UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE FRANÇOIS DE LORRAINE (1520

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UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE FRANÇOIS DE LORRAINE (1520
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
École doctorale II : Histoire moderne et contemporaine
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Histoire moderne
Présentée et soutenue par :
ÉRIC DUROT
Le 11 juin 2011
FRANÇOIS DE LORRAINE (1520-1563),
DUC DE GUISE ENTRE DIEU ET LE ROI
Sous la direction de M. Denis Crouzet
Jury :
M. Laurent Bourquin, Université du Maine, rapporteur
M. Jean-Marie Constant, Université du Maine
M. Denis Crouzet, Université Paris-Sorbonne
M. Mark Greengrass, Université de Sheffield, Grande-Bretagne
M. Nicolas Le Roux, Université Lumière-Lyon II, rapporteur
M. Mario Turchetti, Université de Fribourg, Suisse
POSITION DE THÈSE
François de Lorraine (1520-1563), deuxième duc de Guise, est l’un des principaux acteurs
politiques du royaume de France de 1547 à sa mort en 1563. Célèbre, il n’a pourtant pas fait
l’objet d’une étude historique approfondie alors que les matériaux sont nombreux pour
retracer son parcours.
Issu d’une branche cadette ambitieuse des ducs de Lorraine, ce familier du roi Henri II
(1547-1559) concurrence le connétable Anne de Montmorency au conseil privé, avec l’aide
de son frère Charles, cardinal de Lorraine (1525-1574). Vainqueur de Charles Quint en
résistant au siège de Metz (fin 1552), à la baille de Renty en 1554, il devient le lieutenant du
roi lors de l’expédition de Naples en 1557 qui est la dernière guerre d’Italie. Puis il prend
Calais aux Anglais ainsi que Thionville aux espagnols, l’année suivante. Le duc lutte ensuite
contre les protestants français après la mort d’Henri II le 10 juillet 1559 : il gouverne pour son
neveu, le roi François II (1559-1560), puis s’impose comme le défenseur du catholicisme
durant les deux premières années du règne de Charles IX, étant en partie responsable du
massacre de Wassy (1er mars 1562). Durant la première guerre de Religion (mars 1562-mars
1563), il est vainqueur des forces huguenotes lors de la bataille de Dreux (19 décembre
1562) ; promu lieutenant général du roi, il s’apprête à assaillir Orléans, quartier général des
huguenots, en février 1563. Il est alors mortellement blessé par le calviniste Poltrot de Méré,
venu pour l’assassiner.
Ces faits, fréquemment utilisés dans les travaux historiques sur le XVIe siècle français, sont
devenus des évidences, des lieux communs même, constituant l’une des raisons du peu de
travaux consacrés au duc François de Guise, personnage célèbre mais mal connu. Il est aussi
emporté par le destin familial : son fils Henri (1549-1588), qui porte le même surnom de
« balafré », qui participe aux violences du massacre de la Saint-Barthélemy et à celles de la
Ligue, perpétue la tragédie jusque dans la mort même, puisqu’il est assassiné – avec son frère
Louis, cardinal de Lorraine (1555-1588) – en décembre 1588. Pour la postérité, ces princes
venus de Lorraine sont avant tout « les Guises », des « princes étrangers » venus de Lorraine,
des « ultra-catholiques » en quelque sorte prédestinés à lutter pour le catholicisme.
Récemment, deux courants historiographiques majeurs n’ont pas été favorables au
capitaine catholique intransigeant. Le premier est celui des rapports de la noblesse avec le
protestantisme, qui a amené à questionner avant tout, et c’est bien naturel, la conversion
religieuse des nobles : or les Guises n’ont donné aucun signe d’attirance pour les « idées
nouvelles ». Le second, plus récent et qui n’est pas sans lien avec le premier, a cherché à
Position de thèse
3
comprendre les « moyenneurs », les « politiques » et plus généralement les partisans de la
concorde civile, alors que François de Guise veut combattre les calvinistes considérés comme
des hérétiques.
« Mais tous ont droit à notre indulgence, y compris les Guises », a écrit Fernand Braudel :
une indulgence pour les Guises en tant que sujets d’étude historique, avec le recul nécessaire
pour ne pas personnifier sous leur nom tous les maux du
e
XVI
siècle1. C’est en ce sens qu’il
faut réhabiliter François de Guise, et non bien sûr pour les valeurs qu’il incarne. Avec une
même ambition de compréhension des hommes du
e
XVI
siècle que les récentes recherches,
mais en prenant le contrepied des interrogations les plus fréquentes, nous avons posé la
question de la non-conversion religieuse lorsqu’il s’agit du duc de Guise. L’apparente
absurdité de cette interrogation pose pourtant, comme derrière toute évidence, un problème
historique. Blaise de Monluc ne reconnaît-il pas qu’ « il n’estoit pas filz de bonne mère qui
n’en voulut gouster », en faisant allusion au protestantisme2 ? Même à propos de François de
Guise, la question de la religion ne va de soi, la non-conversion n’est pas une évidence a
priori, surtout lorsque l’attraction du calvinisme ou au moins des courants évangéliques, est
très grande chez les Grands du royaume durant la décennie 1550.
C’est l’historien Denis Crouzet qui a posé les bases d’un tel travail, dans un article
essentiel : « Capital identitaire et engagement religieux : aux origines de l’engagement
militant de la maison de Guise ou le tournant des années 1524-1525 ». L’écrasement des
Rustauds (1525) par le premier duc de Guise, Claude, participerait à la définition d’un lignage
devenu le bras armé de Dieu pour lutter contre l’hérésie, et à l’affirmation d’une « identité »
suffisamment forte pour perdurer et même se conforter dans les moments de crise à partir de
15603. Arlette Jouanna a montré comment leurs détracteurs peuvent utiliser cette identité pour
la retourner contre eux4. C’est la poursuite de ces réflexions que nous souhaitons notamment
mener, en travaillant à partir du concept de capital identitaire, concept qui a le mérite de
prendre en compte non seulement la foi et la religion proprement dites, mais également la
faveur du roi, les succès militaires, les tensions avec les princes du sang… Ce capital est le
moteur de l’engagement du duc de Guise, un engagement comme participation active,
1
Fernand Braudel, dans Coligny, protestants et catholiques en France au XVI e siècle, catalogue d’exposition
(Hôtel de Rohan, octobre 1972 – janvier 1973), Paris, Archives Nationales, 1972, introduction, p. 11.
2
Blaise de Monluc, Commentaires, éd. P. Courteault, Paris, Gallimard, 1981, p. 481.
3
Denis Crouzet, « Capital identitaire et engagement religieux : aux origines de l’engagement militant de la
maison de Guise ou le tournant des années 1524-1525 », art. cit., qui poursuit la réflexion menée avec « Un texte
fondateur ? Note sur l’Histoire et recueil de la triomphante et glorieuse victoire… », dans Foi, fidélité, amitié en
Europe à la période moderne. Mélanges offerts à Robert Sauzet, dir. B. Maillard, Tours, Publications de
l’Université de Tours, 1995, t. 2, pp. 311-331.
4
Arlette Jouanna, « Les Guises et le sang de France », dans Le Mécénat et l’influence des Guises, Actes du
colloque de Joinville (1994), dir. Y. Bellenger, Paris, H. Champion, 1997, pp. 23-38.
Position de thèse
4
souhaitée conforme à ses convictions, un engagement entier parce que le duc engage sa foi et
surtout met en gage sa vie. Il s’engage pour donner un sens à sa vie, un sens qui n’a pas la
même signification qu’au début du
e
XXI
siècle. Le sens de la vie du duc n’est pas une
recherche de sens d’un individu désorienté, c’est la recherche du sens que Dieu et ses ancêtres
l’amènent à poursuivre.
Nous revendiquons volontiers le terme de « biographie », sans dogmatisme quant à ce
genre historique. C’est très empiriquement que nous avons cherché à appréhender le duc de
Guise, en recherchant ce qu’il veut être et l’énergie qui l’anime, par une mise en relation avec
ce qu’il fait et les images que lui renvoie la société. Mais plus qu’une biographie
traditionnelle, le doctorat a eu pour visée d’articuler la problématique de l’identité
aristocratique et la question de l’engagement d’un homme qui se pense entre Dieu et le Roi.
Prince de la Renaissance, François de Lorraine construit son rôle en se fondant d’une part sur
l’intégration d’un riche capital identitaire en grande partie constitué de la geste de son lignage
lorrain, et d’autre part sur la force qu’il tirait de la maison de Guise, en particulier grâce à
l’association étroite de son frère Charles, cardinal de Lorraine5. Le duc poursuivit sa quête de
salut divin et de reconnaissance sociale dans deux contextes très différents qui déterminèrent
des oscillations dans son jeu d’acteur. Le premier est celui du règne d’Henri II (1547-1559),
durant lequel il s’imagine être le bras armé du Roi Très-Chrétien en vue d’établir une
monarchie universelle. Le second (1559-1563) est marqué par la crise profonde et multiforme
du royaume de France : le duc aspire à être alors le défenseur des catholiques face au
calvinisme qu’il associe à une hérésie et contre lequel il assume d’être tel un nouvel envoyé
de Dieu aux côtés des jeunes rois François II puis Charles IX.
La correspondance du duc de Guise constitue notre source principale, composée d’un
corpus de près de 5 800 lettres, dont un millier émane de lui. La proportion est donc nettement
en faveur de la « correspondance passive », conservée essentiellement par la Bibliothèque
nationale de France, souvent dans des volumes spécifiques de la collection Clairambault et de
l’ancienne collection Gaignières6. Néanmoins, le déséquilibre est moins grand à partir du
règne de François II, durant lequel la correspondance active est importante car le duc de Guise
gouverne pour le roi. Puis le nombre de lettres conservées s’amenuise à partir de 1561,
lorsque le duc prend souvent ses distances avec le gouvernement de Catherine de Médicis. Un
5
Sa sœur aînée Marie, est régente d’Écosse (1554-1560) pour gouverner au nom de sa fille Marie Stuart ;
François de Guise a huit frères et sœurs, dont deux cardinaux et deux abbesses.
6
Parmi ces volumes, ceux des manuscrits français de la Bibliothèque nationale de France, ont fait partie de la
collection Gaignières : Roger de Gaignières était au service des Guises dans la 2 e moitié du XVIIe siècle, et a
même été gouverneur de Joinville. Les lettres reçues sont fréquemment une réponse à une demande du duc de
Guise : les nombreuses allusions permettent de connaître des lettres aujourd’hui inconnues. La correspondance
active est rédigée par ses secrétaires ; rares sont les lettres autographes.
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5
autre fonds majeur est celui de l’Archivio di Stato di Modena, qui contient les lettres envoyées
à son beau-père, le duc de Ferrare Ercole II d’Este. Très majoritairement inédite, la
correspondance a partiellement fait l’objet d’une édition au titre trompeur : Mémoires de
François de Lorraine duc d’Aumale et de Guise…7.
La plupart des lettres dévoile des dialogues à distance importants par le contenu mais aussi
par les modes de relations sociales ainsi exprimés. Bien entendu, les lettres sont une partie
d’un puzzle biographique qui restera toujours lacunaire et parfois hypothétique. Par
définition, ces lettres n’existent pas, lorsque, par exemple, le duc et le roi sont ensemble. Leur
contenu est de toute façon allusif, car nombreuses sont celles qui servent surtout à accréditer
le porteur des lettres, porteur qui détient des connaissances qu’il doit délivrer oralement au
destinataire. Nous n’avons pas recherché l’exhaustivité, car chaque fonds régional français,
tous les Archivio di Stato italiens, et les archives des États princiers allemands de la
Renaissance, conservent des lettres des Guises. Notre dépouillement est d’une « exhaustivité
raisonnable », guidé par des catalogues de sources ou des références historiques qui nous ont
conduits de Périgueux à Naples.
L’étude de la correspondance du duc de Guise est un moyen et non une fin. Sont
mobilisées aussi plus de 200 lettres manuscrites des autres membres de la grande famille des
Guises, sans compter la correspondance active du cardinal de Lorraine, très heureusement
éditée par Daniel Cuisiat8. Plusieurs centaines de lettres, rapports, traités diplomatiques… du
gouvernement royal, augmentés des actes royaux – qui sont, eux, édités – font partie
intégrante du corpus de sources. Quelques actes notariés, des comptes financiers de la maison
personnelle de François de Guise et d’autres papiers personnels, révèlent d’autres formes
d’expression de la position du duc dans la société nobiliaire.
Les dépêches des ambassadeurs étrangers sont indispensables car elles se font l’écho des
débats à la cour et au Conseil du roi. Les pratiques de l’histoire positiviste ont conduit à une
surévaluation de leur intérêt à cause de « l’objectivité » qui a été attribuée aux ambassadeurs,
au détriment de la correspondance des acteurs eux-mêmes. Néanmoins, elles contiennent des
précisions objectivables et, surtout, des témoignages des Grands de la cour. L’ambassadeur de
Ferrare Julio Alvarotti est sans doute celui qui couvre le mieux le règne d’Henri II et celui de
François II, car il reçoit les confidences des Guises qu’il rapporte ensuite au duc de Ferrare.
7
Ces lettres reçues par le duc ont peut-être été regroupées par son secrétaire Millet. Elles ont été publiées par
Michaud et Poujoulat en 1839 (Nouvelle Collection des Mémoires pour servir à l’histoire de France, t. 6) grâce
à la bienveillance d’un collectionneur privé. Une moitié au moins est copiée aussi dans les volumes de la
collection Clairambault de la Bibliothèque nationale de France. L’édition de 1839 reste indispensable malgré les
erreurs de lecture, en particulier pour les lettres écrites par François de Guise durant le siège de Metz en 1552 :
nous n’en connaissons pas d’autres copies.
8
Daniel Cuisiat, Les Lettres du cardinal Charles de Lorraine, 1525-1574, Genève, Droz, 1998.
Position de thèse
6
Jusqu’ici, seul Lucien Romier a su tirer parti de ces dépêches qui ne sont pas éditées,
contrairement à celles des ambassadeurs anglais, espagnol, florentin… C’est encore un
paradoxe.
Les opuscules et livres imprimés du temps du duc sont essentiels pour aborder les pratiques
mécénales, la fabrication des images du duc et leur réception dans la société, ainsi que la
bataille politique de l’opinion qui fait rage à partir de 1560. Les « mémoires »,
« commentaires » et autres « histoires universelles » contemporains ou de peu postérieurs au
duc de Guise, révèlent leur richesses en particulier sur la manière dont les actions du duc de
Guise sont décrites et interprétées, parfois de manière opposée, ainsi entre les catholiques
Claude Haton et Brantôme, et les calvinistes Pierre de La Place et Louis Regnier de La
Planche9.
Hélas disparues, les fresques de la chapelle de Guise à Paris représentent, grâce à des
copies faites au
XVII
e
siècle, une source unique et irremplaçable pour connaître le principal
rêve de François de Guise : être un nouveau Roi mage, selon les peintures de Niccolò
dell’Abate dans sa chapelle à Paris, d’après des dessins du Primatice. Parmi les autres sources
iconographiques, le programme architectural du château de Grand Jardin, à Joinville en
Champagne, « fief » des Guises, suscite une réflexion enrichissant l’étude du capital
identitaire, d’autant plus que le château est aujourd’hui restauré.
Nous avons donc essayé de saisir toutes les formes d’expression des rêves et de la geste de
François de Guise dans son époque, pour en restituer, non pas une histoire totale, mais le fil
conducteur d’une vie dans un monde instable et contraignant. Notre cheminement parmi les
sources, avec l’appui de l’historiographie, a révélé une pérégrination de François de Guise sur
terre, pérégrination dont le duc veut être maître. Son identité et son engagement sont
inextricables et se nourrissent l’un l’autre, prenant la forme d’un positionnement particulier
entre Dieu et le Roi, c’est-à-dire comme serviteur du roi de France mais aussi comme un élu
de Dieu. Il est sur Terre pour guider le roi dans sa mission de Roi Très-Chrétien. Son capital
identitaire constitue une énergie personnelle formidable qui le pousse à être le bras armé de
Dieu et du roi.
Comme l’identité n’est jamais figée, et que le procès d’interaction est permanent entre
l’individu et la société, la dynamique chronologique insufflée à la biographie nous est apparue
nécessaire pour rendre intelligible les évolutions, les ruptures, les « enjeux au ras du sol »,
ainsi que le propre sentiment du duc de Guise de se mouvoir dans un monde dans lequel,
9
Pierre de La Place, Commentaires de l’estat de la Religion et République sous les rois Henry et François
seconds et Charles neufviesme [de 1557 à 1561], s.l., 1565, et Louis Regnier de La Planche, Histoire de l’Estat
de France, tant de la République que de la Religion sous le règne de François II, s.l., 1576.
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lorsque tout change, Dieu continue de lui accorder sa grâce et de le récompenser par des
victoires10. Pour rendre compte de toutes ces imbrications, nous avons essayé de restituer
l’itinéraire du duc de Guise à partir de 1547, c’est-à-dire lorsque, par le nouveau roi Henri II,
François de Guise se voit reconnu comme l’héritier du lignage des ducs de Lorraine. Pour
l’historien, ce tournant se traduit par la disponibilité d’une correspondance importante, alors
que les lettres sont presque inexistantes dans les archives jusqu’en 1546.
La première partie présente « l’avènement » du duc de Guise, un avènement entendu
comme la constitution progressive mais balisée d’un homme, comme une ascension qui se
manifeste entre 1547 et la fin de l’année 1552 avec la résistance victorieuse au siège de Metz
établi par Charles Quint. Nous essayons de comprendre cette constitution par l’identification
des constituants : la faveur du roi, la richesse d’un capital identitaire toujours actualisé et
consolidé par une famille nombreuse et cohérente, et, enfin, la victoire militaire comme
confirmation de l’élection divine : un triptyque identitaire est forgé, en 1552.
Dans une seconde partie et essentiellement à partir de 1553, le duc de Guise est suivi
jusqu’à la mort d’Henri II en juillet 1559. Grâce à l’étude des permanences et des mutations
de sa position durant le règne du Valois, la biographie peut être approfondie. La faveur royale
dont il jouit est replacée dans le cadre du système de gouvernement d’Henri II et de la
concurrence avec le connétable de Montmorency et les autres Grands, jusqu’à sa politique
agressive d’acquisition foncière. Ensuite, avec les analyses du thème des fresques de la
chapelle de son nouvel hôtel à Paris et de la politique d’Henri II, peut être définie la
sympathie, au sens fort du terme, qui existe entre le duc et le roi. Celle-ci aboutit alors à
l’expédition de Naples en 1557, durant laquelle François de Guise est le lieutenant général du
roi. Malgré cet échec, le duc reste le lieutenant général qui protège le royaume après la défaite
du connétable devant Saint-Quentin (août 1557), et qui prend pour le roi Calais et Thionville,
dans un contexte d’apogée personnelle très vite ébranlé par le désir de paix d’Henri II.
La troisième partie présente l’affirmation d’une identité catholique du duc, sous la forme
d’un exclusivisme préexistant mais qui se manifeste dans un temps de crise multiforme, entre
l’avènement de son neveu François II et son propre assassinat en 1563. François de Guise
expérimente de nouvelles pratiques afin de garder sa raison d’être. Avec son frère le cardinal,
ils exercent le pouvoir pour le jeune François II, mais sont contraints d’infléchir leur politique
10
L’expression « enjeux au ras du sol » est celle de Robert Descimon dans le compte rendu du livre de Stuart
Carroll, Noble Power during the French Wars of Religion… (dans Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2000,
t. 55, n° 2, pp. 497-499 : « la politique ancienne se cristallise sur des enjeux au ras du sol profondément étrangers
à nos façons de penser »). Nous reprenons aussi volontiers les termes de Giovanni Levi : « la biographie
constitue (…) le lieu idéal pour vérifier le caractère interstitiel – et néanmoins important – de la liberté dont
disposent les agents (…) », dans « Les usages de la biographie », Annales. Économies, sociétés, civilisations,
1989, n° 6, pp. 1325-1336, pp. 1333-1334.
Position de thèse
8
répressive face au « malcontentement » politico-religieux, surtout après la « conjuration »
d’Amboise en mars 1560. La réaction des deux frères à l’affaiblissement de l’Auld Alliance
avec l’Écosse, pays dont Marie Stuart et François II sont les souverains, constitue un angle
d’approche complémentaire pour la compréhension du duc de Guise, et des contextes français
et européen. Mais une nouvelle fois, il doit retravailler son rôle après la mort du jeune
François II à la fin de l’année 1560 : l’influence de François de Guise sur l’avenir du royaume
est remise en cause. Il initie des moyens de pression sur le gouvernement de Catherine de
Médicis et sur ses adversaires, et parvient enfin à être le seul personnage entre Dieu et le Roi
quand, en février 1563, à la veille de l’assaut d’Orléans qui est tenue par les huguenots du
prince de Condé, il est assassiné par Poltrot de Méré.
Cette biographie souhaite rendre compte du destin particulier d’un homme qui veut
résister aux mutations de la Fortune et mériter son Salut, mais elle ne prétend pas pour autant
répondre aux questionnements du poids de l’individu dans la société, ni de l’acteur individuel
dans l’Histoire. Elle nous a permis d’assembler – mais avec trop de « sans doute » et de
« probablement » – des morceaux aussi disparates, au premier abord, que les conflits de
préséance, le thème de l’Épiphanie de la chapelle de Guise, la dernière guerre d’Italie, le
règne de François II, l’entrevue de Saverne avec le duc de Wurtemberg… En focalisant
volontairement notre attention sur François de Guise, nous avons trouvé sans doute l’un de
nos meilleurs guides pour essayer de comprendre cette société du milieu du
e
XVI
siècle qui
parvient, à bout de souffle, à la fin des rêves de la Renaissance et qui semble ne pas pouvoir
éviter la guerre civile. Le duc est celui qui nous a permis de jeter des ponts de toute nature,
entre l’avant et l’après Cateau-Cambrésis, le lignage et la maison, l’individu et la société, le
capital identitaire et l’engagement, l’identification et l’intérêt, le pardon et la punition, les
guerres du roi et celles de Dieu… En tant qu’individu face à l’Histoire, François de Guise
parvient à incarner des valeurs et des combats politiques, en étroite interaction avec la
société11. Il est un acteur individuel qui infléchit le cours de son temps, non comme un
individu libre dans la société mais comme un individu qui puise son énergie dans celle-ci. Il
est emporté par cette Histoire qu’il veut construire car, pour les calvinistes, il incarne aussi
Satan.
11
Si comparaison n’est pas raison, il est stimulant de lire les remarques de François Furet à propos de
Robespierre, dans Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978, notamment pp. 82-87 : « (…) il n’y a
chez lui aucune distance entre la lutte pour le pouvoir, et la lutte pour les intérêts du peuple, qui coïncident par
définition. (…) Ce qui fait de Robespierre une figure immortelle, (…) c’est que la Révolution parle à travers lui
son discours le plus tragique et le plus pur ».

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