il a une tache noire sous la gorge
Ses ailes sont bleues
Avec des touffes de petites plumes jaune doré
Au bout de la queue il y a
des traces de vermillon
Son dos est zébré de noir et de vert
Il a le bec noir les pattes incarnat
et deux petits yeux de jais
Il adore faire trempette,
Se nourrit de bananes et pousse
Un cri qui ressemble au sifflement
d'un tout petit jet de vapeur.
On le nomme le septicolore.
Blaise Cendrars
95 mots
L'enfant qui battait la
campagne
Vous me copierez deux cents fois le verbe:
Je n'écoute pas. Je bats la campagne.
Je bats la campagne, tu bats la campagne,
Il bat la campagne à coups de bâton.
La campagne ? Pourquoi la battre ?
Elle ne m'a jamais rien fait.
C'est ma seule amie, la campagne,
Je baye aux corneilles, je cours la campagne.
Il ne faut jamais battre la campagne :
On pourrait casser un nid et ses oeufs.
On pourrait briser un iris, une herbe,
On pourrait fêler le cristal de l'eau.
Je n'écouterai pas la leçon.
Je ne battrai pas la campagne.
Claude Roy
98 mots
Clown
Je suis le vieux Tourneboule
Ma main est bleue d'avoir gratté le ciel
Je suis Barnum je fais des tours
Assis sur le trapèze qui voltige
Aux petits, je raconte des histoires
Qui dansent au fond de leurs prunelles
Si vous savez vous servir de vos mains
Vous attrapez la lune
Ce n'est pas vrai qu'on ne peut pas la prendre
Moi je conduis des rivières
J'ouvre les doigts elles coulent à travers
Dans la nuit
Et tous les oiseaux viennent y boire
sans bruit
Les parents redoutent ma présence
Mais les enfants s'échappent le soir
Pour venir me voir
Et mon grand nez de buveur d'étoiles
Luit comme un miroir.
Werner Renfer
111 mots
Portrait de l’autre
L’Autre :
Celui d’en face, ou d’à côté,
Qui parle une autre langue
Qui a une autre couleur,
Et même une autre odeur
Si on cherche bien…
L’Autre :
Celui qui ne porte pas l’uniforme
Des bien-élevés,
Ni les idées
Des bien-pensants,
Qui n’a pas peur d’avouer
Qu’il a peur…
L’Autre :
Celui à qui tu ne donnerais pas trois sous
Des- fois- qu’il- irait- les- boire,
Celui qui ne lit pas les mêmes bibles,
Qui n’apprend pas les mêmes refrains…
L’AUTRE :
N’est pas nécessairement menteur, hypocrite,
vaniteux, égoïste, ambitieux, jaloux, lâche,
cynique, grossier, sale, cruel…
Puisque, pour Lui, l’AUTRE…
C’est Toi.
100 mots
Robert Gélis
Demain, dès l'aube...
Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.
J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.
Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.
Je marcherai les yeux fixés sur mes pensées,
Sans rien voir au dehors, sans entendre aucun bruit,
Seul, inconnu, le dos courbé, les mains croisées,
Triste, et le jour pour moi sera comme la nuit.
Je ne regarderai ni l'or du soir qui tombe,
Ni les voiles au loin descendant vers Harfleur,
Et quand j'arriverai, je mettrai sur ta tombe
Un bouquet de houx vert et de bruyère en fleur.
Victor Hugo
93 mots
La Fenêtre
Pour les autres, pour les passants,
Tu es simplement la fenêtre.
Pour moi qui t'aime du dedans
Tu es ma plus profonde fête.
Celle qui accroît le regard
Et limite chaque nuage,
La gardienne du paysage
Où je viens me perdre le soir.
J'ai le monde sous mes paupières
Mon front à ta vitre appuyé
Et tu es glissante lisière
Sur le bord de l'illimité.
Reste ma sœur très patiente,
Fais- moi l'aumône d'un oiseau,
Redis- moi les paroles lentes
De cet horizon sans défaut.
Et posée entre ciel et terre
Sois ce chemin aérien
Près duquel doucement je viens
Apaiser ma faim de lumière.
Anne-Marie Kegels
105 mots
La leçon de choses
Venez poussins
Asseyez- vous
Je vais vous instruire sur l'œuf
Dont tous vous venez, poussins.
L'oeuf est rond
Mais pas tout à fait
Il serait plutôt ovoïde
Avec une carapace
Et vous en venez tous, poussins.
Il est blanc
Pour votre race
Crème ou même orangé
Avec parfois collé
Un brin de paille
Mais ça,
C'est un supplément
À l'intérieur il y a ...
Mais pour y voir
Faut le casser
Et alors d'où - vous, poussins - sortiriez ?
Raymond Queneau
75 mots
Les hiboux
Ce sont les mères de hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur leurs genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux, point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
À Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.
Robert Desnos
87 mots
Le globe
Offrons le globe aux enfants, au moins pour
une journée.
Donnons-leur afin qu’ils en jouent comme d’un
ballon multicolore
Pour qu’ils jouent en chantant parmi les étoiles.
Offrons le globe aux enfants,
Donnons-leur comme une pomme énorme
Comme une boule de pain toute chaude,
Qu’ une journée au moins ils puissent manger à
leur faim.
Offrons le globe aux enfants,
Qu’une journée au moins le globe apprenne la
camaraderie,
Les enfants prendront de nos mains le globe
Ils y planteront des arbres immortels.
Nazim Hikmet
83 mots
Déjeuner du matin
Il a mis le café
Dans la tasse
Il a mis le lait
Dans la tasse de café
Il a mis le sucre
Dans le café au lait
Avec la petite cuiller
Il a tourné
Il a bu le café au lait
Et il a reposé la tasse
Sans me parler
Il a allumé
Une cigarette
Il a fait des ronds
Avec la fumée
Il a mis les cendres
Dans le cendrier
Sans me parler
Sans me regarder
Il s’est levé
Il a mis
Son chapeau sur la tête
Il a mis son manteau de pluie
Parce qu’il pleuvait
Et il est parti
Sous la pluie
Sans une parole
Sans me regarder
Et moi j’ai pris
Ma tête dans ma main
Et j’ai pleuré.
124 mots
Jacques Prévert
Chanson pour les
enfants de l’hiver
Dans la nuit de l’hiver
Galope un grand homme blanc
Galope un grand homme blanc
C’est un bonhomme de neige
Avec une pipe en bois
Un grand bonhomme de neige
Poursuivi par le froid
Il arrive au village
Il arrive au village
Voyant de la lumière
Le voilà rassuré
Dans une petite maison
Il entre sans frapper
Dans une petite maison
Il entre sans frapper
Et pour se réchauffer
Et pour se réchauffer
S’ asseoit sur le poêle rouge
Et d’un coup disparaît
Ne laissant que sa pipe
Au milieu d’une flaque d’eau
Ne laissant que sa pipe
Et puis son vieux chapeau.
Jacques Prévert
102 mots
Le coeur trop petit
Quand je serai grand
Dit le petit vent
J’abattrai
La forêt
Et donnerai du bois
À tous ceux qui ont froid.
Quand je serai grand
Dit le petit vent
Je nourrirai tous ceux
Qui ont le ventre creux.
Là- dessus s’en vient
La petite pluie
Qui n’a l’air de rien
Abattre le vent
Détremper le pain
Et tout comme avant
Les pauvres ont froid
Les pauvres ont faim.
Mais mon histoire
N’ est pas à croire :
Si le pain manque et s’il fait froid sur terre
Ce n’est pas la faute à la pluie
Mais à l’homme, ce dromadaire
Qu’ à le coeur beaucoup trop petit.
Jean Roussel
107 mots
L’homme qui te ressemble
J’ai frappé à ta porte
J’ai frappé à ton cœur
Pour avoir bon lit
Pour avoir bon feu
Pourquoi me repousser ?
Ouvre- moi, mon frère… !
Pourquoi me demander
Si je suis d’Afrique
Si je suis d’Amérique
Si je suis d’Europe ?
Ouvre- moi, mon frère… !
Pourquoi me demander
La longueur de mon nez
L’épaisseur de ma bouche
La couleur de ma peau
Et le nom de mes dieux ?
Ouvre- moi, mon frère… !
Je ne suis pas un noir
Je ne suis pas un rouge
Je ne suis pas un jaune
Je ne suis pas un blanc
Mais je ne suis qu’un homme
Ouvre- moi, mon frère… !
Ouvre- moi ta porte
Ouvre- moi ton cœur
Car je suis un homme
L’homme de tous les temps
L’homme de tous les cieux
L’homme qui te ressemble !...
132
René PHILOMBÉ, Petites gouttes de chant pour créer
l’homme
mots
Éditions Semences Africaines, 1977
Tout petit petit
Petit petit tout petit petit
Où vas-tu de ce pas ?
Petit petit tout petit
Où cours- tu comme ça ?
Petit petit tout petit petit
Où est partie maman ?
Petit petit tout petit
Que devient papa ?
Et pourquoi pleures-tu ?
Et pourquoi ne ris-tu pas ?
Pourquoi ton ventre est-il gros comme ça ?
Qu’as-tu avalé dis-le moi
Une goyave ou un crapaud ?
Petit petit tout petit garçon
Viens avec moi à la maison
J’ai encore sur la claie un peu de poisson
Nous mangerons assis à califourchon
Sur des caisses comme deux petits polissons
Petit petit tout petit ami
Viens avec moi chasser les fourmis
Qui font mourir les légumes dans mon jardin
Où poussent oranges corosols et plantains
Petit petit tout petit frangin
Viens avec moi à la maison
Nous chanterons de belles chansons
En rangeant des hameçons
Qui demain serviront sans façons
À la pêche en chantant des chansons.
Épalé -NDIKA, La Mort en silence
150 mots
A Poor Young Shepherd
J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J'ai peur d'un baiser!
Pourtant j'aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est délicate
Aux longs traits pâlis.
Oh ! que j'aime Kate!
C'est Saint- Valentin!
Je dois et je n'ose
Lui dire au matin...
La terrible chose
Que Saint-Valentin!
Elle m'est promise,
Fort heureusement !
Mais quelle entreprise
Que d'être un amant
Près d'une promise!
J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer:
J'ai peur d'un baiser !
Verlaine
89 mots
Les hiboux
Ce sont les mères des hiboux
Qui désiraient chercher les poux
De leurs enfants, leurs petits choux,
En les tenant sur les genoux.
Leurs yeux d’or valent des bijoux,
Leur bec est dur comme cailloux,
Ils sont doux comme des joujoux,
Mais aux hiboux point de genoux !
Votre histoire se passait où ?
Chez les Zoulous ? Les Andalous ?
Ou dans la cabane bambou ?
À Moscou ? Ou à Tombouctou ?
En Anjou ou dans le Poitou ?
Au Pérou ou chez les Mandchous ?
Hou ! Hou !
Pas du tout, c’était chez les fous.
Robert Desnos
99 mots