arret de jeu - Le Proscenium
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Le non respect de ces règles entraine des sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de représentation. Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les troupes amateurs. Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public puissent toujours profiter de nouveaux textes. ARRET DE JEU Page 1/32 ARRET DE JEU COMEDIE DRAMATIQUE De Claude MONTEIL ARRET DE JEU Page 2/32 Caractéristiques Durée approximative: 75 minutes Distribution : 2 adolescents Public: Adultes et adolescents Synopsis : Un terrain de jeu vaguement défini. Un terrain vaguement .Un terrain vague. Un terrain vague au pied des tours. Au loin la mer. Le foot, la drogue, les filles, les bagnoles. Leurs passions sont celles des jeunes d’ici, de toutes les cités. En quoi seraient-elles différentes ? Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ? Qu’attendent-ils, seuls sur leur terrain vague au pied des tours, si loin de la mer? L’auteur peut être contacté par courriel à l’adresse suivante : [email protected] ARRET DE JEU Page 3/32 Une banlieue. Un terrain vague. JH1 T’étais où putain ? Je t’ai cherché partout. JH2 Là. JH1 C’est quoi cet endroit à la con ? JH2 Assieds-toi. Regarde. JH1 Quoi ? JH2 Autour de toi. JH1 Je ne vois rien. JH2 Justement. JH1 Y a personne. Y a rien à regarder. Je me demande bien ce que tu peux regarder. JH2 Ecoute. JH1 Ecouter quoi ? On n’entend rien. JH2 Justement. JH1 Qu’est-ce que tu veux qu’j’écoute si y a rien à entendre ? JH2 Le silence. JH1 Tu écoutes le silence, toi ? Et tu l’écoutes depuis longtemps ? JH2 Je sais plus. JH1 Et tu te fais pas chier ? Personne à regarder, rien à entendre. Moi ça m’emmerde déjà. C’est quoi là-bas ? JH2 La mer. JH1 Tu t’fous ma gueule ? JH2 Elle est derrière. JH1 Derrière quoi ? JH2 Ferme les yeux, tu vas la voir. ARRET DE JEU Page 4/32 JH1 Comment tu veux que je la vois ta mer si je ferme les yeux ? Je préfère regarder de l’autre côté. Au moins y se passe des choses. Tiens, regarde, ils sont déjà tous sur le terrain. Ils vont nous attendre. Bouge ton cul. JH2 Je préfère rester là. JH1 Pourquoi faire ? JH2 Rien. JH1 Tu préfères rester là à rien faire ? JH2 Ouais. JH1 Tu es sûr que ça va ? JH2 Je comprends pourquoi il est venu là. JH1 Qui ? T’as fumé toi. Sans moi ? JH2 Tu savais que le soleil se couchait là-bas ? JH1 Hein ? Je ne sais pas ce que t’ as fumé, mais ça ne devait pas être de la bonne. Ils sont déjà tous là. Il manque plus que nous. Allez, magne-toi le cul. JH2 Attends. JH1 Attendre quoi ? C’est bon, tu as vu la mer, tu sais maintenant que le soleil se couche là-bas. On peut y aller non ? JH2 Vas-y sans moi. JH1 T’es dingue ou quoi ? Si tu viens pas, comment tu veux qu’on gagne ? Je te rappelle que tu es notre meilleur buteur. On peut pas jouer sans toi. J’ai pas envie de perdre moi. JH2 J’ai pas envie de jouer. JH1 Ah ouais ? Et qu’est-ce que tu vas faire ? JH2 Réfléchir. JH1 Réfléchir ? Tu réfléchiras en chemin. Allez. Qu’est-ce que tu fous ? JH2 Je réfléchis. JH1 On dirait plutôt que tu t’emmerdes. Et à quoi tu réfléchis ? ARRET DE JEU Page 5/32 JH2 J’en sais rien. JH1 Tu réfléchis mais tu sais pas à quoi tu réfléchis ? Tu t’emmerdes alors. JH2 ? Ca t’arrive jamais de réfléchir sans savoir vraiment à quoi tu réfléchis JH1 Jamais, non. JH2 Tu réfléchis jamais ? JH1 Tu veux que je réfléchisse à quoi ? JH2 Je sais pas. A toi. JH1 Que je réfléchisse à moi ? Pourquoi tu veux que je réfléchisse à moi ? JH2 A ce que tu fais ici par exemple. JH1 Je m’emmerde. JH2 Tu pourrais y réfléchir. JH1 A quoi ? JH2 Au fait que tu t’emmerdes par exemple. JH1 Pourquoi tu veux que j’y réfléchisse ? Je m’emmerde, c’est un fait. Y a pas à réfléchir. JH2 Tu pourrais te demander pourquoi tu t’emmerdes. JH1 Parce que y a rien à faire. JH2 Tu pourrais regarder, écouter. T’asseoir et lire un livre. JH1 Je suis pas pédé. JH2 Tu sais pas lire ? JH1 Évidemment que je sais lire, pour qui tu me prends ? JH2 Alors pourquoi tu lirais pas ? Quand on lit, on s’emmerde pas. JH1 Moi oui. Ca m’emmerde de lire. Je préfère me faire chier en faisant rien plutôt qu’en lisant un livre. JH2 T’en as déjà lu ? ARRET DE JEU Page 6/32 JH1 De quoi ? Des livres ? Pourquoi faire ? Je suis pas pédé je t’ai dit. Et qu’est-ce que tu me prends la tête avec tes livres ? T’en as lu toi ? JH2 Non. JH1 Bon alors on peut se casser. JH2 Mais peut-être que je devrais. Lire des livres. JH1 Pourquoi faire, ta télé est en panne ? JH2 Y a peut-être autre chose dedans. JH1 Quelles choses ? JH2 J’en sais rien. Justement, je devrais peut-être lire. Pour savoir. JH1 Sûrement. Allez viens. JH2 Je reste ici. JH1 Et tu vas rester ici jusqu’à quand ? JH2 Je veux voir le soleil se coucher. JH1 T’as pété un câble, mec. C’est quoi ces conneries ? Les livres, le soleil ? Tu le verras demain. Là ils doivent déjà nous attendre pour commencer. JH2 Non. JH1 Non ? Tu vas vraiment attendre qu’il se couche ? C’est dans six heures au moins. JH2 J’ai tout mon temps. JH1 Tu vas rester six heures le cul dans l’herbe à regarder rien en attendant qu’il se couche ? JH2 Ouais. JH1 C’est plus grave que ce que je pensais. Tu t’es engueulé avec ta mère ? T’as les flics au cul ? T’as fait une connerie ? JH2 Non. JH1 Je comprends plus là. JH2 Je veux rester là, c’est tout. JH1 Je comprends rien. ARRET DE JEU Page 7/32 JH2 T’étais déjà venu ici ? JH1 Qu’est-ce que tu veux que je foute ici ? J’en ai à foutre moi du soleil. Y peut bien se coucher où il veut. Y a que les camés qui viennent là. Regarde ça, c’est plein de seringues. JH2 Je comprends pourquoi ils viennent là. JH1 Pour être tranquille. JH2 Pour échapper à tout ça. JH1 T’es sûr que tu t’es pas assis sur une seringue et que tu te serais pas piqué le cul par hasard ? JH2 Tu t’es jamais dit que ça ne servait à rien ? JH1 Quoi ? JH2 Tout ça. JH1 Tout ça ? JH2 Tout ça. JH1 Tout ça quoi ? JH2 Tu savais que c’était ici qu’on l’avait retrouvé ? JH1 Qui ? JH2 Le mec du 5éme. JH1 L’autre taré ? Ca m’étonne pas. J’te l’ai dit, y a que les camés et les tarés qui viennent ici. Allez, on se casse. JH2 On l’a retrouvé deux jours plus tard. JH1 C’est bon ouais ? JH2 Sous cet arbre. JH1 On peut y aller cette fois ? JH2 Je me demande bien à quoi il pouvait penser à ce moment-là. Au moment de… ARRET DE JEU Page 8/32 JH1 Qu’est-ce que t’en as à foutre de ce taré ? De ce qui pouvait bien penser ? C’était un taré. Il parlait à personne, personne lui parlait, il vivait seul. Personne le pleurera. Y se passe quoi, mec ? On va le faire ce foot oui ou merde ? JH2 Merde. JH1 T’as dit quoi là ? JH2 Merde. JH1 C’est à moi que tu as dit merde ? Tu m’as dit merde. Tu veux mourir ou quoi ? T’as de la chance qu’on ait le match. Allez, viens on y va. JH2 Où ? JH1 Faire un foot. JH2 Ca m’emmerde moi le foot. JH1 Depuis quand ? JH2 Depuis toujours. JH1 Depuis qu’on se connait on joue au foot. On a toujours joué au foot. JH2 Ca m’a toujours emmerdé. JH1 Depuis quand ? JH2 Toujours. JH1 Pourquoi tu l’as jamais dit ? JH2 Je viens seulement de m’en rendre compte. JH1 Aujourd’hui tu t’es dit : « j’aime plus l’foot » ? JH2 J’ai jamais aimé. JH1 Alors pourquoi tu y joues ? JH2 Pour faire comme les autres, pour faire comme toi, pour te faire plaisir. JH1 Pour me faire plaisir ? Tu joues au foot pour me faire plaisir ? Alors viens jouer. JH2 J’ai plus envie. JH1 T’as plus envie de jouer au foot ? ARRET DE JEU Page 9/32 JH2 J’ai plus envie de te faire plaisir. JH1 On n’est plus potes ? Qu’est-ce que j’ai fait ? C’est à cause de l’autre connasse ? JH2 J’ai plus envie de te faire plaisir. Je veux faire ce que j’aime. JH1 Et t’aimes quoi ? JH2 J’en sais rien. JH1 Moi je sais : le foot. T’as toujours aimé ça. T’es même le meilleur. JH2 C’est fini. JH1 Quoi ? JH2 Le foot. JH1 Tu veux dire que t’y joueras plus jamais ? Jamais, jamais ou jamais, jamais ? JH2 Jamais. JH1 Tu joues trop bien merde. Tu es trop doué. Tout le monde est jaloux de ton pied droit. Tu peux pas me faire ça. C’est une blague c’est ça ? Une connerie ?... Tu étais sérieux ? Qu’est-ce qu’on va faire ? JH2 Vous jouerez sans moi. JH1 On peut pas. Comment veux-tu qu’on gagne sans toi ? Tu crois que j’vais vouloir continuer à jouer sans toi, moi ? J’veux pas perdre. Et qu’est-ce que tu vas faire à la place ? Du basket. Tu veux qu’on joue au basket c’est ça? Mais je suis nul moi au basket. JH2 J’veux pas jouer au basket. JH1 On va faire quoi alors ? JH2 Rien. JH1 Mais on va se faire grave chier. JH2 Possible. JH1 Tu veux dire qu’on va rester là toute la journée à se faire chier ? JH2 Possible. ARRET DE JEU Page 10/32 JH1 Et demain ? Pareil ? C’est quoi ton problème ? JH2 Je veux plus jouer au foot c’est tout. JH1 Qu’est-ce que tu vas faire alors ? JH2 Je sais pas. Faut qu’j’y réfléchisse. JH1 Et tu en as pour longtemps ? Parce qu’ils vont commencer là. Tu veux qu’ils gagnent comment à neuf contre onze ?... Ca y est ? T’as réfléchi ? Cinq minutes alors, pas plus… Ils nous cherchent là. Je suis sûr qu’ils nous cherchent. Ils vont nous pourrir si on n’y va pas…Eh les gars, on peut pas venir, faut qu’il réfléchisse. A quoi ? Il sait pas encore. Mais ça va venir. Ca y est ? Ca vient ? Pas encore. Faut encore attendre. Commencez sans nous, on arrive. ..Tu me dis hein quand t’as fini. T’as pas fini ?... Je vais m’asseoir alors. En attendant. Je vais regarder…les fourmis. Je vais regarder les fourmis pendant qu’tu réfléchis. JH2 J’le voyais rentrer le soir. J’le voyais tous les soirs. Quand il sortait de sa voiture. Quand il traversait la cour. Quand il rentrait dans l’allée. La boite aux lettres. Vide sûrement. Quand il montait au 5éme. Jamais d’ascenseur. Quand il ouvrait et puis qu’il refermait à double tour. Et puis plus rien jusqu’au lendemain matin. Jusqu’à ce que je le voie remonter dans sa voiture et repartir je sais pas où. Quand on descend par les escaliers, on sait tout ce qui se passe chez les autres. Les deux vieux du 6éme qui s’engueulent toutes la journée à cause du chien qu’il faut encore descendre, des programmes télé ou des repas trop froids ou pas assez salés. Les deux du 4éme qui sont tellement sourds que leur télé gueule toute l’année dans toute l’allée. Ceux du 3éme qui viennent de je sais pas où et qui parlent tellement fort qu’on comprend jamais c’qu’ils disent. Ceux du 2éme qui passent leur vie sur le balcon à surveiller le parking et à gueuler après ceux qui font trop de bruit ou qui trainent trop près de leur voiture en répétant qu’un jour tout ça finira mal. Ceux du 1er qui s’engueulent avec ceux d’en face parce que leur musique les empêchent d’écouter leur télé. La nuit, le jour, il y a toujours quelque chose à écouter. Mais au 5éme jamais rien. Jamais de musique, jamais de télé. Un jour j’ai collé mon oreille à sa porte. Juste pour voir. Et puis rien. Pas un bruit. Rien que des bruits de clefs qu’on met dans la serrure, de porte qu’on ouvre ou qu’on ferme à double tour. De verrous qu’on tourne. Jamais vu de femme ou même de mec entrer chez lui. Comme s’il était déjà mort. Quand on l’a retrouvé deux jours plus tard. Sous cet arbre. Y avait même pas d’mot, pas d’adresse. Personne à prévenir. Une mère, un frère. Même dans le journal y’avait rien. Qu’est-ce qu’ils auraient bien pu écrire ? Pour qui ? Dans l’allée ils disaient que c’était sûrement un malade. Un pédé ou un truc comme ça. Parce que chez lui y avait même pas la télé. Que des livres et un ordinateur. Les autres ils disaient qu’il y avait des drôles de truc dedans. Des trucs pas nets. Et puis que de toute façon, c’était sûrement mieux comme ça parce qu’on décide pas de faire ça pour rien. Qu’il fallait avoir quelque chose de grave à s’reprocher pour faire ça. Pour finir comme ça. ARRET DE JEU Page 11/32 JH1 Et regarde, y a des sauterelles en train de s’enculer. Regarde j’te dis. Là au moins il se passe quelque chose d’intéressant. T’avais déjà vu ça ? Je savais pas que c’était pédé les sauterelles. Tu savais ? Oh, tu savais ? Ca y est ? T’as réfléchi ? On peut y aller maintenant ? JH2 Je jouerai plus au foot. JH1 Mais pourquoi ? JH2 Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que j’ai passé l’âge. JH1 T’as passé l’âge ? Parce qu’y a un âge pour ça maintenant ? Mon père il y joue toujours. JH2 Va jouer avec lui. JH1 T’es con ou quoi ? J’avais pas aller jouer avec lui. Il me fait déjà chier toute la journée. Et Zidane ? Il a passé l’âge Zidane ? JH2 J’ai passé l’âge je te dis. JH1 On a le même âge et moi j’aime toujours y jouer. Encore plus qu’avant. Mais y a rien d’autre à faire. Tout le monde joue au foot. Y a que ça à faire ici, taper dans un ballon. JH2 « Taper dans un ballon ». C’est pathétique. JH1 Ca veut dire quoi ? JH2 Pathétique. JH1 J’suis pas tétique ok ? Maintenant t’arrête de nous faire chier et tu viens sur le terrain avec moi. T’es lourd mec. Y se passe quoi merde ? Oh je sais. Oh ça y est je sais. T’es amoureux. C’est ça, t’es amoureux ? Ce con est tombé amoureux. T’es amoureux de la meuf du connard du 5éme. J’en étais sûr. Il va te tuer. Viens taper dans le ballon t’y penseras plus. Tu préfères qu’on aille se bourrer la gueule ? JH2 ? Taper dans un ballon, se bourrer la gueule et après ? Fumer un pétard JH1 Ben ouais. Qu’est-ce que tu veux faire d’autre ? C’est pas la meuf du connard du 5éme alors ? C’est qui ? La connasse du 2éme ? Me dis pas que c’est cette connasse. Tu l’as niquée ? Tu l’as pas niquée ? Tout le monde l’a niquée. Qu’est-ce que t’en a à foutre de cette connasse ? Ok, appelle-la. Appelle-la, j’te dis. Tu l’appelles, tu la niques et après on va jouer. JH2 Ok. JH1 Ok ? ARRET DE JEU Page 12/32 JH2 Ok. JH1 Ok. Appelle-la. JH2 « Allô. Ça te dit ? De t’faire sauter ? Par contre j’ai que cinq minutes parce qu’après j’ai foot avec mes potes. » JH1 Alors ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? Elle est d’accord ? Tu l’as pas appelée ? Tu l’as pas appelée. C’est pas à cause de cette connasse ? A cause de qui alors ? Putain mais t’as quoi ? JH2 J’ai envie d’être seul. JH1 Mais si tu restes ici tout seul dans cette zone, tu vas finir par te mettre une balle. Ca sert à rien de rester seul ou de réfléchir. Ce qui faut, c’est se vider la tête. On va aller acheter un pack, on va le descendre le plus vite possible et après on ira…ben on verra. JH2 Pourquoi on est potes ? JH1 C’est quoi encore cette question à deux balles ? JH2 Pourquoi on est potes ? JH1 Parce qu’on se marre bien ensemble. Sauf maintenant. JH2 C’est ça pour toi être potes ? JH1 Ben ouais. JH2 Quelle merde. JH1 On se marre pas peut-être ? JH2 Hyper. On s’éclate grave. T’es mon meilleur pote en fait. Et je me demande bien pourquoi. JH1 Faut que tu boives quelque chose là. JH2 J’ai pas envie. J’ai plus envie. JH1 T’as plus envie d’boire, t’as plus envie de jouer au foot. Qu’est-ce qu’elle t’a fait ? File-moi ton portable, je vais l’appeler cette conne. File-moi ton portable. Tu peux pas rester comme ça. T’es mon meilleur pote. J’veux pas que tu restes comme ça. File-le moi. JH2 Va te faire foutre. JH1 T’as dit quoi là ? ARRET DE JEU Page 13/32 JH2 J’ai dit : va te faire foutre. JH1 C’est à moi que tu dis « vas te faire foutre » ? C’est à moi que tu dis « va te faire foutre »? JH2 Tu vois quelqu’un d’autre ? JH1 Putain, si t’étais pas mon meilleur pote. J’t’aurais déjà défoncé la gueule. JH2 Vas-y. J’suis plus ton meilleur pote. Vas-y. défonce moi la gueule. Allez viens. Pète-moi la gueule. Allez viens, qu’est-ce que t’attends connard ? JH1 C’est quoi ton putain de problème ? Tu t’es pris la tête avec ta mère ? A cause du boulot ? JH2 Quel boulot ? JH1 A cause du boulot. JH2 J’ai pas d’boulot. JH1 Justement. C’est à cause du boulot, c’est ça ? Personne en a ici. Picoler et jouer au foot, y a que ça à faire. JH2 Merde. JH1 On a toujours fait que ça. JH2 Merde. JH1 Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’autre ? Tu veux lire des livres c’est ça ? Molière, tu veux lire du Molière ? JH2 Molière écrit pas de livres, il écrit des pièces de théâtre. JH1 C’est la même merde. Tu veux qu’on se mate un dvd ? Ca fait des plombes que t’es là à réfléchir. Tu veux avoir Alzheimer avant l’âge ? Comme la vielle du 6éme ? T’es vraiment pas drôle. JH2 Pourquoi tu vas pas les rejoindre, JH1 J’veux pas jouer sans toi, je te l’ai dit. J’veux pas perdre. JH2 J’veux plus jouer, c’est clair ? ARRET DE JEU Page 14/32 JH1 Ben non justement, c’est pas clair. Faudra que tu m’réexpliques un peu mieux. Parce que j’ai du mal à capter là. A force de réfléchir, j’ai la tête à l’envers moi. JH2 Ok. On arrête de réfléchir. On va jouer. JH1 Et t’as intérêt à marquer cette fois. JH2 On va pas jouer au foot. JH1 Hein ? A quoi alors ? Pas au basket. J’suis trop nul. J’te l’ai dit. JH2 On va se poser des questions. JH1 Hein ? On va quoi ? Se poser des questions ? Tu préfères pas qu’on joue au basket ? Tu veux pas qu’on joue à questions pour un champion quand même ? On n’a pas l’âge. JH2 Je vais te poser des questions et toi tu vas répondre. Si tu as tout juste, on reste potes, sinon… JH1 Sinon ? Ok, ok. Tu me poses des questions et moi je réponds. Pas trop difficiles quand même les questions ? Parce que je te préviens : j’suis nul en géographie et en histoire, et en maths aussi, et en orthographe. Par contre au foot, j’te prends quand tu veux. JH2 T’es prêt ? JH1 Je suis prêt. Et si j’ai tout juste, on va les rejoindre ok ? JH2 Qu’est-ce que tu fous ici ? JH1 Ca a commencé ?...Je suis avec mon meilleur pote. JH2 Ici. Là. Sur cette terre. JH1 C’est quoi cette question à la con ? JH2 Pourquoi tu es ici à ton avis ? JH1 On n’est pas prêt de jouer au foot quoi. Pourquoi ? Qu’est-ce que j’en sais moi. JH2 Tu crois que c’est un hasard ? JH1 Un hasard ? C’est quoi un hasard ? Je suis là parce que je suis là. Qu’est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Je suis là parce que je suis né. Ca va là ? JH2 Pourquoi t’es né ? ARRET DE JEU Page 15/32 JH1 T’es con ou quoi ? Qu’est-ce que t’as fait l’autre soir avec la conne du 6B ? Et elle avait l’air d’aimer ça vieux sale. C’est comme ça que je suis né. Comme tout le monde. JH2 Pourquoi t’es né ? JH1 Et pourquoi t’es né toi ? JH2 J’en sais rien. JH1 On est né pareil alors. On n’a rien demandé. On est là, c’est tout. Qu’est-ce que ça peut nous foutre de savoir pourquoi. Y a qu’à se démerder maintenant. JH2 Tu sais pourquoi tu respires toi ? JH1 Parce que pas toi ? JH2 Non. JH1 Parce que si j’arrête de respirer, je meurs. Voilà pourquoi tu respires. JH2 Je veux savoir pourquoi. JH1 Pourquoi quoi ? JH2 Pourquoi je suis né. Je veux savoir pourquoi. JH1 Va demander à ta mère pas à moi. JH2 Elle sait pas ma mère. Elle sait même pas pour elle, comment elle saurait pour moi. JH1 T’es sûr que tu veux pas qu’on boive des bières plutôt ? Ou qu’on se fume un pét’ ? JH2 Pourquoi tu respires toi ? JH1 Je te l’ai dit, pour pas mourir. JH2 Et ça te suffit ? JH1 Je suis toujours là. Qu’est-ce que t’en as à foutre de savoir pourquoi. Ce qui compte c’est là, maintenant, ce qu’on va faire. JH2 Et qu’est-ce qu’on va faire ? JH1 On va aller faire un foot, après on ira boire des bières, fumer un pèt’. Et niquer. ARRET DE JEU Page 16/32 JH2 Faut que je sache. JH1 Quoi ? JH2 Pourquoi je suis là. Ca me suffit plus tout ça. JH1 Qu’est-ce que tu veux d’autre ? JH2 Des réponses. J’veux des réponses. JH1 Te poses pas de questions. Pas d’questions, pas d’réponses. Tu t’en poseras quand tu seras vieux. Quand t’auras quarante ans. En attendant… JH2 Ca sera trop tard. JH1 Trop tard pour quoi ? Faudrait déjà qu’on y arrive en plus. Avec tout ce qu’on boit et tout ce qu’on fume. Tiens, file-moi une clope. JH2 J’en n’ai plus. JH1 T’arrêtes aussi ? JH2 J’en n’ai plus c’est tout. JH1 Putain fais chier merde. JH2 Qu’est-ce qu’on va faire ? JH1 Viens on va en acheter. JH2 Qu’est-ce qu’on va faire ? JH1 En acheter. JH2 Qu’est ce qu’on va faire ? JH1 Tu la veux ta réponse ? Alors viens sur le terrain. JH2 Je resterai là. JH1 T’es vraiment lourd. JH2 Tu vois pas que je peux plus bouger ? Que je suis trop lourd, tu le vois pas ? JH1 Toi ? T’es épais comme un haricot de chez Lidl. Mais c’est quoi ce sketch de tarlouze là ? T’as pris de la coc’ ? Qui c’est qui t’a refilé cette merde ? ARRET DE JEU Page 17/32 JH2 J’arrive plus. JH1 T’arrives plus à quoi nom de Dieu ? JH2 A avancer. JH1 J’vais te foutre des coups de pieds au cul moi, et tu vas voir que tu vas y arriver à avancer. Lève-toi et cours. JH2 Je peux pas je te dis. JH1 T’es malade ? T’as une saloperie, c’est ça ? JH2 Non, je crois pas. JH1 Fais voir. T’as de la fièvre. Tu veux que j’appelle quelqu’un ? Docteur House ? Docteur Mamour ? JH2 Arrête tes conneries. JH1 T’es pas malade, tu vois bien. Alors lève ton cul…Ok, je t’écoute. JH2 Ca te le fait jamais ? JH1 Quoi ? JH2 De plus pouvoir avancer ? JH1 Si souvent. Quand j’ai quinze grammes. A chaque fois même. JH2 Et à jeun ? JH1 Où ? JH2 Quand t’as pas bu ? JH1 Tellement mou que j’peux plus avancer ?...Des fois quand je suis sur le canapé, devant la télé en train de mater un film ou une connerie. Et là, je pense à rien, je me sens trop bien. Mais ça dure jamais très longtemps parce qu’y a toujours quelqu’un pour venir me faire chier. Quand c’est pas ma mère qui vient m’emmerder avec ses « t’as pas autre chose à foutre », c’est mon frère qui vient me casser les couilles avec ses « pourquoi » et quand c’est pas mon frère, c’est mon connard de père qui vient gueuler parce que j’l’empêche de regarder sa merde. Tu vois, des fois, j’me dis qu’on devrait faire comme dans cette émission à la con là. Celle où ils échangent leurs mères. Tu viendrais vivre chez moi et moi j’irai chez ta mère. Et là, je peux te dire que t’aurais envie d’y jouer au foot. Plutôt deux fois qu’une. Et la nuit même si tu pouvais. Tu veux qu’on échange nos mères ? JH2 T’es con. ARRET DE JEU Page 18/32 JH1 Ben ouais, je sais. Mon père il me le dit tous les jours. Mais au moins je sais d’où ça vient. Parce que tu crois que t’es pas con toi ? Assis sur ton herbe à regarder la mer qu’on voit même pas ? Alors qu’on pourrait s’éclater sur le terrain avec les autres, comme les autres. T’as vraiment pas envie ? Qu’est ce que tu veux alors ? JH2 Ressentir des trucs. JH1 Ressentir des trucs ? Ca veut dire quoi ça encore ? JH2 Je veux qu’il se passe des choses. JH1 Il s’en est bien passé des choses : hier tout va bien, tu marques deux fois et on finit par les niquer ces fils de putes et aujourd’hui tu veux plus jouer. Qu’est ce qui s’est passé ? JH2 Rien, il s’est rien passé. Il se passe jamais rien. Il s’est jamais rien passé. JH1 Ok. Tu veux qu’il se passe des choses. Viens. On va aller piquer une bagnole. On pique une caisse, on fait du rodéo derrière là-bas. Et après on la crame. Ca te va ? Tu vas en ressentir des trucs, tu peux m’faire confiance… Qu’est-ce qui t’arrive ? JH2 J’ai mal. JH1 T’as mal où ? JH2 J’ai mal, partout. JH1 Qu’est ce qu’il faut que je fasse merde ? Dis-moi. JH2 J’ai mal. JH1 J’t’avais dit de pas réfléchir. Si tu m’avais écouté. On serait déjà en train de taper dans le ballon. T’as préféré te trépaner la tête et voilà maintenant tu t’es pété quelque chose. Où ? Dans le ventre ? JH2 J’ai mal. JH1 T’as quoi ? JH2 J’en sais rien. JH1 J’suis là. J’suis ton meilleur pote. Il t’arrivera rien. La merde, je suis pas médecin moi. Oh. Oh. Ohé. Ils sont sourds ces cons ou quoi. Oh. Y en a pas un qui lèverait la tête. On peut crever la gueule ouverte. Oh. Une bière. Tu veux une bière ? Il te faut une bière. Je vais te chercher une bière. ARRET DE JEU Page 19/32 JH2 Ah. JH1 Ca va ? Réponds-moi. Au secours. Putain, putain, putain, merde, merde, putain, merde. Réveille-toi nom de Dieu. Faut pas que tu dormes. Comment il fait l’autre là déjà à la télé ? Reste avec moi. Qu’est-ce que t’as pris ? Réponds-moi merde. Me laisse pas. Qu’est-ce que je vais faire sans toi. JH2 T’es pédé ou quoi ? JH1 Merde. Merde, merde. J’vais défoncer la gueule. T’es trop con mec. A quoi tu joues ? JH2 « Qu’est-ce que j’vais faire sans toi ? » JH1 Tu m’as fait peur connard. JH2 « Me laisse pas. » JH1 J’ai flippé quoi. T’es vraiment trop con. Si t’étais pas mon meilleur pote, je t’aurais déjà explosé la gueule. Tu le sais ça ? Je vais te défoncer la gueule. JH1 Quand je perds, ça me rend dingue. J’ai envie de tuer tout le monde. Ca me fait même peur des fois. Je me reconnais plus. Je me dis que si j’avais un flingue, je serais capable de descendre tout le monde autour. Je commencerais par mon connard de père. J’arriverais dans le salon, tranquille. Il verrait même pas que je suis entré. Il serait en train de dormir sur le canapé, une canette dans une main et la télécommande dans l’autre. Devant sa merde qu’il regarde tous les soirs. En train de ronfler devant. Et moi je le réveillerais doucement. « Réveille-toi ». « Réveille-toi ». « REVEILLE-TOI PUTAIN ». Et là, il ouvrirait un œil et il verrait mon flingue au bout de ma main et là, peut-être que la télécommande tomberait enfin de sa putain de main. « Bonne nuit » que je lui dirais et pan. Entre les deux yeux, comme dans ses films à la con. Tu vas pouvoir ronfler connard. A vie. Tu viendras plus me faire chier quand je me lève à midi. Parce que ça sert à quoi de se lever à six heures du matin quand il y a rien à faire avant midi ? Et quand j’en aurai fini avec lui, je descendrai au 2éme et je buterai ce gros con avec son clebs. Il nous fera plus chier quand on parle trop fort sous son putain de balcon. Et j’irai lui rayer sa putain de voiture juste pour le plaisir de le faire chier encore une fois. Et puis ce sera le tour de ce connard de prof de maths. Je frapperai chez lui et il fera comme si il me reconnaissait pas alors qu’il sait très bien qui je suis et qu’il se souvient de tout. Je lui ferais d’abord bouffer sa putain de calculatrice à la con et après je lui exploserais sa sale petite gueule de prof de maths de mes deux. Après ça, j’aurais plus qu’à m’asseoir tranquille peinard à une terrasse et là, j’commanderais une bière. Une putain de bonne bière que je boirais en attendant qu’ils arrivent. Parce qu’ils pourront venir après ça. Je m’en fous. Ils pourront venir. Qu’ils viennent. Mais je ferai jamais ça. D’abord parce que j’ai pas d’flingue et puis surtout parce que y a ma mère. Et que ça, ça lui ferait pas plaisir à ma mère. ARRET DE JEU Page 20/32 Pas que je bute le putain de connard du 2éme ou cet enculé de prof de maths. Non, que je descende mon père. Ça ça lui ferait pas plaisir. J’pourrais jamais lui faire ça à ma mère. Alors à la place, j’tape dans un ballon. Et à chaque fois que je frappe, c’est à lui que je pense, à lui ou à ce putain de connard de prof de maths, à lui ou à tous les autres. JHI Tu m’as fait flipper grave. JH2 T’en as jamais marre de tout ça ? JH1 Jamais. JH2 Tu te dis jamais que la vie ça devrait être autre chose que ça ? JH1 C’est quoi ça ? JH2 Ce qu’on vit. JH1 J’aime ça moi. Passer du temps avec mes potes, taper dans…jouer au foot. Faire des conneries. Niquer. La liberté. JH2 C’est ça être libre ? JH1 Si y avait pas mon père ouais. T’as de la chance. De pas avoir ton père sur le dos. Toi ta mère, elle te fout la paix. Elle te demande jamais où tu vas, où tu es, ce que tu fous. JH2 J’ai de la chance. Tu crois qu’il va où ? JH1 Qui ? JH2 L’avion. JH1 Je m’en tape. JH2 T’as déjà pris l’avion ? Des fois, j’voudrais l’prendre juste pour voir comment c’est ailleurs, ce que ça fait de se barrer. De plus revenir. JH1 Et t’irais où ? JH2 Je sais pas. L’Amérique. JH1 J’croyais que t’en avais marre des barres ? JH2 C’est pas les mêmes. JH1 Elles sont plus grandes c’est tout. Moi je crois que j’irais au soleil. Hôtels cinq étoiles, piscines, cocktails, les meufs à moitié à poil à côté de moi et moi, là, sur mon transat la musique à fond. JH2 Ca te dit pas de te barrer ? ARRET DE JEU Page 21/32 JH1 Où ? JH2 J’en sais rien. Ailleurs. On prend un avion et on se barre. JH1 Tous les deux ? JH2 Tous les deux. JH1 Et le fric on le trouve où ? JH2 Y en a partout du fric. Y a qu’à se baisser pour le ramasser. JH1 Et s’il s’écrase ? JH2 Qui ? JH1 L’avion. JH2 Pourquoi tu veux qu’il s’écrase ? JH1 J’ai pas envie de mourir. JH2 Faudra bien qu’ça arrive un jour. JH1 Ouais mais pas comme ça. Pas avec des gens que je connais pas. JH2 Je serai là moi, je te donnerai la main. JH1 Barre-toi. T’es sérieux là ? L’avion, tout ça ? JH2 Bien sûr que je suis sérieux. On trouve le fric, on achète un billet et on se casse le plus loin possible. Et surtout, on revient pas. JH1 Je peux pas faire ça. JH2 Pourquoi ? Les meufs à oilpé au bord de la piscine, la musique à fond. JH1 Y a ma mère. Mon frère. Et puis les potes. Je suis bien moi ici. C’est ma vie quoi. J’ai pas envie d’en changer. Le soleil tout ça, c’était pour dire quelque chose. JH2 T’es bien toi ici ? JH1 Je connais que ça quoi. JH2 Et t’as pas envie de voir autre chose ? JH1 Une semaine peut-être ouais, mais pas toute la vie. ARRET DE JEU Page 22/32 JH2 Lui, il bougera pas d’ici. Il trouvera peut-être un boulot. Une femme. Lui fera deux ou trois gosses. Il s’achètera une voiture, une télé. S’en fout de l’endroit, ce qui compte, c’est que les gosses soient pas trop chiants, qu’on soit peinard et que la bière soit fraiche. A l’aise dans ses baskets trop chères, lui, il n’a qu’à regarder les autres pour savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il doit faire. Rester debout, garder les yeux ouverts, avancer, attaquer, défendre, se défendre. Presque libre. Presque heureux. D’ici, il ne voit rien, tout ce qu’il voit, c’est que les autres l’attendent. Là, en bas. Sur son terrain. Entourés de barres si hautes que personne ne pourra jamais l’atteindre. Ce qu’il y a derrière ? Il sait que ça existe, ça lui suffit. Il sait que c’est pas pour lui. Qu’est-ce qu’il en ferait de tout ça ? Le soleil peut bien se coucher sur d’autres horizons, il s’en fout lui. Le sien est ici. Bien à l’abri. Il le connait. C’est ici qu’il est né. C’est ça l’important. Avancer sans se poser de questions. Il prendra peut-être l’avion. Une fois. Pour faire comme les autres. Il continuera à jouer au foot, à taper dans son ballon, seul contre tous. Il perdra peut-être ses cheveux, prendra sûrement du ventre, vivra. Un jour peut-être, il reviendra ici, seul, il fixera l’horizon, fermera les yeux, apercevra la mer et se souviendra. Certains naissent, grandissent, se marient, font des gosses, les regardent grandir, vieillissent et finissent par mourir. Certains vivent. Tranquilles. JH1 T’étais vraiment sérieux ? JH2 Comment t’aimerais mourir ? JH1 C’est quoi encore cette question à la con ? Tu crois que j’pense à ça. JH2 T’y penses jamais ? JH1 Pourquoi tu veux que j’y pense ? JH2 Tout le monde meurt, tu le sais ça ? JH1 Arrête, je veux pas parler de ça. JH2 T’as peur ? JH1 T’es con ou quoi ? J’ai pas peur, j’veux pas parler de ça c’est tout. JH2 T’aimerais mourir comment ? JH1 Arrête j’te dis. J’ai pas envie de parler de ça. Ça porte malheur. JH2 Avant ça me faisait peur à moi aussi. Quand j’étais plus petit, j’arrivais jamais à m’endormir dans le noir. Ma mère, elle laissait toujours la porte du couloir éclairé. Après le film, elle venait refermer la porte avant d’aller se coucher, sans faire de bruit. Elle croyait que je dormais. J’attendais toujours la fin du film avant de dormir, qu’elle vienne la fermer. Et quand elle éteignait et qu’elle fermait la porte, j’avais l’impression qu’elle refermait mon cercueil. Je fermais les yeux et là, je pouvais sentir le poids de la terre sur moi. Là. ARRET DE JEU Page 23/32 JH1 T’es un grand malade toi. JH2 Je finissais par m’endormir évidemment. Et le matin, quand je me réveillais, j’en revenais pas d’être encore là. Encore vivant. J’étais content mais ça me faisait chier en même temps parce que je savais que le soir faudrait que je meure encore une fois. JH1 T’es pas normal mec. Quand je dors moi, je pense à rien et quand je me réveille, je pense à ce que j’vais bouffer en me levant. Comme tout le monde. JH2 Et ça c’est normal ? JH1 Un peu que c’est normal. Tu m’traites d’anormal ? Tu crois que c’est normal de penser à la mort tout le temps ? JH2 Je sais pas si c’est normal. Je dis que j’y pense c’est tout. Tout le temps. JH1 T’as qu’à jouer au foot et niquer. Comme ça t’y penseras moins. C’est comme ça qu’ils font les autres. Tu les as déjà entendus parler de la mort eux ? JH2 Ca te fait chier de parler avec moi ? JH1 Ca me fait pas chier mais je préfère quand on parle de meufs ou de caisses ou de foot. Mais la mort franchement, ça me fait cher chier. Ca va que t’es mon pote mais sinon. Tu veux vraiment pas qu’on y aille maintenant ? C’était pas une blague alors ? T’en as vraiment plus rien à battre du foot ? T’es notre meilleur attaquant merde. Qu’est-ce que j’vais leur dire moi aux autres ? JH2 T’as qu’à leur dire qu’j’veux plus attaquer. Que je peux plus. JH1 Tu veux être en défense ? Pas de problème. J’te laisse ma place. J’en avais marre d’être toujours à l’arrière. On va pas rouiller ici toute la journée à regarder les avions passer et les sauterelles s’enculer. Faudra bien qu’on redescende quand même. JH2 Vas-y. JH1 Et tu vas rester ici comme un con ? T’as plus besoin de réfléchir là. J’ai répondu à tes questions merde. JH2 T’as pas répondu. JH1 Qu’est-ce que j’ai pas répondu ? JH2 Pourquoi t’es là. ARRET DE JEU Page 24/32 JH1 Putain non, tu vas pas recommencer. J’en sais rien. J’en sais foutre rien pourquoi je suis là. Mais je suis là. Et j’m’en tape même si tu veux tout savoir. J’y suis, j’y reste. JH2 Comment tu fais ? JH1 J’en sais rien. Je me pose pas de questions à la con, c’est tout. Tu crois qu’on a le choix ? JH2 Je crois ouais. JH1 Ah ouais ? Vas-y, dis-moi quel choix tu as toi ? JH2 Rester ou pas. On a toujours le choix. JH1 On a le choix ? Super. Tu l’as ta réponse. On peut y aller maintenant ? Tu fais chier avec tes questions à la con. JH2 Barre-toi, je t’ai rien demandé. JH1 « Pourquoi t’es là ? » T’arrêtes pas de me demander. JH2 Mais t’as pas répondu. JH1 Tu sais pourquoi t’es là ? Pour me casser les couilles et tu y arrives trop. On y va oui ou merde ? Tu vas lever ton cul de là ou… JH2 Ou ? JH1 Lève ton cul. JH2 Ou ? JH1 Lève ton cul. JH2 Ou ? JH1 Tu vas le lever putain… Ok, on reste là. On va parler de la mort en attendant le coucher du soleil au dessus de la mer qu’on voit pas sauf quand on ferme les yeux…Et il se couche à quelle heure ton soleil de merde ? JH2 J’en sais rien. JH1 Quel con. Pourquoi j’demande. Il sait pas bien sûr. Tu sais jamais rien toi. Sinon tu poserais pas toutes ces questions. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Du matin jusqu’au soir. Pourquoi ? On dirait mon petit frère mais lui, il a cinq ans. Cinq ans. Tu piges mec ? J’crois que tu m’redis encore une fois pourquoi, je t’éclate la tête…Rassure-moi, on va quand même finir par y retourner en bas ?... Ok. Tu veux qu’on fasse quoi ? Parce que là, on a l’air ARRET DE JEU Page 25/32 plutôt con là, assis tous les deux à regarder droit devant… Qu’est-ce que tu regardes toi ? Parce que moi, j’en sais foutre rien. Y a rien à voir… Et si on allait chez toi ? Se mater un film de boules ? Un film alors ? N’importe lequel… On va pas rouiller ici toute la journée… Rien à voir, rien à faire, rien qu’à se faire chier… J’y vais moi. J’te préviens, je me casse. J’vais les rejoindre. Et je vais leur dire que tu veux plus jouer et que tu les emmerdes… Et t’as pas intérêt à te repointer mec. Parce que je sais moi, ce qui va s’passer : tu vas tellement te faire chier que dans une heure tu seras en bas sur le terrain, la queue entre la jambe, à nous supplier de te reprendre dans l’équipe. Tu pourras aller te faire foutre toi et tes questions de merde. Tu veux continuer à te faire chier ? Vas-y fais toi bien chier tout seul. Mais faudra pas te plaindre après. Salut, j’me casse. Parce que je me casse là. Parce que moi, le foot, j’adore ça, et que j’ai pas envie de me faire chier à regarder pousser cette putain d’herbe qui pue. Mais putain qu’est-ce qu’elle a cette putain d’herbe ? Y a la même sur le terrain… Me regarde pas comme ça. Me regarde pas comme ça ou je t’éclate. Me regarde pas comme ça. J’te jure que j’vais te défoncer. Me regarde pas… Mais t’as quoi merde ? JH2 J’ai envie de voir la mer. JH1 La mère à qui ? JH2 La mer, l’océan. La mer. JH1 C’est quoi encore cette connerie ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre de la mer ? C’est à cinq cents bornes en plus. JH2 Je l’ai jamais vue. JH1 Moi non plus je l’ai jamais vue. Qu’est-ce qu’on en a à battre ? On a la piscine juste derrière. Tu veux la voir ta mer ? Ok, on va louer ce film à la con là, avec les dauphins. JH2 J’veux la voir en vrai. JH1 Pourquoi faire ? Tu sais même pas nager. JH2 C’est pas pour nager. JH1 C’est pas pour nager ? Oh le con. Tu veux pas dire que c’est juste pour t’asseoir devant ? JH2 Et attendre que le soleil se couche. JH1 Le revoilà avec son soleil de merde. Qu’est-ce qu’on en a à foutre du soleil qui va se coucher ? Il se couche tous les soirs ton soleil. Ici, là-bas, en Amérique, sur la mer, l’océan, la piscine, sur le parking, sur le terrain. C’est le même partout. Tu m’emmerdes avec ton soleil. Et la lune, tu veux aussi la voir la lune quand elle se couche ? ARRET DE JEU Page 26/32 JH2 Avant ça m’empêchait de dormir, maintenant ça m’empêche de bouger. JH1 Mais quoi putain ? JH2 Toutes ces questions. JH1 Pourquoi tu te les poses ? Hier tu t’en posais pas des questions ? Quand tu jouais au foot ? Hier soir avec la connasse du 6B, tu t’en posais pas des questions ? Si ?... Mais c’est normal, ça. De se poser des questions. Moi aussi je m’en pose des questions. C’est pas les mêmes c’est tout. JH2 Cette nuit j’ai rêvé que j’étais un poisson. Je tournais en rond dans un bocal. Y’avait des cailloux au fond et puis un arbre en plastique. Un palmier. Et moi je tournais. Comme un con. Comme un poisson rouge dans son bocal. Et puis j’en ai eu marre de tourner autour de mon palmier en plastique alors j’ai pris mon élan et j’ai sauté et je me suis retrouvé par terre sur la moquette. Couché sur le côté. Je sautais dans tous les sens. Je voulais pas retourner dans mon bocal mais je savais bien que si je restais là, j’allais crever. Je le savais. J’allais manquer d’air. Et personne pour me remettre à l’eau. Je pouvais pas crier, appeler au secours. Forcément j’étais un poisson. Je savais que j’allais mourir, cette fois j’en étais sûr. J’étais là sur la moquette, les yeux grands ouverts et j’attendais. J’attendais qu’elle vienne. Comme un con. Comme un poisson hors de l’eau. Je bougeais plus parce que je savais que si je bougeais, je manquerais d’air encore plus vite. Je voyais mon bocal, là, au dessus de moi et je me demandais comment j’allais bien pouvoir faire pour retourner dedans mais je me disais aussi qu’il fallait pas que j’y retourne. Que j’allais crever de toute façon. A force de tourner en rond. Alors j’ai regardé autour de moi et j’ai vu que tout le monde me regardait crever. Ma mère, toi, les autres, que vous étiez tous là à me regarder crever, tout seul sur ma moquette. Sans rien faire, sans rien dire. JH1 Un poisson ? Un poisson rouge ? Là c’est grave. T’es pas un poisson. T’es un mec, mec. T’as des jambes, des bras, des couilles. Tu vois des nageoires et des machins là pour respirer ? T’es un putain de mec alors lèvetoi et bouge ton cul. Tu veux de l’eau c’est ça ? Viens, on va aller à la piscine, tu vas faire trempette et tout rentrera dans l’ordre. JH2 J’me suis réveillé et là, j’arrivais plus à respirer. JH1 T’es tombé de ton lit. C’est ça ? T’es tombé de ton de lit. Fais-voir. Tu dois avoir une bosse, quelque chose. T’es tombé, ça se voit pas comme ça mais dedans ça doit être la zone. C’est comme ça que ma grand-mère elle est morte. Elle est tombée pendant la nuit et deux mois après elle était morte. Y avait un truc qui avait pété dans sa tête et personne s’en était aperçu parce que le lendemain qu’elle était tombée, elle allait super bien. Faut pas attendre, on va aller chez le toubib et il va regarder. Tu t’es sûrement pété un truc. C’est pour ça que t’es comme ça. Ma grand-mère après elle allait super bien sauf qu’après, quand elle faisait cuire du riz elle oubliait de mettre l’eau ou que quand elle se lavait elle oubliait le savon. ARRET DE JEU Page 27/32 Tout le monde disait « c’est pas grave, elle est vieille, elle perd la tête comme toutes les vieilles », mais en fait, c’était à cause de son lit. Quand elle était tombée. Faut-y aller. JH2 Je suis pas tombé d’mon lit. JH1 T’es pas tombé de ton lit. Ok, t’es pas tombé de ton lit mais t’es pas un poisson ok ? Alors tu vas bouger ton cul. Tu vas me suivre et redescendre sur ce putain de terrain avec les autres et tu vas marquer des buts. Parce que c’est pour ça qu’t’es ici : pour marquer des buts et faire gagner ta putain d’équipe qui gagnera jamais sans toi. Tu vas le bouger oui. Tu m’entends ? Lève-toi. Lève-toi je te dis. Tu vas… (JH2 pointe une arme sur lui) Pour obtenir la fin du texte, veuillez contacter directement l’auteur à son adresse courriel : [email protected] ARRET DE JEU Page 28/32