La planète des singes
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La planète des singes
La planète des singes Synopsis En l’an 3978. Trois astronautes en mission d’exploration, Taylor, Dodge et Landon, atterrissent sur une planète inhospitalière et — apparemment — inhabitée. Mais ils croisent bientôt une horde d’hommes vivant à l’état de bêtes, pris en chasse par des singes à cheval. Les trois hommes sont capturés en même temps que leurs congénères et séparés les uns des autres. Effaré, Taylor découvre un monde gouverné par les singes, dont les hommes sont les esclaves ou les animaux de compagnie. Il devient, dans le laboratoire de deux médecins chimpanzés aux idées progressistes, Zira et Cornelius, un sujet d’expérience — au grand déplaisir du docteur Zaïus, hostile par principe aux hommes et aux recherches dont ils sont l’objet. Enfermé dans une cage qu’il partage avec Nova, une jeune femme, Taylor tente de communiquer avec ses geoliers mais blessé à la gorge, il est provisoirement incapable d’articuler un son. Il parvient néanmoins à inscrire quelques mots sur du papier, révélant aux deux scientifiques éberlués une intelligence dont ils croyaient les hommes incapables. Apprenant qu’il va être castré, Taylor parvient à s’enfuir de sa cage et après une longue coursepoursuite dans la cité simienne, il est finalement rattrapé : retrouvant la parole à ce moment précis, il injurie ses geôliers ! Un tribunal instruit un procès contre Taylor et les théories évolutionnistes bâties par Zira et Cornelius à partir de leur sujet d’étude . Taylor est condamné à la stérilité, les deux scientifiques pour hérésie. La nuit suivante, tous trois et Nova, parviennent à s’échapper et cherchent à rejoindre la "zone interdite" , un lieu désertique évité par les singes. Ils découvrent dans une immense grotte des traces évidentes d’une civilisation humaine antérieure à la domination des singes. Mais le groupe des fuyards est rattrapé et cerné par les singes. Taylor prend Zaïus en otage. Avec Nova, devenue sa compagne, ils font leurs adieux à Zira et Cornélius et s’enfuient à cheval hors de portée de leurs poursuivants. C’est alors qu’ils découvrent, aux trois quarts ensablée, la statue de la Liberté. L’affreuse vérité se fait jour: la planète dominée par les singes est en réalité la Terre, dont la civilisation déchue a cédé la place à la civilisation simienne... Historique 1968 n’est pas l’année du dragon — c’est celle du singe, au cinéma du moins. Alors que Stanley Kubrick propulse à la face du monde ses primates au regard dessillé par le monolithe noir (2001, l’Odyssée de l’espace), Franklin J. Schaffner et le producteur Arthur P. Jacobs lâchent leur armée de chimpanzés, de gorilles et d’orangs-outangs contre Ben Hur himself (Charlton Heston, déjà cynique, mais nettement plus sympathique que dans Bowling for Columbine), dont le char stellaire s’est échoué sur leur inhospitalière planète. La force de La Planète des singes réside d’abord dans une étonnante conjonction de talents. Celui d’Arthur P. Jacobs, ex-agent artistique de stars hollywoodiennes et producteur qui monte, d’abord à la Warner, ensuite à la Fox; celui de Pierre Boulle, rendu célèbre aux États-Unis par l’adaptation signée David Lean de son Pont de la rivière Kwaï; celui des deux scénaristes: Rod Serling, créateur de la mythique (le terme n’est pour une fois pas usurpé) série The Twylight Zone (La Quatrième Dimension en français) et Michael Wilson, qui avait signé le script de . . .KwaT; le maquilleur John Chambers, ancien technicien médical et créateur de prothèse venu au cinéma sur le tard, fameux depuis la création des oreilles de M. Spock dans la série Star Trek ; et enfin Franklin J. Schaffner lui-même, autrefois rédacteur des discours de JFK, qui a débuté dans le métier en réalisant un nombre incalculable de dramatiques télévisées qui vont lui apprendre, en raison des contraintes liées à une technique encore balbutiante et au direct, l’essentiel de son métier. Très disparate (certains diraient décousue), la carrière de Schaffner n’est pas facile à appréhender, mais reste jalonnée de réussites indéniables (ce film-ci ; Patton, bien sûr) et d’œuvres très attachante (le magnifique — et hélas invisible — L’île des adieux). Schaffner a touché (à peu près) à tout: film (sur l’exercice de la) politique (ce qui paraissait au fond assez inévitable vu ses antécédents), film d’espionnage, film de guerre, sur le Moyen Âge (le méconnu War Lord, déjà avec Heston), etc. A ce prestigieux florilège, on n’oubliera pas d’associer le compositeur Jerry Goldsmith dont la partition, qui serpente constamment entre le tonal et l’atonal, participe beaucoup au climat d’étrangeté du film. Le succès efface pas mal de rancœurs, mais Arthur Jacobs a certainement dû garder longtemps en mémoire les refus et les sourires désabusés qui, partout, accueillirent son projet d’adapter le roman de Boulle, qu’il avait lu sur épreuves peu de temps avant sa sortie en 1963. L’écrivain lui-même, mécontent de son travail et peu séduit par l’hypothèse d’une adaptation, se fit prier avant de donner son accord. Finalement, après un test concluant passé dans les locaux de la Fox (car il fallait évidemment que le maquillage simiesque des acteurs et des figurants soit crédible et ne déclenche pas l’hilarité), le projet est lancé. Vite produit, surtout pour un budget de cette ampleur (près de six millions de dollars, une somme assez considérable à l’époque), vite tourné (quarante-cinq jours à peine), entre la fin mai et le début août 1967, La Planète des singes va s’avérer tellement lucratif qu’il engendrera quatre sequels (ainsi qu’une série télévisée) dans les cinq années à venir, qui toutes possèdent de solides atouts, ainsi qu’une réelle cohérence thématique avec l’original. Objet étrange s’il en est, La Planète des singes est tout à la fois une spectaculaire chasse à l’homme, une parabole, un traité de rhétorique appliqué à la théorie de l’évolution, un film d’anticipation, etc. Nul doute que les joutes oratoires entre le Dr Zaïus, vivant symbole de l’obscurantisme, et l’astronaute Taylor (sur des sujets tels que la guerre, l’altérité ou le leadership technologique) ont trouvé écho auprès du public des années 60. Merveilleuse capacité inhérente à la science-fiction en général, d’accoucher, souvent sans en avoir l’air, d’une littérature et d’un cinéma qui répondent aux aspirations de divertissement du public tout en ne prenant pas celui-ci pour un imbécile. Anecdote savoureuse pour le thème qui nous occupe lors du tournage, les acteurs interprétant les trois castes de singes, soigneusement hiérarchisées à l’image et dans la narration, mimèrent sur le plateau, sans même en avoir conscience, leur comportement à l’écran on mangeait et on restait entre membres de sa "race". On a beau incarner un singe, on n’en est pas moins homme... Sur Planet of the Apes, Erwin Kim [son biographe] le montre aux prises avec le studio qui lui reprochait de dépasser ce qui était prévu pour le tournage de l’atterrissage sur la planète, de sa découverte par les survivants. Schaffner, considérant qu’il s’agissait de scènes primordiales, ne céda à aucune pression. Le résultat lui donna raison et lui permit d’imposer le postulat et le ton du film — Il faut dire que le choix des extérieurs autour de l’extraordinaire lac Powell est un coup de génie même si le tournage fut très difficile (on en retrouve certains dans Josey Wales, Clint Eastwood, 1976). Ce début, de même que la tentative de fuite de Heston et sa capture par les singes, révélèrent chez lui des qualités insoupçonnées quant à l’appréhension de l’espace, à l’utilisation de l’écran large. La mise en scène fait preuve d’une respiration, d’une aisance qu’on chercherait en vain dans The War Lord ; elle ne perd jamais de vue les sentiments intimes dans les plans d’ensemble, n’écrase pas les personnages sous le spectaculaire. Planet est d’ailleurs le premier film où il semble contrôler son matériau, le dominer. Et pourtant il ne fit partie du projet que grâce à Heston, après que Blake Edwards et Sidney Pollack eurent refusé le scénario de Rod Serling, lequel contenait déjà toutes les options morales et sociales du film, y compris l’idée finale que tout le monde essaya de s’attribuer: la découverte de la statue de la Liberté. [...J Même si les années et les suites ont émoussé l’effet de surprise, Planet, quand on le revoit sur un grand écran, garde intact ses qualités. Comme dans les meilleurs contes philosophiques, la morale ne paralyse pas la narration (elle reste au demeurant fort actuelle), la fable s’intègre aux péripéties. Pour une fois la critique n’épargne pas le héros que Schaffner nous montre brutal, égoïste, borné durant toute la première partie, prenant là le contre-pied du genre. Comme le note Frédéric Vitoux : "La vocation de ce film est donc aussi de dérouter pour mieux convaincre dans un retournement de ses valeurs qui permet de mieux apprécier leur portées différentes mais qui se prolonge à un point tel que le fantastique semble imposé et démenti à ses différents niveaux, se disperse dans le film, se retrouve où on ne l’attendait plus et mine, de ce fait, tout ce qui nous est donné à voir et dont, désormais, on ne peut que douter." Il est vrai que le retournement final, loin d’être une brillante astuce comme dans Teenage Caveman de Roger Corman, renvoie le sujet et ses implications à leur point de départ sans pour autant figer le récit. On peut revoir et apprécier le film tout autant même si l’on en connaît la fin. Le travelling semi-circulaire à contre-jour qui révèle en contre-plongée Charlton Heston et Linda Harrison reste l’une des inventions stylistiques les plus heureuses de l’œuvre de Schaffner et donne la mesure d’une mise en scène attentive au décor, aux paysages, servie par une photographie très stylisée de Leon Shamroy." Jean-Pierre Coursodon et Bertrand Tavernier, 50 ans de cinéma américain, éd. Nathan, coll. "Omnibus", Paris, 1991, 1995, p.845-46. La genèse de la planète des singes "Peu de gens savent [...] que la scène finale où Charlton Heston découvre le bras de la Statue de la Liberté émergeant de la plage est le fruit de l’imagination de Rod Serling, l’auteur de Twilight Zone. Là où le roman de Boulle est utopique, presque sans conflits, le script de Serling crée une tension permanente entre Taylor (bien différent du pacifique Mérou, héros du roman) et le Dr Zaïus, dont l’habileté est à cent lieus du Zaïus pompeux et incapable dépeint par Boulle. Le chemin de La Planète des singes ne fut pas direct — c’est le moins qu’on puisse dire! La première compagnie qui approcha Serling pour obtenir de lui une adaptation du roman fut celle des célèbres King Brothers de Hong-Kong, qui pensaient réaliser un film de série Z à petit budget. Le traitement rédigé par Serling fut finalement écarté par les problèmes financiers posés par la nécessité de présenter à l’écran tout une population simienne! La seconde personne intéressée fut Blake Edwards, auteur de la fameuse série des Pink Panther. Celui-ci fit savoir à Serling qu’il allait produire et réaliser un film d’après le roman de Boulle, et qu’il pouvait en rédiger le script sans se laisser arrêter par des considérations matérielles, le budget prévu étant considérable. "Ma première version déclara Serling dans une interview accordée à David Johnson, contenait une ville simienne un peu comme New York. Pas une ville comme celle qui fut présentée plus tard, construite de rocs et composée de grottes, mais une vraie metropolis avec des autos, des buildings, des ascenseurs, un métro, des meubles, etc. à la différence que tout était conçu par et pour des singes! Le script était assez long et il aurait coûté environ 100 000 000 $ à réaliser. Inutile de dire que le projet fut abandonné". Construire une ville de singes et la peupler allait nécessiter un certain effort d’imagination dans l’adaptation du roman de Boulle. Quand Serling fut contacté, une troisième fois, par Arthur P. Jacobs, il réécrivit entièrement son scénario, s’efforçant de rester dans les limites du financièrement possible, tout en conservant les caractéristiques du roman. Le monde élaboré par Serling fut donc un monde semi-civilisé, dont la description demanda un travail considérable le script dut être revu trois fois avant d’aboutir à la version finale que nous connaissons. "Mon adaptation fut très libre, déclara Serling. En fait, ce ne fut pas vraiment une adaptation, mais une histoire écrite d’après le livre de Boulle, et il y a une différence bien réelle." L’une de ces différences est bien connue la fin du roman et celle du film diffèrent sensiblement, cette dernière étant à porter au crédit de Serling. Le scénario de celui-ci fut ensuite revu par Mike Wilson, qui y ajouta une note d’humour et modifia, d’après Serling, à peu près tous les dialogues. La version originale rédigée par l’auteur de Twilight Zone était sérieuse, voire sombre. La version de Wilson comprenait de nombreux calembours comme "c’est un singe sur lequel on peut compter", etc. En dépit de cela, il n’en reste pas moins que l’enchaînement des événements, les situations et la philosophie même de la version cinématographique de Planet of the Apes doivent être portés au crédit de Rod Serling. Arthur P. Jacobs proposa à celui-ci d’écrire le scénario du deuxième film, Beneath the Planet of the Apes. Celui-ci accepta et formula les concepts qui lui servirent de base la bombe H enterrée, la peur viscérale qu’ont les singes de l’homme-fauteur-de-guerre, la résurgence d’une nouvelle civilisation et l’anéantissement final. Malheureusement, Serling ne fut pas disponible pour rédiger le script, étant pris par d’autres engagements." Jean-Marc Lofficier, L’Écran fantastique, n°11, novembre 1979, p. 97. Le réalisateur : Franklin J. Schaffner Si l’on a coutume de présenter l’oeuvre de Franklin J. Schaffner comme "difficile à appréhender", c’est que la variété des sujets, au-delà d’un corpus relativement peu important, semble en décourager de prime abord l’analyse — comme si le sujet était l’épicentre de l’activité créatrice, et non les récurrences marquées des personnages et/ou l’appréhension du matériau cinématographique: espace, univers musical (tous deux fondamentaux chez Schaffner), options de la photo et du montage, qui tous définissent une vision du monde. Pourtant, au-delà du lieu commun, le caractère " incernable" ~ de son parcours n’est pas totalement sans fondement, loin de là. Cela tient peut-être à ce que chez lui les parts respectives de la volonté et du hasard s’avèrent délicates à démêler. Comme le notent Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon dans 50 ans de cinéma américain, "Des réalisateurs qui débutèrent dans les années 60, il est un de ceux qui restent àcheval entre le cinéma de studio et un système de production plus moderne, plus proche des auteurs. Il s’adapte aux projets qu’on lui propose plus qu’il ne les initie, contrairement à un Altman, Scorsese ou Coppola. Cela ne veut pas dire qu’il n’impose pas ses collaborateurs (parmi les plus fidèles, le chef-opérateur Fred Koenekamp et le talentueux compositeur Jerry Goldsmith à qui il inspirera des partitions mémorables, à commencer par celle de Patton). " Que Schaffner ait intensément voulu être cinéaste, c’est indéniable. Issu, comme Sidney Lumet, John Frankenheimer ou William Friedkin de la télévision, il a appris le métier sur le tas, réalisant un nombre incalculable de dramatiques, le plu souvent en direct. Son premier projet pour le grand écran est pourtant une déconvenue : on lui retire au dernier moment la réalisation de Douze Hommes en colère, dont il avait signé l’adaptation télévisée, et déjà préalablement défini pour le grand écran des options qui seront, grosso modo, celles finalement retenues par Sidney Lumet. Cinéaste aimé des comédiens, qu’il dirige souvent avec sang froid et maestria, il tournera avec beaucoup de grands, de Charlton heston — deux fois — à Henry Fonda, en passant par Laurence Olivier, Gregory Peck, George C. Scott - deux fois également - Steve McQueen ou Dustin Hoffmann. Petit tour d’horizon des principaux opus de Schaffner, permettant de se familiariser avec ses thèmes. (Voir dossier dans sa version complète en prêt au CDDP de la Gironde, DD 249)