L`humour comme porte-voix d`une identité

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L`humour comme porte-voix d`une identité
L'humour comme porte-voix d'une identité
Extrait du Chez Albert | L'actualité vue de Marseille | Gros, demi-gros, détail
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Matières à rire
L'humour comme porte-voix
d'une identité
- Feuilletons - Marseille, blagues à part -
Date de mise en ligne : lundi 12 décembre 2011
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L'humour comme porte-voix d'une identité
Nelly Quemener, docteur en science de l'information et de la communication et enseignante
au King's College de Londres.
Médéric Gasquet-Cyrus [1], docteur en sociolinguistique, Université d'Aix-en-Provence.
Quels sont les caractéristiques de l'humour marseillais ?
Médéric Gasquet-Cyrus : Je dirais qu'il mêle le langage et l'esprit. Le langage, ça peut passer par la langue
provençale, le français de Marseille, par des expressions. L'esprit, ça va être l'exagération, l'autodérision, beaucoup,
et aussi une forme d'agressivité envers l'autre.
Nelly Quéméner : On est dans un humour régional, je le rapproche de l'humour porté par des comiques comme
Dany Boon ou Mado la Niçoise, qui met l'accent sur des spécificités locales, un accent très fort. C'est un humour qui
parle beaucoup d'identité, notamment régionale, un genre réactivé notamment par des films comme Bienvenu chez
les Chtis. D'ailleurs, le fait que Patrick Bosso joue dans ce film n'est pas anodin.
Nelly Quéméner, vous avez travaillé, pour votre thèse, sur la montée des humoristes femmes et des
humoristes issus des minorités ethnoraciales à la télévision. En quoi ce comique régional s'inscrit-il dans
cette tendance ?
N.Q. : A partir des années 90, des humoristes issues de communautés ethno-raciales et des femmes sont apparus à
la télévision. Jusque là, il n'avait que peu de visibilité. Cela s'est fait via les talk shows, qui ont été une arène de jeu
pour ces humoristes qui ont amené des thématiques comme le genre, le racisme, des question qui n'étaient pas
traités de cette façon avant : On n'est plus dans un comique à la Coluche et Le Luron, où on se base sur la
caricature verbale. On est plus dans le récit de soi, un acteur ou une actrice vient nous présenter sa vision du
monde. Un peu comme Patrick Bosso, qui joue pas mal sur un personnage un peu caricatural pour raconter d'où il
vient.
En revendiquant son identité régionale, le comique marseillais s'inscrit donc parfaiement dans cet humour
contemporain...
N.Q. : On est donc dans la création d'une identité locale. Bosso raconte sa vision du monde marseillais et c'est ça
qui fonctionne : il y a une proximité avec son personnage, ce n'est pas une caricature désincarnée. A un moment où
la notion identitaire est devenue centrale dans l'humour, ça a renforcé cette part identitaire. Ce qui fait la particularité
de Bosso ou Mado, c'est qu'ils vont être défini par leur appartenance régionale. A l'inverse, ce mouvement a amené
d'autres humoristes à gommer leurs spécificités régionales, comme Titof, par exemple.
Mais à force de revendiquer cet identité, n'y a-t-il pas un risque de tomber dans la caricature de soi ?
N.Q. : A travers cette mise en scène identitaire, il y a la possibilité d'une identification. On retrouve des codes
culturels qui lui sont propre. A l'inverse, il est vrai qu'en même temps qu'on revendique une identité, on recrée des
clichés et on reprend des stéréotypes.
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L'humour comme porte-voix d'une identité
M. G-C : Tourner le dos aux stéréotypes, c'est ne pas prendre en compte la réalité. A Marseille, y a des cacous, y a
des cagoles, y a l'OM. La finesse d'un comique, c'est d'arriver à en jouer sans que ça constitue le seul fonds de
commerce. Et certains y arrivent vraiment. Donc, répliquer la réalité, ce n'est pas drôle, ça l'est bien plus de voir un
vrai rigolo dans un bar ou une vrai cagole qu'un mauvais imitateur. Mais un humoristes qui, en campant un
personnage comme cela, arriverait à en tirer quelque chose de plus subtil, ça c'est intéressant.
Quels sont les tendances qui se dessinent pour demain ?
N.Q. : On revient à des chroniqueurs type Anne Roumanoff ou Stéphane Guillon. C'est un humour très chansonnier,
on revient à des formes très traditionnelles. On s'éloigne de l'humoriste qui parle de soi. On ne les connaît pas, eux.
Cela a commencé avec la campagne présidentielle de 2007. Il y avait une accroche facile, un candidat et une
candidate, et des personnages nouveaux qui prêtaient à un jeu d'humour. C'est donc un renouveau conservateur.
Même au sein du Jamel Comedy Club, cette notion d'identité ethno-raciale a évolué : on est plutôt sur une
multiplicité de territoires identitaire. La question des identités régionales est aussi posée à travers notamment Radi,
qui se présente comme un musulman du Pas-de-Calais. Mais cette multiplication des ressorts identitaires fait que
l'on est dans une dispersion extrême : du coup, on ne voit pas trop où cela nous mène.
Comment notre humour régional peut-il s'inscrire dans cette tendance ?
N.Q. : Il y aura toujours une diversité régionale dans l'humour, je ne vois pas l'humour du sud disparaître. Mais je ne
suis pas sûre qu'il ait le devant de la scène ces prochaines années. Ceci dit, il y a tellement de reconfiguration des
modes d'identification que le régionalisme peut redevenir primordial.
M.G-C : L'esprit marseillais, ce n'est pas un esprit régionaliste. C'est un esprit ouvert, curieux, taquin, inventif. Y en a
de partout dans le monde, des gens qui comme ça, ont une façon de voir le monde. Y a une universalité de l'esprit
marseillais auquel je crois.
[1] Médéric Gasquet-Cyrus intervient également dans l'émission Chez Albert, diffusé le dimanche à 10h30 sur Radio Grenouille et disponible dès
le vendredi soir sur le site d'Albert
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