Rice et al. c. Agence du revenu du Québec et al. (235 Ko)

Transcription

Rice et al. c. Agence du revenu du Québec et al. (235 Ko)
COUR D’APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
GREFFE DE MONTRÉAL
N° :
DATE :
500-09-024124-133
(500-05-006143-943)
(500-17-058614-101)
(500-17-066353-114)
21 AVRIL 2016
CORAM : LES HONORABLES NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
ALLAN R. HILTON, J.C.A.
JEAN BOUCHARD, J.C.A.
N° : 500-05-006143-943
JOHN LOUIS STEVEN RICE
WALLACE STACEY
APPELANTS – Demandeurs
c.
L'AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA
INTIMÉES - Défenderesses
et
SYLVIA GRÉGOIRE THOMAS
DONNA DE LARONDE
LEAH DIOME
BOBBIJO DELORMIER
DEBRA GOODLEAF
SHEILA LAZARE
JOHN McCOMBER
LEE JACOBS
DEREK WHITE
APPELANTS – Intervenants
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PAGE : 2
N° : 500-17-058614-101
SYLVIA GRÉGOIRE THOMAS
DONNA DE LARONDE
LEAH DIOME
APPELANTES – Demanderesses
c.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA
INTIMÉS – Défendeurs
N° : 500-17-066353-114
BOBBIJO DELORMIER
DEBRA GOODLEAF
LEE JACOBS
SHEILA LAZARE
JOHN McCOMBER
DEREK WHITE
APPELANTS – Demandeurs
c.
LE SOUS-MINISTRE DU REVENU DU QUÉBEC
L'AGENCE DU REVENU DU QUÉBEC
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA
INTIMÉS – Défendeurs
ARRÊT
[1]
Les appelants détiennent le statut d’Indiens au sens de la Loi sur les Indiens1. Ils
se pourvoient contre un jugement rendu le 5 décembre 2013 par la Cour supérieure,
district de Montréal (l’honorable Louis Crête)2, qui a rejeté trois requêtes pour jugement
déclaratoire par lesquelles ils recherchaient à être exemptés de l’obligation de percevoir
1
2
Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), c. I-5.
Leclaire c. Agence du revenu du Québec, J.E. 2014-13 (C.S.), 2013 QCCS 6083 [Jugement dont
appel].
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différentes taxes lors de ventes de carburants et de les remettre au ministre du Revenu,
invoquant des droits d’ordre constitutionnel et des motifs fondés sur la Loi sur les
Indiens.
1-
Le contexte3
[2]
Le litige qui oppose les appelants, des Mohawks propriétaires de stations-service
situées dans la réserve de Kahnawake, à l’Agence du revenu du Québec (ARQ) et aux
procureurs généraux du Québec (PGQ) et du Canada (PGC) remonte à une vingtaine
d’années. Il découle de l’adoption par le Parlement canadien de la taxe sur les produits
et services (TPS)4 en 1990, et de l’adoption de la taxe de vente du Québec (TVQ)5 par
la législature provinciale l’année suivante. Selon une entente fédérale-provinciale
intervenue le 29 décembre 1990, le gouvernement du Canada a confié la responsabilité
de l’administration et de la perception de la TPS au gouvernement du Québec6. Il faut
rappeler qu’une taxe provinciale sur les carburants existe depuis 19247.
[3]
La réserve de Kahnawake compte une population de près de dix mille Indiens8.
Une vingtaine de détaillants de carburants sont en activité sur la réserve. Celle-ci est
ceinturée d’importants axes routiers sur lesquels circulent annuellement environ 28
millions d’automobilistes. Ceux-ci ne sont pas des Indiens pour la grande majorité. Ils
achètent de l’essence dans les stations-service situées aux limites de la réserve. Ils font
des économies en comparaison des prix demandés dans les municipalités
environnantes. Cette économie résulte du fait que les détaillants de Kahnawake ne
perçoivent pas les taxes applicables lorsqu’ils vendent de l’essence.
[4]
Les consommateurs qui vivent dans une réserve et qui jouissent du statut
d’Indiens sont exemptés de payer ces taxes aux termes de l’article 87 de la Loi sur les
Indiens. En revanche, les autres clients sont tenus au paiement de ces taxes. Selon les
lois fiscales, les appelants ont l’obligation de percevoir auprès des consommateurs les
taxes applicables et de les remettre au ministre du Revenu, à titre de mandataires de
l’État. Pour leur part, les détaillants indiens qui achètent des carburants chez leurs
fournisseurs ne paient pas la TPS ni la TVQ sur les carburants livrés sur la réserve. Par
contre, ils paient un montant égal à la taxe sur les carburants, montant qui est
compensé lors de la vente au détail.
3
4
5
6
7
8
Les faits sont décrits par le juge dans la partie III de son jugement. Les appelants souscrivent à son
exposé, de sorte qu’un résumé suffit ici.
Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), c. E-15, Partie IX (art. 122 et suivants).
Loi sur la taxe de vente du Québec, RLRQ, c. T-0.1.
Décret 1274-90 concernant la signature d’une entente fédérale-provinciale sur le transfert au Québec
de l’administration de la TPS fédérale sur le territoire du Québec et sur une certaine harmonisation du
régime provincial des taxes à la consommation, (1991) G.O. II, 24. Jusqu’au 1er avril 2010,
l’administration de la TPS et de la TVQ était la responsabilité du ministre du Revenu du Québec. À
cette date, elle a été confiée à l’intimée Agence du Revenu du Québec (ARQ).
Il s’agit de l’actuelle Loi concernant la taxe sur les carburants, RLRQ, c. T-1.
Le mot Indien est utilisé lorsque le droit ou l’exemption revendiqués sont liés au statut d’Indien
découlant de la Loi sur les Indiens.
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[5]
Au printemps 1994, le ministre du Revenu, s’estimant privé d’entrées de fonds
importantes en raison du défaut des appelants de prélever et de lui remettre les
différentes taxes, a signifié des avis de cotisation à une douzaine de détaillants pour
récupérer les taxes que ceux-ci auraient dû percevoir et lui remettre. Devant leur refus
d’obtempérer, le ministre a révoqué leurs certificats d’inscription. Cette révocation a eu
pour effet d’empêcher les commerçants visés de continuer à s’approvisionner en
produits pétroliers auprès de leurs fournisseurs situés hors réserve et, par conséquent,
de poursuivre leurs activités commerciales.
[6]
Les commerçants ont répliqué, le 31 mai 1994, avec une première requête pour
jugement déclaratoire. Ils recherchaient principalement à faire reconnaître que, en leur
qualité d’Indiens, ils n’ont aucune obligation d’agir comme percepteurs des taxes de
vente fédérales et provinciales. Ils demandaient ainsi que leur soient déclarées
inopposables certaines dispositions de la Loi sur les Indiens, de la Loi sur la taxe
d’accise, de la Loi sur la taxe de vente du Québec et de la Loi concernant la taxe sur les
carburants. La requête faisait état des droits ancestraux des appelants, mais elle
n’invoquait pas l’existence de droits commerciaux fondés sur la Proclamation royale de
17639. La requête était accompagnée d’une demande d’ordonnance de sauvegarde
visant notamment à surseoir aux avis de cotisations, aux révocations des certificats
d’inscription et à l’ordre donné aux fournisseurs de produits pétroliers de ne plus les
approvisionner en carburants.
[7]
Ces demandes conservatoires ont été accueillies par la juge Danielle Grenier le
17 juin 199410, conditionnellement à ce que les appelants se plient aux exigences de la
loi pour la perception et la remise au ministre du Revenu des taxes imposées aux
consommateurs non indiens.
[8]
À la suite de ce jugement, les appelants ont continué à exploiter leurs
commerces. Ils n’ont pas respecté la condition imposée par le jugement interlocutoire
de la juge Grenier. Certains ont omis de percevoir et de remettre au ministre du Revenu
les taxes qu’ils avaient l’obligation de percevoir auprès de la clientèle non indienne.
D’autres ont perçu et remis des montants symboliques ou nettement inférieurs aux
ventes réelles effectuées à cette clientèle.
[9]
Le dossier est demeuré inactif pendant des années11. En 2006, des propriétaires
de stations-service des municipalités avoisinantes de la réserve se sont plaints de
concurrence déloyale de la part des détaillants situés sur la réserve. Après une
enquête, l’ARQ a cotisé les appelantes Thomas et autres entre décembre 2009 et mars
2010. Celles-ci ont signifié la deuxième requête pour jugement déclaratoire. En juin
2011, les appelants Delorimier et autres, qui n’ont pas été cotisés, ont signifié la
troisième requête pour jugement déclaratoire.
9
10
11
Le juge résume les conclusions recherchées initialement au paragr. 37 du jugement dont appel.
Leclaire c. Québec (Procureur général), J.E. 94-1301 (C.S.).
Sauf en ce qui concerne une requête en péremption d’instance accueillie en octobre 2004, jugement
dont les intimés se sont désistés le 27 mai 2005.
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[10] Le PGQ a déposé une requête pour directives le 24 février 2009. Cette
procédure a entraîné une réaction des appelants. Ils ont soulevé de nouveaux
arguments au soutien de leur droit de commercer librement, sans entraves et sans
restriction. Ce droit serait fondé sur la Proclamation royale de 1763 et sur un droit
ancestral au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 198212. Les appelants
réitèrent aussi les arguments invoqués dans la requête originale, et fondés sur le
paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 186713 et sur l’exemption de taxes
prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.
[11] La requête introductive d’instance a été amendée à six reprises entre 1994 et
2013. Dans leur cinquième requête amendée, datée du 7 décembre 2012, les appelants
ont ajouté des moyens relatifs à l’inopposabilité des mesures budgétaires adoptées par
l’État québécois en 2011, et visant à faire profiter les Indiens vivant dans les réserves
situées au Québec d’une exemption de payer la taxe sur les carburants achetés, et ce,
directement à la pompe. Il convient de décrire sommairement ces mesures et le
contexte ayant mené à leur adoption.
[12] En 2007, le Grand Chef de l’Association des Premières Nations du Québec et du
Labrador, M. Ghislain Picard, a été autorisé à intenter un recours collectif au nom de
tous les Indiens de la province14. Ce recours visait à faire déclarer inopérant le
mécanisme de remboursement de la taxe sur les carburants prévu aux articles 2, 3 et
10.2 de la Loi concernant la taxe sur les carburants et à son règlement d’application,
pour le motif qu’il est contraire à l’exemption de taxes prévue à l’article 87 de la Loi sur
les Indiens. À cette époque, les Indiens devaient payer la taxe sur les carburants au
moment de l’achat, mais ils bénéficiaient du droit d’en réclamer le remboursement au
moyen du formulaire requis. Peu d’Indiens se prévalaient de ce mécanisme, qu’ils
jugeaient trop complexe.
[13] Le recours collectif n’a pas procédé au fond. Il a fait l’objet d’une transaction
entérinée par le tribunal en décembre 2011. Un montant de 24 600 000 $ a été versé en
guise de réparation pour les taxes sur les carburants payées avant le 30 juin 201115.
[14] Pour éviter un litige similaire après le 30 juin 2011, le ministère des Finances et
l’ARQ ont conçu des mesures visant à faire bénéficier les Indiens de l’exemption de
payer la taxe sur les carburants, et ce, au moment où ils achètent l’essence sur la
réserve. Le Programme de gestion de l’exemption fiscale des Indiens16, en vigueur
depuis le 1er juillet 2011, prévoit notamment que : 1- les Indiens désirant bénéficier du
12
13
14
15
16
Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982,
c. 11.
Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 & 31 Vict., c. 3.
Picard c. Québec (Procureur général), J.E. 2007-1053 (C.S.), 2007 QCCS 2122.
La transaction a été entérinée le 9 décembre 2011 (jugement rectifié le 13 janvier 2012) : Picard c.
Québec (Procureur général), [2012] 2 C.N.L.R. 172 (C.S.), 2011 QCCS 7095.
Loi donnant suite au discours sur le budget du 17 mars 2011 et modifiant diverses dispositions
législatives, L.Q. 2011, c. 34.
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programme d’exemption à la pompe doivent s’inscrire auprès de l’ARQ au moyen du
formulaire requis et 2- l’attestation d’inscription au programme doit être présentée au
détaillant au moment de l’achat avec le certificat de statut d’Indien sinon le
consommateur ne peut bénéficier de l’exemption au moment de l’achat et il doit alors
faire une demande de remboursement, comme sous l’ancien régime17.
[15] Ces nouvelles mesures imposent aussi un certain nombre d’obligations aux
détaillants. Ceux-ci doivent notamment :1- tenir un registre des ventes au détail
effectuées aux Indiens18; 2- vérifier au moment de la vente l’identité du consommateur
au moyen de son certificat de statut d’Indien et la validité de son attestation d’inscription
au programme d’exemption19 et 3- produire mensuellement une déclaration de leurs
achats et ventes pour obtenir le remboursement du montant égal à la taxe sur les
carburants versé à leurs fournisseurs à l’égard des carburants vendus au détail en
exemption de la taxe sur les carburants.
[16] Finalement, une autre mesure d’assouplissement permet au détaillant d’acheter
un pourcentage de ses carburants sans que le montant égal à la taxe sur les carburants
soit perçu par le grossiste, par dérogation à l’article 2 de la Loi concernant la taxe sur
les carburants. Ce pourcentage représente la quantité des carburants
vraisemblablement vendue à des Indiens ou à des conseils de bande.
[17] Ce programme de gestion de l’exemption fiscale est facultatif, tant pour les
consommateurs que pour les détaillants. Aucun des appelants n’y a adhéré, de sorte
que les Indiens ne peuvent bénéficier de l’exemption du paiement de la taxe sur les
carburants à la pompe.
[18] La sixième requête amendée, datée du 7 février 2013, a cimenté le débat
tranché en première instance. Les appelants ont proposé divers moyens, que le juge
résume de la façon suivante :
17
18
19
1)
Les requérants, d’origine autochtone, bénéficient-ils du droit ancestral de
commercer librement et sans entraves, compte tenu des activités
d’échange qu’ils exerçaient avant le contact avec les Européens?
2)
Les requérants ont-ils un droit constitutionnellement garanti par les
articles 25 et 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 de commercer
librement et sans restriction en raison des assurances qui leur ont été
données dans la Proclamation royale de 1763?
Loi concernant la taxe sur les carburants, supra, note 7, art. 12.1 et Règlement d’application de la Loi
concernant la taxe sur les carburants, RLRQ c. T-1, r. 1, art. 12.1R1.
Loi concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 17.3 et Règlement d’application de la Loi
concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 17.3R1.
Loi concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 10.2.1 et Règlement d’application de la Loi
concernant la taxe sur les carburants, ibid., art. 10.2.1R1.
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3)
Le transfert de compétence de l’autorité fédérale au profit de l’autorité
provinciale en matière de perception de la TPS est-il constitutionnellement
invalide dans la mesure où le Québec prétendrait appliquer ses règles de
perception des taxes de vente d’une manière qui violerait le principe du
partage de compétence établi par la Loi constitutionnelle de 1867?
4)
L’obligation de perception des taxes à la consommation et les
mécanismes mis en place par les législations fédérale et provinciale fontils en sorte d’anéantir le droit des Indiens de ne pas être soumis à la
taxation sur leurs réserves?
5)
Les deux ordres de gouvernement, fédéral et provincial, ont-ils manqué à
leurs devoirs d’agir honorablement à l’égard des requérants en négligeant
notamment de les consulter avant d’adopter les règles fiscales que les
gouvernements prétendent imposer aux commerçants indiens affectés
par les présentes procédures?
6)
Les diverses réclamations de taxes par l’Agence du revenu du Québec à
l’égard des requérants sont-elles prescrites?20
[19] Le juge a répondu négativement à ces questions. Les moyens relatifs à
l’obligation de la Couronne d’agir honorablement (question nº 5) et à la prescription des
réclamations (question nº 6) ne sont pas repris en appel. En ce qui concerne le
troisième moyen, les appelants limitent leur contestation à l’invalidité du mécanisme
d’exemption à la pompe adopté en 2011.
2-
Le jugement de première instance
[20] Voici comment le juge statue sur les questions soumises par les parties et
pertinentes à l'appel.
Sur l’existence d’un droit ancestral de commercer librement et sans entraves
(paragraphes 136 à 183)
[21] Après avoir caractérisé le droit revendiqué par les appelants et analysé la
preuve, le juge conclut que les échanges faits à l’intérieur des nations iroquoises –
essentiellement des objets à valeur spirituelle troqués à des fins rituelles, sociales ou
diplomatiques – n’avaient aucun caractère commercial, de sorte qu’il est impossible de
conclure à l’existence d’un droit ancestral de cette nature. Selon lui, le droit
éminemment commercial réclamé par les appelants ne constituait pas une activité
faisant partie intégrante de la culture distinctive des Mohawks avant le contact avec les
Européens. Conséquemment, les prétentions des appelants constituent une extension
indéfendable d’activités secondaires d’échanges entre nations autochtones.
20
Voir le paragraphe 135 du jugement dont appel.
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Sur l’argument fondé sur le droit de commercer librement reconnu aux autochtones par
la Proclamation royale de 1763 (paragraphes 184 à 275)
[22] Le juge décide que le contexte historique de ce document et son interprétation
ne lui permettent pas de conclure qu’il leur a conféré le droit de commercer librement et
sans entraves, et ce, d’autant plus que la Proclamation royale n’a aucune force
constitutionnelle contraignante et qu’elle ne constitue pas une source autonome de
droits autochtones.
[23] Son étude du texte et des sources historiques l’amène à conclure que la
Proclamation royale reflète l’intention de la Couronne anglaise de rétablir le commerce
normalement après la guerre, en éliminant les pratiques monopolistiques des Français,
en établissant des relations harmonieuses avec les autochtones et en les protégeant
contre la cupidité des Européens.
Sur la validité constitutionnelle du mécanisme provincial d’exemption à la pompe adopté
en 2011 (paragraphes 297 à 306)
[24] Le juge est d’avis que ce mécanisme n’enfreint pas le paragraphe 91(24) de la
Loi constitutionnelle de 1867 et qu’il n’est pas ultra vires de la législature provinciale,
dans la mesure où l’indianité proprement dite et le statut d’Indien des appelants ne sont
nullement affectés par les mesures législatives et administratives mises en place.
Sur l’argument selon lequel l’obligation de percevoir les taxes fédérales et provinciales
et les mécanismes mis en place ont pour effet d’anéantir le droit des Indiens de ne pas
être soumis à la taxation sur leurs réserves (paragraphes 307 à 380)
[25] Le juge écrit que ce n’est pas en tant que consommateurs que les lois fiscales en
cause imposent des obligations, mais bien en tant que marchands faisant le commerce
de fournitures taxables. Or, à titre de marchands, ils ne sont pas eux-mêmes assujettis
au paiement des taxes. Ils ont plutôt l’obligation d’agir à titre de mandataires des
autorités fiscales aux fins de perception des taxes à la consommation auprès de leurs
clients non indiens et ils ne bénéficient pas de l’exemption prévue aux articles 87 et 89
de la Loi sur les Indiens.
[26] Il ajoute que, sur le plan des obligations qui incombent aux vendeurs de produits
taxables, les appelants sont assujettis aux mêmes règles que tous les autres vendeurs
au Québec et au Canada et qu’ils ne subissent pas un fardeau administratif indu et
exorbitant du fait qu’ils doivent s’assurer d’accorder aux Indiens l’exemption fiscale à
laquelle ceux-ci ont droit, tout en continuant de percevoir les taxes applicables aux
ventes effectuées auprès des autres consommateurs.
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3-
PAGE : 9
L’analyse
[27] Les appelants reprennent en appel leurs arguments d’ordre constitutionnel et
leurs moyens fondés sur les droits dont ils bénéficient aux termes des articles 87 et 89
de la Loi sur les Indiens. Ils proposent des moyens liés aux sept sujets suivants.
3.1
L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982
[28] Le premier moyen que soulèvent les appelants à l’encontre du jugement de
première instance repose sur le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982
qui est ainsi libellé :
35. (1)
Les
droits
existants –
ancestraux ou issus de traités – des
peuples autochtones du Canada sont
reconnus et confirmés.
35. (1) The existing aboriginal and
treaty rights of the aboriginal peoples
of Canada are hereby recognized and
affirmed.
[29] Or, il importe de signaler en début d’analyse que si l’un des objets du paragraphe
35(1) est de reconnaître les droits détenus par les autochtones en raison de leur
présence sur le territoire avant l’arrivée des Européens, ceux-ci doivent néanmoins être
compatibles avec notre système juridique et l’affirmation de la souveraineté britannique
sur le territoire canadien21.
[30] Aussi, est-ce avec ces considérations à l’esprit que la Cour suprême a
développé la démarche analytique propre à déterminer l’existence des droits
ancestraux reconnus et confirmés par le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de
1982. Cette démarche comporte trois étapes :
21
22
•
tout d’abord, il faut procéder à la caractérisation du droit ancestral
revendiqué, et ce, à partir des actes de procédure;
•
ensuite, il s’agit de déterminer si la preuve démontre l’existence d’une
pratique, tradition ou coutume faisant partie intégrante de la société
autochtone distinctive avant le contact avec les Européens;
•
enfin, il importe de vérifier s’il y a une corrélation ou une continuité
raisonnable entre le droit contemporain revendiqué et la pratique, tradition
ou coutume en question22.
R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, paragr. 31, 36, 43 et 49.
Ibid., paragr. 51 à 75. Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), [2011]
3 R.C.S. 535, 2011 CSC 56, paragr. 46.
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[31] Conformément à la première étape de ce test, le juge de première instance
retient de la requête introductive d’instance que les appelants revendiquent le droit de
commercer librement et ouvertement avec tous les sujets de la Couronne23.
[32] Passant ensuite à la seconde étape malgré que ce droit découlerait davantage
de la Proclamation royale de 1763 que d’un droit ancestral au sens du paragraphe
35(1) de la Loi constitutionnelle de 198224, le juge retient de la preuve historique
présentée par les experts des parties que les appelants sont les descendants des
membres formant la Confédération iroquoise des cinq nations, lesquelles occupaient,
lors de l’arrivée des Européens, la région des Grands Lacs et la partie plus
septentrionale de ce qui est maintenant l’État de New York25.
[33] Société semi-sédentaire dont l’économie était fondée sur l’agriculture, la chasse,
la pêche et la cueillette, les Mohawks vivaient en autarcie dans des villages. Ceci ne les
a pas empêchés cependant, selon les experts qui ont témoigné, de se livrer à l’échange
d’objets rares et particuliers (coquillages, objets de cuivre, pipes en argile) auxquels ils
attribuaient un pouvoir sacré ou spirituel appelé « Orenda »26.
[34] Selon les appelants, c’est cette pratique, tradition ou coutume d’échanges
d’objets à valeur spirituelle ou symbolique qui fonderait leur droit de commercer
librement, sans qu’ils soient, en tant qu’autochtones, assujettis aux contraintes et
restrictions que les gouvernements fédéral et provincial prétendent pouvoir leur imposer
en l’espèce. La preuve ayant démontré que ces échanges remplissaient des fonctions
sociales, rituelles ou diplomatiques et qu’ils n’avaient donc aucun caractère commercial,
le juge de première instance a rejeté la prétention des appelants27.
[35] Devant notre Cour, les appelants réitèrent qu’ils sont titulaires d’un droit
ancestral de commercer librement et sans entraves. L’acte même d’échanger occupant
une place centrale dans leur culture, il n’était pas essentiel selon eux qu’ils démontrent
que les échanges auxquels ils se livraient avant le contact avec les Européens étaient
de nature commerciale, et ce, en vertu du principe qu’une pratique ancestrale doit être
susceptible d’évoluer avec le temps28.
[36] La Cour suprême, dans l’arrêt Lax Kw’alaams29, s’est penchée sur ce qui
constitue une évolution logique d’une pratique ancestrale, cette affaire ayant pour toile
de fond la revendication du droit des Lax Kw’alaams de pêcher et de vendre
commercialement toutes les espèces de poisson qui vivent dans leurs eaux
23
24
25
26
27
28
29
Leclaire c. Agence du revenu du Québec, supra, note 2, paragr. 141. Devant notre Cour, les
appelants écrivent dans leur mémoire « that they have an aboriginal right of trade simpliciter ».
Ibid., paragr. 142.
Ibid., paragr. 147.
Ibid, paragr. 149 à 153.
Ibid., paragr. 167 à 183.
R. c. Van der Peet, supra, note 21, paragr. 63 et 64.
Bande indienne des Lax Kw’alaams c. Canada (Procureur général), supra, note 22.
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PAGE : 11
traditionnelles. Or, il ressort des motifs du juge Binnie, qui écrit pour la Cour, que
l’évolution du droit ancestral des Lax Kw’alaams de commercer la graisse d’une seule
espèce, l’eulakane, ne pouvait mener à un pareil résultat parce que constituant, sur le
plan qualitatif et quantitatif, un droit contemporain différent :
[49]
Si un droit ancestral est établi, il ne s’agit pas d’un droit figé depuis le
contact avec les Européens : son objet et son mode d’exercice peuvent avoir
évolué en fonction des faits.
[50]
Pour ce qui est du mode d’exercice du droit, les tribunaux ont reconnu à
maintes reprises l’évolution continue des méthodes de pêche. L’origine
ancestrale des droits de pêche n’exige pas que les titulaires de ces droits, dans
le nord-ouest du Pacifique, pêchent dans des pirogues. Le commerce du
saumon fumé du Pacifique à l’époque précontact (s’il est établi) ne devrait pas
exclure la préparation et la vente du produit congelé depuis que les techniques
de congélation sont apparues. (Tout cela, bien entendu, sous réserve de la
conservation des ressources et d’autres intérêts réels et impérieux (Sparrow,
p. 1108-1110; N.T.C. Smokehouse, par. 96-97).)
[51]
La situation est toutefois plus complexe lorsqu’il s’agit de « l’évolution »
de l’objet du droit ancestral. Par exemple, le « droit de recueillir » des baies
fondé sur l’époque précontact ne peut « évoluer » jusqu’au droit de « recueillir »
du gaz naturel sur le territoire traditionnel. L’extraction en surface du cuivre de la
rivière Coppermine dans les Territoires du Nord-Ouest à l’époque précontact ne
peut pas, selon moi, servir d’assise à un « droit ancestral » d’exploiter une mine
de diamants souterraine sur le même territoire. Bien que les tribunaux aient
reconnu la nécessité de permettre l’évolution des droits ancestraux à l’intérieur
de certaines limites, ces limites sont à la fois d’ordre quantitatif et qualitatif. Une
« pratique autochtone antérieure à l’affirmation de la souveraineté ne peut être
transformée en un droit moderne différent » (Marshall (2005), par. 50).
[Notre soulignement]
[37] Appliquant ces principes au droit général revendiqué par les Lax Kw’alaams, le
juge Binnie écrit :
[55]
Les avocats des Lax Kw’alaams soutiennent que, même si le commerce
précontact se limitait à la graisse d’eulakane (ce qu’ils nient), le droit
contemporain ne doit pas rester « figé »; il faut plutôt lui attribuer une portée
générale et reconnaître qu’il a « évolué » pour s’étendre à toutes les autres
espèces de poisson et de produits de la pêche.
[56]
Une telle « évolution » serait toutefois contraire à la conclusion sans
équivoque de la juge du procès que les ancêtres des Lax Kw’alaams pêchaient
toutes les espèces, mais qu’ils ne faisaient pas véritablement le commerce
d’espèces de poisson ou de produits de la pêche autres que l’eulakane. Le fait
d’étendre un droit contemporain à toutes les espèces irait directement à
l’encontre de l’avis de la juge du procès que seul le commerce, « propre à une
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PAGE : 12
espèce », de la graisse d’eulakane faisait partie intégrante de la culture
distinctive de cette société précontact. Une pêche commerciale générale
constituerait un résultat différent sur le plan qualitatif de l’activité précontact sur
laquelle elle reposerait censément et hors de proportion avec son importance
dans l’économie précontact des Tsimshians.
[…]
[59]
La juge du procès a conclu que la métamorphose du commerce
précontact de la graisse d’eulakane en une pêche commerciale moderne
procéderait non pas d’une « évolution », mais de la création d’un droit différent.
Par conséquent, la revendication ne remplissait pas les critères de partie
intégrante et de continuité du test établi dans Van der Peet. La preuve étayait
ces conclusions.
[Notre soulignement]
[38] Outre l’arrêt Lax Kw’alaams, la jurisprudence fournit également d’autres
exemples permettant d’appuyer la proposition qu’une pratique ancestrale ne saurait
évoluer au point de se métamorphoser complètement.
[39] Ainsi, dans l’arrêt Van der Peet30, la Cour suprême a rejeté dans les termes
suivants la prétention des Sto:lo qui soutenaient que leur droit ancestral de pêcher à
des fins de subsistance pouvait leur conférer le droit contemporain de pêcher à des fins
commerciales :
[87]
Pour des motifs analogues, la preuve rattachant l’échange de saumon au
maintien de rapports familiaux et de parenté n’étaye pas l’existence du droit
ancestral revendiqué par l’appelante. Les échanges de saumon qui surviennent
dans le cadre des rapports entre les membres de la famille et la parenté ne
revêtent pas en soi une importance suffisante pour fonder la revendication d’un
droit ancestral d’échanger du poisson contre de l’argent ou des biens.
[40] De l’avis de la Cour, il y a un parallèle évident qui peut être fait ici avec la
situation décrite dans cet extrait et la nature des échanges (Orenda) invoqués par les
appelants au soutien de leurs prétentions.
[41] La même logique a prévalu à l’occasion des arrêts Sappier et Gray31 où la Cour
suprême a bien pris soin de préciser que le droit des Malécites et des Mi’kmaqs de
récolter du bois sur les terres de la Couronne pour des fins domestiques ne pouvait se
transformer en un droit de faire le commerce du bois :
[25]
L’adjectif « domestique » qualifie les usages qui peuvent être faits du bois
récolté. Le droit ainsi caractérisé n’a aucune dimension commerciale. Le bois
récolté ne peut être vendu, échangé ou troqué pour obtenir des biens ou
30
31
Supra, note 21, paragr. 87.
R. c. Sappier; R. c. Gray, [2006] 2 R.C.S. 686, 2006 CSC 54, paragr. 25.
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PAGE : 13
recueillir de l’argent. Il en est ainsi même si l’objectif de l’échange ou du troc est
de financer la construction d’une habitation. En d’autres termes, le droit
permettrait de récolter du bois pour construire une habitation, mais il
n’autoriserait cependant pas son titulaire à vendre le bois afin d’obtenir l’argent
nécessaire à l’achat ou à la construction de cette habitation ou d’un de ses
éléments.
[42] Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 doit, il est vrai, recevoir
une interprétation générale et libérale en faveur des autochtones32. Il doit cependant
exister un degré raisonnable de continuité entre la pratique ancestrale invoquée et le
droit moderne revendiqué. Même si l’objet d’un droit ancestral peut évoluer, ceci ne
saurait signifier qu’il puisse être transformé en un droit moderne complètement différent.
Or, c’est là où nous conduit l’argument des appelants. Pour cette raison, la Cour croit
que la pratique d’échange d’objets auxquels était rattaché le pouvoir spirituel et
symbolique d’Orenda ne peut servir de fondement au droit contemporain revendiqué
par les appelants, soit celui de commercer librement et sans entraves. Le juge de
première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il écrit :
[180] S’il est vrai que les droits peuvent et doivent évoluer (on ne chasse plus
guère avec des arcs et des flèches) et que ces droits ne soient pas condamnés à
rester folkloriquement figés dans le temps (on pense ici à l’allégorie de l’arbre
vivant), le tribunal ne peut donner son aval au saut quantique proposé par les
requérants entre la pratique d’échange d’artéfacts à valeur spirituelle
d’« orenda » et celle de la vente commerciale de carburants (ordinaire, super,
diesel), produits synthétiques raffinés fournis par les pétrolières, leurs
fournisseurs.
[181] Rien dans la preuve ne permet de nous écarter des enseignements clairs
de la Cour suprême du Canada à ce sujet.
[182] Bref, le commerce du type de celui que les requérants exercent
aujourd’hui ne constituait pas une activité distinctive de leur peuple autochtone et
la prétention des requérants voulant que leurs ancêtres aient été activement
impliqués dans des activités d’échanges est/ouest et nord/sud (« trade ») n’est
aucunement supportée par la preuve.
[183] Le droit éminemment commercial réclamé ici par les requérants dans
leurs actes de procédure, soit « the Petitioners’ constitutionally protected
Aboriginal right to free and open trade [...] contrary to sections 35 and 52 of the
Constitution Act, 1982 », est une extension indéfendable des activités
secondaires d’échanges à caractère rituel, spirituel ou diplomatique qui ont pu
avoir cours dans les sociétés iroquoises/mohawks précontact, avant 1603 ou
1614-1615, selon le cas.
[Notre soulignement]
32
R. c. Van der Peet, supra, note 21, paragr. 23.
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PAGE : 14
[43] Il n’existe aucun lien rationnel entre les échanges précontact auxquels se sont
livrés les ancêtres des appelants et les activités commerciales de ces derniers. Partant,
il est impossible de conclure à l’existence d’un droit ancestral au sens du paragraphe
35(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.
3.2 L’interprétation de la Proclamation royale de 176333
[44] Les appelants rappellent l’importance de la Proclamation royale pour les
autochtones. Selon eux, elle leur reconnaît des droits importants et elle constitue une
sorte de « Charte des droits des Indiens »34. À leur avis, le juge de première instance a
commis deux erreurs. Premièrement, il a erré dans l’analyse de sa valeur normative, en
refusant d’accorder à la clause de commerce qui y figure un statut constitutionnel.
Deuxièmement, il s’est mépris dans son interprétation, en ignorant qu’elle confère aux
autochtones le droit de commercer librement et sans entraves.
[45] En ce qui concerne la valeur normative de la Proclamation royale, les appelants
soumettent que le juge a commis une erreur de droit en concluant qu’elle ne constitue
pas une source indépendante et autonome de droits, mais plutôt une reconnaissance
de droits existants. Cette conclusion serait contraire aux enseignements de la Cour
suprême dans les arrêts R. c. Sioui35 et Van der Peet36 et elle reposerait sur une
analyse erronée de la portée de l’article 25 de la Charte canadienne des droits et
libertés37 (Charte) :
25. Le fait que la présente charte
garantit certains droits et libertés ne
porte pas atteinte aux droits ou
libertés -- ancestraux, issus de traités
ou autres -- des peuples autochtones
du Canada, notamment :
25. The guarantee in this Charter of
certain rights and freedoms shall not
be construed so as to abrogate or
derogate from any aboriginal, treaty or
other rights or freedoms that pertain to
the aboriginal peoples of Canada
including
a) aux droits ou libertés reconnus par
la proclamation royale du 7 octobre
1763;
(a) any rights or freedoms that
have been recognized by the
Royal Proclamation of October
7, 1763; and
b) aux droits ou libertés existants
issus
d’accords
sur
des
revendications territoriales ou ceux
susceptibles d’être ainsi acquis.
33
34
35
36
37
(b) any rights or freedoms that
now exist by way of land claims
agreements or may be so
acquired.
Un extrait de la Proclamation royale de 1763 est reproduit à l’Annexe 1. Les passages soulignés
correspondent à la clause de commerce sur laquelle les appelants fondent leur droit de commercer
librement et sans entraves.
Les appelants réfèrent aux motifs du juge Lamer dans R. c. Sioui, [1990] 1 R.C.S. 1025, 1064.
Ibid.
Supra, note 21.
Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant
l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.
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PAGE : 15
[46] L’article 25 de la Charte protège les droits des autochtones contre des
contestations fondées sur la Charte, mais, en plus, selon les appelants, elle en élève le
statut en lui conférant un rang constitutionnel. Le fait qu’elle n’apparaît pas à l’annexe
de la Loi constitutionnelle de 1982 n’est pas déterminant, puisqu’il est acquis que
l’énumération du paragraphe 52(2) de celle-ci n’est pas exhaustive. Les appelants
ajoutent que certains principes constitutionnels fondamentaux, tels ceux relatifs à la
protection des droits des autochtones et à l’honneur de la Couronne, découlent
directement de la Proclamation royale. Celle-ci ferait conséquemment partie intégrante
de la constitution canadienne.
[47] Les appelants soutiennent enfin que la clause de commerce a été rédigée à
l’avantage des autochtones. La Couronne leur reconnaissait le droit de commercer
librement et elle visait à faciliter l’exercice de ce droit et non à le restreindre. Or,
l’interprétation restrictive retenue par le juge de première instance a pour effet de les
priver de toute forme de bénéfice. Cette interprétation serait contraire au principe
voulant que les droits reconnus aux autochtones soient interprétés largement et
généreusement.
[48] L’obligation de perception de la TPS, de la TVQ et de la taxe sur les carburants
constitue, selon les appelants, une entrave à leur droit constitutionnel de commercer
librement, un droit expressément reconnu par la Proclamation royale.
3.2.1 La valeur normative de la Proclamation royale du 7 octobre 1763
[49] Les appelants ont raison d’affirmer que la Proclamation royale accorde aux
autochtones des droits importants. Dans R. c. Sioui38, le juge Lamer l’affirme de façon
claire :
[…] La Proclamation visait d'abord et avant tout à organiser, géographiquement
et politiquement, le territoire des nouvelles colonies en Amérique, soit le Québec,
la Floride orientale, la Floride occidentale et Grenade, et à en répartir la
possession et l'usage. Elle accordait aussi certains droits importants aux
autochtones et fut considérée par plusieurs comme une sorte de Charte des
droits des Indiens: White and Bob, précité, à la p. 636; Calder c. Procureur
général de la Colombie-Britannique, [1973] R.C.S. 313, à la p. 395 (le juge Hall,
dissident); R. v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [1982]
2 All E.R. 118 (C.A.), aux pp. 124 et 125 (lord Denning). Le texte même de la
Proclamation royale démontre bien que son objectif, en ce qui concerne les
Indiens, consistait à fournir une solution aux problèmes engendrés par la cupidité
dont certains Anglais avaient trop souvent fait preuve jusque-là afin de
s'approprier des terres indiennes à vil prix. La situation exaspérait
dangereusement les Indiens et la Proclamation royale se voulait un remède à
cela […]
[Notre soulignement]
38
Supra, note 34, 1063 et 1064.
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PAGE : 16
[50] L’article 25 de la Charte n’a cependant pas la portée que les appelants lui
donnent. Cette disposition, rarement invoquée, est peu traitée en jurisprudence. Les
tribunaux et les auteurs qui se sont penchés sur sa signification s’accordent sur son
sens : l’article 25 de la Charte n’a pas pour effet de créer de nouveaux droits. Il s’agit
d’une disposition interprétative, qui vise à prévenir les attaques aux droits aborigènes
fondées sur d’autres motifs de la Charte. Peter Hogg, dans son ouvrage sur le droit
constitutionnel canadien, décrit la portée de l’article 25 de la Charte de la façon
suivante :
Section 25 is part of the Charter of Rights, but it does not create any new rights.
It is an interpretative provision, included to make clear that the Charter is not to
be construed as derogating “any aboriginal, treaty or other rights or freedoms
that pertain to the aboriginal peoples of Canada”. In the absence of s. 25, it
would be perhaps have been arguable that rights attaching to groups defined by
race were invalidated by s. 15 (the equality clause) of the Charter. 39
[51] La Proclamation royale constitue certes un instrument important pour les
autochtones. Son inclusion à l’article 25 de la Charte confirme sa valeur, mais ni la
jurisprudence ni la doctrine n’appuient la thèse selon laquelle elle confère à la clause de
commerce une valeur constitutionnelle.
[52] Pour ces motifs, le juge de première instance n’a commis aucune erreur en
concluant que la clause de commerce contenue dans la Proclamation royale n’a pas
une valeur constitutionnelle.
3.2.2 L’interprétation de la Proclamation royale et de la clause de commerce40
[53] Selon les appelants, le texte même de la clause de commerce leur reconnaît le
droit de commercer librement sans être soumis à une forme de réglementation. Voici le
raisonnement qu’ils proposent : (1) le commerce entre les autochtones et les sujets
britanniques est déclaré libre et ouvert; (2) les sujets britanniques doivent toutefois
obtenir une licence à cette fin; (3) cette obligation n’est pas imposée aux autochtones;
(4) donc, la Couronne britannique a promis aux autochtones qu’ils ne seront soumis à
aucune forme de réglementation en matière commerciale.
39
40
Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, édition sur feuilles mobiles, vol. 1, Toronto, Carswell,
2015, p. 28-64. Voir aussi : Bradford W. Morse, « Aboriginal and Treaty Rights in Canada », dans
e
Errol Mendes et Stéphane Beaulac (dir.), Charte canadienne des droits et libertés, 5 éd., Markham,
LexisNexis, 2013, p. 1171, aux pages 1229, 1302 et 1303; Gérald-A. Beaudoin, Les droits et libertés
au Canada, avec la collaboration de Pierre Thibault, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 711, citant
W. R. Lederman, « Quelques commentaires sur les répercussions de la Charte canadienne des
droits et libertés sur les droits et libertés des peuples autochtones du Canada », (1989) 19
Recherches amérindiennes au Québec 25, 26; R. v. Augustine (1986), 30 C.C.C. (3d) 542 (N.B.C.A.),
autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 2 février 1987, 20178; Campbell v. British Columbia,
[2000] 4 C.N.L.R. 1 (B.C.S.C.), 2000 BCSC 1123.
Il s’agit de la partie surlignée à l’annexe 1.
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PAGE : 17
[54] Le texte de la clause de commerce accorde aux sujets britanniques le droit de
commercer librement et ouvertement avec les autochtones, sous réserve d’obtenir une
licence à cette fin, mais il ne confère pas aux autochtones un droit explicite de
commercer sans être soumis à une quelconque forme de réglementation. Le juge de
première instance rejette l’interprétation a contrario proposée par les appelants parce
qu’elle ne découle pas du texte et parce qu’elle va à l’encontre du contexte historique
dans lequel la Proclamation royale a été faite.
[55] Rappelons que la Proclamation royale ne constitue pas un traité, mais une
déclaration unilatérale de la Couronne impériale. L’étude du contexte historique permet
de comprendre ce que son auteur, le roi Georges III, avait à l’esprit en utilisant les mots
« […] Nous accordons à tous Nos sujets le privilège de commerce ouvert et libre, à
condition que tous ceux qui auront l’intention de commercer avec lesdits sauvages se
munissent de licence à cette fin […] ».
[56] Selon la preuve d’expert, le « commerce ouvert et libre » auquel réfère la
Proclamation royale s’inscrit dans un contexte précis, celui de la fin de la guerre avec
les Français. Il s’explique par la nécessité pour les Britanniques de s’allier les
différentes nations autochtones vivant sur les territoires conquis. Il remplissait aussi
l’objectif idéologique de mettre fin à l’approche monopolistique du commerce des
fourrures préconisée sous le Régime français, tout en répondant à la politique
économique mercantiliste de l’époque.
[57] Dans son rapport et dans son témoignage, l’expert Michel Lavoie, pour l’ARQ, a
expliqué qu’après la guerre, il était normal, voire souhaitable que les activités
commerciales reprennent. Il était nécessaire d’entretenir avec les autochtones des
rapports justes, équitables et profitables, afin de répondre à leurs préoccupations et
pour assurer la sécurité des colonies dont les rapports avec les nations iroquoises
étaient menacés. Il fallait gagner la confiance des autochtones, en particulier de ceux
alliés aux Français. La liberté de commerce s’opposait directement aux pratiques
monopolistiques françaises, qui n’avaient pas leur place dans la conception britannique
des relations commerciales. La liberté de commerce s’inscrivait dans une politique
économique mercantiliste : les Britanniques avaient des marchés à développer et à
protéger.
[58] L’expert conclut que la portée de la Proclamation royale ne dépasse pas la
portée des intentions formulées avant sa publication, soit d’éliminer les monopoles et de
protéger les nouveaux marchés, tout en évitant que les autochtones soient victimes
d’abus de la part de commerçants mal intentionnés :
En définitive, la portée des dispositions de la Proclamation royale ne dépasse
d’aucune façon les intentions formulées avant sa publication en matière
d’élimination des monopoles, de protection et d’exploitation des nouveaux
marchés, de protection temporaire des territoires de chasse, de la volonté
d’assurer la sécurité dans les colonies, de la consolidation de l’attachement des
Indiens à la Couronne, de la gestion centralisée des Affaires indiennes et, enfin,
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PAGE : 18
de l’ouverture, de la libéralisation et de la réglementation du commerce avec les
Indiens pour les fidèles sujets de Sa Majesté. Bref, la Proclamation royale n’avait
pas pour but d’innover en matière de commerce. Elle établissait des règles qui
allaient être appelées à se préciser, changer et évoluer selon les circonstances.
[…] les dispositions de la Proclamation royale touchant le commerce n’avaient
d’autre portée que celle d’assurer la sécurité des colonies soutenue par un
commerce libre, ouvert et profitable à tous les sujets et équitable pour les
fournisseurs indiens, et ce, sans qu’ils soient abusés.
[59] Comme le souligne l’expert Lavoie et le note le juge de première instance, la
mention relative au commerce libre et ouvert était conforme aux recommandations du
Board of Trade, qui, elles-mêmes, reflétaient la politique mise en place par les
gouverneurs Murray, Gage et Amherst pendant l’occupation militaire entre 1760 et
1763. L’expérience avait démontré que la liberté de commerce sans aucun contrôle
était susceptible de conduire à l’exploitation des autochtones. C’est pour cette raison
que le commerce avec ces derniers a été assorti de règles, soit l’obligation d’obtenir
une licence.
[60] Le rapport et le témoignage d’Alain Beaulieu, expert pour le PGC, sont au même
effet.
[61] L’expert des appelants, Gerald Reid, n’a pas témoigné longuement sur la portée
de la liberté de commerce énoncée dans la Proclamation royale. Il a expliqué qu’elle
visait la sécurité des colonies et que la réglementation à laquelle elle réfère, soit
l’obtention de licences, ne s’appliquait pas directement aux autochtones.
[62] Sur ce dernier point, Alain Beaulieu a toutefois rappelé que, même si l’obligation
d’obtenir des licences ne s’appliquait pas aux autochtones directement, ces derniers
étaient contraints de se plier à d’autres règles imposées par les autorités britanniques,
telle l’obligation de transiger dans les forts britanniques sous supervision militaire,
règles qui ont eu pour effet de modifier les pratiques commerciales des autochtones.
[63] Il ressort donc de la preuve que la clause de commerce ne visait pas à conférer
aux autochtones le droit de commercer sans entraves. Elle avait pour objectif de les
protéger contre la cupidité de certains commerçants peu scrupuleux, en obligeant ces
derniers à obtenir une licence. Rien dans le texte ni dans le contexte historique de la
Proclamation royale ne permet de conclure que la Couronne britannique promettait aux
autochtones la liberté totale de commercer, à l’abri de quelque réglementation que ce
soit.
[64] En conséquence, le juge n’a pas commis d’erreur dans l’interprétation de la
clause de commerce.
[65] Pour ces motifs, le moyen des appelants fondé sur la Proclamation royale est
rejeté.
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3.3
PAGE : 19
La perception des taxes aux termes de la Loi sur la taxe d’accise (art. 225)
et de la Loi sur la taxe de vente du Québec (art. 428) et l’article 87 de la Loi
sur les Indiens.
[66] Aux termes des calculs décrits aux articles 225 de la Loi sur la taxe d’accise et
428 de la Loi sur la taxe de vente du Québec, le commerçant doit, à la fin d’une période
de déclaration donnée, verser aux autorités fiscales la différence entre les taxes (TPS
et TVQ) qu’il devait percevoir de ses clients et celles qu’il a payées sur les achats de
biens dans le cours de ses activités commerciales et qui lui sont remboursées au titre
de crédits pour intrants. Le commerçant est personnellement tenu au paiement du
montant ainsi calculé.
[67] En première instance, les appelants plaidaient que cette obligation de percevoir
les taxes et les mécanismes de perception mis en place anéantissent leur droit de ne
pas être soumis à la taxation sur une réserve. Le juge a rejeté leur prétention,
soulignant que ce n’est pas en tant que consommateurs que la loi leur impose des
obligations, mais bien en tant que marchands faisant le commerce de fournitures
taxables. Ils ne sont pas taxés, mais simplement assujettis, à titre de mandataires de
l’État, à l’obligation de percevoir et de verser les taxes perçues de leurs clients qui ne
sont pas des Indiens. Ils ne bénéficient donc pas de l’exemption fiscale prévue à l’article
87 de la Loi sur les Indiens.
[68] En appel, les appelants reprochent au juge d’avoir omis de considérer qu’en
matière de perception de la TPS et de la TVQ, chaque participant dans la chaîne de
production et de commercialisation est susceptible d’être responsable personnellement
du paiement des taxes. Or, en ce qui les concerne, le solde de la « taxe nette » à la fin
de chaque période de déclaration est nécessairement positif puisqu’ils ne paient ni TPS
ni TVQ sur les biens acquis dans le cours de leurs activités commerciales et qu’ils ne
réclament, de ce fait, aucun crédit de taxe pour les intrants. Ils seraient ainsi
invariablement débiteurs des autorités fiscales, contrairement à l’exemption prévue à
l’article 87 de la Loi sur les Indiens.
[69] Les appelants ajoutent que le juge a erré en s’appuyant sur une série de
décisions relatives à la perception des taxes sur le tabac et les carburants pour
conclure qu’à titre de percepteurs, ils ne sont pas personnellement responsables du
paiement de la TPS et de la TVQ. Le fonctionnement de ces taxes serait
fondamentalement différent en ce que, contrairement à la TPS et à la TVQ, elles ne font
pas appel au concept de « taxe nette », dont le commerçant devient personnellement
responsable en cas de solde positif.
[70] Les appelants plaident finalement que les dispositions de la Loi sur la taxe de
vente du Québec qui les tiennent responsables du remboursement d’une taxe payable
par d’autres (ici les consommateurs de fournitures taxables) sont ultra vires de la
législature provinciale puisqu’il s’agit d’une taxe indirecte (paragr. 92(2) de la Loi
constitutionnelle de 1867).
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[71]
PAGE : 20
L’article 87 de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :
87. (1) Nonobstant toute autre loi
fédérale ou provinciale, mais sous
réserve de l’article 83 et de l’article 5
de la Loi sur la gestion financière des
premières nations, les biens suivants
sont exemptés de taxation :
87. (1) Notwithstanding any other Act of
Parliament or any Act of the legislature
of a province, but subject to section 83
and section 5 of the First Nations Fiscal
Management
Act,
the
following
property is exempt from taxation:
a) le droit d’un Indien ou d’une bande
sur une réserve ou des terres cédées;
(a) the interest of an Indian or a band in
reserve lands or surrendered lands;
and
b) les biens meubles d’un Indien ou
d’une bande situés sur une réserve.
(b) the personal property of an Indian
or a band situated on a reserve.
(2) Nul Indien ou bande n’est assujetti
à une taxation concernant la propriété,
l’occupation, la possession ou l’usage
d’un bien mentionné aux alinéas (1)a)
ou b) ni autrement soumis à une
taxation quant à l’un de ces biens.
(2) No Indian or band is subject to
taxation in respect of the ownership,
occupation, possession or use of any
property mentioned in paragraph
(1)(a) or (b) or is otherwise subject to
taxation in respect of any such
property.
(3) Aucun impôt sur les successions,
taxe d’héritage ou droit de succession
n’est exigible à la mort d’un Indien en
ce qui concerne un bien de cette
nature ou la succession visant un tel
bien, si ce dernier est transmis à un
Indien, et il ne sera tenu compte
d’aucun bien de cette nature en
déterminant le droit payable, en vertu
de la Loi fédérale sur les droits
successoraux, chapitre 89 des Statuts
révisés du Canada de 1952, ou l’impôt
payable, en vertu de la Loi de l’impôt
sur les biens transmis par décès,
chapitre E-9 des Statuts révisés du
Canada de 1970, sur d’autres biens
transmis à un Indien ou à l’égard de
ces autres biens.
(3) No succession duty, inheritance
tax or estate duty is payable on the
death of any Indian in respect of any
property mentioned in paragraphs
(1)(a) or (b) or the succession thereto
if the property passes to an Indian, nor
shall any such property be taken into
account in determining the duty
payable
under
the Dominion
Succession Duty Act, chapter 89 of
the Revised Statutes of Canada,
1952, or the tax payable under
the Estate Tax Act, chapter E-9 of the
Revised Statutes of Canada, 1970, on
or in respect of other property passing
to an Indian.
[72] Au moment d’aborder l’analyse des arguments fondés sur les articles 87, 89 et
90 de la Loi sur les Indiens, il convient de rappeler qu’il faut éviter de donner à ces
articles une portée trop large parce qu’ils ont été conçus non pas pour conférer aux
Indiens un avantage économique général, mais plutôt pour préserver leurs droits sur les
terres qui leur sont réservées et pour s’assurer que la capacité de taxation des
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PAGE : 21
gouvernements ou celle des créanciers de saisir, ne porte pas atteinte à l’utilisation de
leurs biens situés sur les réserves41.
[73] La position des appelants heurte de plein fouet les avis exprimés par la Cour
suprême du Canada dans les renvois relatifs à la taxe sur les produits et services42 et à
la taxe de vente du Québec43. La TPS et la TVQ sont des taxes directes destinées à
être payées uniquement par l’acheteur final d’une fourniture taxable. Le vendeur d’une
telle fourniture est le mandataire de l’État aux fins de la perception et du versement de
ces taxes et, dans tous les cas, c’est l’acheteur qui paie les taxes, et non le vendeur44.
[74] Les coûts associés à cette fonction de mandataire de l’État ne constituent pas
une taxe et n’entraînent aucune dépossession des biens du marchand. Ce dernier ne
paie aucune taxe personnellement puisque celles qu’il a versées à une étape antérieure
de la chaîne de commercialisation du produit sont récupérées via le mécanisme des
crédits de taxe sur les intrants.
[75] Le concept de « taxe nette » sur lequel s’appuient les appelants ne rend pas le
marchand personnellement responsable du paiement des taxes. Il s’agit simplement
d’un mécanisme comptable qui permet de déterminer le montant qui doit être versé au
gouvernement (en cas de « montant positif ») ou remboursé au marchand (en cas de
« montant négatif »). Ce mécanisme comptable fait partie intégrante du mode de
perception de la TPS et de la TVQ établi par la loi.
[76] Dans le cas d’un « montant positif », le marchand verse à l’État un montant
d’argent qui ne lui appartient pas, mais qu’il détient plutôt pour celui-ci en sa qualité de
mandataire. Il n’est donc pas personnellement responsable du paiement des taxes,
mais seulement du versement de celles payées par les consommateurs visés par
celles-ci.
[77] Le fait que les appelants ne réclament aucun remboursement de taxes sur les
intrants, puisqu’ils ne paient ni la TPS ni la TVQ sur les fournitures livrées sur la
réserve, n’ajoute rien à leur argument. Ils n’ont pas à recourir au mécanisme de
remboursement de taxes sur les intrants puisque, contrairement aux autres
commerçants, ils sont déjà dégagés du fardeau de ces taxes. Leur solde de « taxe
nette » sera invariablement positif lorsqu’ils vendent des fournitures taxables à des
clients qui ne sont pas des Indiens. Ils doivent par la suite verser aux autorités fiscales
les taxes qu’ils avaient ainsi l’obligation de percevoir, soit de l’argent qui ne leur
appartient pas et dont ils ne sont que les dépositaires.
41
42
43
44
Williams c. Canada, [1992] 1 R.C.S. 877, 885-887. Rappelons qu'en pareille matière l'approche
téléologique prévaut : Succession Bastien c. Canada, [2011] 2 R.C.S. 710, 2011 CSC 38, paragr. 21.
Renvoi relatif à la taxe sur les produits et services, [1992] 2 R.C.S. 445.
Renvoi relatif à la taxe de vente du Québec, [1994] 2 R.C.S. 715.
Ibid., 720.
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PAGE : 22
[78] Le fait que les appelants choisissent de ne pas percevoir la TPS et la TVQ (alors
qu’ils en ont l’obligation) ne transforme pas les cotisations fiscales dont ils font l’objet en
taxes sur leurs biens personnels45. Les taxes qui apparaissent sur les avis de cotisation
demeurent des taxes payables par le consommateur ultime, au terme de la chaîne de
commercialisation du produit. Lorsque les appelants agissent ainsi, ils ne peuvent pas
invoquer l’exemption fiscale prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens et ainsi, par
ricochet, protéger leurs clients qui ne sont pas des Indiens contre l’application de la
TPS et de la TVQ.46.
[79] Le juge de première instance n’a donc pas erré en rejetant l’argument des
appelants relatif au mécanisme de perception de la TPS et de la TVQ et à l’exemption
fiscale prévue à l’article 87 de la Loi sur les Indiens.
3.4
La perception de la taxe sur les carburants et les articles 87 et 89 de la Loi
sur les Indiens
[80] La taxe sur les carburants fait partie du paysage fiscal québécois depuis 1924.
Tel que décrit plus haut, le ministère québécois des Finances et l'ARQ ont mis en place,
depuis le 1er juillet 2011, des mesures visant à exempter les Indiens et les conseils de
bande (ce qui inclut les conseils de tribu et les entités mandatées par une bande) du
paiement de cette taxe lorsqu’ils achètent du carburant sur la réserve (le Programme de
gestion de l’exemption fiscale des Indiens en matière de taxe sur les carburants).
[81] Ces mesures imposent certaines obligations aux détaillants : 1) tenir un registre
des ventes au détail effectuées aux Indiens et conseils de bande; 2) au moment de la
vente, vérifier l’identité du client au moyen de son certificat de statut d’Indien et la
validité de son inscription au programme; et enfin 3) produire mensuellement une
déclaration de leurs achats et ventes pour obtenir le remboursement du « montant égal
à la taxe sur les carburants » versé à leurs fournisseurs à l’égard des carburants
vendus à des Indiens ou conseils de bande.
[82] Une dernière mesure d’assouplissement permet enfin aux détaillants d’acheter
un pourcentage de leurs carburants sans avoir à verser le « montant égal à la taxe sur
les carburants » à leur fournisseur. Ce pourcentage de réduction correspond à la
quantité de carburants qui sera par la suite vraisemblablement vendue à des Indiens ou
à des conseils de bande. Pour bénéficier de cette mesure, le détaillant doit choisir un
fournisseur désigné et remplir certaines formalités.
[83] Ce programme de gestion de l’exemption fiscale est facultatif, tant pour les
consommateurs que pour les détaillants. Aucun des appelants n’y a adhéré, de sorte
45
46
Re Hill and Minister of Revenue et al., [1986] 1 C.N.L.R. 22 (Ont. H. Ct. J.).
Obonsawin c. Canada, [2010] 3 C.N.L.R. 143 (C.C.I.), 2010 CCI 222, conf. par [2011] 3 C.N.L.R. 298
(C.A.F.), 2011 CAF 152, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 9 février 2012, 34341. Au même
effet : Pictou c. Canada, [2000] A.C.I. n° 321 (C.C.I.), conf. par [2003] C .F. 737 (C.A.F.), 2003 CAF 9,
autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 26 juin 2003, 29654.
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PAGE : 23
que les Indiens ne peuvent bénéficier de l’exemption du paiement de la taxe sur les
carburants à la pompe.
[84] Selon le juge de première instance, la taxe sur les carburants (tout comme la
TPS et la TVQ) est une taxe à la consommation destinée à être payée ultimement par
le consommateur, au terme de la chaîne de production et de commercialisation, et
jamais par le détaillant. Le fait qu’un « montant égal à la taxe sur les carburants » est
payé et remboursé à chaque étape de la chaîne ne change rien au fait que la taxe est
ultimement assumée par le consommateur et par personne d’autre.
[85] En appel, les appelants soutiennent que le prépaiement de la taxe sur les
carburants qu’ils achètent, lesquels constituent un bien personnel situé sur la réserve,
et qu’ils ne sont pas en mesure de percevoir de leur clientèle indienne (exemptée du
paiement de cette taxe dans le cadre du Programme de gestion de l’exemption fiscale)
pose problème dans la mesure où ils deviennent de ce fait tenus personnellement au
paiement de la taxe, contrairement à l’article 87 de la Loi sur les Indiens. Le seul moyen
d’éviter le paiement de cette taxe serait, selon eux, de faire affaire exclusivement avec
des clients non indiens alors qu’ils ont choisi de bénéficier du système de protection
que constitue la réserve47 et d’exercer leurs activités commerciales dans les limites de
celle-ci.
[86] Ils plaident enfin que la taxe sur les carburants prépayée par eux et qu’ils ne sont
pas en mesure de récupérer constitue une charge ou une réquisition (« charge or
levy ») sur leurs biens personnels, contrairement au paragraphe 89(1) de la Loi sur les
Indiens.
[87]
47
L’article 89 de la Loi sur les Indiens est ainsi libellé :
89. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, les biens
d’un Indien ou d’une bande situés sur
une réserve ne peuvent pas faire
l’objet d’un privilège, d’un nantissement, d’une hypothèque, d’une
opposition, d’une réquisition, d’une
saisie ou d’une exécution en faveur
ou à la demande d’une personne
autre qu’un Indien ou une bande.
89. (1) Subject to this Act, the real
and personal property of an Indian or
a band situated on a reserve is not
subject to charge, pledge, mortgage,
attachment, levy, seizure, distress or
execution in favour or at the instance
of any person other than an Indian or
a band.
Dérogation
Exception
(1.1) Par dérogation au paragraphe
(1), les droits découlant d’un bail sur
une terre désignée peuvent faire
l’objet d’un privilège, d’un nantisse-
(1.1) Notwithstanding subsection (1),
a leasehold interest in designated
lands is subject to charge, pledge,
mortgage, attachment, levy, seizure,
Williams c. Canada, supra, note 41, p. 887.
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PAGE : 24
ment, d’une hypothèque, d’une
opposition, d’une réquisition, d’une
saisie ou d’une exécution.
distress and execution.
Ventes conditionnelles
Conditional sales
(2) Une personne, qui vend à une
bande ou à un membre d’une bande
un bien meuble en vertu d’une
entente selon laquelle le droit de
propriété ou le droit de possession
demeure acquis en tout ou en partie
au vendeur, peut exercer ses droits
aux termes de l’entente, même si le
bien meuble est situé sur une réserve.
(2) A person who sells to a band or a
member of a band a chattel under an
agreement whereby the right of
property or right of possession
thereto remains wholly or in part in
the seller may exercise his rights
under the agreement notwithstanding
that the chattel is situated on a
reserve.
[88] Contrairement à ce qu’ils laissent entendre, les appelants peuvent obtenir de
l’ARQ le remboursement du « montant équivalent à la taxe sur les carburants » versé à
leur fournisseur à l’égard du carburant vendu au détail en exemption de la taxe sur les
carburants à des Indiens ou conseils de bande en raison du Programme de gestion de
l’exemption fiscale48.
[89] Advenant la non-application ou la non-participation au programme d’exemption,
le client indien doit payer la taxe au détaillant et en demander le remboursement aux
termes de l’article 10.2 de la Loi concernant la taxe sur les carburants, comme c’était le
cas avant le 1er juillet 2011.
[90] Dans un cas comme dans l’autre, le détaillant n’assume donc personnellement
aucune taxe : soit elle lui est remboursée si le programme d’exemption s’applique, soit il
la perçoit de son client et la remet aux autorités fiscales dont il est le mandataire à cette
fin.
[91] Le mécanisme de prépaiement ou de perception anticipée par le détaillant d’un
« montant équivalent à la taxe sur les carburants » ne transforme pas celle-ci en taxe
indirecte. Le prix de vente du carburant, à chaque étape de la chaîne de
commercialisation, inclut un « montant équivalent à la taxe », même si l’obligation de
payer la taxe sur les carburants n’existe qu’au moment de la vente au consommateur,
étape ultime de la commercialisation du produit. La validité d’un tel mécanisme a été
48
Loi concernant la taxe sur les carburants, supra, note 7, art. 10.2.1; Affidavit et témoignage d’André J.
Santerre; Affidavit et témoignage de Nathalie Pronovost; Pièce AS-35, Québec, Agence du Revenu,
pages informationnelles : mécanisme de gestion de l’exception fiscale des Indiens en matière de taxe
sur les carburants, 2011, mémoire des intimées l’Agence du revenu du Québec et la Procureure
générale du Québec, vol. 3-4, p. 1048; Pièce AS-36, Québec, Agence du Revenu, Guide du vendeur
au détail IN-258, 2011, mémoire des intimées l’Agence du revenu du Québec et la Procureure
générale du Québec, vol. 3-4, p. 1051 et 1056.
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PAGE : 25
reconnue par les tribunaux tant en ce qui concerne la taxe sur les carburants49 que la
taxe sur le tabac50 (dont le fonctionnement est similaire). L’article 87 de la Loi sur les
indiens ne s’applique donc pas à la situation du détaillant, pas plus qu’elle ne
s’appliquait dans le cas de la TPS et de la TVQ.
[92] Quant à l’argument des appelants relatif au paragraphe 89(1) de la Loi sur les
Indiens, il est fondé sur la prémisse que le versement anticipé d’un « montant
équivalent à la taxe sur les carburants » n’est pas récupérable et donc, qu’il constitue
une charge ou une réquisition sur leurs biens personnels. Or, nous l’avons vu, cette
prémisse est erronée.
[93] Bref, le juge de première instance n’a pas erré en rejetant l’argument des
appelants relatif au prépaiement d’un « montant équivalent à la taxe sur les
carburants » et aux règles énoncées à l’article 87 et au paragraphe 89(1) de la Loi sur
les Indiens.
3.5 La constitutionnalité des mesures budgétaires de 2011
[94] Les appelants invoquent la compétence exclusive du Parlement canadien en
matière autochtone (paragr. 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867) pour soutenir
que les mécanismes administratifs mis en place par les autorités provinciales pour
permettre aux autochtones de ne plus avoir à payer la taxe sur les carburants au
moment de leurs achats à la pompe sur les réserves indiennes envahissent un champ
de compétence strictement fédéral. Selon eux, ces « mesures budgétaires »
provinciales ne s’appliquent qu’à des autochtones et d’une manière qui ne concerne
que des autochtones. Par conséquent, ces mécanismes s’inscrivent dans la sphère de
compétence fédérale et ne sauraient être qualifiés de mesures incidentes à la
compétence provinciale en matière de taxation (paragr. 92(2) de la Loi constitutionnelle
de 1867).
[95]
Cet argument ne résiste pas à l’analyse.
[96] Les critères qui servent à déterminer la validité constitutionnelle à partir des
dispositions attributives de compétence dans la Loi constitutionnelle de 1867 sont bien
connus. La juge en chef McLachlin décrit ainsi la première étape à franchir :
49
50
À titre d’exemple, voir : Chehalis Indian Band v. B.C. (Dir., Motor Fuel Tax Act), [1989] 1 C.N.L.R. 62
(B.C.C.A.); Tseshaht Indian Band v. British Columbia, [1992] 4 C.N.L.R. 171 (B.C.C.A.); Laforme v.
Ontario (Minister of finance), [1999] 1 C.N.L.R. 84 (Ont. Ct. J.); R. v. Merasty, [1997] 3 C.N.L.R. 241
(Sask. Prov. Ct.).
À titre d’exemple, voir : Re Hill and Minister of Revenue et al., supra, note 45; Gros-Louis c.
Bouchard, [1995] R.D.F.Q. 153 (C.S.); Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Vincent, [1996] R.J.Q.
239 (C.A.); R. v. Johnson, [1997] 2 C.N.L.R. 103 (N.S.C.A.); Québec (Sous-ministre du Revenu) c.
Bujold, [2001] J.Q. n° 6346 (C.Q.) (QL); Conway c. Québec (Sous-ministre du Revenu), J.E. 20091964 (C.Q.), 2009 QCCQ 9854; R. v. Joe, [2008] 4 C.T.C. 176 (B.C.S.C.), 2008 BCSC 315; R. v.
Fontaine, [1998] 4 C.N.L.R. 194 (Man. Prov. Ct.).
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[20] La première étape de l’analyse consiste à qualifier l’objet principal ou le
« caractère véritable » du règlement no 260 : Swain, p. 998. Comme l’a expliqué
le juge LeBel au par. 53 de l’arrêt Kitkatla, l’analyse du caractère véritable d’une
législation porte sur deux aspects : (1) l’objet de la législation et (2) ses effets.
On peut déterminer l’objet de la législation en examinant la preuve intrinsèque,
notamment les dispositions énonçant les objectifs généraux et la structure
générale du texte législatif. Cette détermination peut également se faire à l’aide
de la preuve extrinsèque, comme le Hansard ou d’autres comptes rendus
rédigés dans le cadre du processus législatif : Kitkatla, par. 53. L’effet d’un texte
législatif s’entend à la fois de son effet juridique et des conséquences pratiques
qui découlent de son application : R. v. Morgentaler, [1993] 3 R.C.S. 463, p. 48283.51
[97] Ayant ainsi caractérisé la disposition en cause, la Cour doit ensuite se demander
si elle appartient à une catégorie de pouvoirs conférés de façon exclusive au corps
législatif concerné52. Dans cette analyse, la Cour ne doit pas envisager les deux
niveaux de gouvernement comme des « compartiments étanches », mais permettre à
chacun d’adopter des lois qui, de façon incidente ou accessoire, ont des effets hors
compétence, en autant que ces effets découlent de l’atteinte d’un objectif premier qui
appartient à la sphère de compétence exclusive de ce corps législatif53.
[98] Dans le présent cas, le Règlement d'application de la Loi concernant la taxe sur
les carburants54 oblige les détaillants de carburants à exhiber deux prix : l’un avec
taxes, et l’autre sans taxes55. Le règlement les oblige également à vérifier, au moment
de la vente, l’identité d’un acheteur prétendant être autochtone, ou faire partie d’une
bande autochtone, d’un conseil de bande ou d’une organisation autochtone, ainsi que la
validité du certificat de statut d'Indien56 de l’acheteur.
[99] Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 accorde au Parlement
le pouvoir exclusif de légiférer dans le domaine que la Cour suprême appelle
« l’essentiel de l’indianité » et que le juge en chef Lamer décrivait ainsi :
[…] L’essentiel de l’indianité englobe toute la gamme des droits ancestraux
protégés par le par. 35(1). Ces droits comprennent les droits se rapportant à un
territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de la référence aux
« terres réservées aux Indiens » au par. 91(24). Cependant, ces droits
comprennent également les coutumes, pratiques et traditions qui ne se
rattachent pas à un territoire; cette partie de l’essentiel de l’indianité découle de
la compétence du fédéral à l’égard des « Indiens ». Il est interdit aux
51
52
53
54
55
56
Québec (Procureur général) c. Lacombe, [2010] 2 R.C.S. 453, 2010 CSC 38, paragr. 20.
Ibid., paragr. 24.
Peter W. Hogg, Constitutional Law of Canada, supra, note 39, p. 15-9.
Règlement d'application de la Loi concernant la taxe sur les carburants, supra, note 17.
Ibid., art. 17.4R1.
Ibid., art. 12.1R1 et 17.3R1.
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PAGE : 27
gouvernements provinciaux de faire des lois portant sur ces deux types de droits
ancestraux.57
[Notre soulignement]
[100] La Cour suprême a adopté une interprétation restrictive du « contenu minimum
élémentaire et irréductible » de ce pouvoir exclusivement fédéral58. Nonobstant le
paragraphe 91(24), les lois provinciales d’application générale s’appliquent proprio
vigore aux autochtones et à leurs territoires59. C’est ainsi que le paragraphe 91(24) ne
fait pas des réserves des « enclaves du pouvoir fédéral dans une mer de compétences
provinciales » et qu’ « [u]ne disposition législative n’excède pas la compétence de la
province du simple fait qu’on y trouve le mot "autochtone" »60.
[101] En décidant que les mesures budgétaires, pour l’essentiel, participent du pouvoir
provincial général de taxation, le juge de première instance n’a commis aucune erreur.
Il est vrai que ces mesures affectent les autochtones, mais elles constituent d’abord et
avant tout une législation afférente à un pouvoir provincial valide.
[102] Ainsi, bien que les appelants aient raison de souligner que les dispositions
législatives attaquées ne concernent que des réserves et ne s’appliquent que sur des
réserves, ils ont tort d’affirmer que ces dispositions constituent une législation en
matière autochtone. Ainsi que le juge de première instance en a décidé, les mesures
budgétaires affectent les appelants non pas parce qu’ils sont autochtones, mais bien
parce qu’ils sont des détaillants qui vendent des carburants à des clients non
autochtones et autochtones. En ce sens, ils ne sont pas différents d’autres
commerçants qui vendent et livrent des marchandises à des autochtones vivant sur des
réserves61.
[103] Par conséquent, les dispositions attaquées n’ont pas pour effet de viser des
autochtones dans le but de leur imposer une taxe spéciale. Bien au contraire, ces
mesures visent à protéger le droit des autochtones d’acheter des carburants sans être
assujettis à une taxe, tout en veillant à prévenir des abus62. La validité constitutionnelle
57
58
59
60
61
62
Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, paragr. 178.
Banque canadienne de l'Ouest c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 3, 2007 CSC 22, paragr. 60 et 61.
Delgamuukw c. Colombie-Britannique, supra, note 57, paragr. 179.
Bande Kitkatla c. Colombie-Britannique (Ministre des Petites et moyennes entreprises, du Tourisme
et de la Culture), [2002] 2 R.C.S. 146, 2002 CSC 31, paragr. 66; Cardinal c. Alberta (Procureur
général), [1974] R.C.S. 695, 702.
Voir aussi : Québec (Sous-ministre du Revenu) c. Bujold, supra, note 50, paragr. 29 et 30.
Laforme v. Canada (Ministre des Finances), supra, note 49, paragr. 16, R. v. Johnson, supra, note
50, p. 148 et 149.
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PAGE : 28
de dispositions semblables a été confirmée en Colombie-Britannique63, en Ontario64, et
en Nouvelle-Écosse65. Les dispositions attaquées ont été validement adoptées66.
3.6 Le caractère excessif des mesures budgétaires et l’atteinte au droit garanti
aux autochtones
[104] Il convient de noter en premier lieu qu’il n’existe aucune raison d’invoquer la
doctrine de l’exclusivité des compétences en l’espèce, contrairement à ce que les
appelants semblent prétendre en soutenant que les mesures budgétaires « [Traduction]
empiètent sur le contenu essentiel de l’indianité », une prétention que le juge de
première instance a rejetée. Non seulement n’a-t-il pas eu tort de le faire, mais eût-il
même admis l’existence d’un droit autochtone, cette doctrine demeurerait inapplicable
en l’espèce.
[105] Voici pourquoi.
[106] Les enseignements de la Cour suprême sur l’exclusivité des compétences en
matière d’interprétation des droits autochtones ne souffrent d’aucune équivoque :
Alors, à quoi peuvent servir l’application de la doctrine de l’exclusivité des
compétences et la notion que les droits ancestraux font partie du contenu
essentiel du pouvoir fédéral sur les “Indiens” prévu au par. 91(24) de la Loi
constitutionnelle de 1867? Il faut répondre comme suit : elles ne servent à rien.67
[Notre soulignement]
[107] C’est plutôt dans R. c. Sparrow68 que l’on trouve la norme qui convient à
l’analyse d’une violation d’un droit autochtone. Le test qui y est décrit propose que les
lois provinciales d’application générale s’appliquent aux autochtones à moins d’être
déraisonnables ou d’imposer sans raison des contraintes excessives, ou encore de
priver les détenteurs d’un droit de leur moyen préféré de l’exercer69. Il n’existe aucune
raison d’utiliser ce type d’analyse ici puisque les appelants n’ont su démontrer ni droit
63
64
65
66
67
68
69
Tseshaht Indian Band v. Colombie-Britannique, supra, note 49.
Laforme v. Canada (Ministre des Finances), supra, note 49.
R. v. Johnson, supra, note 50.
Ayant confirmé la validité des dispositions, il n’est pas nécessaire d’examiner si elles sont
suffisamment intégrées au système réglementaire (voir : General Motors of Canada Ltd. c. City
National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641, 666 et 667). Tout argument quant à la prépondérance
fédérale est également sans pertinence en l’absence de conflit entre les dispositions à l’étude et une
loi fédérale valide (voir : Québec (Procureur général) c. Canadian Owners and Pilots Association,
[2010] 2 R.C.S. 536, 2010 CSC 39, paragr. 64; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S.
161, 191). En effet, les mesures budgétaires visent à respecter l’exemption tout en veillant à prévenir
tout détournement. Voir aussi : Laforme v. Ontario (Minister of Finance), supra, note 49; R. v.
Johnson, supra, note 50, p. 148 et 149.
Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, [2014] 2 R.C.S. 257, 2014 CSC 44, paragr. 140.
R. c. Sparrow, [1990] 1 R.C.S. 1075.
Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique, supra, note 67, paragr. 151.
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ancestral ni contrainte excessive. En fait, l’absence de preuve à l’égard de ce dernier
élément est frappante.
[108] Lors de l’audition en appel, les procureurs des appelants ont mis l’accent sur les
conséquences économiques négatives que subiraient leurs clients si on leur impose
l’obligation de respecter les mesures budgétaires. Pour tout dire, ils perdront un
avantage compétitif. Tout malheureux que soit ce résultat pour les personnes
concernées, les enseignements de la Cour suprême à ce sujet sont limpides. Le but
des exemptions prévues à l’article 87 de la Loi sur les Indiens n’est ni de « conférer un
avantage économique général aux Indiens »70 ni de « remédier à la situation
économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de
posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles
applicables à leurs concitoyens »71.
[109] Les appelants voient dans les procédures mises en place par les mesures
budgétaires un fardeau administratif trop lourd et visant à contrôler le commerce dans
les réserves. Leurs arguments à ce sujet sont peu convaincants. Parmi les procédures
contestées, notons les suivantes :
•
•
•
•
•
•
confirmer l’identité et le statut d’Indien du client;
vérifier la validité de la documentation de statut d’Indien soumise;
noter le numéro d’enregistrement du client;
noter la quantité de carburant achetée;
transmettre cette information à l’ARQ et
conserver ces renseignements en cas d’inspection et de vérification à l’avenir.
[110] Ce que les appelants omettent de considérer, cependant, c’est que depuis 2012,
l’ARQ leur offre d’implanter – à ses frais – un système informatique de tenue de
registres qui éliminerait la plupart de la documentation et accélérerait le processus de
remboursement au commerçant. À la lumière de cette preuve, les arguments des
appelants qualifiant la tenue de registres comme une tentative de leur imposer la
gestion d’un système de taxe sur les non-autochtones perdent tout leur poids.
[111] En outre, un des appelants a expliqué, au procès, que certaines mesures ont
déjà été adoptées de façon volontaire. C’est ainsi que, par exemple, une station-service
propriété de l’appelant Scott Stacey comporte ce qu’il appelle « a Native Pump ». Grâce
à un système informatique, cette pompe dispense automatiquement aux autochtones
des carburants à un prix inférieur. Lorsque le juge de première instance lui a demandé
comment il parvenait à identifier sa clientèle autochtone, M. Stacey répondit:
« [TRADUCTION] Bien, comme je disais, nous connaissons tout le monde et si nous ne
les connaissons pas, nous leur demandons leur carte. »
70
71
Williams c. Canada, supra, note 41, 885 et 886.
Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, 131; Succession Bastien c. Canada, supra,
note 41; McDiarmid Lumber Ltd. c. Première Nation de God's Lake, [2006] 2 R.C.S. 846, 2006 CSC
58, paragr. 27.
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[112] À la lumière de cette preuve, il est difficile d’écarter la conclusion de fait du juge
de première instance selon laquelle les appelants peuvent s’accommoder du système
qui leur est offert sans contrainte excessive. Le refus de leur part de se prévaloir de
solutions pratiques mises à leur disposition ne saurait rendre inconstitutionnelles les
mesures budgétaires. Il donne plutôt à penser que les appelants sont davantage
motivés par le désir de conserver un avantage compétitif que par l’incapacité de gérer
un système administratif que l’on ne saurait qualifier d’excessif. Malheureusement pour
eux, le rôle des tribunaux n’est pas d’intervenir en semblable matière.
[113] Force est de conclure que l’analyse du juge de première instance concernant la
constitutionnalité des mesures budgétaires de 2011 ne comporte pas d’erreur.
3.7 L'intérêt juridique des appelants
[114] Lors de sa plaidoirie en première instance, l’avocate du procureur général du
Canada avance que les appelants n’ont pas d’intérêt pour agir, car les droits invoqués
ne sont pas des droits individuels, mais plutôt des droits ancestraux collectifs qui
appartiennent à la collectivité autochtone en général. À cet égard, elle établit une
distinction entre la présente situation et la possibilité pour un accusé détenant le statut
d’Indien de faire valoir un droit ancestral comme moyen de défense à l’occasion de
procédures criminelles72.
[115] Les appelants détiennent tous le statut d’« Indien » au sens de la Loi sur les
Indiens. Ils exploitent ou exploitaient des stations-service sur la réserve de Kahnawake.
Il ressort du dossier que les appelants achètent des carburants de fournisseurs qui les
livrent sur la réserve. Ils ne paient pas de TPS et de TVQ sur ces carburants; ils paient
cependant un montant équivalant à la taxe sur les carburants. Ils ne perçoivent pas la
TPS et la TVQ sur les ventes de carburants qu’ils effectuent dans leurs stations-service,
peu importe que leurs clients détiennent ou non le statut d’Indien. Ils omettent
également de remettre à l’ARQ les sommes qui auraient dû être perçues à ce chapitre.
La majorité de leurs clients ne possèdent pas le statut d’Indien et ne bénéficient pas,
quant à eux, d’une exemption du paiement de ces taxes.
[116] Il n’est pas contesté que les procédures en jugement déclaratoire des appelants
constituent une réponse à des mesures de recouvrement de taxes entreprises par le
ministère du Revenu du Québec, remontant à 1994.
[117] Au procès, à l’étape de la contre-preuve, Pearl-Ann Diome, une témoin qui
connaissait la structure politique de la réserve, déclare que le Conseil de bande de
Kahnawake ne souhaitait pas intervenir dans ces procédures. Elle s’exprime en ces
termes : « […] the council refused to cooperate at all with this particular trial. They
72
Le procureur général du Québec ne s’est pas penché sur cet argument portant sur l’intérêt pour agir
des appelants, bien que la question ait été abordée par l’un de ses avocats dans une réponse à une
question posée par le juge de première instance portant sur l’obligation de consultation.
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wanted nothing to do with us or what we’re doing. They’ve distanced themselves for
some reason. »
[118] En analysant la prétention des appelants selon laquelle le gouvernement fédéral
a failli à son obligation de consultation découlant du principe de l’honneur de la
Couronne73, le juge de première instance écrit ceci :
[405] […] Il appert des témoignages et des plaidoiries que les requérants
reprochent aux gouvernements de ne pas les avoir consultés en tant que
commerçants autochtones lors de l’adoption du budget Bachand et de la loi qui y
a donné suite. À cet égard, ces commerçants ne représentent ni le Conseil de
bande de Kahnawake ni, plus généralement, les membres de leur communauté
et rien n’indique qu’ils auraient été dûment mandatés pour plaider l’invalidité des
dispositions législatives et administratives fondée sur l’absence de consultation
valable.
[406] Dans la récente affaire Behn, la Cour suprême du Canada a souligné que :
L’obligation de consultation existe pour la protection des droits
collectifs des peuples autochtones. C’est pourquoi elle est due au
groupe autochtone titulaire des droits protégés par l’art. 35, qui sont
par nature des droits collectifs […]
Un groupe autochtone peut toutefois autoriser un individu ou un
organisme à le représenter en vue de faire valoir ses droits garantis
par l’art. 35 [...].74
[407] Dans la présente affaire, même si les requérants sont tous des
commerçants autochtones, leurs doléances n’ont, on l’a vu, rien à voir avec leurs
droits ancestraux ou issus de traités ni non plus leurs droits collectifs
autochtones. Ils ne représentent pas leur communauté et rien dans leurs actes
de procédure ne démontre qu’ils auraient reçu le mandat des membres de leur
groupe de les représenter en rapport avec la prétendue violation de leurs droits
autochtones. En fait, le témoignage de Mme Diome à l’audience démontre plutôt
le contraire. Non seulement les requérants ne sont pas mandatés par le Conseil
de bande de Kahnawake, mais ce dernier n’est pas non plus intervenu au
dossier pour les appuyer dans leur démarche judiciaire proprement dite, même
si, dans les derniers jours du procès, ce conseil a dépêché un avocat dans la
salle d’audience à titre d’« observateur ». Si une obligation de consulter existait,
ce qui n’est pas le cas, ce serait à la limite à l’égard de la communauté en
général et non à l’égard de quelques commerçants en particulier.
[Référence omise]
73
74
R. c. Badger, [1996] 1 R.C.S. 771, 794; Nation Haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts),
[2004] 3 R.C.S. 511, 2004 CSC 73, paragr. 16-18.
Soulignements ajoutés par le juge de première instance.
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[119] En appel, le procureur général du Canada a réitéré cette position dans son
mémoire, mais n’en a pas fait mention lors de l’audience. Le procureur général du
Québec ne s’est pas prononcé sur la question, que ce soit dans son mémoire ou lors de
l’audience.
[120] Avec égards, la Cour est d’avis que les appelants avaient un intérêt suffisant en
ce qui concerne leur demande visant à obtenir un jugement déclaratoire. Le point de
départ de toute discussion à ce sujet est l’article 55 du Code de procédure civile, lequel
était en vigueur lorsque les procédures ont été entreprises en 1994 :
55. Celui qui forme une demande
en justice, soit pour obtenir la
sanction d'un droit méconnu,
menacé ou dénié, soit pour faire
autrement
prononcer
sur
l'existence
d'une
situation
juridique, doit y avoir un intérêt
suffisant.75
55. Whoever brings an action at law,
whether for the enforcement of a right
which is not recognized or is
jeopardized or denied, or otherwise to
obtain a pronouncement upon the
existence of a legal situation, must
have a sufficient interest therein.
[121] Ici, une analogie peut être faite avec le droit d’un accusé d’invoquer un droit
collectif comme fondement de sa défense à une accusation criminelle. Les appelants
ont été directement appelés à appliquer les dispositions contestées, et non les autres
personnes détenant le statut d’Indien et vivant sur la réserve, au nom de qui le Conseil
de bande agit. Les appelants sont également susceptibles de subir personnellement les
conséquences financières du non-respect de ces dispositions, un facteur rendant
l’analogie avec le contexte criminel encore plus pertinente.
[122] De plus, l’article 55 C.p.c. fait explicitement état du droit d’une personne
d’intenter un recours « pour obtenir la sanction d’un droit méconnu, menacé ou dénié »,
ce qui est précisément le cas des appelants. Ils ne réclament pas l’existence d’un droit
individuel, mais plutôt celle d’un droit collectif qui s’applique à eux dans les
circonstances particulières de la présente affaire.
[123] Dans le contexte de l’analyse de la question de l’intérêt pour agir, prétendre que
la recherche d’une conclusion quant à l’existence d’un droit en faveur des appelants
peut être écartée de manière préliminaire en arguant l’inexistence dudit droit est un
raisonnement pouvant être qualifié de circulaire. Cela revient à confondre le droit
qu’une question soit tranchée au fond avec la question de savoir si le droit invoqué
existe.
[124] Manifestement, les appelants ne sont pas de simples observateurs qui
s’immiscent dans une affaire qui ne les concerne pas. Ils ne sont pas de purs étrangers
75
er
Le premier alinéa de l’article 85 du Code de procédure civile entré en vigueur le 1 janvier 2016
reprend cette disposition en des termes similaires, tandis que le second alinéa codifie des principes
émanant de la jurisprudence eu égard aux questions d’intérêt public.
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au redressement recherché dans leur requête en jugement déclaratoire. Au contraire,
ils tireraient un avantage évident dans le cas d’un jugement favorable.
[125] Indépendamment de ce qui précède, dans le récent arrêt unanime de la Cour
suprême du Canada dans Behn76, sur lequel le juge de première instance s’est appuyé,
le juge LeBel a reconnu spécifiquement que des droits collectifs peuvent avoir des
aspects individuels. Il s’exprime ainsi :
[33] La Couronne soutient que les demandes fondées sur des droits issus de
traités doivent être présentées par la collectivité autochtone ou en son nom.
Cette proposition générale est trop restrictive. Il est vrai que les droits ancestraux
et issus de traités sont, de par leur nature, des droits collectifs : voir R. c.
Sparrow, 1990 CanLII 104 (CSC), [1990] 1 R.C.S. 1075, p. 1112; Delgamuukw,
par. 115; R. c. Sundown, 1999 CanLII 673 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 393,
par. 36; R. c. Marshall, 1999 CanLII 666 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 533, par. 17 et
37; R. c. Sappier, 2006 CSC 54(CanLII), [2006] 2 R.C.S. 686, par. 31; Beckman,
par. 35. Toutefois, certains droits, bien que la collectivité autochtone en soit
titulaire, sont néanmoins exercés par des membres à titre individuel ou attribués
à ceux-ci. De tels droits peuvent par conséquent posséder des attributs à la fois
collectifs et individuels. Il est possible que des membres de la collectivité
possèdent à titre individuel un intérêt acquis dans la protection de ces droits.
Comme certains intervenants l’ont fait valoir, il se peut fort bien que, lorsque les
circonstances s’y prêtent, des membres d’une collectivité puissent être en
mesure d’invoquer à titre individuel certains droits ancestraux ou issus de traités.
[34] Des suggestions intéressantes ont été faites à propos de la catégorisation
des droits ancestraux et issus de traités. Par exemple, les intervenants le Grand
Conseil des Cris et l’Administration régionale crie en font état dans leur mémoire,
au par. 14. Ils y proposent de distinguer trois types de droits ancestraux et issus
de traités : a) les droits exclusivement collectifs, b) les droits mixtes et c) les
droits essentiellement individuels. Ces intervenants ont également cherché à
classer divers droits dans ces trois catégories.
[35] Ces suggestions témoignent de la diversité des droits ancestraux et issus de
traités, mais j’éviterai, dans ce pourvoi, à ce stade de l’évolution du droit, de
procéder à une catégorisation générale de ces droits et de tenter de tous les
faire entrer dans la catégorie appropriée. Il suffit de reconnaître qu’en dépit de
l’importance cruciale que revêt l’aspect collectif des droits ancestraux et issus de
traités, des droits peuvent parfois être attribués à des membres des collectivités
autochtones ou exercés par eux sur une base individuelle, ou encore être créés
en leur faveur. On pourrait affirmer, de façon générale, que ces droits leur
appartiendraient peut-être ou qu’ils comporteraient un aspect individuel malgré
leur nature collective. Il ne convient pas d’en dire davantage pour l’instant.
[Notre soulignement]
76
Behn c. Moulton Contracting Ltd., [2013] 2 R.C.S. 227, 2013 CSC 26.
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[126] Ainsi en est-il dans le cas des appelants. Les droits qu’ils invoquent
« comporte[nt] un aspect individuel malgré leur nature collective ». Cet aspect individuel
leur octroie l’intérêt suffisant pour ester en justice. En effet, en tant que détaillants de
carburants, les appelants sont parmi les principaux commerçants sur le territoire de la
réserve. Par conséquent, ils ont un plus grand intérêt, que ce soit sur le plan juridique
ou autrement, que les autres membres de la communauté ou la communauté en
général. La Cour conclut donc que les appelants avaient un intérêt suffisant pour former
une demande en jugement déclaratoire, visant à déterminer si les droits ancestraux
qu’ils invoquent s’appliquent dans les circonstances de l’espèce.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[127] REJETTE l’appel, avec dépens.
NICOLE DUVAL HESLER, J.C.Q.
JACQUES CHAMBERLAND, J.C.A.
FRANCE THIBAULT, J.C.A.
ALLAN R. HILTON, J.C.A.
JEAN BOUCHARD, J.C.A.
Me Thimothé Huot
Me Angela Markakis
Me Carolyn McCarthy
Spiegel Sohmer inc.
Pour les appelants
Me Patrice Peltier-Rivest
Me Nicolas Ammerlaan
Larivière Meunier
Pour l'Agence du Revenu du Québec, la procureure générale du Québec et le sousministre du Revenu du Québec
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Me Nancy Bonsaint
Me Stéphanie Dépeault
Ministère de la justice Canada
Pour la procureure générale du Canada
Date d’audience : 9 novembre 2015
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ANNEXE 1
Version originale
[…]
And whereas it is just and reasonable, and essential to our Interest, and
the Security of our Colonies, that the several Nations or Tribes of Indians with
whom We are connected, and who live under our Protection, should not be
molested or disturbed in the Possession of such Parts of Our Dominions and
Territories as, not having been ceded to or purchased by Us, are reserved to
them, or any of them, as their Hunting Grounds. -- We do therefore, with the
Advice of our Privy Council, declare it to be our Royal Will and Pleasure, that no
Governor or Commander in Chief in any of our Colonies of Quebec, East Florida,
or West Florida, do presume, upon any Pretence whatever, to grant Warrants of
Survey, or pass any Patents for Lands beyond the Bounds of their respective
Governments, as described in their Commissions; as also that no Governor or
Commander in Chief in any of our other Colonies or Plantations in America do
presume for the present, and until our further Pleasure be known, to grant
Warrants of Survey, or pass Patents for any Lands beyond the Heads or Sources
of any of the Rivers which fall into the Atlantic Ocean from the West and North
West, or upon any Lands whatever, which, not having been ceded to or
purchased by Us as aforesaid, are reserved to the said Indians, or any of them.
And We do further declare it to be Our Royal Will and Pleasure, for the
present as aforesaid, to reserve under our Sovereignty, Protection, and
Dominion, for the use of the said Indians, all the Lands and Territories not
included within the Limits of Our said Three new Governments, or within the
Limits of the Territory granted to the Hudson's Bay Company, as also all the
Lands and Territories lying to the Westward of the Sources of the Rivers which
fall into the Sea from the West and North West as aforesaid.
And We do hereby strictly forbid, on Pain of our Displeasure, all our loving
Subjects from making any Purchases or Settlements whatever, or taking
Possession of any of the Lands above reserved, without our especial leave and
Licence for that Purpose first obtained.
And, We do further strictly enjoin and require all Persons whatever who
have either wilfully or inadvertently seated themselves upon any Lands within the
Countries above described, or upon any other Lands which, not having been
ceded to or purchased by Us, are still reserved to the said Indians as aforesaid,
forthwith to remove themselves from such Settlements.
And whereas great Frauds and Abuses have been committed in
purchasing Lands of the Indians, to the great Prejudice of our Interests, and to
the great Dissatisfaction of the said Indians; In order, therefore, to prevent such
Irregularities for the future, and to the end that the Indians may be convinced of
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our Justice and determined Resolution to remove all reasonable Cause of
Discontent, We do, with the Advice of our Privy Council strictly enjoin and
require, that no private Person do presume to make any purchase from the said
Indians of any Lands reserved to the said Indians, within those parts of our
Colonies where, We have thought proper to allow Settlement; but that, if at any
Time any of the Said Indians should be inclined to dispose of the said Lands, the
same shall be Purchased only for Us, in our Name, at some public Meeting or
Assembly of the said Indians, to be held for that Purpose by the Governor or
Commander in Chief of our Colony respectively within which they shall lie; and in
case they shall lie within the limits of any Proprietary Government, they shall be
purchased only for the Use and in the name of such Proprietaries, conformable
to such Directions and Instructions as We or they shall think proper to give for
that Purpose; And we do, by the Advice of our Privy Council, declare and enjoin,
that the Trade with the said Indians shall be free and open to all our Subjects
whatever, provided that every Person who may incline to Trade with the said
Indians do take out a Licence for carrying on such Trade from the Governor or
Commander in Chief of any of our Colonies respectively where such Person shall
reside, and also give Security to observe such Regulations as We shall at any
Time think fit, by ourselves or by our Commissaries to be appointed for this
Purpose, to direct and appoint for the Benefit of the said Trade:
And we do hereby authorize, enjoin, and require the Governors and
Commanders in Chief of all our Colonies respectively, as well those under Our
immediate Government as those under the Government and Direction of
Proprietaries, to grant such Licences without Fee or Reward, taking especial
Care to insert therein a Condition, that such Licence shall be void, and the
Security forfeited in case the Person to whom the same is granted shall refuse or
neglect to observe such Regulations as We shall think proper to prescribe as
aforesaid.
And we do further expressly enjoin and require all Officers whatever, as
well Military as those Employed in the Management and Direction of Indian
Affairs, within the Territories reserved as aforesaid for the use of the said Indians,
to seize and apprehend all Persons whatever, who standing charged with
Treason, Misprisions of Treason, Murders, or other Felonies or Misdemeanors,
shall fly from Justice and take Refuge in the said Territory, and to send them
under a proper guard to the Colony where the Crime was committed of which
they stand accused, in order to take their Trial for the same.
[…]
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Version française
[…]
Attendu qu'il est juste, raisonnable et essentiel pour Notre intérêt et la
sécurité de Nos colonies de prendre des mesures pour assurer aux nations ou
tribus sauvages qui sont en relations avec Nous et qui vivent sous Notre
protection, la possession entière et paisible des parties de Nos possessions et
territoires qui ont été ni concédées ni achetées et ont été réservées pour ces
tribus ou quelques-unes d'entre elles comme territoires de chasse, Nous
déclarons par conséquent de l'avis de Notre Conseil privé, que c'est Notre
volonté et Notre plaisir et nous enjoignons à tout gouverneur et à tout
commandant en chef de Nos colonies de Québec, de la Floride Orientale et de la
Floride Occidentale, de n'accorder sous aucun prétexte des permis d'arpentage
ni aucun titre de propriété sur les terres situées au-delà des limites de leur
gouvernement respectif, conformément à la délimitation contenue dans leur
commission. Nous enjoignons pour la même raison à tout gouverneur et à tout
commandant en chef de toutes Nos autres colonies ou de Nos autres plantations
en Amérique, de n'accorder présentement et jusqu'à ce que Nous ayons fait
connaître Nos intentions futures, aucun permis d'arpentage ni aucun titre de
propriété sur les terres situées au-delà de la tête ou source de toutes les rivières
qui vont de l'ouest et du nord-ouest se jeter dans l'océan Atlantique ni sur celles
qui ont été ni cédées ni achetées par Nous, tel que susmentionné, et ont été
réservées pour les tribus sauvages susdites ou quelques-unes d'entre elles.
Nous déclarons de plus que c'est Notre plaisir royal ainsi que Notre
volonté de réserver pour le présent, sous Notre souveraineté, Notre protection et
Notre autorité, pour l'usage desdits sauvages, toutes les terres et tous les
territoires non compris dans les limites de Nos trois gouvernements ni dans les
limites du territoire concèdé à la Compagnie de la baie d'Hudson, ainsi que
toutes les terres et tous les territoires situés à l'ouest des sources des rivières qui
de l'ouest et du nord-ouest vont se jeter dans la mer.
Nous défendons aussi strictement par la présente à tous Nos sujets, sous
peine de s'attirer Notre déplaisir, d'acheter ou posséder aucune terre ci-dessus
réservée, ou d'y former aucun établissement, sans avoir au préalable obtenu
Notre permission spéciale et une licence à ce sujet.
Et Nous enjoignons et ordonnons strictement à tous ceux qui en
connaissance de cause ou par inadvertance, se sont établis sur des terres
situées dans les limites des contrées décrites ci-dessus ou sur toute autre terre
qui n'ayant pas été cédée ou achetée par Nous se trouve également réservée
pour lesdits sauvages, de quitter immédiatement leurs établissements.
Attendu qu'il s'est commis des fraudes et des abus dans les achats de
terres des sauvages au préjudice de Nos intérêts et au grand mécontentement
de ces derniers, et afin d'empêcher qu'il ne se commette de telles irrégularités à
l'avenir et de convaincre les sauvages de Notre esprit de justice et de Notre
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résolution bien arrêtée de faire disparaître tout sujet de mécontentement, Nous
déclarons de l'avis de Notre Conseil privé, qu'il est strictement défendu à qui que
ce soit d'acheter des sauvages, des terres qui leur sont réservées dans les
parties de Nos colonies, ou Nous avons cru à propos de permettre des
établissements; cependant si quelques-uns des sauvages, un jour ou l'autre,
devenaient enclins à se départir desdites terres, elles ne pourront être achetées
que pour Nous, en Notre nom, à une réunion publique ou à une assemblée des
sauvages qui devra être convoquée a cette fin par le gouverneur ou le
commandant en chef de la colonie, dans laquelle elles se trouvent situées; en
outre, si ces terres sont situées dans les limites de territoires administrés par
leurs propriétaires, elles ne seront alors achetées que pour l'usage et au nom
des propriétaires, conformément aux directions et aux instructions que Nous
croirons ou qu'ils croiront à propos de donner à ce sujet; de plus Nous déclarons
et signifions de l'avis de Notre Conseil privé que Nous accordons à tous Nos
sujets le privilège de commerce ouvert et libre, à condition que tous ceux qui
auront l'intention de commercer avec lesdits sauvages se munissent de licence à
cette fin, du gouverneur ou du commandant en chef de celle de Nos colonies
dans laquelle ils résident, et qu'ils fournissent des garanties d'observer les
règlements que Nous croirons en tout temps, à propos d'imposer Nous mêmes
ou par l'intermédiaire de Nos commissaires nommés à cette fin, en vue d'assurer
le progrès dudit commerce.
Nous autorisons par la présente les gouverneurs et les commandants en
chef de toutes Nos colonies respectivement, aussi bien ceux qui relèvent de
Notre autorité immédiate que ceux qui relèvent de l'autorité et de la direction des
propriétaires, d'accorder ces licences gratuitement sans omettre d'y insérer une
condition par laquelle toute licence sera déclarée nulle et la protection qu'elle
conférera enlevée, si le porteur refuse ou néglige d'observer les règlements que
Nous croirons à propos de prescrire. Et de plus Nous ordonnons et enjoignons à
tous les officiers militaires et à ceux chargés de l'administration et de la direction
des affaires des sauvages, dans les limites des territoires réservés à l'usage
desdits sauvages, de saisir et d'arrêter tous ceux sur qui pèsera une accusation
de trahison, de non-révélation d'attentat, de meurtre, de félonie ou de délits de
tout genre et qui, pour échapper aux atteintes de la justice, auront cherché un
refuge dans lesdits territoires, et de les renvoyer sous bonne escorte dans la
colonie ou le crime dont ils seront accusés aura été commis et pour lequel ils
devront subir leur procès.
[…]