L`œuvre logicielle

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L`œuvre logicielle
Internet responsable – Le mot du juriste
L’œuvre logicielle
Pierre PEREZ
Délégation aux Usages de l'Internet (DUI)
Jean DUCHAINE
École supérieure de l'éducation nationale,
de l'enseignement supérieur et de la recherche (ESENESR)
2009 – actualisation : 2013
Définition de l’œuvre logicielle
La loi ne donne pas de définition du mot logiciel. Pour les instances les plus officielles tant à l'échelle nationale
qu'internationale, le logiciel semble se définir comme un "ensemble d'instructions qui ont pour but de faire accomplir
des fonctions par un système de traitement de l’information, appelé ordinateur".
Le logiciel est considéré par les tribunaux comme une forme bien "originale" au regard de la conception française du
droit d'auteur. Ils s’accordent à dire que l’originalité du logiciel se définit comme la marque de l’effort individualisé. Ce
n’est donc plus l’empreinte de l’esprit humain chère aux plus grands penseurs de la propriété littéraire et artistique,
mais la sueur du front de l’homme qui est le critère de l'originalité. Pour être reconnue, l'œuvre logicielle devra porter
la marque de l’investissement personnel et individualisé de son auteur.
La jurisprudence, en matière d'œuvre logicielle, voit le plus souvent dans l'organigramme, dans les lignes
d'instructions, les codes de programmation (non visibles à l’écran) un ensemble non détachable du programme luimême. Les effets visuels (ligne graphique, symboles, menus, décors et personnages) répondent à une création de
forme qui, si elle fait preuve d'originalité, bénéficie dans la plupart des circonstances d'une protection indépendante de
celle attribuée au logiciel.
La protection des logiciels par le droit d’auteur est indifférente au support (papier, rubans magnétiques, disquettes,
disques, mémoires d’ordinateur).
Le logiciel, un type d’œuvre bien original
Le droit d’auteur applicable au logiciel connaît un infléchissement au regard des règles du droit traditionnel applicable
à l’œuvre classique, tant notamment sur le terrain de rémunération de la création, de la cession des droits d’auteur par
l’effet du contrat de travail, du droit moral, du droit patrimonial, que des règles de copie privée.
 Infléchissement défavorable : la rémunération
La rémunération peut être forfaitaire sans qu’il soit nécessaire de rechercher si les conditions de droit commun sur le
recours au forfait sont remplies.
 Infléchissement défavorable : la cession automatique à l’employeur
En matière de logiciel, le titulaire de droits est souvent l'employeur, l'entreprise chargée de sa réalisation, car les droits
patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un salarié dans l'exercice de ses fonctions ou d’après
les instructions de l’employeur sont automatiquement dévolues à ce dernier par le simple effet du contrat de travail. Il
est totalement indifférent que le salarié ait créé le logiciel chez lui ou sur son lieu de travail. Ce qui importe, ce sont
ses fonctions : le logiciel doit avoir été créé soit dans le cadre de ses fonctions, soit dans le but de faciliter ses
fonctions.
Les créations logicielles du personnel intérimaire appartiennent à l’employeur de la société d’intérim : la société de
travail temporaire. Celles de l’étudiant stagiaire lui appartiennent, sauf clause contraire, puisqu’il n’y a en général pas
de contrat de travail.
 Infléchissement défavorable au niveau du droit moral
Le créateur d’un programme dispose de moins de prérogatives de droit moral qu’un créateur ordinaire.
Le droit de retrait ou de repentir, qui permet à un auteur de retirer son œuvre de la circulation, ou bien de la modifier
s’il veut la faire évoluer pour mieux la faire correspondre à sa pensée créative, a été supprimé en matière de logiciels
par la loi de 1985. La raison de cette suppression est d’ordre économique. Il faut éviter la paralysie de l’entreprise
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par l’exercice du droit de retrait et de repentir du salarié.
L’auteur de logiciel ne peut protester contre les modifications de son programme opérées par le cessionnaire que
lorsque ces modifications portent atteinte à son honneur ou à sa réputation. L’auteur ne peut se contenter de la seule
preuve de l’altération de son œuvre, il doit prouver les conséquences néfastes pour son honneur ou pour sa
réputation de cette altération. Le droit au respect est donc diminué, car aucun juge ne dira que le fait d’ajouter une
fonctionnalité à un logiciel porte atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur du programme.
Les deux autres attributs du droit moral de l’auteur de logiciel, le droit à la paternité qui permet à l’auteur de bénéficier
du privilège absolu de voir sur son œuvre l’inscription de son nom et de ses qualités, et le droit de divulgation qui lui
permet de décider, seul, de l’instant et des procédés et conditions de la communication de sa création au public, ne se
distinguent pas du droit d’auteur traditionnel.
 Infléchissement défavorable au niveau des droits patrimoniaux
Les droits patrimoniaux sont les droits économiques dont bénéficie l’auteur et qu’il peut céder en contrepartie
d’avantages financiers. Ils perdurent toute la vie de l’auteur et encore 70 années après son décès. Des
aménagements ont été faits par rapport au droit d’auteur classique.
La loi énonce trois droits qui sont reconnus à l’auteur d’un logiciel, mais dont un est oublié.
- Le droit de reproduction est mis en cause en cas de copie, chargement, stockage, transmission, exécution,
et ceci quelle que soit la permanence de la reproduction. La reproduction peut être durable, provisoire ou
éphémère. Les droits de transformation, de traduction, d’arrangement ou d’adaptation sont également
contenus en droit français dans le droit de reproduction ;
- le droit de distribution concerne la vente directe au public ou la location. Les droits de vente et de location
appartiennent à l’auteur ;
- un droit oublié ! La loi en effet ne prévoit pas que l’auteur de logiciel dispose du droit de représentation. Ce
droit qui permet en général à l’auteur de représenter son œuvre devant le public est le parent pauvre des
logiciels. Pour le moment, la question est assez théorique car les hypothèses où le droit de représentation
est en cause sont rares. On voit mal l’auteur déclamer des lignes de code. Les effets audiovisuels mettent
en cause le droit de représentation, mais il n’y a pas de problème puisque ces effets sont soumis au droit
d’auteur classique.
 Infléchissement défavorable au niveau du droit de copie
La copie privée, licite en droit commun, connaît des règles spéciales en matière de logiciel. La loi énonce que la
personne ayant le droit d’utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsqu’elle est nécessaire pour
préserver l’utilisation du logiciel. Cette règle est présentée de façon positive, c’est-à-dire comme conférant un droit à
l’utilisateur légitime. Mais en réalité, cette règle, loin d’accorder un droit à l’utilisateur, lui retire le droit qui lui est
accordé en droit commun. La reproduction pour un usage privé n’est possible que pour la seule copie de sauvegarde.
Toutes les autres copies sont illicites. La reproduction destinée à des tiers est impossible, mais aussi celle faite pour
un usage collectif dans le cadre d’une collectivité, ou encore la reproduction faite par une personne sur son propre
matériel pour son usage personnel, dès lors qu’il ne s’agit pas d’une copie réalisée afin de parer à toute destruction
matérielle ou toute disparition accidentelle du programme.
Point d’attention sur la nécessité de bien identifier l’œuvre logicielle
Il est très important de savoir distinguer l’œuvre logicielle des autres types de création en raison de ses spécificités et
implications juridiques : rémunération forfaitaire, cession automatique des droits d’auteur à l’employeur, interdiction de
copie privée ... Son identification n’est pourtant pas aisée car c’est une forme abstraite qui ne s’adresse pas au sens
de l’homme et qui ne parle qu’à la machine. Il est donc plus facile d’identifier ce qui n’est pas du logiciel que le logiciel
lui-même. Un logiciel n’est pas une base de données, ni une œuvre multimédia, par exemple. Toutefois, beaucoup de
ces œuvres peuvent contenir ou s’exprimer grâce à une composante logicielle, laquelle ne semble jamais pouvoir
s’identifier à elle seule avec les deux formes de créations ci-dessus, sauf erreur de droit.
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