Le créateur et ses créatures

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Le créateur et ses créatures
LE JOURNAL DU JURA SAMEDI 31 MAI 2014
26 RIFFS HIFI
IAN ANDERSON Jethro Tull est mort. Vive Jethro Tull!
Le créateur et ses créatures
schizophrène Anderson/Bostock retrace l’histoire de la
Grande-Bretagne et esquisse
son avenir, le tout sur une seule
pièce musicale saucissonnée en
15 parties. «L’énorme masse de
travail qu’a représenté le catalogue
Jethro Tull est très présente à mes
côtés», admet Ian Anderson, honoré de l’Ordre de l’Empire britannique en 2008. «Mais je crois
que je préfère, désormais, utiliser
mon propre nom pour la plus
grande partie de mon travail,
étant compositeur de la quasi-totalité des chansons et de la musique de ‹Tull› depuis 1968.»
LAURENT KLEISL
Ian Anderson vient de lâcher le
morceau en marge de la promotion de son nouvel album, le sublime «Homo Erraticus». Jethro
Tull est mort et bien mort. «Plus
rien du tout ne se passe pour Jethro
Tull», a-t-il confié, au détour
d’une tirade toujours lyrique, au
site billboard.com. Depuis le milieu des années 60, Ian Anderson menait à la flûte, au micro et
à la composition, le légendaire
groupe de folk-rock-prog.
Derrière lui, un héritage magnifique inscrit au patrimoine
de l’humanité, des œuvres en
partie rattachées à la première
moitié des «seventies», comme
«Aqualung», «Thick as a brick»,
«Living in the past» ou «A passion play». Magique. «Le travail
du groupe peut s’apparenter à de
l’Histoire, puisque cela nous ramène forcément aux années 70 ou
80», reprend-il. «Si on y regarde
de plus près, Jethro Tull s’est progressivement retiré ces 10 dernières années, avec seulement quelques live et un album de Noël.»
La dernière livraison studio
des Anglais, «The Jethro Tull
Christmas album», un amas hétéroclite de reprises et de réinterprétations, date de 2003.
Pour le dernier véritable effort
studio original, il faut même remonter à 1999 et «J-Tull Dot
Com». «Cela pourrait bien être
les dernières traces d’enregistrements sous le nom de Jethro Tull»,
souffle Ian Anderson.
Gerald Bostock, le retour
Si Jethro Tull n’existe plus en
tant que tel, son âme n’est pas
encore prête à rejoindre l’Eternel. Alors que Martin Barre,
stratège six-cordiste du groupe,
tourne dans son coin avec l’ancien répertoire de «Tull», Ian
Anderson continue de rouler
les «r» flûte au bec. Un instru-
Vol de patronyme
A 66 ans, Ian Anderson n’a pas encore abdiqué. «Tant qu’il me reste un
défi et que ma santé me le permet...» ALEX PAVLOU/LDD
ment, une voix et surtout un esprit. Au point que ses récents efforts studios suintent le «Tull».
Paru en 2012, «Thick as a
brick II» reprend l’idée qui a
germé 40 ans plus tôt. Un concept-album d’un morceau ressuscitant Gerald Bostock, héros
de la première partie. Mêmes
recettes musicales et vocales,
un son actuel en plus.
Avec «Homo Erraticus» – du
«folk prog metal», selon son auteur –, Ian Anderson relance
Gerald Bostock, créditant
même son ami fictif des paroles
de l’œuvre. Ou les retrouvailles
entre le créateur et sa créature.
Un disque enivrant qui remplira
d’extase les amoureux du Jethro
Tull de jadis, ce merveilleux conteur de rêves. Cette fois, le duo
Pour l’anecdote, «Homo Erraticus» est monté jusqu’à la 14e
place des charts anglais et à la
13e du classement allemand. Ça
valait bien une petite tournée
du monde civilisé, non? Parce
qu’à 66 ans, le père Anderson
tient la forme de sa vie. Sa prestation électrisante à Londres en
juillet dernier, dans un Royal
Albert Hall plein comme un
œuf, l’atteste. On y était! «Tant
qu’il me reste un défi et que ma
santé le permet...», glisse-t-il.
«Un an, dix ans, qui sait? Ensuite,
il y a la peinture, l’écriture et d’autres indulgences créatives à prendre en considération. Qui jouera
en premier: les yeux, les oreilles
ou les mains? La peur de l’ennui
dans la vieillesse est ma plus
grande préoccupation.»
Un homme heureux, Ian Anderson. A un détail près: ce nom,
Jethro Tull, patronyme emprunté à l’agronome inventeur du semoir en 1701. Un sale coup du
management du groupe, une bizarrerie traînée depuis février
1968. «J’ai l’impression qu’on lui a
volé son identité, il aurait fallu me
mettre en prison pour ça!»
Ian Anderson, «Homo Erraticus», Kscope. En
concert le 16 novembre au BB Club de Morat.
MICHAEL MONROE L’homme sans qui les Guns n’auraient pas été
Mais pour qui donc sonne le glam?
Il est des groupes qui, on ne sait
trop pour quelle raison, passent à
deux doigts d’une reconnaissance planétaire et restent confinés à jamais dans un statut de
combo culte, mais inspirent des
groupes moins valeureux qui,
eux, touchent le jackpot.
Dans le monde du rock, il ne
suffit pas d’avoir le seul talent
pour s’imposer à l’échelle mondiale. Il faut aussi un wagon de
chance: se trouver au bon endroit
au bon moment et se faire remarquer par le A&R d’une major qui
justement sirotait un Rivella vert
dans le club du coin ce soir-là précisément. Sinon, même les groupes les plus honorables peuvent
ne jamais toucher au Graal.
Hanoi Rocks, groupe finlandais
apparu en 1979 en pleine hégémonie punk, est l’un des exemples les plus cruels de formation
Michael Monroe, épaulé par Sami Yaffa (New York Dolls). GILLES SIMON
intègreàquiiln’apasétédonnéde
dépasser le statut d’icône underground. Pour leur leader charismatique, Michael Monroe, ce
n’estpasfauted’avoiressayé.Celui
qui compte aujourd’hui parmi
ses fidèles amis Johnny Thunders, Bruce Springsteen et Little
Steven, Blondie, Bon Jovi, Lemmy, Slash, Alice Cooper, Steven
van Zandt et Nikki Sixx, n’est jamais parvenu à convertir le plus
grand nombre à son glam-punk
pourtant électrisant, sans fioritures ni concessions. D’autres s’en
sont inspirés et sont allés plus
loin sans pour autant être
meilleurs.
C’est le cas d’Axl Rose, qui l’a
souvent clamé haut et fort: les
Guns’N’Roses n’auraient jamais
vulejours’ilsn’avaientpasdécouvert Hanoi Rocks, qui sera leur
plus grande influence. Comme il
n’y aurait pas eu de Nirvana sans
Mudhoney, The Vaselines, MelvinsetlesmerveilleuxScreaming
Trees. Comme il n’y aurait pas eu
nonplusdeKisssanslesinsolents
New York Dolls, ni de Metallica
sans Motörhead. Ni de Conchita
Wurst sans Michou.
Il y aurait de quoi nourrir quelque regret pour Michael Monroe
(né Matti Fagerholm). Mais à
52 ans,ilcontinuedesillonnerles
routes rockailleuses à travers le
monde, à faire le grand écart sur
scène et à se déhancher furieusement devant des publics confidentiels (mais connaisseurs!). Au
passage, le multi-instrumentiste
se paie le culot de livrer des albums foutrement accrocheurs.
Le dernier en date, «Horns and
halos», est un condensé de
punk/rock/glam survitaminé, sur
lequel sévissent Dregen des
Backyard Babies, ainsi que Sam
Yaffa et Steve Conte des New
York Dolls. Soit une dream team
d’irréductibles. Si notre équipe
nationale adopte la même détermination que ces hommes-là, elle
ira loin au Brésil. Sinon, elle sera
deretouràlamaisonavantlescartes postales. PASCAL VUILLE
Michael Monroe, «Horns and halos»,
Universal Music.
EMMANUELLE SEIGNER
La révélation rock de l’année, rien de moins
Au départ, on s’était dit: gasp, encore une actrice qui pousse la
chansonnette. Emmanuelle Seigner? Oui, la sœur de Mathilde. Et
réciproquement, forcément. Certes, la première est aussi l’épouse de
l’immense Roman Polanski. Mais, au-delà de ces clichés, elle ne s’est
pas contentée de faire un disque comme moult actrices – en plus, ce
n’est même pas son premier. Non, Mme Seigner est une actrice qui
fait du rock. Et quel rock! «Distant lover» (distribution Universal) nous
plonge jusqu’au cou dans l’univers glauque et prenant du Velvet
Underground. Même son casserole, même émotion, même emphase.
Bref, on a ici le meilleur dudit Velvet et également celui de Lou Reed
quand il était encore bon. Pour l’anecdote, le CD a été écrit et composé
par Adam Schlesinger, des Fountains of Wayne. Un costaud, aussi. Et
quand on apprend incidemment que la belle Emmanuelle ne jure que
par les Runaways, les Strokes et Joan Jett, on ne peut qu’acquiescer:
oui, elle a tout d’une toute grande. Et pour bien enfoncer le clou en
matière d’influences, elle s’est même payé le luxe de reprendre
«Venus in furs», un des grands hymnes du Velvet. Chapeau. PABR
SANTANA
Son premier album de musique latine
Il a vendu 100 millions d’albums et quand on parle de lui, c’est dans
99% des cas pour évoquer son passage flamboyant à Woodstock.
Depuis, l’eau a coulé sous les ponts et le guitariste est passé par tous
les états d’âme, alternant le pire et le sublime au cours de sa très
longue carrière. Aujourd’hui, le flamboyant Mexicain remonte au front
avec «Corazòn» (distribution Sony Music), son premier album de
musique... latine. Soit le fruit d’une collaboration avec d’autres stars de
la scène latino comme Miguel, Samuel Rosa, Gloria Estefan et... Ziggy
Marley, lequel n’a certes rien de latino. Les accros de cette musique
entraînante par essence grimperont aux murs. Les autres se
contenteront des nombreux soli émaillant ce disque. Soit la marque de
fabrication d’un tout grand. Depuis le temps qu’on vous le répète: seuls
sont grands ceux qu’on peut immédiatement identifier. Ce qui n’est
certes pas le cas de Steve Vai ou de Joe Satriani. Mais ceci est déjà
une autre histoire... PABR
ANGE
Le grand retour d’Emile Jacotey
Le disque s’appelle «Emile Jacotey Résurrection». Il sortira le 2 juin, soit
près de 40 ans après l’album originel. Revu et corrigé, avec des
instrumentations évidemment plus modernes et de nouveaux
morceaux, il est attendu comme le loup blanc par tous les fans d’Ange.
Le groupe présentera cet album en concert deux soirs de suite, les 7 et 8
juin, à Saint-Bresson, un petit hameau proche de Luxeuil-les-Bains, dans
le fief de Christian Décamps. Au menu, fête médiévale, rallye pédestre
«Sur la trace des fées», marché du terroir, lancer du «Ballon de Billy» et
on en oublie. De quoi admettre qu’Ange est l’un des plus grands gangs
français si ce n’est le plus grand. Détails: www.ange-updlm.com PABR
LA PLAYLIST DE...
Marjorie Spart
[email protected]
COLDPLAY Ghost Stories (2014)
On attendait le nouvel opus du groupe britannique tel le messie.
Quelle surprise de le retrouver dans ses oreilles. «Ghost Stories»
comprend neuf titres tous plus larmoyants les uns que les autres. La
raison de cet album aux couleurs si sombres – qui se prêterait
davantage à assurer l’ambiance feutrée des loges VIP d’aéroports que
de mettre le feu à toutes les scènes du monde: la rupture du chanteur
avec sa femme, l’actrice Gwyneth Paltrow. On sent un Chris Martin
désespéré, amoureux déchu. Paradoxalement, la déprime ne lui sied
pas trop mal. Par contre, souhaitons lui de se remettre pour fredonner
en toute gaieté «Viva la vida» lors de sa prochaine tournée!
STROMAE Racine Carrée (2013)
Eh bien non, on ne se lasse pas d’écouter les tubes de Stromae,
révélation belge de l’année 2013. Grâce à ses tubes bientôt planétaires
(en tout cas en francophonie), tels que «Papaoutai», «Tous les mêmes»
ou encore «Formidable», il met toutes les générations d’accord. Son
succès promet de poursuivre son ascension puisque son tube «Ta
fête» a été choisi comme hymne de l’équipe belge de foot durant la
Coupe du monde au Brésil.
JAMES MORRISON Songs for you, Truth for me (2008)
Second album du chanteur britannique, celui-ci se démarque grâce à
son génial duo interprété avec Nelly Furtado (Broken Strings). Un coup
d’accélérateur dans la carrière de ce chanteur soul qui emmène, grâce
à sa voix typée et ses textes inspirés, ses auditeurs là où il veut.
THE BEATLES The Beatles 1962-1966 (The Red Album) (1973)
Appelé aussi The Red Album, cette compilation des plus grands titres
des gars de Liverpool, comprenant notamment «Help», «Yesterday»,
«Yellow Submarine», s’écoute sans modération. Des titres qui n’ont pas
pris une ride, qui unissent les générations. Les meilleurs morceaux
d’un des plus grands groupes au monde.

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