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L’Encéphale (2015) 41, 429—434
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
ScienceDirect
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
PSYCHOPATHOLOGIE
Relation entre mécanismes de défense et
alliance thérapeutique
Relationship between defense mechanism and therapeutic
alliance
S. Laconi a,∗, L. Cailhol b,c, L. Pourcel d, C. Thalamas e,
M. Lapeyre-Mestre d, H. Chabrol a
a
Octogone, centre d’études et de recherches en psychopathologie, pavillon de la recherche — Bureau R31,
université Toulouse II-Le Mirail, 5, allées Antonio-Machado, 31058 Toulouse cedex, France
b
CSSS Saint-Jérôme, 175, rue Durand, QC J7Z2V4 Saint-Jérôme, Canada
c
Institut universitaire de santé mentale de Montréal, 7401, rue Hochelaga, Montréal, Québec H1N 3M5,
Canada
d
Service de pharmacologie, faculté de médecine de Purpan, 37, allées Jules-Guesde, 31073 Toulouse
cedex, France
e
Inserm, CIC 9302 Toulouse, pavillon Riser, hôpital Purpan, CHU de Toulouse, place du Dr-Baylac, TSA
40031, 31059 Toulouse, France
Reçu le 15 mai 2013 ; accepté le 16 septembre 2013
Disponible sur Internet le 4 novembre 2014
MOTS CLÉS
Mécanismes de
défense ;
Alliance
thérapeutique
∗
Résumé L’objectif principal de cette étude était d’évaluer la relation entre l’alliance thérapeutique et vingt mécanismes de défense dans un échantillon psychiatrique français, en
différenciant les résultats obtenus pour les hommes et les femmes. Les alliances thérapeutiques positive et négative ont également été différenciées dans nos analyses. Soixante
patients adultes ont complété le Defense Style Questionnaire-40 (DSQ-40) ainsi que le Helping Alliance Questionnaire-II (HAq-II). Nos résultats mettent en avant la présence de liens
entre l’alliance thérapeutique et certains mécanismes de défense. Le style de défense mature
apparaît comme un prédicteur significatif de l’alliance thérapeutique (R2 adj = 0,36, F = 12,39,
␤ = 0,65, p < 0,01). L’alliance positive est associée à plusieurs mécanismes de défense : chez
les hommes, l’annulation se distingue, chez les femmes, c’est l’agression passive. En ce qui
concerne l’alliance thérapeutique négative, seul le déplacement est significatif et uniquement
chez les hommes. Ces résultats révèlent notamment la nécessité de prendre en considération
le sexe dans l’étude des mécanismes et de leur lien avec l’alliance thérapeutique.
© L’Encéphale, Paris, 2014.
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (S. Laconi).
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2014.10.021
0013-7006/© L’Encéphale, Paris, 2014.
430
KEYWORDS
Defense mechanisms;
Therapeutic alliance
S. Laconi et al.
Summary
Introduction. — The therapeutic alliance can be defined as a collaborative relationship between
the patient and the practitioner. It represents an essential component of the psychotherapeutic process (Ambresin et al., 2007; Cungi, 2006; Martin et al., 2000). Some authors suggest
that a good alliance can have a favorable impact on the therapeutic success (Barber et al.,
2000; Hubble, Duncan, & Miller 1999; Horvath & Luborsky, 1993; Horvath & Symonds, 1991).
This alliance can be influenced by psychological and behavioral factors (Cungi, 2006) Thus,
some defense mechanisms could prevent change or, on the contrary could facilitate adaptation
(Ambresin et al., 2007) and have an impact on the therapeutic success (Muris & Merckelbach,
1996). However, the relationship between therapeutic alliance and defense mechanisms represents an insufficiently explored field (Ambresin et al., 2007; Cungi, 2006). The aim of the present
study was to examine the relationship between therapeutic alliance and twenty defense mechanisms in a sample of French psychiatric patients, by differentiating results in men and women.
We also examined the positive and the negative therapeutic alliance.
Method. — Sixty patients aged from 18 to 58 (M = 41.50; SD = 11.03) completed the French versions of the Defense Style Questionnaire-40 (DSQ-40) and the Helping Alliance questionnaire-II
(HAq-II).
Results. — Therapeutic alliance was significantly associated with each defense style: mature
(0.62), neurotic (0.45) P < 0.01and immature (0.27) p < 0.05. The mature defense style was
a significant predictor of therapeutic alliance (R2 adj = 36, F = 12.39, ␤ = 0.65, P < 0.01) and of
positive therapeutic alliance (R2 adj = 36, F = 12.34, ␤ = 0.62, P < 0.001). Among women, positive therapeutic alliance was significantly associated with all mature defenses, three neurotic
defenses (reaction formation, pseudo-altruism, idealization) and four immature defenses (splitting, denial, somatization, passive aggression). Among men, three mature defenses were
associated (anticipation, humor, sublimation), four neurotic (reaction formation, pseudoaltruism, idealization and undoing) and two immature (somatization and denial). The negative
therapeutic alliance, in our total sample, was associated with two immature defenses (denial
and dissociation). Among men, displacement was the only defense associated with negative
alliance, among women no defenses was significant.
Discussion. — These results highlight the relationship between therapeutic alliance and some
defense mechanisms, like some authors have suggested (Ambresin et al., 2007; Bond & Perry,
2004; Bond, 2004). Moreover, some defenses appeared to be more associated with a positive or
a negative therapeutic alliance, and could depend on the patient gender.
Conclusion. — The present study confirms the importance of taking into account the gender
in the study of defense mechanisms, and to increase our knowledge about the relationship
between therapeutic alliance and defense mechanisms.
© L’Encéphale, Paris, 2014.
Introduction
Les mécanismes de défense peuvent être définis comme
« des processus mentaux automatiques, qui s’activent en
dehors du contrôle de la volonté et dont l’action demeure
inconsciente » [1]. Leur nombre est variable en fonction
des auteurs et la classification la plus utilisée distingue les
mécanismes de défense de styles mature, névrotique et
immature. Cependant, il n’existe aucun consensus concernant la classification des mécanismes de défense [2]. De
nature plus ou moins adaptée, ces mécanismes peuvent
avoir une influence importante dans la vie de patients faisant face à des difficultés et contribuent à la santé mentale
et physique [2].
De nombreuses hypothèses ont pu être avancées sur
la place de ces défenses dans la prise en charge psychothérapeutique et notamment sur le succès thérapeutique
car certains facteurs psychologiques et comportementaux
« ralentissent la mise en place ou le déroulement du
processus thérapeutique » [3]. Certains mécanismes de
défense pourraient donc empêcher le changement ou au
contraire favoriser l’adaptation [4] et influencer la réussite
thérapeutique [5]. Plusieurs études ont également mis
en avant la présence de différences dans l’utilisation des
mécanismes de défense en fonction du sexe, ce qui pourrait
influencer la prise en charge [6].
L’alliance thérapeutique qui correspond à un rapport
collaboratif entre le patient et le praticien représente
une étape indispensable dans le traitement psychothérapeutique [3,7—9]. Quelques études ont d’ailleurs mis en
avant l’impact favorable d’une bonne alliance sur la réussite thérapeutique [10—13]. Cependant, les études sur
le lien entre l’alliance thérapeutique et les mécanismes
de défense représentent un terrain encore insuffisamment
exploré [3,4].
Certaines recherches permettent de conclure en
l’existence d’un lien entre certains mécanismes et l’alliance
thérapeutique [4,14,15]. Néanmoins, d’autres études ont
Relation entre mécanismes de défense et alliance thérapeutique
permis d’établir le constat opposé : il semblerait que les
mécanismes n’aient pas d’influence sur le développement
de l’alliance thérapeutique [16—20].
Peu d’études ont été menées sur la relation entre
les mécanismes de défense et l’alliance thérapeutique en
France, et en fonction du sexe. L’objectif principal de cette
étude était d’explorer la relation entre l’alliance thérapeutique et les mécanismes de défense dans une population
psychiatrique d’adultes français en différenciant les résultats obtenus pour les hommes et pour les femmes.
Méthode
Sujets et procédure
Notre échantillon (n = 60) était constitué de patients francophones, âgés entre 18 et 58 ans (M = 41,50 ; DS = 11,03)
hospitalisés en psychiatrie dans des établissements spécialisés de la région. Trente-huit participants sont des femmes
(63,3 %). Les critères de non-inclusion prévoyaient de ne pas
conserver les patients sous sauvegarde, curatelle, tutelle ou
ne pouvant donner leur consentement, les patients hospitalisés sous contrainte ainsi que ceux présentant un trouble
psychotique chronique, un état maniaque, un état hypomaniaque ou un retard mental. Les participants ont signé un
consentement libre et éclairé après avoir été informés de
l’anonymat et de la confidentialité de leurs réponses.
Instruments
Des informations générales (sexe et âge) ont été recueillies
auprès des participants, qui ont ensuite complété simultanément le DSQ-40 et le HAq-II.
Le Defense Style Questionnaire-40 (DSQ-40) [21,22] est
un auto-questionnaire de 40 items mesurant 20 mécanismes de défense de styles défensifs mature, névrotique
et immature. Le style mature regroupe la sublimation,
l’humour, l’anticipation et la répression ; le style névrotique
l’annulation, le pseudo-altruisme, l’idéalisation, la formation réactionnelle, le déplacement et l’isolation ; le style
immature, la projection, l’agression passive, le passage à
l’acte, la dévalorisation, le fantasme autistique, le déni,
la dissociation, le clivage, la rationalisation et la somatisation. Chaque mécanisme de défense est évalué par le score
de deux items. Ces items sont cotés sur une échelle de
Likert allant de 1 à 6 points ; 1 correspondant à « fortement
en désaccord » et 6 à « fortement d’accord ». Le score du
participant correspond à la moyenne des scores des items
évaluant chaque mécanisme. L’étude de validation retrouve
des coefficients de Cronbach de 0,80 pour le style immature,
0,68 pour le style mature et 0,58 pour le style névrotique
[23]. L’étude de validation française obtient respectivement
des coefficients de 0,73, 0,53 et 0,46 [24].
L’Helping Alliance questionnaire-II (HAq-II) [25,26] est
composé de 19 items et permet de mesurer les dimensions
relationnelle et psychothérapique de l’alliance thérapeutique, dans notre étude, en fonction du thérapeute
principal. Chaque item est coté sur une échelle de Likert
en 6 points allant de 1 « fortement en désaccord » à 6
« fortement d’accord ». Les scores varient de 19 à 114.
Deux versions de cette échelle sont disponibles (patient ou
431
thérapeute), pour la présente étude, nous n’avons utilisé
que la version patient. Selon l’étude originale, le HAq-II
est composé de 2 facteurs : l’alliance thérapeutique positive
comprenant 13 items, et l’alliance thérapeutique négative
comprenant 4 items [26]. L’alliance thérapeutique positive reflète les représentations et sentiments positifs du
patient concernant la thérapie et le thérapeute (item 2 :
« j’ai le sentiment que le thérapeute me comprend », item
6 : « je pense que nous avons des idées similaires sur la
nature de mes problèmes »). L’alliance négative concerne
les représentations et les sentiments négatifs (item 8 : « les
procédures utilisées dans ma thérapie ne sont pas adaptées
à mes besoins », item 19 : « parfois, le thérapeute semble
distant »). La version française du HAq-II possède une consistance interne satisfaisante (␣ = 0,85 à 0,91), similaire à la
version originale [25].
Analyses statistiques
Les consistances internes du HAq-II, du DSQ-40 et de leurs
facteurs ont été évaluées avec le coefficient Alpha de
Cronbach. Les 3 styles de défense mature, névrotique et
immature ont été ajoutés aux régressions linéaires multiples
avec comme variable dépendante l’alliance thérapeutique,
puis ses deux facteurs : l’alliance positive et l’alliance
négative. Ces analyses statistiques ainsi que les analyses
descriptives ont été réalisées avec la version 20 de SPSS.
Résultats
Analyses descriptives
Les statistiques descriptives obtenues pour le HAq-II et
le DSQ-40 sont présentées dans le Tableau 1. Ce tableau
détaille les résultats obtenus pour chaque style de mécanismes de défense observés dans notre échantillon en
fonction du sexe des participants. Les scores obtenus pour
les facteurs du HAq-II y sont également retranscrits.
Corrélations entre le HAq-II et les styles de
défense du DSQ-40
Le DSQ-40 et le HAq-II sont significativement corrélés (0,46).
Les 3 styles de défense corrèlent significativement avec
le HAq-II dans l’échantillon complet : style mature (0,62),
style névrotique (0,45) et style immature (0,27). Chez les
hommes et chez les femmes, le lien entre le style de défense
immature et l’alliance thérapeutique apparaît comme non
significatif. Le détail des analyses de corrélation est présenté dans le Tableau 2.
Corrélations entre le HAq-II et les mécanismes de
défense du DSQ-40
Dans notre échantillon total, le HAq-II corrèle significativement avec l’ensemble des mécanismes de défenses
matures : l’anticipation (0,60), l’humour (0,48), la répression (0,47) et la sublimation (0,40), p < 0,01.
Trois mécanismes de style névrotique corrèlent significativement avec l’alliance thérapeutique : la formation réactionnelle (0,56), le pseudo-altruisme (0,53), l’idéalisation
432
Tableau 1
S. Laconi et al.
Analyse descriptive des échelles en fonction du sexe.
␣
Hommes (n = 22)
Min
Max
Femmes (n = 38)
M
DS
Min
Max
M
DS
HAq-II
Alliance positive
Alliance négative
0,89
0,95
0,69
19
13
9
99
78
24
68,64
48,22
15,13
18,38
17,55
3,78
29
13
5
107
78
23
73,03
51,50
14,10
15,91
14,26
4,37
DSQ-40
Mature
Névrotique
Immature
0,90
0,78
0,77
0,80
91
14
23
43
211
72
69
110
148,14
31,86
43,45
72,81
35,82
13,05
12,76
17,55
64
8
19
28
278
61
79
140
162,26
33,15
50,23
78,86
49,23
11,86
16,45
26,10
␣ : Alpha de Cronbach ; Min : minimum ; Max : maximum ; M : moyenne ; DS : déviation standard.
(0,43) p < 0,01 dans l’échantillon global. Chez les hommes,
l’annulation est significativement corrélée avec le HAq-II.
Parmi les mécanismes de défenses immatures, la
somatisation (0,43), le déni (0,38) p < 0,01 et le clivage (0,28) p < 0,05 sont significatifs dans notre échantillon total. Chez les hommes, le clivage n’est pas
significatif.
Tableau 2
Corrélations entre les facteurs du HAq-II et les
styles de défense
Dans l’ensemble de notre échantillon, l’alliance thérapeutique positive est corrélée significativement aux styles
mature (0,62), névrotique (0,47) et immature (0,30). Chez
les hommes, le style immature ne corrèle pas avec l’alliance
Corrélations entre les mécanismes de défense et l’alliance thérapeutique.
Échantillon total
(n = 60)
Hommes
(n = 22)
Femmes
(n = 38)
Haq-II
HAq-II
HAq-II
Total
AP
AN
Total
AP
AN
Total
AP
AN
DSQ-40
Mature
Anticipation
Sublimation
Humour
Répression
0,46**
0,62**
0,60**
0,40**
0,48**
0,47**
0,49**
0,62**
0,60**
0,42**
0,49**
0,44**
—
—
—
—
—
—
0,54**
0,71**
0,80**
0,46*
0,55*
0,45*
0,53*
0,67**
0,79**
0,45*
0,48*
—
—
—
—
—
—
—
0,44**
0,55**
0,41**
0,37*
0,46**
0,48**
0,48**
0,59**
0,41**
0,43**
0,52**
0,48**
—
—
—
—
—
—
Névrotique
Formation réactionnelle
Pseudo-altruisme
Idéalisation
Annulation
Déplacement
Isolation
0,45**
0,56**
0,53**
0,43**
—
—
—
0,47**
0,58**
0,52**
0,48**
0,26*
—
—
—
—
—
—
—
—
—
0,50**
0,63**
0,63**
0,43*
0,48*
—
—
0,51*
0,64**
0,58**
0,48*
0,44*
—
—
—
—
—
—
—
—0,47*
—
0,43**
0,55**
0,46**
0,43**
—
—
—
0,45**
0,56**
0,48**
0,48**
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
Immature
Déni
Somatisation
Clivage
Dissociation
Dévalorisation
Fantasme autistique
Projection
Rationalisation
Agression passive
Passage à l’acte
0,27*
0,38**
0,43**
0,28*
—
—
—
—
—
—
—
0,30*
0,42**
0,44**
0,31*
0,27*
—
—
—
—0,28*
—
—
—0,27*
—
—
—
—
—
—
—
0,46*
0,55*
—
—
—
—
—
—
—
—
—
0,46*
0,53*
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
0,34*
0,34*
0,40*
—
—
—
—
—
—
—
0,35*
0,41**
0,37*
0,41**
—
—
—
—
—
0,32*
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
AP : alliance positive ; AN : alliance négative. *p < 0,05. **p < 0,01.
Relation entre mécanismes de défense et alliance thérapeutique
positive. L’alliance thérapeutique négative n’obtient aucun
résultat significatif.
Corrélations entre les facteurs du HAq-II et les
mécanismes de défense
L’alliance thérapeutique positive est corrélée significativement à tous les mécanismes de défense matures, hormis à
la répression chez les hommes.
Les mécanismes névrotiques qui sont significativement
corrélés à l’alliance positive sont la formation réactionnelle
(0,58), le pseudo-altruisme (0,52), l’idéalisation (0,48) et
l’annulation (0,26). L’annulation corrèle avec l’alliance thérapeutique positive (0,44) uniquement chez les hommes.
Dans ce groupe, l’alliance thérapeutique négative est associée au déplacement (—0,47).
Parmi les mécanismes de style immature, la somatisation (0,44), le déni (0,42), le clivage (0,31) et la dissociation
(0,27) sont significativement corrélés à l’alliance thérapeutique positive. De plus, le déni (—0,28) et la dissociation
(—0,27) sont également associés à l’alliance négative dans
notre échantillon total. Chez les femmes, comme chez les
hommes, la dissociation ne corrèle pas significativement à
l’alliance thérapeutique. Néanmoins, elles obtiennent des
résultats significatifs pour l’agression passive (0,32). Chez
les hommes, seuls le déni et la somatisation corrèlent significativement avec l’alliance positive.
Régressions multiples entre le HAq-II et ses
facteurs, et les mécanismes de défense
Dans notre échantillon total, seul le style de défense mature
est prédicteur de l’alliance thérapeutique (R2 adj = 0,36,
F = 12,39, ␤ = 0,65, p < 0,01). L’alliance thérapeutique positive est également prédite par le style mature (R2 adj = 0,36,
F = 12,34, ␤ = 0,62, p < 0,001). Aucun style de défense ne prédit l’alliance thérapeutique négative.
433
apparaissent associés à l’alliance négative (déni, dissociation, et déplacement chez les hommes). Néanmoins, nous
avons peu d’informations sur les caractéristiques associées
à l’alliance positive et à l’alliance négative.
Les différences observées en fonction du genre révèlent
la nécessité de prendre en considération le sexe dans
l’exploration des mécanismes de défense et de leurs liens
avec l’alliance thérapeutique. Alors que chez les hommes,
l’humour et l’annulation semblent significativement associés à l’alliance positive, chez les femmes, seule l’agression
passive se distingue des autres mécanismes de défense. La
signification clinique possible de ces associations est difficile
à discuter, en raison en particulier du manque de validité de
façade du DSQ-40 [27].
Notre étude présente certaines limites puisque la présence de troubles psychiatriques et de caractéristiques
individuelles peut influencer les manifestations des mécanismes de défense [2,28], et la mise en place de l’alliance
thérapeutique [3,29]. De plus, comme l’efficacité adaptative d’un mécanisme de défense dépend de nombreux
éléments (nature, intensité, souplesse. . .) [1], il semble difficile d’établir la présence d’un lien généralisable entre
certains mécanismes et l’alliance thérapeutique. Les outils
utilisés peuvent également être remis en cause puisque,
par exemple, le DSQ-40 n’apparaît pas comme l’outil le
plus approprié pour évaluer les mécanismes de défense
[2,24,30,31].
Les résultats de cette recherche confirment la présence
d’un lien entre certains mécanismes de défense et l’alliance
thérapeutique ; cette thématique devrait être encore explorée en prenant en considération d’autres facteurs, comme
le sexe du patient et la présence de troubles psychiatriques.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Discussion
Remerciements
L’objectif de cette étude était d’évaluer la relation entre
l’alliance thérapeutique et les mécanismes de défense dans
un échantillon clinique. Nos résultats montrent un lien
entre l’alliance thérapeutique et les styles de défense,
comme l’ont avancé certains auteurs [4,14,15] et contrairement à d’autres études où l’alliance était indépendante
des défenses [16—20]. Le principal résultat de notre étude
est que l’analyse de régression multiple révèle une association unique et indépendante du style de défense mature
et de l’alliance thérapeutique, d’une part, et de l’alliance
thérapeutique positive, d’autre part. Ce lien peut suggérer
que les mécanismes matures contribuent à l’alliance thérapeutique, mais ils peuvent aussi traduire les effets positifs
de l’alliance sur les symptômes et sur les mécanismes de
défenses qui dépendraient de l’état symptomatique [2]. Une
autre possibilité est une influence réciproque des défenses
matures et de l’alliance.
Dans notre échantillon, les résultats obtenus pour
l’alliance positive sont similaires aux résultats de l’alliance
thérapeutique. Cependant, trois mécanismes immatures
Les auteurs remercient la Fondation de France pour son soutien financier à l’étude EPI-B (épidémiologie du trouble de
personnalité Borderline) dont les données de l’article sont
issues, les établissements ayant participé au projet (CHU de
Toulouse, CHG de Montauban, clinique de d’Aufréry, clinique
de Montberon, centre hospitalier Marchant), la Caisse Régionale d’Assurance Maladie de Midi-Pyrénées (en particulier
le Dr Bourrel) et Marie-Charlotte Fabre pour ses évaluations
cliniques.
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