Pablo Picasso, Homme assis à la canne - Musée des Beaux

Transcription

Pablo Picasso, Homme assis à la canne - Musée des Beaux
XXe
Fiche d’œuvre/
Pablo Picasso (Málaga, 1881 – Mougins, 1973)
Homme assis à la canne, 13 septembre 1971
Mots clefs
Le visuel est disponible avec
Navig’Art, sur le site du musée des
beaux-arts de Nantes :
http://www.museedesbeauxarts.na
ntes.fr/Accueil/Collections/Oeuvres
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Autoportrait/ Art moderne/ Antinaturalisme/ Expressivité/
Homme assis à la canne, 13 septembre 1971
Huile sur toile, 130 x 97 cm
Dation, 1990
Dépôt du musée national Picasso, Paris, 1990
Inv. MP 1990.46 (D. 990.3.2P)
Gérard Blot/Agence photographique de la Réunion des Musées Nationaux, © Succession Picasso
L’œuvre
En 1971, Pablo Picasso a 90 ans. Il habite depuis plusieurs années dans le sud de la France et s’est installé depuis près de
dix ans à Mougins, où il travaille avec acharnement, isolé du reste du monde. Se sachant, par son grand âge, proche de la
mort, il lutte contre le temps et adopte dans ces années-là un style qui surprend ses admirateurs. Il emploie une touche
hâtive, spontanée, volontairement négligée, comme s’il remettait une dernière fois en cause la notion de « bien
peindre ». Homme assis à la canne correspond à cette dernière phase de recherches picturales.
Une peinture « sale »
Un homme barbu est assis, les jambes croisées, le buste légèrement penché en avant, comme voûté, les mains appuyées
sur une canne. Il esquisse un léger sourire, regarde droit devant lui, et est coiffé d’un chapeau de paille. Aucun décor ne
vient accompagner ce portrait. L’homme est le seul sujet du tableau et occupe presque toute la toile.
Picasso insiste sur certains éléments du corps, quitte à ce que son personnage paraisse disproportionné. Ainsi, son visage
esquissé à grands traits, dont l’œil gauche est plus grand que le droit, occupe la moitié supérieure de la toile, tandis que
ses bras et ses mains cachent presque entièrement son torse. Par opposition, ses jambes sont réduites à quelques lignes
en bas du tableau. Picasso met l’accent sur ce qui est important pour lui, sans se soucier de dépeindre une réalité
tangible, il rend compte de la perception qu’il a des choses. C’est pour cela que les mains et les yeux, instruments de la
création fondamentaux, prennent une place prépondérante dans le tableau. Loin d’un naturalisme documentaire, Picasso
ne s’est pas non plus soucié de peindre le nez de face : il procède par signes, en mettant en évidence ce qui lui semble
évocateur.
L’artiste a travaillé avec une peinture mate et une palette chromatique très limitée : un jaune terne occupe la majeure
partie de la toile. Il est complété par une teinte brun pâle au niveau du visage et des bras du personnage, de larges plages
de blanc et des touches allant d’un gris clair au noir le plus profond. La peinture semble ici comme salie : Picasso a
travaillé vite, sans chercher à faire une peinture « léchée », où les traces de son travail seraient comme gommées. Au
contraire, les marques de pinceau sont visibles et les couleurs sont mélangées directement sur la toile. Ici il a peint sans
étude préparatoire, mêlant la peinture et le dessin, laissant la peinture couler par endroits, la toile vierge à d’autres…
L’artiste nous donne à voir son processus de création dans toute sa spontanéité, il met l’accent sur l’acte physique de
peindre.
Un portrait de peintre(s)
Homme assis à la canne fait partie d’une série de portraits d’hommes au chapeau de paille, peints entre 1970 et 1971.
Plus encore qu’un thème qu’affectionne Picasso, ce motif est le support de recherches picturales complexes, qui
aboutissent, le 14 novembre 1971, après plus d’un an de réflexions, au portrait d’un Vieil homme assis.
Le sujet de chacune de ces toiles est un homme barbu, assis, coiffé d’un chapeau de paille. Beaucoup ont reconnu dans le
Vieil homme assis un portrait de Renoir âgé, que Picasso admirait beaucoup sans l’avoir jamais rencontré. En 1919 ou
1920 déjà, il avait dessiné un Portrait de Renoir, d’après une photographie. Dans ces deux portraits, un intérêt particulier
est apporté à la main gauche du personnage, déformée par l’arthrose dans l’un, et mutilée dans l’autre. Peur ultime de
l’artiste, la vieillesse paralyserait la création.
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Zoé PRIEUR / Janvier 2014
Au-delà de Renoir, le Vieil homme assis et l’Homme assis à la canne résonnent comme un hommage à d’autres peintres
qui ont compté pour Picasso, tel José Ruiz y Blasco, son père, peintre lui-même. Dans les collections du musée Picasso à
Paris se trouve un croquis de la silhouette de son père à l’âge de 61 ans, dont le chapeau mou à larges bord évoque
fortement le chapeau de paille peint par Picasso dans ses dernières toiles. Mais ce chapeau est aussi celui du Jardinier
Vallier, peint par Paul Cézanne quelques jours avant sa mort.
Ainsi, Homme assis à la canne n’est pas le portrait d’une personne en particulier mais plutôt l’évocation universelle du
peintre, de figures tutélaires admirées par Picasso qui ont subi les affres de la vieillesse et qui ont aujourd’hui disparu.
Cette image peut également se comprendre comme un autoportrait de Picasso à la fin de sa vie et un moyen pour lui
d’affronter le temps qui passe.
L’artiste
1881 : Naissance à Málaga. Commence à peindre sous la direction de son père, peintre lui aussi, dès 1888. Installation à
Barcelone en 1895. Premier voyage à Paris en 1900.
1901 : Second voyage à Paris. Début de la « période bleue » (jusqu’en 1904).
1904 : Installation définitive à Paris, au Bateau-Lavoir. Début de sa liaison avec Fernande Olivier (jusqu’en 1911).
1905 : Début de la « période rose » (jusqu’en 1906). Premières sculptures.
1907 : Rencontre Georges Braque (1882 – 1963) et Daniel-Henry Kahnweiler (1884 – 1979) qui devient son marchand
d’art. Préparation des Demoiselles d’Avignon. Intérêt croissant pour les arts dits primitifs (« l’art nègre » mais aussi l’art
ibérique). Visite de la rétrospective Cézanne au Salon d’Automne.
1908 : Début des recherches cubistes avec Braque et du cubisme cézannien.
1909 : Début du cubisme analytique. Voyage à Barcelone et Horta de Ebro.
1911 : Début de sa liaison avec Eva Gouel (jusqu’à la mort de cette dernière en 1915).
1912 : Premier collage, Nature morte à la chaise cannée (musée Picasso, Paris). Phase du cubisme synthétique.
1916 : Rencontre le chorégraphe russe Serge Diaghilev. Début de sa collaboration avec les ballets russes. C’est avec eux
qu’il va à Rome et découvre l’Italie en 1917, voyage durant lequel il rencontre la danseuse Olga Kokhlova qu’il épousera
en 1918. De cette union naîtra un enfant, Paul, en 1921.
1927 : Rencontre Marie-Thérèse Walter, alors âgée de 17 ans, qui devient sa maîtresse pendant près de dix ans. Elle est la
mère de son deuxième enfant, Maya, née en 1935. C’est aussi en 1935 qu’Olga rompt avec Picasso.
1932 : Première rétrospective (Galerie Georges Petit à Paris – 236 œuvres présentées).
1936 : Rencontre Dora Maar, photographe surréaliste. Début de leur liaison (jusqu’en 1943). 18 juillet : début de la guerre
civile en Espagne.
1944 : Début de sa liaison avec la peintre Françoise Gilot, qui sera sa compagne pendant dix ans. Leur fils Claude naît en
1947, puis Paloma en 1949.
1948 : Installation à la villa « La Galloise » à Vallauris. Se consacre à la céramique.
1954 : Rupture avec Françoise Gilot. Rencontre Jacqueline Roque à Vallauris, dans l’atelier de céramique Madoura.
1955 : Installation à la villa « La Californie » à Cannes. Y réalise de nombreux tableaux monumentaux qui revisitent de
célèbres compositions comme les Ménines de Vélasquez ou le Déjeuner sur l’herbe de Manet.
1958 : Achat du château de Vauvenargues au pied de la montagne Sainte-Victoire.
1961 : Picasso et Jacqueline se marient à Vallauris. Installation dans le mas « Notre-Dame-de-Vie » à Mougins, son ultime
atelier.
1966 : Pour son 85e anniversaire, une grande rétrospective de son œuvre, « Hommage à Picasso », est organisée à Paris.
1973 : Décès à Mougins, à l’âge de 92 ans.
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Zoé PRIEUR / Janvier 2014
Bonus
Citations
1
« Le nez de travers, je l’ai fait exprès. J’ai fait de façon que les gens soient obligés de voir un nez. »
« Neuf fois sur dix quand un peintre te dit : non, cette toile-là n’est pas tout à fait terminée… Il lui manque un petit
quelque chose… Il faut l’achever…, neuf fois sur dix tu peux être sûr que pour l’achever, il va l’achever. »2
« Aussi je mets de moins en moins de couleurs et laisse de plus en plus la toile vierge jouer son rôle... Si cela continue,
j'arriverai bientôt à ceci : je mettrai ma signature et la date sur les toiles absolument vierges... C’est si beau, n’est-ce pas,
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une toile vierge. »
« Chaque fois que je dessine un homme, involontairement c’est à mon père que je pense… Pour moi l’homme c’est "don
José", et ça le restera toute ma vie… Il portait une barbe… Tous les hommes que je dessine, je les vois plus ou moins sous
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ses traits. »
« Le fait que je peigne un si grand nombre d’études fait simplement partie de ma façon de travailler. Je fais cent études
en quelques jours, tandis qu’un autre peintre peut passer cent jours sur un seul tableau. En continuant j’ouvrirai des
fenêtres. Je passerai derrière la toile et peut-être quelque chose se produira. »5
Pour aller plus loin
• Œuvres
- Paul Cézanne, Le jardinier Vallier, vers 1904-1906, huile sur toile, 65 x 54 cm, Fondation Bührle, Zurich.
- Pablo Picasso, Silhouettes de José Ruiz, père de l'artiste, en pardessus, 1899, crayon conté sur papier, vélin texturé, 33,5
22,5 cm, musée Picasso, Paris.
- Pablo Picasso, Portrait d'Auguste Renoir, d'après une photographie, 1919-1920, crayon graphite sur esquisse au fusain
estompé sur papier à dessin vélin Whatman, 61,3 x 49,2 cm, musée Picasso, Paris.
- Pablo Picasso, Le vieil homme assis, 26 septembre 1970 – 14 novembre 1971, huile sur toile, 145,5 x 114 cm, musée
Picasso, Paris.
• Bibliographie
- M.-L. BERNADAC et P. DU BOUCHET, Picasso, Le sage et le fou, Paris, Découvertes Gallimard, 1986.
- Catalogue d’exposition, Picasso, La peinture seule, musée des Beaux-arts, Nantes, Edition de la Réunion des Musées
Nationaux, 2001.
- A. ROBINSON, Picasso, Paris, Editions Scala, 1991.
• Sitographie
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-beaute/ENS-beaute.html
http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-PICASSO/ENS-picasso.html
1 Marie-Laure Bernadac et Paule du Bouchet, Picasso, Le sage et le fou, Paris, Découvertes Gallimard, 1986, p. 49.
2 Cité par Hélène Parmeln, Picasso : Notre Dame de Vie, Paris, Éditions Cercle d'art, 1966, p. 188.
3 Cité par Brassaï, Conversations avec Picasso, Paris, Gallimard, 1964, p. 243.
4 Idem, p. 71.
5 Cité par Paul Désalmand, Picasso par Picasso : pensées et anecdotes, Paris, Ramsay, 1996, p. 117.
Musée des beaux-arts de Nantes / Service des Publics / Zoé PRIEUR / Janvier 2014