1 Changement de perspective dans la mesure de performance en
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1 Changement de perspective dans la mesure de performance en
1 Changement de perspective dans la mesure de performance en sst Mario Roy Lise Desmarais Jean Cadieux Université de Sherbrooke Résumé Aussi bien dans le monde de la recherche que dans celui de la pratique, les indicateurs réactifs traditionnels de mesures (e.g. taux de fréquence et de gravité) se sont révélés inappropriés, inexacts voir même, dans certains cas, contreproductifs pour évaluer la performance des établissements en santé et sécurité du travail. Cette communication présente les résultats préliminaires d’un outil composé d’indices de mesures prédictives ou prospectives, pour apprécier l’amélioration des conditions de santé et de sécurité dans les milieux de travail. Ces indicateurs sont réputés être suivis à long terme par une amélioration des résultats réactifs, qui jouent ici un rôle secondaire de confirmation de la performance existante dans les établissements. Introduction La fonction ressources humaines, tout comme les autres fonctions de l’entreprise, doit contribuer à la profitabilité de cette dernière si elle veut être en mesure de justifier son existence. Ce postulat, dominant dans notre système fondé sur la rationalité économique, fait en sorte que l’ensemble de ses activités est évalué en fonction des coûts et des bénéfices qui en découlent. Ainsi, on mesure la performance des gestionnaires dans le domaine de la sst par la réduction voire l’élimination des lésions professionnelles et des coûts qui leurs sont associés. Dans le cadre de cette communication, nous montrons d'abord que l’adoption de cette perspective, essentiellement fondée sur les résultats, est contreproductive parce qu’elle attire l’attention sur les causes apparentes des lésions et leurs conséquences plutôt que sur les causes profondes, induisant ainsi des effets pervers qui à long terme ne font qu’empirer la situation au sein des milieux de travail. Nous suggérons que l’enjeu véritable de la mesure en santé et sécurité du travail consiste à favoriser l’émergence d’une culture d’apprentissage de la prévention et de l’élimination des dangers au sein des milieux grâce à l’amélioration de la performance des processus et des systèmes qui en déterminent les résultats. Ce changement de perspective nous a conduit à développer un outil d’autodiagnostic qui permet d’évaluer entre autre chose la proportion des travailleurs attentifs aux initiatives de sst mises de l’avant au sein des organisations. L’évolution de la composition du groupe d’individus sensibilisés et attentifs aux initiatives de sst peut à notre avis constituer un indicateur original de l’imprégnation de la culture sst des travailleurs de l’entreprise concernée. Les mesures réactives et leurs faiblesses L’un des aspects déroutants de la mesure de performance en sst vient du fait qu’il ne semble pas y avoir de liens directs entre les efforts et les investissements consentis dans les programmes traditionnels d’information, de formation et de prévention et la réduction de la fréquence et de la 2 gravité des lésions (Lanoie et Strelinski, 1996). Bien que ces programmes soient nécessaires pour réduire le niveau de risque, ils ne sont pas suffisants pour éliminer à eux seuls la probabilité de survenue d’accidents et de maladies professionnelles (Berthelette et al., 1993). Ce constat tient à l’objet même de la sst qui consiste à réduire au minimum l’apparition de lésions. S’il est déjà relativement difficile d’apprécier avec justesse la ou les causes d’un événement (e.g. un accident du travail), il est encore plus difficile de déterminer les causes de sa disparition (e.g. « zéro accident »). En agissant sur quelques variables qui, à première vue, semblent prépondérantes pour réduire le risque de lésion, on ne peut être assuré que d’autres conditions ne viendront pas induire malgré tout un situation conduisant à une lésion professionnelle (Cassou et al., 1985). Les données traditionnellement utilisées pour la mesure de performance en sst (fréquence et gravité), ne sont pas des indicateurs suffisamment précis pour représenter de façon juste la situation des milieux de travail en matière de sst (Conley, 2000). Par exemple, il serait erroné d’affirmer qu’une organisation qui a eu six accidents en février et deux en mars a amélioré les conditions de sst dans son milieu. Ce résultat peut être trompeur compte tenu du caractère statistiquement aléatoire de la survenue des accidents au sein d’un même milieu. Les indicateurs de résultats peuvent selon la méthode de compilation choisie ne rendre compte que d’une partie de la réalité et camoufler le portrait réel des événements qui cause les lésions professionnelles. En pratique, il est courant d’entendre les intervenants exprimer leurs préoccupations sur la validité des données quand il s’agit de comparer les résultats de fréquence et de gravité. Les principales difficultés rencontrées sont reliées au fait que la comptabilisation des événements peut être facilement falsifiée et qu’elle ne s’effectue pas de la même façon d’une organisation à l’autre et parfois même au sein de divers établissements de la même organisation. Une étude récente menée par Shannon et Lowe (2002) a démontré qu'au Canada, il y aurait une sous-déclaration importante des lésions aux régimes d’indemnisation provinciaux. Ce serait particulièrement le cas lorsque les personnes concernées croient que le retour au travail sera rapide ou lorsqu’ils sont suffisamment couverts par une autre assurance. Dans de tels cas, plusieurs individus ont tendance à ne pas déclarer l’événement dont ils ont été victimes aux organismes de contrôle provinciaux. Sur un échantillon de 2500 personnes, 40% des personnes éligibles à recevoir des prestations n'ont pas soumis de réclamation. Les mêmes auteurs présentent les résultats d’une autre étude menée par Quinlan and Mayhew (1999) selon laquelle les individus qui occupent des emplois précaires sont moins conscients de leurs droits quant aux indemnités prévues lors d’accidents de travail et sont moins portés à les déclarer. Sur la base de ces études, il semble que l'incidence des accidents rapportés constitue un portrait peu révélateur de la situation réelle. Il en serait de même pour les maladies reliées au travail dont l’importance est souvent minimisée. Comme le coût du régime pour les employeurs augmente avec la fréquence et la gravité des événements déclarés, des organisations utilisent tous les moyens possibles de soustraire ces derniers au processus de déclaration sans pour autant améliorer la situation réelle des conditions de santé et de sécurité. L’utilisation instantanée de l’assignation temporaire et la contestation systématique de toutes les réclamations associées à des lésions professionnelles ne sont que deux exemples de tactiques visant à présenter une performance artificiellement améliorée. Dans une étude réalisée auprès du Vector Public Education et citée par Shannon et Lowe (2002) sur le même sujet, certains répondants ont indiqué avoir reçu des pressions de la part de leur superviseur, de la direction et de la part de collègues pour ne pas déclarer leur blessure. O’Brien 3 (2000) va encore plus loin en affirmant qu’en se limitant à l’utilisation des mesures de résultats qui sont facilement manipulables pour l’appréciation de la performance organisationnelle, l’Occupational Safety and Health Administration (OSHA, 2000) s’est condamnée elle-même à l’échec dans ses efforts de prévention. Plusieurs auteurs ont signalé que la mesure des résultats est insuffisante pour rendre compte de la performance effective des milieux de travail en sst (Booth 1993; Mitchell, 2000; O’Brien, 2000; Shaw et Blewett, 1995; Simpson et Gardner, 2001). Booth (1993) présente une série de raisons pour lesquelles il qualifie de « pauvres » les indicateurs de résultats, les principales sont les suivantes: ils mesurent les échecs plutôt que les succès, ils sont exposés aux fluctuations du hasard, ils mesurent les blessures et non le nombre réel d’accidents, ils sont difficiles à comparer, ils procurent une évidence face au fait que quelque chose ne va pas mais ils constituent un faible prédicteur de la performance future (Stricoff, 2000). De plus, ils sont biaisés à la baisse particulièrement lorsqu’un système de récompense encourage la diminution des événements (Budworth, 1996). Shaw et Blewett (1995) signalent que la mesure des résultats peut être contreproductive parce que la sst ne devient une priorité de gestion seulement lorsque le taux de fréquence toléré par les gestionnaires a atteint sa limite. À ce moment, ces derniers accordent l’attention au problème et mettent en place différentes actions pour faire diminuer ce taux. Lorsque l’indicateur redescend à un niveau jugé acceptable, les gestionnaires cessent de lui porter attention en croyant à tort que la situation est sous contrôle. Peu de temps après, le taux remonte et le même scénario se répète (Guy et Krause, 1994). Malgré tous ces défauts, la mesure des résultats constitue, encore aujourd’hui, la modalité unique d’appréciation de la performance en sst dans de nombreuses organisations. La quête de la performance fondée strictement sur les résultats dévalorise la déclaration et par là même, va à l’encontre de l’intention d’amélioration qui justifie son existence en regard de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (Gouvernement du Québec, 1991). Les mesures proactives et la perspective systémique Considérant les aspects soulevés précédemment, il apparaît essentiel de développer un système de mesure qui valorise l’expression transparente et sincère de toute situation à risque de façon à ce que tous puissent apprendre à identifier et contrecarrer les dangers inhérents à l’exercice du travail. Dans ce sens, il semble opportun de s’assurer que l’ensemble des processus, des systèmes et des individus en interaction fonctionne à l’intérieur de balises qui permettent de garder la situation sous contrôle et de rendre improbable la survenue de lésions. Il existe différents moyens permettant de prévenir les risques, on fait ici allusion à la conformité du milieu de travail en regard de l’ensemble des exigences législatives et réglementaires auxquelles sont soumises les entreprises. On pense aussi à mesurer l’efficacité de la prévention des risques auxquels sont exposés les travailleurs ainsi qu’aux comportements que ces derniers adoptent en contexte de travail (Van Steen, 1996). Enfin, toutes les composantes de la sst constituent un système plus ou moins défini selon l’organisation. Il est possible de mesurer ce système afin d’améliorer son efficacité et son niveau d’intégration à l’ensemble des systèmes organisationnels (Levine et Dyjack, 1997). Plusieurs auteurs (Booth et Amis, 1992; Ingalls, 1999; Krause et al., 1991; Mitchell, 2000; Shaw et Blewett, 1995), s’entendent pour dire qu’il est préférable de porter l’attention sur ces indicateurs prédictifs observables en réservant un rôle secondaire aux 4 indicateurs de résultats en raison de leur pauvreté et des effets pervers que nous avons décrits cidessus. Le tableau 1 suivant présente, dans un ordre hiérarchique, une classification des indicateurs réactifs et proactifs que nous avons recensés récemment. L’adoption de mesures de performance pour les niveaux supérieurs suppose l’existence d’activités, de processus et de systèmes avancés en sst. La progression proposée suggère aussi un certain ordre dans la mise en œuvre des catégories de mesure. Une organisation incapable d’effectuer ses suivis de conformité ou plus simplement ses enquêtes d'accidents pourrait difficilement mettre en place, avec succès, un système de mesure des comportements des travailleurs (Ward, 2000). Ainsi les niveaux supérieurs nécessitent que l’essentiel du travail à réaliser aux niveaux inférieurs soit en bonne partie réalisé et que les gestionnaires sont préoccupés par des considérations plus complexes et subtiles à mesurer pour apprécier leur performance en matière de sst. Tableau 1 : Classification des types de mesure de la performance en sst en fonction des niveaux de préoccupations des gestionnaires1 Dimension Mesures prédictives (processus et Culture sst Prévention 2a Conformité Résultats Mesures réactives Niveaux de préoccupations 3b Intégration de la sst aux systèmes organisationnels 3a Adoption de valeurs, attitudes et comportements sécuritaires (employés et direction) 2b Amélioration continue 1b Prévention des lésions 1a Contrôle des pertes Catégories de la mesure -Système de gestion de la sst -Systèmes organisationnels -Engagement -Normes de groupe -Comportements -Respect des procédures -Organisation de la prévention, structures -Programmes en sst -Activités (identification, contrôle, support) -Rôles et responsabilités -Organisation du travail (procédés, procédures sécuritaires de travail.) -Équipements et matériels -Environnement (matières dangereuses, contaminants, aménagement des lieux, etc.) Résultats raffinés - Incidents, passer proches, dommages matériels - Premiers soins, premiers secours, assignation temporaire - Coûts indirects Résultats traditionnels a) Données brutes - Nombre d'accidents, nombre de maladies - Nombre de jours perdus, coûts directs - Taux de cotisation, etc. b) Formules types Les deux catégories de mesure de performance du premier niveau (1a et 1b) sont de type réactif. Elles concernent des résultats passés (conséquences) sur lesquels il n’est plus possible d’agir. Les 1 Adapté à partir du rapport R-357 IRSST, Roy, M. et al (2004). 5 gestionnaires qui utilisent ces mesures sont préoccupés essentiellement par le contrôle des pertes engendrées par les événements accidentels et les lésions professionnelles. Les organisations qui ne mesurent pas, ne serait-ce que minimalement ces indicateurs, ne sont pas préoccupées par la santé sécurité (niveau 0) et considèrent que les accidents sont une partie inhérente et inévitable du travail (O’Brien, 2000). Bien qu’elles soient utiles pour apprécier après coup l’incidence des actions prises pour améliorer la sst sur de grands ensembles d’individus, ces mesures se révèlent inefficaces pour rendre compte de l’amélioration de la situation au quotidien des milieux de travail. Au niveau 1b, les résultats recueillis permettent des analyses un peu plus sophistiquées. Ces dernières peuvent éventuellement éviter la survenue d’événements majeurs mais la préoccupation de contrôle des pertes demeure prépondérante. Au deuxième niveau, l’ordre de préoccupation change et se concentre sur l’idée de prévention. La mesure fondée sur les résultats cède le pas à la mesure de performance des procédés, des équipements, des postes de travail, bref de tout ce qui compose l’organisation du travail et son interface avec les individus. En vérifiant si le milieu de travail répond aux exigences réglementaires internes et externes (niveau 2a), il est possible d’apprécier sa performance en regard des normes établies et de déterminer les écarts à combler. À ce niveau la probabilité d'adopter des mesures d'élimination à la source des risques pour les travailleurs est plus élevée (Desmarais, 2004). Au niveau 2b, l’ordre des préoccupations de la mesure ne concerne plus la conformité, mais plutôt les processus et structures et programmes qui permettent à l’organisation de s’améliorer de façon continuelle en matière de santé et de sécurité. Les outils et techniques de mesure de performance sont développés sur mesure pour s’adapter à chaque situation investiguée. L’attention est centrée sur les moyens mis en place (programme de prévention, formation, information) pour améliorer la sst plutôt que strictement sur les conditions du milieu. A ce niveau, un engagement élevé de la direction et des employés est requis pour accroître la performance dans la prévention des accidents et maladies professionnelles. Les mesures de performance développées à partir du niveau 2 sont des mesures dites proactives ou prédictives des résultats. Au troisième et dernier niveau, l’attention se déplace vers les indicateurs de mesure de la culture organisationnelle qui sont reconnus comme étant prépondérants dans le maintien à long terme du succès en matière de santé et de sécurité du travail. A ce niveau, l’ensemble des valeurs, des normes, des pratiques, des systèmes organisationnels et des comportements sont pris en compte dans la mise en place d’un milieu organisationnel sécuritaire qui vise l’élimination des accidents et maladies professionnelles. Au niveau 3a, les mesures de performance s’intéressent aux gestes sécuritaires posés par les travailleurs et aux raisons des défaillances. On s’intéresse aussi aux normes de groupes qui favorisent ou nuisent à l’adoption de comportements sécuritaires, de même qu’à la perception de tous et chacun quant à l’engagement de la direction envers la sst et la participation des personnels en la matière. Au niveau 3b, la mesure de performance atteint son niveau le plus complexe en permettant l’appréciation de l’intégration de l’ensemble des systèmes organisationnels dans une perspective de santé sécurité. Le choix des mesures de performance en santé sécurité et leur appréciation reflètent de façon tangible les valeurs des organisations et de leurs dirigeants. Plus l’ordre des préoccupations est élevé, plus on peut s’attendre à un accroissement de l’investissement en prévention et à une réduction des coûts de réparation. 6 Méthodologie Le questionnaire d’autodiagnostic et l’indice de sensibilité aux interventions sst Nous avons développé un outil d’autodiagnostic sur la base de la classification décrite ci-dessus. L’outil prend la forme d’un questionnaire utilisant une échelle de Likert comme mesure. Son administration à l’ensemble des personnels permet de réaliser un portrait de la situation et de mettre en évidence les écarts de perception entre les niveaux hiérarchiques et entre les diverses catégories de personnel. Les indicateurs retenus dans le questionnaire couvrent les quatre catégories de préoccupations proactives que nous avons identifiées au tableau 1 soit : (2a) la conformité du milieu, (2b) l’amélioration continue, (3a) l’adoption de valeurs, attitudes et comportements sécuritaires et (3b) l’intégration de la sst aux systèmes organisationnels déjà existants. Tableau 2 : Dimensions du questionnaire d’autodiagnostic CEOT Dimensions Conformité du milieu Activités de prévention Structure de sst Responsabilités des équipes Communication Normes de groupe et comportements des individus Engagement de la direction Systèmes de gestion Amélioration continue Sommaire Nombre de questions 7 questions 8 questions 8 questions 8 questions 9 questions 13 questions 9 questions 5 questions 9 questions 6 questions Les items du questionnaire sont présentés sous la forme d’actions pour lesquelles les répondants déterminent dans quelle mesure ces dernières sont faites au sein de leur entreprise. Cette façon de présenter les items implique que le répondant doit se remémorer des faits, des événements observables ou des circonstances dans lesquels les actions ont eu cours ou non. Les scores obtenus à chacune des dimensions fournissent une première appréciation de la perception des actions posées. Dans le cadre de cette communication, qui s’intéresse aux niveaux d'attention des travailleurs aux initiatives en sst, nous avons mis de côté les réponses fournies par les cadres, les responsables sst et ceux de qualifiés de « autres ». Notre objet consiste ici à mesurer le degré d'attention accordée par les travailleurs aux initiatives de sst au sein de l'organisation. L’analyse des groupements Nous avons choisi d’adopter une stratégie couramment utilisée dans la recherche en marketing pour caractériser des regroupements de répondants pour analyser nos résultats au questionnaire d’autodiagnostic. Par exemple, les intervenants en marketing, tentent de découvrir et d’exploiter ce qu’ils appellent les segments de marchés. Ces segments regroupent les individus qui consomment, globalement, de la même manière. Une bonne campagne publicitaire se doit 7 d’attirer l’attention de chacun des segments visés. A l’aide des outils statistiques appropriés, il est possible de constituer des groupes d’éléments ou d’individus comportant des aspects similaires en utilisant les méthodes de classification des ensembles ou Clusters Analysis. Le thème de cette étude est centré sur l’occurrence des pratiques sst. À cet égard, est-ce que l’ensemble des travailleurs évalue chacune des facettes étudiées de la sst de la même manière? En d’autres termes, ont-ils tous la même perception sur le sujet? Situation qui, devrait être techniquement le cas lorsque l’entreprise met les efforts aux bons endroits et que la communication se rend efficacement du sommet jusqu’à la base de l’organisation. Cependant, la perception humaine étant par définition très variable d’un individu à l’autre, les moyennes associées aux dimensions étudiées représentent rarement bien la situation, au sens où la dispersion des données autour des moyennes est souvent très élevée, laissant l’employeur perplexe et sans solution pour expliquer l’effet de ses initiatives de sst. En statistique, un excès de variabilité peut généralement s’expliquer par le fait que certains groupes d’individus réagissent différemment à une même situation. L’objet de cette section est justement d'explorer les perceptions et de découvrir l’existence d’un (le cas minimal et idéal) ou plusieurs groupes qui pourraient, par leur similitude dans leurs évaluations, expliquer la variabilité dans les réponses. Une fois ces groupes identifiés, une intervention, soit ciblée ou globale, peut alors être planifiée en fonction de la dispersion des individus à travers les quarts de travail, les départements ou les titres d’emploi par exemple. Le premier exercice auquel l’analyste doit se prêter consiste à fixer le nombre de groupes aux réponses dites « similaires ». Pour y arriver, une stratégie du type two-steps-Clusters a été utilisée. La première étape consiste à sélectionner un sous-échantillon aléatoire d’une trentaine de données et de les traiter à l’aide de la méthode de groupement hiérarchique ou hierarchical cluster. Cette stratégie permet à l’analyste de déterminer le nombre de clusters qui représente le mieux la répartition des répondants. Par l’entremise de la cédule dite d’agglomération, il a été trouvé que 2, 3 ou 4 clusters seraient des solutions à explorer. La seconde phase, consiste à étudier ces trois solutions en utilisant un algorithme en nuée dynamique ou K-Means clusters et de les comparer. La solution à quatre groupements a été rapidement balayée puisque un individu à lui seul formait un groupe. Il est plutôt improbable qu'une entreprise planifie des interventions pour une seule et unique personne. La solution à trois groupes a été retenue pour des fins d’analyses supplémentaires puisqu’elle était définitivement plus flexible et interprétable que la solution à deux groupes. Pour valider cette solution, une analyse discriminante a été effectuée a posteriori afin de déterminer dans quelle mesure la connaissance des informations contenues dans les variables initiales permet de classer correctement les individus dans un des trois groupes préalablement trouvé. Le tableau 3 illustre que 94,7% des individus ont été correctement classés. En comparant ce résultat avec la chance brute de classer correctement un individu dans un des trois groupes, soit 33% des chances, cette performance est alors excellente. Cette analyse met en évidence la puissance du lien unissant les réponses des individus à la présence de trois groupes d’évaluation que nous avons caractérisé selon leur niveau d’attention à l’occurrence des initiatives de sst au sein de leur organisation. 8 Tableau 3 : Résultats de la classification (*) Solution avec 3 clusters Original % Peu attentif Attentif Très attentif Peu attentif Attentif Très attentif Membership anticipé par groupe Peu attentif 22 2 0 Attentif 100,0 6,9 ,0 Total 0 27 2 Très attentif 0 0 23 22 29 25 ,0 93,1 8,0 ,0 ,0 92,0 100,0 100,0 100,0 (*) 94,7% des regroupements originaux correctement classifiés Est-ce que chacune des variables sous enquête est utile pour distinguer les trois groupes? La réponse à cette question va dans l’affirmative. En effet, le tableau 4 illustre qu’au moins un des trois groupes admet une différence de moyennes significatives par rapport aux deux autres, et ce, pour chacune des variables sst étudiées. Ces dernières informations montrent qu’il existe une segmentation claire entre les groupes. Pour ceux qui sont familiers avec la terminologie ANOVA, le Lambda de Wilks représente simplement le ratio Within/Total qui, une fois multiplié par 100, s’interprète comme étant le pourcentage de la variance inexpliquée par la différence de moyenne entre les groupes. Lorsqu’il y a beaucoup de différence entre les groupes, ce pourcentage tend alors à être petit. L’« Appréciation sommaire » est l’item le moins discriminant. En effet, 57,4% de sa variance est inexpliquée par la différence entre les groupes. Cependant, à contrario on peut aussi noter que 42,6% de la variance est expliquée par la présence des groupes, ce qui en sciences sociales constitue un résultat fort appréciable. Tableau 4 : Tests d’égalité des moyennes entre les groupes Wilks' Lambda Amélioration continue ,497 Engagement de la direction ,421 Systèmes ,472 Normes et comportements ,330 Conformité du milieu de travail ,374 Activités ,269 Structures ,432 Responsabilités des groupes de travail ,383 Communications ,380 Appréciation sommaire ,574 F df1 df2 Sig. 36,932 2 73 ,000 50,283 2 73 ,000 40,838 2 73 ,000 74,268 2 73 ,000 61,207 2 73 ,000 99,010 2 73 ,000 48,064 2 73 ,000 58,726 2 73 ,000 59,513 2 73 ,000 27,107 2 73 ,000 9 Le tableau 5 présente les moyennes aux questions, et ce, pour chacun des trois groupes ainsi que la répartition des individus dans chacun des groupes. Dans un premier temps, il est très intéressant de voir que la solution à trois groupes est très bien balancée. En effet, les trois groupes ont des tailles de même ordre de grandeurs soient 22, 29 et 25 employés respectivement. Tableau 5 : Moyenne des groupes aux question Initiatives Peu attentif Amélioration continue 3,40 Engagement de la direction 3,49 Systèmes 2,76 Normes et comportements 2,96 Conformité du milieu de travail 2,85 Activités 3,02 Structures 3,26 Responsabilités des groupes de travail 2,64 Communications 3,14 Appréciation sommaire 3,43 N (%) Attentif 3,96 4,08 3,41 3,58 3,71 3,76 3,90 3,29 3,81 3,99 Très attentif 4,36 4,63 4,16 4,26 4,29 4,27 4,39 4,14 4,37 4,42 22 (28,9%) 29 (38,2%) 25 (32,9%) Moyenne des items 3,10 3,75 4,33 Globale 3,93 4,09 3,47 3,62 3,65 3,71 3,88 3,38 3,80 3,97 76 (100%) 3,75 Pour mieux apprécier les moyennes présentées dans le tableau 5, le tableau 6 rappelle l’échelle utilisée ainsi que les éléments de graduation. Fort de ce rappel et en comparant les moyennes du tableau 5 d’un groupe à l’autre, il est alors possible de nommer les trois groupes. Le premier groupe a été appelé les « Peu attentif » puisqu’à tous les points de vues, ils évaluent toutes les initiatives en sst à des niveaux plus bas en terme d’occurrences. À l’opposé, les employés du troisième groupe évaluent tous les points étudiés de manière plus élevée. Ce groupe a été appelé « Très attentif ». Entre ces deux extrêmes, se situe un groupe mitoyen qui chevauche la moyenne globale de l’ensemble des individus. En somme, on assiste à une transition nette des évaluations faites par ces trois groupes de travailleurs. Tableau 6 : L’échelle de mesure utilisée dans le questionnaire 1 Cela se fait trop peu ou jamais 2 3 4 5 ? Cela se fait Cela se fait Cela se fait de Cela se fait de Ne sais pas dans certaines régulièrement façon intégrée façon Ne s’applique circonstances et continue exemplaire pas La figure 1 illustre graphiquement les moyennes incluses dans le tableau 5. Des analyses complémentaires sur les données disponibles ont montré que ces individus étaient répartis uniformément à travers l’entreprise, ce qui laisse croire à des différences réelles de perception 10 relative aux fréquences des pratiques en sst. Pour une entreprise, une façon de s’améliorer en sst serait de faire progresser le groupe « Peu attentif » vers le groupe mitoyen. Les différences dans l'appréciation des items SST Échelle d'appréciation 5 4 SST Basse SST Moyenne 3 SST Haute Moy Globale 2 A ct iv ité s bi lit és St ru de ct sg ur ro es up es de tra va Co il m m un A pp ic at ré io ci ns at io n so m m ai re sp on sa Re A m él io ra En tio ga n co ge nt m in en ue td el ad ire ct io n N or Sy m stè es m Co et es c nf om or po m ité rte m du en m ts ili eu de tra va il 1 Figure1 : Les différences entre les groupes en fonctions des items Par ailleurs, dans cette figure, nous observons indépendamment des groupes, que les initiatives (items) liées à la responsabilité des groupes de travail et aux systèmes de gestion obtiennent des évaluations unanimement moins élevées. Cette situation révèle des problèmes quant à la perception de ces initiatives auprès de l'ensemble des travailleurs. Ainsi, l'organisation pourrait identifier les initiatives en sst sur lesquelles elle devrait mettre l'accent afin d'hausser le degré d'attention des travailleurs face à des initiatives en particulier. Discussion et conclusion Nous proposons un outil diagnostic qui permet de planifier des interventions en fonction de l'ampleur de l'attention ou de la sensibilisation observées auprès des travailleurs face aux initiatives en sst. Un pourcentage élevé et diffus d'inattentifs au sein de l'entreprise impliquera un type d'intervention généralisée tout comme une faible ampleur d'inattentifs, mais regroupés, nécessitera une intervention ciblée. En d'autres termes, nous pouvons postuler qu'une observation acceptable serait un faible pourcentage répartit uniformément dans l'organisation. Idéalement, une organisation performante en sst devrait s'approcher d'un score 0 de peu attentif et ce même en présence du «zéro accident». Par ailleurs, considérant la classification des types de mesure de la performance en sst proposée, un faible score observé aux dimensions suivantes: engagement de la direction, système de gestion et normes et comportements et ce, peu importe le 11 niveau d'attention des individus (cf. figure 1) traduirait un problème dans la perception des travailleurs face aux initiatives liées à la culture de sst préconisée par l'organisation. Ainsi, la variation observée dans des établissements ayant mis en œuvre une culture en sst pourrait s'expliquer à partir des profils d'attention accordée à la sst diagnostiqués par l'outil de mesure proposé. Les perspectives futures reliées à la validation de cet outil de mesure de la performance en gestion de la santé et de la sécurité du travail pourrait mener éventuellement à des propositions visant les interventions ciblées ou généralisées pertinentes à chaque cas de figure identifié (clusters) favorisant ainsi une approche axée sur l'apprentissage et la progression plutôt que sur les résultats. Références Berthelette, D. et F. Planché (1993). Évaluation de programmes de sécurité du travail dans des petites et moyennes entreprises, Rapport final, Université du Québec à Montréal (UQAM), Département des sciences administratives, décembre. Booth, R. T. (1993). «Monitoring Health and Safety Performance – an Overview», Journal of Health and Safety, 9, 5-16. Booth, R.T. et R. D. Amis (1992). «Monitoring Health and Safety Management», The Health & Safety Practitioner, vol 10, no 2, p. 43-46. Budworth, N. (1996). «Indicators of safety performance in safety management». 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