Compositeur : un métier ?

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Compositeur : un métier ?
Compositeur : un métier ?
par Jean-Jacques Di Tucci
Composer, ce n'est pas un métier, c'est une vocation (au sens étymologique d'appel), mais une vocation qui demande pourtant
beaucoup de "métier" (dans le sens de "savoir faire" résultant d'une expérience). La maîtrise de cet “artisanat” prend des
années.
Je parlerai tout particulièrement du métier de compositeur de musique qualifiée de contemporaine
Cette activité exige des facultés d’imagination et d’inventivité développées, une formation très pointue de l’oreille, une grande
connaissance des différents langages musicaux (en particulier ceux du XXe siècle), ainsi qu’une solide expérience acquise
grâce aux réalisations (interprétations) de ses propres œuvres. Elle est aussi un moyen de mener une réflexion sur l’évolution
historique de la musique et sur le rôle que peut jouer le créateur dans la société d’aujourd’hui. Par ailleurs, elle révèle au
compositeur son propre univers musical. "Je me découvre ainsi au fil de mes œuvres créées".
Composer n'est donc pas à mes yeux une profession, c'est un choix de vie. "Je ne suis pas compositeur, j'essaie de le devenir"
En cela, on peut considérer cette démarche comme une quête.
Composer c'est : créer, inventer, concevoir, élaborer, construire, agencer, assembler, associer, constituer, disposer, mélanger,
transformer, noter, rédiger, dessiner, établir et respecter des règles, affronter des problématiques.
Le compositeur est en cela un artiste créateur.
Son statut est donc particulier car le compositeur n'est pas salarié (il en est de même pour les écrivains, plasticiens, etc…).
Dans le cas où il est lui-même interprète ou technicien de sa propre musique, il peut bénéficier du statut d'intermittent du
spectacle.
Cependant, le statut du compositeur permet à ce dernier de toucher des droits d'auteur. Il reste légalement le propriétaire de sa
musique. La perception des droits liés à la diffusion radiophonique (ou la télévision) est nettement plus intéressante que celle
des droits liés aux concerts ou la vente des partitions.
Par ailleurs, il peut recevoir des commandes d'œuvres de la part de l'Etat (ministère de la culture, DRAC), ou diverses
institutions (festivals, radios, orchestres, etc...)
Dans le monde de la musique dite "contemporaine”, la diffusion des œuvres est plutôt limitée en comparaison à d’autres genres
musicaux et rares sont les compositeurs qui peuvent vivre uniquement de leur production musicale.
Les rémunérations des commandes et les droits d'auteurs ne sont pas suffisants la plupart du temps pour vivre décemment.
Ces compositeurs se voient obligés de chercher une autre activité professionnelle complémentaire, souvent liée à leur métier de
musicien : enseignant, chercheur, directeur de conservatoire, chef d'orchestre, directeur artistique, etc...
La Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique) estimait récemment à environ 400 le nombre de
compositeurs professionnels français de musique dite contemporaine (ce terme "professionnel" étant lié, bien entendu, à un
degré de savoir faire, de notoriété et non de rémunération)
On peut estimer qu’une dizaine d’entre eux peuvent vivre uniquement de leur musique.
Les grandes institutions que sont Radio France et le Ministère de la culture (DMDTS) ne peuvent commander chaque année
une nouvelle œuvre à un même compositeur. Le nombre de commandes annuelles n'est donc pas acquis pour le compositeur.
Si ce dernier possède une notoriété internationale, il est plus souvent sollicité, mais il est parfois pris au piège de l'engrenage
des commandes et souffre parfois d'un manque de temps et de recul pour affiner sa réflexion et ses recherches. Si sa notoriété
est plus grande encore, il peut exiger un tarif de commande supérieur au barème officiel. (cf. le barême indicatif des
commandes musicales de l’Etat en 2008).
Il en est autrement des compositeurs de musiques de films, de jeux vidéo, des auteurs de chansons, etc...,
Cela n'en est pas pour autant plus facile car la concurrence est rude. mais les préoccupations musicales ne sont pas du même
ordre.
Les constituants du compositeur
Le compositeur est un concepteur, donc un penseur.
Il doit pour cela posséder, outre ses connaissances musicales, un bagage de culture générale solide, afin de pouvoir élaborer
une pensée personnelle. Il connaît l'évolution des idées à travers l'histoire de l'art et des sciences humaines. Son intérêt pour la
littérature, la poésie, les arts plastiques, l'architecture, le cinéma, la philosophie mais aussi les sciences, est nécessaire afin qu'il
puisse mener à bien une réflexion sur la place et le rôle de l'artiste dans la société d'aujourd'hui.
"Comment, en tant que compositeur de musique, je définis ma présence au monde ?"
Le compositeur est un musicien : Sa formation musicale doit lui permettre de maîtriser tous les aspects techniques de sa
production musicale mais également d'affronter des situations de rencontre avec les musiciens ; situation exigeant de sa part
des capacités d'écoute et de réaction sans faille concernant en particulier le contrôle du respect de la partition interprétée.
Une bonne formation d'instrumentiste et/ou de chanteur ne peut être que bénéfique à cette activité. Elle permettra d'une part le
développement de la sensibilité et du sens de l'écoute mais d'autre part de prendre en compte la réalité des difficultés posées
aux musiciens dans la compréhension et l'exécution de sa partition.
Le compositeur est un architecte
Composer (du latin componere : placer ensemble), c'est construire. Cela implique d'une part une connaissance des formes
achétypales des œuvres musicales du passé et d'autre part une connaissance des nouvelles formes engendrées par de nouveaux
langages musicaux.
Le compositeur est un “écrivain”
Il doit tendre à trouver son propre langage et sa propre écriture musicale, se dégageant progressivement des incontournables
gestes d'imitation de ses modèles.
Par ailleurs il doit maîtriser la notation sur partition afin qu’elle puisse rendre compte, avec le plus de précision possible, des
idées musicales présentes à son esprit.
Le compositeur est un artisan
Son activité demande une habileté, une méticulosité, une efficacité. Il doit connaître tous les outils possibles nécessaires à son
art et doit bénéficier d'une grande expérience.
Le compositeur est un analyste - auditeur
Afin de se "nourrir" il écoutera de manière active un grand nombre de musiques (l’écoute d’une œuvre peut se révéler comme
une grande leçon de musique) et analysera le plus de partitions possible.
(C'est le conseil que m'avait donné André Boucourechliev)
Le compositeur est un communicant
Les interprètes jouent la plupart du temps la musique des compositeurs reconnus, donc souvent disparus. De manière générale,
l'interprète s'incline devant le génie qui a composé la musique qu'il joue. Le compositeur vivant, quant à lui, doit gagner la
confiance, l'estime des musiciens. L'histoire n'a pas encore fait le tri. Il doit donc faire preuve d'une grande maîtrise, savoir
communiquer ses exigences, être convaincant, et même séduire les interprètes comme le ferait un chef d'orchestre.
Le compositeur est un être vivant (dans le sens de "vivre sa vie") : Son parcours personnel le conduit à connaître les
jouissances et les souffrances de la vie. Ce vécu ne peut qu'enrichir son imaginaire et sa palette d'expressions. Il en est de
même pour les tous les créateurs et artistes interprètes.
L’apprentissage
La composition (mais aussi la créativité comme l’imaginaire), ça se développe, ça se travaille.
Une grande partie de cet apprentissage peut se faire en autodidacte, mais je conseille à l’étudiant de suivre si possible un
enseignement de la composition auprès d’un compositeur expérimenté.
Je pense qu’il ne faut pas attendre de “tout savoir” pour commencer à écrire. Sinon on ne commence jamais.
Il faut avoir le courage de se “jeter à l’eau”. C’est le conseil que m’avait donné le compositeur Jacques Lenot.
Lorsqu’on est parvenu au stade de réaliser une partition aboutie, il ne faut pas hésiter à la faire jouer par des amis musiciens
dans un premier temps. L’expérience d’entendre jouer sa propre musique doit commencer le plus tôt possible.
L'activité quotidienne
Écrire de la musique implique une solitude, du moins pendant le travail. Cet isolement du monde qui nous entoure est
nécessaire non seulement pour la concentration, le besoin de silence, mais également pour favoriser la recherche d'un
imaginaire sonore que l'on ne peut atteindre que par une sorte d'introspection "une plongée en soi même".
Composer, c'est opérer des choix, constamment; entre deux notes, deux rythmes, deux timbres, deux harmonies.
Et cela prend du temps. C'est long. C'est lent et long. Cette activité que je qualifierais de "monacale" impose d'accepter le
décalage parfois énorme entre le temps nécessaire à la composition et le temps réel du déroulement de la musique, en
particulier en ce qui concerne la musique d'orchestre.
Quatre secondes de musique peuvent nécessiter parfois jusqu'à une semaine de travail (de l'esquisse à la notation définitive).
Personnellement je compose avec un crayon et du papier et j'orchestre ensuite directement sur fichier informatique. Cela
permet de gagner du temps et de bénéficier d'une lecture sur partition rédigée de façon claire et nette. Cela permet aussi de
déceler des erreurs ou un manque de finition dans la notation.
L'outil informatique donne également la possibilité d'entendre le résultat sonore après écriture de la partition. Cela permet, par
exemple, de contrôler l'écoulement du temps musical autrement que par le procédé de l’écoute intérieure obtenue au moyen de
la lecture seule ; procédé qui induit souvent la perception d’un temps plus subjectif.
Activités annexes
Il faut savoir faire la promotion de sa musique même si on n’a pas la vocation d’un agent artistique. La communication par
Internet facilite beaucoup les choses aujourd’hui.
Il faut assister à des créations d’œuvres musicales, rencontrer d’autres compositeurs, nouer des contacts, etc…
Le relationnel fait partie du métier. Cela est important afin que l’on ne vous oublie pas.

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