Dix tuyaux pour faire des affaires dans le Golfe
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Dix tuyaux pour faire des affaires dans le Golfe
(Do-it) Management BENJAMIN DE SEILLE, RESPONSABLE BUSINESS DEVELOPMENT DE GBN EUROPE «Aux Emirats Arabes Unis, une procédure en recouvrement dure 600 jours et ne permet de récupérer que 24 % de la somme engagée. Voilà qui donne à réfléchir avant de s’engager.» Comment réussir vos premiers pas de businessman au Moyen-Orient ? Dix tuyaux pour faire des affaires dans le Golfe Benjamin de Seille est expert en développement d’affaires à l’international . Spécialiste du golfe Persique, il nous livre 10 conseils pour ne pas louper la prise de contact avec les pays du Gulf Cooperation Council. ❙ Pierre-Yves Warnotte 94 D o - i t Tre n d s - Te n d a n ce s 2 4 j a nv i e r 2 0 0 8 L orsqu’on évoque le golfe Persique et la possibilité d’y faire des affaires, les clichés surgissent très vite : les termes «pétrodollars», «manne financière» et «argent facile» se bousculent sans que l’on ait une idée très précise de la façon dont on aborde le business dans ce coin très prisé du globe. Avec la montée en puissance d’acteurs économiques et financiers de plus en plus puissants comme l’Arabie Saoudite, Dubaï, le Koweït, il est nécessaire de se défaire de ces idées toutes faites, voire simplistes qui collent aux basques de cette 1 Saisissez l’effet de levier «Golfe» «Un vendeur belge qui entend écouler ses produits en Allemagne se retrouve naturellement confronté à une concurrence, un état de l’économie qu’il connaît bien. L’Allemagne est une région qui est prospectée en long et en large par nombre d’acteurs économiques connus. Lorsqu’on arrive dans le Golfe, on se retrouve seul face à une demande qui est incroyable, face à une manne financière importante. Le potentiel est dès lors décuplé par rapport à nos régions. Certes, il existe des freins juridiques et financiers, une lourdeur administrative aussi, un manque de ressources humaines très qualifiées qui contrebalancent un peu l’intérêt que l’on peut porter à la région mais la prise de conscience de ce potentiel est primordiale pour bien débuter des affaires dans la région.» contrée. Pour ce faire, Trends-Tendances a rencontré Benjamin de Seille, responsable business development de GBN Europe, une société basée à Ber trange (Luxembourg) et active dans l’outsourcing de l’expansion internationale d’entreprises. En cinq ans, ce jeune trentenaire a emmagasiné une grosse expérience qui lui a permis de saisir les us et coutumes de la région. En 10 conseils, Benjamin de Seille nous livre son sentiment face à certaines des préoccupations essentielles qui surgissent lorsqu’on veut faire du business au Moyen-Orient. 2 Isolez le partenaire idéal «Il y a trois types d’hommes d’affaires dans le Golfe : tout d’abord les entrepreneurs propriétaires de sociétés qui ont fait leur preuve. Ces businessmen gagnent leur vie en faisant des affaires. Ce sont les partenaires à privilégier. En revanche, il faut appréhender avec une extrême prudence les gens qui, certes, font des affaires mais dont la fortune — issue de la redistribution opaque de la richesse nationale (le pétrole), détachée de l’économie réelle — ne dépend pas de la bonne santé de ces business. Leurs entreprises sont peu rentables. Elles ne créent en général pas de richesses. Leur gestion n’est pas sans faille. En outre, il ne faut pas se le cacher, ces partenaires ont la réputation d’être mauvais payeur. Dans les Emirats Arabes Unis, une procédure en recouvrement dure 600 jours. Elle ne permet de récupérer que 24 % de la somme engagée. Il y a environ 50 documents à remplir et à peine plus de 10 % de chance de réussite. Voilà qui donne à réfléchir avant de s’engager. Enfin, une troisième catégorie, à éviter à tout prix : ce sont les hommes d’affaire sans scrupules, sans idées et sans argent. Ils fréquentent assidûment les salons, les missions économiques en promettant monts et merveilles. Mais au bout du compte, cela aboutit toujours à une impasse. Les règles de bon sens prévalent pour ne pas connaître de mésaventure : il faut se rendre sur place et visiter les installations du partenaire potentiel, rencontrer ses clients, éplucher ses comptes, établir un cahier des charges. Bref, il faut du tangible, du concret avant de faire une offre, d’évoquer un premier paiement.» «C’est en les faisant vibrer, en suscitant la passion que l’on peut les convaincre d’investir en Belgique.» Proposez un savoir-faire transfert de compétence. Le mot d’ordre est donc de ne pas se limiter à vouloir vendre. Il faut aussi accompagner. Ils feront d’ailleurs de gros efforts financiers pour faciliter ce transfert de compétence. Une grande réciprocité naîtra grâce à ces échanges. Cela augmentera indubitablement les chances d’être payé à temps et à heure. Bref, cela fixe la relation commerciale sur le long terme. Exemple : dans le secteur financier, il y a un extraordinaire recyclage des excédents pétroliers dans des branches d’activités très diverses. In fine, cela préside à la mise sur pied d’immenses projets qu’il faut financer. Or les banques arabes éprouvent énormément de difficultés à organiser les syndicate loans qui soutiennent ces mégaprojets. Elles sont souvent obligées de s’ouvrir au secteur privé basé à l’étranger. C’est dans cette logique que l’aspect apport de savoir-faire est vital pour la région. En retour, il permet à de grosses banques occidentales de prendre des parts de marché dans le Golfe. Idem pour les produits bancaires dans le domaine retail, les banques locales ne savent pas encore structurer ces produits très techniques. D’où l’intérêt pour les Arabes de créer des joint-ventures avec des Occidentaux qui leur rapporte beaucoup de savoir-faire.» Tre n d s - Te n d a n ce s 2 4 j a nv i e r 2 0 0 8 D o - i t 95 ▲ «Identifier le bon partenaire est essentiel. Saisir l’effet de levier du Golfe, aussi. Mais il est possible de dépasser ces avantages en offrant un savoir-faire qui va au-delà du service ou du produit que l’on veut vendre. Les pays du GCC (le Gulf Cooperation Council qui réunit six états du golfe Persique : Bahreïn, Koweït, Oman, Qatar, Arabie Saoudite, Emirats Arabes Unis) souf frent d’énormes problèmes de formation. Les pays du Golfe sont toujours à la recherche S ER RT PO de par tenariats facilitant le RE (Do-it) Management 4 Offrez des solutions anti-prises de tête «Pour préparer au mieux un voyage dans le Golfe, il convient de profiler les solutions qu’on compte offrir. C’est un prolongement de l’apport global de savoir-faire. Si une entreprise développant du software dans le domaine de la gestion d’ERP (Ndlr, Enterprise Resource Planning) arrive sans projets concrets, elle sera très vite éconduite. L’offre pour de tels produits ne manque pas. En revanche, si on tient au partenaire potentiel le discours suivant : J’ai un logiciel qui s’applique à la gestion d’entreprises actives dans le pétrole comme la vôtre. Je peux en outre fournir du personnel qui réalisera la mission chez vous, ce type de proposition clé en main est souvent gagnant. Parce que c’est une manière de mettre le pied à l’étrier, d’ouvrir des portes auprès des contacts de ce client initial. Dans le même ordre d’idées, la franchise marche très bien dans le Golfe : la mode, la restauration... Les partenaires du GCC sont très friands de concepts bien ficelés où le prix, le nombre d’employés nécessaires, les besoins en formation, les exigences immobilières, sanitaires et commerciales sont fixés noir sur blanc. A cer tains égards, on frise d’ailleurs la saturation dans ce segment.» * Cultivez l’attrait du «GCC link» 5 Suscitez la passion «Attirer un investisseur koweïtien, qatari ou arabe sous nos latitudes n’est pas chose aisée. Néanmoins, une règle de base prévaut à mon sens : il faut prendre ces partenaires potentiels par les tripes. Le luxe, le sport, l’immobilier de prestige sont des projets sur lesquels on peut brancher les investisseurs du Golfe. La preuve, c’est un fonds d’investissement koweïtien qui a racheté la prestigieuse marque automobile Aston Martin. Sans surprise, les businessmen du Moyen-Orient sont présents dans les grandes zones de prestige européenne : Paris, Londres, Marbella, Genève, notamment. Partant de ce constat, nous, Belges, devons réfléchir à la façon dont on peut les convaincre de placer une partie de leur argent dans des projets noir-jaune-rouge. Et ce, en sachant que d’un point de vue purement rationnel, nous ne pouvons pas être compétitifs avec leur environnement économique : tous les indicateurs sont pour ainsi dire dans le ver t dans leur région. Ils proposent en outre un climat fiscal très attrayant. Le Koweït vient d’abaisser son taux d’imposition de 45 % à 15 % pour les actifs étrangers présents dans cet état. Une fois de plus, c’est en les faisant vibrer, en suscitant la passion que l’on peut les convaincre d’investir en Belgique. En créant par exemple avec eux une grande marque de mode autour des créateurs anversois. Les investisseurs du GCC perçoivent que la métropole flamande est devenue un des hubs européens de la création de mode.» 96 D o - i t Tre n d s - Te n d a n ce s 2 4 j a nv i e r 2 0 0 8 «Une idée émerge de plus en plus : nous proposons aux investisseurs du Golfe de placer de l’argent en Europe avec, en contrepartie, la promesse de faire du business là-bas. Cela exerce un énorme pouvoir de motivation chez eux. Les entreprises européennes savent qu’il y a des milliards de dollars à aller chercher mais elles ne comprennent pas toujours ce que leurs partenaires du Golfe veulent. Exemple : dans le domaine bancaire, les possibilités d’attirer des capitaux en private banking sont considérables pour les institutions occidentales mais j’estime qu’elles usent d’une tactique inefficace. Très souvent, elles proposent des fonds investis dans des actions européennes. Toutes les actions présentes dans ces véhicules sont en phase avec les préceptes de la charia, l’ensemble des règles de conduite applicable aux Musulmans. Ces fonds n’investissent pas dans des titres liés à l’alcool, aux d’armes, à des actifs financiers qui génèrent des produits d’intérêt. Hélas, les clients potentiels regardent ces produits curieusement en expliquant que leurs avoirs locaux connaissent une croissance plus importante : leur placement immobilier propose par exemple un rendement à deux chiffres alors que ces fonds charia compliant sont moins per formants. Aujourd’hui, leur demande est très simple : ces investisseurs souhaiteraient la mise sur pied de fonds d’investissement composés d’actifs connotés GCC mais aussi en provenance des pays émergents (Chine, Inde, dont ils sont par ailleurs très friands). Cela représente une très grosse opportunité d’affaires pour les banques occidentales.» CORBIS 7 Percevez le risque du suivisme, cernez l’esprit de famille «Les hommes d’affaires du GCC qui veulent réussir sont actifs dans des secteurs très divers. Dans le Golfe, la notion de core business est beaucoup plus floue que chez nous : ils font à la fois de l’immobilier, de la pétrochimie et de l’agroalimentaire... Pour faire simple, ils veulent toucher à tout ce qui est dans le mouvement économique du moment. Cela représente parfois un risque important auquel il convient d’être attentif car ces businessmen sont guidés par un effet me too, un suivisme, quelquefois peu efficace : si le voisin a réussi dans l’immobilier, il n’est pas rare que quatre à cinq familles l’imitent. Hélas pas toujours avec la même réussite.» «Que l’on ne s’y trompe pas, les businessmen de la région du Golfe ont un assez bon feeling pour les affaires mais leurs priorités ne sont parfois pas les nôtres : il n’est pas rare qu’ils conservent des positions dans des activités qui sont peu rentables depuis très longtemps, uniquement parce que ce business apporte un cer tain prestige à leur famille. Il faut bien comprendre cette dimension clanique pour évoluer dans le Golfe. Les relations d’affaires y sont encore souvent régies par des codes très ancrés dans l’histoire : j’ai par exemple un contact très suivi avec une famille saoudienne qui ne daigne pas se déplacer au palais royal pour le business. Ce sont les princes royaux qui doivent se rendre chez elle pour négocier. La raison ? Cette famille fut une des seules à résister à l’unification de l’Arabie Saoudite menée par le roi Adbul Aziz Al-Saoud au début du 20e siècle. Il faut être attentif à ces petits détails pour ne pas commettre d’impair.» Comprenez l’omniprésence du religieux «Lorsque je suis en Belgique et que j’ai une conversation téléphonique avec des partenaires locaux, il n’est pas rare que j’interrompe la conversation par respect pour l’appel à la prière qui a lieu à ce moment-là. Dans le même ordre d’idée, les magasins et les centre commerciaux ferment 5 fois par jour durant 20 minutes pour respecter cet appel à la prière. Ce sont bien évidemment des détails, mais ils indiquent l’importance de la dimension religieuse qui prévaut dans cette région. Au-delà, dans les contacts interpersonnels liés aux affaires, il y a une volonté très perceptible d’installer une relation de confiance immédiate. C’est enthousiasmant parce que la perspective de faire de grandes choses, très nobles est rapidement évoquée. Tout cela est lié à la charia.» Gérez la notion du temps «Lorsqu’un certain niveau de négociation est atteint, que la partie analyse des chif fres est digérée, on rentre dans une autre phase, celle de la confiance, de l’amitié. Un signe ne trompe pas : si vous rentrez dans la maison ou dans la tente d’un Saoudien ou d’un Emirati au milieu du désert, c’est la preuve que vous êtes loin dans cette relation de confiance. La thématique boulot est mise de côté et la conversation s’oriente vers la sphère privée, la politique, la culture, la religion, la façon dont on vie en Europe. La phase finale de la négociation approche. Cela peut prendre un certain temps mais dans le Golfe, cette notion est différente de la nôtre. C’est assez déstabilisant mais si on ne comprend pas qu’il faut se donner le temps d’arriver au bout de la relation avec eux, l’ef fet levier lié à la région s’envole. Montrer que l’on a envie de faire du long terme avec eux est souvent à la base de la réussite» Entretenez vos relations d’affaires «Cela paraît assez banal mais il est très important de maintenir le contact avec son par tenaire du GCC. Même après la signature d’un contrat. Mais il ne faut pas le faire n’impor te comment. Il est illusoire de penser qu’envoyer un e-mail de temps à autre est suffisant. Le contact vocal est préférable. Et rien ne remplacera la main serrée et le face à face. Il faut s’approcher le plus possible de la relation humaine directe. Lorsque la confiance est établie avec un par tenaire arabe, la dimension physique est très importante. Lorsque vous vous rendez chez eux, il n’est pas rare que vos contacts vous tiennent littéralement par la main. C’est une fois de plus un signe très évident que la relation d’affaire est harmonieuse.» ■ (*)HOMMES D’AFFAIRES EN ARABE Tre n d s - Te n d a n ce s 2 4 j a nv i e r 2 0 0 8 D o - i t 97