directrice de casting

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directrice de casting
Les métiers du cinéma
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les métiers du cinéma
directrice de casting
texte - Philothée Buttol
Nom : Beaugrand-Champagne
Prénom : Emmanuelle
Profession : Directrice de casting
Film : « Monsieur Lazhar »
« A quel moment intervenez-vous dans un projet de film ? » - « C’est un
métier qui intervient très tôt dans le processus, souvent au moment des
dépôts, avant même le montage financier. Parce qu’on peut utiliser les acteurs comme leviers si éventuellement ils peuvent faire une différence, s’ils
sont connus, "bankables". On est les premiers interlocuteurs à arriver sur le
projet, à raisonner avec le réalisateur sur le scénario. »
« Quelles sont les différentes étapes dans la création d’un casting ? » « D’abord, la compréhension des personnages. Bien les saisir, bien ressentir
la courbe dramatique de chacun, bien comprendre ce que le réalisateur a envie de faire : comment il a envie de raconter cette histoire-là. S’il veut un film
formellement réaliste ou hyper réaliste par exemple, cela interviendra aussi
dans le choix du comédien. La deuxième : suggérer des personnes, à l‘aide
de photos, cv. On en discute, mais en fait la démarche peut être différente
selon que l’on veuille un acteur connu, un jeune débutant, etc. Soit on peut les
avoir déjà vu jouer au théâtre ou au cinéma. Soit c’est l’envie d’une rencontre.
Ou alors on fait des auditions. Dans ce cadre-là, on fait des essais à partir
d’une scène du scénario signifiante pour le personnage, parfois deux scènes
pour deux états du personnage. Au Québec, on engage un acteur pour donner la réplique alors qu’en France, c’est souvent la directrice de casting qui le
fait. A la troisième étape arrivent donc les bouts d’essai. Soit de manière formelle, dans une salle, soit, comme par exemple, avec Philippe (Falardeau), on
improvise chez lui, dans sa cuisine, dans la rue ou on se déplace chez le comédien. C’est libre à chacun, et ça dépend de sa relation avec le réalisateur,
mais aussi de la nature du projet, du rôle. Ce qui est intéressant à ce niveauci, c’est le lien que le réalisateur crée réellement avec l’acteur. Comment ils
vont se comprendre, comment ils se parlent. C’est surtout un mariage entre
deux individus, mais après il faut quand même vérifier ce que ça donne à
l’écran. Dans l’étape suivante, on re-visionne donc ce qu’on a filmé. C’est ici
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qu’interviennent les producteurs distributeurs,etc. Il y a des débats après la
vision des bouts d’essai. Ici, j’ai tendance à me mettre du côté du réalisateur,
à le protéger. Ce qu’on se dit quand on est seul à seul n’est pas forcément
facile à dire dans ces contextes-là, devant ces gens-là. Après on se retrouve
avec plusieurs premiers choix dans plusieurs rôles. C’est là qu’on place vraiment les choses. C’est comme si on avait eu tout d’abord plusieurs puzzles
tout emmêlés, on en sépare ensuite les pièces, et là on se retrouve avec les
bonnes pièces du bon puzzle, que l’on doit maintenant placer, de telle sorte
que l’image apparaisse. Et à ce stade, on fait le mariage des tempéraments,
du type de jeu, des couleurs, de cheveux, de bouts de nez. Ça parait trivial
tout ça, mais ça fait aussi partie de la réalité du métier. »
« Comment se dit on « c’est lui, c’est elle », quelle est la part d’’instinct
dans vos choix ? » - « D’abord, quand je propose des comédiens, j’essaie
d’être la plus objective et d’avoir le moins de préjugés possibles. Il y a des
acteurs qui ne me touchent pas forcément personnellement, mais où je sens
qu’il va se passer quelque chose, l’instinct d’une bonne rencontre. Je pense
qu’on doit rester très ouvert car un acteur peut être très mauvais dans un
film, mais pas forcément dans un autre. Ensuite, pendant le casting, je deviens très analytique : comment le comédien passe à l’écran, s’il a des tics,
est-ce qu’il est attentif, etc. Selon moi, il faut un minimum de trois prises
pour bien voir les gens évoluer, d’une prise à l’autre. En vision, j’ai tendance à
me retirer, mais seule avec réalisateur et le puzzle à assembler, alors je me
laisse aller à mes envies. Mais à cette étape-là, j’ai été imprégnée des envies
du réalisateur. Si je me laisse aller à quelque chose de plus émotif, c’est donc
en harmonie avec lui. »
« Avez-vous déjà regretté un choix de casting ? » - « Oui. Sur un film que
Robert Favreau a réalisé sur le poète québécois Emile Nelligan. (Nelligan,
1991). Ce poète, que les gens chérissent beaucoup au Québec, souffrait
probablement de maniaco-dépression ou de schizophrénie. On avait fait un
casting avec des jeunes finissant de l’école et il y en avait un qui lui ressemblait terriblement. Le garçon avait comme lui un très beau visage, mais très
fermé. Et ce que ça a fait à l’écran, c’est qu’on a eu un personnage fermé, qui
est devenu terriblement antipathique. Robert ne voulait pas charger la famille
du poète, et donner un point de vue assez dur de la famille à l’égard du type.
Parfois les gens sont de génies mais imbuvables dans la vie de tous les jours.
On traitait donc le film sans tendresse et moi je venais faire de la surenchère
avec cet acteur fermé. Le film n’a pas du tout marché et je pense que j’ai une
grande part de responsabilité là-dedans. Mais ce jour-là, j’ai compris quelque
chose. Même un personnage cynique doit avoir une chaleur humaine, un
charisme qui fera qu’on l’écoutera. Ce que les américains font très bien je
trouve. Ils ont cette capacité à faire jouer les pires salauds par probablement
les types les plus sympas. »
« Pour le film de Philippe Falardeau, comment s’est passé le casting ? » « Quand il y a des enfants, je préfère toujours commencer par eux. Car il
sera toujours temps de trouver un bon acteur et une bonne actrice qui leur
correspondent. Je fonctionne dans ce cas-là avec des agences sauf si le projet
demande un casting sauvage. C’est dans une agence qu’on a trouvé les deux
enfants du film. Notre chance, c’est qu’ils n’avaient pas vraiment d’expérience
et ils n’avaient pas encore pu développer de tics.
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