arret de jeu - Le Proscenium

Transcription

arret de jeu - Le Proscenium
AVERTISSEMENT
Ce texte a été téléchargé depuis le site
http://www.leproscenium.com
Ce texte est protégé par les droits d’auteur.
En conséquence avant son exploitation vous devez obtenir l’autorisation de
l’auteur soit directement auprès de lui, soit auprès de l’organisme qui gère ses
droits (la SACD par exemple pour la France).
Pour les textes des auteurs membres de la SACD, la SACD peut faire interdire
la représentation le soir même si l'autorisation de jouer n'a pas été obtenue par
la troupe.
Le réseau national des représentants de la SACD (et leurs homologues à
l'étranger) veille au respect des droits des auteurs et vérifie que les
autorisations ont été obtenues, même a posteriori.
Lors de sa représentation la structure de représentation (théâtre, MJC,
festival…) doit s’acquitter des droits d’auteur et la troupe doit produire le
justificatif d’autorisation de jouer. Le non respect de ces règles entraine des
sanctions (financières entre autres) pour la troupe et pour la structure de
représentation.
Ceci n’est pas une recommandation, mais une obligation, y compris pour les
troupes amateurs.
Merci de respecter les droits des auteurs afin que les troupes et le public
puissent toujours profiter de nouveaux textes.
ARRET DE JEU
Page 1/32
ARRET DE JEU
COMEDIE DRAMATIQUE
De Claude MONTEIL
ARRET DE JEU
Page 2/32
Caractéristiques
Durée approximative: 75 minutes
Distribution : 2 adolescents
Public: Adultes et adolescents
Synopsis : Un terrain de jeu vaguement défini. Un terrain vaguement .Un
terrain vague. Un terrain vague au pied des tours. Au loin la mer.
Le foot, la drogue, les filles, les bagnoles. Leurs passions sont celles des
jeunes d’ici, de toutes les cités. En quoi seraient-elles différentes ?
Qu’est-ce qu’ils ont de spécial ? Qu’attendent-ils, seuls sur leur terrain
vague au pied des tours, si loin de la mer?
L’auteur peut être contacté par courriel à l’adresse suivante :
[email protected]
ARRET DE JEU
Page 3/32
Une banlieue. Un terrain vague.
JH1
T’étais où putain ? Je t’ai cherché partout.
JH2
Là.
JH1
C’est quoi cet endroit à la con ?
JH2
Assieds-toi. Regarde.
JH1
Quoi ?
JH2
Autour de toi.
JH1
Je ne vois rien.
JH2
Justement.
JH1 Y a personne. Y a rien à regarder. Je me demande bien ce que tu
peux regarder.
JH2
Ecoute.
JH1
Ecouter quoi ? On n’entend rien.
JH2
Justement.
JH1
Qu’est-ce que tu veux qu’j’écoute si y a rien à entendre ?
JH2
Le silence.
JH1
Tu écoutes le silence, toi ? Et tu l’écoutes depuis longtemps ?
JH2
Je sais plus.
JH1 Et tu te fais pas chier ? Personne à regarder, rien à entendre. Moi ça
m’emmerde déjà. C’est quoi là-bas ?
JH2
La mer.
JH1
Tu t’fous ma gueule ?
JH2
Elle est derrière.
JH1
Derrière quoi ?
JH2
Ferme les yeux, tu vas la voir.
ARRET DE JEU
Page 4/32
JH1 Comment tu veux que je la vois ta mer si je ferme les yeux ? Je
préfère regarder de l’autre côté. Au moins y se passe des choses. Tiens,
regarde, ils sont déjà tous sur le terrain. Ils vont nous attendre. Bouge ton
cul.
JH2
Je préfère rester là.
JH1
Pourquoi faire ?
JH2
Rien.
JH1
Tu préfères rester là à rien faire ?
JH2
Ouais.
JH1
Tu es sûr que ça va ?
JH2
Je comprends pourquoi il est venu là.
JH1
Qui ? T’as fumé toi. Sans moi ?
JH2
Tu savais que le soleil se couchait là-bas ?
JH1 Hein ? Je ne sais pas ce que t’ as fumé, mais ça ne devait pas être de
la bonne. Ils sont déjà tous là. Il manque plus que nous. Allez, magne-toi le
cul.
JH2
Attends.
JH1 Attendre quoi ? C’est bon, tu as vu la mer, tu sais maintenant que le
soleil se couche là-bas. On peut y aller non ?
JH2
Vas-y sans moi.
JH1 T’es dingue ou quoi ? Si tu viens pas, comment tu veux qu’on gagne ?
Je te rappelle que tu es notre meilleur buteur. On peut pas jouer sans toi. J’ai
pas envie de perdre moi.
JH2
J’ai pas envie de jouer.
JH1
Ah ouais ? Et qu’est-ce que tu vas faire ?
JH2
Réfléchir.
JH1
Réfléchir ? Tu réfléchiras en chemin. Allez. Qu’est-ce que tu fous ?
JH2
Je réfléchis.
JH1
On dirait plutôt que tu t’emmerdes. Et à quoi tu réfléchis ?
ARRET DE JEU
Page 5/32
JH2
J’en sais rien.
JH1
Tu réfléchis mais tu sais pas à quoi tu réfléchis ? Tu t’emmerdes alors.
JH2
?
Ca t’arrive jamais de réfléchir sans savoir vraiment à quoi tu réfléchis
JH1
Jamais, non.
JH2
Tu réfléchis jamais ?
JH1
Tu veux que je réfléchisse à quoi ?
JH2
Je sais pas. A toi.
JH1
Que je réfléchisse à moi ? Pourquoi tu veux que je réfléchisse à moi ?
JH2
A ce que tu fais ici par exemple.
JH1
Je m’emmerde.
JH2
Tu pourrais y réfléchir.
JH1
A quoi ?
JH2
Au fait que tu t’emmerdes par exemple.
JH1 Pourquoi tu veux que j’y réfléchisse ? Je m’emmerde, c’est un fait. Y a
pas à réfléchir.
JH2
Tu pourrais te demander pourquoi tu t’emmerdes.
JH1
Parce que y a rien à faire.
JH2
Tu pourrais regarder, écouter. T’asseoir et lire un livre.
JH1
Je suis pas pédé.
JH2
Tu sais pas lire ?
JH1
Évidemment que je sais lire, pour qui tu me prends ?
JH2
Alors pourquoi tu lirais pas ? Quand on lit, on s’emmerde pas.
JH1 Moi oui. Ca m’emmerde de lire. Je préfère me faire chier en faisant
rien plutôt qu’en lisant un livre.
JH2
T’en as déjà lu ?
ARRET DE JEU
Page 6/32
JH1 De quoi ? Des livres ? Pourquoi faire ? Je suis pas pédé je t’ai dit. Et
qu’est-ce que tu me prends la tête avec tes livres ? T’en as lu toi ?
JH2
Non.
JH1
Bon alors on peut se casser.
JH2
Mais peut-être que je devrais. Lire des livres.
JH1
Pourquoi faire, ta télé est en panne ?
JH2
Y a peut-être autre chose dedans.
JH1
Quelles choses ?
JH2
J’en sais rien. Justement, je devrais peut-être lire. Pour savoir.
JH1
Sûrement. Allez viens.
JH2
Je reste ici.
JH1
Et tu vas rester ici jusqu’à quand ?
JH2
Je veux voir le soleil se coucher.
JH1 T’as pété un câble, mec. C’est quoi ces conneries ? Les livres, le soleil
? Tu le verras demain. Là ils doivent déjà nous attendre pour commencer.
JH2
Non.
JH1 Non ? Tu vas vraiment attendre qu’il se couche ? C’est dans six
heures au moins.
JH2
J’ai tout mon temps.
JH1 Tu vas rester six heures le cul dans l’herbe à regarder rien en
attendant qu’il se couche ?
JH2
Ouais.
JH1 C’est plus grave que ce que je pensais. Tu t’es engueulé avec ta mère
? T’as les flics au cul ? T’as fait une connerie ?
JH2
Non.
JH1
Je comprends plus là.
JH2
Je veux rester là, c’est tout.
JH1
Je comprends rien.
ARRET DE JEU
Page 7/32
JH2
T’étais déjà venu ici ?
JH1 Qu’est-ce que tu veux que je foute ici ? J’en ai à foutre moi du soleil. Y
peut bien se coucher où il veut. Y a que les camés qui viennent là. Regarde
ça, c’est plein de seringues.
JH2
Je comprends pourquoi ils viennent là.
JH1
Pour être tranquille.
JH2
Pour échapper à tout ça.
JH1 T’es sûr que tu t’es pas assis sur une seringue et que tu te serais pas
piqué le cul par hasard ?
JH2
Tu t’es jamais dit que ça ne servait à rien ?
JH1
Quoi ?
JH2
Tout ça.
JH1
Tout ça ?
JH2
Tout ça.
JH1
Tout ça quoi ?
JH2
Tu savais que c’était ici qu’on l’avait retrouvé ?
JH1
Qui ?
JH2
Le mec du 5éme.
JH1 L’autre taré ? Ca m’étonne pas. J’te l’ai dit, y a que les camés et les
tarés qui viennent ici. Allez, on se casse.
JH2
On l’a retrouvé deux jours plus tard.
JH1
C’est bon ouais ?
JH2
Sous cet arbre.
JH1
On peut y aller cette fois ?
JH2 Je me demande bien à quoi il pouvait penser à ce moment-là. Au
moment de…
ARRET DE JEU
Page 8/32
JH1 Qu’est-ce que t’en as à foutre de ce taré ? De ce qui pouvait bien
penser ? C’était un taré. Il parlait à personne, personne lui parlait, il vivait
seul. Personne le pleurera. Y se passe quoi, mec ? On va le faire ce foot oui
ou merde ?
JH2
Merde.
JH1
T’as dit quoi là ?
JH2
Merde.
JH1 C’est à moi que tu as dit merde ? Tu m’as dit merde. Tu veux mourir
ou quoi ? T’as de la chance qu’on ait le match. Allez, viens on y va.
JH2
Où ?
JH1
Faire un foot.
JH2
Ca m’emmerde moi le foot.
JH1
Depuis quand ?
JH2
Depuis toujours.
JH1
Depuis qu’on se connait on joue au foot. On a toujours joué au foot.
JH2
Ca m’a toujours emmerdé.
JH1
Depuis quand ?
JH2
Toujours.
JH1
Pourquoi tu l’as jamais dit ?
JH2
Je viens seulement de m’en rendre compte.
JH1
Aujourd’hui tu t’es dit : « j’aime plus l’foot » ?
JH2
J’ai jamais aimé.
JH1
Alors pourquoi tu y joues ?
JH2
Pour faire comme les autres, pour faire comme toi, pour te faire plaisir.
JH1 Pour me faire plaisir ? Tu joues au foot pour me faire plaisir ? Alors
viens jouer.
JH2
J’ai plus envie.
JH1
T’as plus envie de jouer au foot ?
ARRET DE JEU
Page 9/32
JH2
J’ai plus envie de te faire plaisir.
JH1 On n’est plus potes ? Qu’est-ce que j’ai fait ? C’est à cause de l’autre
connasse ?
JH2
J’ai plus envie de te faire plaisir. Je veux faire ce que j’aime.
JH1
Et t’aimes quoi ?
JH2
J’en sais rien.
JH1
Moi je sais : le foot. T’as toujours aimé ça. T’es même le meilleur.
JH2
C’est fini.
JH1
Quoi ?
JH2
Le foot.
JH1 Tu veux dire que t’y joueras plus jamais ? Jamais, jamais ou jamais,
jamais ?
JH2
Jamais.
JH1 Tu joues trop bien merde. Tu es trop doué. Tout le monde est jaloux
de ton pied droit. Tu peux pas me faire ça. C’est une blague c’est ça ? Une
connerie ?... Tu étais sérieux ? Qu’est-ce qu’on va faire ?
JH2
Vous jouerez sans moi.
JH1 On peut pas. Comment veux-tu qu’on gagne sans toi ? Tu crois que
j’vais vouloir continuer à jouer sans toi, moi ? J’veux pas perdre. Et qu’est-ce
que tu vas faire à la place ? Du basket. Tu veux qu’on joue au basket c’est
ça? Mais je suis nul moi au basket.
JH2
J’veux pas jouer au basket.
JH1
On va faire quoi alors ?
JH2
Rien.
JH1
Mais on va se faire grave chier.
JH2
Possible.
JH1
Tu veux dire qu’on va rester là toute la journée à se faire chier ?
JH2
Possible.
ARRET DE JEU
Page 10/32
JH1
Et demain ? Pareil ? C’est quoi ton problème ?
JH2
Je veux plus jouer au foot c’est tout.
JH1
Qu’est-ce que tu vas faire alors ?
JH2
Je sais pas. Faut qu’j’y réfléchisse.
JH1 Et tu en as pour longtemps ? Parce qu’ils vont commencer là. Tu veux
qu’ils gagnent comment à neuf contre onze ?... Ca y est ? T’as réfléchi ?
Cinq minutes alors, pas plus… Ils nous cherchent là. Je suis sûr qu’ils nous
cherchent. Ils vont nous pourrir si on n’y va pas…Eh les gars, on peut pas
venir, faut qu’il réfléchisse. A quoi ? Il sait pas encore. Mais ça va venir. Ca y
est ? Ca vient ? Pas encore. Faut encore attendre. Commencez sans nous,
on arrive. ..Tu me dis hein quand t’as fini. T’as pas fini ?... Je vais m’asseoir
alors. En attendant. Je vais regarder…les fourmis. Je vais regarder les
fourmis pendant qu’tu réfléchis.
JH2 J’le voyais rentrer le soir. J’le voyais tous les soirs. Quand il sortait de
sa voiture. Quand il traversait la cour. Quand il rentrait dans l’allée. La boite
aux lettres. Vide sûrement. Quand il montait au 5éme. Jamais d’ascenseur.
Quand il ouvrait et puis qu’il refermait à double tour. Et puis plus rien
jusqu’au lendemain matin. Jusqu’à ce que je le voie remonter dans sa voiture
et repartir je sais pas où. Quand on descend par les escaliers, on sait tout ce
qui se passe chez les autres. Les deux vieux du 6éme qui s’engueulent
toutes la journée à cause du chien qu’il faut encore descendre, des
programmes télé ou des repas trop froids ou pas assez salés. Les deux du
4éme qui sont tellement sourds que leur télé gueule toute l’année dans toute
l’allée. Ceux du 3éme qui viennent de je sais pas où et qui parlent tellement
fort qu’on comprend jamais c’qu’ils disent. Ceux du 2éme qui passent leur vie
sur le balcon à surveiller le parking et à gueuler après ceux qui font trop de
bruit ou qui trainent trop près de leur voiture en répétant qu’un jour tout ça
finira mal. Ceux du 1er qui s’engueulent avec ceux d’en face parce que leur
musique les empêchent d’écouter leur télé. La nuit, le jour, il y a toujours
quelque chose à écouter. Mais au 5éme jamais rien. Jamais de musique,
jamais de télé. Un jour j’ai collé mon oreille à sa porte. Juste pour voir. Et
puis rien. Pas un bruit. Rien que des bruits de clefs qu’on met dans la
serrure, de porte qu’on ouvre ou qu’on ferme à double tour. De verrous qu’on
tourne. Jamais vu de femme ou même de mec entrer chez lui. Comme s’il
était déjà mort. Quand on l’a retrouvé deux jours plus tard. Sous cet arbre. Y
avait même pas d’mot, pas d’adresse. Personne à prévenir. Une mère, un
frère. Même dans le journal y’avait rien. Qu’est-ce qu’ils auraient bien pu
écrire ? Pour qui ? Dans l’allée ils disaient que c’était sûrement un malade.
Un pédé ou un truc comme ça. Parce que chez lui y avait même pas la télé.
Que des livres et un ordinateur. Les autres ils disaient qu’il y avait des drôles
de truc dedans. Des trucs pas nets. Et puis que de toute façon, c’était
sûrement mieux comme ça parce qu’on décide pas de faire ça pour rien.
Qu’il fallait avoir quelque chose de grave à s’reprocher pour faire ça. Pour
finir comme ça.
ARRET DE JEU
Page 11/32
JH1 Et regarde, y a des sauterelles en train de s’enculer. Regarde j’te dis.
Là au moins il se passe quelque chose d’intéressant. T’avais déjà vu ça ? Je
savais pas que c’était pédé les sauterelles. Tu savais ? Oh, tu savais ? Ca y
est ? T’as réfléchi ? On peut y aller maintenant ?
JH2
Je jouerai plus au foot.
JH1
Mais pourquoi ?
JH2
Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ? Parce que j’ai passé l’âge.
JH1 T’as passé l’âge ? Parce qu’y a un âge pour ça maintenant ? Mon
père il y joue toujours.
JH2
Va jouer avec lui.
JH1 T’es con ou quoi ? J’avais pas aller jouer avec lui. Il me fait déjà chier
toute la journée. Et Zidane ? Il a passé l’âge Zidane ?
JH2
J’ai passé l’âge je te dis.
JH1 On a le même âge et moi j’aime toujours y jouer. Encore plus
qu’avant. Mais y a rien d’autre à faire. Tout le monde joue au foot. Y a que ça
à faire ici, taper dans un ballon.
JH2
« Taper dans un ballon ». C’est pathétique.
JH1
Ca veut dire quoi ?
JH2
Pathétique.
JH1 J’suis pas tétique ok ? Maintenant t’arrête de nous faire chier et tu
viens sur le terrain avec moi. T’es lourd mec. Y se passe quoi merde ? Oh je
sais. Oh ça y est je sais. T’es amoureux. C’est ça, t’es amoureux ? Ce con
est tombé amoureux. T’es amoureux de la meuf du connard du 5éme. J’en
étais sûr. Il va te tuer. Viens taper dans le ballon t’y penseras plus. Tu
préfères qu’on aille se bourrer la gueule ?
JH2
?
Taper dans un ballon, se bourrer la gueule et après ? Fumer un pétard
JH1 Ben ouais. Qu’est-ce que tu veux faire d’autre ? C’est pas la meuf du
connard du 5éme alors ? C’est qui ? La connasse du 2éme ? Me dis pas que
c’est cette connasse. Tu l’as niquée ? Tu l’as pas niquée ? Tout le monde l’a
niquée. Qu’est-ce que t’en a à foutre de cette connasse ? Ok, appelle-la.
Appelle-la, j’te dis. Tu l’appelles, tu la niques et après on va jouer.
JH2
Ok.
JH1
Ok ?
ARRET DE JEU
Page 12/32
JH2
Ok.
JH1
Ok. Appelle-la.
JH2 « Allô. Ça te dit ? De t’faire sauter ? Par contre j’ai que cinq minutes
parce qu’après j’ai foot avec mes potes. »
JH1 Alors ? Qu’est-ce qu’elle a dit ? Elle est d’accord ? Tu l’as pas appelée
? Tu l’as pas appelée. C’est pas à cause de cette connasse ? A cause de qui
alors ? Putain mais t’as quoi ?
JH2
J’ai envie d’être seul.
JH1 Mais si tu restes ici tout seul dans cette zone, tu vas finir par te mettre
une balle. Ca sert à rien de rester seul ou de réfléchir. Ce qui faut, c’est se
vider la tête. On va aller acheter un pack, on va le descendre le plus vite
possible et après on ira…ben on verra.
JH2
Pourquoi on est potes ?
JH1
C’est quoi encore cette question à deux balles ?
JH2
Pourquoi on est potes ?
JH1
Parce qu’on se marre bien ensemble. Sauf maintenant.
JH2
C’est ça pour toi être potes ?
JH1
Ben ouais.
JH2
Quelle merde.
JH1
On se marre pas peut-être ?
JH2 Hyper. On s’éclate grave. T’es mon meilleur pote en fait. Et je me
demande bien pourquoi.
JH1
Faut que tu boives quelque chose là.
JH2
J’ai pas envie. J’ai plus envie.
JH1 T’as plus envie d’boire, t’as plus envie de jouer au foot. Qu’est-ce
qu’elle t’a fait ? File-moi ton portable, je vais l’appeler cette conne. File-moi
ton portable. Tu peux pas rester comme ça. T’es mon meilleur pote. J’veux
pas que tu restes comme ça. File-le moi.
JH2
Va te faire foutre.
JH1
T’as dit quoi là ?
ARRET DE JEU
Page 13/32
JH2
J’ai dit : va te faire foutre.
JH1 C’est à moi que tu dis « vas te faire foutre » ? C’est à moi que tu dis «
va te faire foutre »?
JH2
Tu vois quelqu’un d’autre ?
JH1 Putain, si t’étais pas mon meilleur pote. J’t’aurais déjà défoncé la
gueule.
JH2 Vas-y. J’suis plus ton meilleur pote. Vas-y. défonce moi la gueule.
Allez viens. Pète-moi la gueule. Allez viens, qu’est-ce que t’attends connard
?
JH1 C’est quoi ton putain de problème ? Tu t’es pris la tête avec ta mère ?
A cause du boulot ?
JH2
Quel boulot ?
JH1
A cause du boulot.
JH2
J’ai pas d’boulot.
JH1 Justement. C’est à cause du boulot, c’est ça ? Personne en a ici.
Picoler et jouer au foot, y a que ça à faire.
JH2
Merde.
JH1
On a toujours fait que ça.
JH2
Merde.
JH1 Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse d’autre ? Tu veux lire des livres
c’est ça ? Molière, tu veux lire du Molière ?
JH2
Molière écrit pas de livres, il écrit des pièces de théâtre.
JH1 C’est la même merde. Tu veux qu’on se mate un dvd ? Ca fait des
plombes que t’es là à réfléchir. Tu veux avoir Alzheimer avant l’âge ?
Comme la vielle du 6éme ? T’es vraiment pas drôle.
JH2
Pourquoi tu vas pas les rejoindre,
JH1
J’veux pas jouer sans toi, je te l’ai dit. J’veux pas perdre.
JH2
J’veux plus jouer, c’est clair ?
ARRET DE JEU
Page 14/32
JH1 Ben non justement, c’est pas clair. Faudra que tu m’réexpliques un
peu mieux. Parce que j’ai du mal à capter là. A force de réfléchir, j’ai la tête à
l’envers moi.
JH2
Ok. On arrête de réfléchir. On va jouer.
JH1
Et t’as intérêt à marquer cette fois.
JH2
On va pas jouer au foot.
JH1
Hein ? A quoi alors ? Pas au basket. J’suis trop nul. J’te l’ai dit.
JH2
On va se poser des questions.
JH1 Hein ? On va quoi ? Se poser des questions ? Tu préfères pas qu’on
joue au basket ? Tu veux pas qu’on joue à questions pour un champion
quand même ? On n’a pas l’âge.
JH2 Je vais te poser des questions et toi tu vas répondre. Si tu as tout
juste, on reste potes, sinon…
JH1 Sinon ? Ok, ok. Tu me poses des questions et moi je réponds. Pas
trop difficiles quand même les questions ? Parce que je te préviens : j’suis
nul en géographie et en histoire, et en maths aussi, et en orthographe. Par
contre au foot, j’te prends quand tu veux.
JH2
T’es prêt ?
JH1
Je suis prêt. Et si j’ai tout juste, on va les rejoindre ok ?
JH2
Qu’est-ce que tu fous ici ?
JH1
Ca a commencé ?...Je suis avec mon meilleur pote.
JH2
Ici. Là. Sur cette terre.
JH1
C’est quoi cette question à la con ?
JH2
Pourquoi tu es ici à ton avis ?
JH1 On n’est pas prêt de jouer au foot quoi. Pourquoi ? Qu’est-ce que j’en
sais moi.
JH2
Tu crois que c’est un hasard ?
JH1 Un hasard ? C’est quoi un hasard ? Je suis là parce que je suis là.
Qu’est-ce que tu veux que je réponde à ça ? Je suis là parce que je suis né.
Ca va là ?
JH2
Pourquoi t’es né ?
ARRET DE JEU
Page 15/32
JH1 T’es con ou quoi ? Qu’est-ce que t’as fait l’autre soir avec la conne du
6B ? Et elle avait l’air d’aimer ça vieux sale. C’est comme ça que je suis né.
Comme tout le monde.
JH2
Pourquoi t’es né ?
JH1
Et pourquoi t’es né toi ?
JH2
J’en sais rien.
JH1 On est né pareil alors. On n’a rien demandé. On est là, c’est tout.
Qu’est-ce que ça peut nous foutre de savoir pourquoi. Y a qu’à se démerder
maintenant.
JH2
Tu sais pourquoi tu respires toi ?
JH1
Parce que pas toi ?
JH2
Non.
JH1
Parce que si j’arrête de respirer, je meurs. Voilà pourquoi tu respires.
JH2
Je veux savoir pourquoi.
JH1
Pourquoi quoi ?
JH2
Pourquoi je suis né. Je veux savoir pourquoi.
JH1
Va demander à ta mère pas à moi.
JH2 Elle sait pas ma mère. Elle sait même pas pour elle, comment elle
saurait pour moi.
JH1 T’es sûr que tu veux pas qu’on boive des bières plutôt ? Ou qu’on se
fume un pét’ ?
JH2
Pourquoi tu respires toi ?
JH1
Je te l’ai dit, pour pas mourir.
JH2
Et ça te suffit ?
JH1 Je suis toujours là. Qu’est-ce que t’en as à foutre de savoir pourquoi.
Ce qui compte c’est là, maintenant, ce qu’on va faire.
JH2
Et qu’est-ce qu’on va faire ?
JH1 On va aller faire un foot, après on ira boire des bières, fumer un pèt’.
Et niquer.
ARRET DE JEU
Page 16/32
JH2
Faut que je sache.
JH1
Quoi ?
JH2
Pourquoi je suis là. Ca me suffit plus tout ça.
JH1
Qu’est-ce que tu veux d’autre ?
JH2
Des réponses. J’veux des réponses.
JH1 Te poses pas de questions. Pas d’questions, pas d’réponses. Tu t’en
poseras quand tu seras vieux. Quand t’auras quarante ans. En attendant…
JH2
Ca sera trop tard.
JH1 Trop tard pour quoi ? Faudrait déjà qu’on y arrive en plus. Avec tout ce
qu’on boit et tout ce qu’on fume. Tiens, file-moi une clope.
JH2
J’en n’ai plus.
JH1
T’arrêtes aussi ?
JH2
J’en n’ai plus c’est tout.
JH1
Putain fais chier merde.
JH2
Qu’est-ce qu’on va faire ?
JH1
Viens on va en acheter.
JH2
Qu’est-ce qu’on va faire ?
JH1
En acheter.
JH2
Qu’est ce qu’on va faire ?
JH1
Tu la veux ta réponse ? Alors viens sur le terrain.
JH2
Je resterai là.
JH1
T’es vraiment lourd.
JH2 Tu vois pas que je peux plus bouger ? Que je suis trop lourd, tu le vois
pas ?
JH1 Toi ? T’es épais comme un haricot de chez Lidl. Mais c’est quoi ce
sketch de tarlouze là ? T’as pris de la coc’ ? Qui c’est qui t’a refilé cette
merde ?
ARRET DE JEU
Page 17/32
JH2
J’arrive plus.
JH1
T’arrives plus à quoi nom de Dieu ?
JH2
A avancer.
JH1 J’vais te foutre des coups de pieds au cul moi, et tu vas voir que tu vas
y arriver à avancer. Lève-toi et cours.
JH2
Je peux pas je te dis.
JH1
T’es malade ? T’as une saloperie, c’est ça ?
JH2
Non, je crois pas.
JH1 Fais voir. T’as de la fièvre. Tu veux que j’appelle quelqu’un ? Docteur
House ? Docteur Mamour ?
JH2
Arrête tes conneries.
JH1
T’es pas malade, tu vois bien. Alors lève ton cul…Ok, je t’écoute.
JH2
Ca te le fait jamais ?
JH1
Quoi ?
JH2
De plus pouvoir avancer ?
JH1
Si souvent. Quand j’ai quinze grammes. A chaque fois même.
JH2
Et à jeun ?
JH1
Où ?
JH2
Quand t’as pas bu ?
JH1 Tellement mou que j’peux plus avancer ?...Des fois quand je suis sur
le canapé, devant la télé en train de mater un film ou une connerie. Et là, je
pense à rien, je me sens trop bien. Mais ça dure jamais très longtemps parce
qu’y a toujours quelqu’un pour venir me faire chier. Quand c’est pas ma mère
qui vient m’emmerder avec ses « t’as pas autre chose à foutre », c’est mon
frère qui vient me casser les couilles avec ses « pourquoi » et quand c’est
pas mon frère, c’est mon connard de père qui vient gueuler parce que
j’l’empêche de regarder sa merde. Tu vois, des fois, j’me dis qu’on devrait
faire comme dans cette émission à la con là. Celle où ils échangent leurs
mères. Tu viendrais vivre chez moi et moi j’irai chez ta mère. Et là, je peux te
dire que t’aurais envie d’y jouer au foot. Plutôt deux fois qu’une. Et la nuit
même si tu pouvais. Tu veux qu’on échange nos mères ?
JH2
T’es con.
ARRET DE JEU
Page 18/32
JH1 Ben ouais, je sais. Mon père il me le dit tous les jours. Mais au moins
je sais d’où ça vient. Parce que tu crois que t’es pas con toi ? Assis sur ton
herbe à regarder la mer qu’on voit même pas ? Alors qu’on pourrait s’éclater
sur le terrain avec les autres, comme les autres. T’as vraiment pas envie ?
Qu’est ce que tu veux alors ?
JH2
Ressentir des trucs.
JH1
Ressentir des trucs ? Ca veut dire quoi ça encore ?
JH2
Je veux qu’il se passe des choses.
JH1 Il s’en est bien passé des choses : hier tout va bien, tu marques deux
fois et on finit par les niquer ces fils de putes et aujourd’hui tu veux plus
jouer. Qu’est ce qui s’est passé ?
JH2 Rien, il s’est rien passé. Il se passe jamais rien. Il s’est jamais rien
passé.
JH1 Ok. Tu veux qu’il se passe des choses. Viens. On va aller piquer une
bagnole. On pique une caisse, on fait du rodéo derrière là-bas. Et après on la
crame. Ca te va ? Tu vas en ressentir des trucs, tu peux m’faire confiance…
Qu’est-ce qui t’arrive ?
JH2
J’ai mal.
JH1
T’as mal où ?
JH2
J’ai mal, partout.
JH1
Qu’est ce qu’il faut que je fasse merde ? Dis-moi.
JH2
J’ai mal.
JH1 J’t’avais dit de pas réfléchir. Si tu m’avais écouté. On serait déjà en
train de taper dans le ballon. T’as préféré te trépaner la tête et voilà
maintenant tu t’es pété quelque chose. Où ? Dans le ventre ?
JH2
J’ai mal.
JH1
T’as quoi ?
JH2
J’en sais rien.
JH1 J’suis là. J’suis ton meilleur pote. Il t’arrivera rien. La merde, je suis
pas médecin moi. Oh. Oh. Ohé. Ils sont sourds ces cons ou quoi. Oh. Y en a
pas un qui lèverait la tête. On peut crever la gueule ouverte. Oh. Une bière.
Tu veux une bière ? Il te faut une bière. Je vais te chercher une bière.
ARRET DE JEU
Page 19/32
JH2
Ah.
JH1 Ca va ? Réponds-moi. Au secours. Putain, putain, putain, merde,
merde, putain, merde. Réveille-toi nom de Dieu. Faut pas que tu dormes.
Comment il fait l’autre là déjà à la télé ? Reste avec moi. Qu’est-ce que t’as
pris ? Réponds-moi merde. Me laisse pas. Qu’est-ce que je vais faire sans
toi.
JH2
T’es pédé ou quoi ?
JH1 Merde. Merde, merde. J’vais défoncer la gueule. T’es trop con mec. A
quoi tu joues ?
JH2
« Qu’est-ce que j’vais faire sans toi ? »
JH1
Tu m’as fait peur connard.
JH2
« Me laisse pas. »
JH1 J’ai flippé quoi. T’es vraiment trop con. Si t’étais pas mon meilleur
pote, je t’aurais déjà explosé la gueule. Tu le sais ça ? Je vais te défoncer la
gueule.
JH1 Quand je perds, ça me rend dingue. J’ai envie de tuer tout le monde.
Ca me fait même peur des fois. Je me reconnais plus. Je me dis que si
j’avais un flingue, je serais capable de descendre tout le monde autour. Je
commencerais par mon connard de père. J’arriverais dans le salon,
tranquille. Il verrait même pas que je suis entré. Il serait en train de dormir
sur le canapé, une canette dans une main et la télécommande dans l’autre.
Devant sa merde qu’il regarde tous les soirs. En train de ronfler devant. Et
moi je le réveillerais doucement. « Réveille-toi ». « Réveille-toi ». «
REVEILLE-TOI PUTAIN ». Et là, il ouvrirait un œil et il verrait mon flingue au
bout de ma main et là, peut-être que la télécommande tomberait enfin de sa
putain de main. « Bonne nuit » que je lui dirais et pan. Entre les deux yeux,
comme dans ses films à la con. Tu vas pouvoir ronfler connard. A vie. Tu
viendras plus me faire chier quand je me lève à midi. Parce que ça sert à
quoi de se lever à six heures du matin quand il y a rien à faire avant midi ? Et
quand j’en aurai fini avec lui, je descendrai au 2éme et je buterai ce gros con
avec son clebs. Il nous fera plus chier quand on parle trop fort sous son
putain de balcon. Et j’irai lui rayer sa putain de voiture juste pour le plaisir de
le faire chier encore une fois. Et puis ce sera le tour de ce connard de prof de
maths. Je frapperai chez lui et il fera comme si il me reconnaissait pas alors
qu’il sait très bien qui je suis et qu’il se souvient de tout. Je lui ferais d’abord
bouffer sa putain de calculatrice à la con et après je lui exploserais sa sale
petite gueule de prof de maths de mes deux. Après ça, j’aurais plus qu’à
m’asseoir tranquille peinard à une terrasse et là, j’commanderais une bière.
Une putain de bonne bière que je boirais en attendant qu’ils arrivent. Parce
qu’ils pourront venir après ça. Je m’en fous. Ils pourront venir. Qu’ils
viennent. Mais je ferai jamais ça. D’abord parce que j’ai pas d’flingue et puis
surtout parce que y a ma mère. Et que ça, ça lui ferait pas plaisir à ma mère.
ARRET DE JEU
Page 20/32
Pas que je bute le putain de connard du 2éme ou cet enculé de prof de
maths. Non, que je descende mon père. Ça ça lui ferait pas plaisir. J’pourrais
jamais lui faire ça à ma mère. Alors à la place, j’tape dans un ballon. Et à
chaque fois que je frappe, c’est à lui que je pense, à lui ou à ce putain de
connard de prof de maths, à lui ou à tous les autres.
JHI
Tu m’as fait flipper grave.
JH2
T’en as jamais marre de tout ça ?
JH1
Jamais.
JH2
Tu te dis jamais que la vie ça devrait être autre chose que ça ?
JH1
C’est quoi ça ?
JH2
Ce qu’on vit.
JH1 J’aime ça moi. Passer du temps avec mes potes, taper dans…jouer
au foot. Faire des conneries. Niquer. La liberté.
JH2 C’est ça être libre ?
JH1 Si y avait pas mon père ouais. T’as de la chance. De pas avoir ton
père sur le dos. Toi ta mère, elle te fout la paix. Elle te demande jamais où tu
vas, où tu es, ce que tu fous.
JH2
J’ai de la chance. Tu crois qu’il va où ?
JH1
Qui ?
JH2
L’avion.
JH1
Je m’en tape.
JH2 T’as déjà pris l’avion ? Des fois, j’voudrais l’prendre juste pour voir
comment c’est ailleurs, ce que ça fait de se barrer. De plus revenir.
JH1
Et t’irais où ?
JH2
Je sais pas. L’Amérique.
JH1
J’croyais que t’en avais marre des barres ?
JH2
C’est pas les mêmes.
JH1 Elles sont plus grandes c’est tout. Moi je crois que j’irais au soleil.
Hôtels cinq étoiles, piscines, cocktails, les meufs à moitié à poil à côté de
moi et moi, là, sur mon transat la musique à fond.
JH2
Ca te dit pas de te barrer ?
ARRET DE JEU
Page 21/32
JH1
Où ?
JH2
J’en sais rien. Ailleurs. On prend un avion et on se barre.
JH1
Tous les deux ?
JH2
Tous les deux.
JH1
Et le fric on le trouve où ?
JH2
Y en a partout du fric. Y a qu’à se baisser pour le ramasser.
JH1
Et s’il s’écrase ?
JH2
Qui ?
JH1
L’avion.
JH2
Pourquoi tu veux qu’il s’écrase ?
JH1
J’ai pas envie de mourir.
JH2
Faudra bien qu’ça arrive un jour.
JH1
Ouais mais pas comme ça. Pas avec des gens que je connais pas.
JH2
Je serai là moi, je te donnerai la main.
JH1
Barre-toi. T’es sérieux là ? L’avion, tout ça ?
JH2 Bien sûr que je suis sérieux. On trouve le fric, on achète un billet et on
se casse le plus loin possible. Et surtout, on revient pas.
JH1
Je peux pas faire ça.
JH2
Pourquoi ? Les meufs à oilpé au bord de la piscine, la musique à fond.
JH1 Y a ma mère. Mon frère. Et puis les potes. Je suis bien moi ici. C’est
ma vie quoi. J’ai pas envie d’en changer. Le soleil tout ça, c’était pour dire
quelque chose.
JH2
T’es bien toi ici ?
JH1
Je connais que ça quoi.
JH2
Et t’as pas envie de voir autre chose ?
JH1
Une semaine peut-être ouais, mais pas toute la vie.
ARRET DE JEU
Page 22/32
JH2 Lui, il bougera pas d’ici. Il trouvera peut-être un boulot. Une femme.
Lui fera deux ou trois gosses. Il s’achètera une voiture, une télé. S’en fout de
l’endroit, ce qui compte, c’est que les gosses soient pas trop chiants, qu’on
soit peinard et que la bière soit fraiche. A l’aise dans ses baskets trop chères,
lui, il n’a qu’à regarder les autres pour savoir ce qu’il faut faire, ce qu’il doit
faire. Rester debout, garder les yeux ouverts, avancer, attaquer, défendre, se
défendre. Presque libre. Presque heureux. D’ici, il ne voit rien, tout ce qu’il
voit, c’est que les autres l’attendent. Là, en bas. Sur son terrain. Entourés de
barres si hautes que personne ne pourra jamais l’atteindre. Ce qu’il y a
derrière ? Il sait que ça existe, ça lui suffit. Il sait que c’est pas pour lui.
Qu’est-ce qu’il en ferait de tout ça ? Le soleil peut bien se coucher sur
d’autres horizons, il s’en fout lui. Le sien est ici. Bien à l’abri. Il le connait.
C’est ici qu’il est né. C’est ça l’important. Avancer sans se poser de
questions. Il prendra peut-être l’avion. Une fois. Pour faire comme les autres.
Il continuera à jouer au foot, à taper dans son ballon, seul contre tous. Il
perdra peut-être ses cheveux, prendra sûrement du ventre, vivra. Un jour
peut-être, il reviendra ici, seul, il fixera l’horizon, fermera les yeux, apercevra
la mer et se souviendra. Certains naissent, grandissent, se marient, font des
gosses, les regardent grandir, vieillissent et finissent par mourir. Certains
vivent. Tranquilles.
JH1
T’étais vraiment sérieux ?
JH2
Comment t’aimerais mourir ?
JH1
C’est quoi encore cette question à la con ? Tu crois que j’pense à ça.
JH2
T’y penses jamais ?
JH1
Pourquoi tu veux que j’y pense ?
JH2
Tout le monde meurt, tu le sais ça ?
JH1
Arrête, je veux pas parler de ça.
JH2
T’as peur ?
JH1
T’es con ou quoi ? J’ai pas peur, j’veux pas parler de ça c’est tout.
JH2
T’aimerais mourir comment ?
JH1
Arrête j’te dis. J’ai pas envie de parler de ça. Ça porte malheur.
JH2 Avant ça me faisait peur à moi aussi. Quand j’étais plus petit, j’arrivais
jamais à m’endormir dans le noir. Ma mère, elle laissait toujours la porte du
couloir éclairé. Après le film, elle venait refermer la porte avant d’aller se
coucher, sans faire de bruit. Elle croyait que je dormais. J’attendais toujours
la fin du film avant de dormir, qu’elle vienne la fermer. Et quand elle éteignait
et qu’elle fermait la porte, j’avais l’impression qu’elle refermait mon cercueil.
Je fermais les yeux et là, je pouvais sentir le poids de la terre sur moi. Là.
ARRET DE JEU
Page 23/32
JH1
T’es un grand malade toi.
JH2 Je finissais par m’endormir évidemment. Et le matin, quand je me
réveillais, j’en revenais pas d’être encore là. Encore vivant. J’étais content
mais ça me faisait chier en même temps parce que je savais que le soir
faudrait que je meure encore une fois.
JH1 T’es pas normal mec. Quand je dors moi, je pense à rien et quand je
me réveille, je pense à ce que j’vais bouffer en me levant. Comme tout le
monde.
JH2
Et ça c’est normal ?
JH1 Un peu que c’est normal. Tu m’traites d’anormal ? Tu crois que c’est
normal de penser à la mort tout le temps ?
JH2 Je sais pas si c’est normal. Je dis que j’y pense c’est tout. Tout le
temps.
JH1 T’as qu’à jouer au foot et niquer. Comme ça t’y penseras moins. C’est
comme ça qu’ils font les autres. Tu les as déjà entendus parler de la mort
eux ?
JH2
Ca te fait chier de parler avec moi ?
JH1 Ca me fait pas chier mais je préfère quand on parle de meufs ou de
caisses ou de foot. Mais la mort franchement, ça me fait cher chier. Ca va
que t’es mon pote mais sinon. Tu veux vraiment pas qu’on y aille maintenant
? C’était pas une blague alors ? T’en as vraiment plus rien à battre du foot ?
T’es notre meilleur attaquant merde. Qu’est-ce que j’vais leur dire moi aux
autres ?
JH2
T’as qu’à leur dire qu’j’veux plus attaquer. Que je peux plus.
JH1 Tu veux être en défense ? Pas de problème. J’te laisse ma place. J’en
avais marre d’être toujours à l’arrière. On va pas rouiller ici toute la journée à
regarder les avions passer et les sauterelles s’enculer. Faudra bien qu’on
redescende quand même.
JH2
Vas-y.
JH1 Et tu vas rester ici comme un con ? T’as plus besoin de réfléchir là.
J’ai répondu à tes questions merde.
JH2
T’as pas répondu.
JH1
Qu’est-ce que j’ai pas répondu ?
JH2
Pourquoi t’es là.
ARRET DE JEU
Page 24/32
JH1 Putain non, tu vas pas recommencer. J’en sais rien. J’en sais foutre
rien pourquoi je suis là. Mais je suis là. Et j’m’en tape même si tu veux tout
savoir. J’y suis, j’y reste.
JH2
Comment tu fais ?
JH1 J’en sais rien. Je me pose pas de questions à la con, c’est tout. Tu
crois qu’on a le choix ?
JH2
Je crois ouais.
JH1
Ah ouais ? Vas-y, dis-moi quel choix tu as toi ?
JH2
Rester ou pas. On a toujours le choix.
JH1 On a le choix ? Super. Tu l’as ta réponse. On peut y aller maintenant ?
Tu fais chier avec tes questions à la con.
JH2
Barre-toi, je t’ai rien demandé.
JH1
« Pourquoi t’es là ? » T’arrêtes pas de me demander.
JH2
Mais t’as pas répondu.
JH1 Tu sais pourquoi t’es là ? Pour me casser les couilles et tu y arrives
trop. On y va oui ou merde ? Tu vas lever ton cul de là ou…
JH2
Ou ?
JH1
Lève ton cul.
JH2
Ou ?
JH1
Lève ton cul.
JH2
Ou ?
JH1 Tu vas le lever putain… Ok, on reste là. On va parler de la mort en
attendant le coucher du soleil au dessus de la mer qu’on voit pas sauf quand
on ferme les yeux…Et il se couche à quelle heure ton soleil de merde ?
JH2
J’en sais rien.
JH1 Quel con. Pourquoi j’demande. Il sait pas bien sûr. Tu sais jamais rien
toi. Sinon tu poserais pas toutes ces questions. Pourquoi ? Pourquoi ?
Pourquoi ? Du matin jusqu’au soir. Pourquoi ? On dirait mon petit frère mais
lui, il a cinq ans. Cinq ans. Tu piges mec ? J’crois que tu m’redis encore une
fois pourquoi, je t’éclate la tête…Rassure-moi, on va quand même finir par y
retourner en bas ?... Ok. Tu veux qu’on fasse quoi ? Parce que là, on a l’air
ARRET DE JEU
Page 25/32
plutôt con là, assis tous les deux à regarder droit devant… Qu’est-ce que tu
regardes toi ? Parce que moi, j’en sais foutre rien. Y a rien à voir… Et si on
allait chez toi ? Se mater un film de boules ? Un film alors ? N’importe
lequel… On va pas rouiller ici toute la journée… Rien à voir, rien à faire, rien
qu’à se faire chier… J’y vais moi. J’te préviens, je me casse. J’vais les
rejoindre. Et je vais leur dire que tu veux plus jouer et que tu les emmerdes…
Et t’as pas intérêt à te repointer mec. Parce que je sais moi, ce qui va
s’passer : tu vas tellement te faire chier que dans une heure tu seras en bas
sur le terrain, la queue entre la jambe, à nous supplier de te reprendre dans
l’équipe. Tu pourras aller te faire foutre toi et tes questions de merde. Tu
veux continuer à te faire chier ? Vas-y fais toi bien chier tout seul. Mais
faudra pas te plaindre après. Salut, j’me casse. Parce que je me casse là.
Parce que moi, le foot, j’adore ça, et que j’ai pas envie de me faire chier à
regarder pousser cette putain d’herbe qui pue. Mais putain qu’est-ce qu’elle a
cette putain d’herbe ? Y a la même sur le terrain… Me regarde pas comme
ça. Me regarde pas comme ça ou je t’éclate. Me regarde pas comme ça. J’te
jure que j’vais te défoncer. Me regarde pas… Mais t’as quoi merde ?
JH2
J’ai envie de voir la mer.
JH1
La mère à qui ?
JH2
La mer, l’océan. La mer.
JH1 C’est quoi encore cette connerie ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre de la
mer ? C’est à cinq cents bornes en plus.
JH2
Je l’ai jamais vue.
JH1 Moi non plus je l’ai jamais vue. Qu’est-ce qu’on en a à battre ? On a la
piscine juste derrière. Tu veux la voir ta mer ? Ok, on va louer ce film à la con
là, avec les dauphins.
JH2
J’veux la voir en vrai.
JH1
Pourquoi faire ? Tu sais même pas nager.
JH2
C’est pas pour nager.
JH1 C’est pas pour nager ? Oh le con. Tu veux pas dire que c’est juste
pour t’asseoir devant ?
JH2
Et attendre que le soleil se couche.
JH1 Le revoilà avec son soleil de merde. Qu’est-ce qu’on en a à foutre du
soleil qui va se coucher ? Il se couche tous les soirs ton soleil. Ici, là-bas, en
Amérique, sur la mer, l’océan, la piscine, sur le parking, sur le terrain. C’est
le même partout. Tu m’emmerdes avec ton soleil. Et la lune, tu veux aussi la
voir la lune quand elle se couche ?
ARRET DE JEU
Page 26/32
JH2 Avant ça m’empêchait de dormir, maintenant ça m’empêche de
bouger.
JH1
Mais quoi putain ?
JH2
Toutes ces questions.
JH1 Pourquoi tu te les poses ? Hier tu t’en posais pas des questions ?
Quand tu jouais au foot ? Hier soir avec la connasse du 6B, tu t’en posais
pas des questions ? Si ?... Mais c’est normal, ça. De se poser des questions.
Moi aussi je m’en pose des questions. C’est pas les mêmes c’est tout.
JH2 Cette nuit j’ai rêvé que j’étais un poisson. Je tournais en rond dans un
bocal. Y’avait des cailloux au fond et puis un arbre en plastique. Un palmier.
Et moi je tournais. Comme un con. Comme un poisson rouge dans son
bocal. Et puis j’en ai eu marre de tourner autour de mon palmier en plastique
alors j’ai pris mon élan et j’ai sauté et je me suis retrouvé par terre sur la
moquette. Couché sur le côté. Je sautais dans tous les sens. Je voulais pas
retourner dans mon bocal mais je savais bien que si je restais là, j’allais
crever. Je le savais. J’allais manquer d’air. Et personne pour me remettre à
l’eau. Je pouvais pas crier, appeler au secours. Forcément j’étais un poisson.
Je savais que j’allais mourir, cette fois j’en étais sûr. J’étais là sur la
moquette, les yeux grands ouverts et j’attendais. J’attendais qu’elle vienne.
Comme un con. Comme un poisson hors de l’eau. Je bougeais plus parce
que je savais que si je bougeais, je manquerais d’air encore plus vite. Je
voyais mon bocal, là, au dessus de moi et je me demandais comment j’allais
bien pouvoir faire pour retourner dedans mais je me disais aussi qu’il fallait
pas que j’y retourne. Que j’allais crever de toute façon. A force de tourner en
rond. Alors j’ai regardé autour de moi et j’ai vu que tout le monde me
regardait crever. Ma mère, toi, les autres, que vous étiez tous là à me
regarder crever, tout seul sur ma moquette. Sans rien faire, sans rien dire.
JH1 Un poisson ? Un poisson rouge ? Là c’est grave. T’es pas un poisson.
T’es un mec, mec. T’as des jambes, des bras, des couilles. Tu vois des
nageoires et des machins là pour respirer ? T’es un putain de mec alors lèvetoi et bouge ton cul. Tu veux de l’eau c’est ça ? Viens, on va aller à la
piscine, tu vas faire trempette et tout rentrera dans l’ordre.
JH2
J’me suis réveillé et là, j’arrivais plus à respirer.
JH1 T’es tombé de ton lit. C’est ça ? T’es tombé de ton de lit. Fais-voir. Tu
dois avoir une bosse, quelque chose. T’es tombé, ça se voit pas comme ça
mais dedans ça doit être la zone. C’est comme ça que ma grand-mère elle
est morte. Elle est tombée pendant la nuit et deux mois après elle était
morte. Y avait un truc qui avait pété dans sa tête et personne s’en était
aperçu parce que le lendemain qu’elle était tombée, elle allait super bien.
Faut pas attendre, on va aller chez le toubib et il va regarder. Tu t’es
sûrement pété un truc. C’est pour ça que t’es comme ça. Ma grand-mère
après elle allait super bien sauf qu’après, quand elle faisait cuire du riz elle
oubliait de mettre l’eau ou que quand elle se lavait elle oubliait le savon.
ARRET DE JEU
Page 27/32
Tout le monde disait « c’est pas grave, elle est vieille, elle perd la tête
comme toutes les vieilles », mais en fait, c’était à cause de son lit. Quand elle
était tombée. Faut-y aller.
JH2
Je suis pas tombé d’mon lit.
JH1 T’es pas tombé de ton lit. Ok, t’es pas tombé de ton lit mais t’es pas
un poisson ok ? Alors tu vas bouger ton cul. Tu vas me suivre et redescendre
sur ce putain de terrain avec les autres et tu vas marquer des buts. Parce
que c’est pour ça qu’t’es ici : pour marquer des buts et faire gagner ta putain
d’équipe qui gagnera jamais sans toi. Tu vas le bouger oui. Tu m’entends ?
Lève-toi. Lève-toi je te dis. Tu vas… (JH2 pointe une arme sur lui)
Pour obtenir la fin du texte, veuillez contacter directement l’auteur à
son adresse courriel : [email protected]
ARRET DE JEU
Page 28/32