1 Changement de perspective dans la mesure de performance en

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1 Changement de perspective dans la mesure de performance en
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Changement de perspective dans la mesure de performance en sst
Mario Roy
Lise Desmarais
Jean Cadieux
Université de Sherbrooke
Résumé
Aussi bien dans le monde de la recherche que dans celui de la pratique, les indicateurs réactifs
traditionnels de mesures (e.g. taux de fréquence et de gravité) se sont révélés inappropriés,
inexacts voir même, dans certains cas, contreproductifs pour évaluer la performance des
établissements en santé et sécurité du travail. Cette communication présente les résultats
préliminaires d’un outil composé d’indices de mesures prédictives ou prospectives, pour
apprécier l’amélioration des conditions de santé et de sécurité dans les milieux de travail. Ces
indicateurs sont réputés être suivis à long terme par une amélioration des résultats réactifs, qui
jouent ici un rôle secondaire de confirmation de la performance existante dans les établissements.
Introduction
La fonction ressources humaines, tout comme les autres fonctions de l’entreprise, doit contribuer
à la profitabilité de cette dernière si elle veut être en mesure de justifier son existence. Ce
postulat, dominant dans notre système fondé sur la rationalité économique, fait en sorte que
l’ensemble de ses activités est évalué en fonction des coûts et des bénéfices qui en découlent.
Ainsi, on mesure la performance des gestionnaires dans le domaine de la sst par la réduction
voire l’élimination des lésions professionnelles et des coûts qui leurs sont associés. Dans le cadre
de cette communication, nous montrons d'abord que l’adoption de cette perspective,
essentiellement fondée sur les résultats, est contreproductive parce qu’elle attire l’attention sur
les causes apparentes des lésions et leurs conséquences plutôt que sur les causes profondes,
induisant ainsi des effets pervers qui à long terme ne font qu’empirer la situation au sein des
milieux de travail. Nous suggérons que l’enjeu véritable de la mesure en santé et sécurité du
travail consiste à favoriser l’émergence d’une culture d’apprentissage de la prévention et de
l’élimination des dangers au sein des milieux grâce à l’amélioration de la performance des
processus et des systèmes qui en déterminent les résultats. Ce changement de perspective nous a
conduit à développer un outil d’autodiagnostic qui permet d’évaluer entre autre chose la
proportion des travailleurs attentifs aux initiatives de sst mises de l’avant au sein des
organisations. L’évolution de la composition du groupe d’individus sensibilisés et attentifs aux
initiatives de sst peut à notre avis constituer un indicateur original de l’imprégnation de la culture
sst des travailleurs de l’entreprise concernée.
Les mesures réactives et leurs faiblesses
L’un des aspects déroutants de la mesure de performance en sst vient du fait qu’il ne semble pas y
avoir de liens directs entre les efforts et les investissements consentis dans les programmes
traditionnels d’information, de formation et de prévention et la réduction de la fréquence et de la
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gravité des lésions (Lanoie et Strelinski, 1996). Bien que ces programmes soient nécessaires pour
réduire le niveau de risque, ils ne sont pas suffisants pour éliminer à eux seuls la probabilité de
survenue d’accidents et de maladies professionnelles (Berthelette et al., 1993). Ce constat tient à
l’objet même de la sst qui consiste à réduire au minimum l’apparition de lésions. S’il est déjà
relativement difficile d’apprécier avec justesse la ou les causes d’un événement (e.g. un accident du
travail), il est encore plus difficile de déterminer les causes de sa disparition (e.g. « zéro accident »).
En agissant sur quelques variables qui, à première vue, semblent prépondérantes pour réduire le
risque de lésion, on ne peut être assuré que d’autres conditions ne viendront pas induire malgré tout
un situation conduisant à une lésion professionnelle (Cassou et al., 1985).
Les données traditionnellement utilisées pour la mesure de performance en sst (fréquence et
gravité), ne sont pas des indicateurs suffisamment précis pour représenter de façon juste la
situation des milieux de travail en matière de sst (Conley, 2000). Par exemple, il serait erroné
d’affirmer qu’une organisation qui a eu six accidents en février et deux en mars a amélioré les
conditions de sst dans son milieu. Ce résultat peut être trompeur compte tenu du caractère
statistiquement aléatoire de la survenue des accidents au sein d’un même milieu. Les indicateurs
de résultats peuvent selon la méthode de compilation choisie ne rendre compte que d’une partie
de la réalité et camoufler le portrait réel des événements qui cause les lésions professionnelles.
En pratique, il est courant d’entendre les intervenants exprimer leurs préoccupations sur la
validité des données quand il s’agit de comparer les résultats de fréquence et de gravité. Les
principales difficultés rencontrées sont reliées au fait que la comptabilisation des événements
peut être facilement falsifiée et qu’elle ne s’effectue pas de la même façon d’une organisation à
l’autre et parfois même au sein de divers établissements de la même organisation.
Une étude récente menée par Shannon et Lowe (2002) a démontré qu'au Canada, il y aurait une
sous-déclaration importante des lésions aux régimes d’indemnisation provinciaux. Ce serait
particulièrement le cas lorsque les personnes concernées croient que le retour au travail sera
rapide ou lorsqu’ils sont suffisamment couverts par une autre assurance. Dans de tels cas,
plusieurs individus ont tendance à ne pas déclarer l’événement dont ils ont été victimes aux
organismes de contrôle provinciaux. Sur un échantillon de 2500 personnes, 40% des personnes
éligibles à recevoir des prestations n'ont pas soumis de réclamation. Les mêmes auteurs
présentent les résultats d’une autre étude menée par Quinlan and Mayhew (1999) selon laquelle
les individus qui occupent des emplois précaires sont moins conscients de leurs droits quant aux
indemnités prévues lors d’accidents de travail et sont moins portés à les déclarer. Sur la base de
ces études, il semble que l'incidence des accidents rapportés constitue un portrait peu révélateur
de la situation réelle. Il en serait de même pour les maladies reliées au travail dont l’importance
est souvent minimisée. Comme le coût du régime pour les employeurs augmente avec la
fréquence et la gravité des événements déclarés, des organisations utilisent tous les moyens
possibles de soustraire ces derniers au processus de déclaration sans pour autant améliorer la
situation réelle des conditions de santé et de sécurité. L’utilisation instantanée de l’assignation
temporaire et la contestation systématique de toutes les réclamations associées à des lésions
professionnelles ne sont que deux exemples de tactiques visant à présenter une performance
artificiellement améliorée.
Dans une étude réalisée auprès du Vector Public Education et citée par Shannon et Lowe (2002)
sur le même sujet, certains répondants ont indiqué avoir reçu des pressions de la part de leur
superviseur, de la direction et de la part de collègues pour ne pas déclarer leur blessure. O’Brien
3
(2000) va encore plus loin en affirmant qu’en se limitant à l’utilisation des mesures de résultats
qui sont facilement manipulables pour l’appréciation de la performance organisationnelle,
l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA, 2000) s’est condamnée elle-même à
l’échec dans ses efforts de prévention.
Plusieurs auteurs ont signalé que la mesure des résultats est insuffisante pour rendre compte de la
performance effective des milieux de travail en sst (Booth 1993; Mitchell, 2000; O’Brien, 2000;
Shaw et Blewett, 1995; Simpson et Gardner, 2001). Booth (1993) présente une série de raisons
pour lesquelles il qualifie de « pauvres » les indicateurs de résultats, les principales sont les
suivantes: ils mesurent les échecs plutôt que les succès, ils sont exposés aux fluctuations du
hasard, ils mesurent les blessures et non le nombre réel d’accidents, ils sont difficiles à comparer,
ils procurent une évidence face au fait que quelque chose ne va pas mais ils constituent un faible
prédicteur de la performance future (Stricoff, 2000). De plus, ils sont biaisés à la baisse
particulièrement lorsqu’un système de récompense encourage la diminution des événements
(Budworth, 1996). Shaw et Blewett (1995) signalent que la mesure des résultats peut être contreproductive parce que la sst ne devient une priorité de gestion seulement lorsque le taux de
fréquence toléré par les gestionnaires a atteint sa limite. À ce moment, ces derniers accordent
l’attention au problème et mettent en place différentes actions pour faire diminuer ce taux.
Lorsque l’indicateur redescend à un niveau jugé acceptable, les gestionnaires cessent de lui
porter attention en croyant à tort que la situation est sous contrôle. Peu de temps après, le taux
remonte et le même scénario se répète (Guy et Krause, 1994). Malgré tous ces défauts, la mesure
des résultats constitue, encore aujourd’hui, la modalité unique d’appréciation de la performance
en sst dans de nombreuses organisations. La quête de la performance fondée strictement sur les
résultats dévalorise la déclaration et par là même, va à l’encontre de l’intention d’amélioration
qui justifie son existence en regard de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (Gouvernement
du Québec, 1991).
Les mesures proactives et la perspective systémique
Considérant les aspects soulevés précédemment, il apparaît essentiel de développer un système de
mesure qui valorise l’expression transparente et sincère de toute situation à risque de façon à ce que
tous puissent apprendre à identifier et contrecarrer les dangers inhérents à l’exercice du travail. Dans
ce sens, il semble opportun de s’assurer que l’ensemble des processus, des systèmes et des
individus en interaction fonctionne à l’intérieur de balises qui permettent de garder la situation
sous contrôle et de rendre improbable la survenue de lésions. Il existe différents moyens
permettant de prévenir les risques, on fait ici allusion à la conformité du milieu de travail en
regard de l’ensemble des exigences législatives et réglementaires auxquelles sont soumises les
entreprises. On pense aussi à mesurer l’efficacité de la prévention des risques auxquels sont
exposés les travailleurs ainsi qu’aux comportements que ces derniers adoptent en contexte de
travail (Van Steen, 1996). Enfin, toutes les composantes de la sst constituent un système plus ou
moins défini selon l’organisation. Il est possible de mesurer ce système afin d’améliorer son
efficacité et son niveau d’intégration à l’ensemble des systèmes organisationnels (Levine et
Dyjack, 1997). Plusieurs auteurs (Booth et Amis, 1992; Ingalls, 1999; Krause et al., 1991;
Mitchell, 2000; Shaw et Blewett, 1995), s’entendent pour dire qu’il est préférable de porter
l’attention sur ces indicateurs prédictifs observables en réservant un rôle secondaire aux
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indicateurs de résultats en raison de leur pauvreté et des effets pervers que nous avons décrits cidessus.
Le tableau 1 suivant présente, dans un ordre hiérarchique, une classification des indicateurs
réactifs et proactifs que nous avons recensés récemment. L’adoption de mesures de performance
pour les niveaux supérieurs suppose l’existence d’activités, de processus et de systèmes avancés
en sst. La progression proposée suggère aussi un certain ordre dans la mise en œuvre des
catégories de mesure. Une organisation incapable d’effectuer ses suivis de conformité ou plus
simplement ses enquêtes d'accidents pourrait difficilement mettre en place, avec succès, un
système de mesure des comportements des travailleurs (Ward, 2000). Ainsi les niveaux
supérieurs nécessitent que l’essentiel du travail à réaliser aux niveaux inférieurs soit en bonne
partie réalisé et que les gestionnaires sont préoccupés par des considérations plus complexes et
subtiles à mesurer pour apprécier leur performance en matière de sst.
Tableau 1 : Classification des types de mesure de la performance en sst en fonction des
niveaux de préoccupations des gestionnaires1
Dimension
Mesures prédictives (processus et
Culture sst
Prévention
2a Conformité
Résultats
Mesures réactives
Niveaux de
préoccupations
3b Intégration de la sst aux
systèmes organisationnels
3a Adoption de valeurs,
attitudes et comportements
sécuritaires (employés et
direction)
2b Amélioration continue
1b Prévention des lésions
1a Contrôle des pertes
Catégories de la mesure
-Système de gestion de la sst
-Systèmes organisationnels
-Engagement
-Normes de groupe
-Comportements
-Respect des procédures
-Organisation de la prévention, structures
-Programmes en sst
-Activités (identification, contrôle, support)
-Rôles et responsabilités
-Organisation du travail (procédés, procédures
sécuritaires de travail.)
-Équipements et matériels
-Environnement (matières dangereuses, contaminants,
aménagement des lieux, etc.)
Résultats raffinés
- Incidents, passer proches, dommages matériels
- Premiers soins, premiers secours, assignation
temporaire
- Coûts indirects
Résultats traditionnels
a) Données brutes
- Nombre d'accidents, nombre de maladies
- Nombre de jours perdus, coûts directs
- Taux de cotisation, etc.
b) Formules types
Les deux catégories de mesure de performance du premier niveau (1a et 1b) sont de type réactif.
Elles concernent des résultats passés (conséquences) sur lesquels il n’est plus possible d’agir. Les
1
Adapté à partir du rapport R-357 IRSST, Roy, M. et al (2004).
5
gestionnaires qui utilisent ces mesures sont préoccupés essentiellement par le contrôle des pertes
engendrées par les événements accidentels et les lésions professionnelles. Les organisations qui
ne mesurent pas, ne serait-ce que minimalement ces indicateurs, ne sont pas préoccupées par la
santé sécurité (niveau 0) et considèrent que les accidents sont une partie inhérente et inévitable
du travail (O’Brien, 2000). Bien qu’elles soient utiles pour apprécier après coup l’incidence des
actions prises pour améliorer la sst sur de grands ensembles d’individus, ces mesures se révèlent
inefficaces pour rendre compte de l’amélioration de la situation au quotidien des milieux de
travail. Au niveau 1b, les résultats recueillis permettent des analyses un peu plus sophistiquées.
Ces dernières peuvent éventuellement éviter la survenue d’événements majeurs mais la
préoccupation de contrôle des pertes demeure prépondérante.
Au deuxième niveau, l’ordre de préoccupation change et se concentre sur l’idée de prévention.
La mesure fondée sur les résultats cède le pas à la mesure de performance des procédés, des
équipements, des postes de travail, bref de tout ce qui compose l’organisation du travail et son
interface avec les individus. En vérifiant si le milieu de travail répond aux exigences
réglementaires internes et externes (niveau 2a), il est possible d’apprécier sa performance en
regard des normes établies et de déterminer les écarts à combler. À ce niveau la probabilité
d'adopter des mesures d'élimination à la source des risques pour les travailleurs est plus élevée
(Desmarais, 2004). Au niveau 2b, l’ordre des préoccupations de la mesure ne concerne plus la
conformité, mais plutôt les processus et structures et programmes qui permettent à l’organisation
de s’améliorer de façon continuelle en matière de santé et de sécurité. Les outils et techniques de
mesure de performance sont développés sur mesure pour s’adapter à chaque situation
investiguée. L’attention est centrée sur les moyens mis en place (programme de prévention,
formation, information) pour améliorer la sst plutôt que strictement sur les conditions du milieu.
A ce niveau, un engagement élevé de la direction et des employés est requis pour accroître la
performance dans la prévention des accidents et maladies professionnelles. Les mesures de
performance développées à partir du niveau 2 sont des mesures dites proactives ou prédictives
des résultats.
Au troisième et dernier niveau, l’attention se déplace vers les indicateurs de mesure de la culture
organisationnelle qui sont reconnus comme étant prépondérants dans le maintien à long terme du
succès en matière de santé et de sécurité du travail. A ce niveau, l’ensemble des valeurs, des
normes, des pratiques, des systèmes organisationnels et des comportements sont pris en compte
dans la mise en place d’un milieu organisationnel sécuritaire qui vise l’élimination des accidents
et maladies professionnelles. Au niveau 3a, les mesures de performance s’intéressent aux gestes
sécuritaires posés par les travailleurs et aux raisons des défaillances. On s’intéresse aussi aux
normes de groupes qui favorisent ou nuisent à l’adoption de comportements sécuritaires, de
même qu’à la perception de tous et chacun quant à l’engagement de la direction envers la sst et la
participation des personnels en la matière. Au niveau 3b, la mesure de performance atteint son
niveau le plus complexe en permettant l’appréciation de l’intégration de l’ensemble des systèmes
organisationnels dans une perspective de santé sécurité.
Le choix des mesures de performance en santé sécurité et leur appréciation reflètent de façon
tangible les valeurs des organisations et de leurs dirigeants. Plus l’ordre des préoccupations est
élevé, plus on peut s’attendre à un accroissement de l’investissement en prévention et à une
réduction des coûts de réparation.
6
Méthodologie
Le questionnaire d’autodiagnostic et l’indice de sensibilité aux interventions sst
Nous avons développé un outil d’autodiagnostic sur la base de la classification décrite ci-dessus.
L’outil prend la forme d’un questionnaire utilisant une échelle de Likert comme mesure. Son
administration à l’ensemble des personnels permet de réaliser un portrait de la situation et de
mettre en évidence les écarts de perception entre les niveaux hiérarchiques et entre les diverses
catégories de personnel. Les indicateurs retenus dans le questionnaire couvrent les quatre
catégories de préoccupations proactives que nous avons identifiées au tableau 1 soit : (2a) la
conformité du milieu, (2b) l’amélioration continue, (3a) l’adoption de valeurs, attitudes et
comportements sécuritaires et (3b) l’intégration de la sst aux systèmes organisationnels déjà
existants.
Tableau 2 : Dimensions du questionnaire d’autodiagnostic CEOT
Dimensions
Conformité du milieu
Activités de prévention
Structure de sst
Responsabilités des équipes
Communication
Normes de groupe et comportements
des individus
Engagement de la direction
Systèmes de gestion
Amélioration continue
Sommaire
Nombre de questions
7 questions
8 questions
8 questions
8 questions
9 questions
13 questions
9 questions
5 questions
9 questions
6 questions
Les items du questionnaire sont présentés sous la forme d’actions pour lesquelles les répondants
déterminent dans quelle mesure ces dernières sont faites au sein de leur entreprise. Cette façon de
présenter les items implique que le répondant doit se remémorer des faits, des événements
observables ou des circonstances dans lesquels les actions ont eu cours ou non. Les scores
obtenus à chacune des dimensions fournissent une première appréciation de la perception des
actions posées. Dans le cadre de cette communication, qui s’intéresse aux niveaux d'attention des
travailleurs aux initiatives en sst, nous avons mis de côté les réponses fournies par les cadres, les
responsables sst et ceux de qualifiés de « autres ». Notre objet consiste ici à mesurer le degré
d'attention accordée par les travailleurs aux initiatives de sst au sein de l'organisation.
L’analyse des groupements
Nous avons choisi d’adopter une stratégie couramment utilisée dans la recherche en marketing
pour caractériser des regroupements de répondants pour analyser nos résultats au questionnaire
d’autodiagnostic. Par exemple, les intervenants en marketing, tentent de découvrir et d’exploiter
ce qu’ils appellent les segments de marchés. Ces segments regroupent les individus qui
consomment, globalement, de la même manière. Une bonne campagne publicitaire se doit
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d’attirer l’attention de chacun des segments visés. A l’aide des outils statistiques appropriés, il
est possible de constituer des groupes d’éléments ou d’individus comportant des aspects
similaires en utilisant les méthodes de classification des ensembles ou Clusters Analysis.
Le thème de cette étude est centré sur l’occurrence des pratiques sst. À cet égard, est-ce que
l’ensemble des travailleurs évalue chacune des facettes étudiées de la sst de la même manière?
En d’autres termes, ont-ils tous la même perception sur le sujet? Situation qui, devrait être
techniquement le cas lorsque l’entreprise met les efforts aux bons endroits et que la
communication se rend efficacement du sommet jusqu’à la base de l’organisation. Cependant, la
perception humaine étant par définition très variable d’un individu à l’autre, les moyennes
associées aux dimensions étudiées représentent rarement bien la situation, au sens où la
dispersion des données autour des moyennes est souvent très élevée, laissant l’employeur
perplexe et sans solution pour expliquer l’effet de ses initiatives de sst.
En statistique, un excès de variabilité peut généralement s’expliquer par le fait que certains
groupes d’individus réagissent différemment à une même situation. L’objet de cette section est
justement d'explorer les perceptions et de découvrir l’existence d’un (le cas minimal et idéal) ou
plusieurs groupes qui pourraient, par leur similitude dans leurs évaluations, expliquer la
variabilité dans les réponses. Une fois ces groupes identifiés, une intervention, soit ciblée ou
globale, peut alors être planifiée en fonction de la dispersion des individus à travers les quarts de
travail, les départements ou les titres d’emploi par exemple.
Le premier exercice auquel l’analyste doit se prêter consiste à fixer le nombre de groupes aux
réponses dites « similaires ». Pour y arriver, une stratégie du type two-steps-Clusters a été
utilisée. La première étape consiste à sélectionner un sous-échantillon aléatoire d’une trentaine
de données et de les traiter à l’aide de la méthode de groupement hiérarchique ou hierarchical
cluster. Cette stratégie permet à l’analyste de déterminer le nombre de clusters qui représente le
mieux la répartition des répondants. Par l’entremise de la cédule dite d’agglomération, il a été
trouvé que 2, 3 ou 4 clusters seraient des solutions à explorer. La seconde phase, consiste à
étudier ces trois solutions en utilisant un algorithme en nuée dynamique ou K-Means clusters et
de les comparer.
La solution à quatre groupements a été rapidement balayée puisque un individu à lui seul formait
un groupe. Il est plutôt improbable qu'une entreprise planifie des interventions pour une seule et
unique personne. La solution à trois groupes a été retenue pour des fins d’analyses
supplémentaires puisqu’elle était définitivement plus flexible et interprétable que la solution à
deux groupes. Pour valider cette solution, une analyse discriminante a été effectuée a posteriori
afin de déterminer dans quelle mesure la connaissance des informations contenues dans les
variables initiales permet de classer correctement les individus dans un des trois groupes
préalablement trouvé. Le tableau 3 illustre que 94,7% des individus ont été correctement classés.
En comparant ce résultat avec la chance brute de classer correctement un individu dans un des
trois groupes, soit 33% des chances, cette performance est alors excellente. Cette analyse met en
évidence la puissance du lien unissant les réponses des individus à la présence de trois groupes
d’évaluation que nous avons caractérisé selon leur niveau d’attention à l’occurrence des
initiatives de sst au sein de leur organisation.
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Tableau 3 : Résultats de la classification (*)
Solution
avec 3
clusters
Original
%
Peu attentif
Attentif
Très
attentif
Peu attentif
Attentif
Très
attentif
Membership anticipé par groupe
Peu
attentif
22
2
0
Attentif
100,0
6,9
,0
Total
0
27
2
Très
attentif
0
0
23
22
29
25
,0
93,1
8,0
,0
,0
92,0
100,0
100,0
100,0
(*) 94,7% des regroupements originaux correctement classifiés
Est-ce que chacune des variables sous enquête est utile pour distinguer les trois groupes? La
réponse à cette question va dans l’affirmative. En effet, le tableau 4 illustre qu’au moins un des
trois groupes admet une différence de moyennes significatives par rapport aux deux autres, et ce,
pour chacune des variables sst étudiées. Ces dernières informations montrent qu’il existe une
segmentation claire entre les groupes. Pour ceux qui sont familiers avec la terminologie
ANOVA, le Lambda de Wilks représente simplement le ratio Within/Total qui, une fois multiplié
par 100, s’interprète comme étant le pourcentage de la variance inexpliquée par la différence de
moyenne entre les groupes. Lorsqu’il y a beaucoup de différence entre les groupes, ce
pourcentage tend alors à être petit. L’« Appréciation sommaire » est l’item le moins
discriminant. En effet, 57,4% de sa variance est inexpliquée par la différence entre les groupes.
Cependant, à contrario on peut aussi noter que 42,6% de la variance est expliquée par la présence
des groupes, ce qui en sciences sociales constitue un résultat fort appréciable.
Tableau 4 : Tests d’égalité des moyennes entre les groupes
Wilks' Lambda
Amélioration continue
,497
Engagement de la direction
,421
Systèmes
,472
Normes et comportements
,330
Conformité du milieu de travail
,374
Activités
,269
Structures
,432
Responsabilités des groupes de travail
,383
Communications
,380
Appréciation sommaire
,574
F
df1 df2 Sig.
36,932 2 73 ,000
50,283 2 73 ,000
40,838 2 73 ,000
74,268 2 73 ,000
61,207 2 73 ,000
99,010 2 73 ,000
48,064 2 73 ,000
58,726 2 73 ,000
59,513 2 73 ,000
27,107 2 73 ,000
9
Le tableau 5 présente les moyennes aux questions, et ce, pour chacun des trois groupes ainsi que
la répartition des individus dans chacun des groupes. Dans un premier temps, il est très
intéressant de voir que la solution à trois groupes est très bien balancée. En effet, les trois
groupes ont des tailles de même ordre de grandeurs soient 22, 29 et 25 employés respectivement.
Tableau 5 : Moyenne des groupes aux question
Initiatives
Peu attentif
Amélioration continue
3,40
Engagement de la direction
3,49
Systèmes
2,76
Normes et comportements
2,96
Conformité du milieu de travail
2,85
Activités
3,02
Structures
3,26
Responsabilités des groupes de travail
2,64
Communications
3,14
Appréciation sommaire
3,43
N (%)
Attentif
3,96
4,08
3,41
3,58
3,71
3,76
3,90
3,29
3,81
3,99
Très attentif
4,36
4,63
4,16
4,26
4,29
4,27
4,39
4,14
4,37
4,42
22 (28,9%) 29 (38,2%) 25 (32,9%)
Moyenne des items
3,10
3,75
4,33
Globale
3,93
4,09
3,47
3,62
3,65
3,71
3,88
3,38
3,80
3,97
76
(100%)
3,75
Pour mieux apprécier les moyennes présentées dans le tableau 5, le tableau 6 rappelle l’échelle
utilisée ainsi que les éléments de graduation. Fort de ce rappel et en comparant les moyennes du
tableau 5 d’un groupe à l’autre, il est alors possible de nommer les trois groupes. Le premier
groupe a été appelé les « Peu attentif » puisqu’à tous les points de vues, ils évaluent toutes les
initiatives en sst à des niveaux plus bas en terme d’occurrences. À l’opposé, les employés du
troisième groupe évaluent tous les points étudiés de manière plus élevée. Ce groupe a été appelé
« Très attentif ». Entre ces deux extrêmes, se situe un groupe mitoyen qui chevauche la moyenne
globale de l’ensemble des individus. En somme, on assiste à une transition nette des évaluations
faites par ces trois groupes de travailleurs.
Tableau 6 : L’échelle de mesure utilisée dans le questionnaire
1
Cela se fait
trop peu ou
jamais
2
3
4
5
?
Cela se fait
Cela se fait Cela se fait de Cela se fait de Ne sais pas
dans certaines régulièrement façon intégrée
façon
Ne s’applique
circonstances
et continue
exemplaire
pas
La figure 1 illustre graphiquement les moyennes incluses dans le tableau 5. Des analyses
complémentaires sur les données disponibles ont montré que ces individus étaient répartis
uniformément à travers l’entreprise, ce qui laisse croire à des différences réelles de perception
10
relative aux fréquences des pratiques en sst. Pour une entreprise, une façon de s’améliorer en sst
serait de faire progresser le groupe « Peu attentif » vers le groupe mitoyen.
Les différences dans l'appréciation des items SST
Échelle d'appréciation
5
4
SST Basse
SST Moyenne
3
SST Haute
Moy Globale
2
A
ct
iv
ité
s
bi
lit
és
St
ru
de
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om
or
po
m
ité
rte
m
du
en
m
ts
ili
eu
de
tra
va
il
1
Figure1 : Les différences entre les groupes en fonctions des items
Par ailleurs, dans cette figure, nous observons indépendamment des groupes, que les initiatives
(items) liées à la responsabilité des groupes de travail et aux systèmes de gestion obtiennent des
évaluations unanimement moins élevées. Cette situation révèle des problèmes quant à la
perception de ces initiatives auprès de l'ensemble des travailleurs. Ainsi, l'organisation pourrait
identifier les initiatives en sst sur lesquelles elle devrait mettre l'accent afin d'hausser le degré
d'attention des travailleurs face à des initiatives en particulier.
Discussion et conclusion
Nous proposons un outil diagnostic qui permet de planifier des interventions en fonction de
l'ampleur de l'attention ou de la sensibilisation observées auprès des travailleurs face aux
initiatives en sst. Un pourcentage élevé et diffus d'inattentifs au sein de l'entreprise impliquera
un type d'intervention généralisée tout comme une faible ampleur d'inattentifs, mais regroupés,
nécessitera une intervention ciblée. En d'autres termes, nous pouvons postuler qu'une
observation acceptable serait un faible pourcentage répartit uniformément dans l'organisation.
Idéalement, une organisation performante en sst devrait s'approcher d'un score 0 de peu attentif
et ce même en présence du «zéro accident». Par ailleurs, considérant la classification des types
de mesure de la performance en sst proposée, un faible score observé aux dimensions suivantes:
engagement de la direction, système de gestion et normes et comportements et ce, peu importe le
11
niveau d'attention des individus (cf. figure 1) traduirait un problème dans la perception des
travailleurs face aux initiatives liées à la culture de sst préconisée par l'organisation. Ainsi, la
variation observée dans des établissements ayant mis en œuvre une culture en sst pourrait
s'expliquer à partir des profils d'attention accordée à la sst diagnostiqués par l'outil de mesure
proposé. Les perspectives futures reliées à la validation de cet outil de mesure de la performance
en gestion de la santé et de la sécurité du travail pourrait mener éventuellement à des
propositions visant les interventions ciblées ou généralisées pertinentes à chaque cas de figure
identifié (clusters) favorisant ainsi une approche axée sur l'apprentissage et la progression plutôt
que sur les résultats.
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