Let Scient N° 118 - Fonds Français pour l`Alimentation et la Santé
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Let Scient N° 118 - Fonds Français pour l`Alimentation et la Santé
LETTRE SCIENTIFIQUE de l’Institut Français pour la Nutrition ISSN 1629-0119 MARS 2007 - N° 118 Effets de génération sur les comportements alimentaires Pascale Hébel CREDOC, Département consommation, 142 rue du Chevaleret, 75013 Paris [email protected] Résumé : Le modèle alimentaire traditionnel des Français reposant sur la convivialité, la diversité alimentaire, la régularité des horaires des repas, … est de moins en moins suivi par les jeunes générations. Par ces changements générationnels, on assiste non pas à une disparition du modèle alimentaire français ou à une déstructuration des repas mais à une modification de ce modèle : diminution du nombre de plats et des temps de préparation, irrégularité des horaires de repas, augmentation des plateaux-repas et essor des produits transformés et plats exotiques au détriment des produits de base. Cette évolution répond aux modifications des modes de vie qui demandent du gain de temps, de la praticité et de la commodité. Cette tendance de fond s’accompagne d’une préoccupation grandissante vis-à-vis de la santé qui gagne toutes les générations et se traduit par une croissance forte des segments de marché de l’alimentation santé. La troisième dimension du triptyque alimentaire est le fondement de base de l’alimentation française qui perdure sous de nouvelles formes : le plaisir dans l’alimentation. Il se traduit par le développement des invitations chez soi sous forme d’apéritifs dînatoires et de la cuisine loisirs qui prend forme au travers des cours de cuisine. Abstract : The traditional food model of French resting on user-friendliness, food diversity, the regularity of the schedules of the meals,… is less and less followed by the younger generations. By these generational changes, one attends not with a disappearance of the French food model or with a destructuration of the meals but a modification of this model: reduction in the number of dishes and the make-ready times, irregularity of the schedules of meal, increase in the tray meals and rise of products the processed and flat exotics with the detriment of the basic commodities. This evolution answers the modifications of the ways of life which require saving of time, praticity and convenience. This basic trend is accompanied by a concern growing with respect to the health which gains all the generations and results in a strong growth of the market segments of the food health. The third dimension of the food triptych is the basic base of the French food which perdures in new forms: pleasure in the food. It results in the development of the invitations at home in the form of aperitifs dînatoires and of the kitchen leisures which takes form through the courses of kitchen. Pascale Hébel est directrice du département Consommation du CREDOC. Elle est spécialiste de l’anticipation des comportements des consommateurs. Elle développe actuellement un outil de lecture des évolutions du comportement basé sur le marketing générationnel et éprouvé dans de nombreux secteurs de l’économie (automobile, services financiers, etc…). Toute son expérience professionnelle s’est construite dans le domaine de l’alimentation puisqu’elle a commencé sa carrière à l’INRA, puis elle a participé au CREDOC à la création de l’Observatoire des consommations alimentaires au département “Prospective de la consommation”. Elle a ensuite participé au développement d’outils d’évaluation des performances du mix du marketing, en tant que consultante senior “Modèles et analyses” chez AC Nielsen. Elle a ensuite dirigé le pôle “Marketing et consommation” au BIPE jusqu’en 2004. Elle est ingénieur agronome (INA-PG 85) et docteur en statistiques et chargée d’enseignement à Paris VII. Conférence du 15 mars 2007 La Lettre Scientifique de l’IFN engage la seule responsabilité de son auteur. LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 INTRODUCTION L'évolution des comportements alimentaires est devenue un véritable sujet de société. Le thème le plus préoccupant, aujourd'hui, est celui de l'obésité : il pose la question de la pérennité du modèle alimentaire français considéré comme garant de la longue espérance de vie de nos concitoyens. Pour certains, les nouvelles habitudes alimentaires sous influence anglo-saxonne et nordique entraîneraient des comportements basés sur une surconsommation de graisses et de sucres raffinés. Quelles seront demain les habitudes de consommation et comment évoluera le modèle alimentaire français ? Pour anticiper l’évolution des comportements alimentaires dans les années à venir, nous proposons de mesurer les forces de l’habitude au travers d’un modèle générationnel dont l’intérêt réside dans : • la compréhension nouvelle qu’il donne à la force de l’habitude et aux ruptures qui peuvent opposer des générations entre elles ; • le suivi dynamique des générations qui, à l’aide de modélisation statistique (modèle Age - Période - Cohorte) sur des données historiques, permet d’établir l’existence des effets d’âge et/ou de génération. Ces effets peuvent être isolés à partir des variables de revenus, de diplôme ou encore de taille ou de nature du ménage comme l’ont fait de nombreux auteurs [1], [2], [3]. Les projections démographiques permettent ensuite de projeter les comportements et attitudes à l’horizon 2020. Si les nouvelles générations sont plus adeptes d’un certain comportement que leurs aînées, on peut anticiper "toutes choses égales par ailleurs" que ce comportement se développera avec le remplacement des générations. Si le comportement n’est lié qu’à l’âge et s’il augmente avec l’âge, le comportement se développera avec le vieillissement de la population. Le CREDOC dispose d’enquêtes historiques depuis 1988 (Enquêtes CAF) sur l’observation des attitudes et la mesure des comportements réels. Ainsi de nombreux thèmes peuvent-ils être traités, tels que l’approvisionnement, la préparation et les formes de consommation. Les enquêtes de l’INSEE "Budget des Ménages" (1979,1984, 1989, 1995, 2001) ont été utilisées pour analyser l’évolution des dépenses des ménages dans le secteur alimentaire. En termes de consommation de produits alimentaires, les facteurs les plus discriminants sont avant tout ceux de l’âge et le plus souvent derrière l’effet d’âge se cache l’effet de génération. Afin d’étudier les effets propres de l’âge et de la génération, le CREDOC a défini des générations, suivies par le biais des différentes enquêtes du CREDOC et de l’INSEE. Ces générations sont regroupées en tranches décennales, en prenant comme référence 1947, année qui succède au pic du baby boom. Considérant que dans le domaine alimentaire, une génération est marquée par le comportement qu'elle adopte à 25 ans, âge moyen de la mise en couple, on nomme les générations en référence aux habitudes alimentaires qu'elles ont pu adopter dès leur 25ème anniversaire : • Génération “privations” (1907-1916) : ces individus ont eu 25 ans entre 1932 et 1941, période de crise (le krach boursier 2 a touché la France plus tard que les autres pays) et de guerre. Leur comportement se caractérise par la consommation de la pomme de terre. Ayant connu les guerres et les privations, elle lui reste très fidèle. Cette préférence est également liée à la présence de la pomme de terre et d’autres féculents dans les potagers d’autrefois et donc à un savoir culinaire plus important sur cet aliment. • Génération “rationnement” (1917-1926) : les individus issus de cette génération ont eu 25 ans entre 1942 et 1951, périodes des rationnements alimentaires en France. Ses comportements sont assez proches de ceux de la génération “privations”. • Génération “réfrigérateurs” (1927-1936) : elle regroupe les individus qui ont eu 25 ans entre 1952 et 1961, c'est-à-dire au moment où un nouveau mode de conservation des aliments est apparu, le réfrigérateur, qui va changer les comportements alimentaires en permettant une meilleure conservation de leurs produits. • Génération “robots ménagers” (1937-1946) : elle correspond aux individus qui ont eu 25 ans entre 1962 et 1971 et qui ont à leur tour connu une révolution dans la préparation des repas : l'apparition du robot électrique, qui permet un gain de temps considérable et va contribuer à diminuer le temps de préparation des repas. C'est à partir de cette génération que va se développer la consommation de produits exotiques. • Génération “hypermarchés” (1947-1956) : les individus appartenant à cette génération ont eu 25 ans entre 1972 et 1981, époque du développement des hypermarchés que cette génération fréquente volontiers. C’est avec cette génération que la durée de préparation des repas s’est mise à diminuer. • Génération “aliments services” (1957-1966) : les individus appartenant à cette génération ont eu 25 ans entre 1982 et 1991. C'est à cette période qu'ils ont pris l'habitude de consommer des plats achetés préparés, préférant consacrer leur temps libre à d'autres activités que la préparation des repas. • Génération “hard discount” (1967-1976) : elle correspond aux individus qui ont eu 25 ans entre 1992 et 2001. Délaissant les hypermarchés, de plus en plus infidèles aux marques, ces consommateurs, fortement attachés au rapport qualité - prix, se tournent vers les hard discounts. Cette génération marque une rupture dans le respect des horaires des repas. Dans cette génération, 25 % des individus de 30 ans ne dînent pas à heure fixe, alors que pour la génération précédente, au même âge, 20 % seulement variaient l'heure du dîner. I - PRATICITE ET COMMODITE : BAISSE DES CONSOMMATIONS DE PRODUITS FRAIS ET PROGRESSION DES PRODUITS TRANSFORMES D’une part, les évolutions de modes de vie, notamment l’augmentation de l’activité féminine, l’éloignement domicile-travail, l’augmentation de ménages constitués d’un seul adulte (solos et familles monoparentales), l’augmentation de la durée LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 des études réduisent le temps à consacrer aux courses et à la préparation alimentaire. D’autre part, dans une société imprégnée de loisirs, les nouvelles générations sont en recherche constante de temps pour soi [4]. Toutes les catégories sociales des nouvelles générations sont ainsi de plus en plus à l’affût de produits qui épargnent des tâches peu agréables : épluchage, lavage, préparation et cuisson et aspirent à ne plus avoir de corvées. Les “aliment-services” permettent à l’offreur d’obtenir plus de valeur ajoutée. La technologie a même permis d'aller plus loin et d'apporter du service au-delà de l'alimentation : En euros par an 450 400 350 Génération ROBOT -ELECTRIQUE (1937-1946) 1984 1989 Génération MAI 68 – Hypermarch é1979 (1947-1956) - par l'incorporation de valeurs immatérielles (comme en témoignent certaines campagnes publicitaires). L’objet est décalé de sa valeur d’usage vers sa fonction de signe social ; - la distribution fait partie du produit. L’augmentation des grandes et moyennes surfaces de vente conduit l’offreur a utiliser ces circuits de distribution devenus obligatoires pour le développement d’un nouveau produit. I.1. Baisse générationnelle de la consommation de produits frais Légumes et fruits ont toujours été une des bases de l'alimentation des Français et font partie du régime culturel et traditionnel. Pourtant, depuis 1980, leur consommation diminue. La consommation moyenne des ménages en fruits frais (respectivement en légumes frais) est passée de 345 euros par an (respectivement 340) en 1979 à 305 euros par an (respectivement 283) en 2000. Le marché total des dépenses, lui, est passé de 5 880 millions d’euros par an (respectivement 5 809) à 7 475 millions (respectivement 6 931), soit une progression du marché de 1,1 % par an (respectivement 0,8 %). L’évolution du marché total est plus forte que celle par ménage puisque le nombre de ménages augmente de 0,9 % par an. 250 La diminution des dépenses en légumes frais s'explique par une simplification de la préparation des plats : les légumes demandent du temps de préparation, ils sont rarement utilisés tels quels. Cela est moins vrai pour les fruits frais, qui ne demandent pas de réels investissements de préparation, leur épluchage mis à part. Une autre raison est alors évoquée : la gestion des stocks et le refus du gaspillage. L'approche générationnelle montre que si la consommation de fruits et légumes baisse, cela n'ira pas en s'arrangeant avec les nouvelles générations. Il est nécessaire de prendre en compte cette composante générationnelle dans la communication si l’on veut faire évoluer la consommation de ces produits. LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 2001 Génération ALIMENT -SERVICES (1957-1966) Génération PENURIE (1907-1916) 200 150 Génération HARD DISCOUNT (1967-1976) 100 50 Génération PLATEAU -REPAS (1977-1986) 0 18 -27 23-32 28-37 33 -42 38-47 43-52 48-57 53-62 58-67 63 -72 68-77 73-82 78-87 83-92 Source : Enquêtes BDF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000 (INSEE) Graphique 1 : Effets d'âge et de génération sur les dépenses en fruits frais, par ménage (euros constants 1995, par an) Dans le cadre du débat sur les difficultés des ménages défavorisées et du poids du prix dans les choix d’achats de fruits, il est intéressant de regarder si les effets d'âge et de génération évoluent de la même manière chez les personnes appartenant au quartile ayant les plus bas revenus (Graphique 2). On constate que pour les plus pauvres, la consommation de fruits et légumes frais décroît avec l'âge ou avec le temps, l’effet de la baisse est plus fort pour cette catégorie de population. Le décalage de niveau de consommation entre la génération Hypermarché et Aliments-services est beaucoup plus fort dans les catégories défavorisées. En euros par an Génération ROBOT -ELECTRIQUE (1937-1946) Génération REFRIGERATEUR (1927-1936) 1979 400 350 300 Génération MAI 68 – Hypermarch é 1984 (1947-1956) Génération RATIONNEMENT (1917 -1926) 250 1989 200 Génération ALIMENT -SERVICES (1957-1966) Génération PENURIE (1907 -1916) 1995 2001 150 Génération HARD DISCOUNT (1967-1976) 100 50 Le graphique 1 montre un effet générationnel marqué pour la consommation de fruits frais, la génération Plateau-repas, née entre 1977 et 1986 dépense 8 fois moins que la génération de ses grands-parents au même âge. Génération RATIONNEMENT (1917-1926) 1995 300 13 -22 - par le conditionnement (qui sert de récipient de cuisson, verre/gourde, mûrisseur de viande, doseur) et l’augmentation des informations sur les emballages ; Génération REFRIGERATEUR (1927-1936) 500 Génération PLATEAU -REPAS (1977-1986) 0 13-22 18-27 23-32 28-37 33-42 38-47 43-52 48-57 53-62 58-67 63-72 68-77 73-82 78-87 83-92 Source : Enquêtes BDF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000 (INSEE) Graphique 2 : Effets d'âge et de génération sur les dépenses en fruits frais, par ménage appartenant à la plus petite classe de revenus (euros constants 1995, par an) Compte tenu des évolutions de la population, du revenu et des seuls effets d'âge et de génération, notre modèle prévoit, toutes choses égales par ailleurs, une baisse du marché des fruits frais et du marché des légumes frais de 0,8 % chacun par an en euros constants 1995 à l'horizon 2020. Le niveau d’agrégation des données dans l’enquête Budget des Familles de l’année 2000 ne nous permet pas de cerner les évolutions des différents types de fruits. En effet, Babayou et Volatier (1997) [5] montrent qu’il ne faut pas simplement opposer les seniors adeptes de fruits aux 3 juniors qui n’en mangeront plus dans les années à venir. Le phénomène n’est pas tant une opposition des produits frais par rapport aux produits non frais, mais plutôt une opposition des fruits traditionnels (pommes, poires…), davantage consommés par les seniors, aux fruits plus raffinés (fruits rouges) ou exotiques (ananas, mangue), préférés par les jeunes. Pour l’ensemble des produits de base (fruits et légumes frais, pommes de terre, pain, viande de veau et de boeuf, poissons et crustacés, beurre), la baisse des consommations s’explique par des effets générationnels négatifs. Pour le beurre ou la viande de boeuf par exemple, les acteurs de la filière ont depuis longtemps identifié ce phénomène et ont réagi en proposant des produits à plus forte valeur ajoutée (beurre à tartiner, viande à teneur faible en matières grasses, viande sous vide, viandes casher, …). rations récentes consomment davantage ce type de produits mais en plus, ils en consomment davantage à mesure qu'ils vieillissent (Graphique 4). Participant à la simplification du repas, ces plats apportent un gain de temps substantiel. De plus, comme pour les produits exotiques, les plats tout prêts permettent de varier facilement les menus, élément important du nouveau mode de consommation alimentaire. Les nouvelles générations devraient ainsi privilégier les produits transformés au détriment des produits frais (viandes, fruits, légumes), même si ceux-ci réapparaissent dans la “cuisine-loisir”, plus occasionnelle mais visible ces dernières années à travers la multiplication des clubs de cuisine et le succès des livres de recettes. 1000 I.2. Hausse générationnelle pour les produits transformés Pour beaucoup de produits transformés (ultra frais, plats préparés et en conserve, boissons rafraîchissantes sans alcool et produits diététiques) sont portés par les nouvelles générations. A l’horizon 2020, on peut anticiper que "toutes choses égales par ailleurs", ces marchés se développeront avec des croissances de l’ordre de 1 % à 2 %. L’essor de l’ultra-frais (consommation en volume 25 fois plus élevée en 40 ans) est l’illustration la plus flagrante de ce remplacement des produits de base par des produits élaborés (Graphique 3). En euros par an Génération ALIMENT -SERVICES (1957-1966) 200 Génération HARD DISCOUNT (1967-1976) 150 Génération MAI 68 – Hypermarch é (1947-1956) Génération ROBOT -ELECTRIQUE (1937-1946) Génération REFRIGERATEUR 1984 (1927-1936) 1995 1979 1989 100 2001 50 Génération PLATEAU -REPAS (1977-1986) 0 18-27 23-32 28-37 33-42 38-47 43-52 48-57 53-62 58-67 63-72 68-77 73-82 78-87 83-92 Source : Enquêtes BDF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000 (INSEE) Graphique 3 : Effets d'âge et de génération sur les dépenses en yaourts et desserts lactés frais, en euros constants, par ménage Les conserves et plats préparés connaissent une croissance importante, aussi bien au niveau de l'offre que de la demande : les dépenses annuelles par ménage sont passées de 639 euros par an en 1979 à 872 euros en 2000, soit un taux de croissance annuel de 0,3 %. Le “prêt à consommer” s'adapte à toutes les demandes alimentaires : disponible dans tous les commerces et pour tous les types de consommation. Les chances que le phénomène s’inverse sont faibles, compte tenu du double effet d’âge et de génération : non seulement les individus des géné- 4 800 1979 1979 1979 1979 600 1984 1995 2000 73 78 1989 400 200 1984 0 Age 13 18 23 28 33 38 43 48 53 58 63 68 83 88 Source : Enquêtes BDF 1979, 1984, 1989, 1995, 2000 (INSEE) Graphique 4 : Effets d'âge et de génération sur les dépenses en conserves et plats préparés, en euros constants, par ménage II. EVOLUTION DU MODELE ALIMENTAIRE II.1. Davantage de flexibilité dans les horaires 250 13-22 Génération robots ménagers (née entre 1937 et 1946) Génération hypermarché Génération réfrigérateurs (née entre 1947 et 1956) (née entre 1927 et 1936) Génération aliment-service 2000 Génération rationnement (née entre 1957 et 1966) 1995 (née entre 1917 et 1926) 1989 1989 2000 1995 Génération hard-discount Génération privations 1984 (née entre 1967 et 1976) 1984 1989 1984 1995 2000 (née entre 1907 et 1916) Euros 1200 L’horaire du dîner a connu une forte évolution. Lui qui fut longtemps le repas du milieu de la journée, il a peu à peu vu ses horaires devenir de plus en plus tardifs, jusqu’à prendre la place du souper. Aujourd’hui, on situe le repas aux alentours de 20 h, mais en réalité, un nouveau phénomène naît, caractéristique des nouvelles générations : l’heure du dîner est de moins en moins la même chaque soir, comme si l’horaire s’adaptait à l’individu et non plus l’inverse. Les individus souhaitent de plus en plus planifier leur vie quotidienne selon des rythmes qui leur sont propres. 20 % des individus ne dînent pas à heure fixe en 2003 (variation de plus d’une heure au moins) alors qu’ils n’étaient que 15 % en 1995. L'étude montre que l’augmentation du pourcentage d’individus ne dînant pas à heure fixe s’explique principalement par les effets de génération : au même âge (25 ans), elle est trois fois plus importante pour la génération “hard discount” (née entre 1967 et 1976) que pour la génération de leurs grands-parents (génération “réfrigérateurs”, née entre 1927 et 1936). Si avant la génération “aliment-service” (née entre 1957 et 1966) les évolutions étaient plutôt liées à l'âge (plus l’on vieillit, plus l’on respecte les horaires des repas qui scandent la journée, surtout chez les retraités), c’est un effet purement générationnel qui apparaît à partir de la génération “hard-discount” : celle-ci dîne encore moins souvent à heure fixe. Cette génération a entre 28 LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 et 38 ans en 2003, et même si la jeunesse s’étend aujourd'hui sur une période plus longue, la plupart des individus de cette génération ont déjà une vie familiale sans avoir modifié leur comportement. Cela laisse augurer une accentuation de l’effet dans les prochaines années. Les nouvelles générations fuient la régularité. Ce phénomène a été observé sur la régularité des rendez-vous télévisuels, notamment le journal de 20h. Plus l’on appartient à une génération ancienne, plus l’on est fidèle quotidiennement aux mêmes émissions. Les jeunes sont plus nombreux à ne pas respecter l’horaire, la plupart n’ayant pas encore de bouches autres que les leurs à nourrir. % de ménages 40 35 30 25 20 15 Génération hard-discount (née entre 1967 et 1976) Génération aliment-service (née entre 1957 et 1966) 2000 Génération hypermarché 1997 1995 (née entre 1947 et 1956) Génération robots ménagers 2003 (née entre 1937 et 1946) 2003 Génération réfrigérateurs (née entre 1927 et 1936) 1995 1997 2000 2003 2000 1995 1997 Génération rationnement 2003 (née entre 1917 et 1926) 1995 1997 2000 10 semaine, contre un tiers en 1995. Le “plateau repas” est plus fréquent chez les jeunes (68 % l’utilisent, contre 30 % des 65 ans et plus), les Parisiens (36 % y recourent au moins une fois par semaine, contre 21 % des ruraux), les personnes seules (deux fois plus nombreuses qu’en moyenne à faire un plateaurepas tous les jours), ainsi qu’au sein des familles monoparentales (75 % l’utilisent, contre 38 % des couples sans enfants). Là encore, ce n’est pas tant l’âge qui joue sur la pratique des plateaux-repas mais bien un effet de génération, accompagné d’un effet de période : chaque génération pratique moins le plateau-repas que la suivante (Graphique 6). Au même âge (25 ans), les individus de la génération “hard discount” (19671976) sont deux fois plus nombreux que leurs grands-parents de la génération “réfrigérateurs” (1927-1936) à prendre des plateaux-repas (62 % contre 30 %). Le pourcentage de ménages qui font des plateaux-repas devrait donc encore augmenter dans les années à venir. % de ménages 70 60 Génération hard-discount (née entre 1967 et 1976) Génération aliment-service (née entre 1957 et 1966) Génération hypermarché 2000 1995 1997 (née entre 1947 et 1956) 2003 50 Age 5 40 0 30 23 26 29 33 36 39 43 46 49 53 56 59 63 66 69 73 76 79 83 Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003 Graphique 5 : Pourcentage de ménages ayant répondu “Pas d’heure fixe” à la question "Dînez-vous tous les soirs à heure fixe ?" Le graphique 5 représente, pour chaque génération, l’évolution de son comportement moyen entre 1995 et 2003. Pour la génération née entre 1967 et 1976, 31 % des ménages dont le représentant du ménage a 23 ans ne dînent jamais à heure fixe en 1995. Ils sont 33 % en 1997 (c’est-à-dire quand ils ont 26 ans), 34 % en 2000 (c’est-à-dire quand ils ont 29 ans), 27 % en 2003 (c’est-à-dire quand ils ont 33 ans). Le but de ce graphique est de pouvoir comparer le comportement de chaque génération au même âge. En lisant le graphique de gauche à droite, chacune des courbes se situe au-dessus de la suivante, mettant en évidence l’hypothèse d’un effet générationnel. La rupture est très claire avec la génération née entre 1967 et 1976. II. 2. Perte de prestige pour la table, développement du plateau-repas La table entourée de ses chaises joue un rôle déterminant dans le repas depuis le XVIIIème siècle. Aujourd’hui pourtant, celleci voit sa fonction diminuer et être peu à peu remplacée par la formule “plateaux-repas” : on mange ailleurs qu’à table, sur un plateau, devant la télévision ou au salon. Ce genre de pratique fait même irruption dans l’univers de la réception et de la convivialité puisque 10 % des Français servent parfois un “plateau repas” à leurs invités. Il appartient désormais au quotidien puisqu’un ménage sur deux le pratique au moins une fois par LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 2003 2003 1997 1995 2000 Génération robots ménagers (née entre 1937 et 1946) 2000 1995 2003 1997 1997 1995 20 2000 Génération réfrigérateurs (née entre 1927 et 1936) Génération rationnement (née entre 1917 et 1926) 10 0 Age 23 26 29 33 36 39 43 46 49 53 56 59 63 66 69 73 76 79 83 Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003 Graphique 6 : Cumul des réponses “tous les jours ou presque”, “au mois une fois par semaine”, “rarement” à la question : “Vous arrive-t-il de faire des plateaux repas ?” II.3. Repas complet et repas à deux composantes (plat principal et fromage / fruit ou dessert) La tendance à la simplification des repas, déjà amorcée il y a quelques années, semble désormais bien installée : l’abandon progressif de la formule “repas complet” à quatre composantes s’accompagne de la diffusion d’un repas à deux composantes, dans lequel le plat principal est maintenu et complété par autre chose. Malgré le peu de points représentés (la question concernant le contenu des repas n’avait pas été posée en 1995), en lisant le graphique 7 de gauche à droite, on note que chaque courbe se situe au-dessus de la suivante, supposant un effet générationnel. De plus, les courbes sont presque toutes croissantes et parallèles entre elles, ce qui fait penser à un effet de période : chaque génération a augmenté sa pratique des plateaux-repas. Toutes les générations ont ainsi augmenté leur nombre de repas composés uniquement d’un plat et d’un dessert ou du fromage avec l’âge, et chaque génération applique davantage cette composition des repas que la précédente. Le détail des autres com- 5 posantes du modèles alimentaires est décrit dans le rapport de Recours et Hébel [6]. % de ménages 70 Génération 1967-1976 Génération 1957-1966 65 Génération 1947-1956 2003 60 2003 2000 55 50 Génération 1917-1926 Génération 1937-1946 Génération 1927-1936 2003 1997 2003 2000 1997 1997 1997 2000 2000 45 40 35 Age 26 29 33 36 39 43 46 49 53 56 59 63 66 69 73 76 79 83 Source : CREDOC, CAF 1995, 1997, 2000, 2003 Graphique 7 : Pourcentage de ménages ayant répondu “Un plat principal et fromage ou fruit ou dessert” à la question "Habituellement le soir, que mange-t-on chez vous ?" III. MONTEE DE LA PREOCCUPATION SANTE Les aliments, au-delà de leur fonction vitale et indispensable, sont des vecteurs de nutriments et d’énergie dotés d’un fort potentiel symbolique. On sait que le principe d’incorporation demeure en filigrane dans nos têtes de consommateurs, et qu’inconsciemment, nous associons encore les qualités premières de l’aliment (par exemple l’énergie du boeuf vivant, la pureté et la naturalité du lait,…) à des promesses ou des menaces pour notre propre être. D’où la forte déstabilisation due à la crise de la vache folle : nous nous sommes rendu compte qu’un aliment fait pour nous donner la vie et l’énergie pouvait nous tuer. L’inversion de valeur que représentait cette crise a fortement marqué les esprits. 85% A cela, il faut ajouter un élément permanent de la culture française, qui ne s’exprime plus en termes de contenu, de vertu attendue de l’aliment, mais liés aux qualités organoleptiques de cet aliment : le goût, voire le plaisir qui s’y rapporte. C’est par celui-ci, voyageant entre l’inné (sucré/salé/amer/acide) et l’acquis, fait de découvertes, de néophobie, d’engouements, que nous pouvons trouver l’envie répétée de nous nourrir. Qu’ils soient interrogés en pleine période de crise, comme en 2000, ou en dehors (avant 1996), les consommateurs ne varient pas sur un point : le “bien manger”, c’est d’abord le goût et le plaisir que l’on trouve à ingérer un aliment. Adultes comme enfants privilégient cette dimension avant toute autre dans leur représentation de l’alimentation. 26 % des adultes et 42 % des enfants placent spontanément cette notion en tête, avant celles d’équilibre (24 et 16 %) et de satiété (18 et 17 %). Cette dimension se développe au travers des invitations chez soi qui augmentent avec le niveau de vie. Les dimensions générationnelles sont importantes à prendre en considération parce qu’elles conditionnent la façon dont l’information doit être véhiculée pour faire évoluer les comportements. REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES [1] Huber H, Janin L, sous la direction de Mairesse J. (2003). Démêler les effets d'âge, de période et de cohorte. Le cas des chercheurs en physique, ENSAE, pp. 1-49. [3] Bodier M.(1999). Les effets d’âge et de génération sur le niveau et la structure de la consommation, Economie et statistiques, n° 324-325, pp. 163-180. 75% 2003 Graphique 8 : Pensez-vous que la manière dont les personnes de votre foyer (y compris vous-même) mangent a une influence sur leur état de santé ? Cette “symbolique” recouvre deux domaines : celui du risque, de la menace et a contrario de la sécurité, et celui de la santé. Manger pour vivre, c’est bien l’évidence qui frappe pratiquement toutes les personnes interrogées. Mais aujourd’hui, c’est un autre credo que l’on peut entendre : manger pour vivre plus 6 IV. PERMANENCE DE L’ALIMENTATION PLAISIR [2] Beaudry P, Lemieux T. (1998). L’évolution du taux d’activité des femmes au Canada, 1976-1994 : une analyse de cohortes, CIRANO, 51 p. 79% 1997 2000 et 2003 Source : Enquêtes CREDOC, CAF 1997, 2000 longtemps et en meilleure santé. L’alimentation vise à améliorer la santé, le bien être et à réduire les risque de développement de certaines pathologies. En 2003, 85 % des ménages interrogés estiment que la manière dont ils mangent influence leur état de santé. Cette opinion est en croissance puisqu'elle atteignait 79 % en 2000 et 75 % en 1997 (Graphique 8). [4] Chauvel L. (1998). Le destin des générations. Structure sociale en cohortes en France au XXe en siècle, Paris, Editions Presses Universitaires de France, 301 p. [5] Babayou P, Volatier JL. (1997). Les effets d'âge et de génération dans la consommation alimentaire, Cahier de Recherche du CREDOC, n° 105, CREDOC. [6] Recours F, Hébel P, Gaignier C. (Nov 2005). Cahier de Recherche du CREDOC, n° 222, “Exercice d'anticipation des comportements alimentaires des français”. LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007 7 Institut Français pour la Nutrition 71 Avenue Victor Hugo 75116 PARIS Tél : 01 45 00 92 50 [email protected] Président : Jean-Paul Laplace Secrétaire Générale : Florence Strigler 8 LET.SC.IFN. N° 118, MARS 2007