Ruy Blas - biblio
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Ruy Blas Victor Hugo Livret pédagogique établi par Marie-Henriette BRU, professeur certifié de Lettres classiques en lycée HACHETTE Éducation Conception graphique Couverture et intérieur :Médiamax Mise en page Médiamax Illustration Détail d’une gravure de Daniel Vierge,1879. Musée Victor Hugo,Paris. © Hachette Livre-Photothèque Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays. © Hachette Livre, 2002. 43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15, France. ISBN : 2.01.168542.7 www.hachette-education.com Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122.-4 et L.122-5, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration, «toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle,faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause,est illicite». Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit,sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. SOMMAIRE AVA N T - P R O P O S 4 TA B L E 6 D E S CO R P U S RÉPONSES AU X Q U E S T I O N S Bilan de première lecture ................................................................................................. 10 10 Acte I, scène 3 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Acte II, scène 3 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 Acte II, scène 4 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34 Acte III, scène 2 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 Acte III, scène 5 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47 Acte IV, scène 2 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53 Acte V, scène 4 Lecture analytique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Lectures croisées et travaux d’écriture . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58 BIBLIOGRAPHIE CO M P L É M E N TA I R E 62 AVANT-PROPOS Les programmes de français au lycée sont ambitieux.Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…). Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Ruy Blas, en l’occurrence, permettra d’étudier le genre du drame romantique, de réfléchir aux procédés de l’argumentation, de s’initier au romantisme, tout en s’exerçant à divers travaux d’écriture… Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois: – motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux; – vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture. Cette double perspective a présidé aux choix suivants: • Le texte de l’œuvre est annoté très précisément,en bas de page,afin d’en favoriser la pleine compréhension. • Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe. • Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des tableaux donnent à l’élève les repères indispensables: biographie de l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte… • Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur fond blanc), il comprend: 4 – Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre.Il se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens général de l’œuvre. – Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre: l’élève est invité à observer et à analyser le passage;les notions indispensables sont rappelées et quelques pistes lui sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte. – Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents complémentaires. Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera,pour vous et vos élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion. 5 TABLE DES CORPUS Composition du corpus Corpus L’injuste destinée (p. 73) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte I, scène 3, vers 281 à 320. Texte B : extrait du livre I des Confessions de Jean-Jacques Rousseau. Texte C : extrait de la scène 3 de l’acte V du Mariage de Figaro de Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. Texte D : « Gaspard Hauser chante », de Paul Verlaine, Sagesse, livre III, 4. La référence à l’objet et son fonctionnement (p. 119) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte II, scène 3. Texte B : extrait de la scène 4 de l’acte III de L’École des femmes, de Molière. Texte C : Les Femmes et le secret, de La Fontaine, Fables, livre VIII, fable 6. Amour et prouesse (p. 130) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte II, scène 4. Texte B : extrait de Lancelot ou le Chevalier de la Charrette, de Chrétien de Troyes. Texte C : extrait de la scène 7 de l’acte V du Cid, de Pierre Corneille. L’expression littéraire de l’histoire (p. 160) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte III, scène 2, vers 78 à 178. Texte B : extrait du chapitre XXVI de la Chronique du règne de Charles IX, de Prosper Mérimée. Texte C : extrait du chapitre VIII de Salammbô, « La bataille du Macar », de Gustave Flaubert. 6 Objet d’étude et niveau Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Le biographique (Première) Question préliminaire Quels rapports s’établissent entre le locuteur et son passé dans chacun des textes du corpus ? Commentaire Quel autoportrait trace le poème de Gaspard Hauser ? Argumenter et délibérer : l’apologue (Première) Question préliminaire Quels types de retournements de situation les objets provoquent-ils dans les textes du corpus ? Commentaire Montrez comment Horace fait d’un cas particulier un cas général. Argumenter et délibérer : le dialogue (Première) Question préliminaire Comment la violence est-elle associée à l’amour dans les trois textes du corpus ? Commentaire Analysez les conceptions de l’honneur qu’exprime la tirade de Rodrigue. Les réécritures (Première) Question préliminaire Précisez ce qui pourrait intéresser un cinéaste dans chacun des textes du corpus. Commentaire Étudiez le réalisme historique de l’extrait de la Chronique du règne de Charles IX, de « On vit alors un spectacle affreux » à « un casque rouge fumant ». 7 TABLE DES CORPUS Corpus Composition du corpus Le thème de l’abîme (p. 185) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte III, scène 5, vers 428 à 516. Texte B : extrait des Pensées, de Blaise Pascal. Texte C : extrait des Fleurs du Mal, de Charles Baudelaire, pièces ajoutées en 1868, CXLIX, « Le gouffre ». La théâtralité des monologues (p. 202) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte IV, scène 2, vers 79 à 131. Texte B : extrait de la scène 1 de l’acte V d’Andromaque, de Jean Racine. Texte C : extrait de la scène 1 de l’acte IV d’Ubu roi, d’Alfred Jarry. L’idéalisation de l’amour (p. 264) Texte A : Victor Hugo, Ruy Blas, acte V, scène 4. Texte B : extrait de Manon Lescaut, de l’abbé Prévost, deuxième partie. Texte C : extrait de la scène 6 de l’acte III de Lorenzaccio, d’Alfred de Musset. Document D : La reine et Ruy Blas, ComédieFrançaise, page 260. 8 Objet d’étude et niveau Compléments aux travaux d’écriture destinés aux séries technologiques Argumenter et délibérer : l’essai (Première) Question préliminaire Quelle gradation de l’angoisse peut-on établir à travers ces trois textes ? Commentaire Vous préciserez tout ce que Baudelaire associe à l’idée du gouffre. Le théâtre : formes et langages (Première) Question préliminaire En quoi chacun des locuteurs se trouve-t-il dans une situation qui l’encourage à soliloquer ? Commentaire Vous analyserez le sens que prend le qualificatif « émerveillé » (vers 79) dans la partie du monologue de don César qui va du vers 79 au vers 96. Argumenter et délibérer (Première) Question préliminaire Par quels détails chacun des textes suggère-t-il que le couple présenté est un couple illégitime ? Commentaire De quelle mort s’éteint Manon ? Étudiez la faiblesse du réalisme et sa justification. Le biographique (Première) 9 RÉPONSES AUX QUESTIONS Bilan de première lec ture (pp. 270-271) a Dans la première scène de Ruy Blas, l’indignation de don Salluste vient éclairer sa situation présente : « renvoyé, disgracié, chassé » (vers 4) par la reine, il projette une vengeance qui soit « Une sape profonde,obscure et souterraine » (vers 29).Dans une suite de confidences à Gudiel, un proche conseiller, il rumine sur l’aventure amoureuse qui le chasse de la cour et brise son « règne » (vers 3). Ce qu’il en dit révèle une histoire d’amour qui ne mérite de figurer que dans la rubrique des amours ancillaires :lui,le grand d’Espagne,a séduit et engrossé une suivante de la reine,et ne peut imaginer qu’il ait à légitimer, par le mariage, cette liaison et l’enfant qui en est issu. Or la reine,sur cette aventure,n’a qu’un point de vue moral et a exigé qu’il épouse celle qu’il désigne en termes dégradants de « fille de rien » (vers 8) et de « donzelle » (vers 9). Son refus d’obéir à la reine entraîne un exil qui inspire sa vengeance. z Pour compromettre la reine,don Salluste a besoin d’un jeune et bel homme qu’il puisse engager et aliéner par des voies incontournables. Don César est d’abord tout désigné car on peut le tenir par son besoin d’argent et l’utiliser par son charme et son goût des commerces galants ; c’est ainsi que don Salluste propose à son cousin de le sortir de la misère et de redorer son blason pour « refaire de [lui] un beau seigneur d’amour » (vers 176). eAprès le refus de don César de comploter contre une femme,don Salluste trouve en Ruy Blas un parfait remplaçant, en observant leur ressemblance : « À peu près même air, même visage » (vers 466). Par ailleurs, en écoutant les confidences de Ruy Blas à don César, il saisit la force de séduction que va avoir son complot pour celui qui « Sous l’habit d’un valet » (vers 440) a « les passions d’un roi » (vers 440). r Les didascalies et le texte contribuent à donner une grande authenticité historique à l’acte II. On découvre ainsi de nombreux détails sur l’étiquette de la cour espagnole, sur la vie du couple royal et sur les valeurs aristocratiques de l’époque. Le décor que présente la didascalie qui ouvre l’acte souligne d’emblée l’importance donnée à la religion dans le quotidien de la reine. Le salon a des ornements de chapelle : une figure de sainte et une madone « devant laquelle brûle une lampe d’or ». Dans les deux premières scènes de l’acte,la piété s’extériorise à plusieurs reprises,de diverses façons :la reine confie à sa suivante Casilda qu’elle a « fait emplir de reliques » (vers 52) la jolie boîte en « bois de calambour » (vers 51) destinée à son père ; la camerera mayor, à la fin de la scène 1, rappelle que l’on est « le jour des saints apôtres » (vers 165), le 29 juin, et qu’il faut « laisser la reine à ses dévotions » (vers 167) ; dans la 10 Bilan de première lecture scène suivante,la reine,à travers son désarroi amoureux,invoque très spontanément la vierge en des termes qui appartiennent aux textes des grandes prières mariales. Le catholicisme de la cour espagnole se trouve ainsi bien souligné. C’est avec le même réalisme que l’on peut saisir l’austère étiquette qui règle l’intimité royale ; la reine s’en plaint en termes forts : «Vraiment, je meurs depuis un an que je suis reine » (vers 80). C’est le personnage de la duchesse d’Albuquerque, la camerera mayor, qui avec force révérences,dans les scènes 1 et 3,vient rappeler que seul un grand d’Espagne peut ouvrir les portes à la reine, que seuls « des rois ou des parents du roi » (vers 71) peuvent jouer avec elle ; la reine, apprend-on, doit manger seule quand le roi est absent, et « Ne doit pas regarder à la fenêtre » (vers 158) ; une lettre du roi qui lui est adressée doit d’abord être ouverte et lue par la camerera mayor. Religion et étiquette constituent dans cet acte des allusions historiques qui se rapportent à des généralités sur l’histoire de la cour d’Espagne. En revanche, ce qu’on apprend du couple royal met en place une réalité historique plus confidentielle, celle que Hugo a trouvée dans les Mémoires de la cour d’Espagne de Mme d’Aulnoy, mais qui s’applique à la vie de la reine Marie-Louise d’Orléans,première épouse de Charles II et non à celle de la seconde épouse du roi,Marie-Anne de Neubourg.La missive du roi,telle que la donne la scène 3, est copiée dans ce document. Hugo reprend aussi deux incidents rapportés par Mme d’Aulnoy ; les vers 56-57 («Va chercher dans ma chambre un livre… – je suis folle ! / Pas un livre allemand ! tout en langue espagnole ! ») et 126 (« Mes oiseaux d’Allemagne,ils sont tous morts.») font retrouver Marie-Louise d’Orléans privée de ses livres français et persécutée par sa camerera mayor,la duchesse de Terranova, qui tordit le cou à ses perroquets « parce qu’ils ne parlaient que français ». Les scènes 4 et 5 de l’acte II mettent en lumière, par la caricature, le code d’honneur de l’aristocratie espagnole en présentant le duel comme la ponctuation obligée des rivalités amoureuses. t La reine s’ennuie, prisonnière d’une étiquette qui bride sa jeunesse et délaissée par un époux qui lui préfère la chasse. Ruy Blas est d’abord l’amoureux inconnu qui la console et la fait rêver avec des fleurs et une lettre.Cette prédisposition à aimer, véritable prémonition,devient,par l’effet d’une reconnaissance,d’un coup de foudre et d’un jeu de regards,passion profonde et partagée.La scène 3 de l’acte II réunit ces trois circonstances.La reine reconnaît,dans la missive du roi,l’écriture de l’« ami dont l’ombre [l’] accompagne » (II,vers 189) ;son trouble est immédiat et,en aparté,elle s’interroge sur l’émotion qui la saisit en se sentant sous le regard de l’écuyer porteur de la missive. La didascalie du vers 284 (« Le regard de la reine et le regard de Ruy Blas se rencontrent. Un silence. ») fait entendre les deux apartés qui suivent, « C’est lui ! » (la reine), « Sur son cœur ! » (Ruy Blas) (II, vers 284-285), comme l’expression bouleversée d’un cœur amoureux, comblé. On entend aussi ces mots comme un 11 RÉPONSES AUX QUESTIONS cri de libération, ce que d’ailleurs vont confirmer les initiatives qu’ensuite prendra la reine pour éloigner durablement le trop jaloux don Guritan et pour promouvoir en six mois Ruy Blas au plus haut rang du gouvernement. y La passion partagée que met en place l’acte II apparaît ensuite, comme telle, seulement dans la scène 3 de l’acte III et dans les scènes 2,3 et 4 de l’acteV.Cependant, on peut distinguer par l’effet d’allusions et d’indices variés quatre étapes distinctes entre l’acte II et l’acte V. La première se situe dans l’entracte qui sépare l’acte II de l’acte III ;c’est une période de six mois où se fait le parrainage amoureux de la reine en faveur de Ruy Blas : « Il a la toison d’or. Le voilà secrétaire / Universel, ministre, et puis duc d’Olmedo ! » (III, vers 2-3). Mais par les indiscrétions d’un des ministres, le comte de Camporeal,on apprend à l’acte III,scène 1,que la relation entre Ruy Blas et la reine est restée platonique : « il ne la voit jamais. / Ils paraissent se fuir » (III, vers 11-12). La deuxième étape, à la scène 3 de l’acte III, est la scène des aveux : « je vous aime » (III,vers 230),dit Ruy Blas ;et la reine,après une longue déclaration, se résume en ces termes :« Par l’amour,par le cœur,duc,je vous appartien » (III,vers 291). La troisième étape se joue à la scène 2 de l’acteV et représente une scène de malentendu ; la reine est partagée entre l’inquiétude et le dépit : «Vous voulez m’écarter de vos dangers ! – Je reste » (V,vers 70),«Vous voulez m’éloigner » (V,vers 74).Dans les deux dernières scènes, les masques tombent et c’est alors pour la passion de la reine et de Ruy Blas l’épreuve de vérité et l’épreuve de la séparation fatale ; on assiste alors au difficile cheminement de la reine vers le pardon et au véritable adieu amoureux à celui qui se nomme Ruy Blas. u Le costume est un détail de scène très important pour suivre la participation de Ruy Blas au drame. La livrée qu’il porte dans les trois premières scènes de l’acte I exprime le temps où il n’est rien par rapport à l’action qui s’engage dès la première scène, à savoir la vengeance de don Salluste. Mais une fois cette livrée dissimulée par une écharpe et son épée (I, scène 4), le superbe manteau de don Salluste (I, scène 4) et un chapeau de grand d’Espagne (I, scène 5), Ruy Blas devient le principal acteur de cette vengeance, le bras armé de don Salluste. À l’acte II, il reste l’homme déguisé par don Salluste : « Il est magnifiquement vêtu » (II, scène 3). Mais son habit d’écuyer royal n’intervient pas seulement pour servir la vengeance du maître ; il est la clé magique qui permet au laquais amoureux de la reine d’approcher celle-ci et de se faire reconnaître sans l’offenser. À l’acte III, Ruy Blas reste un laquais déguisé, mais toute la magnificence de son habit se rapporte à la passion qu’il a su inspirer à la reine :le manteau de velours écarlate et la toison d’or témoignent des grandeurs où la reine l’a placé en le faisant duc et Premier ministre. Dans les deux actes suivants, l’évolution des vêtements de Ruy Blas symbolise la tragédie de son destin, le deuil 12 Bilan de première lecture où le place le retour de don Salluste : à l’acte IV, il est en habit noir, sans la moindre parure, et à l’acte V « une sorte de longue robe noire cache ses vêtements. » Ce passage de l’habit noir à la robe noire peut être interprété comme une sorte de sanctification du héros tragique qu’est devenu Ruy Blas ;la robe renvoie en effet à l’iconographie des saints et le noir au symbolisme de la mort. Mais le détail vestimentaire le plus symbolique dans l’acteV reste la reprise par Ruy Blas de sa livrée de laquais ;il assume ainsi sa défaite et le regard de la reine sur ce qu’il est réellement. i Quand il retrouve Ruy Blas chez son cousin don Salluste,don César ne se doute pas qu’il va servir de prête-nom à ce compagnon de bohème qui ne le connaît que par son surnom,Zafari.Ruy Blas commence ainsi sa pseudo-ascension sociale en tant que don César de Bazan, comte de Garofa, identité superbe mais sulfureuse en raison de la vie de hors-la-loi qu’a choisie don César. Mais ce nom d’emprunt, par les grâces de l’amour et de la compétence, est réhabilité et même grandi par un nouveau titre, celui de duc d’Olmedo ; la reine s’adresse à Ruy Blas en l’appelant « duc » (III, scène 3) ; don Salluste le salue, à l’entrée des conseillers du conseil privé, en lui donnant du « Monsieur le duc » (III, scène 5). o Les quatre premiers actes portent chacun un titre qui présente le personnage central de l’acte. – Acte I : Don Salluste. Don Salluste,disgracié par la reine,prépare sa vengeance :faire tomber la reine dans les bras d’un amant douteux. Il pense d’abord à son crapuleux cousin don César de Bazan ;celui-ci refusant,il l’expédie traîtreusement en esclavage.Il trouve immédiatement une solution de remplacement : son laquais, Ruy Blas, amoureux de la reine.Après un engagement signé, déguisé en grand d’Espagne, celui-ci, abasourdi, reçoit l’ordre « de plaire à la reine et d’être son amant ». Don Salluste est ainsi bien évidemment le génial metteur en scène de l’action qui commence. – Acte II : La reine d’Espagne. Le personnage de la reine dirige l’ensemble de l’acte.D’abord le décor est planté dans ses appartements privés et son rang fait graviter autour d’elle tous les autres personnages,en situation d’infériorité.Par ailleurs,le long monologue de la scène 2 intensifie sa présence pour le public,d’autant plus qu’il s’agit du premier monologue de la pièce. Elle s’impose au public dans son statut de reine successivement de deux façons très opposées : en tant que prisonnière d’une étiquette incontournable (II, scènes 1, 2, 3) et en tant qu’autorité pouvant user d’un pouvoir absolu pour envoyer, sur le champ,son majordome réticent à six cents lieues de Madrid (II,scène 5). – Acte III : Ruy Blas. Cet acte est construit pour mettre en scène tout ce qui constitue le personnage de Ruy Blas, tout ce qu’il a suggéré et révélé de lui dans la scène 3 du premier acte, 13 RÉPONSES AUX QUESTIONS à travers ses confidences à son ami Zafari : ses ambitions, ses amours, ses défaites. L’ambitieux frustré de l’acte I se trouve en cet acte comblé (III,scènes 2,3,4) ;l’amoureux de l’ombre est en pleine lumière et reçoit les tendres aveux de « l’étoile » qu’il aime. C’est, jusqu’à la scène 5, le zénith du plébéien, parvenu triomphant au sommet de sa montagne de projets et de rêves,jusqu’alors inaccessible.Mais l’arrivée de don Salluste,à la scène 5,fait retrouver Ruy Blas,le laquais qui doit ramasser les mouchoirs et fermer les fenêtres. – Acte IV : Don César. L’acte IV tient à la volonté de Hugo de grossir la partie comique du drame et de rendre plus lisible le mélange des genres,le mélange du burlesque et du tragique.Par ses gesticulations, sa verve, son pittoresque, don César parvient à inverser la figure tragique de Ruy Blas et à maintenir, à travers une suite de quiproquos, un rythme endiablé et comique sur trois scènes.Mais le personnage n’a pas ce seul rôle de divertissement. Il est une sorte de fatalité déguisée, un allié inconscient mais efficace de don Salluste :le « Venez » (IV,vers 328) qu’il fait écrire au muet va conduire la reine au rendez-vous fatal où l’attend don Salluste. Par ailleurs, en tuant don Guritan (IV,scène 5) et en se laissant piéger par don Salluste qui le fait arrêter,il vide la place de tout ce qui pouvait faire obstacle au tragique trio du dénouement. Don César devient ainsi, à travers cet acte, le meneur de jeu du dénouement. – Acte V : Le Tigre et le Lion. Si l’on se réfère à Hernani (III, scène 6, vers 1218-1219) : « J’étais grand, j’eusse été lion de Castille /Vous m’en faites le tigre avec votre courroux »,on voit que le lion est pour Hugo une métaphore valorisée par rapport à celle du tigre. C’est ainsi que, dans l’acte V de Ruy Blas,don Salluste est le tigre,figure diabolisée,et Ruy Blas le lion,figure sublimée. Le titre de cet acte transforme en fable l’affrontement entre don Salluste et Ruy Blas et donne ainsi un relief particulier à l’action de la scène 3 qui vient dénouer la vengeance préparée par don Salluste contre la reine.Le lion qui se réveille (vers 134),c’est le peuple qui veut sauver la reine et se montre en livrée (vers 129 à 138) ; c’est aussi le peuple qui prend conscience de sa grandeur : « J’ai l’habit d’un laquais et vous en avez l’âme ! » (vers 138) lance Ruy Blas à don Salluste.À travers sa fureur vengeresse, il profère une sorte de discours révolutionnaire où il se présente en bourreau,ennemi de Satan,et se sublime en justicier,exécuteur du démon,le tigre,don Salluste. q a) Lettre signée « César » : acte I, scène 4. 2) Arrivée de la reine à la « maison discrète ». b) Lettre signée « Ruy Blas » :acte I,scène 4.4) Défaite de Ruy Blas,Premier ministre, devant don Salluste. c) Lettre sans signature : acte II, scène 2. 3) Reconnaissance par la reine du « jeune homme inconnu ». 5) La fortune en six mois de Ruy Blas, alias don César. 14 Bilan de première lecture d) Lettre signée « Carlos » : acte II, scène 3. 3) Reconnaissance par la reine du « jeune homme inconnu ». 5) Fortune en six mois de Ruy Blas, alias don César. e) Lettre anonyme : acte III, scène 2. 6) Vengeance de don Salluste. f) Lettre adressée à don Guritan par Ruy Blas, alias don César : acte IV, scène 1. 1) Mort de don Guritan. s Don César et don Guritan sont les deux personnages qui introduisent le comique dans le drame. Ils font rire parce qu’on retrouve en eux les traits des héros chevaleresques de la comédie : don César est un matamore des bas-fonds, don Guritan un matamore du passé.Tous deux sont des naïfs, des perdants facilement pris au piège de ceux qu’ils gênent.Ils s’opposent toutefois dans leur relation à l’univers social qui les entoure : don César est un homme chaleureux mais en rupture avec son milieu d’origine et prompt à s’allier aux vauriens qui menacent l’ordre public ;don Guritan ne trouve,lui,sa respiration que dans les grandeurs de la cour et sa morgue indignée à l’égard du page,« Un dresseur de buffet » (IV,vers 387) envoyé par Ruy Blas,le conduit à sa perte. d Don Salluste, sur trois tons différents, envisage pour la reine et Ruy Blas trois dénouements distincts. Le premier consiste en une lettre d’abdication signée par la reine puis son départ pour le Portugal avec don César alias Ruy Blas et l’or de don Salluste. Le deuxième dénouement envisagé tient en deux mots menaçants : « Le scandale et le cloître » (V,vers 122).Le troisième dénouement est présenté de façon sarcastique : la reine d’Espagne, détrônée, chassée par don Salluste, après la mort du roi qui « s’en va » (V, vers 149), devient duchesse en épousant le laquais qu’elle a fait duc. f La grande tirade de Ruy Blas, dans l’acte III, scène 2, éclaire de deux façons très différentes le présent de la monarchie espagnole et son passé.L’Espagne de Charles II est une monarchie en pleine décadence alors que l’Espagne de Charles Quint a bénéficié,quelque deux cents ans plus tôt,d’un monarque éblouissant dont « l’aigle impérial… / Couvrait le monde entier de tonnerre et de flamme » (III, vers 176-177). g Si,dans Ruy Blas,le roi est absent,le peuple,lui,est très présent ;Ruy Blas,le héros du drame, en est issu et en exprime les souffrances et les aspirations. Il y fait souvent allusion, en diverses images, mais toutes émouvantes : le peuple humilié, c’est Ruy Blas en sa jeunesse (« ... un jour, mourant de faim sur le pavé / J’ai ramassé du pain, frère, où j’en ai trouvé : / Dans la fainéantise et dans l’ignominie », I, vers 311-313). Le peuple épuisé et exploité, c’est la victime que Ruy Blas, duc d’Olmedo, décrit et défend avec force devant les conseillers du roi (III, vers 112-116) et que la reine évoque elle aussi (III,vers 285-286).Le peuple révolté et bourreau de l’infamie,c’est, devant don Salluste, Ruy Blas, « Un maraud qu’on châtie et qu’on fouette, – et qui 15 RÉPONSES AUX QUESTIONS tue ! » (V,vers 190).Enfin le peuple généreux,c’est la « femme du peuple » qui vient essuyer le visage en sueur de Ruy Blas, quand il erre dans la ville « Comme un fou » (V, vers 211). h La reine s’ennuie : titre envisagé par Victor Hugo pour le titre de l’acte II. Le roi absent ou Le roi abdique : cf. III, 1, vers 5 à 8. La reine exilée ou La reine désespère : cf. II, 1, vers 114 à 123. La reine souffre et rêve : cf. III, 3, vers 283 à 286. 16 Acte I, scène 3 Acte I, scène 3 (pp. 59 à 69) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT ( VERS 281 À 320) a « Au lieu d’un ouvrier, on a fait un rêveur » (vers 300). Ce vers décrit Ruy Blas au sortir du collège, quand il rencontre Zafari et s’associe à sa vie de bohème. Cette notation renvoie à la formation scolaire que pouvaient recevoir des orphelins très doués dont les maîtres, des religieux, espéraient faire des prêtres.Tout un bas clergé fut pendant longtemps ainsi formé et constitué. On peut donc supposer que Ruy Blas a fui cet itinéraire confortable, mais au-dessous de ses ambitions et de son idéalisme,et que sans l’appui d’une famille il a rencontré le monde de la bohème, l’univers de Zafari. z Cette première tirade de Ruy Blas constitue une sorte d’autobiographie de sa jeunesse, en trois époques. – 1er temps :la jeunesse d’un orphelin hébergé et instruit dans un collège (vers 298 à 300). – 2e temps : la jeunesse libre et marginale d’un rêveur bohème (vers 282 à 291, vers 301 à 310, vers 314 à 319). – 3e temps : le choix obligé de la servilité (vers 311 à 313). Le temps du passé qui domine,dans ce retour en arrière,est l’imparfait de l’indicatif. Il apporte un effet de ralenti sur tout ce que Ruy Blas tient à évoquer et à revivre de sa jeunesse. C’est ainsi que l’imparfait sert à décrire exclusivement le temps de sa bohème, de son compagnonnage avec Zafari, de ses chimères idéalistes. e Au vers 311, l’indice temporel « un jour » souligne de façon évasive le moment où Ruy Blas a quitté les chemins de la liberté.L’action verbale,qui est ainsi datée,se trouve exprimée au passé composé (« J’ai ramassé du pain, frère, où j’en ai trouvé », vers 312) ; la valeur d’accompli de ce temps contraste avec la valeur durative des imparfaits environnants, et elle met au premier plan les actions qui sont la véritable antériorité du présent, celle qui peut l’expliquer. r L’asyndète ou le collage qu’opèrent les points de suspension entre l’énoncé du vers 319 et celui du vers 320 met en place une suggestion douloureuse et pitoyable qui établit un rapport de cause à effet entre les ambitions idéalistes et l’état de domestique. Ruy Blas mesure ici son échec à l’aune de ses ambitions. t La tirade n’est pas seulement autobiographie,elle est aussi autoportrait.Les traits qui apparaissent successivement apportent une progression dégradée de la personnalité de Ruy Blas. On voit d’abord le joyeux compagnon, insouciant et bohème : « j’étais un homme encore » (vers 285) ;puis le rêveur ambitieux,mais déraisonnable : 17 RÉPONSES AUX QUESTIONS « À quoi bon travailler ?… / J’espérais tout du sort ! » (vers 305 à 307) ; enfin Ruy Blas se décrit dans une suite de traits aussi condamnables que pitoyables : il insiste sur sa paresse, sa « fainéantise » (vers 313) et les effets de misère qui s’y rattachent,« mourant de faim sur le pavé » (vers 311),« marchant pieds nus dans les chemins » (vers 315). Le trait final le plus accablant s’inscrit dans le dernier mot de la tirade, le mot « laquais » (vers 320) : Ruy Blas a déchu à ses propres yeux en acceptant la servilité obligée des domestiques. Cet autoportrait raconte et peint la trahison d’un idéal. y Le retour que Ruy Blas fait sur ses rêves de jeunesse est empreint d’un ton de dérision qu’expriment quelques hyperboles significatives des délires d’un jeune esprit sans repères. Il s’agit des formules qui décrivent une confiance en soi et une ambition en quelque sorte absolues :aux vers 305 à 307,«Vers un but invisible / Je marchais, je croyais tout réel,tout possible,/ J’espérais tout du sort » ;aux vers 317 à 319,« J’avais bâti des plans sur tout, – une montagne / De projets » ; « Je croyais, pauvre esprit, qu’au monde je manquais… – ». L’autocritique de Ruy Blas se résume avec force dans l’oxymore du vers 314, « crédule à mon génie ». u Ruy Blas interpelle deux fois don César avec le mot « frère » (vers 297 et 312) et une fois avec le mot « Ami » (vers 320). Ne le connaissant que sous le nom de Zafari et le croyant comme lui « né dans le peuple »,il le tutoie.Il ressuscite des scènes en parfait écho avec ce ton de familiarité :les nuits de jeunes gens bohèmes à la belle étoile (vers 290), la misère partagée (vers 291), les joyeux débats d’idées (vers 303). On a là un contenu qui fonde le parallèle que la critique a établi entre don César et le frère deVictor Hugo,Eugène,qui mourut fou,en 1837,et qui fut une sorte de frère jumeau, d’alter ego jusqu’au mariage de Victor, en 1822. i Cette fraternité ne peut être restaurée qu’en paroles car la rencontre des deux amis est tout à fait fortuite et Ruy Blas, en tant que laquais, ne s’appartient plus. Il regarde d’ailleurs avec quelque envie son compagnon de bohème ;il l’a quitté voilà quatre ans et il le retrouve,lui semble-t-il,sans les blessures de la vie qui,pour sa part, l’humilient et l’emprisonnent. Il voit en Zafari son antithèse morale et sociale car il est toujours « Joyeux comme un enfant, libre comme un bohème » (vers 294). o Deux lexiques s’opposent dans cette tirade et contribuent à donner à Ruy Blas un passé et une psychologie dont l’épaisseur et la complexité sont à la mesure d’un personnage de premier rang ;ces deux lexiques contradictoires l’installent dans l’opacité qui convient aux héros des grands drames.Le lexique propre à sublimer le personnage est celui de l’intelligence :« nourri de science et d’orgueil, un rêveur,pensées, vœux,strophes,cent raisons,ambition au cœur,pensifs,génie,méditations,plans,projets.» Mais ce lexique s’imbrique dans celui de l’échec :« misère,sans gîte,j’avais faim,j’avais froid, 18 Acte I, scène 3 orphelin, par pitié nourri dans un collège, l’heure triste, strophes insensées, paresseux, mourant de faim sur le pavé,j’ai ramassé du pain,dans la fainéantise et dans l’ignominie,crédule à mon génie, pauvre esprit, un laquais. » q L’échec de Ruy Blas tel qu’il l’analyse ici est double.Après avoir fait le choix de la liberté la plus absolue, celle de la vie de bohème, il a échoué dans un monde de grand asservissement, celui des domestiques. En outre, en s’étant donné des ambitions de guide des peuples,il s’est aliéné à un maître et à une livrée.Il décline sa vie à l’inverse de ses aspirations de jeunesse. s La première tirade de Ruy Blas s’ouvre dans une envolée lyrique qui le place aussitôt en héros romantique, sensible au passé et capable d’en restituer avec force les traits les plus émouvants.Son discours fait ainsi se succéder deux tableaux idylliques mais bien distincts cependant ;du vers 287 au vers 291 apparaît le tableau pour ainsi dire physique des deux amis, qui chantent ou dorment en parfaite harmonie avec la nature, sous le regard de Dieu ; du vers 301 au vers 303, une image plus intellectuelle se construit, présentant les esprits des deux « frères » dans une communion un peu houleuse, mais associée à la poésie et à la gaîté, et toujours en relation avec le ciel.La nostalgie du passé que créent ces retrouvailles s’impose ainsi comme celle d’une amitié joyeuse où les corps, les esprits et les âmes se sont sentis unis. d Le vers 289, « Et le soir devant Dieu, notre père et notre hôte », fixe le personnage de Ruy Blas dans une attitude de foi chrétienne tout à fait orthodoxe car elle respecte le dogme de la filiation de l’homme à Dieu (« notre père ») et celui de l’univers créé pour accueillir l’homme (« notre hôte »). Cette dévotion naïve et pure ajoute au pathétique de l’échec que raconte et analyse la tirade de Ruy Blas. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 73 À 79) Examen des textes a Cet extrait des Confessions de Jean-Jacques Rousseau présente l’abêtissement qu’ont nourri et encouragé les deux premiers apprentissages imposés par sa famille.Les jeux lexicaux se font selon deux procédés :celui d’insistance et celui de contraste. a) Le procédé d’insistance : – une série de termes forts et péjoratifs pour décrire les tâches imposées ; – quelques termes hyperboliques pour décrire les désillusions ; – bilan d’une dégénérescence en termes définitifs et absolus. b) Le procédé de contraste : – opposition entre le champ lexical de l’enfant doué (« César si précoce ») et celui de l’enfant abêti (« Laridon ») ; – opposition entre le lexique des vertus et celui des vices. 19 RÉPONSES AUX QUESTIONS z Les didascalies, dans le monologue de Figaro, décrivent une alternance de mouvements qui laisse imaginer un héros qui ne tient pas en place et tantôt s’assoit, tantôt se lève. Cette gesticulation indiquée dans les didascalies a une quadruple fonction : – animer ce très long monologue par des jeux de scène qui le dynamisent ; – le rendre vraisemblable en l’associant à une longue et insupportable attente ; – permettre les changements de ton et bien marquer les passages de l’amertume à l’excitation ; – assurer le lien entre les déceptions existentielles de Figaro et la situation dramatique où il se trouve, se croyant trahi par celle qu’il vient d’épouser. e Le présent est le temps dominant dans le monologue de Figaro. Ce monologue où est retracée la vie du héros actualise le passé, qu’il soit proche ou lointain, avec le présent historique. On a aussi quelques présents de vérité générale, tout particulièrement entre la deuxième et la troisième didascalie, où Figaro réfléchit en moraliste sur la liberté d’expression.On retrouve encore ce type de présent dans les généralités le concernant, qu’il développe à la fin de l’extrait. Quant au présent associé au temps de l’énonciation, le présent de contemporanéité, on le trouve rarement ici (« je dis », « dont je m’occupe »). r Verlaine, pour exprimer dans ces vers sa propre peine, passe par le détour d’une pseudo-retranscription de la chanson de Gaspard Hauser. On a là un lyrisme en palimpseste : les plaintes de Gaspard Hauser sont une réécriture du désespoir de Verlaine. t Une composition antithétique conduit chacun des textes du corpus : – texte A, opposition entre un passé fait de liberté et d’espoir et un présent fait d’humiliation et d’amertume ; – texte B,opposition entre un naturel plein de talents et une expérience dégradante ; – texte C, opposition entre élans et vicissitudes ; – texte D, opposition entre candeur innocente et rejet social. y On a dans l’ensemble du corpus des rétrospectives qui expriment nombre de regrets concernant le passé.Sur le plan des contenus,les locuteurs des quatre extraits peuvent être associés ; en revanche, sur le plan de la relation qu’ils entretiennent avec le passé évoqué, on peut envisager certains regroupements mais aussi certaines oppositions. • Les quatre locuteurs s’attachent à un passé qui est l’histoire d’une dégradation : – Ruy Blas est le rêveur devenu laquais ; – Rousseau se montre en César devenu Laridon ; – Figaro décrit ses ambitions et ses talents toujours repoussés ; 20 Acte I, scène 3 – Gaspard Hauser est passé des mésaventures à la défaite totale. • Le temps où s’énonce ces évolutions pitoyables est un temps de désespoir : – pour Ruy Blas, amer et humilié ; – pour Figaro, désabusé ; – pour Gaspard Hauser, égaré et désespéré ; • Pour Jean-Jacques Rousseau, c’est au contraire un temps où la vie l’a consacré comme un grand philosophe. • L’évocation du passé amène le locuteur à s’interroger sur le sens de sa vie. – Figaro commence par trouver sa « destinée bizarre » et finit par se demander « quel est ce moi dont [il s’] occupe ». – Gaspard Hauser s’interroge de la même façon,à travers la question :« Qu’est-ce que je fais en ce monde ? » – Ruy Blas,lui,on l’apprend dans la suite de la scène 3 de l’acte I,connaît le sens de sa vie : il est un « fou qui porte avec effroi / Sous l’habit d’un valet les passions d’un roi » (vers 439-440). – Quant à l’auteur des Confessions, c’est l’œuvre même, dont l’extrait fait partie, qui vient éclairer, expliquer et justifier sa vie. • Le locuteur prend quelques distances avec ses échecs et ses illusions perdues : – Ruy Blas fait son autocritique ; – Jean-Jacques Rousseau évoque avec les grossissements de l’humour et de la caricature ses persécuteurs et le jeune persécuté qu’il a été ; – Figaro se sert d’euphémismes ou d’antiphrases pour évoquer bon nombre de ses difficultés :par exemple,son incarcération est dite « retraite économique » et la censure de ses écrits est résumée dans l’expression « douce liberté » ; – en revanche,la parole de Gaspard Hauser,parole deVerlaine,demeure une parole de naïf accablé par le sort. Travaux d’écriture Question préliminaire Les opposants que mettent en lumière les extraits du corpus ont des statuts divers mais représentent,chacun,les forces dominantes de la société dans laquelle ils s’inscrivent. Ruy Blas représente le peuple qui crève de faim aux portes des « palais regorgeant de richesses » (I,vers 309) ;l’opposant ainsi suggéré est le monde de la haute aristocratie qui accapare les biens de l’État et construit « le malheur de l’Espagne » (I, vers 318). Le jeune Jean-Jacques Rousseau rencontre ses opposants en ses deux patrons successifs. Mais l’extrait souligne bien que l’autoritarisme et la brutalité de ces hommes sont cautionnés par toute une société adulte trouvant normal de décider du destin d’un jeune sans tenir compte de ses aspirations. La chanson de Gaspard Hauser,tout comme le monologue de Figaro,suggère une pluralité d’opposants qui 21 RÉPONSES AUX QUESTIONS renvoient aux diverses instances du pouvoir politique et social.C’est ainsi qu’à travers ces extraits se dessine un profil inquiétant de la société. On découvre son extraordinaire force d’humiliation et de répression, ses cloisonnements infranchissables pour les talents ou les bonnes volontés issus du peuple, sa corruption et son arbitraire irrationnel. C’est une société qui brime les forces vives qui s’offrent à elle. Commentaire Verlaine, dans Sagesse, a voulu exprimer son repentir et son retour vers les valeurs de la foi chrétienne. En s’identifiant, dans ce poème écrit en août 1873, à Gaspard Hauser, fils putatif de Stéphanie de Beauharnais, assassiné en 1833, il découvre, à travers certains échos romantiques, la meurtrissure sociale qu’a représentée son incarcération. 1. Ce poème s’apparente à une complainte a) Définition :la complainte est un poème populaire d’origine médiévale et de tonalité plaintive, comme son nom l’indique. Sa forme est libre et exprime avec simplicité et monotonie un contenu fait de mélancolie, de piété, voire de tragédie. b) L’adéquation du poème à cette définition : – simplicité et régularité de la forme : quatre quatrains en octosyllabes avec un jeu de rimes embrassées ; – simplicité du contenu : l’essentiel est dit dans chacun des derniers vers et trois d’entre eux (strophes 1, 2, 3) se développent sur la même tournure négative, à la manière d’un refrain ; – monotonie du ton dans les répétitions de mots, de sonorités et de tournures : verbes, « trouver », « vouloir » ; assonances de voyelles nasalisées et de la diphtongue « ou » ;syntaxe simplifiée par l’asyndète répétée entre les trois premiers vers de chaque strophe et le dernier ; – gradation des malheurs évoqués, de la mélancolie au désespoir : strophe 1, malheur de l’esprit ; strophe 2, malheur du cœur ; strophe 3, aliénation à la vie ; strophe 4, désespérance et pieux appel à la miséricorde. 2. Symbolisme et révolte inscrits dans ces vers a) Les symboles qui renvoient au poète : – le locuteur :son nom,porté par le titre,connote le mystère de la naissance et de la mort. Le « calme orphelin » peut correspondre à l’image du prisonnier, orphelin du monde ; – les obstacles : « les hommes des grandes villes » symbolisent l’autorité des élites qui dirigent la société et n’accueillent que les forts et les gagnants ; Verlaine,condamné, est un perdant. Le terme générique « les femmes » exprime l’angoisse d’une sexualité en souffrance et peut établir un écho avec la souffrance de Verlaine qui, dans le temps où il écrit ce poème, un temps d’incarcération, se repent de sa liaison avec 22 Acte I, scène 3 Rimbaud et essaie de renouer avec son épouse, Mathilde. L’expression « sans patrie et sans roi » décrit sans doute l’absence d’état civil de Gaspard Hauser mais correspond aussi à la situation deVerlaine qui,avec Rimbaud,« l’époux infernal », vagabonde de 1872 à 1873 entre la Belgique et l’Angleterre,avant le drame de Bruxelles.Verlaine peut encore faire penser à lui en présentant la plainte d’un Gaspard Hauser, soldat suicidaire ;il s’est lui-même engagé dans la garde nationale,pendant le siège de Paris en 1870-1871 puis,devenu suspect de sympathies avec la Commune,il a perdu son emploi à l’Hôtel-de-Ville. b) La révolte : – les euphémismes des derniers vers des strophes 1, 2, 3 (vers 4, 8, 12) expriment avec un faux humour de vraies protestations ; – le dernier vers constitue un appel à la compassion qui est en fait un rappel à l’ordre adressé à une société brutale pour les faibles, malgré ses croyances affichées pour la foi chrétienne. 3. Les échos romantiques En s’identifiant à Gaspard Hauser,Verlaine retrouve, en particulier dans la dernière strophe, les accents romantiques de René, héros de Chateaubriand, et ceux aussi de Vigny : – l’existence de René et le sentiment de vide qui s’y rattache ressemblent en tous points aux interrogations existentielles de la dernière strophe :« Mon cœur est naturellement pétri d’ennui et de misère », René, Chateaubriand ; – dans le Journal d’un poète de Vigny, on trouve une réflexion bien proche de celle qui inspire les vers de la chanson de Gaspard Hauser :« Il faut surtout anéantir l’espérance dans le cœur de l’homme. Un désespoir paisible, sans convulsions de colère et sans reproches au ciel, est la sagesse même » (1832). Verlaine,dans cette complainte,captive la sensibilité du lecteur sur le paradoxe d’une souffrance intense mais résignée. Dissertation Proposition d’un plan dialectique. 1. Le thème des illusions perdues s’adapte à toutes les époques et à tous les genres car il s’agit d’un thème attaché au réel et donc vraisemblable. a) Pérennité du thème : l’histoire littéraire, depuis le Moyen Âge, a constitué un panthéon de héros dont les aventures ou les états d’âme se rapportent au thème des illusions perdues.De Lancelot aux héros de Sartre ou de Camus,le lecteur côtoie, dans une infinité d’œuvres littéraires,des personnages dont l’aventure s’achève dans le renoncement à l’idéal, dans l’enfouissement des illusions. b) Vraisemblance du thème : le cœur, l’esprit, l’âme, le corps, tout ce qui fait l’être humain peut être objet d’illusions et donner lieu ainsi à des récits et à des peintures qui en exploitent la vraisemblance. 23 RÉPONSES AUX QUESTIONS c) Roman, théâtre, poésie ont des formes propres à privilégier ce thème. – Le thème fournit aux dénouements de romans et de pièces de théâtre les inversions de situation propres à stimuler l’intérêt et l’émotion du lecteur ou du spectateur. – Le thème s’accorde parfaitement avec les exigences du lyrisme poétique qu’enrichissent les sentiments tels que le regret,la nostalgie,l’angoisse.Du Bellay a perdu ses illusions d’humaniste à Rome et a écrit Les Regrets (1558). On peut également rattacher le spleen baudelairien à des illusions perdues, par simple référence au double titre sous lequel il enferme les poèmes du spleen, à savoir Spleen et Idéal ; dans le poème Élévation,il encourage son esprit à aller se « purifier dans l’air supérieur », mais dans Le Goût du néant, le spleen efface cet espoir : « Esprit vaincu, fourbu ! » 2.Toutefois, la place qui est accordée au thème des illusions perdues varie selon les enjeux littéraires des différentes œuvres. a) La littérature qui veut divertir ne retient ce thème que pour ses personnages repoussoirs ou bouffons. b) La littérature qui veut instruire privilégie ce thème qui permet de dicter nombre de mises en garde et de leçons de sagesse et de modération :la cigale du fabuliste perd ses illusions,tout comme le héros des Illusions perdues de Balzac,Lucien de Rubempré. 3. En fait, ce thème peut s’instrumentaliser aussi bien dans un sens réaliste que dans un sens idéaliste. a) Ce thème, traité de l’extérieur, impose des analyses sociales et historiques mais aussi psychologiques et morales : un Julien Sorel construit ses illusions à partir de Bonaparte, de son humble famille, de ses talents, de son charme, de sa froide ambition ; sa chute s’explique aussi, en partie, par tout cela encore. b) Ce thème,traité en focalisation interne,permet au lecteur d’explorer tout un monde intérieur en évolution, d’abord concentré dans des attentes idéalisées et impérieuses, et ensuite malmené par toutes les émotions et les sentiments liés à l’échec. Le thème des illusions perdues est un thème propre à convoquer des lecteurs très divers, autant les amateurs de réalisme que les sentimentaux. Écriture d’invention Cette lettre adressée par le père de Jean-Jacques Rousseau à M.et à Mlle Lambercier, les éducateurs de son fils, peut prendre deux formes : l’information ou la plainte. a) Une lettre qui les informe de l’insoumission du jeune apprenti et de la régression de ses savoirs. Cette lettre doit proposer aussi des explications de la situation ; mais celles-ci peuvent adopter ou contester celles données par Rousseau lui-même. b) Une lettre où le père gémit sur « l’idole » qu’il ne retrouve plus en son fils ;il refait le portrait de l’enfant avant son entrée en apprentissage, rappelle les savoirs qu’il maîtrisait, ses « aimables amusements » ; il réfléchit ensuite sur la force des mauvais exemples pour affaiblir et détruire une bonne éducation, comme celle qu’ont su donner à son fils M. et Mlle Lambercier. 24 Acte II, scène 3 Acte II, scène 3 (pp. 107 à 115) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 3 a Cette scène met en évidence,dès la didascalie d’ouverture,le rôle de premier plan et de haute autorité de la camerera mayor : elle est en tête du cortège de la reine. Elle gère,on le constate dès les premières répliques,le courrier de la reine.Elle sait,avant la reine, la provenance de la lettre qu’apporte l’écuyer, Ruy Blas ; elle a le droit de s’opposer à l’ordre que lui donne la reine de lui remettre cette lettre, en rappelant « L’usage » (vers 233) qui «Veut que ce soit d’abord [elle] qui l’ouvre et la lise » (vers 234). Elle intervient aussi dans le choix des écuyers de la reine, y apportant ou pas sa caution ;c’est à ce titre qu’elle souligne ici la qualité du nouvel écuyer que Monsieur de Santa-Cruz a recommandé à son attention. z Un écuyer de la reine d’Espagne « est magnifiquement vêtu » ; il doit être gentilhomme,c’est-à-dire appartenir à la haute noblesse et en représenter une des figures les plus estimables (« C’est le plus accompli gentilhomme qui soit », vers 255) ; Casilda, simple suivante, lui dit respectueusement «Votre Grâce » (vers 293) et lui parle à la troisième personne.Il est nommé par le roi,mais à partir d’un choix discrétionnaire où intervient le jeu des recommandations. Sa fonction se situe dans l’intimité de la reine ;don Guritan la décrit en ces termes :« Il faut /Vous tenir cette nuit dans la chambre prochaine / Afin d’ouvrir au roi, s’il venait chez la reine » (vers 272 à 274). La fonction d’écuyer de la reine d’Espagne introduit ainsi Ruy Blas dans le palais royal de façon permanente. e Les deux premiers apartés de la reine s’adressent au roi, son époux. Le premier exprime le soulagement d’une épouse vertueuse qui s’est sentie tentée par des douceurs amoureuses extraconjugales.La reine se croit alors préservée du péché par « un secours du ciel » (vers 228).Le second aparté dit dans un « Hélas » (vers 237) tout le contraire du premier aparté : la reine se sent abandonnée par le roi et par le ciel, et reste donc soumise à la tentation des consolations amoureuses que lui apporte son adorateur inconnu.Elle passe ainsi d’un état d’âme apaisé et rassuré à un état d’âme tourmenté et angoissé. r Cette scène laisse découvrir l’inexistence d’une relation authentique entre la reine et le roi ;l’idée s’impose qu’ils sont des étrangers l’un pour l’autre et que leur mariage, comme beaucoup de mariages royaux le furent,n’est qu’une convention entre États. t L’aparté où la reine reconnaît l’écriture de sa lettre d’amour met en place pour le lecteur le processus de reconnaissance. Pour la reine, il s’agit bien d’un coup de théâtre :elle attendait de cette lettre une consolation d’épouse esseulée,elle y trouve 25 RÉPONSES AUX QUESTIONS une consolation plus coupable,mais bien douce,de femme adorée et vénérée.Pour Ruy Blas, il en résulte une invitation à se rapprocher de la reine et à se soumettre à son pressant interrogatoire ; c’est alors qu’il en dit assez pour compléter les indices en sa faveur, et que, par ses regards et ses faiblesses, il trouble et charme la reine. y On apprend, dans une didascalie, que toutes les femmes de la scène s’empressent « dans le désordre » autour de Ruy Blas évanoui. La reine, en effet, donne pour ainsi dire le ton par le sentiment de surprise charmée mais apitoyée qui la saisit en découvrant le dernier indice de sa tendre enquête ;les tours exclamatifs et elliptiques que prennent ses apartés s’adaptent au bouleversement de son cœur. u À partir du vers 262,les didascalies mettent en place un jeu de scène se rattachant d’abord au protocole de cour mais se transformant très vite en jeu de scène amoureux, avec trouble, tressaillement, évanouissement, longs regards. Les apartés sont nombreux et expriment les exaltations du cœur ; ils introduisent par leur brièveté une montée de l’intensité dramatique que transcrivent avec force les fragmentations de l’alexandrin. i Les apartés comiques de cette scène s’opposent par le sentiment que chacun d’eux exprime.Le premier est, au vers 258, celui de don Guritan qui exprime une jalousie inquiète et spontanée à l’égard de Ruy Blas dont pourtant il ne sait rien ; son intuition de vieux soupirant est comique car elle trouve son origine dans un complexe lié à l’âge.Le second aparté comique est celui de Casilda,au vers 298.Casilda aussi manifeste une clairvoyance particulière à l’égard de la reine et, bien qu’elle ne fasse pas allusion à Ruy Blas,elle exprime une pensée qui sous-entend un projet de la reine à propos de son nouvel écuyer ;le comique tient ici à son attitude d’observatrice évoquée par la didascalie, « CASILDA, la regardant sortir », et au ton enjoué et familier de sa remarque : « La reine a dans l’esprit quelque chose » (vers 298). o La grande élégance de Ruy Blas,comte de Garofa,dans le superbe vêtement que signale la didascalie d’ouverture,est manifeste,si l’on s’en tient à la séduction immédiate qu’il exerce sur la reine,et à la non moins immédiate jalousie de don Guritan. Mais sa manchette déchirée et sa main gauche « enveloppée de linges ensanglantés » viennent rappeler qu’il porte encore une partie de la vêture de Ruy Blas, laquais déguisé par don Salluste en aristocrate. q La question exclamative inscrite dans le second hémistiche du vers 227 peut être entendue de deux façons, l’une et l’autre douloureuses. Ruy Blas, s’il songe alors à don Salluste,souffre d’avoir à associer sa passion à l’ordre que son maître lui a donné à la fin de l’acte I, lui imposant de plaire à la reine et d’être son amant. S’il songe à la missive du roi qu’il apporte à la reine, il renoue avec la violente jalousie qu’il 26 Acte II, scène 3 a exprimée devant Zafari, jalousie envers un roi qu’il a alors traité d’imbécile et de sot. Rien dans la suite de la scène ne permet de lever cette ambiguïté. On peut toutefois associer ces deux interprétations en considérant l’interrogatif « qui » comme un pronom pluriel. s L’ordre de la reine qui confirme que le déguisement de Ruy Blas reste insoupçonnable est son ordre de conduite du nouvel écuyer « en son logis » (vers 295). Elle marque par là qu’elle l’investit elle-même dans ses fonctions d’écuyer et qu’elle le considère comme faisant partie de la maison royale et méritant escorte. d Don Guritan,en voyant Ruy Blas,croit aussitôt qu’il a un jeune et beau rival avec assez de classe pour plaire à la reine ; son comportement, tel que le décrit la didascalie finale,fait référence à un duel,auquel il renonce après avoir constaté l’inégalité des épées : don Guritan montre par là qu’il a avec Ruy Blas un conflit qu’il n’envisage de traiter qu’en termes aristocratiques, c’est-à-dire par un duel équitable. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 119 À 123) Examen des textes a On peut doublement associer la scène 3 de l’acte II de Ruy Blas et la scène 4 de l’acte III de L’École des femmes.En effet,dans chacune de ces scènes,on voit un objet intervenir dans l’action et en modifier le cours.La deuxième analogie relève de l’action elle-même qui, dans les deux cas, est une action autour d’amours interdites. La lettre du roi écrite par Ruy Blas met aux pieds de la reine le jeune amant dont elle se languit en secret ; le grès d’Arnolphe, pour chasser Horace et tenir Agnès, se fait le messager complice des deux jeunes amoureux. z On peut trouver dans la fable Les Femmes et le secret la structure d’une comédie en cinq actes : – acte I (vers 5 à 13), acte d’exposition pour présenter les personnages et l’action : mise à l’épreuve de la discrétion de l’épouse ; – acte II (vers 14 à 26), 1er obstacle : la trahison du secret par l’épouse ; – acte III (vers 27 à 31), 2e obstacle : la trahison du secret, aggravée par la voisine et une autre commère ; – acte IV (vers 32 à 35), retournement de situation : « renommée » du secret ; – acte V (vers 36 et 37), dénouement : nouvelle vérité construite par la rumeur. On peut aussi suivre un schéma ternaire de comédie : équilibre, déséquilibre, nouvel équilibre, c’est-à-dire, ici, secret, trahisons, « renommée ». e Arnolphe et le mari « pondeur » sont victimes de leur vanité masculine qui leur laisse l’illusion d’une autorité incontestée sur les femmes de leur entourage. Leur échec est le même : on les trahit avec élan et parfaite hypocrisie.Agnès entoure le 27 RÉPONSES AUX QUESTIONS grès qu’elle doit lancer d’un mot doux pour son jeune amoureux,Horace ;la femme indiscrète s’empresse de désobéir et profite de l’aube pour trahir son mari. r Du point de vue du lecteur, les objets évoqués dans le corpus ont, dans tous les cas, une force comique ou tout du moins divertissante : lettre et dentelles, dans la scène 3 de l’acte II de Ruy Blas, viennent animer une scène d’où tous les personnages sortent heureux et satisfaits, à l’exclusion du ridicule don Guritan ; quant au grès d’Arnolphe ou à l’œuf du mari « pondeur », ils ont la force comique d’objets qui stimulent le goût de la désobéissance et renversent la situation de personnages peu sympathiques. En revanche, du côté des héros, le corpus révèle des points de vue très variés sur les objets mis en scène.C’est ainsi qu’Arnolphe,entendant l’usage détourné qu’a fait Agnès du grès vengeur, dit sa déconvenue dans une antiphrase pathétique : « Oui, fort plaisant. » Le jeune Horace est, lui, comblé par ce projectile. Dans Ruy Blas, la lettre du roi, laconique et indigente, blesse d’abord cruellement la reine qui en attendait un sincère message amoureux ;son « Hélas ! » dit de façon dépouillée mais forte sa désillusion ;et quand elle constate qu’en plus cette lettre est dictée,elle s’exclame avec humeur « Rien que sa signature ! » (vers 245).Mais tout ce pathétique fait place à l’exaltation amoureuse quand la reine reconnaît l’écriture qui enflamme son cœur. L’objet « lettre du roi » se transforme en indice amoureux qui ne concerne plus le roi. On peut ainsi voir, à travers ces différents extraits, la fonction de l’objet dans la détermination des tons. t Chacun de ces textes révèle à sa façon la fonction de déguisement que peuvent prendre les objets.Le manteau de Ruy Blas sert à déguiser le laquais et à masquer la main blessée de l’amoureux intrépide.Le grès que lance Agnès simule sa soumission à Arnolphe et sa docilité. L’œuf du mari « pondeur » est un détour pour exprimer sa méfiance à l’égard de sa femme et sa curiosité d’inquisiteur. Travaux d’écriture Question préliminaire La fonction des objets dans les extraits du corpus n’est pas seulement le déguisement ;elle est aussi métonymie de transgression. Ainsi est rendu lisible le défi à l’ordre établi que représente l’action des personnages. Dans la scène 3 de l’acte II de Ruy Blas, le vêtement de gentilhomme de Ruy Blas reflète deux transgressions : le complot de don Salluste contre la reine d’Espagne et la complicité de Ruy Blas nourrie de sa jalousie envers le roi.Une troisième transgression est connotée par le jeu des dentelles :la manchette souillée de sang de Ruy Blas et le morceau de dentelle, « relique amoureuse » de la reine, sont des métonymies d’amours secrètes et adultères. 28 Acte II, scène 3 Dans l’extrait de la scène 4 de l’acte III de L’École des femmes, le grès met en scène une désobéissance associée à une trahison amoureuse,Arnolphe agissant auprès d’Agnès en tant que tuteur et en tant que futur époux. Le projectile conçu par Arnolphe est utilisé par Agnès pour une double transgression :celle du devoir d’une mineure, celle du devoir d’une fiancée. Le grès d’Arnolphe permet en fait à Agnès de transgresser toutes ses aliénations et de conquérir la parole par l’écrit. Dans la fable Les Femmes et le secret, les transgressions suscitées par l’œuf du mari « pondeur » sont d’ordre social. La fable investit l’œuf d’un pouvoir d’allusion très caricaturale à la rumeur publique, rumeur avide de sensationnel et toujours prête à transgresser tant les règles de la discrétion que celles du bon sens. On est là dans l’évocation d’une transgression collective du vrai et du vraisemblable. Commentaire Horace interrompt ici son récit pour exprimer sa réflexion sur les « miracles » imprévisibles de l’amour. Cette réflexion évolue en trois temps : les généralités, le cas d’Agnès, l’indéniable vérité de la thèse d’Horace. La pédagogie de l’exposé est comique par l’intensité dramatique qu’elle introduit pour Arnolphe qui se préoccupe, lui, des faits et non des idées et des thèses. 1. Le ralenti de la réflexion d’Horace a) Horace prend son temps pour dire le « trait hardi » d’Agnès :dix vers sont consacrés à des généralités sur les « miracles » de l’amour. b) Horace s’applique à donner une image rassurante de lui-même et de sa façon très sérieuse et très lucide de concevoir l’amour. Il veut visiblement imposer sa maturité. Il développe certes un lieu commun, mais le fait avec application : présent de vérité générale,expression de l’universel par le jeu des pronoms,force des exemples paradoxaux. c) Le cas d’Agnès est examiné comme un exemple significatif de la thèse développée, sans précipitation, en suivant l’ordre des événements : la formule de rupture imposée par le tuteur jaloux est rapportée au style direct, puis vient ensuite le coup de théâtre de la lettre,freiné par les lenteurs de la périphrase « un mot de lettre ». 2. Le comique de ce ralenti a) La vanité d’Horace : avec ses platitudes de moraliste, il est certain d’avoir été profond et convaincant et conclut ses révélations sur Agnès en revenant aux généralités, qu’il présente en conclusion avec le clinquant de questions oratoires. En fait, Arnolphe n’a eu à s’intéresser qu’à quatre de ses vers (« Cette pierre… pierre jetée »). b) Le double sens de l’exposé :l’exposé d’Horace a beau être plat,il s’entend comme un discours propre à faire haleter Arnolphe,à l’abasourdir et à le désespérer d’un seul coup, avec ces deux vers : « Cette pierre ou ce grès, dont vous vous étonniez, / Avec un mot de lettre est tombée à mes pieds. » 29 RÉPONSES AUX QUESTIONS 3. La redistribution des rôles a) La lettre d’Agnès est présentée là comme une initiative propre de la jeune fille,un démenti aux gestes et aux paroles imposés par Arnolphe,le tuteur jaloux :elle passe, par cette lettre, du statut de personnage « objet » au statut de personnage « sujet » ; Horace est maintenant l’objet et Arnolphe l’opposant. b) Horace, selon l’usage qu’il va faire de cette lettre, peut servir ou desservir Agnès. Ses révélations ou non révélations sont déterminantes pour l’action à venir, pour la conduite d’Arnolphe. c) Arnolphe sait maintenant que son autorité est contestée délibérément par Agnès : deux rôles s’offrent à lui, celui de la victime ou celui du bourreau. La lettre d’Agnès,avant même d’être lue,donne un nouvel éclairage sur les personnages et l’action. Ce retournement respecte les exigences du comique car il s’associe au ridicule d’un barbon trompé et à celui d’un jeune blondin, plastronnant quelque peu. Dissertation Proposition d’un plan analytique. La part de plus en plus importante que le réel a prise dans la littérature a donné à l’objet une place de plus en plus effective et fonctionnelle dans l’œuvre littéraire. 1. La remarque d’Anne Ubersfeld part d’un constat facile à confirmer par les exemples. a) Objets emblématiques d’une œuvre, d’un héros, d’une action : – la rose de Cassandre (Ronsard) ; – la cassette d’Harpagon (Molière) ; – l’alambic de L’Assommoir (Zola). b) Objets attachés à des évolutions déterminantes d’un personnage ou d’une action : – l’épée d’Hippolyte emportée par Phèdre (Racine) ; – les vêtements successifs de Ruy Blas (V. Hugo) ; – le couteau du Professeur (Ionesco, La Leçon). 2. On peut en outre préciser ce constat en observant de plus près le rôle d’actants que peuvent avoir des objets. a) Les objets qui ont une fonction rhétorique, qui produisent du discours : – l’épée de don Diègue (Corneille) ; – la haire et la discipline de Tartuffe (Molière) ; – le bouquet de Ruy Blas à la reine (V. Hugo) ; – les clés secrètes de don Salluste (V. Hugo). b) Les objets qui produisent de l’action et des rapports humains : – les fouaces des fouaciers de Lerné (Rabelais) ; – le bâton de la Croix de frère Jean des Entommeures (Rabelais) ; – le grès lancé par Agnès à Horace (Molière) ; 30 Acte II, scène 3 – l’abat-jour, complice de Fabrice del Dongo (Stendhal) ; – le morceau de dentelle de la manchette de Ruy Blas (V. Hugo) ; – la fiole de poison de Ruy Blas (V. Hugo). c) Les objets qui produisent tout le sens d’une œuvre. – La Peau de chagrin, talisman de Raphaël de Valentin (Balzac) ; – Au Bonheur des Dames, le grand magasin porteur de mort et de succès (Zola) ; – Les Chaises de Ionesco ; – Le Parti pris des choses, de Francis Ponge. 3. Le théâtre est le genre littéraire qui permet de privilégier le plus largement l’objet : auteur, metteur en scène et acteurs peuvent s’associer pour développer la créativité de l’objet, tout le sens qu’il peut produire. a) Le metteur en scène peut intervenir pour mettre en valeur tel ou tel objet, par sa place ou son éclairage, choisir un décor qui exprime sa lecture personnelle de la pièce jouée ; l’objet transmet alors le texte et une lecture du texte ; le spectateur reçoit une double convocation. b) Le physique de l’acteur et son vêtement interviennent en tant qu’objets évolutifs et producteurs de sens.La différence est grande entre unTartuffe séduisant et unTartuffe tel que le décrit la servante Dorine :« Gros et gras,le teint frais,et la bouche vermeille.» c) Sur scène, les objets fonctionnent comme des outils de liberté ou d’approfondissement. L’écrivain peut faire intervenir l’objet avec la même liberté que le peintre ; il le fait sujet, objet de premier plan ou élément de décor, selon les besoins et les finalités de sa création. Écriture d’invention 1. Situation initiale Une jeune beauté doit lancer une pierre sur un jeune galant qui la courtise, et lui dire nettement qu’elle renonce à l’entendre. Il s’agit d’obéir à un tuteur jaloux. 2. Élément perturbateur Le jeune galant arrive. Elle lui dit son couplet vertueux et lance, de son balcon, le grès de la rupture. 3. Péripéties Le grès tombe aux pieds du jeune homme.Sa couleur n’est pas unie.Le jeune homme le ramasse et voit qu’une feuille l’entoure. 4. Résolution La belle a disparu. Le jeune homme se met à lire, à rire et fredonner. 5. Situation finale Le jeune homme dépose un baiser sur le message apporté par l’étonnant et rusé projectile, venu tout à son gré lui dire qu’on l’aimait. 31 RÉPONSES AUX QUESTIONS Acte II, scène 4 (pp. 124 à 127) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 4 a Don Guritan,depuis la scène précédente,a exprimé son intention de provoquer Ruy Blas en duel. Dans la scène 4, il le lui fait comprendre d’abord par allusions. Une première remarque parle d’épées de même longueur ; trois récits de vie rapportent ensuite, avec maintes précisions, trois rivalités amoureuses où il a triomphé dans des duels vengeurs. Puis il tire une sorte de morale de cette série de récits en convoquant Ruy Blas selon les règles des provocations en duel,c’est-à-dire en fixant la date, l’heure et le lieu où il l’attendra pour se battre. Les raisons de cette provocation s’expriment ensuite en deux temps :le temps de la satire puis celui de l’humble mais violente jalousie, dans un parallèle très sincère et très réaliste. Du vers 333 au vers 338,don Guritan entoure de ses sarcasmes les allusions qu’il fait à la défaillance de Ruy Blas, au cours de la scène précédente ; malgré les pluriels, « godelureaux », « beaux damerets », il est clairement visé. Cette satire sert d’ouverture à l’exposé, sans ambages, des raisons qu’a don Guritan d’être jaloux de Ruy Blas et de devoir le tuer ; elles se résument au fait que don Guritan n’a rien de ce qu’a Ruy Blas pour plaire à la reine. Ces longs préambules pour arriver aux trois vers essentiels, 355 à 357, permettent d’approfondir le comique du personnage et donnent de la réalité à la menace qu’il fait peser sur Ruy Blas. z Les trois aventures galantes que rapporte don Guritan, par de fortes et insistantes symétries,le présentent comme un jaloux impénitent et comme un duelliste invaincu et donc invincible. On peut s’amuser là du vieil homme cherchant à épater et à intimider son jeune rival. e Don Guritan évoque Ruy Blas avec trois lexiques différents. Il le croit gentilhomme et lui parle comme tel, avec le lexique de bravoure qui se rattache aux traditions de la haute noblesse (vers 325, 360 à 362).Avec ses yeux de personnage d’un autre âge, il le voit et le présente comme une figure à la mode du jour, en opposition avec les valeurs de son temps à lui :on a là tout un champ lexical appartenant au registre de la préciosité (vers 333 à 338, 355-356) ; don Guritan semble parler de son rival comme d’un petit marquis de Molière. Le troisième portrait que le vieux majordome trace de Ruy Blas est celui d’un vainqueur ;pour tracer ce portrait,il se sert d’un champ lexical métaphorique,celui de la nourriture (vers 346 à 349). Le trait que l’on retrouve dans ces trois portraits, et qui les unifie, est celui de la jeunesse (« godelureaux », « jeune gaillard », « brave jeune homme »). r L’action dans Ruy Blas est initiée par don Salluste, mais également par l’amour de Ruy Blas pour la reine. Ruy Blas est le sujet, la reine est l’objet et le destinataire 32 Acte II, scène 4 peut être dit le néant. Dans la scène 4 de l’acte II, Ruy Blas a désormais un opposant, don Guritan. t Par quelques formules péremptoires,don Guritan condamne à mort Ruy Blas : – vers 357 : « Il faut que je vous tue » ; – vers 360 : « Nous nous égorgerons galamment, s’il vous plaît » ; – vers 365-366 :« Être sûr de mourir et faire de la sorte,/ C’est d’un brave jeune homme ! » y Don Guritan a beau tenir des propos menaçants envers Ruy Blas, d’un bout à l’autre de la scène son attitude passe de la froideur à une sorte de sympathie complice. La didascalie qui suit le vers 362 indique un geste de courtoisie qui vient renforcer les hommages rendus à leur égale noblesse, par le jeu de la première personne du pluriel (vers 361-362). Le mot de la fin est d’ailleurs une sorte d’aveu de sympathie pour Ruy Blas que se fait à soi-même don Guritan en le qualifiant de « brave jeune homme ». u Les trois épisodes de son existence que retrace don Guritan ressuscitent un passé où violence et galanterie s’associent avec un code d’honneur brutal dont la règle est le crime. La jalousie amoureuse est là obsessionnellement exterminatrice : don Guritan dit s’être vengé jusqu’à tuer un valet porteur de billet doux. Le vieux majordome a beau avoir la goutte, il reste inquiétant par cette expérience qu’il a de l’épée et par le fait que Ruy Blas n’a ni la pratique ni le tempérament d’un bretteur. i Les verbes par lesquels s’exprime le projet du duel sont à l’indicatif futur et résonnent ainsi comme des certitudes.Le lexique des armes est d’une précision absolue : épées de même longueur (vers 300), épée et dague pour s’égorger en dignes gentilshommes (vers 361). Quant au lexique qui note les lieux et les heures du duel, non seulement il est précis,mais en plus il se répète en se complétant :premier énoncé aux vers 323 à 325, second énoncé aux vers 358 à 362. L’immédiate sagacité de Casilda enlève un peu de la tension liée à l’imminence de ce duel ; en effet, la décision qu’elle prend d’avertir aussitôt la reine laisse attendre une solution d’apaisement. o Casilda vient aussi détendre l’atmosphère,comme une soubrette de comédie,par les jeux de scène mettant en avant sa discrétion et sa vélocité. La didascalie qui l’introduit dans la scène note qu’elle est à l’affût et montre qu’elle sait très bien faire pour écouter sans être vue. La didascalie suivante rend évident son art de disparaître aussi discrètement qu’elle est venue. Elle révèle là des talents essentiels aux valets et soubrettes de comédie pour être efficaces dans les petites et grandes affaires de leurs maîtres. 33 RÉPONSES AUX QUESTIONS q La didascalie qui clôt la scène et annonce l’arrivée de la reine vient cautionner les éléments rassurants apportés par Casilda. s Ruy Blas commence par s’interroger sur les allusions aux épées « de pareille longueur » (vers 300) : il pense encore comme un laquais. Son incompréhension du réflexe duelliste d’un vieil aristocrate se maintient jusqu’au vers 321.Du vers 328 au vers 339, il mêle réponse de grand seigneur et question de laquais. Ce n’est qu’à partir du vers 357 qu’il traite en parfait grand seigneur les menaces de don Guritan. Les mots de don Guritan viennent confirmer que Ruy Blas joue alors parfaitement son rôle de jeune grand d’Espagne. d Les « nous » des vers 360 et 362 intronisent Ruy Blas, sans réserves, dans les hauteurs aristocratiques ; l’oxymore « nous nous égorgerons galamment » introduit en plus un humour qui se veut complicité entre gens bien nés. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 130 À 134) Examen des textes a Le schéma logique de la tirade de don Guritan (vers 339 à 357) est celui d’une argumentation déductive qui examine une suite de causes et de conséquences annexes pour fonder la bonne conclusion (vers 357) à tirer de la thèse de départ : « L’un de nous est de trop dans ce palais. » z Ce schéma établit l’équation suivante : rivalité amoureuse + vieillesse + jeunesse = duel + vieillesse tueuse + jeunesse tuée. La violence sanguinaire inscrite dans ce schéma est tragique ; mais Hugo en privilégie le grotesque grâce aux précisions qu’apporte don Guritan sur les faiblesses physiques attachées à son âge : son « Il faut que je vous tue » perd ainsi beaucoup de sa force menaçante. e Le lien qu’établit le texte entre art d’aimer et art de combattre s’observe à trois niveaux. La jeune fille, qualifiée d’« intelligente », agit en fonction de ce lien et stimule, avec l’argument amoureux, la lutte de Lancelot. L’autre niveau est celui de l’évolution du combat qui est marquée par un retournement en faveur de Lancelot dès lors que celui-ci combat en ayant sous les yeux cette tour qu’il est si doux de regarder.Le troisième niveau est celui des commentaires du narrateur qui analyse le triomphe de Lancelot comme un exploit inspiré par le dieu Amour. r Rodrigue offre sa soumission à Chimène, son « respect amoureux », sa mort, en deux alternatives :la première est celle des plus périlleux exploits guerriers,la seconde celle de son exécution par la main même de Chimène. Le ton de la tirade s’adapte 34 Acte II, scène 4 à chacun de ces choix et passe de la bravoure à une tristesse grave. C’est le ton de la bravoure qui fait écho à l’idéal courtois, en rappelant l’association de la prouesse à la passion amoureuse. t À travers ces trois extraits circulent trois degrés de la vaillance héroïque. La plus dérisoire,la plus artificielle est celle de don Guritan associant sa vaillance à une jalousie déplacée et surfaite.La plus désintéressée et la plus périlleuse est celle de Rodrigue qui associe le sacrifice amoureux de sa vie à des exploits guerriers pouvant servir la grandeur de l’empire espagnol.La vaillance de Lancelot est admirable mais avide de récompense immédiate :le chevalier trouve sa force indomptable quand il se sait sous les yeux de la reine qu’il vient délivrer ; sa vaillance a un très noble prétexte mais elle n’est pas gratuite. Travaux d’écriture Question préliminaire Étudier le symbolisme amoureux présent dans ces extraits conduit à analyser la force suggestive de l’amour dans chacun des textes.Les trois extraits ont en commun d’associer amour et violence et de faire retrouver ainsi la double thématique tragique d’éros et thanatos. En revanche, chaque texte garde sa singularité si l’on étudie les fonctions de ce symbolisme. Dans Ruy Blas, on voit le personnage de don Guritan mettre en parallèle amour et violence dans un réflexe de Méditerranéen stimulé par sa morgue aristocratique :c’est la mort,par l’épée,pour quiconque éveille sa jalousie. Cette jalousie ombrageuse, que l’on qualifierait familièrement de « musclée », donne au symbole de la violence une fonction satirique, voire caricaturale. À l’opposé, on a la violence de Lancelot et celle de Rodrigue qui servent à transcender l’amour de l’un et de l’autre, et deviennent par là symboles d’énergie et de vertu héroïques.L’amour leur fait lancer des défis à la mort et décuple leur vaillance.Chez Rodrigue, toutefois, le symbolisme amoureux attaché à la violence guerrière s’enrichit du symbolisme religieux de la rédemption des fautes ; le héros attend de ses prouesses de combattant qu’elles puissent « laver » son crime,obstacle à l’amour de Chimène. Le symbolisme amoureux le plus complexe est ainsi celui qu’exprime l’extrait du Cid ;le plus creux est celui mis en place pour ridiculiser don Guritan ;le plus conventionnel apparaît chez Chrétien de Troyes qui développe le lieu commun de l’amour, force surnaturelle, instrument de miracles. Commentaire Rodrigue ne semble pas croire aux injonctions apaisantes de l’Infante adressées à Chimène et s’attache aussitôt à laisser à celle-ci la pleine liberté de décider de son 35 RÉPONSES AUX QUESTIONS sort. Rodrigue, en se jetant à ses genoux, investit Chimène d’un pouvoir de justice qui appartient normalement à la royauté ; aussi demande-t-il au roi de ne pas s’offenser de l’effet de lèse-majesté que crée son attitude. Rodrigue, ici, évoque en dramaturge deux scènes possibles du pardon de Chimène.On trouve ainsi dans cette tirade d’évidents traits du baroque de Corneille. 1. Le mouvement paradoxal de la tirade a) Un autoportrait virtuel de vainqueur capable « Des héros fabuleux passer la renommée » pour « laver » son crime. b) Un tableau d’expiation saisissant :l’« invincible » exécuté par l’« honneur » « inexorable » de Chimène. 2. Une tirade pour séduire a) Une tirade qui flatte Chimène en lui conférant un pouvoir royal de justice et en la sublimant presque comme une déesse antique qui a à faire triompher son « honneur » et sa « gloire ». b) Une tirade qui propose à Chimène un contrat amoureux avec un héros exceptionnel, mort ou vif. c) Une tirade dont le mot de la fin est une déclaration d’amour pathétique. 3. Une tirade baroque a) Du théâtre dans le théâtre : les deux hypothèses développées par Rodrigue s’actualisent en deux tableaux très forts, la conquête du monde et la tête offerte à la vengeance. b) Parti pris de démesure : démesure des vertus de Rodrigue, démesure et incohérence de la vengeance associée à la déploration. Cette tirade est porteuse d’ampleurs et d’exagérations qui permettent d’éclairer le conflit ayant opposé l’auteur du Cid aux doctes,attachés à instaurer la vraisemblance et les bienséances classiques. Dissertation Proposition d’un plan analytique. La culture contemporaine est riche de noms de héros associés à des prouesses. 1. La prouesse, thème représentant l’héritage du passé. a) Notre culture a de la mémoire pour les héros du passé dont l’œuvre d’art,qu’elle soit picturale, sculpturale ou littéraire, célèbre les prouesses. Elle les fait revivre dans les modes d’expression les plus populaires que sont le cinéma et la bande dessinée : leurs prouesses restent ainsi des références bien vivantes. b) Elle en tire des « clones » modernes qui donnent une image valorisée des diverses formes de prouesses : Hercule a une large descendance dans le cinéma américain. 2. La prouesse est aussi un thème dont la vitalité est entretenue par l’actualité. a) L’actualité révolutionnaire et guerrière, depuis deux siècles, met le thème à la 36 Acte II, scène 4 « une » ; la presse, en effet, devance et relaie les arts pour raconter et montrer les prouesses de notre temps. b) Le développement du message par l’image apporte un raccourci d’une étonnante efficacité pour la transmission du thème. 3. « Démocratisation » du thème. a) La culture contemporaine aime traiter ce thème de façon paradoxale :le syndrome Tintin. b) L’olympisme et la médiatisation du sport inscrivent le thème dans le quotidien d’un public très populaire. Écriture d’invention La réécriture de l’extrait de Lancelot en termes de reportage sportif impose trois contraintes : 1. Exclure le dialogue entre la reine et la jeune fille de sa suite. 2. Développer la peinture du public et de ses réactions et prises de parti avec une insistance particulière sur les deux moments où Lancelot se laisse conduire par les injonctions de la jeune fille. 3. Accorder aux deux adversaires une part d’intérêt égale. Cet exercice est un entraînement au maniement du récit en focalisation externe. 37 RÉPONSES AUX QUESTIONS Acte III, scène 2 (pp. 148 à 155) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT ( VERS 78 À 178) a Ruy Blas prend la parole en jouant la surprise. La première didascalie le dit simplement avec le participe « survenant ». Il prolonge les effets de surprise et d’inquiétude de ce jeu par son silence, ses gestes et ses regards. La seconde didascalie en donne le contenu. z La simultanéité du jeu de scène et de ses effets sur les conseillers trouve sa lisibilité dans la gravure de la page 140, grâce à la position dominante de Ruy Blas par rapport à ces mêmes conseillers. L’éparpillement des feuilles au premier plan et la consternation affolée de deux visages, l’un de face, l’autre de profil, induisent plus que ne dit le début de la scène. La gravure, avec l’expressivité de ces deux visages, montre la corruption perdant contenance ;les mouvements de jambes des conseillers qui restent de dos, regardant en direction de Ruy Blas, confirment cet effet, ainsi que le fauteuil, mal tenu et donc près de tomber. La gravure associe Ruy Blas à la figure d’un justicier et les conseillers à un groupe d’escrocs pris sur le fait. e Trois métaphores triviales se succèdent pour donner toute leur force aux antiphrases des vers 78 et 79. La première est celle de serviteurs voleurs (vers 80) ; la deuxième de serviteurs qui se remplissent les poches et se sauvent quand leur maître agonise (vers 81 à 84) ; la troisième, plus accusatrice encore, compare les conseillers véreux à des fossoyeurs pilleurs de tombe (vers 86). La métaphore du maître à l’agonie,dépouillé par ses serviteurs,se maintient dans la suite de la tirade et cela avec une force particulière aux vers 155 à 158. r Le déclin international d’une Espagne qui a dominé l’Europe et le monde s’exprime dans l’image infamante d’« un égout où vient l’impureté / De toute nation » (vers 128-129) et dans celle, pitoyable et pathétique, d’un « aigle impérial », « pauvre oiseau plumé » (vers 176 et 178).Le peuple,« ce grand peuple espagnol » (vers 155),après avoir été évoqué à travers ses charges et sa misère, est présenté comme le héros pitoyable d’une fable tragique, dans l’image dégradante d’un « lion mangé par la vermine » (vers 158). t L’insécurité du royaume est évoquée à travers une suite de notations qui associent trois champs lexicaux : celui des armes, celui de la délinquance et celui de la corruption. y L’adresse à Charles Quint est entièrement formulée avec le tutoiement. u Il y a dans cette tirade une modalité de phrase dominante qui est la phrase exclamative. Mais il faut aussi noter l’importance que prennent quelques phrases 38 Acte III, scène 2 impératives (vers 85, 87, 111, 161) venant, en quelque sorte, orchestrer les passages consacrés aux bilans catastrophiques que dresse Ruy Blas. La phrase interrogative est présente sous forme de questions oratoires (vers 107, 138, 173). L’éloquence de Ruy Blas instrumentalise ces trois modalités pour exprimer sa fureur outrée. i L’anathème qui sert de sentence contre les conseillers malhonnêtes apparaît en début de tirade, au vers 85, « Soyez flétris, devant votre pays qui tombe ». o Le jeu des pronoms est un indice qui permet de distinguer les malheurs de l’Espagne imputables à la corruption des conseillers et ceux qui s’expliquent par une régression collective.Le « vous » domine et sert de référence pour dire la déchéance, la corruption et l’impéritie. Le « nous », plus rare (quatre occurrences), est une référence qui sert à l’apitoiement. Par cette alternance pronominale, la tirade présente en quelque sorte les causes (« vous ») et les effets (« nous ») du malheur de l’Espagne : Ruy Blas accuse ainsi les conseillers d’avoir entraîné le malheur et la déchéance de tout le peuple espagnol. q L’éloquence de Ruy Blas impose à l’imagination des conseillers plusieurs tableaux saisissants.Deux de ces tableaux,introduits par un « Mais voyez »,concernent la place internationale de l’Espagne, et chacun d’eux présente un déclin particulier de l’État espagnol. Le premier a pour thème l’Espagne à l’échelon planétaire ; le vers 89 résume,par «Tout s’en va »,ce qui ensuite est montré en détail,comme si l’on suivait les pertes de l’empire espagnol sur un planisphère.Le deuxième tableau décrit, comme en un dessin humoristique chargé,l’effacement européen de l’Espagne ;le vers 96 donne, en introduction, une légende à ce tableau : « L’Europe, qui vous hait, vous regarde en riant.» C’est encore par des hypotyposes que Ruy Blas dresse le bilan désastreux de la politique intérieure du gouvernement. Il offre à son auditoire la contemplation d’une succession de scènes criminelles, dans les campagnes et dans les villes, dans les provinces et dans Madrid. Il donne à quelques-unes de ces scènes un relief d’authenticité particulier : dans l’une il est lui-même acteur, victime d’un voleur (vers 134) ;dans une autre il montre le redoutable Matalobos (vers 144-145) ; enfin il donne à voir la terrible image d’un roi « plein de deuil et d’effroi » (vers 148) que des paysans osent insulter. Ce terrible compte rendu des réalités espagnoles est humiliant pour des aristocrates donnant encore du sens à leur dignité internationale, à leur prestigieux passé de « vainqueurs du monde » (vers 137) ; mais c’est là aussi un bilan annonciateur de la mort d’un régime et d’une nation. s Le discours de Ruy Blas rend victime le peuple dans sa souffrance (vers 112 à 117) et sa violence (vers 124). Les coupables, les « sales figures » qui apparaissent dans le détail des visions offertes sont, bien sûr, celles des conseillers et de « tout seigneur » (vers 129).Le réquisitoire en effet vise l’ensemble des puissants du royaume : 39 RÉPONSES AUX QUESTIONS les exploiteurs (vers 114-115), les profiteurs (vers 154), les iniques (vers 132) et les vendus (vers 136). Ce qu’il y a de noirceur et de menaces, dans les bandes errantes que décrit Ruy Blas,représente davantage un fond de décor pitoyable qu’un groupe d’individus à condamner : les soldats hors-la-loi sont des soldats sans solde. d Les informations présentées dans cette tirade décrivent une anarchie aux allures prérévolutionnaires.Tout ce qui fonde l’État à l’intérieur est déliquescent ou corrompu :la Royauté,l’Église,la Justice,l’Armée.Ruy Blas souligne aussi l’isolement international du pays et l’attente hostile et impatiente des pays européens devant le déclin espagnol. Cette peinture, indéniablement exacte, de la situation de l’Espagne à la fin du XVIIe siècle a inspiré aussi une lecture de la tirade de Ruy Blas comme un écho aux faiblesses de la monarchie de Juillet,Victor Hugo commençant là à militer en faveur du peuple. f L’adresse à Charles Quint est composée en deux parties qui s’opposent.Une fois l’appel lancé (vers 159 à 163), on observe un retour sur le passé, formulé à l’imparfait, mais relativement court (vers 165 à 167) par rapport à l’évocation qui suit (vers 168 à 178) et qui clôt la tirade. En trois vers, Ruy Blas fait ressurgir le glorieux passé du grand empereur ; en dix vers, il décrit la débâcle offensante de son hégémonie dans le présent. On retrouve dans cette opposition celle même que Hugo présente dans la Préface entre Hernani et Ruy Blas : « Dans Hernani, le soleil de la maison d’Autriche se lève ; dans Ruy Blas, il se couche. » g Au vers 168, l’appel au grand homme, qui a d’abord été invocation, devient une douloureuse palinodie, à travers le tableau épique que trace Ruy Blas de son apogée agonisante.Ce tableau en effet prend les symboles les plus forts de la lumière et de la puissance pour les associer à des images de dégradation repoussante ou vulgaire : « Lune aux trois quarts rongée », «Tes splendeurs, / On les souille ! », et la suite des vers 169 à 178. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 160 À 164) Examen des textes a Les textes B et C font chacun un récit de guerre impressionnant par les tableaux qui s’y succèdent. a) Texte B, deux tableaux : – attaque nocturne et incendie d’un moulin,bastion royal,par les troupes protestantes ; – supplice fatal d’un enseigne coincé dans une fenêtre, au-dessus des flammes, par le jupon de fer de son armure, et ainsi brûlé lentement sans pouvoir être secouru. 40 Acte III, scène 2 b) Texte C, trois tableaux : – assaut des soixante-douze éléphants contre les mercenaires ; – résistance des mercenaires ; – défaite des éléphants et supplice de l’un d’entre eux. La succession de ces tableaux suit un mouvement en crescendo de l’horreur avec, dans chacun des textes, une victime emblématique d’une sorte de paroxysme de l’horreur. Chez Mérimée, le paroxysme semble atteint quand la clameur de guerre s’élève, sans autre objet que d’oublier les cris de celui qui grille, prisonnier de son armure. Chez Flaubert, l’horreur est plurielle, mais on la saisit, avec une force particulière, dans le gros plan final sur l’interminable et atroce agonie d’un éléphant monstrueux ;le paroxysme est ici comme double :démesure de la victime et démesure de la durée de la souffrance. Le pathétique de l’horreur, dans chacun de ces extraits, est le terme final d’un pathétique qui est, dans son commencement, suscité simplement par un lieu commun des récits de guerre : l’attaque surprise. Toutefois l’évolution du pathétique,dans le texte C,se distingue de celle du texte B car elle se fixe d’abord sur les soldats puis sur les éléphants ; l’amplification pathétique, chez Flaubert, semble progresser avec la taille des victimes évoquées. z Ces trois textes manient différemment l’objectivité historique, mais rendent chacun bien lisible le parti pris du locuteur. – Texte A : parti pris de vérité critique et inquiétante. Objectivité historique parée de subjectivité visionnaire. – Texte B : parti pris d’émotion. Objectivité historique manifeste mais associée à la réflexion morale sur les horreurs de la guerre. – Texte C : parti pris de réalisme fantastique. Illusion historique. e Destinataire privilégié : – par le texte A :les conseillers,grands hommes corrompus et sciant en quelque sorte la branche sur laquelle ils croient prospérer tranquillement ; – par le texte B : le lecteur pacifiste et amateur des récits historiques qui racontent l’inhumanité de la guerre au quotidien ; – par le texte C : le lecteur amateur d’épisodes à sensations fortes. Flaubert disait avoir écrit son roman Salammbô « pour les gens ivres d’antiquités ». r Le talent de Flaubert s’illustre dans le texte C par sa capacité à donner une illusion de réalité forte et vraisemblable,par la précision et le nombre des détails qui décrivent l’action guerrière évoquée,action lointaine et peu connue.La portée d’un tel contenu est à la fois documentaire et épique :le romancier est là poète autant qu’historien. t Les textes B et C disent le réel avec les mots les plus exacts et le constant souci de précision.Le texte A transmet autrement le réel du règne de Charles II.En effet, déclin international,crise financière,insécurité intérieure sont amplifiés et transfor41 RÉPONSES AUX QUESTIONS més par le détour d’images et d’énoncés chargés de réprobation ; les données de ce réel s’imposent comme autant de crimes contre l’État. Ce texte se rapporte à l’histoire de l’Espagne,mais reste un réquisitoire contre les abus de pouvoir de toute une classe de privilégiés. Travaux d’écriture Question préliminaire Le cinéaste Gérard Oury s’est inspiré de Ruy Blas dans un sens de dérision mais est demeuré fidèle à la peinture que fait le héros de la décadence espagnole ; les images de son film, La Folie des grandeurs, montrent le peuple accablé d’impôts et hostile à une aristocratie qui l’exploite. La tirade de Ruy Blas dicte bien d’autres images fortes des désordres intérieurs de l’Espagne, au temps de Charles II. Le bandit Matalobos peut, à lui seul, inspirer un scénario soucieux de mettre en lumière le lien objectif que la grande criminalité finit par établir avec le pouvoir. La tirade peut aussi suggérer un film retraçant les temps de l’apogée de l’Espagne, avec la haute figure de Charles Quint, telle que la présente Ruy Blas. Le texte B peut inspirer un cinéaste cherchant dans les détails de l’histoire l’horrible ou le sublime,et s’attachant à rendre inoubliable le héros anonyme,le martyr oublié, sans autre grandeur que celle de sa souffrance. Le texte C offre un scénario exceptionnel pour un metteur en scène désireux de monter un film à grand spectacle et disposant, bien évidemment, de gros moyens financiers.Le grand écran s’impose pour ce combat,la bataille du Macar,où les guerriers trouvent les voies de l’impossible et où les éléphants vivent dans leur chair le drame d’un effroyable combat.En 1925,le cinéaste Pierre Marodon a réalisé un film, Salammbô ;mais les moyens techniques du cinéma, à cette époque,n’ont pu mettre en œuvre ce que laissent espérer les moyens contemporains pour inscrire l’imaginaire de Flaubert sur la pellicule. Commentaire Mérimée,en retraçant cet épisode des guerres de religions,en France,au XVIe siècle, montre sa capacité à associer son goût du réalisme à la force discrète mais puissante de l’émotion. 1. Le souci de vraisemblance a) Une suite de détails expliqués, justifiés. b) Des indices temporels bien adaptés à une durée que le drame ne rend pas mesurable objectivement. 2. Le pathétique fort mais discret a) Une introduction forte et une comparaison significative. 42 Acte III, scène 2 b) Des détails matériels tragiques. c) Gradation des termes désignant la victime. 3. L’art d’émouvoir en faisant voir a) Ralenti apporté par l’imparfait. b) Le théâtre des sons. Ce texte condamne autant la guerre que la fatalité matérielle. Dissertation Proposition d’un plan analytique. Les éditeurs et les cinéastes ont depuis longtemps montré qu’ils étaient convaincus du goût du public populaire pour le roman historique. 1. Le roman historique,avec les techniques du roman réaliste,capte un public amateur de lectures divertissantes et ancrées,avec une solide vraisemblance,dans un réel prestigieux ou du moins anobli par le temps. 2. Le roman historique, par la diversité du romanesque historique, convoque un large éventail de lecteurs.Les grands auteurs du XIXe siècle témoignent de cette diversité :Alexandre Dumas associe le roman historique au roman d’aventures (Les Trois Mousquetaires),Balzac au roman psychologique (Les Chouans),Victor Hugo au roman épique (Notre-Dame de Paris). Chateaubriand,Vigny, Mérimée,Anatole France, eux aussi, convoquent certaines catégories bien spécifiques de lecteurs. 3. Le roman historique, quand il s’attache à restituer un passé étonnant ou prestigieux, convoque à une lecture agréable et facile, une lecture de divertissement ; souvent les romans historiques ont pu s’adapter à une présentation en romanfeuilleton. Quand il donne à réfléchir sur l’histoire, comme Les Dieux ont soif d’Anatole France, ou L’Espoir, La Condition humaine, Les Conquérants de Malraux, le roman historique entre dans l’espace de la littérature didactique. Écriture d’invention Ce travail de réécriture suggère deux consignes : sobriété et objectivité. Il s’agit de présenter successivement : – grandeur décadente et corruption croissante ; – perte des colonies, perte des territoires européens ; – contestation européenne ; – peuple misérable ; – querelles religieuses ; – insécurité ; – État indigent et sans autorité ; – grave détérioration des grandeurs établies par Charles Quint ; – menace étrangère. 43 RÉPONSES AUX QUESTIONS Acte III, scène 5 (pp. 171 à 181) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT ( VERS 428 À 516) a Ruy Blas, complice de don Salluste, reçoit de celui-ci une leçon d’objectivité. C’est ainsi qu’il lui est reproché de ne pas mesurer le « rôle fantasque » (vers 446) où le tient son déguisement, de mal apprécier sa relation avec la reine (vers 449, «Vous courtisez la reine ici par aventure ») et de mal évaluer les enjeux de sa complicité (vers 437,« il s’agit du destin d’un empire »). Ruy Blas,le valet,reçoit une leçon d’humilité par des rappels directs (vers 440-441) ou indirects de son rang (vers 432,434, 444, 450). Il voit aussi son rôle de valet souligné et son humiliation amplifiée par la dérision d’un faux respect (vers 429,« mon maître ») et une comparaison dégradante (vers 441-442, « un laquais… / N’est qu’un vase où je veux verser ma fantaisie »). Don Salluste n’hésite pas à jouer de la sentence pour insister sur l’infériorité qu’il prétend rappeler à Ruy Blas (vers 443, « De vous autres, mon cher, on fait tout ce qu’on veut »). z Dans cette tirade, don Salluste se construit, par son discours, deux autoportraits : celui du chef de conjuration, paternaliste (vers 434) et protecteur (vers 440), mais aussi plus conscient et plus avisé que son complice,homme de main (vers 439) ; celui du maître de maison jouissant d’une autorité absolue et incontestable,et reprenant presque tous les traits d’un maître esclavagiste (vers 444-445). e Ruy Blas a devant lui un homme qui prend avec une hauteur moqueuse ses premières protestations suppliantes.Quand il passe aux menaces,don Salluste garde son sang-froid mais conduit, avec un plaisir non dissimulé, un discours qui culpabilise Ruy Blas. Le maître s’enferme tout entier dans un rôle de chef de conjuration qui doit parler bas mais ferme et menacer avec une précision irréfutable un complice peu sûr. C’est dans ce jeu de scène, précisé par la didascalie, « Bas et se rapprochant de Ruy Blas », que l’on peut apprécier cet amusement de puissant devant un faible ; d’autre part, le tutoiement vient renforcer l’effet de rapprochement complice noté par la didascalie. La capitulation immédiate de Ruy Blas ravit don Salluste et son antiphrase finale (vers 516) manifeste autant de joie que de précaution. r Pour ébranler la résistance de Ruy Blas,don Salluste le laisse imaginer une scène, qu’il lui décrit par le menu, et qui met en place la déchéance publique de la reine et sa propre disgrâce sociale et amoureuse. Cette scène est par avance redoutable car don Salluste la montre construite par des processus de rumeur publique et de correspondance anonyme. t Don Salluste, dans ces vers, use de trois pronoms différents pour s’adresser à Ruy Blas. Il le désigne d’abord à la 3e personne (vers 490) du singulier, puis à la 44 Acte III, scène 5 2e personne de politesse (vers 490-499),enfin à la 2e personne du singulier.On a là une variété de tons qui correspond aux mouvements intérieurs de don Salluste face au début d’insoumission manifesté par Ruy Blas aux vers 487 à 489. Sa première réaction est une riposte de mépris à la fois souverain et amusé : avec une tournure de 3e personne (vers 490), il met à distance respectueuse un Ruy Blas qui ose lui parler en tant que duc.Celui-ci persistant dans une attitude d’opposition,don Salluste riposte dans le registre du maître, avec le vouvoiement de l’acte I ; on observe là, en effet, que Ruy Blas n’est pas un laquais tutoyé par son maître. Le tutoiement auquel il en vient pourtant,à partir du vers 500,doit être entendu comme une familiarité de composition, pour ébranler Ruy Blas en lui faisant bien sentir sa complicité,et pour donner au chantage du scandale un ton de crapule,bien persuasif.Ruy Blas se souviendra, semble-t-il, à l’acte V, scène 3, de ce jeu dominateur du «Tu » au moment de tuer don Salluste éperdu. y La tirade de Ruy Blas,qui va du vers 451 au vers 484,se constitue en monologue du vers 461 au vers 478. Cette partie est encadrée dans le texte par deux didascalies très explicites ;pour l’ouverture du monologue,on dispose de la formule « Se parlant à lui-même » ;pour clore le monologue,on a l’indication « Se tournant vers don Salluste ». Les deux parties de ce passage introspectif sont elles-mêmes articulées par une didascalie centrale qui confirme que Ruy Blas soliloque :« Une pause.Il rêve.» u On peut distinguer deux destinataires dans l’ensemble de ce monologue.Le premier est Ruy Blas lui-même qui, dans le questionnement exclamatif de la partie, soliloque en enchaînant questions et réponses ; le second est Dieu, pris à témoin ardemment par Ruy Blas (vers 468) du supplice que lui inflige don Salluste dans l’aventure dont il prend ici conscience. i Le document photographique qui reproduit le jeu de Lambert Wilson, dans l’interprétation de ce passage,montre que le texte a été dit dos tourné à don Salluste, en rupture avec le conventionnel face à face du dialogue. o Ruy Blas associe la vengeance de don Salluste contre la reine au terrible supplice de la roue. Un champ lexical technique introduit la réalité de l’outil du supplice (« machine, rouages, meule, roue »). Un lexique hyperbolique de l’horreur en montre le fonctionnement fatal (« effroyable, hideusement, lambeaux teints de sang et de boue, tête brisée, cœur tiède et fumant »). q Ruy Blas « rêve » et matérialise la vengeance de don Salluste contre la reine à travers la métaphore d’une « machine effroyable dans l’ombre » (vers 469). Le développement réaliste de cette image met en scène,au premier plan,Ruy Blas et,en arrièreplan, la reine et don Salluste. Ruy Blas impose son image dans celle du supplicié, 45 RÉPONSES AUX QUESTIONS « chosifié », déshumanisé (vers 472) par l’inventeur diabolique de cette « machine » qui est machination contre la reine ; celle-ci est évoquée par allusion, dans les vers 469-470. Le pronom « on », au vers 477, renvoie à l’inventeur et bourreau derrière lequel il faut voir don Salluste. s Pour que Ruy Blas mette genou à terre et soit de son « état » (vers 440), don Salluste s’attache à humilier et à agresser l’amoureux de la reine et le tribun éclairé par des formules que l’on peut dire assassines.La passion de Ruy Blas est ainsi dégradée,d’abord en étant présentée comme une obligation de service (vers 448 à 450), ensuite en étant dite « folle aventure » (vers 505), bonne pour les ruisseaux les plus malodorants de la rumeur publique. La seconde cible que vise don Salluste est celle du tribun qui a cru,il y a peu,mettre en marche le salut de l’Espagne.Trois formules viennent lui rappeler avec férocité qu’il est un valet : au vers 486, « Gageons que vous avez mal fermé la fenêtre » ; au vers 492, « Ce n’est que sur Bazan qu’on a mis Olmedo » ; au vers 499, «Vous n’êtes que le gant, et moi, je suis la main ». d La soumission qu’attend don Salluste de Ruy Blas exclut bien sûr que celui-ci veuille protéger la reine. Mais Ruy Blas trouve pour cet objectif la force de s’opposer à son maître et de tenter d’exploiter son statut de Premier ministre. Cette conduite de chevalier défendant sa reine et qui « relève le front sous le pied qui [l’] écrase » (vers 489) est arrêtée par le discours de don Salluste qui impose à Ruy Blas la conscience d’une partie perdue où il est coupable sans l’avoir voulu. f La didascalie, « RUY BLAS, brisé et d’une voix éteinte », entre les vers 514 et 515, indique au lecteur la défaite de Ruy Blas. g Un certain nombre de vers peuvent être tenus pour des maximes de mépris ancillaire. – Vers 441-442 : « un laquais, d’argile humble ou choisie, / N’est qu’un vase… » – Vers 443 : « De vous autres, mon cher, on fait tout ce qu’on veut. » – Vers 444-445, «Votre maître, selon le dessein qui l’émeut, / À son gré vous déguise, à son gré vous démasque. » – Vers 499, «Vous n’êtes que le gant, et moi, je suis la main. » h Ruy Blas tente à deux reprises de renverser le cours des choses. Mais ses deux tentatives, aussi bien celle de supplication que celle de menace, demeurent inopérantes car il a en face de lui la fatalité d’un engagement écrit que ne manque pas de lui rappeler don Salluste.Se soumettre pour épargner la reine n’a pas de sens,puisqu’il s’est engagé à servir celui qui veut la perdre. Faire arrêter don Salluste en tant que Premier ministre n’a pas de sens non plus,puisque celui-ci peut démontrer qu’il est, dans ce rôle, un imposteur. En fait il n’y aurait qu’une solution pour Ruy Blas 46 Acte III, scène 5 de se libérer dans l’instant de don Salluste,ce serait de le tuer.Hugo a gardé cela pour le dénouement.À la fin de cette scène et de cet acte,Ruy Blas est devenu un héros tragique, prisonnier d’un destin qu’il déteste et qui le broie. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 185 À 188) Examen des textes a Pascal tente ici de donner à son lecteur un double vertige : celui de l’infini de grandeur et celui de l’infini de petitesse. Pour y parvenir, il recourt tant au raisonnement qu’aux procédés de style.Il use en particulier de métaphores propres à ébranler le lecteur et à l’inquiéter,en l’empêchant de trouver des repères d’évaluation pour se connaître et connaître les choses. Pour commencer, les outils intellectuels de la connaissance sont tournés en dérision ;avec eux,pour concevoir l’infiniment grand, « nous n’enfantons que des atomes ». L’univers est ensuite réduit à un « petit cachot »,alors que plus loin,à l’inverse,l’infiniment petit est évoqué tel une immensité de merveilles, un « raccourci d’atome » portant « une infinité d’univers ». Quant à l’homme, ce qu’en dit Pascal est fait pour qu’il s’effraie de lui-même ; absence de réponse pour dire ce qu’il est dans l’infiniment grand ; trois réponses métaphoriques pour dire ce qu’il est par rapport à l’infiniment petit,par rapport au néant :« un colosse »,« un monde », « un tout ». La métaphore des « deux abîmes de l’infini et du néant » vient souligner, à la fin de l’extrait,la tragédie de la connaissance humaine,impuissante devant l’absolu. z La référence à Pascal,dans le poème de Baudelaire Le Gouffre,établit un lien étroit avec le texte B. Les mots et les idées qu’il porte font entendre des échos bien perceptibles.Avec « gouffre, abîme, silence, Dieu, peur d’un grand trou, vague horreur, infini, néant,vertige »,Baudelaire se montre comme le destinataire idéal de Pascal :celui qui abandonne sa réflexion à la contemplation de l’infini, y pressent Dieu et se laisse hanter par le vertige des abîmes. e L’abîme de Ruy Blas n’est pas celui qu’évoque Baudelaire. Pour ce dernier est abîme tout ce qui représente les élans de la vie :« action,désir,rêve / Parole ! » Ce sont des abîmes existentiels,des parcours absurdes.Pour Ruy Blas,l’abîme est métaphore et hyperbole de son échec social et amoureux, de ses illusions perdues, et renvoie à la contradiction tragique dans laquelle l’a enfermé don Salluste, en le faisant acteur et complice d’une vengeance qu’il déteste et qui brise son honneur et sa passion, son « cœur plein d’amour et de foi ». r Le texte B exploite le thème de l’abîme à des fins apologétiques. C’est pourquoi ce thème central est soutenu par la thématique de la « toute-puissance de Dieu », corollaire de l’impuissance de l’homme à concevoir « la réalité des choses ». Par ailleurs, 47 RÉPONSES AUX QUESTIONS la démarche de l’argumentation pascalienne insiste sur l’impuissance de la raison, même relayée par l’imagination,à s’approprier une juste représentation de cette réalité ;ainsi est introduite une seconde thématique,celle de la misère de l’homme qui est condamné à ne pas savoir. Dans le texte C, on observe des finalités lyriques qui introduisent les thématiques du cauchemar et de l’angoisse métaphysique, thématiques constitutives du spleen baudelairien. t La puissance divine est invoquée par Ruy Blas ; Pascal et Baudelaire, eux, font entendre un discours qui l’évoque.Ruy Blas s’adresse à Dieu dans les termes les plus conventionnels de la prière chrétienne : « Ô mon Dieu ! « , « Dieu juste », « Dieu clément », «Vous êtes notre père. » Le texte des Pensées de Pascal fait allusion à Dieu, le tout-puissant créateur du monde, référence de l’infini et déduction de la raison humaine contemplant sa propre impuissance. Le Dieu de Baudelaire est proche de celui de Pascal mais moins abstrait. Dans le second quatrain du sonnet Le Gouffre, la présence divine prend forme humaine et s’anime dans une démarche de sévérité quelque peu punitive :le « doigt savant » de Dieu qui « dessine un cauchemar multiforme et sans trêve » se fait ici métonymique d’un mauvais génie nocturne. C’est en fait le qualificatif « savant » qui marque le rapprochement possible avec la représentation de Dieu inscrite dans le texte des Pensées : Baudelaire, peut-on dire, connote ainsi la toute-puissance de Dieu mentionnée par Pascal.On a dans ce corpus le Dieu des églises, le Dieu des intellectuels et le Dieu des poètes. Travaux d’écriture Question préliminaire Les textes de ce corpus exploitent différemment le thème de l’abîme mais le traitent tous de façon à montrer la contestation d’un idéalisme ou d’un élan vers le haut. Pascal se sert de la métaphore de l’abîme pour apporter un démenti puissant à la « présomption » des esprits confiants en la raison. Il malmène ainsi l’idéalisme cartésien et conteste par avance ce qui fondera l’optimisme des Lumières. Baudelaire dit « tout est abîme » avec désespoir et angoisse, et formule, dans le tercet final, l’issue idéale à laquelle il rêve : « du néant l’insensibilité ». Ses hantises sont un obstacle, une contrariété à ce qu’on peut définir comme un désir de mort ou ce « rêve de pierre »,reconnu dans le poème La Beauté,comme un absolu de perfection,et qu’on retrouve aussi dans le sonnet Correspondances où la nature est comparée à un « temple ». Cette aspiration au néant est renforcée par le regret final, exprimé dans le dernier vers. Ruy Blas, lui, dénonce l’abîme où l’a plongé don Salluste comme un supplice qui lui enlève sa dimension d’homme avec un cœur et un esprit. L’idéal qu’offense et bafoue cet abîme peut être rapproché de celui qui inspire la Déclaration des droits de l’homme : Ruy Blas ne supporte pas d’être traité en laquais seule48 Acte III, scène 5 ment et ignoré en tant qu’homme. Son élan vers le haut est englouti dans l’abîme d’une servitude infâme. On constate ainsi,à travers ce corpus,qu’une métaphore se trouve éclairée par ce à quoi elle s’oppose.L’abîme de Pascal est une vue de l’esprit,celui de Baudelaire une vue de l’âme et du caractère, celui de Ruy Blas représente une frustration sociale. Commentaire Baudelaire a utilisé trente-cinq fois les mots « gouffre » et « abîme » dans Les Fleurs du Mal. Par ces images,il a exprimé sa hantise existentielle,signe de l’homme déchu selon Pascal, et sa hantise du temps. Dans le poème Le Gouffre, son angoisse s’exprime dans le lyrisme d’une confidence douloureuse.Le poème correspond en effet à un moment contemporain de ce qu’il écrit dans Mon cœur mis à nu, à propos du 23 janvier 1862 où il a senti passer sur lui « le vent de l’aile de l’imbécillité » ; dans cette même page, il appelle sa « sensation du gouffre » « hystérie ». 1. Ce poème se développe comme une confidence a) Peinture du Moi : – omniprésence du « Je » ; – catalogue d’expériences ; – points de vue sur le corps, l’âme et l’esprit ; sur le quotidien, le rêve et la pensée. b) Liberté du ton : – les allusions (vers 1, 5-6, 14) ; – le prosaïsme (vers 3, 11) ; – le mélange de naïveté et d’éloquence : images naïves dans l’ampleur des rejets (vers 7-8, 12-13). 2. Cette confidence décrit une hantise obsessionnelle a) Insistance sur la permanence de la hantise du gouffre : « maintes fois, partout, sans trêve, je ne vois que…, toujours, ne jamais. » b) Insistance sur l’aliénation à la peur de l’abîme : – peur réflexe (vers 3) ; – mélange de jouissance et de terreur (vers 6) ; – piège de Dieu. 3. Cette confidence éclaire une âme et un caractère a) Une âme qui associe, comme Pascal, le gouffre à la chute, mais sans le secours de la foi. La révélation qu’apporte le côtoiement incessant de l’abîme est celle d’un Dieu, « inquiéteur » des nuits, et celle d’un infini « menant on ne sait où ». b) Un trait de caractère que Baudelaire a décrit dans La Voix et qui le fait, depuis l’enfance, « les yeux au ciel, tomber dans les trous ». c) Le spleen baudelairien se définit dans ces vers : pesanteur de la vie, angoisse existentielle, hallucination, aspiration au « néant ». 49 RÉPONSES AUX QUESTIONS Le poème Le Gouffre a une force lyrique qui installe le poète dans une relation de confidence profonde et authentique avec le lecteur. Dissertation Proposition de plan analytique. La référence littéraire au Diable, au Démon, à Satan, à Lucifer a été quelque peu renouvelée et revivifiée par le romantisme du XIXe siècle, s’abreuvant au fantastique des légendes du Moyen Âge.Vigny,Victor Hugo, Baudelaire ont fait de Satan un héros poétique. Anatole France, dans La Révolte des anges (1914), livre avec ironie un Lucifer porteur de son scepticisme. Mais la référence à Satan est plus vaste encore si l’on s’attache à considérer le processus littéraire de diabolisation des êtres et des choses. 1. La diabolisation par le titre :Lesage,Le Diable boiteux (1707) ;Radiguet,Le Diable au corps, (1923) ; Bernanos, Sous le soleil de Satan (1926) ; Sartre, Le Diable et le Bon Dieu (1951). 2. La diabolisation interne. a) Les effets de style : – caractérisation des êtres et des choses ; – symbolismes métonymiques ou métaphoriques ; – gradations et hyperboles du Mal ; – oppositions entre le Bien et le Mal. b) Les effets de composition : – actions assimilables, dans leur progression, à une lutte entre le Bien et le Mal ; – dénouements assimilables à une damnation ou une ascension. 3. La diabolisation par effet d’intertextualité : – Asmodée (1937), de François Mauriac, renvoie à Asmodée, personnage du Diable boiteux, de Lesage. – Mon Faust, de Valéry (1941), renvoie au Faust de Goethe. Pour diaboliser les êtres ou les choses, la littérature dispose des moyens propres du discours mais aussi de la force des références. Écriture d’invention L’objectif de réécriture est ici de transformer l’intention apologétique du texte en une intention de vulgarisation scientifique associée à un éloge de la science. – Il faut garder la pédagogie du texte : pédagogie expérimentale. – Il faut inverser les conclusions auxquelles Pascal prétend amener son lecteur et montrer les techniques et savoirs nouveaux comme annonciateurs des futurs progrès qui feront avancer la connaissance de l’univers. 50 A c t e I V, s c è n e 2 A c t e I V, s c è n e 2 ( p p . 1 9 3 à 1 9 8 ) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT ( VERS 79 À 131) a Les premières didascalies de la scène introduisent un jeu de scène centré sur le déshabillage et l’habillage de don César : il essaie, avec ce qu’il trouve, de cacher la misère de son vêtement, après s’être vu peu à son avantage « dans une petite glace de Venise ». Il commence par cacher son « pourpoint de satin rose usé, déchiré et rapiécé » avec « un manteau de velours vert clair, brodé d’or » qu’il découvre dans le tiroir d’un coffre. De la même façon, il va se défaire de « ses vieux souliers » et chausser « sans façon » « une magnifique paire de bottines à canons de dentelles ». z En termes policiers,les didascalies pourraient dicter un procès-verbal contre don César où serait notée une suite de vols et appropriations illégales de biens matériels. e L’émerveillement de don César apparaît d’autant mieux que son propos sublime la fuite qu’il vient d’opérer à la barbe des gardiens du bagne et des alguazils. Il dit cette fuite avec les mots édulcorés de « départ » (vers 85) et de « voyages » (vers 86) ; il rappelle le début de sa mésaventure avec, à deux reprises, des formules dignes de la tragédie :« ces alguazils qui m’ont pris dans leurs serres ;/ Puis cet embarquement absurde » (vers 81-82), « vous voulez que j’émigre / Dans cette Afrique où l’homme est la souris du tigre ! » (vers 101-102). Ce style le pare et pare son destin comme le font les vêtements volés. r Son intrusion est évoquée en des termes qui l’innocentent et même la justifient : l’antiphrase est à cet effet le procédé stylistique et comique dominant. Don César prétend s’introduire « dans le sein des familles » (vers 93) et l’effraction devient ainsi visite ;le souci de décence sert à décrire le vol (vers 99) ;l’ennui proclamé (vers 120) vient camoufler la curiosité avide du voleur. À force d’antiphrases parodiques, don César finit par construire l’image d’un respectable visiteur, « Dans ce charmant logis [où l’] on entre par en haut » (vers 112) et où, faute de l’accueillir, on lui aurait laissé « un en-cas complet » (vers 123). Un autre procédé de style vient légitimer cette intrusion : il tient à la modalité des phrases : don César ne cesse de s’étonner et de s’interroger,tel un naïf tombé du ciel.C’est ainsi que l’on a dans ce passage un moment de théâtre dans le théâtre. t En s’inventant des interlocuteurs,don César donne un semblant de vraisemblance à son jeu de dignité. Il est, pour commencer, le narrateur qui s’attache à étonner et à tenir en haleine un public imaginaire,curieux et attentif :c’est le public du théâtre. En faisant ensuite comme si don Salluste était devant lui, il se drape dans le noble rôle qu’apporte un couplet vengeur.Les commentaires suivants,sur ses découvertes 51 RÉPONSES AUX QUESTIONS gastronomiques,semblent adressés encore au public ;ils ont un registre mondain qui masque l’avidité du glouton affamé. Don César semble, en s’inventant des interlocuteurs, tenter de se reconstruire dans sa dignité aristocratique : le mort, don César de Bazan, comte de Garofa, ressuscite dans ce dialogue fictif. y L’éloquence de don César lui sert jusque dans les plus anodines situations. Son errance,les poursuites des alguazils ont beau l’avoir laissé affamé,il aborde avec grandiloquence l’opportunité de ses découvertes de victuailles alléchantes, en feignant de voir dans le garde-manger une « bibliothèque » et de lire un texte en vidant son premier verre. Ces lapsus volontaires expriment son regard ironique sur les bienséances du monde aristocratique. u Les didascalies qui décrivent les gestes que fait don César autour des vêtements qu’il quitte et de ceux qu’il met laissent apparaître un comportement peu cohérent. On a d’un côté un coquet qui se regarde dans un miroir, s’empare de tout ce qui peut le mettre en valeur et « se promène fièrement ».D’un autre côté,on voit de la part du même homme des gestes brusques et brouillons :il enfonce son chapeau,« d’un coup de poing », sous un manteau « soigneusement plié », et « il jette lestement ses vieux souliers » avant de chausser « sans façon » des « bottines neuves ». i En découvrant le garde-manger, don César se joue encore la comédie. Il en inspecte le contenu avec un faux calme (vers 120),une fausse attente (vers 121),de faux compliments :il feint de s’intéresser au rangement,quand c’est le nombre qui lui importe (« Six flacons bien rangés ! »,vers 123).Alors qu’il boit coup sur coup deux verres de vin, et le premier d’un trait,il se lance dans un faux éloge littéraire qui est en fait éloge du vin dont il se régale ;le lexique du livre est là,mis en alternance avec celui du vin,et l’éloge s’achève par un faux lapsus où « spiritueux » se substitue à « spirituel ». o L’annonce de la vengeance que veut exercer don César contre don Salluste pourrait prendre la tonalité d’une péripétie,si elle était prise au sérieux.Qu’il ait un profond ressentiment contre ce cousin qui l’a, de fait, envoyé à une mort probable, va de soi et paraît juste.Mais la dérision mise dans le tableau de la vengeance en fait un peu douter ;ce tableau,en effet,est exprimé dans une parodie tragique qui confronte le diabolique don Salluste à une horde menaçante de personnages de comédie, les vauriens et les créanciers ;ces derniers,qui plus est,sont présentés en anthropophages, nourrissant leurs petits de chair vivante.Dans cette démesure bouffonne,don César exprime plus son humour que sa détermination. Il dit avec force mais sans sérieux qui il déteste. q Au vers 81,les alguazils sont comparés à des oiseaux de proie.Cette image exprime l’idée de violence traîtresse à laquelle il est impossible d’échapper. 52 A c t e I V, s c è n e 2 s Don César revient à plusieurs reprises,dans cet extrait,sur les alguazils ;mais après avoir évoqué leur violence passée, il insiste essentiellement sur leur incompétence présente,leur inefficacité,puisqu’il vient de leur échapper. Au vers 89,cette dénonciation se fait dans un alexandrin au rythme égal (3 + 3 + 3 + 3) qui donne une parfaite symétrie à chacun des hémistiches et suggère ainsi l’égalité de force entre les alguazils et don César.Dans les vers 116 et 117,c’est une mise en rejet du groupe de mots,« À fuir les alguazils »,qui valorise la suprématie de don César sur ce bataillon redoutable. d La première expression dont use don César pour qualifier don Salluste est celle de « grand sacripant » ; la seconde est celle de « cousin damné ». Don César caractérise bien justement son cousin par rapport à ce qu’il a fait et veut achever,mais aussi par rapport à ce qui l’attend, un assassinat de damné, pris au piège de « ses perfidies », autre mot dont use don César pour évoquer son cousin. f À trois reprises don César revient sur la trahison de son cousin.C’est au vers 109 qu’il dit le plus justement ce qui la définit en évoquant « ses perfidies » à son égard. g Les euphémismes dont use don César en se rappelant son triste passé, son arrestation et sa déportation, « embarquement absurde » (vers 82), « Mes voyages » (vers 86), « vous voulez que j’émigre / Dans cette Afrique » (vers 101-102), suggèrent clairement l’éloignement arbitraire et périlleux dont il a été victime. h Dans ce monologue,don César montre sa culture de façon bouffonne.Il revient sur son passé malheureux, comme s’il le récrivait en roman d’aventure, avec « corsaires », « grosse ville », « femme jaune », « bagne » et « retour en Espagne ». Il garde ce ton romanesque pour évoquer la « fuite éperdue » qu’il vient de vivre : il joue là avec les actions et les présents qui les actualisent. Il parodie ensuite la tragédie pour annoncer sa vengeance ;et enfin il associe poésie et boisson pour donner l’avantage au bon vin qu’il déguste. On a dans cet extrait une parole irrévérencieuse pour les trois grands genres : le roman, la tragédie et la poésie. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 202 À 206) Examen des textes a Hermione s’arrête sur scène de façon vraisemblable car elle est dans un temps d’interrogation sur soi que viennent exprimer cinq phrases interrogatives successives. z On voit don César prendre à témoin le public et apostropher son cousin don Salluste : il parvient ainsi à briser l’effet même de monologue.Avec Hermione, l’effet de dialogue se crée par l’emploi de l’impératif de première personne du 53 RÉPONSES AUX QUESTIONS pluriel et par des effets de dédoublement où elle se désolidarise d’une partie d’ellemême, s’en prenant par exemple à son « cœur » ; on reste avec l’idée de sa solitude, mais on perçoit qu’il y a en elle deux voix qui s’opposent et délibèrent différemment. La Mère Ubu, comme Hermione, se parle à la première personne de l’impératif pluriel, mais son propos reste le monologue des gens simples qui s’encouragent à voix haute et décrivent leur action présente et à venir. e La Mère Ubu apparaît ici mécanisée par l’envie du butin et rassemble tous les traits de la médiocrité cupide. Elle ne semble capable ni d’appréciations ni d’attitudes cohérentes. En début de monologue, elle s’imagine en quête d’un trésor ; à la fin du monologue, inquiète des bruits alentour, elle abandonne son pillage et le remet au lendemain comme s’il s’agissait simplement de revenir au marché. Ce personnage porte en soi une grande immoralité car l’action décrite n’est autre qu’un pillage de tombe et, qui plus est, dans la crypte d’une cathédrale. r Dans ce corpus, on voit trois lieux se transformer en actants. Dans la scène 2 de l’acte IV de Ruy Blas, la maison où s’est réfugié don César remplit deux fonctions :elle réconcilie don César avec la vie par ce qu’elle contient :elle lui donne en effet tout ce dont il a besoin ;mais elle prend aussi un rôle inquiétant et prophétique à travers les pressentiments qu’elle inspire à son hôte imprévu : il la dit « maison mystérieuse et propre aux tragédies ». L’héroïne de Racine, Hermione, évoque le lieu où elle se trouve, le palais de Pyrrhus, en Épire, comme un lieu très éloigné de son royaume,mais où elle doit faire assassiner son inconstant fiancé.Elle ressent la force tragique du lieu et s’en étonne, parce qu’elle n’adhère pas de tout son être à la mission de mort qu’elle a confiée à Oreste.Les lieux où se trouve la Mère Ubu sont empreints du sacré de la religion et du mystère de la mort.Ils apportent à la bassesse du personnage, par la voix qui sort du tombeau, une riposte mystérieuse mais bien accordée au châtiment que mérite la profanation des lieux saints et des sépultures. t Le moins invraisemblable de ces monologues semble celui de la Mère Ubu car il est relativement court et en prose.Il se rattache d’autre part à une action périlleuse, propre à délier la langue d’un protagoniste angoissé.Il faut aussi noter que ce monologue reste prosaïque par le désordre de sa composition ;celle-ci,orchestrée au hasard de bruits suspects, s’élabore à partir de deux attitudes contradictoires : l’élan inspiré par la cupidité et la retraite inspirée par la peur. Il y a là une dérision lyrique évidente que l’on peut élargir en dérision visant la convention du monologue. Travaux d’écriture Question préliminaire Qu’on puisse trouver un monologue dans la farce d’Alfred Jarry, tout comme chez Racine ou Hugo,montre l’attrait qu’a exercé cette forme du langage dramatique. 54 A c t e I V, s c è n e 2 On peut associer ces monologues par une valeur informative de même nature :faire connaître le personnage locuteur de l’intérieur.Don César révèle une énergie vitale exceptionnelle et montre ses réflexes d’élégance,alors qu’Hermione apparaît déchirée entre sa rage et sa passion et fait retrouver ainsi la pleine fonction lyrique du monologue.Avec le soliloque de la Mère Ubu, on reste certes aux antipodes du lyrisme ; mais son monologue reste éclairant en se développant comme un aveu indiscret de bassesse et de simplisme. Ces monologues font un travail d’information différent sur le plan narratif.Le monologue de don César informe le public sur le passé du personnage et sur les malheurs que lui ont fait subir les perfidies de son cousin, don Salluste. Hermione, dans son monologue, retrace avec les yeux de la jalousie la scène où Pyrrhus a rompu avec elle ;elle y revient sans cesse pour nourrir son désir de vengeance.En monologuant, la Mère Ubu vient éclairer la didascalie d’ouverture : on sait ainsi les intentions qui l’animent et l’action qu’elle entreprend jusqu’à l’intervention de la voix sépulcrale. Ces trois monologues,très différents dans leur registre,illustrent pleinement cette fonction informative du monologue qui est restée un recours et une convention dramatiques très exploités pour rendre plus proches les personnages de la scène théâtrale. Commentaire Ce monologue ne peut prendre toute sa fore qu’à la scène car il doit se constituer en dialogue avec le public. Son succès a d’ailleurs largement dépendu de l’énergie enjouée que sut y mettre l’interprète. On sait que le comédien Saint-Firmin, créateur du rôle,s’est fait siffler,alors que son remplaçant,l’acteur Raucour,« a fait preuve », en reprenant les mots de Théophile Gautier, « de beaucoup de mordant et de verve ». L’interprétation doit ici se situer sur trois plans : celui du lyrisme, celui du romanesque et celui de la critique. 1. Un locuteur content de soi a) Omniprésence de la 1re personne. b) Une suite de beaux rôles donnés au Moi :la victime innocente,le vainqueur seul contre tous, le raffiné jusqu’en pleine aventure. 2. Un conteur a) Un récit linéaire,avec des connecteurs temporels bien marqués :« primo,puis,enfin.» b) Vivacité du récit : tours nominaux, présents historiques. c) Souci du sensationnel : lexique de la grande aventure, « corsaires, bagne, fuite éperdue, maison perdue. » 3. Une victime a) Multiplicité des bourreaux : « alguazils, corsaires, grande ville, femme jaune, bagne. » b) Acharnement des bourreaux :« pris dans leurs serres,tant battu,tentations faites sur ma vertu, poursuite enragée. » 55 RÉPONSES AUX QUESTIONS c) Un persécuteur désigné : don Salluste. Don César tire sa force comique d’un caractère qui lui donne la capacité de s’amuser de tout et de considérer avec une certaine distance le malheur. La réussite de sa « fuite éperdue » lui fait revoir son passé comme une page tournée mais pas oubliée. Dissertation Proposition d’un plan discursif. Depuis le XVIIe siècle, les décors de tragédie ont évolué dans le sens du dépouillement et du symbolisme minimal. On retrouve à travers cette évolution les deux conceptions des deux plus grands noms de la tragédie grecque :le théâtre d’Eschyle se passe de décor, Sophocle l’invente. 1. Les raisons de cette évolution. a) La rentabilité : esprit du TNP renouant avec Eschyle. b) Le désir moderne d’abstraction : libérer le décor de sa fonction mimétique. c) Privilégier les nouvelles techniques d’éclairage, plus malléables. 2. Les risques attachés à cette évolution pour le spectacle tragique. a) La tragédie est étroitement associée à l’histoire ou à la légende : elle impose des éléments figuratifs très précis, souvent dictés par le texte même, avec le renfort des didascalies. b) La volonté d’abstraction peut induire des anachronismes déroutants. c) L’indépendance du metteur en scène, par rapport au décor suggéré par le texte, peut donner à l’espace scénique une subjectivisation qui détourne du texte ou en impose une lecture très orientée. 3. Le vrai doit être la quête essentielle du décor de tragédie, pour livrer au spectateur toute l’intensité du texte. Il appartient au décor : – de dénoter l’époque du drame ; – de connoter les principaux enjeux tragiques. La scène de la tragédie ne doit pas être ornée mais doit planter un décor qui soutienne la vraisemblance tragique. Écriture d’invention La voix sépulcrale peut se concevoir selon trois types de discours : – le discours réprobateur et comminatoire ; – le discours tristement prophétique ; – le discours réprobateur et sarcastique. Chacun de ces types de discours porte une argumentation particulière : – la faute mérite un terrible châtiment ; – le voleur des princes morts est un damné : « Parole de mort ! » ; – la peur est bonne conseillère. 56 A c t e V, s c è n e 4 A c t e V, s c è n e 4 ( p p . 2 5 7 à 2 6 0 ) ◆ LECTURE ANALYTIQUE DE LA SCÈNE 4 a Motifs redoublés : vers 198 et 207 ; vers 202 et 209. z Ruy Blas cherche, dans ces mots répétés, à rassurer la reine et à lui laisser une image acceptable de lui-même. e En racontant la scène où une femme du peuple l’a pris en pitié, Ruy Blas met en place plusieurs connotations. La première de ces connotations est celle de son désespoir, si manifeste et si pathétique qu’une passante s’en est trouvée émue. La seconde relève du symbole et renvoie à des scènes édifiantes de la religion, comme celle où sainte Véronique prend en pitié le Christ portant sa croix et lui essuie le visage. r L’écoute qu’accorde la reine à cet apitoiement sur soi exprimé par Ruy Blas demeure distante et tendue. Elle commente, questionne, répond sèchement. t Les réponses de la reine sont enfermées dans des alexandrins disloqués et suggèrent ainsi la peur et la réprobation.Elle vient d’assister à une scène,pour elle inouïe et insoutenable,et elle a en face d’elle celui qui en est le triomphateur et plaide pour son pardon. y Au vers 219, la reine est saisie par l’angoisse du suicide de Ruy Blas. Sa première réaction est de l’arrêter dans son geste ; mais elle ne lui parle pas encore, elle ne fait que parler de lui : « Que fait-il ? ». Elle reste ainsi prisonnière de l’horreur éprouvée dans la scène précédente.Mais viennent ensuite des interventions qui sont un crescendo de passion ;la reine interpelle Ruy Blas en le nommant avec ses dignités passées, puis elle le tutoie et enfin lui réitère son amour. u Ruy Blas trouve,dans ce retournement amoureux de la reine,la force de s’assumer avec son nom d’homme du peuple. i La reine répète, au vers 225, le premier pardon formulé au vers 224. Ruy Blas, bien que mourant, évoque alors sa « joie » et l’entoure du sublime d’une rédemption divine, en remerciant : « Dieu, justice souveraine » (vers 229). o Après le pardon de la reine, l’intensité amoureuse entre celle-ci et Ruy Blas se mesure dans la confusion de leurs propos respectifs. Cette exaltation non maîtrisée orchestre un duo amoureux très émouvant sur le plan humain mais voué à la tragédie de la séparation fatale par le suicide de Ruy Blas. 57 RÉPONSES AUX QUESTIONS q Les vers 229 à 232 ajoutent une dimension mystique à la dimension humaine du duo amoureux. Ruy Blas se présente encore, dans cette prière, avec des traits du Christ, puisqu’il se dit « cœur crucifié ». La reine, dans cette sublimation, a le rôle de l’ange miséricordieux ; le suicide amoureux devient dans ce passage une expiation rédemptrice. s Les didascalies qui décrivent les gestes de la reine à la fin de la scène renvoient à la femme du peuple évoquée par Ruy Blas dans les vers 214-215. d L’avant-dernière réplique de Ruy Blas opère un retour aux réalités :la reine doit fuir cette maison où elle ne devrait pas être. f Le « Merci » de Ruy Blas est ambigu quant à son destinataire et quant à son objet : il peut être adressé à la reine pour avoir donné à Ruy Blas son vrai nom ;il peut aussi représenter une parole d’action de grâce : Ruy Blas remercie Dieu de mourir dans les bras de celle qu’il aime et qui, dans cet instant, le pleure et le chérit pour ce qu’il est vraiment. g La fréquente dislocation de l’alexandrin introduit dans cette scène de nombreux effets de prose.Cela semble fort opportun pour exprimer la terrible opposition que constituent l’attente du pardon de la part de Ruy Blas,avec les gestes annonciateurs du suicide,et le refus de ce pardon de la part de la reine.La tension est d’autant mieux exprimée qu’elle s’inscrit dans un dialogue par bribes. h La reine tient successivement deux rôles dans cette scène, qui sont tous deux de nature à produire un discours elliptique,éloigné de l’ampleur habituelle de l’alexandrin.Elle se protège,dans la première partie de la scène,avec le propos hautain d’une reine outrée.Dans la seconde partie de la scène,elle est dans le rôle de l’amante éperdue qui essaie désespérément de conjurer une mort foudroyante : son propos brise alors l’alexandrin soit par la force d’exclamations qui sont des cris,soit par un flot de détresse qui défait le rythme du vers (vers 233).La prosodie est mise ainsi au service de la vérité dramatique et psychologique. ◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 264 À 269) Examen des textes a Les textes A et B présentent le même tableau pathétique : un duo amoureux au moment de la mort d’un des amants. z L’image du couple est évidemment plus forte dans le texte B car elle correspond à un couple authentique qui a un passé commun et où chacun connaît bien l’autre. Dans la dernière scène de Ruy Blas, le face-à-face est entre deux êtres qui se connaissent à peine et en restent à une passion encore platonique. 58 A c t e V, s c è n e 4 e Le texte C, extrait de Lorenzaccio, présente le cynique Alexandre de Médicis, duc de Florence, en compagnie de sa maîtresse, l’idéaliste marquise Cibo. Celle-ci ne parvient pas à établir le dialogue qu’elle tente d’ouvrir avec le duc sur le chapitre politique. Il la rabroue en quatre réponses aussi brèves que désobligeantes, la dernière tout particulièrement qui prétend faire dévier ce sujet grave vers le thème libertin de la jolie jambe de la marquise. r La puissance divine est évoquée dans chacun des textes du corpus avec un éclairage particulier. Dans le texte A, Dieu est évoqué et ressenti par Ruy Blas comme un pouvoir rédempteur ; il assimile le pardon que lui accorde la reine à l’expression de la miséricorde divine : il s’est cru maudit, il se voit sauvé. Dans le texte B, cette image s’inverse : le chevalier Des Grieux n’a pas été exaucé dans ses prières pour sauver Manon ; lui avoir survécu lui semble une punition du Ciel. Ainsi, dans ce texte, la puissance divine s’apparente à l’idée de justice immanente. Cette idée se retrouve dans le propos de la marquise Cibo, à travers le texte C. Mais la justice de Dieu est ici présentée comme engagée derrière les peuples opprimés par la tyrannie. La marquise prédit ainsi l’enfer à Alexandre, s’il ne se transforme pas en bienfaiteur de son peuple. t Chacune des répliques de la marquise développe un argument nouveau pour inspirer le changement politique d’Alexandre de Médicis.Le premier argument est le postulat « Je peux si je veux ! » ;le deuxième proclame la force politique apportée par le peuple à ses bienfaiteurs ; le troisième prophétise la mort d’Alexandre, s’il ne se réforme pas ; le quatrième et dernier argument est celui de la damnation éternelle. Ainsi la marquise se sert d’arguments de plus en plus forts et menaçants pour arracher Alexandre, le tyran de Florence, à son indifférence cynique. y Le jeu de scène qu’a fixé ce document photographique est bien mis en valeur par un parfait centrage. Il enrichit la lecture des deux dernières répliques de Ruy Blas, ainsi que des didascalies qui les accompagnent.La reine enveloppant Ruy Blas dans ses bras est ange et femme à la fois : ange apitoyé devant un héros d’amour qui s’est suicidé,et femme frustrée des tendresses charnelles qu’elle pouvait attendre de l’homme qu’elle aime et qui se meurt dans ses bras. Le regard attristé dit la pitié et le deuil ;l’enveloppement des bras et la main posée sur le cœur de Ruy Blas expriment l’amour dans toute sa simplicité et sa plénitude humaines. Ruy Blas semble, lui,prêt à prononcer le « Merci » final ou bien en train de le dire :le document laisse passer avec force l’extase qu’a dû jouer à ce moment François Beaulieu. Ce document fait songer aussi à une représentation de Mater dolorosa, prolongeant l’image christique de Ruy Blas et confortant une interprétation pieuse pour le dernier mot du drame. 59 RÉPONSES AUX QUESTIONS Travaux d’écriture Question préliminaire Dans les divers éléments de ce corpus,le sentiment amoureux est très épuré.Pourtant on peut noter que les réalités physiques jouent un grand rôle. Le texte A offre dans ses didascalies de quoi apprécier le jeu physique impliqué par l’action dramatique. Le corps de Ruy Blas et le corps de la reine, par leur gestuelle, suivent les étapes de la réconciliation amoureuse.La reine accorde son pardon en entourant Ruy Blas de ses bras, et Ruy Blas, aussitôt, lui dit sa joie en la tenant embrassée. L’association du corps et du sentiment amoureux est encore,dans le texte B,liée à la progression dramatique d’une scène particulièrement émouvante. Le sentiment amoureux, au fil de cette progression, se met au service du corps souffrant : c’est, dans un premier temps,Manon qui soigne tendrement la blessure de Des Grieux,puis,dans un second temps,celui-ci qui tourne toute son attention et toute sa sollicitude vers les faiblesses de sa bien-aimée. Comme pour Ruy blas, la mort de Manon intervient au milieu des « tendres consolations de l’amour » et des « marques d’amour ». Le corps, dans ces deux textes, ainsi que dans le document iconographique, est vecteur de tendresse bienveillante et consolatrice. Dans le texte C, il n’est apparemment pas question d’amour, comme dans les trois autres références. Pourtant, c’est bien là le texte où l’amour est le moins épuré.La réplique du duc,«Tu as une jolie jambe »,induit entre lui et la marquise une relation amoureuse plus libertine que sentimentale : seul le lien physique et érotique intéresse Alexandre dans sa liaison avec la marquise Cibo. Les textes constitutifs de ce corpus sont révélateurs de la conciliation que peut établir l’écriture littéraire entre passion et pudeur. Commentaire La mort de Manon est évoquée dans cet extrait par les détours du désespoir résigné de Des Grieux. 1. Le parti pris d’atténuation a) Le lexique ou les euphémismes de l’agonie et de la mort. b) Le recours aux périphrases. 2. La portée tragique de cette évocation a) Les réticences narratives du locuteur. b) Les impuissances du cœur. 3. La force picturale du texte a) Lenteur du mouvement désamorçant la vivacité du passé simple. b) La mort de Manon en diptyque. Le récit de la mort de Manon intronise la jeune et dévoyée prostituée dans le panthéon des grandes et sublimes amoureuses. 60 A c t e V, s c è n e 4 Dissertation Proposition d’un plan discursif. 1. Impudeur, violence, abstraction se sont installées dans l’art contemporain (XXe siècle) comme de nouvelles doxa, aux antipodes semble-t-il de l’esthétique idéaliste. a) Dépasser le réel en l’amplifiant pour, en fait, prophétiser la réalité à venir : un roman, 1984 ; un film, Orange mécanique. b) Imposer l’obscénité comme norme du réel :le mot « idéalisme » est comme frappé d’interdit dans le monde de l’image et dans celui de la littérature. c) Donner au public, par les voies de l’abstraction, des questions à se poser sans idée ni idéal immédiatement perceptibles. 2. Si l’on se détourne de l’avant-garde et que l’on reste au niveau de formes d’art plus populaires, on peut observer la vigueur présente de l’idéalisme. a) Idéalisme des attachements à une terre,à une région :Pagnol,Giono,auteurs inspirant le cinéma populaire. b) Idéalisme moral : le succès du personnage d’Amélie Poulain. c) Idéalisme visionnaire :Le Grand Bleu (1988,Luc Besson) ;Jurassic Park (1993,Steven Spielberg). 3. Notre temps a le goût de l’idéalisme que l’artiste sait rendre vrai en le rendant inoubliable. a) Inoubliables univers de Picasso, Chagall, Salvador Dali, Kalder et des poètes surréalistes. b) Inoubliables figures :Charlot,Le Cancre de Prévert,E.T.et peut-être Harry Potter. Écriture d’invention 1. Dans le cadre d’un récit, le dialogue doit être introduit par des éléments narratifs qui seront d’ordre temporel (le lendemain de la mort de Ruy Blas), psychologique (la reine bouleversée) et policier (la reine sur ses gardes par peur du scandale). 2. Dans le cadre d’un dialogue de théâtre, il est recommandé de faire un commencement in medias res,éclairé par une didascalie d’ouverture expliquant pourquoi et comment la reine a retrouvé la femme qui a essuyé la veille le visage de Ruy Blas. Dans les deux types de composition, le dialogue peut s’attacher à deux objectifs : – la reine se construit une authentique estime du peuple ; – la reine songe avec amertume à son avenir de femme sans l’être aimé et à celui de l’Espagne sans la conduite d’un grand homme. 61 BIBLIOGRAPHIE C O M P L É M E N TA I R E – Bernard Chédozeau, Le Baroque, Nathan-Université. – Vincent Jouve, La Poétique du roman, Campus-Lettres, Sedes. – Pierre Larthomas, Le Langage dramatique, PUF. – Dominique Maingueneau, Les Termes clés de l’analyse du discours, Mémo Seuil. – Nathalie Piégay-Gros, Introduction à l’intertextualité, Dunod. – Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, A.G. Nizet, Paris.