Dix tuyaux pour faire des affaires dans le Golfe

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Dix tuyaux pour faire des affaires dans le Golfe
(Do-it) Management
BENJAMIN DE SEILLE,
RESPONSABLE BUSINESS DEVELOPMENT
DE GBN EUROPE
«Aux Emirats Arabes Unis, une procédure en
recouvrement dure 600 jours et ne permet de
récupérer que 24 % de la somme engagée.
Voilà qui donne à réfléchir avant de s’engager.»
Comment réussir vos premiers pas
de businessman au Moyen-Orient ?
Dix tuyaux
pour faire des affaires
dans le Golfe
Benjamin de Seille est expert en développement d’affaires à l’international .
Spécialiste du golfe Persique, il nous livre 10 conseils pour ne pas louper la prise
de contact avec les pays du Gulf Cooperation Council. ❙ Pierre-Yves Warnotte
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L
orsqu’on évoque le golfe Persique et la possibilité d’y
faire des affaires, les clichés surgissent très vite : les
termes «pétrodollars», «manne financière» et «argent
facile» se bousculent sans que l’on ait une idée très précise de la façon dont on aborde le business dans ce coin
très prisé du globe. Avec la montée en puissance d’acteurs économiques et financiers de plus en plus puissants comme l’Arabie
Saoudite, Dubaï, le Koweït, il est nécessaire de se défaire de ces
idées toutes faites, voire simplistes qui collent aux basques de cette
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Saisissez l’effet de levier «Golfe»
«Un vendeur belge qui entend écouler ses
produits en Allemagne se retrouve naturellement confronté à une concurrence, un état de
l’économie qu’il connaît bien. L’Allemagne est
une région qui est prospectée en long et en
large par nombre d’acteurs économiques
connus. Lorsqu’on arrive dans le Golfe, on se
retrouve seul face à une demande qui est
incroyable, face à une manne financière importante. Le potentiel est dès lors décuplé par
rapport à nos régions. Certes, il existe des
freins juridiques et financiers, une lourdeur
administrative aussi, un manque de ressources humaines très qualifiées qui contrebalancent un peu l’intérêt que l’on peut porter
à la région mais la prise de conscience de ce
potentiel est primordiale pour bien débuter
des affaires dans la région.»
contrée. Pour ce faire, Trends-Tendances a rencontré Benjamin
de Seille, responsable business development de GBN Europe, une
société basée à Ber trange (Luxembourg) et active dans
l’outsourcing de l’expansion internationale d’entreprises. En cinq
ans, ce jeune trentenaire a emmagasiné une grosse expérience
qui lui a permis de saisir les us et coutumes de la région. En 10
conseils, Benjamin de Seille nous livre son sentiment face à certaines des préoccupations essentielles qui surgissent lorsqu’on
veut faire du business au Moyen-Orient.
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Isolez le partenaire idéal
«Il y a trois types d’hommes d’affaires dans le Golfe : tout d’abord les
entrepreneurs propriétaires de sociétés qui ont fait leur preuve. Ces businessmen gagnent leur vie en faisant des affaires. Ce sont les partenaires à
privilégier. En revanche, il faut appréhender avec une extrême prudence
les gens qui, certes, font des affaires mais dont la fortune — issue de la
redistribution opaque de la richesse nationale (le pétrole), détachée de
l’économie réelle — ne dépend pas de la bonne santé de ces business.
Leurs entreprises sont peu rentables. Elles ne créent en général pas de
richesses. Leur gestion n’est pas sans faille. En outre, il ne faut pas se le
cacher, ces partenaires ont la réputation d’être mauvais payeur. Dans les
Emirats Arabes Unis, une procédure en recouvrement dure 600 jours. Elle
ne permet de récupérer que 24 % de la somme engagée. Il y a environ 50
documents à remplir et à peine plus de 10 % de chance de réussite. Voilà
qui donne à réfléchir avant de s’engager. Enfin, une troisième catégorie, à
éviter à tout prix : ce sont les hommes d’affaire sans scrupules, sans idées
et sans argent. Ils fréquentent assidûment les salons, les missions économiques en promettant monts et merveilles. Mais au bout du compte, cela
aboutit toujours à une impasse. Les règles de bon sens prévalent pour ne
pas connaître de mésaventure : il faut se rendre
sur place et visiter les installations du partenaire potentiel, rencontrer ses clients, éplucher ses comptes, établir un cahier des
charges. Bref, il faut du tangible, du concret
avant de faire une offre, d’évoquer un premier
paiement.»
«C’est en les faisant vibrer, en
suscitant la passion que l’on
peut les convaincre d’investir
en Belgique.»
Proposez un savoir-faire
transfert de compétence. Le mot d’ordre est donc de ne pas se
limiter à vouloir vendre. Il faut aussi accompagner. Ils feront
d’ailleurs de gros efforts financiers pour faciliter ce transfert de
compétence. Une grande réciprocité naîtra grâce à ces échanges.
Cela augmentera indubitablement les chances d’être payé à temps
et à heure. Bref, cela fixe la relation commerciale sur le long
terme. Exemple : dans le secteur financier, il y a un extraordinaire recyclage des excédents pétroliers dans des branches
d’activités très diverses. In fine, cela préside à la mise sur pied
d’immenses projets qu’il faut financer. Or les banques arabes
éprouvent énormément de difficultés à organiser les syndicate
loans qui soutiennent ces mégaprojets. Elles sont souvent obligées de s’ouvrir au secteur privé basé à l’étranger. C’est dans
cette logique que l’aspect apport de savoir-faire est vital pour la
région. En retour, il permet à de grosses banques occidentales de
prendre des parts de marché dans le Golfe. Idem pour les produits
bancaires dans le domaine retail, les banques locales ne savent
pas encore structurer ces produits très techniques. D’où l’intérêt
pour les Arabes de créer des joint-ventures avec des Occidentaux qui leur rapporte beaucoup de savoir-faire.»
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«Identifier le bon partenaire est essentiel. Saisir
l’effet de levier du Golfe, aussi. Mais il
est possible de dépasser ces avantages en offrant un savoir-faire
qui va au-delà du service ou
du produit que l’on veut
vendre. Les pays du GCC
(le Gulf Cooperation
Council qui réunit
six états du golfe
Persique : Bahreïn,
Koweït, Oman, Qatar,
Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis)
souf frent d’énormes
problèmes de formation. Les pays du Golfe
sont toujours à la recherche
S
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RT
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de par tenariats facilitant le
RE
(Do-it) Management
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Offrez des solutions anti-prises de tête
«Pour préparer au mieux un voyage dans le Golfe, il convient
de profiler les solutions qu’on compte offrir. C’est un prolongement de l’apport global de savoir-faire. Si une entreprise développant du software dans le domaine de la gestion d’ERP (Ndlr,
Enterprise Resource Planning) arrive sans projets concrets, elle
sera très vite éconduite. L’offre pour de tels produits ne manque
pas. En revanche, si on tient au partenaire potentiel le discours
suivant : J’ai un logiciel qui s’applique à la gestion d’entreprises
actives dans le pétrole comme la vôtre. Je peux en outre fournir du
personnel qui réalisera la mission chez vous, ce type de proposition clé en main est souvent gagnant. Parce
que c’est une manière de mettre
le pied à l’étrier, d’ouvrir des portes auprès des contacts de ce
client initial. Dans le même ordre d’idées, la franchise marche
très bien dans le Golfe : la mode, la restauration... Les partenaires du GCC sont très friands de concepts bien ficelés où le
prix, le nombre d’employés nécessaires, les besoins en formation, les exigences immobilières, sanitaires et commerciales sont
fixés noir sur blanc. A cer tains égards, on frise
d’ailleurs la saturation dans ce segment.»
*
Cultivez l’attrait du «GCC link»
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Suscitez la passion
«Attirer un investisseur koweïtien, qatari ou
arabe sous nos latitudes n’est pas chose aisée.
Néanmoins, une règle de base prévaut à mon
sens : il faut prendre ces partenaires potentiels
par les tripes. Le luxe, le sport, l’immobilier de
prestige sont des projets sur lesquels on peut
brancher les investisseurs du Golfe. La preuve,
c’est un fonds d’investissement koweïtien qui
a racheté la prestigieuse marque automobile
Aston Martin. Sans surprise, les businessmen
du Moyen-Orient sont présents dans les
grandes zones de prestige européenne : Paris,
Londres, Marbella, Genève, notamment. Partant de ce constat, nous, Belges, devons réfléchir à la façon dont on peut les convaincre de
placer une partie de leur argent dans des projets noir-jaune-rouge. Et ce, en sachant que
d’un point de vue purement rationnel, nous ne
pouvons pas être compétitifs avec leur environnement économique : tous les indicateurs
sont pour ainsi dire dans le ver t dans leur
région. Ils proposent en outre un climat fiscal
très attrayant. Le Koweït vient d’abaisser son
taux d’imposition de 45 % à 15 % pour les actifs
étrangers présents dans cet état. Une fois de
plus, c’est en les faisant vibrer, en suscitant la
passion que l’on peut les convaincre d’investir
en Belgique. En créant par exemple avec eux
une grande marque de mode autour des créateurs anversois. Les investisseurs du GCC perçoivent que la métropole flamande est devenue
un des hubs européens de la création de
mode.»
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«Une idée émerge de plus en plus : nous proposons aux investisseurs du Golfe
de placer de l’argent en Europe avec, en contrepartie, la promesse de faire du
business là-bas. Cela exerce un énorme pouvoir de motivation chez eux. Les entreprises européennes savent qu’il y a des milliards de dollars à aller chercher mais
elles ne comprennent pas toujours ce que leurs partenaires du Golfe veulent.
Exemple : dans le domaine bancaire, les possibilités d’attirer des capitaux en private banking sont considérables pour les institutions occidentales mais j’estime
qu’elles usent d’une tactique inefficace. Très souvent, elles proposent des fonds
investis dans des actions européennes. Toutes les actions présentes dans ces véhicules sont en phase avec les préceptes de la charia, l’ensemble des règles de
conduite applicable aux Musulmans. Ces fonds n’investissent pas dans des titres
liés à l’alcool, aux d’armes, à des actifs financiers qui
génèrent des produits d’intérêt. Hélas, les clients
potentiels regardent ces produits curieusement
en expliquant que leurs avoirs locaux connaissent
une croissance plus importante : leur placement
immobilier propose par exemple un rendement à
deux chiffres alors que ces fonds charia compliant
sont moins per formants. Aujourd’hui, leur
demande est très simple : ces investisseurs
souhaiteraient la mise sur pied de fonds
d’investissement composés d’actifs connotés
GCC mais aussi en provenance des pays émergents (Chine, Inde, dont ils sont par ailleurs
très friands). Cela représente une très grosse
opportunité d’affaires pour les banques occidentales.»
CORBIS
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Percevez le risque du suivisme,
cernez l’esprit de famille
«Les hommes d’affaires du GCC qui veulent réussir sont actifs
dans des secteurs très divers. Dans le Golfe, la notion de core
business est beaucoup plus floue que chez nous : ils font à la fois
de l’immobilier, de la pétrochimie et de l’agroalimentaire... Pour
faire simple, ils veulent toucher à tout ce qui est dans le mouvement économique du moment. Cela représente parfois un
risque important auquel il convient d’être attentif car ces businessmen sont guidés par un effet me too, un suivisme, quelquefois peu efficace : si le voisin a réussi dans l’immobilier, il n’est
pas rare que quatre à cinq
familles l’imitent. Hélas
pas toujours avec la même
réussite.»
«Que l’on ne s’y trompe pas, les businessmen de la région du
Golfe ont un assez bon feeling pour les affaires mais leurs priorités ne sont parfois pas les nôtres : il n’est pas rare qu’ils conservent des positions dans des activités qui sont peu rentables depuis
très longtemps, uniquement parce que ce business apporte un
cer tain prestige à leur famille. Il faut bien comprendre cette
dimension clanique pour évoluer dans le Golfe. Les relations
d’affaires y sont encore souvent régies par des codes très ancrés
dans l’histoire : j’ai par exemple un contact très suivi avec une
famille saoudienne qui ne daigne pas se déplacer au palais royal
pour le business. Ce sont les princes royaux qui doivent se rendre chez elle pour négocier. La raison ? Cette famille fut une
des seules à résister à l’unification de l’Arabie Saoudite menée par
le roi Adbul Aziz Al-Saoud au début du 20e siècle. Il faut être attentif à ces petits détails pour ne pas commettre d’impair.»
Comprenez l’omniprésence du religieux
«Lorsque je suis en Belgique et que j’ai une conversation téléphonique avec des partenaires
locaux, il n’est pas rare que j’interrompe la conversation par respect pour l’appel à la prière qui
a lieu à ce moment-là. Dans le même ordre d’idée, les magasins et les centre commerciaux ferment 5 fois par jour durant 20 minutes pour respecter cet appel à la prière. Ce sont bien évidemment des détails, mais ils indiquent l’importance de la dimension religieuse qui prévaut
dans cette région. Au-delà, dans les contacts interpersonnels liés aux affaires, il y a une volonté
très perceptible d’installer une relation de confiance immédiate. C’est enthousiasmant parce
que la perspective de faire de grandes choses, très nobles est rapidement évoquée. Tout cela est
lié à la charia.»
Gérez la notion du temps
«Lorsqu’un certain niveau de négociation est atteint, que
la partie analyse des chif fres est digérée, on rentre dans
une autre phase, celle de la confiance, de l’amitié. Un
signe ne trompe pas : si vous rentrez dans la maison ou
dans la tente d’un Saoudien ou d’un Emirati au milieu
du désert, c’est la preuve que vous êtes loin dans
cette relation de confiance. La thématique boulot
est mise de côté et la conversation s’oriente vers
la sphère privée, la politique, la culture, la religion, la façon dont on vie en Europe. La phase
finale de la négociation approche. Cela peut prendre un certain temps mais dans le Golfe, cette
notion est différente de la nôtre.
C’est assez déstabilisant mais si
on ne comprend pas qu’il faut se
donner le temps d’arriver au
bout de la relation avec eux,
l’ef fet levier lié à la région
s’envole. Montrer que l’on a
envie de faire du long terme avec
eux est souvent à la base de la
réussite»
Entretenez vos
relations d’affaires
«Cela paraît assez banal mais
il est très important de maintenir le contact avec son par tenaire du GCC. Même après la
signature d’un contrat. Mais il
ne faut pas le faire n’impor te
comment. Il est illusoire de
penser qu’envoyer un e-mail de
temps à autre est suffisant. Le
contact vocal est préférable. Et
rien ne remplacera la main serrée et le face à face. Il faut
s’approcher le plus possible de
la relation humaine directe.
Lorsque la confiance est établie
avec un par tenaire arabe, la
dimension physique est très
importante. Lorsque vous vous
rendez chez eux, il n’est pas rare
que vos contacts vous tiennent
littéralement par la main. C’est
une fois de plus un signe très évident que la relation d’affaire est
harmonieuse.» ■
(*)HOMMES D’AFFAIRES EN ARABE
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