Page 9 Le Monde Dimanche 8 - Lundi 9 Mai 2016

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Page 9 Le Monde Dimanche 8 - Lundi 9 Mai 2016
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
72E ANNÉE – NO 22181
2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO
Emmanuel Macron entre les lignes
A
près Stéphane Bern en 2014 et
Audrey Pulvar en 2015, Emmanuel Macron devait présider, dimanche 8 mai, à Orléans les 587es Fêtes de
Jeanne d’Arc, commémorant la libération
d’Orléans par la Pucelle. L’occasion pour
le ministre de l’économie, qui répond à
une invitation d’Olivier Carré, maire Les
Républicains de la ville, de développer sa
vision de la République, quelques jours
après que François Hollande a explicité
sa conception de la gauche. Et peut-être
de préciser un peu quels sont les tenants
et les aboutissants du « macronisme ».
C’est un fait, Emmanuel Macron
brouille les lignes en politique en pré-
tendant enjamber le traditionnel clivage
gauche-droite pour construire une majorité en 2017. Pourtant, l’ex-banquier a
toujours revendiqué son attachement à
l’idéologie pour soigner un pays dépressif. « On a créé un pragmatisme au quotidien. Il manque quelque chose », diagnostiquait-il dès le début du quinquennat,
fustigeant « une gauche postmoderne
qui a renoncé aux grandes histoires pour
régler de petits désaccords locaux ».
Quelle idéologie alors pour Emmanuel
Macron ? « Il entre dans tous les sujets par
le prisme de la liberté, c’est un vrai libéral »,
juge Gilles Finchelstein, directeur général
de la Fondation Jean-Jaurès. Parmi ses
SADIQ KHAN
PREMIER
MAIRE
MUSULMAN
DE LONDRES
proches, certains évoquent la lignée Jacques Delors, ou rocardienne, d’autres le
comparent à Tony Blair jeune… L’intéressé entretient à volonté le flou : le « macronisme », « je suis incapable de le définir », répond-il au Monde, « je crois dans
mon pays ». Et sans doute en lui.
→
LIR E PAGE 7
2
EN QU ÊTE
Regarde pas ci,
regarde pas ça
PORTRAIT
L’addiction
aux émissions
à succès reste
un plaisir
coupable.
Confessions
intimes
d’accros à la
télé populaire
a été élu avec 57 % des voix.
Retour sur les vingt ans
qui ont propulsé cet avocat
spécialiste des droits de
l’homme sur le devant de la
scène politique britannique
MORGANE LE GALL POUR « LE MONDE ». P. ROBERT/M6. PH. LEROUX/FRANCE 3. PH. LE ROUX/ALP/TF1. C.G. JERUSALMI/D8. FRANCE 2. P. OLIVIER/M6. A. FAIDY/ AUTOFOCUS PROD. FRANCE 3. NRJ12. S. SMITH/JPLSTUDIOS.
▶ Le candidat travailliste
Le 7 mai,
au City Hall
de Londres.
INTERNATIONAL – PAGE 2
TOBY MELVILLE/REUTERS
4
B U R E AU X- T I C S
LinkedIn,
le « lien faible »
qui fait fort
Soudain, un inconnu frappe
à la porte de votre réseau…
6
SP O RT
Quatre applis
dans la course
Pour améliorer vos performances
au sprint ou seulement courir en
vous amusant
DIM A NC H E 8 - LU NDI 9 M A I 2016 CAHI E R D U « MO ND E » N O 22181 - NE PE U T Ê TR E VE ND U SÉ PAR É ME NT
Europe Le Hongrois Viktor Orban
propage la démocratie illibérale
L
a crise des migrants a été un formidable carburant alimentant son dessein :
le premier ministre Viktor Orban promeut en Hongrie la démocratie non libérale.
Ce modèle autoritaire fait désormais florès
dans toute l’Europe centrale : il est un modèle
en Pologne pour le PiS de Jaroslaw Kaczynski,
en Slovaquie pour le social-démocrate allié à
l’extrême droite Robert Fico. Un quart de siècle après la chute du communisme, les popu-
« Hitnrun Phase Two »,
l’ultime enregistrement
en studio du musicien
décédé le 21 avril vient de
sortir dans le monde entier
▶ Le registre des
214 000 structures
offshore administrées par Mossack
Fonseca sera publié
lundi 9 mai
LIR E PAGE 6
Jean BREHAT Rachid BOUCHAREB & Muriel MERLIN présentent
Fabrice
LIR E PAGE 1 7
Canada La ville pétrolière de Fort
McMurray est évacuée
I
LUCHIN
Juliette
E
BINOCH
UE-Turquie
Erdogan refuse
de modifier la loi
antiterroriste
Valeria
DE SCHI
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LIR E PAGE 3
Assurancechômage
Le Medef hésite
à claquer la porte
des négociations
▶ L’homme qui a
fourni 11,5 millions
de documents panaméens a transmis un
manifeste à la « Süddeutsche Zeitung »
LIR E NOT R E S U P P LÉ M E NT
LIR E PAGE 8
Aux portes de Fort McMurray, Alberta, le 6 mai. J. FRANSON/CANADIAN PRESS/AP
C’
est l’exode. Les 80 000
habitants de la région de
Fort McMurray fuient
les flammes qui ravagent la forêt.
Direction le sud. En voiture ou en
avion, avec un pont aérien mis
en place par les autorités.
Cent mille hectares sont partis
en fumée. La gestion défectueuse de la forêt, mal nettoyée
des souches et du bois mort, est
mise en cause dans la catastrophe. Si les installations pétrolières et gazières ont été épargnées,
la production est réduite et les
cours du pétrole sont repartis à
la hausse. A Fort McMurray, le
centre de la ville, l’hôpital et l’aéroport ont été épargnés par les
flammes. Mais la reconstruction
sera longue et coûteuse.
→ LIR E
Ma
1
ÉD ITO R IAL
L’EUROPE
CÉLESTE
LIR E PAG E 2 4 E T N O S
IN FO R MAT IO N S PAG E 3
Design : Laurent Pons / TROÏKA • Photo : R. Arpajou © 3B
LE LANCEUR
D’ALERTE
S’EXPLIQUE
POUR LA
PREMIÈRE FOIS
GÉOPOLITIQUE – PAGE S 1 0 À 1 3
Ils sont fous de « Plus belle la vie »,
ne rateraient pour rien au monde
« Amour, gloire et beauté »...
Un plaisir souvent coupable
Design : Laurent Pons / TROÏKA • Photo : R. Arpajou © 3B
Panama papers
listes sont au pouvoir dans ces pays. On y assiste à une régression de la démocratie, doublée d’une crispation identitaire et souverainiste. Comme l’explique le chercheur
Jacques Rupnik : « Cest un retour de l’Europe
centrale, mais pour défendre cette fois une
identité et une civilisation européennes qui seraient menacées par la Russie à l’est et l’islamisme au sud. »
Culture
Le dernier album
de Prince,
funky à souhait
e
t
u
o
L
ONT
uno DUM
Br
Laurena THELLIE
un film RAPdH,eDidier DESPRES, Cyril RIGAUX, Laura DUPRE, Thierry LAVIEVILLE,
, Caroline CARBON
R, Manon ROYÈRE
Avec Jean-Luc
NIER
don LAVIEVILLE,
VINCENT, Bran
VENDREDI 13 MAI
PAGE 5
Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €,
Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA
INTERNATIONAL
Sadiq Khan, du HLM à la mairie de Londres
2|
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Travailliste, fils de chauffeur de bus pakistanais, il est le premier maire musulman d’une capitale occidentale
PORTRAIT
permis à Ed Miliband, dont il était
le bras droit, d’être élu en 2010 à la
tête du Labour contre son propre
frère David. L’ex-leader l’a remercié en le nommant ministre
chargé de Londres dans son cabinet fantôme, tremplin vers la candidature à la mairie. Sadiq Khan a
ensuite brillamment conduit la
campagne des législatives du Labour de 2015 à Londres, où, en terrain sociologiquement favorable,
il a aidé le parti à conquérir 45 des
73 sièges de député de la mégapole. Dernière en date des manifestations de son habileté politique : l’an passé, contre toute attente, il a battu Tessa Jowell, la
candidate de l’establishment blairiste, favorite dans la course à l’investiture pour l’élection municipale de Londres.
Pour obtenir les faveurs de la
gauche du parti, il a rappelé son
opposition de toujours à la guerre
en Irak. Il a mis aussi en valeur le
parrainage qu’il a accordé à
Jeremy Corbyn pour lui permettre de se présenter à la primaire
du Labour, où ce dernier a été élu
à la surprise générale en septembre 2015. Mais une fois choisi pour
candidat pour la mairie de Londres, Sadiq Khan s’est rapidement
démarqué du nouveau patron du
parti, lui reprochant de renforcer
l’image « anti-juive » du Labour
par ses rencontres avec le Hamas
et le Hezbollah. Il a aussi qualifié
d’« erreur » son refus de chanter le
God Save the Queen lors de cérémonies. D’ailleurs, M. Corbyn
n’est apparu sur aucun document
de campagne du candidat travailliste et pratiquement jamais
sur le terrain avec lui.
londres - correspondant
J
e serai le meilleur maire
pour Londres. » Rencontré
quelques jours avant son
élection à la tête de la capitale britannique, vendredi
6 mai, Sadiq Khan, 45 ans,
semble à première vue
conforter le portrait qu’en livrent
ses adversaires : sûr de lui jusqu’à
l’arrogance. « Il ne perd jamais »,
dit de lui l’un de ses conseillers, en
rappelant que l’élu travailliste a
appris la boxe dans son enfance.
Pourtant, quand cet homme
trapu aux cheveux grisonnants et
aux yeux de félin prend la parole
sous la pluie au milieu d’une
soixantaine d’habitants de Bexley,
en grande banlieue de Londres,
pour défendre un espace vert
menacé par des promoteurs, son
empathie, son charisme et son
éloquence paraissent relever de
l’évidence.
« Fils d’immigré pakistanais et à
l’aise, c’est un oxymore pour
vous ? », tacle-t-il un peu plus tard,
au cours d’un entretien dans un
café italien. « Mon parcours symbolise le fait que Londres est une
ville formidable. J’aime cette cité
qui m’a donné toutes mes chances », résume alors celui qui a été
élu à la tête de la capitale britannique en rassemblant 57 % des suffrages sur son nom. Qu’il le
veuille ou non, l’accession de ce
fils de famille modeste et de foi
musulmane au sommet d’une
des villes les plus cosmopolites du
monde (8,7 millions d’habitants,
dont 1 million de musulmans) est
regardée comme un événement.
Toutes proportions gardées, Sadiq Khan serait à Londres ce que
Barack Obama a été aux EtatsUnis. Loin de la masquer, il a porté
sa différence en bannière pendant
toute la campagne.
De fait, s’il y a deux choses
qu’aucun Londonien ne peut
ignorer à propos de Sadiq Khan,
c’est qu’il est le fils d’un chauffeur
de bus pakistanais et qu’il est musulman. Ces deux détails biographiques, pas nécessairement engageants pour tous les électeurs,
il les a mis en avant comme ses
principaux atouts.
Le fils de chauffeur de bus ?
Sadiq Khan posait sur ses dépliants glissés dans toutes les boîtes aux lettres devant un magnifi-
LE CONTEXTE
REVERS EN ÉCOSSE
La victoire nette aux élections du
5 mai à Londres (57 % des voix
contre 43 % au conservateur Zac
Goldsmith) fait oublier le résultat
en demi-teinte du Labour de Jeremy Corbyn en Angleterre et le
grave revers qu’il a essuyé en
Ecosse. Sitôt sa victoire officialisée dans la nuit de vendredi à
samedi, M. Khan a remercié
les Londoniens d’avoir « choisi
l’espoir plutôt que la crainte »,
allusion à la campagne de
M. Goldsmith, qui tentait de
l’associer à l’islamisme et au
terrorisme.
ÉCHEC DE CROSBY
L’élection de Sadiq Khan, premier maire musulman d’une
grande capitale occidentale,
marque l’échec de la stratégie
« raciale » du communicant Lynton Crosby, qui avait géré avec
succès les campagnes de Boris
Johnson en 2008 et 2012.
M. Johnson, qui ne se représentait pas, dirige désormais la
campagne conservatrice en
faveur de la sortie de l’Union
européenne.
Sadiq Khan
chez lui,
dans le
quartier
populaire
de Tooting,
dans la
banlieue sud
de Londres,
le 26 février.
KALPESH LATIGRA
que « double-decker » rutilant,
symbole du bus 44 qu’a conduit
son père pendant des années. Ancien ministre travailliste des
transports, il promet de geler le
prix des transports en commun,
dont il attribue le coût prohibitif –
le plus élevé d’Europe – à la gestion de son prédécesseur, le conservateur Boris Johnson.
« Garçon élevé en HLM »
Le musulman britannique ?
Croyant, pratiquant, il est le
mieux placé, assure-t-il, pour
« combattre l’extrémisme » en incitant la grande masse modérée
de ses coreligionnaires à « dénoncer à haute voix l’extrémisme ». Les
musulmans britanniques « doivent faire davantage pour extirper
ce cancer », a-t-il déclaré en novembre 2015, après les attentats
de Paris. Lui, qui se présente
comme « le maire de tous les Londoniens », a critiqué le multiculturalisme en vigueur au RoyaumeUni : « Nous avons protégé le droit
des gens à vivre selon leurs traditions culturelles aux dépens du vivre-ensemble. Trop de musulmans
britanniques grandissent sans
vraiment connaître personne
d’une origine différente. »
Son troisième atout est d’être un
« garçon élevé en HLM », ce qui lui
permet de se présenter en champion face à la toute première obsession des Londoniens : la folie
des prix de l’immobilier, due notamment à une pénurie de mises
en chantier. « Londres est la plus
grande ville du monde mais elle
perd des points à cause de l’impossibilité d’y vivre, sauf à consacrer la
moitié de ses revenus à son loyer
ou à ses remboursements d’emprunt, explique-t-il. Ce ne sont plus
seulement les chauffeurs de bus ou
les professeurs qui ne peuvent plus
suivre, ce sont désormais les médecins, les cadres et les banquiers ! »
Son parcours de réussite, c’est celui de Londres, n’a-t-il cessé de répéter en substance pendant toute
la campagne, transformant le
conte de fées de sa propre ascension sociale en bande-annonce de
ses ambitions pour une villemonde dont le dynamisme attire
la planète entière. « La promesse de
Londres a toujours été : “Quelles
que soient tes origines, si tu travailles dur, tu trouveras une main
pour t’aider et tu pourras tout réussir.” C’est ce qui m’est arrivé, résume-t-il. Mais aujourd’hui, trop de
Londoniens, en particulier des jeunes, ne peuvent plus aller jusqu’au
bout de leur talent. Les prix des logements et de la vie sont hors de
leur portée et plus personne ne les
aide. Maire de Londres, je veux être
cette main secourable pour les Londoniens de toutes origines. »
Et d’égrener les étapes de sa success story. Premier de la fratrie à
naître à Londres, il a été élevé dans
un HLM surpeuplé du quartier populaire de Tooting avec ses six frères et sa sœur, par des parents durs
à la tâche – un père ne refusant jamais les heures supplémentaires,
sauf le dimanche pour emmener
ses enfants au musée, et une mère
qui cousait des robes pour
25 pence la pièce tout en préparant
les repas. Il raconte son expérience
du racisme ordinaire, qui l’a conduit parfois à exercer ses talents de
boxeur, ses professeurs de l’école
publique qui l’ont poussé vers les
études supérieures, sa carrière
d’avocat spécialisé dans les droits
de l’homme, comme son épouse
Saadiya… Puis la plongée en politi-
« Je veux être
cette main
secourable pour
les Londoniens
de toutes
origines »
SADIQ KHAN
Lors de sa campagne
pour la mairie de Londres
que : conseiller municipal à 24 ans,
député de Tooting à 34 ans, ministre à 37 ans. « Le premier musulman à accéder au conseil privé de
la reine », a-t-on dit de lui quand le
premier ministre travailliste,
Gordon Brown, lui a confié le portefeuille des transports, en 2009.
Avant la première séance en présence d’Elizabeth II, Buckingham
l’a appelé pour lui demander sur
quel genre de Bible il comptait prêter serment. Il a demandé un
Coran. Il n’y en avait pas. Il a apporté son propre exemplaire.
« Identités multiples »
A force de prétendre transformer
ses origines et sa religion en
atouts dans la campagne municipale, il a reçu la monnaie de sa
pièce. Amplement. Le premier
ministre David Cameron l’a accusé d’avoir « servi de couverture à
des extrémistes ». Les journaux
conservateurs ont sorti des photos où il figure en mauvaise compagnie : aux côtés de Suliman
Gani, un imam radical de sa circonscription, ou dans une réunion d’un collectif « contre la terreur politique » soutenu par
Al-Qaida. Dans le Mail on Sunday,
son adversaire conservateur Zac
Goldsmith a été jusqu’à associer
son nom aux attentats terroristes
de 2005, n’hésitant pas à le comparer aux « dégoûtants personnages » de l’islam radical. L’intéressé
répond que dans un meeting, « on
ne sait pas toujours qui va parler
après vous » et qu’en tant qu’avocat spécialisé dans les dossiers de
droits de l’homme, il a évidemment défendu de « dégoûtants
personnages ».
La foi musulmane, « c’est une
partie de qui je suis, explique-t-il.
Mais, comme tout le monde, j’ai
des identités multiples : je suis un
Londonien, un Britannique, un
Asiatique d’origine pakistanaise,
un supporteur de Liverpool, un
père, un mari, un travailliste et un
musulman ». Pratiquant – il ne
boit pas d’alcool et jeûne pour le
ramadan – mais tolérant, en bons
termes avec les autres cultes, il a
été visé par une fatwa lorsqu’il a
pris fait et cause pour le mariage
gay. Pour la journaliste Yasmin
Alibhai-Brown, l’élection de Sadiq
Khan démolit le discours anti-occidental des extrémistes et apparaît comme « le pire cauchemar pour les terroristes ». « Si un
musulman peut être élu par des
millions de citoyens de toutes origines pour diriger l’une des plus
grandes villes du monde, écrit-elle
dans le Guardian, comment pourraient-ils continuer de faire croire
que les musulmans n’ont pas d’avenir en Europe ou que les Occidentaux les haïssent ? »
Politiquement, Sadiq Khan s’affiche en modéré, pragmatique et
proeuropéen. Alors que le Labour
cumule revers politiques et défaites électorales, il est crédité de
trois victoires personnelles : il a
Souplesse politique
Le fils de chauffeur de bus a séduit une partie de la très cosmopolite City en promettant d’être
« le maire le plus pro-business que
Londres ait jamais connu ». Une
forfanterie, de la part de celui qui
va succéder à l’ultralibéral Boris
Johnson. Sadiq Khan veut « aider
les entreprises à prospérer » et exclut toute augmentation de la
fiscalité les visant. Face aux prix
astronomiques de l’immobilier,
l’ancien « gamin élevé en logement social » ne promet ni contrôle des loyers (hors des compétences du maire) ni réquisitions,
mais un programme de construction de logements locatifs
abordables et une chasse aux
propriétaires voyous. Sa souplesse politique l’a conduit à
abandonner son soutien à l’extension
de
l’aéroport
d’Heathrow – une position insoutenable pour les Londoniens
– pour vanter celle de Gatwick,
bien plus éloigné de la capitale.
Son engagement européen est
en revanche une constante.
« Comment voudriez-vous que le
maire d’une ville où plus de
500 000 emplois sont directement liés à l’UE puisse souhaiter la
sortie de l’Union ? », lance Sadiq
Khan. Et d’entonner un hymne à
la diversité culturelle et culinaire
qu’apportent à Londres les
550 000 citoyens européens, « ces
amis » qui y ont élu domicile et
dont il n’oublie évidemment pas
qu’ils font partie du corps électoral lors des municipales.
Le nouveau combat du boxeur
travailliste ne fait que commencer. Boris Johnson, auquel il succède, aspire à remplacer David
Cameron à Downing Street. Premier maire musulman d’une capitale européenne, Sadiq Khan va
prendre des coups. Mais lui qui
« ne perd jamais » sait depuis l’enfance comment les rendre. Avec
une véhémence un peu trop appuyée, il prétend n’avoir aucune
ambition de devenir premier ministre. Mais il n’ignore rien du
fantastique tremplin politique sur
lequel il est désormais juché. p
philippe bernard
international | 3
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
L’accord entre l’UE et la Turquie sur le fil du rasoir
Le président turc refuse de modifier la loi antiterroriste comme le prévoyait le texte signé avec Bruxelles
rome - envoyée spéciale
istanbul - correspondante
L’
accord sur les migrants
signé le 18 mars entre
l’Union européenne et
la Turquie est-il toujours d’actualité ? Au lendemain
de la mise à l’écart du premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, l’interlocuteur privilégié des Européens dans ce dossier, le président
Recep Tayyip Erdogan a montré
qu’il reprenait la main, bien décidé
à mettre Bruxelles au pied du mur.
La Turquie n’a pas l’intention de
procéder aux modifications de sa
loi antiterroriste comme le prévoit
l’accord, a fait savoir M. Erdogan
dans un discours aux accents
abrupts, prononcé dans le quartier
d’Eyüp, à Istanbul, vendredi 6 mai.
« Au moment où la Turquie subit
les attaques des organisations terroristes et des structures qui les
soutiennent, l’Union européenne
nous demande de modifier la loi
sur le terrorisme. Les visas seront
abolis à cette condition, c’est ce
qu’ils disent. Désolé, allez votre
chemin, nous suivrons le nôtre. Entendez-vous avec qui vous pouvez… », a déclaré le numéro un,
très applaudi.
Entré en vigueur début avril,
l’accord prévoit le retour en Turquie de tous les migrants et réfugiés arrivés après le 20 mars sur
les îles grecques de la mer Egée. En
retour, Ankara a obtenu une aide
financière (6 milliards d’euros),
une accélération de la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs voulant se rendre dans
l’espace Schengen et la reprise des
négociations d’adhésion à l’UE.
L’exemption de visas d’ici à la
fin juin était jusqu’ici perçue
comme le principal acquis de l’accord. La Commission européenne
vient d’approuver cette mesure, à
condition qu’Ankara remplisse les
cinq derniers critères exigés (sur
72 au départ), dont une redéfinition de la loi antiterroriste, jugée
trop vague. Son champ d’application doit être réduit, « des critères
de proportionnalité » doivent être
introduits.
Réduire les opposants au silence
En guerre sur deux fronts, contre
les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, autonomiste) dans le sud-est du pays
et contre les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) sur
son flanc sud (19 morts à Kilis depuis janvier), la Turquie « ne peut
pas se permettre » de changer sa
définition du terrorisme, a souligné le ministre turc aux affaires
européennes, Volkan Bozkir, cité
vendredi par le quotidien progouvernemental Sabah.
Le président Erdogan souhaite
au contraire l’élargir afin de réduire ses opposants au silence.
« Les terroristes ne sont pas seulement ceux qui appuient sur la gâchette, mais aussi ceux qui rendent
ces actes possibles. (…) Ce pourrait
être des journalistes, des députés
ou des représentants de la société
civile », avait martelé le chef de
l’Etat le 14 mars, au lendemain
d’un attentat meurtrier (37 morts)
perpétré à Ankara.
C’est sous l’inculpation de terrorisme que pourraient être jugés
49 des 59 députés du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), accusés de soutien au
PKK. Leur immunité parlementaire est en passe d’être levée. La
mesure concerne 116 des 550 députés du Parlement, accusés de
malversations pour la plupart ;
8 % des députés du Parti de la justice et du développement (AKP, au
pouvoir depuis 2002) sont concernés, 83 % dans les rangs du
HDP. L’éviction de ces députés entraînerait une recomposition du
Parlement, ouvrant la voie à
l’adoption de la réforme constitutionnelle voulue par le président
Erdogan, qui l’a qualifiée vendredi de « nécessité urgente ».
Applaudi par les militants de
base de l’AKP, le coup de gueule de
surtout au Parlement européen,
mais aussi dans les capitales, notamment à Paris.
Les nouvelles exigences de la
Turquie pourraient braquer un
peu plus les eurodéputés, notamment les conservateurs, majoritaires dans l’hémicycle à Bruxelles. « L’accord EU-Turquie a été négocié avec le gouvernement turc,
M. Davutoglu n’est pas encore
parti, il faut continuer à travailler
avec lui », précisait une source diplomatique européenne vendredi soir.
« Ce qu’Erdogan veut peut-être,
c’est provoquer une réaction forte
de l’UE. Le pire serait une réaction
en retour très négative du Parlement européen qui casserait l’accord avec Ankara dans les heures
qui suivent », ajoutait cette source.
Le président Erdogan se sent en
« Désolé, allez
votre chemin,
nous suivons le
nôtre. Entendezvous avec qui
vous pouvez »
RECEP TAYYIP ERDOGAN
président turc
M. Erdogan inquiète les dirigeants européens. Cruciale, la
question des visas menace de
mettre l’accord au tapis. Une procédure accélérée, aménagée tout
spécialement pour la Turquie,
n’est pas envisageable. D’autant
que les réticences à la libéralisation des visas sont profondes,
position de force sur la question
des réfugiés. Près de trois millions
de Syriens victimes du conflit ont
trouvé refuge en Turquie ; des dizaines de milliers campent dans
un no man’s land à la frontière syrienne et 400 000 déplacés pourraient grossir leurs rangs dans le
cas d’une offensive aérienne
russe sur Alep.
Si l’accord s’effondre, les dirigeants turcs ont menacé d’expédier vers l’Europe des centaines
de milliers de réfugiés. « Ne croyez
pas que les bus et les avions soient
ici pour rien, nous ferons le nécessaire », avait menacé M. Erdogan
le 11 février, excédé par les appels
pressants lancés par l’Europe
pour que son pays retienne le flot
des migrants. p
cécile ducourtieux
et marie jégo
Prison ferme pour deux journalistes du quotidien « Cumhuriyet »
deux journalistes du quotidien d’opposition Cumhuriyet, Can Dündar et
Erdem Gül, ont été condamnés, vendredi
6 mai, à cinq ans et dix mois de prison
pour le premier, à cinq ans pour le second,
par un tribunal d’Istanbul pour « divulgation de secrets d’Etat ». Les deux journalistes, qui ont été laissés en liberté, vont faire
appel. Ils sont également poursuivis, dans
une autre procédure, pour « liens avec une
entreprise terroriste ».
L’accusation reprochait aux deux hommes d’avoir publié des articles et une vidéo montrant une livraison d’armes, opérée en 2014 par les services secrets turcs
(MIT) aux rebelles syriens. Leur procès,
Le pape plaide pour un nouvel
humanisme européen
En recevant le prestigieux prix Charlemagne, François a appelé
les dirigeants de l’UE à s’occuper des réfugiés et des jeunes
emblématique des atteintes à la liberté
d’expression en Turquie, a été largement
suivi par les diplomates occidentaux. Le
président turc, Recep Tayyip Erdogan, a
fustigé leur présence au tribunal dès
l’ouverture du procès.
Agression à main armée
Les audiences ont eu lieu à huis clos. Le
chef de l’Etat, qui s’est constitué partie civile aux côtés des services secrets, a
accusé les journalistes d’avoir sali la réputation de la Turquie, allant jusqu’à souhaiter publiquement qu’ils « paient le prix
fort » pour leurs écrits. L’annonce du verdict a été précédée, vendredi, d’une agres-
sion à main armée contre Can Dündar.
Sorti de la salle d’audience à l’occasion
d’une pause, il a été visé à trois reprises
par un agresseur qui a crié « traître » en lui
tirant dessus.
Can Dündar n’a pas été touché. L’attaquant a été interpellé par la police. Selon
l’agence Dogan, il s’agirait de Murat Sahin,
40 ans, originaire de Sivas, une ville conservatrice du nord-est de la Cappadoce. « Nous
avons vécu deux tentatives d’assassinat en
deux heures, a commenté Can Dündar.
L’une par arme à feu et l’autre judiciaire. Je
sais que les ordres des plus hautes instances
ont joué un rôle dans le jugement. » p
m. jé.
“UN NANNI MORETTI À LA MODE HISPANIQUE”
LES INROCKS
“SÉDUISANTE COMÉDIE PHILOSOPHIQUE”
L’EXPRESS
“UNE FANTAISIE SUBTILE ET DÉCALÉE”
LES CAHIERS DU CINÉMA
“UNE COMÉDIE EXISTENTIELLE TRAVERSÉE ÇA ET LÀ PAR LE FANTÔME DE BUÑUEL”
rome - envoyée spéciale
Q
ue t’est-il arrivé, Europe
humaniste, paladin des
droits de l’homme, de la
démocratie et de la liberté ? » En recevant le prestigieux
prix Charlemagne, qui récompense des personnalités ayant
œuvré pour la construction européenne, le pape François a prononcé un discours très politique,
vendredi 6 mai, au Vatican.
Au premier rang dans la Sala Regia, la salle royale du palais apostolique, les présidents des trois institutions communautaires de l’UE,
Donald Tusk pour le Conseil,
Martin Schulz pour le Parlement,
et Jean-Claude Juncker pour la
Commission, mais aussi la chancelière allemande, Angela Merkel,
étaient venus chercher des paroles d’encouragement de la part du
souverain pontife, alors qu’ils tentent de recoller les morceaux
d’une Europe profondément divisée sur la question des migrants,
menacée par le populisme et les
forces centrifuges eurosceptiques.
Ils n’ont pas reçu une leçon de
morale, mais une injonction à aller
de l’avant, plutôt que de regretter
le passé comme ils le font si souvent, multipliant les références à
l’héritage oublié des pères fondateurs, la paix retrouvée sur le
continent, la fin des totalitarismes,
etc. François les a aussi pressés de
s’occuper, au premier chef, du sort
des migrants, mais aussi de celui
des jeunes : « Nos jeunes ont un rôle
prépondérant. Ils ne constituent
pas l’avenir de nos peuples, mais ils
sont le présent ; ils sont ceux qui,
déjà par leurs rêves, par leur vie,
sont en train de forger l’esprit européen. Nous ne pouvons pas penser
l’avenir sans leur offrir une réelle
« Je rêve d’une
Europe où être
migrant ne soit
pas un délit »
LE PAPE FRANÇOIS
participation comme agents de
changement et de transformation.
Nous ne pouvons pas imaginer l’Europe sans les rendre participants et
protagonistes de ce rêve. »
Il a ajouté, encore plus direct et
incisif : « Comment pouvons-nous
faire participer nos jeunes à cette
construction lorsque nous les privons (…) de travaux dignes qui leur
permettent de se développer grâce
à leurs mains, grâce à leur intelligence et à leur énergie ? Comment
voulons-nous leur reconnaître la
valeur de protagonistes, lorsque les
taux de chômage et de sous-emploi
de millions de jeunes Européens
sont en augmentation ? Comment
éviter de perdre nos jeunes, qui finissent par aller ailleurs à la recherche d’idéaux et de sens d’appartenance parce qu’ici, sur leur terre,
nous ne savons pas leur offrir des
opportunités et des valeurs ? »
Capacité intégratrice de l’UE
Sur la migration, une de ses principales préoccupations, François,
« fils d’immigrés italiens », comme
l’a rappelé M. Schulz lors de son allocution, a aussi eu des mots très
forts. « Je rêve d’une Europe où être
migrant ne soit pas un délit mais
plutôt une invitation à un plus
grand engagement dans la dignité
de l’être humain tout entier », a-t-il
déclaré, sans pour autant condamner ni le refus d’accueillir des réfugiés de certains Etats membres
(Hongrie, Pologne, Slovaquie…) ni
l’accord, très contesté, signé entre
Bruxelles et Ankara en mars.
En visite, mi-avril, à Lesbos, l’île
grecque transformée en camp de
rétention pour réfugiés, le pape
avait aussi évité toute critique à
l’égard de Bruxelles, mais il avait
déjà déploré les « ghettos » empêchant les migrants de s’intégrer
dans la société européenne. Vendredi, il a réinsisté sur la nécessité
pour l’Europe de retrouver sa capacité intégratrice, elle dont
l’identité a « toujours été dynamique et multiculturelle ».
François avait prononcé des paroles très dures, en novembre 2014,
devant le Parlement européen, regrettant une « Europe grand-mère
et non plus féconde et vivante ». Il a
été plus positif vendredi, encourageant le Vieux Continent à donner
d’urgence naissance à un « nouvel
humanisme européen ». La dernière phrase de son discours résume cette sévérité et cette ambition : « Je rêve d’une Europe dont on
ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été
sa dernière utopie. »
Après le discours du président
américain, Barack Obama, fin
avril, rappelant aux Européens
qu’ils doivent être fiers d’eux-mêmes, ce vibrant appel papal va-t-il
aider l’Union à surmonter ses crises ? « Espérons qu’il poussera à
une prise de conscience, notamment à l’est de l’Europe », glissait
une source européenne, alors que
Bruxelles a pris le risque, mercredi
4 mai, d’exacerber encore plus les
tensions entre capitales, en présentant une réforme avec de fortes pénalités financières pour les
pays refusant les réfugiés. p
cécile ducourtieux
et cécile chambraud (à paris)
TÉLÉRAMA
“PETIT CONTE PHILOSOPHIQUE À LA DENSITÉ
OUATÉE DES PLUS AGRÉABLES”
LE MONDE
“UNE COMÉDIE PINCESANS-RIRE PLEINE
D’AUTODÉRISION”
FROGGY’S DELIGHT
“UN HUMOUR À LA FOIS
DISCRET ET DÉCALÉ”
LA CROIX
“ENTRE FABLE ABSURDE À LA BUÑUEL ET CONTE PHILOSOPHIQUE
FAÇON ITALO CALVINO,
IL REND DISTRAYANT UNE CRISE EXISTENTIELLE !”
PREMIÈRE
“DIEU MA MÈRE ET MOI REND HOMMAGE
À WOODY ALLEN EN IMAGINANT SON
PENDANT LUNAIRE ET LATIN”
POSITIF
“CE FILM PERTINENT POSE SIMPLEMENT LA QUESTION
DU LIBRE ARBITRE NIÉ À LA NAISSANCE”
LE PARISIEN
“COMIQUE ET INQUIÉTANT,
SURGI COMME UN DIABLE
D’UNE IMPROBABLE BOÎTE À MALICES,
UN FILM À LA FOIS LÉGER
ET COMPLEXE, AUX MULTIPLES ÉCHOS”
SLATE
UN FILM DE FEDERICO VEIROJ
ACTUELLEMENT AU CINÉMA
4 | international
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Irak : les partisans de Moqtada Sadr calment le jeu
L’autre courant proréformes, laïque, a manifesté seul, vendredi, aux abords de la « zone verte », à Bagdad
LE CONTEXTE
bagdad - envoyée spéciale
L
a place de la Libération, au
centre-ville de Bagdad,
avait des airs de lendemain de fête, le 6 mai. En
ce premier vendredi de manifestation après l’invasion de la « zone
verte », le quartier ultra-sécurisé
qui abrite les principales institutions du pays, seuls 400 manifestants du courant civil et laïc ont
rejoint cette place devenue le lieu
de rendez-vous hebdomadaire du
mouvement pro-réformes depuis
l’été 2015.
Après que des milliers de ses
partisans ont investi, le 30 avril, la
« zone verte » et le Parlement, le
chef religieux et politique chiite
Moqtada Sadr a décidé de calmer
le jeu. Accusé d’avoir attenté au
prestige de l’Etat et conforté par
des promesses du gouvernement,
il a enjoint ses partisans à rester
manifester dans leurs quartiers.
L’imposant dispositif sécuritaire déployé autour du centreville et la présence renforcée des
milices au motif d’empêcher tout
débordement n’ont pas dissuadé
le petit groupe de manifestants du
courant civil à satisfaire à leur rituel. Emmenés par le leader communiste Jassem El-Helfi, ils ont retrouvé le petit coin de place qu’ils
occupent habituellement au milieu d’une marée humaine sadriste. « Le prestige de l’Etat, c’est
aussi la dignité du citoyen » : les
slogans répondent aux condamnations par les autorités des événements du week-end précédent.
« Etre là aujourd’hui pour continuer à soutenir nos demandes de
réformes, c’est un défi lancé au
gouvernement et aux partis politiques face au renforcement des mesures de sécurité », justifie M. Helfi.
Le leader communiste a été
parmi les animateurs du vaste
mouvement de contestation populaire lancé le 31 juillet 2015 à
Bagdad après la mort de Mountasar Al-Helfi, un jeune manifestant
de Bassora de 17 ans tué par les forces de sécurité. Le sud du pays manifestait alors contre l’incapacité
des autorités à fournir les services
VIDE POLITIQUE
Depuis le 9 février, le premier ministre Haïder Al-Abadi tente
d’imposer un gouvernement de
technocrates, qu’il juge plus à
même d’imposer les réformes
politiques et économiques promises à la suite de mouvement
de contestation civil né à l’été
2015. Il est confronté à de fortes
résistances des partis politiques,
en premier lieu celle de son propre parti, le parti religieux chiite
Etat de droit (Dawa).
Populaire auprès de milliers
d’Irakiens issus des quartiers populaires de Bagdad et des villes
chiites du sud du pays, le chef
politique et religieux chiite Moqtada Sadr s’est imposé à la tête
du mouvement de contestation.
Le 30 avril, il a lancé ses milliers
de partisans à l’assaut de la
« zone verte » et du Parlement
pour protester contre un nouvel
échec des députés à introniser
les technocrates que M. Abadi
a choisi pour un remaniement
ministériel.
Manifestants
du courant
civil et laïque
sur la place
de la
Libération,
à Bagdad,
vendredi
6 mai.
LAURENT VAN DER
STOCKT POUR
« LE MONDE »
de base face aux chaleurs suffocantes de l’été. La faillite même de
l’Etat était dénoncée.
La déroute de l’armée irakienne
face à l’organisation Etat islamique (EI), qui s’est emparée d’un
tiers du territoire en juin 2014, et
la crise financière ont mis en lumière l’échec d’un système miné
par la corruption et le clientélisme politique.
Le tournant de l’été 2015
Pour les quelques centaines de militants civils et laïcs bien seuls à
porter ces revendications depuis
la fin des années 2000, l’été 2015 a
été un tournant. Pour la première
fois, des milliers d’Irakiens se sont
joints à eux pour réclamer la fin du
système politique sectaire et confessionnel mis en place après la
chute de Saddam Hussein en 2003.
« Le seul moment de ma courte vie
où j’ai cru voir de la lumière au bout
du tunnel a été le déclenchement
des manifestations. C’était la première fois dans l’histoire de l’Irak
moderne que les gens disaient sans
peur leur volonté d’imposer des réformes », raconte Adham Adel, un
poète chiite de 29 ans, actif dans le
mouvement civil à Bagdad depuis
l’université.
Les militants civils ont d’abord
accueilli favorablement le ralliement de Moqtada Sadr et de ses
milliers de partisans, issus des
quartiers défavorisés de Bagdad
et des villes du sud chiite, à la fin
de l’été. Les promesses de réformes du premier ministre Haider
Al-Abadi tournaient déjà court
face aux réticences des partis politiques, notamment dans le
camp chiite au pouvoir, à renon-
« Les islamistes
ont réussi
à kidnapper
le mouvement »
ADHAM ADEL
poète et militant laïque
en faveur des réformes
cer à leurs privilèges. Le courant
sadriste a donné un nouveau
souffle au mouvement, alors que
les Irakiens s’en détournaient et
que l’ayatollah Ali Al-Sistani, la
plus haute autorité religieuse
chiite du pays, soutien affiché du
mouvement, perdait espoir
d’être entendu.
Neuf mois plus tard, la désillusion est totale pour Adham Adel.
« Les islamistes ont réussi à kidnapper le mouvement. Le courant
sadriste est l’un des facteurs de corruption en Irak : il a des ministres
et des hauts fonctionnaires. Il a
beaucoup de comptes à régler avec
les différents acteurs politiques
chiites. Il veut faire d’une pierre
deux coups : régler ses comptes et
gagner les cœurs et esprits des Irakiens pour revenir en force », poursuit-il.
En mars, lui et quelque
200 autres manifestants civils
ont refusé une nouvelle rencontre avec Moqtada Sadr et arrêté de
manifester. « Ils ont cessé de se
coordonner avec nous. Le courant
sadriste sera le grand gagnant de
ces événements », explique Hamid
Djerjia, 44 ans, président de l’association Univers pour le développement humain.
Difficiles négociations pour la paix au Yémen
L’
Arabie saoudite est-elle
prête à forcer le gouvernement yéménite, en exil à
Riyad, à négocier la paix avec la rébellion houthiste, contre laquelle
le royaume est entré en guerre
dans la nuit du 25 au 26 mars 2015 ?
Pour l’heure, les pourparlers qui
se sont ouverts officiellement le
18 avril au Koweït, sous l’égide des
Nations unies, ont pour seul mérite d’exister, après deux précédentes tentatives avortées en juin
et en décembre 2015 en Suisse, et
de forcer les parties à respecter un
cessez-le-feu, régulièrement violé
mais qui tient globalement depuis
un mois.
Le dialogue a repris mercredi
4 mai, après un retrait de trois
jours de la délégation gouvernementale, au prétexte d’une attaque mineure contre une base militaire de la province d’Amran par
la rébellion qui s’était emparée de
l’essentiel du pays entre septembre 2014 et mars 2015 avec l’aide
des forces de l’ex-président Ali Abdallah Saleh. En fin de semaine
dernière, Mohammad Abdoulsalam, le chef de la délégation houthiste, estimait que le gouvernement Hadi « souhaite que les pourparlers s’éternisent, c’est dans son
intérêt ». Peu d’observateurs présents au Koweït lui donnent tort.
Pour l’heure, les
discussions qui
se sont ouvertes
au Koweït, sous
l’égide des
Nations unies,
ont pour seul
mérite d’exister
Nombre d’acteurs du camp gouvernemental peuvent trouver un
intérêt à poursuivre la guerre
contre la rébellion chiite, basée à
la frontière sud de l’Arabie saoudite et jugée infiltrée par le grand
rival régional de Riyad, l’Iran. C’est
le cas du parti Al-Islah, la branche
yéménite des Frères musulmans,
dont les milices combattent la rébellion et qui peut espérer affermir sa position sur le terrain. C’est
aussi le cas du vice-président Ali
Mohsen Al-Ahmar, un militaire
doté de réseaux islamistes et tribaux puissants en temps de
guerre mais au capital politique
usé par trois décennies au pouvoir aux côtés de son cousin,
l’ex-président Saleh, devenu son
ennemi juré.
Le président, Abd Rabo Mansour Hadi, sait, quant à lui, n’avoir
pas de rôle majeur à jouer dans un
Yémen en paix. Ses errements depuis le « printemps yéménite »,
qui l’a porté au pouvoir en 2012
pour une durée de deux ans, l’ont
rendu impopulaire. Il s’appuie sur
des milices qui ne lui sont guère
loyales et dont le désarmement
s’annonce difficile, après un éventuel accord. Son gouvernement
ne tient que partiellement Aden,
le grand port du sud dont les rebelles ont été chassés en
juillet 2015. Surtout, son soutien
aux bombardements saoudiens,
meurtriers pour les civils, a
poussé une part de la population
à relativiser les exactions des houthistes, dans un conflit qui a fait
plus de 6 400 morts.
« Des armes, il y en a partout ! »
« L’Arabie saoudite ne va pas continuer éternellement à dépenser son
argent avec générosité pour les
garder à Riyad, dit Mustafa Noman, ancien vice-ministre des affaires étrangères yéménite et
chroniqueur pour le quotidien
saoudien Okaz. Il faudra qu’ils
partent. Les gouvernements ne
sont pas des organes de charité. »
Côté rebelles, l’ex-président Saleh, visé par des sanctions de
l’ONU et appelé à quitter le pays au
terme des hostilités, joue lui aussi
de son pouvoir de nuisance,
même si ses représentants participent aux négociations au
Koweït. Ces pourparlers ont pourtant une chance d’aboutir : « Les
Saoudiens veulent en finir, estime
une source diplomatique. Le viceprince héritier, Mohammed Ben
Salman, a affirmé son autorité. Il a
rassemblé la population autour
d’une cause commune » ; mais
face au manque de résultats visibles, aux critiques de l’allié américain et au coût financier cumulé
de l’opération, « l’Arabie saoudite a
basculé dans une phase de gueule
de bois », estime cette source. Cependant, le royaume ne paraît pas
décidé à négocier à n’importe
quel prix et l’armée saoudienne
évoque encore une possible victoire sur le terrain.
Le royaume a négocié directement avec les houthistes, à Riyad
en début d’année. « Nous avons négocié un arrêt de la guerre à la frontière, puis l’extension du cessez-lefeu jusqu’au fin fond du Yémen,
ainsi que des solutions politiques »,
dit Mohammad Abdoulsalam, qui
« Riyad a basculé
dans une phase
de gueule
de bois », estime
une source
diplomatique
hélène sallon
I RAK
Le camp gouvernemental fait traîner en longueur les pourparlers tandis que son parrain saoudien s’impatiente
koweït - envoyé spécial
« Les partisans de Moqtada Sadr
ne viennent pas en tant que partisans d’un courant religieux mais
comme Irakiens pauvres et démunis, en quête d’un Etat de droit »,
défend Jassem El-Helfi, qui dit
avoir obtenu des garanties du
courant sadriste sur la mise en
place d’un gouvernement de technocrates et le vote de lois réclamées par le mouvement civil.
Avec quelque 300 militants civils, il a décidé de poursuivre le
mouvement avec les sadristes. Le
30 avril, il était à leurs côtés. Hamid Djerjia dénonce, lui, une « violation du principe du pacifisme des
manifestations ». « Contestataire
mais pas révolutionnaire », il veut
croire que le courant civil reprendra la main sur le mouvement en
faveur des réformes. p
a mené ces pourparlers secrets.
« Nous n’avons pas de problème actuellement avec l’Arabie saoudite. »
Un canal de négociation se maintient au Koweït, de source diplomatique, entre M. Abdoulsalam et
l’ambassadeur saoudien.
Pour l’heure, les parties divergent sur deux points majeurs : le
gouvernement veut que les rebelles rendent leurs armes et abandonnent les villes occupées, suivant la résolution 2 216 adoptée
par le Conseil de sécurité de l’ONU
en avril 2015. Les rebelles exigent,
quant à eux, la formation préalable d’un gouvernement de transition. « Des armes, il y en a partout !
Pourquoi exigerait-on que nous
rendions les nôtres à un parti avec
lequel nous sommes en guerre depuis un an ? Qu’est-ce qui garantira
nos vies et celles de nos enfants ? »,
demande M. Abdoulsalam.
Ces négociations pourraient
encore durer un mois. De source
diplomatique, on estime qu’en
l’absence d’un accord durable,
une solution « à l’eau tiède » acterait la prolongation du cessez-lefeu, avant de nouvelles négociations. Un échec pourrait entraîner
une reprise des hostilités à une
large échelle, avec le risque que la
communauté internationale se
désintéresse d’un Yémen en état
de désintégration avancée. p
louis imbert
Des fosses communes
découvertes dans
l’ancien territoire de l’EI
« Plus de cinquante fosses
communes ont été découvertes
dans plusieurs zones de l’Irak »,
sur un territoire anciennement contrôlé par les combattants de l’organisation Etat islamique, dont trois charniers
sur un terrain de football à
Ramadi, a annoncé, vendredi
6 mai, l’envoyé spécial de
l’ONU dans le pays. Les preuves de « crimes odieux » commis par le groupe djihadiste
s’accumulent à mesure que
les territoires qu’il contrôlait
en Irak sont repris, a expliqué
Jan Kubis. On ne connaît pas
encore le nombre de corps découverts. Ramadi, à l’ouest de
Bagdad, a été complètement
reprise aux djihadistes en
février. – (AFP.)
BR ÉS I L
Une commission
du Sénat pour la
suspension de Rousseff
Une commission du Sénat
brésilien a approuvé, vendredi 6 mai, un rapport préconisant la suspension de la
présidente Dilma Rousseff,
qui pourrait être appliquée
prochainement. Si ce rapport
est validé par l’assemblée plénière du Sénat, Mme Rousseff
sera écartée du pouvoir pendant un délai maximum de
six mois, en attendant un jugement final, et remplacée
par son vice-président, Michel Temer. – (AFP.)
international | 5
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Face à Donald
Trump, Hillary
Clinton joue la
« carte femme »
La candidate est toujours
confrontée à Bernie Sanders dans
la course à l’investiture démocrate
REPORTAGE
oakland (californie) -
A
envoyée spéciale
lors que Donald Trump
a réussi à éliminer un à
un ses 16 concurrents,
Hillary Clinton n’en a
pas encore fini avec son adversaire, Bernie Sanders. « Plombée
par les scandales, Hillary n’arrive
même pas à ébranler un socialiste
de 74 ans », a perfidement analysé
Fox News, la télévision conservatrice. Le système des primaires, il
est vrai, est différent chez les démocrates. La règle de la proportionnelle rend l’écart plus difficile
à creuser. Mais voilà. Quatre mois
après les caucus de l’Iowa, alors
que les médias n’en ont que pour
Trump, voilà Mme Clinton, un vendredi soir, dans un obscur établissement scolaire d’Oakland, berceau de la classe ouvrière de San
Francisco, à battre le pavé pour essayer de triompher d’un adversaire qui, répètent les analystes,
n’a « mathématiquement » aucune
chance de l’emporter. Une situation « embarrassante », reconnaît
une militante venue écouter sa
championne. « Mais Bernie a absolument le droit de se maintenir. Ce
qu’on lui demande, c’est de se
concentrer sur les questions de fond
et de ne pas attaquer Hillary. »
Barack Obama lui-même préfère
s’abstenir d’avoir l’air de peser
dans la balance. « Bernie Sanders a
fait un travail extraordinaire pour
soulever un certain nombre de
questions importantes pour les démocrates et pour les Américains en
général », a-t-il dit, vendredi 6 mai,
dans une conférence de presse
consacrée à l’économie. Mais le
président a quand même fixé un
horizon. « Ce que je sais, c’est qu’à
un certain point, il va y avoir une
conversation entre Bernie Sanders
et Hillary Clinton sur la question de
savoir comment nous nous dirigeons vers la convention. »
Le teste de la Californie
Quand pourrait avoir lieu cet entretien au sommet ? M. Obama
n’en a rien dit. Les prochaines primaires (Virginie-Occidentale, le
10 mai ; Kentucky et Oregon, le
17 mai) sont favorables à « Bernie », qui n’a aucune raison de ne
pas prolonger la course, en attendant le test de la Californie (7 juin),
un Etat crucial, par le nombre de
délégués en jeu (546 contre 64
pour l’Oregon, 61 pour le Kentucky
et
37
pour
la
Virginie-Occidentale). Selon le décompte du New York Times,
Mme Clinton a déjà totalisé
2 223 délégués (dont 522 super-délégués) ; M. Sanders 1 450 (dont
39 super-délégués). Il faut 2 383 délégués pour l’emporter.
A l’école élémentaire La Escue-
Hillary Clinton (au centre), à l’école élémentaire La Escuelita d’Oakland, en Californie, le 6 mai. DARCY PADILLA/AGENCE VU POUR « LE MONDE »
« Plombée par les
scandales, Hillary
n’arrive même
pas à ébranler
un socialiste
de 74 ans »
FOX NEWS
lita d’Oakland, ils ne sont que
quelques centaines de sympathisants dans la salle de sports, mais
Hillary Clinton, si on en croit la
presse, préfère les réunions inti-
Jeb Bush ne votera pas pour M. Trump
Jeb Bush, qui s’est retiré en février de la course à l’investiture du
Parti républicain à l’élection présidentielle du 8 novembre aux
Etats-Unis, a annoncé, vendredi 6 mai, qu’il ne voterait pas pour
Donald Trump, désormais seul en lice. Fils et frère d’anciens présidents, l’ancien gouverneur de Floride a ajouté, dans un message posté sur Facebook, qu’il ne voterait pas davantage pour
Hillary Clinton, la favorite de la primaire démocrate. Son frère
George W. Bush, dernier locataire républicain de la Maison Blanche (janvier 2001-janvier 2009), a indiqué après la victoire par
K.-O. de Donald Trump dans la primaire républicaine qu’il se
tiendrait à l’écart de la campagne présidentielle. Leur père, l’ancien président George H. Bush, a lui aussi fait savoir par son porte-parole qu’il ne se mêlait plus de politique.
mistes et réserve à la campagne
électorale de l’automne les discours qui remplissent les stades.
Dans le public, on voit beaucoup
de femmes, dont Judy, une militante venue de San Leandro, une
banlieue voisine. Comme beaucoup, elle est vêtue d’un T-shirt
qui proclame que « La place des
femmes est à la Maison… Blanche ». Fin avril, Donald Trump a
accusé l’ex-First Lady de « jouer la
carte Femme » : faire de la démagogie féministe, autrement dit.
Le camp Clinton a aussitôt saisi
le moment et lancé des vraies
« Woman Card », de la taille d’une
carte de crédit (et de couleur rose).
En vente sur le site de la candidate.
« Je l’ai tout de suite commandée »,
annonce Judy. Si Hillary Clinton
craignait de s’afficher comme la
candidate des femmes, la présence de Donald Trump a balayé
ses réticences. Droit à l’avortement, défense du planning familial, elle fait applaudir tous les thèmes classiques, et surtout la parité des salaires. Un salaire minimum augmenté et des salaires
égaux : « Parce qu’être une femme
ne donne pas droit à une réduction
quand on est à la caisse du supermarché », proclame-t-elle.
Vendredi, Barack Obama en a
Droit à
l’avortement,
défense du
planning familial,
la démocrate fait
applaudir tous
les thèmes
classiques
même appelé aux femmes du
camp conservateur pour faire barrage à Donald Trump. « Les électrices républicaines vont devoir décider : est-ce que j’ai l’impression que
ce type me représente, moi et ce qui
me préoccupe ? » Du président à
son vice-président, Joe Biden, en
passant par Mme Clinton, les démocrates semblent s’être donné
le mot pour ne pas laisser le temps
au milliardaire d’amorcer une
tentative de recentrage, s’il en
avait envie. « Il est important de
prendre au sérieux les déclarations
qu’il a pu faire dans le passé », a
souligné M. Obama. Mme Clinton a
cité ce que lui disait souvent une
autre femme, l’écrivaine Maya
Angelou : « Quand les gens vous
montrent qui ils sont, croyez-les. »
Mme Clinton a appelé les journalistes à presser de questions le
« candidat présomptif » des républicains « également appelé leur
candidat présomptueux ». Quand
M. Trump dit qu’il veut abroger la
réforme de l’assurance-santé, « il
faut lui demander par quoi il entend la remplacer. Et si la réponse
est : “par quelque chose de génial”,
il faut poursuivre », a-t-elle suggéré. Là aussi, elle reprenait un
sujet de préoccupation que
M. Obama a exprimé à plusieurs
reprises, notamment lors du dîner des correspondants accrédités à la Maison Blanche : l’idée que
la presse, fascinée par les énormités lancées par le magnat de l’immobilier, fait perdre de vue les enjeux au public à force de « souligner le spectacle et le cirque ». « Il
ne s’agit pas de divertissement. Il
ne s’agit pas d’un reality show. Il
s’agit d’une compétition pour la
présidence des Etats-Unis. » En introduction à Hillary Clinton, la
maire d’Oakland, Libby Schaaf, n’a
pas dit autre chose : « L’Amérique
ne peut pas se permettre de jouer
dans une mauvaise émission de
téléréalité. » A défaut de candidate
officielle, les démocrates ont déjà
leur message anti-Trump. p
corine lesnes
L’exode par terre et par air pour fuir l’incendie à Fort McMurray
Le feu, qui a déjà ravagé 100 000 hectares dans l’ouest du Canada, pourrait durer encore des semaines
edmonton (canada) envoyée spéciale
L’
incendie de forêt qui a
forcé l’évacuation de
80 000 habitants de la région de Fort McMurray, en Alberta,
dans l’ouest du Canada, a encore
progressé vendredi 6 mai. Pendant
que les pompiers luttaient contre
le gigantesque brasier pour protéger les zones d’habitations et les
infrastructures stratégiques, les
autorités ont déclenché une vaste
opération, routière et aérienne,
pour évacuer vers le sud de Fort
McMurray, Calgary et Edmonton
tous ceux qui s’étaient réfugiés
dans des camps de l’industrie pétrolière et gazière au nord de la capitale de l’or noir, après l’ordre général d’évacuation donné mardi.
Sur 25 000 sinistrés ayant pris
cette direction, 7 000 ont quitté
les camps par un pont aérien tandis que les autres attendaient
l’autorisation de reprendre la
route, a précisé la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, notant que la population réagissait
avec calme, comme lors de la pre-
mière évacuation. L’autorisation
est venue à 7 heures du matin, déclenchant un embouteillage continu sur l’autoroute 63, artère
principale de circulation.
Toute la journée, un long convoi
de voitures et de camionnettes,
avançant à pas de tortue sous une
chaleur écrasante, occupait deux
voies de l’autoroute. Escortés par
des policiers, survolés par des hélicoptères militaires, leurs occupants ont dû traverser la ville dévastée avant de poursuivre vers le
sud. L’exode pourrait durer quatre jours, a averti le responsable
albertain de la prévention des incendies, Chad Morrison, alors que
le premier ministre canadien,
Justin Trudeau, promettait de se
rendre dans la région.
« Expérience traumatisante »
A Lac La Biche, première agglomération à 291 kilomètres au sud de
Fort McMurray, on se préparait
vendredi, avec l’aide de la CroixRouge et de bénévoles, à accueillir
de nouveaux habitants de la ville
sinistrée. « Trois mille sept cents se
sont déjà arrêtés ici depuis mardi
« La ville n’est pas
près d’être
sécurisée et la
reconstruction
prendra des mois »
RACHEL NOTLEY
première ministre d’Alberta
pour profiter des services de secours mis en place, manger, dormir, se vêtir, précise Jihad
Moghrabi, responsable des communications de Lac La Biche
County, qui compte 29 000 habitants. Nous sommes prêts à fournir à ceux arrivant du Nord l’aide
matérielle mais aussi le réconfort
dont ils ont besoin. Ils ont vécu une
expérience traumatisante, mais
ceux que nous avons vus sont dans
un bon état d’esprit. » Nombreux
seront sans doute ceux qui poursuivront leur route – plus sereinement qu’au Nord – pour rejoindre
familles ou amis, voire un autre
centre de secours à Edmonton ou
à Calgary. Mme Notley a annoncé
vendredi une aide d’urgence aux
sinistrés de 100 millions de dollars canadiens (68 millions
d’euros), disponible la semaine
prochaine. La Croix-Rouge a fait
état, vendredi, de 29 millions de
dollars de dons reçus de Canadiens et d’entreprises.
Sur le front de l’incendie, les nouvelles sont rassurantes pour Fort
McMurray. Centre-ville, hôpital,
aéroport ont été épargnés, mais
« les dommages sont considérables, la ville n’est pas près d’être sécurisée et la reconstruction prendra
des mois », a déclaré Mme Notley,
sans confirmer le chiffre de 9 milliards de dollars canadiens nécessaires à cette reconstruction, cité
par des médias. Même si les vents
éloignent désormais le foyer principal de l’incendie vers le Nord-Est,
les « conditions demeurent extrêmes » et l’incendie pourrait « durer
des semaines à la faveur de la sécheresse et, ce, même avec de la
pluie », a prévenu Chad Morrison,
ajoutant que l’enquête sur ses causes serait difficile.
Le bilan de vendredi fait état de
101 000 hectares brûlés et de deux
nouveaux foyers d’incendies déclenchés par des éclairs dus au feu
principal. Aucun site d’exploitation de pétrole ou de gaz n’a été
touché.
Production de pétrole en baisse
Cependant, plusieurs compagnies d’Athabasca, principale région productrice de pétrole issu
des sables bitumineux, ont mis
leurs installations au ralenti, avec
un minimum d’employés. L’Association canadienne des producteurs de pétrole (CAPP) refusait,
vendredi, d’évaluer les pertes,
bien que les médias aient fait état
d’une réduction de la production
de 800 000 à un million de barils
par jour, soit la moitié de la normale, depuis mardi.
Dans le même temps, les prix du
baril de pétrole clôturaient à la
hausse vendredi comme la veille.
Affichant une perte record de
4,8 milliards d’euros en 2015, les
compagnies pétrolières canadiennes ont supprimé plusieurs
dizaines de milliers d’emplois depuis deux ans à la suite de la chute
des cours pétroliers.
Certains estiment que le Canada
paie le prix d’une mauvaise gestion forestière au fil des années.
Pour réduire les risques aux
abords des villes et villages implantés en zone forestière, il faudrait les « nettoyer de tout “combustible”, branches, souches, bois
morts », estime Kelly Johnston, directeur associé de Partners in Protection, qui gère FireSmart, un programme canadien de prévention.
Les experts canadiens s’attendent à une augmentation des
feux de forêt et des superficies ravagées, notamment en forêt boréale, sous l’effet du réchauffement climatique. Au ministère canadien des ressources naturelles,
la spécialiste de l’écologie des
feux de forêt, Sylvie Gauthier, relève aussi que les systèmes de protection ont été établis de longue
date, quand les épisodes de sécheresse étaient plus rares.
Aujourd’hui, souligne-t-elle dans
le quotidien québécois Le Devoir,
« arrêter un feu de forêt en saison
sèche, c’est comme tenter d’arrêter
un ouragan ». p
anne pélouas
6|
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Le lanceur d’alerte s’explique pour la première fois
L’homme qui a fourni les 11,5 millions de documents panaméens se dit prêt à collaborer avec les autorités
O
n ne savait jusqu’à
présent quasiment
rien du mystérieux
lanceur d’alerte à l’origine des « Panama papers », à part
le pseudonyme qu’il utilisait dans
ses communications sécurisées
avec les journalistes allemands de
la Süddeutsche Zeitung : « John
Doe », un nom fréquemment utilisé pour désigner une personne
anonyme dans les administrations anglo-saxonnes.
Un mois après le début des révélations conjointes du Consortium
international des journalistes
d’investigation (ICIJ) et de ses
109 médias partenaires, dont Le
Monde, sur la base de 11,5 millions
de documents qu’il a fournis, le
lanceur d’alerte a décidé d’en dire
un peu plus sur lui-même et sa démarche, en transmettant un manifeste intitulé « La révolution
CE QU’IL FAUT SAVOIR
Coordonnées par le Consortium international
des journalistes d’investigation (ICIJ), 109 rédactions, dont celle du Monde,
dans 76 pays, ont eu accès
à une masse d’informations inédites qui mettent
en lumière le monde opaque de la finance offshore
et des paradis fiscaux.
Les 11,5 millions de
fichiers proviennent des
archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca,
spécialiste de la
domiciliation de sociétés
offshore, entre 1977 et
2015. Il s’agit de la plus
grosse fuite d’informations jamais exploitée par
des médias.
Les « Panama papers » révèlent que, outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands
noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup
de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.
sera numérique » à la Süddeutsche
Zeitung. Les journalistes du quotidien munichois ont confirmé que
ce texte avait bien été transmis
par John Doe : il a employé les mêmes méthodes de vérification
d’identité que lors de leurs précédentes rencontres en ligne.
Le lanceur d’alerte n’y dévoile
pas son identité, mais précise ne
jamais avoir travaillé « pour un
gouvernement ou un service de
renseignement, ni directement ni
en tant que consultant ». Il ne révèle pas sa nationalité, mais évoque avec insistance, dans un anglais très soigné, les situations politiques aux Etats-Unis et au
Royaume-Uni.
Dérives des médias
Un doute persistait jusqu’à présent sur ses réelles motivations.
Voulait-il en tirer de l’argent – on
sait qu’une partie des données
du cabinet d’affaires panaméen
Mossack Fonseca a été vendue
aux autorités allemandes, américaines et britanniques notamment – ou servir l’intérêt général
– il a remis gratuitement l’ensemble du « leak » à la Süddeutsche
Zeitung ?
Ce manifeste tend à confirmer
la deuxième option, tant il fait figure de brûlot contre un système
de « corruption massive et généralisée », générateur d’inégalités
sociales, permis selon lui par les
dérives déontologiques de la profession d’avocat d’affaires, l’impunité des plus riches, et l’absence de courage des responsables politiques pour y mettre un
terme.
« J’ai décidé de dénoncer Mossack Fonseca parce que j’ai pensé
que ses fondateurs, employés et
clients avaient à répondre de leur
rôle dans ces crimes, dont seuls
quelques-uns ont été révélés jusqu’à maintenant », explique John
Doe. Il estime que les journalistes
« ont, à juste titre, déclaré qu’ils ne
pouvaient pas fournir [les documents] aux administrations compétentes », mais se dit, lui, « prêt à
coopérer avec les autorités dans la
mesure de [s]es moyens », parce
que « des milliers de poursuites
pourraient découler des “Panama
papers”, si seulement les autorités
judiciaires pouvaient accéder aux
documents et les évaluer ».
Il n’a pas précisé si la remise de
documents se ferait gracieusement, mais soumet sa coopéra-
« J’ai décidé
de dénoncer
Mossack Fonseca
parce que
ses fondateurs,
employés
et clients ont
à répondre de
leur rôle dans
ces crimes »
tion à une condition : sa protection en tant que lanceur d’alerte.
« Tant que les gouvernements
n’auront pas mis en place des protections juridiques pour les lanceurs d’alerte, les autorités dépendront de leurs propres ressources
ou du travail des médias pour accéder aux documents », prévient-il, en citant les déconvenues
d’Edward Snowden (NSA), Bradley
Birkenfeld (UBS) et d’Antoine
Deltour (LuxLeaks), qui ont vu
« leur vie détruite après avoir contribué à mettre en lumière d’évidentes malversations ».
Le lanceur d’alerte n’est par
ailleurs pas tendre pour les mé-
dias, et dénonce les dérives « de
nombreux groupes d’information
[qui] sont devenus des caricatures
de ce qu’ils étaient » : « Des particuliers milliardaires semblent voir
dans la propriété d’un journal un
simple hobby, limitant la couverture des sujets graves concernant
les plus riches, et le journalisme
d’investigation sérieux manque de
financements. »
Il fait un lien direct entre le modèle capitalistique de la presse et
l’absence de réaction de plusieurs
des « médias les plus importants et
compétents du monde » à qui il assure avoir proposé dans un premier temps les données de Mossack Fonseca : « Aucun […] n’a montré de l’intérêt pour cette histoire. »
« Ouvrir les yeux » sur le capitalisme
Plus étonnant, John Doe assure
que « même WikiLeaks n’a pas
donné suite à de multiples sollicitations par le biais de son formulaire de signalement » – alors que
l’organisation de Julian Assange
avait critiqué le traitement des
« Panama papers » par l’ICIJ, et assuré qu’elle publierait l’intégralité du « leak » s’il était en sa
possession.
A la manière d’un Edward
Snowden, devenu porte-parole de
Obama réclame plus de transparence
La Maison Blanche a annoncé jeudi 5 mai un ensemble de
mesures pour contraindre les entreprises à rendre publiques davantage d’informations sur leurs propriétaires. Avec
comme objectif de réduire l’évasion fiscale et le recours aux
prête-noms dans des paradis fiscaux.
Le secrétaire au Trésor, Jacob Lew, engage le Congrès à
adopter une législation qui permettra d’accroître la transparence. Les banques pourraient se voir tenues d’identifier
les propriétaires de leurs entreprises clientes.
Par ailleurs, les sociétés détenues par des actionnaires
étrangers devraient être obligées d’en rendre compte au
fisc américain. Jacob Lew demande enfin aux sénateurs de
ratifier huit traités fiscaux en souffrance.
la lutte contre la surveillance généralisée, John Doe appelle à
« ouvrir les yeux » pour réformer
radicalement un système « que
nous appelons toujours capitalisme, mais qui se rapproche davantage d’un esclavage économique ». « L’heure est […] venue d’une
action véritable », estime-t-il, citant pêle-mêle la transparence
sur les registres du commerce du
monde entier, une meilleure régulation de la profession d’avocat
et une réforme du financement
des campagnes américaines, pour
couper le lien financier entre les
élus et les plus riches.
Pour lui, l’impact généré par les
2 600 gigaoctets de données contenues dans les « Panama papers » est l’illustration que l’arme
de la rétention d’information,
qui s’est substituée à la force militaire pour « soumettre le peuple » aux intérêts des puissants,
peut-être combattue à l’aide des
nouvelles technologies de l’information. « Du début à la fin, de
sa genèse à sa diffusion médiatique globale, la prochaine révolution sera numérique », conclut-il. p
jérémie baruch
et maxime vaudano
L’intégralité des fichiers ne sera pas mise en ligne
le consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) va mettre en
ligne sur son site, lundi 9 mai à 20 heures,
une partie des données du scandale des
« Panama papers ». Mais il ne s’agit en
aucun cas de l’intégralité des 11,5 millions de
fichiers puisés dans les archives du cabinet
panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de
la domiciliation de sociétés offshore.
L’ICIJ et ses 109 partenaires, dont
Le Monde, ne souhaitent pas les publier
pour d’évidentes raisons de respect de la
vie privée – elles contiennent des adresses,
des correspondances privées, des transactions financières, des passeports.
Ne seront divulgués que le registre interne des quelque 214 000 structures offshore administrées par Mossack Fonseca
entre 1977 et 2015 et les métadonnées associées à chacune d’entre elles, c’est-à-dire les
dates de création et éventuellement de dissolution, leur statut (active, dormante, dissoute…), le nom des actionnaires, des intermédiaires financiers et, lorsque Mossack Fonseca possédait l’information
(c’est-à-dire rarement), des bénéficiaires finaux de ces sociétés. Autant d’informa-
tions qui sont, au mieux, parcellaires, et au
pire, introuvables dans les registres officiels des 21 paradis fiscaux où ces sociétés
sont installées.
Cette base de données va donc ressembler au registre du commerce transnational des paradis fiscaux – des informations
d’intérêt public, explique l’ICIJ, qui met en
avant l’intérêt pour des chercheurs, hors
du réseau des médias partenaires du
consortium, de les explorer.
Données manquantes
Il s’agit de données brutes, extraites du système informatique interne du cabinet
Mossack Fonseca et donc, à l’origine, saisies par une personne physique : elles ne
sont pas à l’abri d’une erreur humaine. On
y trouve parfois des fautes d’orthographe
ou des données manquantes, d’autant plus
fréquentes que l’on remonte dans le temps.
Par ailleurs, les seules métadonnées des
sociétés ne suffisent pas à en connaître les
véritables propriétaires. Les cabinets de domiciliation ainsi que les intermédiaires financiers proposent en effet des services de
dissimulation, des prête-noms, qui peu-
vent s’enregistrer comme actionnaires en
lieu et place des véritables bénéficiaires.
Dans les 450 000 noms d’actionnaires de la
base se mêlent donc des ayants droit véritables et des prête-noms.
Les métadonnées ne disent rien non plus
des activités desdites sociétés : sont-elles
utilisées à des fins légales pour des investissements internationaux ou pour frauder le fisc en plaçant discrètement de l’argent non déclaré sur un compte en banque ? Seuls les documents associés à chaque société – actes juridiques, documents
bancaires, correspondances électroniques – donnent l’occasion d’en savoir plus.
L’ICIJ n’entend pas les publier.
Le Consortium a enfin ajouté aux « Panama papers » les données des 100 000 sociétés de l’enquête « Offshore Leaks » (2013),
administrées par d’autres domiciliateurs
offshore que Mossack Fonseca (Portcullis
TrustNet et Commonwealth Trust Limited).
L’ensemble des informations est présenté sous la forme d’un moteur de recherche et d’une visualisation en réseaux. Elles
seront intégralement téléchargeables. p
les décodeurs
« Les contrôles démocratiques ont échoué »
Dans son manifeste, le lanceur d’alerte anonyme appelle les gouvernements à créer des registres du commerce accessibles et transparents
L’
TRIBUNE
inégalité des revenus est
un des marqueurs de notre époque. Elle nous affecte tous, partout dans le monde.
Pourquoi ? Et pourquoi maintenant ? Les « Panama papers » fournissent une réponse convaincante à ces questions : une corruption massive et généralisée. Et ce
n’est pas une coïncidence si cette
réponse nous vient d’un cabinet
d’avocats. Plus qu’un simple
rouage de « gestion de fortune »,
Mossack Fonseca a usé de son influence pour écrire et tordre les
lois partout dans le monde en faveur d’intérêts criminels.
Les sociétés-écrans sont souvent utilisées pour l’évasion fiscale, mais les « Panama papers »
montrent sans l’ombre d’un
doute que, bien qu’elles ne soient
pas par définition illégales, ces
structures sont associées à une
large palette de crimes qui vont
au-delà. J’ai décidé de dénoncer
Mossack Fonseca parce que j’ai
pensé que ses fondateurs, employés et clients, avaient à répon-
dre de leur rôle dans ces crimes,
dont seuls quelques-uns ont été
révélés jusqu’à maintenant. Il faudra des années pour que l’ampleur réelle des actes ignobles de
ce cabinet soit dévoilée. Entretemps, un débat international a
démarré, ce qui est encourageant.
Milliers de poursuites possibles
Que ce soit clair : je ne travaille ni
n’ai jamais travaillé pour un gouvernement ou un service de renseignement, ni directement ni en
tant que consultant. Mon point
de vue est personnel, tout autant
que ma décision de partager les
documents avec la Süddeutsche
Zeitung et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Non pas dans un but
politique, mais simplement parce
que j’ai suffisamment compris
leur teneur pour me rendre
compte de l’ampleur des injustices qu’ils dépeignaient.
Des milliers de poursuites pourraient découler des « Panama papers », si seulement les autorités
judiciaires pouvaient accéder aux
documents. L’ICIJ et ses partenai-
res ont à juste titre déclaré qu’ils
ne pouvaient les fournir aux administrations compétentes. Cependant, je serais prêt à coopérer
avec les autorités, dans la mesure
de mes moyens.
Cela dit, j’ai observé que, les uns
après les autres, les lanceurs
d’alerte ont vu leur vie détruite
après avoir contribué à mettre en
lumière d’évidentes malversations, aux Etats-Unis comme en
Europe. Qu’ils agissent de l’intérieur ou de l’extérieur du système,
ils méritent l’immunité contre les
représailles gouvernementales,
un point c’est tout. Tant que les
gouvernements n’auront pas mis
en place des protections juridiques pour les lanceurs d’alerte, les
autorités dépendront de leurs
propres ressources ou des médias
pour accéder aux documents.
En attendant, j’appelle la Commission européenne, le Parlement
britannique, le Congrès américain
et toutes les nations à adopter les
mesures qui s’imposent, non seulement pour protéger les lanceurs
d’alerte, mais aussi pour mettre
un terme aux abus mondialisés
« La conséquence
collective
de ces échecs
est l’érosion
totale
des standards
déontologiques »
des registres du commerce. Dans
l’Union européenne, le registre du
commerce de chaque Etat devrait
être librement accessible et comporter des données détaillées sur
les bénéficiaires économiques finaux des sociétés. Le RoyaumeUni peut être fier de ses initiatives,
mais a encore un rôle crucial à
jouer en mettant fin au secret financier sur ses territoires insulaires [les îles Vierges britanniques,
Jersey ou Guernesey], qui sont incontestablement la pierre angulaire de la corruption institutionnelle. Aux Etats-Unis, il est plus
que temps pour le Congrès d’imposer la transparence en fixant
des règles pour l’accès public à ces
informations.
Face à la couardise des politiques, il est tentant de céder au défaitisme, alors que les « Panama
papers » sont le symptôme évident de la décadence morale de
notre société. Pendant cinquante
ans, les pouvoirs ont totalement
échoué à soigner les métastases
des paradis fiscaux. Les banques,
les régulateurs financiers et les
autorités fiscales ont échoué. Des
tribunaux désespérément obsolètes et inefficaces ont échoué.
Esclavage économique
Les médias ont échoué. Outre la
Süddeutsche Zeitung et l’ICIJ, les rédacteurs en chef de plusieurs titres
de presse majeurs ont pu consulter les « Panama papers » – même
s’ils ont assuré le contraire. Ils ont
choisi de ne pas les exploiter. La
triste vérité est qu’aucun des médias les plus importants et compétents du monde n’a montré d’intérêt pour cette histoire. Même Wikileaks n’a pas donné suite à de
multiples sollicitations.
Mais c’est avant tout la profes-
sion juridique qui a échoué. Les
avocats ont globalement atteint
un tel niveau de corruption qu’il
est impératif qu’interviennent
des changements majeurs.
Mossack Fonseca ne travaillait
pas seul : malgré des amendes répétées et des violations de régulations étayées, il a trouvé dans
presque chaque pays des alliés et
des clients auprès de cabinets
d’avocats de premier plan.
La conséquence collective de ces
échecs est l’érosion totale des standards déontologiques, menant en
fin de compte à un nouveau système que nous appelons toujours
capitalisme, mais qui se rapproche
davantage d’un esclavage économique. Qu’il faille attendre qu’un
lanceur d’alerte tire la sonnette
d’alarme est encore plus inquiétant. Cela prouve que les contrôles
démocratiques ont échoué, que
l’effondrement est systémique, et
qu’une violente instabilité nous
guette au coin de la rue. L’heure
est venue d’une action véritable. p
Lire l’intégralité de la tribune sur
lemonde. fr
FRANCE
Macron ou l’art de brouiller les lignes
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
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Ce novice en politique a souligné très tôt l’importance de l’idéologie pour soigner un pays dépressif
A
insi, Emmanuel Macron s’apprête-t-il à
présider la traditionnelle cérémonie des
fêtes en l’honneur de Jeanne
d’Arc, dimanche 8 mai à Orléans, à
l’invitation du maire Les Républicains de la ville, Olivier Carré.
L’occasion pour lui de développer
sa vision de la République, quelques jours après que François
Hollande a explicité sa vision de
la gauche.
Emmanuel Macron, c’est
d’abord un âge (38 ans), une tête
bien faite (DEA de philosophie,
ENA), un parcours atypique (jamais élu, ex-banquier d’affaires),
une ingénuité politique revendiquée : « Je suis dans la bienveillance, je n’ai jamais dit une
phrase négative contre tel ou tel, je
ne veux pas être embarqué dans la
comédie humaine », jure-t-il tout
en flirtant allègrement avec la ligne jaune. En réalité, une sorte de
flibustier qui « casse le verrou de
cette profession réglementée
qu’est devenue la politique », dixit
son ami Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne. Mais
Emmanuel Macron, c’est aussi
une offre politique atypique qui
prétend enjamber le traditionnel
clivage gauche-droite pour construire une majorité en 2017. Macron ou l’art de brouiller les lignes
avec quelques idées bien arrêtées.
Le mot « idée » est fondamental
chez ce novice qui, avant même
de faire une entrée fracassante en
politique, a revendiqué l’importance de l’idéologie pour soigner
un pays dépressif. Il l’a fait en
marge du Parti socialiste qui, depuis l’échec de 2002, a le plus
grand mal à se définir, et au côté
du président de la République, qui
n’a jamais voulu conceptualiser
ses propres évolutions. « On a créé
un pragmatisme au quotidien. Il
manque quelque chose », a diagnostiqué Emmanuel Macron dès
le début du quinquennat en fustigeant « une gauche postmoderne
qui a renoncé aux grandes histoires pour régler de petits désaccords
locaux ». Pour lui, pas de politique
sans récit ni de récit sans idéal.
« Tony Blair jeune »
Dans un long article publié en
juillet 2015 dans la Revue des deux
mondes, il préconise de réinvestir
« les trois rêves » qui fondent, selon lui, l’identité française : « le
rêve de l’égalité, le rêve d’Europe, le
rêve industriel ». Mais quand on
lui demande aujourd’hui de dire
ce qu’est le « macronisme », il
botte en touche : « Je suis incapable de le définir, je crois dans mon
pays, son énergie, ses valeurs, sa
capacité à réussir dans la mondialisation, je crois au progrès », se
contente-t-il de répondre. Macron ou la confiance retrouvée.
Un peu court.
Le jeune ministre de l’économie
avait cependant le sourire lorsque, à la mi-avril, le journaliste de
la BBC Andrew Marr l’a comparé à
« Tony Blair jeune ». Blair, le héraut
de la troisième voie, l’homme qui,
dans les années 1990, avait porté
l’estocade au travaillisme britannique. Depuis, non seulement la
troisième voie a perdu le pouvoir,
mais elle a été rangée au rayon des
accessoires par l’opposition britannique. « Macron, c’est un Tony
Blair mais adapté à son temps »,
corrige l’essayiste libéral Mathieu
Laine, fondateur de la société de
« Il entre dans
tous les sujets
par le prisme
de la liberté. C’est
un vrai libéral »
GILLES FINCHELSTEIN
directeur général de la
Fondation Jean-Jaurès
Au Sénat, le 4 mars 2015. Retransmission de l’audition d’Emmanuel Macron par la commission spéciale chargée du projet de loi « croissance et activité ».
MARC CHAUMEIL POUR « LE MONDE »
conseil Altermind, qui s’enthousiasme : « Personne dans le monde
politique français n’a aussi bien
compris les opportunités qu’offre
la nouvelle économie. »
« La liberté » est le mot dominant dans le vocabulaire d’Emmanuel Macron. « La liberté » qui
rime avec « individu », « opportunité », « prise de risque », « optimisme », « progrès ». Gilles Finchelstein, directeur général de la
Fondation Jean-Jaurès, constate :
« Il entre dans tous les sujets par le
prisme de la liberté, c’est un vrai libéral. » Cela explique sans doute
l’accusation récurrente qu’une
partie de la gauche lui fait : trahir
son camp. Pourtant, nuance l’historien Alain Bergounioux, membre du secrétariat national du PS :
« Il existe à gauche une famille libérale, de tendance libertaire, c’est un
héritage de mai 1968. »
Rien ne dit cependant que Macron, qui se revendique « de gauche », soit un libéral-libertaire. Sur
les sujets de société, on ne l’a
guère entendu, sauf lors du débat
sur la déchéance de la nationalité
où sa contestation était d’ordre
philosophique. « Je ne pense pas
qu’on puisse traiter le mal en l’expulsant de la communauté nationale, la responsabilité des gouvernants est de prévenir et de punir
implacablement les actes terroristes », avait-il déclaré en se démarquant fortement de François Hollande et de Manuel Valls qui menaient à l’époque un combat
constitutionnel pour priver de la
nationalité française ceux qui
avaient été condamnés pour actes
terroristes.
Les proches d’Emmanuel Macron brouillent à loisir les pistes
en rappelant qu’étudiant il a fait
un bout de chemin avec JeanPierre Chevènement avant de fréquenter, sous l’impulsion du philosophe Paul Ricœur, l’équipe de
la revue Esprit, en pointe dans la
réhabilitation du libéralisme politique. « Macron a le sens de l’Etat
un peu raide », souligne un de ses
amis. « J’accepte la verticalité du
pouvoir », plaide l’intéressé. Et
même plus si l’on en croit cette
interview surprenante accordée
à l’hebdomadaire Le 1, en
juillet 2015. Interrogé sur le malaise démocratique, Macron répond : « Je pense fondamentalement que le peuple français n’a
pas voulu la mort du roi. La terreur a creusé un vide émotionnel,
imaginaire, collectif : le roi n’est
plus là, la démocratie ne remplit
pas l’espace… »
Un troisième ami le décrit pourtant comme un « vrai démocrate », tendance girondin,
comme Rocard, accordant « une
grande place à la responsabilité individuelle » et à « la délibération
publique ». Il le situe dans la continuité d’Emmanuel Mounier, le
fondateur de la revue Esprit, initiateur du personnalisme, ce courant spirituel qui cherchait une
troisième voie entre le capitalisme libéral et le marxisme.
« Attaquer les privilèges »
Dans l’histoire compliquée de la
gauche, un autre homme, malaimé par le Parti socialiste, s’est
nourri de personnalisme : Jacques
Delors, chrétien engagé, convaincu que chacun, dans la société, doit prendre sa part de responsabilité. A cinquante-deux
ans de distance, les deux hommes
se ressemblent. Non seulement à
cause de leur foi en l’Europe et de
leur combat revendiqué pour une
zone euro plus intégrée, mais
aussi par leur approche des problèmes nationaux. Lorsque Emmanuel Macron se fait fort de
« déplier les problèmes pour lutter
contre l’opacité, mettre à jour les
rentes, attaquer les privilèges », il
marche dans les pas du Jacques
Delors des années 1960 qui, au
côté de Jacques Chaban-Delmas,
avait tenté d’accoucher « la nouvelle société » en débusquant les
jeux de rôle du patronat et des
syndicats.
Toutefois, comme rien n’est
simple, Jacques Delors se déclare
aujourd’hui « déçu » par Macron à
cause de cette tirade prononcée
en janvier 2015 depuis les Etats-
« Pour entraîner
la gauche,
il lui manque
un discours
d’empathie
sociale »
ALAIN MADELIN
candidat Démocratie libérale
à la présidentielle de 2002
Unis : « Il faut des jeunes Français
qui aient envie de devenir milliardaires. » L’ancien ministre sous
François Mitterrand y voit
comme le signe d’une déviance,
révélatrice de l’époque : « Le rôle
excessif de l’argent est néfaste. On
s’en sert même pour encourager
l’individualisme », s’est-il indigné
devant la journaliste Cécile Amar,
qui le rapporte dans son livre
L’Homme qui ne voulait pas être
roi (Grasset, 234 p., 18 euros).
Mais, sur l’autre rive politique,
un observateur bienveillant applaudit : Alain Madelin, le seul à
avoir osé, sous la Ve République,
se présenter à l’élection présidentielle sous l’étiquette libérale.
C’était en 2002. Il avait obtenu
3,91 % des suffrages exprimés.
« Macron a le bon discours, il est
avec nous », se réjouit l’ancien
président de Démocratie libérale,
reconverti dans la finance mais
toujours en alerte.
Nouvelle école keynésienne
Au lendemain des attentats de janvier 2015, il était sorti de son silence pour appeler à un « projet
rassembleur », axé sur la relance de
la croissance. Il y voyait l’ultime
chance pour les politiques de sauver la mise. C’est à cette aune qu’il
juge les propositions de Macron :
« Ouvrir à la concurrence pour casser les rentes, très bien ; agir sur la
fiscalité du patrimoine pour favoriser le capital productif, indispensable. » Mais il ajoute : « Je lui dénie la
possibilité d’entraîner la gauche
parce qu’il n’a pas l’épaisseur de
gauche, il lui manque un discours
d’empathie sociale. »
Qu’y a-t-il de social dans la pensée d’Emmanuel Macron ? Question cruciale pour cet adepte de la
politique de l’offre qui ose dénoncer « la préférence française pour la
hausse des salaires et des dividendes », et est accusé par une partie
de la gauche de faire la politique
du Medef. Son message le plus explicite concerne le marché du travail qu’il décrit comme dual : d’un
côté les « insiders », bénéficiaires
d’un contrat stable, de l’autre les
« outsiders », travailleurs précaires
ou chômeurs, tenus à l’écart. Des
jeunes pour la plupart qui ne parviennent pas à se faire une place
dans la société.
Dans cette vision, inspirée par la
nouvelle école keynésienne, les acquis sociaux s’apparentent à des
rentes injustes et inefficaces qui
élèvent une barrière entre les uns
et les autres. Pour la faire sauter,
une seule solution : flexibiliser le
marché du travail, encourager les
entrées comme les sorties. La représentation a le mérite d’être
claire, mais elle heurte de plein
fouet la tradition de la gauche
française. L’intéressé en est conscient. « L’ambition est de prendre
des risques par rapport à notre
clientèle électorale, de tenir un discours sur la capacité de la gauche à
ouvrir des droits réels en partant du
réel », plaide-t-il.
Avant lui, Dominique StraussKahn avait joué les défricheurs à
l’intérieur même du PS. C’était il y
a douze ans, en 2004, dans une
note publiée par la Fondation
Jean-Jaurès, l’ancien ministre de
Lionel Jospin remettait prudemment en question la logique de la
répartition en plaidant pour « un
socialisme de l’émancipation », davantage tourné vers la promotion
individuelle. L’idée n’était plus de
corriger les inégalités a posteriori
par la redistribution, mais d’empêcher qu’elles se forment en
amont. Nul ne sait cependant
combien ce « socialisme de l’égalité
réelle » pesait au sein du PS, car Dominique Strauss-Kahn n’a jamais
LE CONTEXTE
FÊTES JOHANNIQUES
Après Stéphane Bern en 2014 et
Audrey Pulvar en 2015, Emmanuel Macron devait présider, dimanche 8 mai à Orléans, les
587es Fêtes de Jeanne d’Arc commémorant, depuis 1429, la libération d’Orléans du siège anglais
par la Pucelle. Le ministre de
l’économie a répondu à l’invitation du maire LR de la ville, Olivier Carré. « Je voulais donner la
parole à quelqu’un qui exerce le
pouvoir et qui appartient à une
nouvelle génération », explique
au Monde le député du Loiret.
« Pour avoir travaillé dans la
commission sur le projet de loi
Macron, ajoute-t-il, j’ai pu constater que j’ai une lecture de la République qui n’est pas éloignée
de la sienne. » Une invitation, cependant, qui a fait grincer des
dents à droite : cinq parlementaires LR du département sur
sept ont annoncé qu’ils boycotteraient le défilé.
pris le risque de se compter.
Aujourd’hui, Luc Rouban, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po évalue à 6 %
à peine la proportion d’électeurs
qui pourraient se retrouver dans
le social-libéralisme. « D’une manière plus générale, la proportion
de libéraux ne dépasse pas le tiers
de l’électorat », ajoute-t-il en recensant les différentes familles libérales de gauche et de droite.
Mais un tiers de l’électorat, c’est
somme toute beaucoup dans une
élection présidentielle qui, en raison du poids pris par le Front national, se joue de plus en plus au
premier tour. Le mouvement En
marche ! a été conçu pour cela :
tenter d’agréger cette masse d’électeurs, par-delà le clivage gauchedroite, en jouant sur toutes les craquelures du système. p
françoise fressoz
8 | france
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Contre la loi
« travail »,
le Medef à quitte
ou double
L’organisation patronale décidera
lundi si elle quitte la négociation
sur l’assurance-chômage
P
artira ou partira pas ?
Lundi 9 mai, le Medef devrait décider s’il met à
exécution sa menace de
quitter la négociation sur l’assurance-chômage, en cours depuis
la fin février. Pierre Gattaz, le président de l’organisation patronale, avait évoqué cette éventualité, le 19 avril, pour manifester
son mécontentement contre les
multiples réécritures du projet de
loi sur le code du travail, qui,
d’après lui, tournent au « délire ».
A l’origine de cet ultimatum, il y
a – entre autres – la taxation des
CDD, annoncée huit jours auparavant par Manuel Valls pour donner des gages aux mouvements
de jeunesse hostiles à la réforme
portée par la ministre de l’emploi,
Myriam El Khomri.
Impossible, à ce stade, de dire si
le Medef va se retirer des discussions. Au sein du mouvement, les
avis sont partagés. Un haut dirigeant considère que « l’émotion »
est retombée depuis la mi-avril.
« Peu de fédérations ont envie de
claquer la porte », ajoute-t-il. Mais
l’hypothèse d’un départ n’est pas
à exclure, enchaîne une autre
source en interne. Ce qui signerait
la fin des négociations et l’absence d’accord entre partenaires
sociaux.
Le gouvernement s’y est
d’ailleurs préparé en indiquant
qu’il prendrait ses responsabilités : soit il proroge la convention
Unedic actuellement en vigueur ;
soit il prend la plume pour en rédiger une autre.
La seconde solution ne serait
pas un cadeau : l’exécutif s’est, en
effet, engagé vis-à-vis de Bruxelles sur un montant de 1,6 milliard
d’euros d’économies sur l’assurance-chômage, pour 2016 et
2017 ; il lui appartiendrait donc
de prendre des mesures douloureuses. Pas fameux, politiquement, à moins d’un an de la présidentielle.
Quoi qu’il en soit, la ruade de
M. Gattaz a frappé les esprits, car il
n’avait pas la réputation, jusqu’à
présent, d’être tenté par la politique de la chaise vide. Lorsque le
projet de loi sur le travail avait été
retouché, à la mi-mars, dans un
sens moins favorable aux employeurs (notamment avec la suppression du plafonnement des indemnités prud’homales), le président du Medef avait réagi de façon
mesurée, exprimant sa déception, mais relevant aussi que le
texte conservait des « éléments favorables ». Puis il a durci le ton, au
fil des jours, jusqu’à l’ultimatum
du 19 avril.
Pourquoi ce raidissement ?
« Une véritable fronde interne a vu
le jour à l’initiative de grandes fédérations qui ont demandé un changement de pied à Pierre Gattaz »,
raconte un membre du conseil
exécutif (CE) du Medef. En tête de
la contestation, poursuit cette
LOI SU R LE T RAVAI L
COLLECT I VI T ÉS
Manuel Valls n’exclut pas
d’utiliser l’article 49.3 de la
Constitution pour faire adopter au Parlement le projet de
loi sur le travail, indique-t-il
vendredi 6 mai sur Public Sénat. « Il ne faut jamais renoncer à un moyen constitutionnel », déclare le premier
ministre dans l’émission « Bibliothèque Médicis », où il
réaffirme sa « volonté de convaincre » sa majorité. – (AFP.)
Un rapport, remis vendredi
6 mai à la ministre des outremer George Pau-Langevin,
propose une évolution du statut de Saint-Pierre-et-Miquelon, actuellement collectivité
d’outre-mer. Ce rapport envisage soit une « collectivité unique », soit « une collectivité territoriale nouvelle, issue des
deux communes de l’archipel »,
indique Mme Pau-Langevin,
sans trancher. – (AFP.)
Manuel Valls n’exclut pas
d’utiliser l’article 49.3
Le statut de Saint-Pierreet-Miquelon en question
Ce dimanche à 12h10
MEGO TERZIAN et ROGER PERSICHINO
président de MSF
analyste humanitaire
répondent aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE),
Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde).
Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr
0123
FABRICE MONTIGNIER
« Les sociétés où
la masse salariale
pèse sur le chiffre
d’affaires sont
très sensibles
à tout relèvement
des cotisations »
JEAN-FRANÇOIS CLEDEL
membre du Medef
même source, il y a le bâtiment,
les assurances, la banque, le commerce et Syntec (professions de
l’ingénierie, des services informatiques, etc.) : « Ce n’était pas agressif, mais plusieurs membres du
conseil exécutif trouvaient que
Pierre [Gattaz] avait été trop positif
sur la loi El Khomri. » « Il a adopté
une attitude conciliante en s’efforçant d’être un interlocuteur loyal
avec les pouvoirs publics, complète
Jean-Luc Monteil, membre du CE
et président du Medef-PACA. Mais
certains, au sein de notre mouvement, ont trouvé que ce partenariat était allé trop loin, car le gouvernement n’a pas joué le jeu. »
« Manque de fermeté »
De telles dissonances n’ont rien
de surprenant dans une organisation qui tente d’être le porte-voix
d’un tissu d’entreprises extrêmement variées, avec des attentes et
des intérêts parfois divergents. Du
fait de cette hétérogénéité, les diverses composantes du Medef
peuvent avoir des appréciations
différentes sur un même dossier.
Ainsi en va-t-il de la taxation des
CDD. « Les sociétés où la masse salariale pèse significativement sur le
chiffre d’affaires, dans les services
notamment, sont très sensibles à
tout relèvement des cotisations,
car cela joue sur le coût du travail,
explique Jean-François Cledel,
membre du CE et président du
Medef-Gironde. C’est moins le cas
chez les gros industriels, car les
coûts liés à la main-d’œuvre constituent un poste de dépenses moins
important, en pourcentage. »
C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles plusieurs fédérations, du tertiaire notamment, ont réclamé une riposte vigoureuse après l’annonce de la
taxation des contrats courts.
D’après un membre du CE, « la
fronde était moins dirigée contre
Gattaz que contre Alexandre Saubot », vice-président du Medef et
patron de l’Union des industries
et des métiers de la métallurgie.
Ce dernier a été jugé, par certains
de ses pairs, trop peu critique à
l’égard du gouvernement.
D’autres éléments ont crispé le
Medef. « Le manque de fermeté de
l’exécutif face à la contestation
contre le projet de loi El Khomri est
perçu comme un appel au rapport
de force », confie une figure de la
métallurgie. Et plusieurs dispositions ont plongé dans une colère
noire les PME : en particulier,
l’augmentation des heures de dé-
légation syndicale et la possibilité, pour un syndicat, de mandater un salarié dans une entreprise
qui n’a pas de représentant de
personnel. « Parmi nos adhérents,
certains nous disent : “Il est temps
de siffler la fin de la récréation.” Ils
estiment qu’on ne peut pas compter sur ce gouvernement pour
prendre les mesures qui s’imposent », rapporte Hervé Allart de
Hees, membre du CE et président
du Medef de l’Est parisien.
Enfin, la question du remplacement de M. Gattaz, qui quittera
son poste en 2018, semble déjà se
poser et créer des tensions au sein
du Medef. « Le fait d’avoir indiqué
qu’il ne briguerait pas un second
mandat le rend libre, mais cela fragilise aussi son autorité », décrypte une source patronale, pour
qui « la course à la succession »
commence à s’installer dans les
esprits. Ce climat risque de ne pas
simplifier les relations entre le
Medef et le gouvernement. p
bertrand bissuel
Des migrants, un taxi, des « banquiers »…
un réseau de passeurs jugé à Dunkerque
Le groupe de Français et de Kurdes faisait passer quinze personnes en Angleterre par semaine
dunkerque - envoyée spéciale
R
omain avait interrogé les
policiers, les gendarmes
aussi. Il en avait parlé aux
autres chauffeurs de taxi de Dunkerque (Nord). « Chaque fois, on
m’a répondu que, sans franchir de
frontières, je pouvais transporter
des migrants », rappelle le jeune
conducteur de nuit, un peu perdu
à la barre du palais de justice de
Dunkerque, vendredi 6 mai. Sa
chemisette blanche ajustée sur
son léger embonpoint de sédentaire, son visage de bon garçon
qui se bat chaque mois pour rembourser l’achat de sa licence ont
vite fait de lui un intrus dans
cette salle d’audience où l’on jonglait avec les milliers d’euros.
« En trois mois, mon client a
perçu 500 euros en transportant
des migrants, à qui il a demandé le
strict tarif en vigueur », s’est offusqué Eric Steylaers, l’avocat du
chauffeur de taxi, pour qui la présence de son client jugé pour est
totalement déplacée.
Six hommes – trois Français et
trois Kurdes iraniens ou irakiens
– étaient convoqués pour « aide à
l’entrée, la circulation ou le séjour
irrégulier d’un étranger en France
en bande organisée », vendredi,
mais seuls les deux maillons faibles de la filière de passeurs dé-
mantelée en février à GrandeSynthe (Nord) avaient fait le déplacement : Romain le chauffeur
et Zidan, un Irakien. Ce dernier assure être venu depuis l’Italie dans
la jungle de Grande-Synthe pour
protéger ses neveux en attente
d’un passage pour la Grande-Bretagne, avant d’être contraint de
travailler pour les passeurs.
14 000 euros le passage garanti
Pourtant, après plusieurs mois
d’enquête, la police avait mis au
jour un réseau complet. Il y avait
le chef présumé, un Iranien,
Kapa ; deux frères, Morad et
Youssef, gérants français d’un
café à Grande-Synthe, soupçonnés d’officier comme « banquiers » et dont le commerce servait de quartier général. S’y ajoutait Amir, un Iranien, venu à
Grande-Synthe pour passer en
Grande-Bretagne ; lui faisait office d’homme de confiance pour
les dépôts d’argent et aussi de rabatteur. Kapa est en fuite et les
trois autres se sont dispensés de
l’épreuve du palais de justice.
Qu’importe, dans la salle
d’audience, on s’est raconté l’histoire de ces absents grâce auxquels « plus de 15 personnes passaient en Grande-Bretagne chaque semaine », a rappelé le substitut du procureur. Kapa « passeur
très expérimenté », était le cerveau, a-t-il souligné, mais « nous
sommes aujourd’hui face à une
mise en lumière de l’appui logistique et financier sans lesquels les
passeurs ne peuvent pas travailler », a-t-il insisté.
Dans le camp de Grande-Synthe, un rabatteur, qui pouvait
être Zidan ou Amir, amenait des
clients vers Kapa. Ce dernier proposait les tarifs : entre 10 000 et
14 000 euros pour un passage garanti, avec complicité du chauffeur, et 4 400 euros sans complicité. Ensuite, il fallait rapatrier
l’argent, une étape où les deux
frères cafetiers entraient en action. D’abord sous leur nom, puis
sous d’autres identités, ils faisaient auprès du comptoir Western Union les retraits que les migrants ne peuvent pas réaliser et
prenaient une commission de
10 %. L’enquête a relevé les traces
de 150 opérations pour un montant de 319 000 euros.
Jusqu’à six ans de prison
Avant d’être remis au passeur, cet
argent pouvait être confié à
Amir, homme de confiance, qui
ne le débloquait qu’une fois reçu
le signal de l’arrivée effective en
Grande-Bretagne. Ces opérations
de confiance lui rapportaient
chaque fois entre 200 et
600 euros. Zidan, lui, rabattait
des clients et aurait touché de
son propre aveu 4 000 euros entre le 1er décembre, date où il est
arrivé à Grande-Synthe et la mifévrier, moment du démantèlement de l’organisation. De Kapa,
il ne reste que son profil Facebook avec des photos de voitures
de luxe.
Le tribunal a condamné à six
ans de prison ferme assortie
d’une amende de 50 000 euros ce
passeur aguerri. Un mandat d’arrêt international a été émis à son
encontre. Zidan et Amir devront
purger deux ans d’emprisonnement, payer une amende de
10 000 euros pour le premier et
de 8 000 pour le second. Les frères Morad et Youssef, qui étaient
sous contrôle judiciaire, sont interdits de tenir un café pendant
cinq années. En outre, Youssef
est condamné à deux ans de prison et 20 000 euros d’amende,
son frère à un an et 5 000 euros.
Le chauffeur de taxi, lui, a été relaxé, le tribunal estimant qu’il
n’a pas commis d’infraction, ne
surfacturant pas ses courses et
n’ayant amené personne aux
points de départ des camions.
Ces peines sont globalement
conformes aux réquisitions du
ministère public. p
maryline baumard
france | 9
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
La sécurité privée, un secteur sous tension
La menace terroriste fait exploser une activité loin d’avoir achevé sa professionnalisation
F
estival de Cannes, Euro
2016, Tour de France… Le
pays est entré dans une
séquence événementielle
chargée et l’attention des pouvoirs publics est rivée sur la menace terroriste, qui entraîne une
multiplication des contrôles à
l’entrée de tous les lieux publics,
centres commerciaux et manifestations sportives ou culturelles.
Pour y faire face, le secteur de la
sécurité privée est appelé à jouer
un rôle accru. Plus de
10 000 agents de sécurité devraient ainsi participer à la sécurité du championnat européen de
football qui se tient du 10 juin au
10 juillet dans dix villes hôtes.
Alors que les acteurs du secteur,
du Conseil national des activités
privées de sécurité (CNAPS) au
Club des directeurs de sécurité
d’entreprises, préconisent d’armer les agents de surveillance,
cette montée en puissance de
la sécurité privée peut aussi inquiéter, tant le milieu est mal régulé, émietté et économiquement fragile.
« Des missions
sont transférées
petit à petit
du public
vers le privé »
OLIVIER DURAN
Syndicat national
des entreprises de sécurité
Mais dans un contexte postattentats, les acteurs publics poussent dans le sens d’une plus forte
mise à contribution : « Nous devons toiletter la répartition des
compétences avec d’autres acteurs
de la sécurité, considérait en effet
Céline Berthon, la secrétaire générale du Syndicat des commissaires
de la police nationale (SCPN), lors
de son audition par la commission
d’enquête parlementaire sur les attentats, le 23 mars. Se pose (…) la
question de la contribution des forces de sécurité privées (…) car nous
sommes convaincus que la menace
actuelle perdurera pendant des années, voire des décennies. »
Le sujet n’est pas nouveau, « cela
fait des années que des missions
sont progressivement transférées
du public vers le privé, à travers, par
exemple, la sécurité des tribunaux
ou l’accueil dans les ministères »,
rappelle Olivier Duran, porte-parole du Syndicat national des entreprises de sécurité (SNES).
« La profession a quasi quadruplé
ses effectifs ces vingt dernières années au fur et à mesure du retrait de
l’Etat », ajoute Alain Bauer, président du CNAPS, l’instance de régulation du secteur. La commande
publique représente aujourd’hui
un quart du marché. Et s’il n’est
pas envisagé à ce jour de transférer
de nouvelles missions régaliennes, ici et là, l’idée d’une privatisation du transport de détenus resurgit régulièrement et, de temps
à autre, des municipalités se prennent à rêver à faire patrouiller des
vigiles sur la voie publique.
« Le discours général a beaucoup
changé sur le secteur privé, considère Sebastian Roché, directeur
de recherche au CNRS qui travaille
sur les questions de police et de
sécurité. Aujourd’hui il est légitime d’imaginer armer des agents
privés [une possibilité déjà prévue
par la loi mais effective dans de rares situations comme le convoi de
fonds]. Il y a quelques années, cette
proposition aurait suscité une levée de boucliers. »
Pour Sebastian Roché, « nous
nous dirigeons vers le modèle du
nord de l’Europe où le privé détient
une place plus grande ». Un scénario sur lequel table également le
criminologue Alain Bauer. Si la
France compte 250 000 policiers
et gendarmes pour quelque
150 000 salariés de la sécurité privée, « à terme, nous arriverons à
un ratio d’un agent privé pour un
agent public », prévoit-il.
Secteur ultra-concurrentiel
Aussi attendue soit-elle, cette
montée en puissance ne va pas de
soi. Ainsi, dans le cadre de l’organisation de l’Euro 2016, les acteurs
du secteur ont fait état d’importantes difficultés de recrutement.
« Il n’y a pas assez de candidats.
Des fan zones ne pourront pas
ouvrir », prévient Alain Bauer, à
propos des espaces réservés à la
retransmission sur écran géant
des matchs de la compétition.
« Gardien, c’est un métier d’accident de la vie, on tombe dedans »,
résume Daniel Warfman, directeur délégué de Trigion Sécurité et
« Gardien,
c’est un métier
d’accident de
la vie, on tombe
dedans »
DANIEL WARFMAN
directeur délégué
de Trigion Sécurité
coauteur de La Sécurité privée en
France (Que sais-je ?, PUF, 2011). Les
chiffres sont éloquents : avec un
turn-over de 55 % en 2014, c’est
plus d’un salarié sur deux qui
quitte son entreprise chaque année. « Souvent, le métier d’agent est
un pis-aller », constate Daniel Peltier, secrétaire général du syndicat
de salariés SNEPS-CFTC.
Des vacations de 12 heures, des
postes isolés, des horaires décalés,
des stations debout prolongées,
des risques d’agression… Les conditions sont difficiles pour un salaire peu élevé. D’après le rapport
de branche Sécurité-Prévention
2014, environ 20 % des agents sont
au smic et 60 % sont rémunérés
entre 3 et 6 % au-dessus du smic.
Ce modèle social est à corréler
avec les caractéristiques d’un secteur ultra-concurrentiel et morcelé (près de 4 000 entreprises),
dans lequel des donneurs d’ordre
tirent les prix vers le bas et encouragent le recours à la soustraitance pour plus de souplesse.
« La structuration du secteur n’est
pas achevée », estime Sebastian
Roché. La main-d’œuvre représentant jusqu’à 95 % de la valeur
d’une prestation, elle est logiquement la principale variable d’ajustement. Et certaines entreprises
n’hésitent pas à recourir au travail
non déclaré. Avec 27 % d’entreprises en infraction, principalement
pour du travail illégal, contre 17 %
à l’échelle nationale, le secteur est
dans le viseur des pouvoirs publics. « C’est une profession qui
tente de se moraliser depuis quelques années », souligne toutefois
Philippe Dingeon, à la Direction
générale du travail.
Le CNAPS, créé en 2012, doit y
contribuer, malgré la mauvaise
presse qui lui a été faite à la suite
de la mise en examen en janvier
pour corruption de son ex-directeur, le préfet Alain Gardère. Ses
services sont notamment chargés
de délivrer la carte professionnelle obligatoire depuis 2009
pour tout agent de prévention et
de sécurité. Elle atteste de sa moralité (absence d’antécédents judiciaires) et de son aptitude professionnelle (détention d’un certificat de qualification professionnelle ou équivalent).
Toutefois, les contrôles du
CNAPS en 2015 ont relevé qu’un
agent sur trois contrôlés n’était
pas titulaire de cette carte. Le
chantier de la professionnalisation est loin d’être achevé. Pour le
poursuivre, le CNAPS inclura à
partir du 1er juillet les organismes
de formation dans son périmètre
de contrôle. p
julia pascual
MAN I F ESTAT I ON
Nouvelles mesures
limitant Nuit debout
La Préfecture de police de Paris a pris, vendredi 6 mai, des
arrêtés interdisant notamment la diffusion de musique
et l’alcool place de la République, à Paris, dans les nuits de
samedi à dimanche et de dimanche à lundi, en prévision
de rassemblements du mouvement Nuit debout de protestation contre le projet de
loi sur le travail. – (Reuters.)
J UST I C E
Perquisitions dans
l’entourage du président
de la région de La Réunion
Les gendarmes ont mené des
perquisitions, mardi 3 mai, au
siège de la région de La Réunion, à Saint-Denis, et chez
des proches du président de
la région, Didier Robert, dans
le cadre de l’enquête préliminaire pour corruption et favoritisme dans l’attribution à
Bouygues et Vinci des marchés de la nouvelle route du
littoral, a-t-on appris vendredi. – (AFP.)
S AN T É
Des bons d’achat pour
faire arrêter de fumer
les femmes enceintes
Des maternités vont tenter
de convaincre des femmes
enceintes d’arrêter de fumer
en leur offrant des bons
d’achat, indique Le Parisien,
samedi 7 mai. Un total de
400 futures mamans vont
être recrutées. Seize maternités de France participent à
cette opération lancée par
l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, avec le soutien
de l’Institut national du cancer.
Romain Caillet, un encombrant spécialiste du djihad pour BFM-TV
La chaîne a mis fin, vendredi, au contrat de consultant de ce chercheur reconnu, après que « L’Obs » a révélé qu’il faisait l’objet d’une fiche « S »
C’
est par un communiqué inhabituel, et très
largement diffusé, que
BFM-TV a annoncé, vendredi
6 mai, la fin de sa collaboration
avec le chercheur Romain Caillet,
considéré comme un des
meilleurs experts français du djihadisme. Cette décision fait
« suite aux informations dévoilées » mercredi par L’Obs, révélant
que le « consultant djihadisme »
de la chaîne faisait l’objet d’une fiche « S » et avait un temps défendu les thèses djihadistes.
Alors qu’il vivait au milieu des
années 2000 en Egypte, Romain
Caillet avait fait la connaissance,
par un ami commun, des frères
Clain, qui ont revendiqué en
chanson les attentats du 13 novembre. Ses relations troubles lui
vaudront d’être placé en garde à
vue en janvier 2008, dans le cadre
du démantèlement de la filière
irakienne dite « d’Artigat », animée par Fabien Clain. « J’espère ne
pas avoir été la cause d’enrôlement
de jeunes au djihad. J’ai essayé de
réparer mes erreurs en postant
« Mon rôle n’est
ni de combattre
ni d’approuver,
mais
d’expliquer »
ROMAIN CAILLET
chercheur, spécialiste
du djihadisme
[sur Internet] des repentirs publics, explique-t-il alors aux policiers. Quand j’étais djihadiste, je
dormais mal la nuit en pensant
aux attentats. » Aucune charge ne
sera retenue contre lui.
Mais la retranscription d’une de
ses déclarations aux enquêteurs,
exhumée par L’Obs, se retourne
aujourd’hui contre lui : « Sur le djihad, je ne suis plus d’accord avec
les Clain. Depuis mars 2007, je ne
suis plus pour le djihad parce que je
m’oppose au fait d’entraîner des
jeunes pour se sacrifier à mourir
sans avoir acquis au préalable les
bases de l’islam. »
Sollicité par Le Monde, Romain
Caillet explique que cette phrase
ambiguë a été mal interprétée. « A
l’époque de cette garde à vue, je faisais partie d’une mouvance radicalement antidjihad. J’étais contre
le terrorisme tout court, pas seulement pour des considérations religieuses », insiste ce chercheur de
38 ans, qui se définit aujourd’hui
comme un « musulman conservateur », ni djihadiste ni salafiste,
« désenchanté par tous les courants ».
Relations héritées du passé
De son « aventure intellectuelle »
djihadiste, l’expert a conservé
une fiche « S », qui lui vaut de
réapparaître de temps à autre en
marge de certains dossiers terroristes, au gré des répertoires téléphoniques épluchés par les enquêteurs. Dans l’enquête sur le
projet d’attentat de Villejuif, il est
ainsi présenté de façon très approximative comme un « journaliste spécialisé dans les questions
islamistes et également connu de
[la] documentation opération-
nelle pour son appartenance à la
mouvance islamiste radicale », au
seul motif qu’il est ami de longue
date avec un homme en contact
avec un personnage secondaire
du dossier.
Lui continue d’assumer ces relations héritées de son passé, qui
constituent aujourd’hui près
d’« un tiers de ses sources ». Un numéro d’équilibriste qui l’oblige à
afficher une certaine neutralité
dans la presse pour conserver sa
crédibilité auprès de ses contacts,
y compris lorsqu’il s’agit de réagir
à son éviction de BFM-TV : « J’ai été
djihadiste, puis antidjihadiste.
Aujourd’hui, je me positionne
comme un chercheur : mon rôle
n’est ni de combattre ni d’approuver, mais d’expliquer. »
« Ce n’est pas une question de
fond, c’est une question de confiance : celle-ci est rompue », explique au Monde Hervé Béroud, directeur de la rédaction de
BFM-TV. La chaîne reconnaît
qu’elle savait que M. Caillet avait
eu une « proximité » avec des djihadistes, ce qui n’avait jamais
posé problème. « Mais, dans toutes les recherches que nous avons
faites, je n’avais pas vu que Romain Caillet était fiché “S” et, surtout, qu’il avait été favorable au
djihad, explique M. Béroud. Or,
j’estime qu’il ne peut venir chez
nous pour s’exprimer sur le terrorisme sans jouer cartes sur table
en nous en parlant avant. On
aurait alors pu prendre une décision en connaissance de cause. »
« Déballage public »
BFM-TV avait eu une première
alerte, quelques jours seulement
après le début de sa collaboration
avec Romain Caillet, en mars. Sur
Twitter était apparue une photo
prise au Liban, en 2012, montrant
le chercheur aux côtés de son
épouse portant le voile intégral.
« On lui avait posé la question, il disait qu’il avait vécu autrement à
une époque, raconte M. Béroud.
Cela ne nous avait pas paru suffisant pour mettre un terme à la collaboration. » S’il comprend faire
l’objet d’une fiche « S », les policiers
étant « suspicieux par nature », Ro-
main Caillet déplore le « déballage
public » de sa vie privée, occasionné par cette polémique.
Ironie du sort, son recrutement
par BFM-TV est intervenu au moment où un autre spécialiste reconnu du djihad a fustigé la nullité des experts en terrorisme à la
télévision… Le 24 mars, David
Thomson, journaliste à RFI, avait
déploré, sur France 5, le fait que les
plateaux soient « trustés par des
gens qui peuvent dire tout et n’importe quoi ».
Invité à réagir à l’éviction de Romain Caillet, David Thomson livre au Monde son appréciation de
cette affaire : « Ce qui fait sa crédibilité, c’est sa hauteur de vue universitaire et le fait qu’il ait eu un
pied dans la mouvance djihadiste.
C’est ce passé qui lui permet d’en
connaître les acteurs et les textes
auxquels ils se réfèrent, et d’en être
un des meilleurs connaisseurs.
Mais je comprends que ce soit
compliqué en termes d’image pour
une chaîne comme BFM-TV. » p
alexandre piquard
et soren seelow
10 |
GÉOPOLITIQUE
Viktor Orban incarne ce retournement de
blaise gauquelin (vienne,
l’Europe centrale. « C’est un ex-libéral. Sa force
correspondant) et alain salles,
vient du fait qu’il peut dire : je viens de là, et ça ne
avec jean-baptiste chastand
marche pas », explique le politologue bulgare
Ivan Krastev (président du Centre des stratégies
u commencement était Viktor libérales à Sofia et chercheur à l’Institut des
Orban. Le 26 juillet 2014, le pre- sciences humaines à Vienne), l’un des rares à
mier ministre hongrois natio- s’être intéressé sérieusement à ce courant « dénaliste a développé sa concep- mocrate non libéral ». Orban est un héros de la
tion de la démocratie, ou en lutte contre le communisme, devenu rapidetout cas la manière dont il l’ap- ment premier ministre, en 1998. A la surprise
plique dans son pays. « Jusqu’à présent, nous générale, il est battu en 2002 et, pendant huit
connaissions trois formes d’organisation étati- ans d’opposition, il forge une méthode pour,
que : l’Etat-nation, l’Etat libéral et l’Etat-provi- cette fois, garder le pouvoir, que le gouvernedence, estimait le chef de gouvernement en ment polonais ultraconservateur essaie d’imipleine torpeur estivale. Maintenant, la question ter depuis la victoire de Droit et justice (PiS), en
est : qu’est-ce qui va venir ensuite ? La réponse novembre 2015.
hongroise, c’est que l’ère d’un Etat fondé sur la
valeur travail doit leur succéder. (…) Le nouvel LA CONSTITUTION MODIFIÉE EN PROFONDEUR
Etat que nous construisons en Hongrie n’est pas La remise au pas du tribunal constitutionnel a
été un des premiers actes du nouveau régime.
un Etat libéral, c’est un Etat non libéral. »
Etat non libéral : jamais cette expression En 2010, avec 52,7 % des suffrages, le parti Fidesz
n’avait été, jusqu’à présent, revendiquée par un de Viktor Orban, allié à une formation démodirigeant des vingt-huit pays de l’Union euro- crate-chrétienne, a obtenu les deux tiers des
péenne. Elle passe alors plutôt inaperçue. Or sièges du Parlement, lui permettant de modicette démocratie alternative, selon Budapest, fier en profondeur la Constitution. Il s’est lancé
proposerait des valeurs bien différentes de cel- dans un changement complet de la Cour sules des fondateurs de la maison commune. Elle prême, rebaptisée « Curia », éliminant au pasreposerait sur l’ordre, le contrôle de la presse, la sage son président, qui avait critiqué les attafamille, la religion, le culte de la terre, la mythi- ques du Fidesz contre la justice. Le Parlement
fication d’un passé épuré, la mise au travail des avait annulé des décisions de justice qui viallocataires sociaux, voire la peine de mort saient des membres du Fidesz. La composition
qu’il voulait remettre « à l’ordre du jour » en de la Cour avait été remaniée pour favoriser
mai 2015. Selon l’ex-dissident, les valeurs occi- l’entrée de membres proches du pouvoir. Le
dentales, fondées sur les droits de l’homme, le gouvernement a dû revoir quelque peu sa corespect des minorités, l’Etat de droit et le libre- pie, après des décisions défavorables de la Cour
échange, ont fait long feu. Dans un entretien au de justice européenne et de la Cour européenne
journal allemand WirtschaftsWoche, le 17 avril, des droits de l’homme à Strasbourg, mais en
il a encore enterré la social-démocratie et la dé- gardant l’essentiel.
La mainmise sur la presse est tout aussi specmocratie chrétienne européenne, estimant
qu’elles avaient été dévoyées par le libéralisme. taculaire. Radio et télévision publiques ainsi
que l’agence d’information MTI sont chapeautées par une autorité dont le président est
UN MONDE ET UNE PENSÉE « VISIONNAIRES »
Au mode de vie hérité des vainqueurs occiden- nommé pour neuf ans par le premier ministre.
taux de la seconde guerre mondiale, il oppose Les productions doivent être « équilibrées » ; le
son contre-modèle et désire faire de son pays, secret des sources n’est plus protégé ; 950 joursitué à la périphérie de l’UE, le centre nouveau nalistes de l’audiovisuel public sont licenciés.
En matière économique, le gouvernement
d’un monde et d’une pensée visionnaires. Il
tourne le dos à Paris, à Berlin, à Washington et à s’attaque à la grande distribution, un secteur
Bruxelles, pour liquider un quart de siècle dominé par des sociétés étrangères, en levant
d’héritage libéral postcommuniste. Et ce dans un impôt rétroactif. Il s’immisce dans des conle but de placer sa petite Hongrie – moins de trats de droit privé en imposant les taux de
10 millions d’habitants – sous le modèle auto- remboursement des crédits en devises étranritaire de Singapour, de la Chine, de la Russie et gères. Mais il veille à respecter les critères européens, en redressant les comptes après la gesde la Turquie.
Le concept de démocratie non libérale a été tion désastreuse du précédent gouvernement
théorisé par le journaliste américain Fareed dominé par d’anciens communistes. Il se garde
Zakaria dans la revue Foreign Affairs dès 1997, à bien aussi de s’en prendre aux intérêts allepropos « de régimes démocratiquement élus, mands, très présents en Hongrie et grands
souvent réélus ou renforcés par des référen- pourvoyeurs d’emplois. Quand il a tenté d’attadums qui ignorent les limites constitutionnelles quer RTL, la principale chaîne privée hongroise,
de leurs pouvoirs et privent leurs citoyens de propriété du groupe allemand Bertelsmann, il
droits basiques et de libertés ». Dans cet article, a dû faire marche arrière.
Orban a été facilement réélu en 2014. « Il a
« The Rise of Illiberal Democracy », il donnait
en contre-exemple les pays d’Europe centrale, mieux réussi en économie que ne le prédisaient
qui « étaient passés avec succès du commu- ses détracteurs, explique Ivan Krastev. Et il a le
nisme à la démocratie libérale ». C’est précisé- soutien des Hongrois. C’est pour cela que sa dément cette transition qui est remise en ques- mocratie non libérale peut devenir contagieuse.
Il a su utiliser la crise des migrants. Son discours
tion en Hongrie et en Pologne.
A
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Hongrie
Viktor Orban,
architecte de
la démocratie
non libérale
en Europe
En rejetant la notion d’Etat de droit,
le chef du gouvernement hongrois
veut opposer aux valeurs
des démocraties occidentales
un contre-modèle autoritaire.
Cette remise au pas recueille les faveurs
d’autres pays d’Europe centrale
et de partis d’extrême droite,
qui surfent sur la crise des migrants
géopolitique | 11
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
A Varsovie, Vienne et Budapest. POIKE STOMPS
Photographies extraites
du livre de Poike Stomps,
Crossing Europe.
est très bien reçu chez ces petites nations vieillissantes, qui se sentent menacées dans leur existence par le déclin démographique et ont peur
de perdre leur majorité ethnique si une vague
de migrants s’installe en Europe. »
Car Viktor Orban n’est plus seul. La Pologne,
la Croatie, la Slovaquie, trois nouveaux entrants dans l’UE, sont également gouvernés
par des partis politiques aux tendances nationalistes et autoritaires. Le premier ministre
hongrois a désormais pour allié le parti Droit
et justice (PiS), au pouvoir en Pologne. Viktor
Orban et le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski – surmontant leurs différends sur la
Russie de Poutine, avec laquelle la Hongrie a signé un contrat sur le nucléaire, en pleine crise
ukrainienne – se sont longuement rencontrés
en janvier dans les Carpates polonaises. Ce tête-à-tête au sommet scelle l’extension de la démocratie non libérale en Europe.
En arrivant au pouvoir, le gouvernement polonais a appliqué les mêmes recettes. Il est entré dans un conflit ouvert avec le Tribunal
constitutionnel, la plus haute autorité judiciaire. Le président de la République, Andrzej
Duda, a également accordé sa grâce à l’un des
ministres du gouvernement, chargé des services secrets, condamné en première instance à
trois ans de prison pour abus de pouvoir lors
du précédent gouvernement PiS (2005-2007),
alors qu’un appel était en cours. Et les médias
publics ont été placés sous contrôle.
Les Polonais ont surpassé leur maître hongrois, en s’attaquant aux grandes figures de la
transition démocratique, à commencer par
Lech Walesa. Ils utilisent aussi la catastrophe
aérienne de Smolensk, dans laquelle l’ancien
président Lech Kaczynski a trouvé la mort,
en 2010, pour s’attaquer au président du Conseil européen et éternel rival de Jaroslaw Kaczynski, Donald Tusk, qui était premier ministre à l’époque.
Il n’y a pas que les Polonais. A partir du
1er juillet, l’UE sera présidée pour six mois par
Robert Fico, le premier ministre slovaque, qui
a déposé une plainte devant la Cour de justice
de l’UE contre la répartition de quotas de réfugiés. Il est à la tête d’un gouvernement de coalition entre la gauche et le SNS, un parti d’extrême droite, dont le chef, Andrej Danko, fustige le multiculturalisme.
« UN AXE FORT EN EUROPE CENTRALE »
Enfin, la Croatie est en plein virage nationaliste depuis la formation d’un nouveau gouvernement, en janvier. Le principal parti de la
coalition, le HDZ (Union démocratique
croate), a notamment imposé différentes mesures contestées de reprise en main des médias et des institutions publiques. Le ministre
des affaires étrangères croate, Miro Kovac, a effectué sa première visite à l’étranger à Budapest pour y déclarer : « Nous voulons développer un axe fort en Europe centrale. »
Ivan Krastev s’était inquiété au milieu des
années 2000 de l’émergence des démocraties
non libérales à propos – déjà – de la Pologne
des frères Kaczynski (2005-2007) et de l’arrivée
Poike Stomps
« J’aime regarder les
foules », dit simplement ce
photographe néerlandais,
qui a observé les passants
dans 42 capitales d’Europe.
Durant les années 2011 et
2012, il a pris des clichés
d’individus lambda
traversant la rue à des
carrefours très fréquentés,
puis les a réunis en un
ouvrage, Crossing Europe
(« En traversant l’Europe »,
2015 et 2016, disponible
sur www.poike.nl).
Poike Stomps, né en 1977
à Zeist, aux Pays-Bas, livre,
à défaut de conclusions,
quelques questions
à partir de son expérience
européenne : « Des pays ont
rejoint l’UE pour des raisons
purement économiques.
N’y a-t-il rien d’autre qui
nous réunisse ? Comment
l’Union peut-elle cesser
d’être une idée pour devenir
une pratique ? »
au pouvoir du populiste de gauche Robert
Fico en Slovaquie, allié aux nationalistes.
« Mais, aujourd’hui, nous sommes face à une
tendance générale qui ne se limite pas à l’Europe centrale, explique-t-il. L’extrême droite
peut remporter l’élection présidentielle en
Autriche, le 22 mai. Les mobilisations antipopulistes ont échoué, et la peur générée par ces
partis a décliné. Ils représentent désormais une
alternative à l’establishment. »
L’Europe est la nouvelle terre de mission de
Viktor Orban. Surtout depuis que la crise des
migrants a achevé de déstabiliser des pouvoirs fragiles, comme en Autriche, par exemple. Il entend désormais effectuer une tournée en Europe, dans le but de prêcher sa vision de l’avenir et de se poser en alternative à
la chancelière allemande, Angela Merkel, et à
sa gestion de la crise des réfugiés.
L’heure n’est plus aux cris d’indignation
proférés quand il a commencé, pendant l’été
2015, à construire une barrière sur sa frontière
serbe. La montée de l’extrême droite et la peur
des réfugiés musulmans dans l’opinion,
après les attentats de Paris et de Bruxelles, incitent partout à la prudence. Des conservateurs reconnaissent mezza voce leur satisfaction de le voir tenir tête à Angela Merkel, la
personnalité la plus puissante d’Europe.
Son influence grandit. En dépit de sa réputation sulfureuse, il n’a jamais été un mouton noir d’extrême droite. Le Fidesz est membre de la principale famille politique du
Vieux Continent, le Parti populaire européen
Les habits « postmodernes » de l’extrême droite autrichienne
il est un constat que les élites intellectuelles viennoises semblent rétives à
partager, mais qui paraît incontestable :
en 2016, c’est l’extrême droite, une famille politique qu’elles ne cessent de réduire à ses origines nazies sans lui reconnaître d’avoir mené une réflexion
réelle, qui a fait un véritable effort pour
penser l’avenir.
Alors que la gauche et la droite de gouvernement ont échoué à renouveler
leur personnel, le Parti libéral d’Autriche (FPÖ) affiche une volonté d’incarner la modernité, face au « monde
d’hier », celui hérité des grands conflits
du XXe siècle. Dans cette Autriche prospère de 8,6 millions d’habitants, le pouvoir – et les richesses – a été partagé entre le clan des « rouges » (les sociaux-démocrates) viennois et celui des « noirs »
(les conservateurs) provinciaux, barons
d’opérette en leurs vertes vallées.
Dans la famille politique de HeinzChristian Strache, le successeur de Jörg
Haider à la tête du FPÖ, cette « troisième voie » qui ne date pas de la crise
des migrants, on réfléchit et on anticipe. Même si l’on arbore encore
l’écharpe aux couleurs de l’Allemagne
au bal annuel des corporations estu-
diantines, tout comme le bleuet prussien des militants nazis de 1933 à 1938.
Au-delà de ce folklore nostalgique, le
FPÖ se targue même d’avoir LA vision
pour les générations futures.
Dans les colonnes du quotidien conservateur Die Presse, l’intellectuel historique de l’extrême droite autrichienne,
Andreas Mölzer, ami du Français Bruno
Gollnisch (Front national), annonçait
par exemple tout récemment encore
l’émergence d’un nouveau système politique typiquement autrichien, différent de celui qui a cours depuis 2010 en
Hongrie et qui ne serait donc pas
qu’une simple « orbanisation » des nations danubiennes.
Cette « identité postmoderne » – ainsi
a-t-il nommé le projet – prendrait selon
lui « la forme d’une redécouverte de soi,
de l’espace confiné de la patrie, en connexion avec un monde ouvert et les nouvelles technologies ». Selon lui, avec un
président d’extrême droite en Autriche
– cas unique en Europe –, le FPÖ réussirait en quelque sorte enfin le mariage
de la culotte de peau et de l’iPhone. On
verrait alors l’éclosion dans la Vienne
cosmopolite et métisse – siège de
l’ONU, de l’OPEP, de l’OSCE, de l’Agence
européenne des droits fondamentaux – qui, à l’exception de sa langue et
de son histoire, n’est maintenant pas
plus germanique que slave et latine,
d’une capitale de l’internationale des
nationalismes. L’Autriche du FPÖ serait
ouverte à la coopération humanitaire,
neutre et européenne.
Le FPÖ bien vu au Kremlin
Tout un programme, qui par le passé
n’a pas pu être mis en œuvre, les partis
nationalistes ayant toujours fini par se
quereller. Sauf que le FPÖ prouve, et depuis des années déjà, qu’il peut désormais entretenir des relations opportunistes, fondées sur des objectifs communs, avec bon nombre de mouvances, dans des pays aussi divers et
importants que la France, le Japon ou
l’Egypte. Il est bien vu au Kremlin et indiffère dans une majorité de capitales.
Il va jouer son va-tout à la faveur du
second tour de la présidentielle, le
22 mai, face au candidat écologiste
Alexander Van der Bellen. La crise des
réfugiés a achevé de diviser un Parti social-démocrate (SPÖ) au bord de l’explosion, à cause du virage décidé par
Werner Faymann, le chancelier de gau-
che ayant emboîté le pas à la très autoritaire Hongrie voisine en faisant fermer
les frontières, au mépris de la convention de Genève.
« C’est ce contexte qui est nouveau et
qui donne une dimension européenne à
ce qui se passe en Autriche, énonce la politologue allemande Tanja Börzel. Pour
la première fois, on n’a plus le FPÖ contre
la gauche ou la droite au second tour,
mais une confrontation entre ceux qui,
par exemple, sont contre l’islam et ceux
qui défendent le multiculturalisme. »
Mais la montée du FPÖ n’est pas imputable uniquement à la crise des migrants. Il y a eu le coup de maître de
Heinz-Christian Strache avec le choix
de Norbert Hofer, numéro trois du
parti et ami personnel, comme candidat à la présidentielle, nettement en
tête avant le second tour. En plus d’être
une éminence grise, M. Hofer s’est épanoui en orateur talentueux et télégénique. Quant à M. Strache, longtemps
méprisé pour ses virées à Ibiza, sa propension à manier le dialecte viennois
et ses origines sociales – il est prothésiste dentaire –, il s’est libéré de la
vieille garde sulfureuse du FPÖ. p
bl. ga. (vienne, correspondant)
(PPE) – aux côtés des Républicains, en France,
et de la CDU, en Allemagne. Orban a des soutiens puissants à Bruxelles, comme le chef du
groupe parlementaire PPE, Manfred Weber,
membre de la CSU, ou le président du PPE, le
Français Joseph Daul, qui était venu soutenir
sa réélection en 2014.
C’est la principale raison qui a permis à Viktor Orban de traverser sans dommage la période durant laquelle il a essuyé les récriminations d’une partie de la classe politique européenne. Le PPE préférait le garder dans sa famille, plutôt que de le voir rejoindre le PiS et
les tories britanniques au sein des conservateurs et réformistes européens. Orban prenait
aussi soin de tenir compte des critiques grâce à
une tactique efficace vis-à-vis de Bruxelles :
deux pas en avant, un pas en arrière. Il revenait
sur un des points qui fâchaient, tout en continuant à avancer. Depuis la crise des migrants,
il n’a plus besoin de reculer.
ORBAN, KACZYNSKI ET LA LIGNE ROUGE
« Viktor Orban a toujours dansé au bord de la ligne rouge, sans la franchir. Kaczynski, en Pologne, essaie systématiquement de la franchir »,
remarque Ivan Krastev. La Commission européenne a réagi plus fermement à l’égard de
Varsovie que de Budapest. Elle a mis en œuvre
une nouvelle procédure – créée après l’arrivée
d’Orban au pouvoir – de sauvegarde de l’Etat
de droit. Mais, à peine enclenchée, la procédure a suscité la gêne, à commencer par celle
du président du Conseil européen, Donald
Tusk, qui ne la juge pas nécessaire. Dans une
Pologne divisée, même ceux qui sont hostiles
au gouvernement PiS sont réservés sur l’opportunité de sanctions européennes.
En février, l’ONU a tancé Viktor Orban pour
avoir « affaibli » la démocratie en ayant fait voter un millier de lois en six ans, démantelant la
plupart des contre-pouvoirs. Et, tout récemment, l’ONG Freedom House relevait dans son
rapport annuel un déclassement de la Hongrie par rapport aux pays d’Europe centrale,
dont la structure démocratique rejoindrait
celle, beaucoup moins avancée, de pays des
Balkans comme l’Albanie ou la Macédoine.
Mais l’Europe semble paralysée face aux « polycrises » qui la secouent, du « Grexit » au
« Brexit » en passant par la crise des migrants
ou l’agressivité de la Russie de Poutine, qui se
réjouit des faiblesses européennes. Elle se sent
véritablement menacée de désintégration.
C’est le paradoxe de cette extension du domaine de l’Europe non libérale. « Tous ces
pays d’Europe centrale vivent en partie des
fonds structurels de l’UE. Si l’Union européenne
se désintègre, ils en seraient les premières victimes. Et ils deviendraient de très petits pays
dans un monde très grand », souligne Ivan
Krastev, qui relativise la portée de cette expansion. « Viktor Orban est un politicien très
habile et opportuniste. Ses imitateurs n’ont pas
forcément le même succès, comme le montre
l’échec relatif de Fico aux dernières élections.
Oui, il y a une épidémie populiste en Europe,
mais on n’en est pas au stade de la pneumonie,
d’une maladie dont on peut mourir. » p
12 | géopolitique
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Le modèle Orban de « démocratie non
libérale »…
POLOGNE
E S P A C E
S C H E N G E N
DROITE NATIONALISTE RADICALE
ET EXTRÊME DROITE DOMINENT LA HONGRIE
Le Fidesz (Union civique hongroise), parti au pouvoir
de Viktor Orban (nationaliste, eurosceptique et non
libéral)
RÉPUBLIQUE
TCHÈQUE
Le Jobbik, parti d’extrême droite
(ultranationaliste, antisémite et anti-Roms)
La coalition de centre-gauche,
composée de cinq partis, créée en 2014
LMP, autre parti de gauche
SLOVAQUIE
133
UKRAINE
38
23
Komarno
Gyor
Tatabanya
199 SIÈGES
ATTEINTE À LA LIBERTÉ DE LA PRESSE
DEPUIS 2010
Tis
za
AUTRICHE
Nyireghyhaza
Eger
117 atteintes
5
Censure, poursuites, fermetures de médias
indépendants, arrestations de journalistes...
Debrecen
Budapest
ENTRAVE À LA SÉPARATION DES POUVOIRS
Veszprem
E S P A C E
S C H E N G E N
Cour constitutionnelle : série d’amendements
affaiblissant le contrôle exercé par la Cour
sur le Parlement dominé par le Fidesz
HONGRIE
Dunaujvaros
Kecskemet
Zalaegerszeg
RECRÉER L’ESPRIT D’UNE NATION HONGROISE
SLOVÉNIE
Pecs
Danube
Paks
Minorités hongroises vivant dans les pays frontaliers,
à qui la citoyenneté a été octroyée
Szeged
ROUMANIE
Minorité rom visée en priorité par les travaux
d’intérêt public. 263 000 personnes enrôlées en 2015
sous peine de suppression des allocations sociales
en cas de refus.
CROATIE
… confronté à la crise des migrants...
Limite de l’espace Schengen
Flux migratoire sur la route des Balkans, principal
couloir migratoire en provenance de la Grèce
Fermeture des frontières sauf exception humanitaire et demandeurs d’asile dans le pays concerné
Construction de murs antimigrants
BOSNIEHERZÉGOVINE
SERBIE
… en profite pour renforcer son alliance
avec d’autres eurosceptiques
Avec les pays du groupe de Visegrad, qui s’opposent
à l’instauration de quotas pour l’accueil des migrants
Danube
Avec la Croatie, où un nouveau pouvoir
ultranationaliste est installé depuis janvier
50 km
Avec la Russie, construction d’une centrale nucléaire
La Hongrie, entre ses murs
A la tête d’un pays enclavé au cœur de l’Europe, à la limite de la zone
Schengen, Viktor Orban, qui a fermé les frontières aux migrants,
veut effacer un quart de siècle d’héritage libéral postcommuniste
LE « DIKTAT » DE TRIANON (1920)
DE 1945 À 1989, LA CULTURE DES MURS
Empire austro-hongrois
À PARTIR DE 2004, UNE ENVIE D’EUROPE PARADOXALE
Pacte de Varsovie
Empire d’Autriche
Pays de la « couronne de saint Etienne »
Union européenne
Limite de l’espace Schengen
Hongrie actuelle
Hongrie actuelle
Condominium de l’Autriche-Hongrie
URSS
Hongrie actuelle
BLOC
DE L’OUEST
HONGRIE
Royaume
de Hongrie
Rideau
de fer
BLOC DE L’EST
HONGRIE
UNION EUROPÉENNE
HONGRIE
Royaume
de Croatie-Slavonie
Au sortir de la première guerre mondiale, la nouvelle Hongrie – issue
du dépeçage de l’Empire austro-hongrois – se voit, en vertu du traité
de Trianon (1920), amputée des deux tiers de son territoire.
Trois millions de Hongrois se retrouvent hors de ses frontières.
Un siècle plus tard, le président Viktor Orban accordera la nationalité
hongroise aux magyarophones pour réparer la « douloureuse injustice
de Trianon ». De son côté, le Jobbik, le parti d’extrême droite, fait
du rejet de « l’Europe de Trianon » son fonds de commerce.
Il renvendique les frontières de la « couronne de saint Etienne ».
Il a obtenu 20 % des voix aux législatives de 2014.
SOURCES : MAPPING MEDIA FREEDOM ; UNHCR ; MAGAZINE CARTO, N°4, 2011; AFP ; LE MONDE
Durant près d’un demi-siècle, la Hongrie est sous domination
soviétique. Soumis à un régime autoritaire, le pays est enfermé
derrière le rideau de fer qui empêche les populations de circuler.
La Hongrie, comme de nombreux pays de l’Est, n’a pas de tradition
d’accueil des populations du Sud. Face à l’afflux massif de migrants,
près de 400 000 personnes depuis début 2015, une majorité
de Hongrois soutiennent la politique de fermeture des frontières
de Viktor Orban, qui dénonce la vision multiculturaliste imposée
par les pays de l’Europe de l’Ouest.
Après la chute du communisme, la Hongrie prend son indépendance
et se tourne vers l’Ouest. Elle adhère à l’Union européenne en 2004
et devient membre de l’espace Schengen en 2007. Le pays a largement
bénéficié des fonds européens. Pourtant, depuis 2010, Viktor Orban
a affirmé à plusieurs reprises la souveraineté de la Hongrie face
à Bruxelles. Il s’est opposé aux solutions proposées
par Angela Merkel pour résoudre la « crise des migrants »
au niveau européen.
CARTOGRAPHIE : VÉRONIQUE MALÉCOT ET DELPHINE PAPIN
géopolitique | 13
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Jacques Rupnik
« Il y a des courants
populistes ailleurs,
mais, en Europe
centrale, ils sont
au pouvoir »
A cela s’ajoute le fait que ces pays se retrouvent en porte-à-faux par rapport à l’évolution
d’un modèle de société occidentale qu’ils réprouvent sur deux plans. Les valeurs libérales
et individualistes ont conduit à la généralisation du mariage gay, par exemple. L’autre refus est celui d’une société multiculturelle. Ils
ont le sentiment qu’on veut leur opposer un
modèle de société qui a échoué, comme ils le
voient à travers des images des banlieues et
des profils de terroristes. La société multiculturelle viendrait des péchés coloniaux des
pays occidentaux, et l’intégration serait faite
au nom d’un complexe postcolonial. Ils estiment qu’ils ont été colonisés dans l’empire soviétique et qu’ils n’ont donc pas de dette à
l’égard des pays d’émigration.
Ils ont pourtant été des pays cosmopolites.
Est-ce complètement oublié ?
C’était l’époque des sociétés multiculturelles
des empires, où les peuples se mêlaient sous
un toit commun. Cette Europe plurielle a progressivement disparu après la première guerre
mondiale, avec la constitution des Etats-nations qui comportaient environ un tiers de minorités. Après la seconde guerre mondiale, la
destruction des juifs, le départ des Allemands
et la modification des frontières en ont fait des
pays homogènes. Derrière le rideau de fer, ils
n’ont pas été exposés aux vagues migratoires
du dernier demi-siècle en Occident. Au moment où l’Europe occidentale devenait multiculturelle, ils étaient devenus homogènes.
Quand Bruxelles et Angela Merkel ont essayé
de leur proposer des quotas de migrants, ils se
sont rebiffés devant ce qu’ils percevaient
comme une menace pour leur identité nationale et pour la civilisation européenne. L’imaginaire historique de la Hongrie reste marqué
par l’invasion ottomane. Avec la crise des migrants, le pays est redevenu une frontière de la
civilisation occidentale face à des réfugiés empruntant la route ottomane. Et il ne protège
pas la civilisation européenne des hordes de
migrants, mais aussi de celle qui veut les pousser à les accepter : l’Allemagne d’Angela Merkel.
C’est un autre paradoxe : ils ont gardé une conception allemande ethno-culturelle de la nation, qu’ils ont transposée sur le plan européen, au moment où l’Allemagne a adopté une
vision de l’Europe fondée sur les valeurs universalistes des droits de l’homme.
Le chercheur français, ex-conseiller
de Vaclav Havel, analyse les raisons
d’une dérive contagieuse au sein
de l’Union européenne. En Hongrie,
Pologne, Slovaquie et Croatie,
on assiste, dit-il, à une régression
de la démocratie, doublée d’une
crispation identitaire et souverainiste
cès de ces transitions à la capacité d’introduire
les institutions de l’Etat de droit, qui était lié à
la perspective européenne. La promesse d’une
adhésion européenne a amené les acteurs politiques à forger un consensus fort pour créer
des instruments compatibles avec l’UE. Cela
suppose la confiance dans la capacité d’appliquer des normes, avec des institutions judiciaires indépendantes capables d’y veiller.
SCIENCES PO-CERI
ENTRETIEN
propos recueillis par alain salles
J
acques Rupnik, directeur de recherches à Sciences Po, est l’un des principaux spécialistes français de l’Europe
centrale. Né à Prague en 1950, il a été le
conseiller du président tchèque Vaclav Havel, de 1990 à 1992. Il a notamment publié Les Banlieues de l’Europe
et Géopolitique de la démocratisation. L’Europe et ses voisinages (Presses de Sciences Po,
respectivement 2007 et 2014).
Les pays d’Europe centrale semblent
se détourner de certaines valeurs européennes qui les avaient poussés vers
l’adhésion à l’UE après la chute du communisme. Comment l’expliquez-vous ?
Ce qu’il faut bien appeler une dérive en Europe centrale intervient dans des pays qui
étaient considérés comme des réussites en
termes d’économie et de démocratie. Il y a eu,
avec l’élargissement, une convergence sans
précédent avec l’Europe occidentale. C’est un
rattrapage extraordinaire qui a été tiré par les
subventions et l’économie européenne, et singulièrement par le moteur allemand. Ces pays
ont développé une conception de l’Europe à
l’anglaise, qui reposait sur la nation au niveau
politique, sur l’OTAN au niveau sécuritaire et
sur Bruxelles au niveau économique. La référence britannique a faibli, depuis que Londres
débat d’une sortie de l’UE. Pendant la crise économique, ils se sont alignés sur l’Allemagne, et
ils insistaient pour se présenter comme des
pays du Nord. Aujourd’hui, ils revendiquent
leur position d’Europe centrale mais de façon
très différente des années 1980, quand leurs
grands écrivains affirmaient une identité distincte du « bloc de l’Est ».
Ils revendiquaient alors, par-delà le rideau de
fer, leur appartenance européenne et occidentale qu’ils définissaient par des valeurs, un héritage culturel, une civilisation. « Culturellement à l’Ouest, politiquement à l’Est, géographiquement au centre » : c’était le dilemme ou
la « tragédie » de l’Europe centrale qu’exprimait Milan Kundera dans son texte sur « Un
Occident kidnappé » [Le Débat n° 27, 1983].
L’autre aspiration était celle portée par la dissidence, les droits de l’homme, les revendications démocratiques d’une société civile et le
dialogue avec l’espace public européen. C’est
cet esprit, dont Vaclav Havel devint le symbole,
qui s’est retrouvé au pouvoir au moment des
transitions de l’espace communiste vers des
régimes démocratiques. On a attribué le suc-
C’est précisément ce consensus qui est
attaqué en Hongrie ou en Pologne…
On assiste dans ces pays à une régression de
la démocratie, avec une remise en question
de l’Etat de droit, qui passe par des attaques
contre les cours constitutionnelles et la remise en cause de la neutralité politique de
l’administration. Cela est suivi de la reprise
en main des médias publics. Le scénario est le
même dans la Hongrie de Viktor Orban et
dans la Pologne de Jaroslaw Kaczynski. Il y a
des courants populistes et nationalistes importants ailleurs, mais en Europe centrale ils
sont au pouvoir.
On parlait d’une exception hongroise, il y a
désormais la Pologne, qui est le grand pays de
la région. On peut y ajouter la Slovaquie, où
Robert Fico, un Orban de gauche, gouverne en
coalition avec un parti nationaliste de droite.
Et la Croatie, qui met en place un gouvernement national-conservateur avec un ministre
de la culture admirateur des oustachis (régime
croate pronazi pendant la seconde guerre
mondiale) s’attaquant aux médias indépendants. Pour paraphraser Churchill, qui évoquait le rideau de fer de la Baltique à l’Adriatique, on peut parler de démocratie non libérale
de la Baltique à l’Adriatique. Il s’agit de pays
membres de l’UE qui combinent une régression de la démocratie avec une crispation
identitaire et souverainiste. C’est un retour de
l’Europe centrale, mais pour défendre cette
fois une identité et une civilisation européennes qui seraient menacées par la Russie à l’est
et l’islamisme au sud.
Comment la question migratoire a-t-elle
renforcé ces pays d’Europe centrale ?
La vague migratoire et la question des quotas
ont renforcé considérablement Viktor Orban,
qui était en chute libre dans les sondages début 2015. En Pologne, le parti Droit et justice de
Jaroslaw Kaczynski aurait certainement gagné
les élections législatives de l’automne 2015,
mais il n’aurait sans doute pas pu avoir la majorité absolue sans la crise des migrants.
La crise économique avait déjà ébranlé la
confiance dans le modèle européen, qui apportait l’amélioration du niveau de vie et protégeait des effets de la mondialisation. Avec la
crise, l’Europe est perçue comme un instrument de la mondialisation qui impose des mesures de rigueur. Un phénomène analogue
s’est produit avec la crise migratoire. L’Europe
sans frontières qui était bénéfique – le grand
acquis de l’après-1989 – est devenue un problème quand les frontières extérieures se sont
révélées incertaines. L’Europe, qui représentait un ancrage stable, rassurant, associé à la
prospérité, est devenue un élément d’insécurité et d’inquiétude.
JOSEF KOUDELKA/MAGNUM PHOTOS
« The Remains of the Berlin
Wall », l’un des clichés pris de 1990
à 1995 par Josef Koudelka après
la chute du Mur.
Josef Koudelka
Avec Henri Cartier-Bresson comme
figure tutélaire, ce photographe
français d’origine tchèque (il est né
en 1938, en Moravie) a toujours tenu
– et réussi – à conserver son
indépendance, grâce à des bourses
et des prix. Il se fait remarquer par un
grand reportage sur le monde des
Roms, dont témoigne son premier
livre, Les Gitans. La fin du voyage
(1975), qui lui vaudra le prix Nadar.
Après avoir photographié l’invasion
de son pays natal par les troupes
russes, en 1970, il reçoit le prix
Robert-Capa et s’installe en
Angleterre, puis devient membre de
l’agence Magnum. Son travail fait
l’objet d’une première exposition
au MoMA, en 1975, à New York. Bien
d’autres suivront à travers
le monde.
A 78 ans, Josef Koudelka vit à Prague,
où il est revenu en 1990, en gardant
un ancrage à Paris. « Je me sens
européen et non appartenant à une
nationalité », disait-il en juin 2015.
Quel rôle le groupe de Visegrad (Hongrie,
Pologne, Slovaquie et République tchèque) joue-t-il dans cette réorientation
de l’Europe ?
La crise migratoire a permis de ressouder le
groupe de Visegrad, qui végétait. Les quatre
pays qui le constituent agissaient en ordre dispersé sur l’économie comme sur la crise ukrainienne. Les Polonais étant farouchement hostiles à la Russie de Poutine, à la différence des
Hongrois et des Slovaques. Le refus des quotas
leur a permis de défendre des positions communes face à ce qu’ils perçoivent comme une
menace pour leur identité. La République
tchèque a une position plus mesurée, malgré
les emportements du président, Milos Zeman.
Mais le gouvernement partage globalement la
même position sur les migrants.
Le changement de position de l’Autriche
sur les migrants et la possibilité d’une victoire de l’extrême droite à la présidentielle
du 22 mai préfigurent-ils un rapprochement avec Budapest et Varsovie ?
Orban est persuadé que l’Europe va dans le
mur si elle suit l’exemple de Merkel sur les migrants, et que la volte-face de l’Autriche lui
donne raison. Vienne, après avoir soutenu la
politique d’accueil de la chancelière allemande, un bref « Anschluss humanitaire », a
fermé ses frontières avant d’ouvrir le dialogue
avec les pays des Balkans pour couper la route
aux migrants. L’Autriche fait partie de l’espace
centre-européen. C’est une forme de retrouvailles. Mais nous ne sommes pas tout à fait
dans la même dimension. Elle relève plutôt du
populisme alpin, qui regroupe des nations riches qui ne veulent pas partager : le populiste
suisse Christoph Blocher, les Bavarois de la
CSU, la Ligue du Nord en Italie. Quand,
en 2000, l’Europe a ostracisé l’Autriche après la
coalition entre les conservateurs et l’extrême
droite, Viktor Orban a été le premier soutien
du chancelier Wolfgang Schüssel. Le responsable de la CSU, Edmund Stoiber, était venu au
congrès du Fidesz en compagnie de M. Schüssel. On a vu là se constituer un axe BavièreAutriche-Hongrie qui lui a servi quand il est arrivé au pouvoir en 2010. Il lui a aussi permis de
conserver le soutien d’une bonne part du Parti
populaire européen, quand il était attaqué par
la Commission européenne lors de la mise en
place de sa démocratie non libérale, qui
aujourd’hui prospère. p
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CULTURE
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
G R A N D E U R , D É C L I N E T R E N A I S S A N C E D E L A P O P I TA L I E N N E
La relève transalpine
redécouvre Lucio Battisti
et son parolier Mogol,
fondateur de la Nazionale
Italiana Cantanti,
une équipe de football
composée de chanteurs
REPORTAGE
avigliano umbro, milan, turin, bologne,
rome (italie) – envoyé spécial
M
ogol est un homme de
parole. Une équipe de
moines l’a invité à participer au match caritatif qu’ils organisent,
dans quelques jours,
sur la pelouse de leur monastère. Pas question de faire faux bond aux frères, qui le marquent à la culotte depuis des semaines pour
que leur partie bénéficie de sa notoriété.
Alors, en cet hiver éprouvant, il soigne sa condition physique : « Je tiendrai ma place – un
mauvais rhume, rien de grave », rassure l’athlète de 79 ans, en survêtement azur devant
l’âtre d’une cheminée.
Giulio Rapetti, dit Mogol, n’est pas un footballeur ordinaire. Tous les Italiens connaissent ses poèmes, chantés par la voix rauque
de son alter ego, Lucio Battisti. Dans sa Lombardie natale, une association s’active même
pour qu’il obtienne le prix Nobel de littérature. Mais lui n’établit pas de hiérarchie entre
les crampons qu’il chausse et les chansons
qu’il échafaude. « C’est la même aventure »,
glisse-t-il avec la classe et le calme des grands
milieux de terrain transalpins.
Les poètes comparent l’Ombrie au nombril
de l’Italie ; les amateurs de calcio y voient le
rond central du pays. C’est là, en terre étrusque, dans la zone la plus axiale de la péninsule, que Mogol s’est installé, au début des années 1990. Une bâtisse médiévale, nichée
parmi les collines qui serpentent d’Orvieto à
Terni, non loin d’Avigliano Umbro. Le parolier, qui traversa plusieurs fois l’Italie à cheval
aux côtés de Lucio Battisti, y a aménagé une
étable, ainsi qu’un terrain de foot. Il en fait
profiter les résidents de la villa – des amis, des
touristes ou les jeunes étudiants du CET,
l’école de musique populaire qu’il a ouverte à
son arrivée.
Comme pour leur en mettre plein la vue, les
murs vermillon sont tapissés de photographies en noir et blanc du couple Mogol-Battisti. Les yeux les mieux exercés reconnaîtront, parmi elles, des images d’un match mythique, joué le 2 octobre 1975 devant
10 000 spectateurs à Milan. Il s’agit de la première des 279 apparitions de Mogol sous le
maillot de la Nazionale Cantanti, une sélection de chanteurs-footballeurs italiens qu’il a
fondée, présidée et animée pendant plus de
quarante ans. Ses statistiques sont un poème.
« Mogol : 33 gol », griffonne l’ex-capitaine sur
un bout de papier, qu’il tend pour la rime plus
que pour la frime.
Comme d’autres équipes associatives, la
Nazionale Cantanti vise d’abord à soutenir
des causes humanitaires, sociales et diplomatiques, par le biais de levées de fonds et de
campagnes médiatiques savamment orchestrées. « L’ultime poignée de main entre Shimon
Peres et Yasser Arafat a eu lieu lors d’un match
de la Nazionale Cantanti, le 25 mai 2000, au
stade olympique de Rome », insiste Mogol,
l’œil brillant.
SUPÉRIORITÉ TECHNIQUE
Mais que le maître nous pardonne : si sa squadra fascine tant, c’est moins pour son palmarès politico-sportif que pour l’histoire musicale qu’elle raconte en creux. Sur le terrain ou
dans les gradins, la Nazionale a longtemps
rassemblé l’élite de la chanson italienne. De
Caterina Caselli – la mixité est de mise – à
Adriano Celentano, de Lucio Dalla à Franco
Battiato, de Jimmy Fontana à Luca Carboni,
une revue de ses effectifs rappelle combien la
Botte fut à la pointe de la pop européenne.
Cet âge d’or, qui s’étend du milieu des années 1950 au début des années 1980, s’explique par un dispositif tactique huilé – si l’on
s’autorise à filer la métaphore footballistique.
Génération Battisti
En défense, l’Italie aligne alors des maisons de
disques solides et clairvoyantes, comme RCA
Italiana, Dischi Ricordi, Ri-Fi, Yep, Cramps ou
Numero Uno, le label créé par Mogol ; la plupart disposent de leurs propres studios d’enregistrement. En milieu de terrain, des arrangeurs et instrumentistes polyvalents, souvent salariés d’un label, interviennent avec
autorité ; issus du jazz, du rock progressif ou
du classique, tels Ennio Morricone, Enrico Intra, Gian Piero Reverberi, Luis Bacalov, Eliop
ou Roberto Colombo, ils confèrent au jeu italien sa supériorité technique.
En attaque, des voix véloces trouvent les notes et les mots pour chanter les passions
d’une nation qui se relève tout juste des décombres fascistes : allant imparable, allure incomparable. En guise de supporteurs, enfin,
le pays peut compter sur un festival fervent,
San Remo, adossé à un groupe audiovisuel
puissant, la RAI.
Mais, au tournant des années 1980 et 1990,
les Azzurri dévissent. Les titulaires vieillissent, le collectif se délite, la course à l’argent et
à la célébrité dribble les considérations artistiques. « Quand l’économie entre sur le terrain,
la culture fuit, juge Mogol. Jusqu’à la fin des années 1980, les grands médias cherchaient la
qualité – et la proposaient. Puis, par appât du
gain, ils ont arrêté. » De RCA à Ricordi, les
grands labels périclitent. San Remo se vulgarise, le pays se berlusconise, la Nazionale Cantanti se ringardise, à l’image de son joueur
emblématique, le clinquant Eros Ramazzotti
– qui totalise près de 130 buts à ce jour.
L’an 2000 se profile, l’heure est aux opérations « mains propres », et la jeune chanson
« AVEC LE TEMPS,
“ANIMA LATINA”
FINIT PAR ÊTRE
SALUÉ POUR
CE QU’IL EST :
UN CHEF-D’ŒUVRE.
PAUL MCCARTNEY
LUI-MÊME
EN CONVIENT ! »
MOGOL
parolier de Lucio Battisti
italienne tacle sans pitié un système qu’elle
juge dopé et corrompu. De la new wave de
CCCP Fedeli alla linea au raggamuffin d’Almamegretta, les espoirs préfèrent alors, aux projecteurs nationaux, l’ombre de l’amateurisme ; à rebours des compromissions mainstream, ils optent pour l’intégrité des circuits
indépendants. Deux décennies durant, les ragazzi s’entraînent, s’échauffent, progressent.
A tel point que, aujourd’hui, s’il venait à un
coach l’idée de composer une Nazionale Cantanti alternative, cette sélection « bis » écraserait l’équipe officielle – sur le plan musical,
s’entend.
BATTISTI, AVANT-CENTRE
Notre entraîneur aurait même l’embarras du
choix, tant, depuis quelques saisons, la scène
« indie » fleurit en Italie. Pour choisir son
onze type, il pourrait puiser dans la programmation du prochain Mi Ami, un festival qui
réunit, les 27 et 28 mai à Milan, Cosmo, Iosonouncane, Calcutta, Pop_X ou I Cani, soit la
crème de la nouvelle génération. La manifestation a été lancée en 2005 par le site Rockit.
it, dont les journalistes couvrent depuis 1997
l’actualité musicale transalpine. « Les médias
dominants avaient renoncé à leur mission de
défrichage, estime la chroniqueuse Nur AlHabash. Nous avons comblé un vide, voilà
tout. »
Rien ne semble, a priori, réunir ces jeunes
gens disséminés du nord au sud du pays et signés sur une myriade de microlabels (42 Records, La Tempesta, Bomba Dischi, Trovarobato, Gas Vintage…). Hormis leur âge – une petite trentaine d’années – et quelques compli-
cités amicales. Mais, à les examiner de plus
près, beaucoup partagent « une certaine mélancolie », selon Nur Al-Habash : « Ils ont
grandi en respirant le même air. Contrairement aux générations des années 1980 et
1990, la politique est absente de leurs chansons, de même que la volonté de se poser en alternative au système. Moins de rage, moins
d’enthousiasme aussi : le focus est intime, personnel. » Une inclination qui puise chez Battisti : « Les albums de Lucio sont le fil rouge de
la scène actuelle, en particulier Anima Latina.
C’est un disque ambitieux, qui mêle sonorités
latines et expérimentations électroniques pour
raconter de manière honnête les rapports
hommes-femmes. »
Anima Latina sort en décembre 1974, quelques mois avant l’unique apparition de Battisti sous la tunique de la Nazionale Cantanti.
Il scinde, en deux mi-temps de durée presque
égale, la collaboration entre le chanteur et
Mogol, qui s’étale de 1966 à 1980 : il y aura un
avant et un après. C’est le premier album de
Battisti sans single promotionnel ; le premier
aussi à être massacré par la critique et boudé
par le public. Textes et musiques ont été inspirés par un voyage de plusieurs semaines en
Amérique du Sud. « Lucio et moi avons été
marqués par la ferveur des jeunes Brésiliens
jouant au foot dans les favelas, heureux malgré la misère », se souvient le parolier.
A l’époque, le Lombard fait déjà figure de
briscard de l’industrie musicale. C’est son
père, parolier et directeur artistique pour la
Ricordi, qui lui a mis le pied à l’étrier. Mogol
s’est fait un nom en adaptant en italien les
succès de Dylan ou des Beatles, puis en pre-
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D I S C O G R A P H I E
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
La Nazionale
Italiana Cantanti,
le 2 octobre 1975,
à Milan. Debout,
Lucio Battisti
(3e en partant
de la droite)
et Mogol
(1er à gauche).
ETORE VALENZA/RCS/
CONTRASTO-REA
COS MO
L’Ultima Festa
Quand il s’extirpe du groupe indie rock Drink to Me, Marco
Bianchi chante d’une voix pure
sous le pseudo de Cosmo. Référence, paraît-il, à « l’éternel retour » nietzschéen. Et c’est bien
tout un pan de l’électro italienne, de la « cosmic disco » de
Daniele Baldelli aux boucles
dance de Gigi D’Agostino, qui effectue là un retourné acrobatique. Festive et poétique, sa techno-pop frappe fort, au diapason du carnaval de la ville où cet ex-étudiant en philo est né, il
y a trente-trois ans, Ivrea (Piémont) : les participants s’y jettent
des oranges, jusqu’à plus soif. p a. to.
1 CD 42 Records, 2016
F I T N ESS FOR EVER
Personal Train
de synthés et jappements doux-amers. « De
Battisti j’apprécie d’abord la discrétion : très
peu d’interviews, pas de tournées – manière de
rappeler que les chansons importent plus que
leur chanteur », confesse Contessa, qui a longtemps dissimulé son visage derrière un masque, comme les Daft Punk. Il reçoit dans une
trattoria de Testaccio, un quartier populaire
qui vibre aux couleurs de l’AS Roma. Comme
ses camarades, il se sent à l’étroit dans les niches underground : « J’aspire à l’anonymat
pour moi-même, et à la notoriété pour mes
morceaux : Battisti a montré que ce n’était pas
incompatible. »
Le jeune moustachu a coproduit Mainstream (2015), de son ami Calcutta : un album
dont le titre dit bien le dessein – objectif en
passe d’être atteint si l’on en juge par les scores de ses clips, qui dépassent le million de
vues. De même que Battisti, qui était originaire de Poggio Bustone, Calcutta – Edoardo
D’Erme pour l’état civil – a grandi dans les environs de la capitale. « Je viens de Latina, une
ville fondée par les fascistes, à 60 km de
Rome », précise-t-il. D’aucuns ont fait payer à
Battisti ses silences politiques, en les rapprochant de l’enrôlement de son père, fonctionnaire fiscal, par l’armée mussolinienne. « Les
années 1960 et 1970 étaient saturées d’idéologie, rappelle Mogol. Ceux qui, comme Lucio et
moi, écrivaient avant tout sur la sphère intime
étaient considérés comme pires que des fascistes : des je-m’en-foutistes. Quand bien
même un disque comme Anima Latina évoque les bidonvilles… »
Mélodies claires et inflexions sincères, Calcutta déborde le politiquement correct par
les ailes droite et gauche. Dans Gaetano, le
narrateur s’excuse d’avoir dessiné une croix
gammée sur les murs de Bologne
(« C’était juste pour la dispute »), avant un refrain frisant le carton jaune (« Flammes dans
le campement rom/Ta mère disait : “Ne va pas
sur YouPorn” »). « Mes chansons parlent avant
tout de vie de couple, concède Calcutta. Mais,
ce faisant, il est normal qu’elles fassent écho à
des sujets sociaux ou politiques, comme celles
de Mogol. »
Si l’on se fie au livret des deux
albums publiés par Fitness Forever, le footballeur colombien
Carlos Valderrama aurait rasé sa
fameuse touffe de cheveux
pour mieux réussir sa reconversion : l’ancien milieu offensif
coacherait désormais ce quatuor napolitain, dont il aurait
écrit, composé et arrangé les joyaux pop – qui évoquent un
« une-deux » entre Burt Bacharach et Lucio Battisti. A moins
qu’on ait affaire à une bande de jeunes farfelus, dont les blagues futées rivalisent avec les formes affûtées… p a. to.
1 CD Elefant Records, 2009
C ALCU T TA
Mainstream
Sur la pochette, Edoardo del
Verme, 26 ans, tient une
écharpe de supporteur du Bologna FC, avec le titre de son
premier véritable album inscrit
en lettres blanches : Mainstream. Manière d’afficher la
couleur. Originaire de Latina, ce
joueur revient de blessures –
sentimentales, amicales, familiales – et accuse un certain
surpoids – les arrangements pourraient être plus légers. Mais
son écriture, directe et touchante, n’a rien à envier à celle de
ses modèles – Caetano Veloso, Morrissey, Battisti. Le buteur
pop que la Botte n’espérait plus. p a. to.
1 CD Bomba Dischi, 2015
I OS ON OU N C AN E
DIE
« Die » signifie « jour » en sarde
et « mourir » en anglais. Contraste qu’accentuent les six
morceaux de cet éblouissant album-concept, le deuxième
pour Jacopo Incani, 33 ans : il n’y
utilise qu’une trentaine de
mots, qu’il module dans des
combinaisons de plus en plus
irréelles. Musicalement, la queue du cabot balance des effrois
bruitistes d’Animal Collective aux émois harmonieux
d’Anima latina, de Battisti, avec échos païens et archaïques.
Moins renard des surfaces que chien fou, hurlant à la lune
tout en visant le soleil, cet ailier a la vie devant lui. p a. to.
1 CD Trovarobato, 2015
K Retrouvez notre sélection complète (« onze-type »
et remplaçants) de la nouvelle génération de chanteurs
italiens sur Lemonde.fr
LE « CALCIO », ENCORE ET TOUJOURS
nant sous son aile de jeunes chanteurs qui en
émulent superbement le style, comme Battisti. Sur des groove soul, rock, pop et bientôt
disco, celui-ci enquille les tubes, comme un
avant-centre les buts. Razzia chez les disquaires. « Avec Anima Latina, nous avons pris le
risque de nous couper du public, admet Mogol. La voix de Lucio est mixée très bas, voire
trafiquée ; ça m’a contrarié… Mais, avec le
temps, le disque finit par être salué pour ce
qu’il est : un chef-d’œuvre. Paul McCartney luimême en convient ! »
AMORTIS ET ACCÉLÉRATIONS
La pochette de l’album montre une fanfare de
bambini s’ébrouant dans l’herbe, en short, au
crépuscule ; comme une partie de ballon qui
aurait vrillé façon carnaval. A quelques années près, Marco Bianchi aurait pu être l’un
de ces bambins. « Je suis devenu adulte grâce à
Anima Latina, témoigne le trentenaire piémontais, qui chante sous le pseudonyme de
Cosmo. A la mort brutale de Battisti, qui a secoué le pays en 1998, j’ai réécouté les vieilles
cassettes de ma mère, et je suis tombé sur ce
disque. J’ai compris qu’il n’était pas qu’un chanteur qu’on reprend entre amis, à la plage, mais
un artiste, au sens le plus fort du mot. »
Marco Bianchi a longtemps chanté en anglais, au sein du groupe Drink to Me. Pour ses
débuts en solo et en italien, il reprend de volée en 2012 Abbracciala, Abbracciati, Abbracciali, le splendide morceau d’ouverture
d’Anima Latina. « On m’a félicité, j’ai pris confiance en moi », sourit-il à la terrasse d’un bar
turinois, en siphonnant un verre de Spritz.
S’ensuivent deux albums remarquables, Di-
sordine (2013) et L’Ultima Festa (2016), qui prolongent les intuitions d’Anima Latina dans
une veine électro, voire dance.
C’est du reste le propre du disque de Battisti :
il est souvent reçu comme une passe, un don
qui en appellerait d’autres en retour. Ni refrains ni couplets, mais une suite de pistes
mélodiques, d’ébauches rythmiques, qui ne
demandent qu’à être explorées plus avant.
Pas de catenaccio – ce bétonnage défensif, qui
obère les possibles –, mais un jeu en mouvement, alerte et offensif, à la brésilienne.
D’amortis en accélérations inopinées, le
chanteur jongle avec les tempos, les textures
sonores, les familles d’instruments (flûtes,
saxophone, synthétiseurs, charango, percussions…) ; sa voix slalome entre les couches de
reverb’et les chœurs enfantins pour se trouver parfois seule en pointe, murmurée a cappella, à la limite du falsetto – et du hors-jeu.
« Contrairement à ses albums précédents, coproduits par Reverberi, Battisti réalise seul
Anima Latina, analyse Jacopo Incani, en grignotant une brioche dans un café de Bologne,
où il vit depuis dix ans. Comme Phil Spector
ou Brian Wilson, Lucio fait du studio son terrain de jeu : les morceaux sont écrits, arrangés
et interprétés dans le même geste. » Sous le
nom de Iosonouncane, le Sarde cale sa course
sur ces illustres foulées : DIE (2015), son
deuxième album, évoque les aboiements
d’un bâtard chimérique, croisement d’Anima
Latina et du groupe indie rock Animal Collective, sous l’emprise d’un berger illuminé.
Autre canidé, romain celui-là : derrière le sobriquet de « I Cani » se cache Niccolo Contessa,
trois albums dans les pattes, tout en nappes
On touche là au cœur du style mogolien. « La
vie importe plus que la culture, insiste le parolier lombard. J’admire la simplicité de l’écriture
de Flaubert, qui ne s’encombre pas de références inutiles : le quotidien y vibre dans toute sa
vérité, sans chichis. » De Mogol à Calcutta, c’est
la même langue qui rebondit, précise et concrète, ponctuée de détails qui trahissent l’italianité des locuteurs – on y boit caffè e limonata, on y déguste panini et gelati, on y joue,
encore et toujours, au calcio.
« Contrairement aux Scandinaves ou aux
Français, les musiciens italiens s’exportent
mal : est-ce à cause de notre anglais catastrophique ? », se demande Cosmo. « Nos labels
n’ont pas de département international »,
abonde Nur Al-Habash. Défauts relatifs, à
l’heure de la libre circulation des fichiers sur
les pelouses numériques : branchez votre plate-forme d’écoute en ligne sur les chansons de
cantautori prometteurs, Maria Antonietta, Fitness Forever, L’Orso ou Non Voglio Che Clara,
et vous vous sentirez aussitôt à Pesaro, Naples, Ivrea ou Feltre. Ecoutez Erlend Oye, viking échoué à Syracuse, roucouler en italien
sur La Prima Estate, et vous vous sentirez
aussi bien sicilien, « musicalisé » – comme on
dit d’étrangers qu’ils ont été naturalisés. La
Botte continuera d’attirer tant que cet esprit
courra dans ses équipes, roulera dans ses
voix, passera dans ses sons, caressera le cuir
de ses chansons – Mogol appelait cela l’anima
latina, l’âme latine. p
aureliano tonet
Festival Mi Ami, les 27 et 28 mai à Milan
(Italie). Avec Cosmo, Calcutta, I Cani,
Iosonounacane… www.miamifestival.it
HUANG
8 MAI —
18 JUIN
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
L’art florentin de l’outrance
Pontormo, Rosso Fiorentino et Bronzino : ces trois artistes
enragés sont les vedettes de « Maniera », à Francfort
ART
francfort
U
nité de lieu : Florence.
Unité de temps : entre
les années 1510 et
1550. Unité d’action :
trois jeunes gens prennent le
pouvoir contre la génération
précédente. L’exposition « Maniera », au Städel Museum de
Francfort, respecte les règles de la
tragédie classique. Elle finit donc
sur un désastre, la destruction
des fresques de Pontormo dans le
chœur de l’église San Lorenzo,
saccage dont le XVIIIe siècle
« éclairé » s’est rendu coupable
en 1742.
L’exposition rassemble plus
d’une centaine de peintures, dessins, gravures et sculptures, dont
des œuvres remarquables en provenance de collections privées
dont elles ne sortent guère et des
dessins que les cabinets d’art graphique des grands musées sont le
plus souvent réticents à laisser
sortir.
Cette abondance suffirait à faire
de « Maniera » une réussite.
Qu’elle ait pour héros Jacopo
Pontormo (1494-1557), Rosso Fiorentino (1495-1540) et Agnolo
Bronzino (1503-1572) est évidemment son autre mérite : trois
artistes majeurs dans un temps
qui n’en manque pas. Ils sont en
effet les contemporains, entre
autres, de Raphaël, de MichelAnge et de Titien. La concurrence
était sérieuse en Italie dans ces
décennies-là.
C’est donc une histoire de pères
à tuer et de rivaux à enterrer, une
histoire d’avant-garde autrement dit, dans un vocabulaire
plus moderne. Deux jeunes gens
ambitieux, Pontormo et Rosso,
contemporains à un an près, convaincus de leur génie et exacte-
Face à Raphaël,
Pontormo et
Rosso prennent
un tout autre
parti : des corps
arqués, des
couleurs aigres,
des gestes
paroxystiques
ment informés de la situation artistique, doivent impérativement se distinguer afin d’obtenir
l’attention des mécènes et protecteurs qu’il leur faut pour s’imposer.
Face à eux, il y a le style dit
« classique », c’est-à-dire Raphaël,
qui est passé par Florence avant
de se rendre à Rome en 1508 et
d’y devenir l’artiste des papes Jules II, puis Léon X. Il veut l’équilibre des compositions, l’idéalisation des figures, l’harmonie
chromatique. Les deux Florentins prennent un tout autre
parti : des formes mouvantes,
des corps arqués, des drapés virevoltants, des gestes paroxystiques, des couleurs aigres. Ils renversent ou inversent les règles.
Observer une sanguine de Pontormo est sur ce point très instructif. L’étude du modèle lui importe peu. Il commence par des
courbes lancées sur le papier. Elles deviennent des nus grâce à
quelques indications anatomiques – bouches, yeux, seins,
sexes – et des hachures qui suggèrent des plis et des volumes.
Alors que, chez ses contemporains, le dessin naît du regard sur
le modèle, ici, à rebours, le corps
sort du dessin, qui est d’abord
gestes et rythmes. Ces feuilles, à
laquelle l’exposition consacre
une large place, sont parmi les
plus remarquables dessins de
l’histoire. On aimerait les voir en
compagnie des esquisses à la
pierre noire du Tintoret – autre
contemporain encombrant.
Ainsi Pontormo et Rosso se débarrassent-ils du classicisme
convenu qu’incarne alors à Florence Andrea del Sarto. Ils s’appuient sur des exemples venus
du nord : les estampes de Dürer
et de Lucas de Leyde, la maniera
tedesca qui est un contre-modèle. Leur art de l’outrance triomphe autour de 1520 dans le Saint
Jean Baptiste et le Saint Paul en
prison de Pontormo, aux yeux
exorbités. Rosso n’est pas en
reste. Son Saint Jean Baptiste, de
quatre ans postérieur, est un
homme sauvage nu et musculeux et les seins de la Vierge de sa
Sainte Famille pointent visiblement sous sa tunique.
Cuirassées d’or et de perles
Les grandes familles toscanes – à
commencer par les Médicis –
soutiennent ces enragés en dépit
de leur extravagance. Ou à cause
d’elle ? A en juger d’après les portraits de jeunes aristocrates et de
grandes dames qui leur sont
commandés, l’entente est parfaite, sur fond de dandysme.
Bronzino, de dix ans leur cadet,
n’est pas moins à l’aise. Après un
Archange de 1525-1528 qui préfigure les folies du symbolisme
des années 1890, il se fait une
spécialité des belles aux coiffures
insensées et aux robes flamboyantes. Elles toisent le spectateur, cuirassées d’or et de perles.
Le style des trois est si proche
dans cette période que l’attribution de certaines études hésite
entre eux.
« Saint Sébastien » (vers 1528), d’Agnolo Bronzino. MUSÉE THYSSEN-BORNEMISZA, MADRID
Car c’est d’un style nouveau
qu’il s’agit, d’une maniera si caractéristique que les historiens
en ont déduit la notion de maniérisme. Celle-ci désigne l’exaltation de certains procédés graphiques et chromatiques pour euxmêmes et leurs charmes particuliers, sans considération du sujet
auquel ils sont appliqués, sacré
ou profane, et sans souci de la
vraisemblance.
Au même moment, à Rome, Michel-Ange cultive son propre maniérisme, plus athlétique et aussi
irréel. Qu’ils n’aient pu éviter de
Jiri Kylian pétrifie sa danse en images
Le chorégraphe tchèque négocie un virage vers la photographie avec une exposition à La Haye
DANSE
la haye
O
mbres et reflets, lumières et transparences,
écrans flottants dans l’espace ou posés au sol, « Free Fall »,
l’installation de photos imaginée
par le chorégraphe tchèque Jiri Kylian, au Korzo Theater de La Haye,
plonge dans un monde mouvant.
Un miroitement infini et doux
qui s’apaise dans le visage d’une
seule femme, la danseuse allemande Sabine Kupferberg.
Avec cette première exposition,
Jiri Kylian, 69 ans, artiste parmi
les plus demandés – plus d’une dizaine de ses pièces sont présentées chaque mois par des compagnies du monde entier, de Tulsa
(Oklahoma) à Melbourne (Australie) en passant par Hongkong
(Chine) – négocie un virage vers la
photographie et les arts plastiques. « Je ne prétends pas être photographe mais c’est ma façon de
dialoguer avec la tension existant
entre la réalité et l’imagination,
explique-t-il. Une tentative de
changer ma relation avec le temps,
de l’arrêter une fraction de seconde
pour pouvoir le contempler tranquillement. » Avec en point de
jonction entre les images et ses
spectacles un sens aiguisé du cadrage, des plans et de la profondeur de champ.
L’insolite de « Free Fall » surgit
d’abord de la mise en scène des
photos de Sabine Kupferberg, le
plus souvent saisie en gros plan.
De formats variés, elles sont suspendues dans des endroits straté-
giques de la pièce comme pour en
briser les angles et modifier la
perception. Le 15 avril, Jiri Kylian
en peaufinait la disposition, la
hauteur… Certaines se déclinent
dans un dégradé de différentes
images qui se conclut au sol. Elles
obligent à une gymnastique : il
faut lever les yeux, se pencher ou
s’accroupir carrément pour les
contempler. Toutes, elles nécessitent qu’on tourne autour d’elles
pour saisir le projet de Kylian.
Jeu recto-verso
Chaque photo est double face :
d’un côté, le visage de Sabine Kupferberg, de l’autre, son dos. « Les
deux forment une seule et même
personne, non ?, glisse Jiri Kylian.
J’ai beaucoup chorégraphié les
danseurs de dos et je continue à
aimer cela. Pour moi, une photo
est une tranche de temps, une
guillotine. Elle nous sépare du
passé et du futur en les rassemblant dans le même moment. Le résultat est une chorégraphie gelée,
glacée. Ces images d’un théâtre
sans mouvement survivront au
performer pendant de nombreuses années. »
La singularité de ce jeu rectoverso réside dans la simultanéité
de la prise de vue en champ-contrechamp. Un dispositif technique composé de deux appareils
face à face prend la danseuse en
sandwich pendant qu’elle improvise. « Concrètement, les séances
de shooting ressemblaient à une
recherche chorégraphique, raconte Sabine Kupferberg. Jiri m’a
donné des consignes de recherche
« Concrètement,
les séances
de “shooting”
ressemblaient
à une recherche
chorégraphique »
SABINE KUPFERBERG
danseuse et modèle
pour Jiri Kylian
comme “mourir”, “tuer”, “protéger”, auxquelles j’ai répondu surtout par des mouvements du buste
en conservant les pieds vissés au
sol dans la même position. »
La vision de Sabine Kupferberg
grimaçante ou grave, jouant avec
une pomme verte ou dialoguant
avec son double-marionnette
plus jeune de treize ans, est un
hommage à la singularité intense
de cette femme, muse et épouse
de Kylian. L’usage des gros plans
et le goût des détails, que le spectacle vivant évacue au profit du
cadre de scène, électrise la démarche du chorégraphe. « Free Fall »
zoome sur la peau, ses reliefs, ses
plis. « C’est ça qui est vraiment intéressant et qu’on ne trouve pas au
théâtre, commente Kylian. Je suis
fasciné par le talent de Sabine à exprimer son monde émotionnel
sans cesse changeant. Et sa capacité à opérer une reproduction sincère de ses émotions. Je suis aussi
curieux de la façon dont on peut
lire le temps sur son visage comme
sur celui d’une actrice. »
Jiri Kylian a rencontré Sabine Kupferberg en 1969, lorsqu’ils étaient
danseurs au Ballet de Stuttgart. Né
à Prague, Kylian a quitté son pays
en 1967 pour Londres avant d’être
engagé à Stuttgart, où il fera ses
débuts de chorégraphe. Avec Sabine Kupferberg, il rejoint le
Nederlands Dans Theater (NDT)
en 1975 et en devient directeur
trois ans plus tard. Il hissera le NDT
en haut de l’affiche internationale
– avec la création d’une centaine
de ballets – et en lâchera les rênes
en 1999 tout en y restant artiste associé. Régulièrement invité par le
ballet de l’Opéra national de Paris
et celui de Lyon, il y a monté des
pièces inoubliables comme Petite
Mort (1991) et Bella Figura (1995),
où son écriture laser explose.
Pour Sabine Kupferberg, il a mis
en scène East Shadow (2013), toujours en tournée avec Gary
Chryst. Le 28 avril, dans le cadre
d’une soirée Kylian et pour fêter
les trente ans des Ballets de Monte
Carlo, il a réalisé un film cocasse
et sophistiqué intitulé Oskar, avec
la danseuse Bernice Coppieters et
le chorégraphe Jean-Christophe
Maillot, directeur de la compagnie monégasque. Une bombe de
jouvence qui renvoie une histoire
de couple à un immense éclat de
rire. « J’aime la tragi-comédie depuis mon enfance », conclut-il toujours en douceur. p
rosita boisseau
« Free Fall », de Jiri Kylian.
Au Korzo Theater de La Haye.
Du 7 au 14 mai.
www.korzo.nl
s’affronter ne surprend pas. Vers
1533, Pontormo peint Vénus et Cupidon en reprenant, pour la
déesse, une esquisse de MichelAnge, que bien d’autres ont copiée en marbre ou sur le papier.
Mais lui ne la copie pas : il l’exagère, ajoute au nu féminin un Cupidon adolescent et indiscret et
accroche des masques grotesques à l’arc que le dieu de l’amour
a abandonné. Point culminant de
leur face-à-face : comme MichelAnge a peint à fresque le Jugement dernier dans la chapelle Sixtine entre 1535 et 1541, Pontormo
peint à fresque le chœur de la basilique de San Lorenzo, dix ans
plus tard. Il n’en reste que quelques rares dessins, qui rendent
inconsolable de la destruction de
ce qui aurait dû être son grand
œuvre. p
philippe dagen
« Maniera », jusqu’au 5 juin
au Städel Museum de Francfort.
Du mardi au dimanche,
de 10 heures à 18 heures,
jeudi et vendredi jusqu’à
21 heures. Entrée : 14 euros.
www.staedelmuseum.de
La maison natale de Jean Moulin
résiste à la mairie de Béziers
L
a maison natale de Jean Moulin (1899-1943), à Béziers
(Hérault), devrait être épargnée d’une rénovation radicale
faisant disparaître toutes traces du passé, que le conseil
municipal avait décidée en décembre 2015, contre le vote des élus
socialistes et communistes. « On va garder tout ce qui date de
cette époque, les cheminées, carrelages, retrouver des papiers
peints », déclare au Monde le maire Robert Ménard, apparenté
Front national. Comme une réponse à la fronde portée par une
pétition (500 signatures) de Biterrois.
Transformés en musée, le troisième niveau et le rez-de-chaussée pourraient être ouverts au public à l’été 2017. Seraient conservés la distribution et les volumes, mais non le mobilier, disparu
au fil de l’occupation des lieux. Au rez-de-chaussée, dans un
espace d’exposition nommé galerie Romanin – en référence à
la galerie d’art niçoise qui servit de couverture à Jean Moulin –,
seront présentés ses carnets de dessins, lettres et poèmes.
Retrouver l’âme des lieux
Fils d’un professeur d’histoire, Jean
Moulin est né le 20 juin 1899, au 6, rue
d’Alsace. Il y passera ses premières années jusqu’à l’âge de 19 ans, y revenant
en vacances alors qu’il fait ses études de
droit à Montpellier, puis jusqu’en 1938.
La maison ne dispose d’aucune protection juridique au titre des monuments
historiques. En 2011, l’ancienne équipe
municipale achetait l’immeuble pour 600 000 euros. En décembre 2015, la nouvelle municipalité décidait de le céder à un promoteur immobilier, contre la réalisation des travaux de réhabilitation. Au terme de la rénovation, le rez-de-chaussée et l’appartement des Moulin devaient être restitués à la mairie.
La parution, le 15 janvier, du journal municipal a mis le feu aux
poudres. En couverture, un Jean Moulin coiffé d’un feutre et un
slogan – « Non, on ne l’oublie pas ! » – annonçaient le projet de
futur musée. Un projet design, épuré, gommant tout de l’atmosphère vieillotte de l’ancien logis. L’Association des amis de Jean
Moulin porta l’affaire le 15 février devant le tribunal administratif
de Montpellier en vue d’obtenir l’annulation de la décision
municipale. Une procédure en cours sans sursis à exécution.
Olivier Guiraud, ancien conseiller municipal de la mandature
précédente chargé de la culture, se dit rassuré. Mais il voudrait
aller plus loin, retrouver l’âme des lieux tels que Jean Moulin les a
connus. Et obtenir le label « Maison des illustres ». p
florence evin
LE REZ-DE-CHAUSSÉE
ET LE TROISIÈME
NIVEAU POURRAIENT
ÊTRE OUVERTS AU
PUBLIC À L’ÉTÉ 2017
Prince revient déjà, funky à souhait
L E
Sortie internationale de « Hitnrun Phase Two », le dernier enregistrement
en studio du musicien mort le 21 avril. Avec une chanson sur les émeutes de Baltimore
D’
abord proposé en
exclusivité
aux
abonnés de la plate-forme d’écoute
en ligne américaine Tidal à partir
du 12 décembre 2015 et peu de
temps après sur le service de vente
de contenus en ligne iTunes Store
d’Apple, Hitnrun Phase Two, de
Prince, a connu une sortie physique sur support CD en plusieurs
étapes. Publié par le label du musicien, NPG Records, fondé en 1993,
l’album avait été distribué, fin
janvier, aux spectateurs de deux
concerts dans les Paisley Park
Studios, à Chanhassen, près de
Minneapolis (Minnesota) – où le
chanteur, guitariste, claviériste,
bassiste, producteur et auteurcompositeur a été retrouvé mort
le 21 avril. Autre distribution,
durant la dernière tournée de
Prince, seul au piano, du 16 février
au 14 avril, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada et aux
Etats-Unis. Dans le même temps
Hitnrun Phase Two pouvait être
acheté et commandé auprès d’un
disquaire de Minneapolis.
Le voilà bénéficiant d’une sortie physique internationale plus
large dans la plupart des magasins
de disques et les sites de vente,
dont le géant Amazon. Sans indications à ce jour de possibles sorties d’albums posthumes sur lesquels Prince aurait déjà travaillé,
Hitnrun Phase Two aura donc le
statut de dernier album studio. Le
trente-neuvième, auquel il faut
ajouter, pour être complet, quatre
disques en public, dont un coffret
et les enregistrements menés avec
les groupes Madhouse et New
Power Generation.
Prince,
lors d’un
concert à
Birmingham,
en mai 2014.
WENN/VISUAL/
VISUAL PRESS
AGENCY
A L B U M S
sons avaient été déjà enregistrées
et diffusées légalement sur Internet (en 2011, la base d’Xtraloveable ou de When She Comes, de
Screwdriver en 2012, de Groovy
Potential en 2013…), parfois dans
des versions un peu différentes,
les arrangements de vents venant
donner du relief, du grain. D’autres
sont plus récentes, comme Stare,
Look at Me Look at U ou Baltimore,
certaines aussi déjà diffusées.
De toutes ses sources et périodes
différentes, il a toutefois fait un
album qui se tient. Les parties solistes sont plutôt interprétées par
les vents, avec peu d’envol guitaristique de Prince (des courtes
interventions durant Baltimore
ou Revelation), ce dernier tricotant
C . P. EMAN U EL BAC H
QUAT U OR D I OT I MA
Violoncelle et clavecin
Schoenberg, Berg, Webern
S E L E C T I O N
Commentaire social et politique
L’approche est pop, soul et funk,
avec des arrangements de cordes,
une imposante section de onze
vents, un final de belle facture,
dans la manière classique de
Prince, après le plus expérimental
Hitnrun Phase One sorti en septembre 2015, aux envies électro et
minimaliste. Une partie des chan-
Sinfonia n° 3 Wq. 182/3. Concerto
pour violoncelle n° 2 Wq. 171. Sinfonia Wq. 178. Sonate pour violoncelle piccolo Wq. 137. Concerto
pour clavecin Wq. 17. Par l’orchestre Pulcinella, Ophélie Gaillard
(violoncelle et direction).
Brillante, intrépide et sacrée
musicienne, Ophélie Gaillard
livre un magnifique second
opus de ses belles amours avec
Carl Philipp Emanuel Bach (17141788). Qu’il soit « Bach de Berlin » (vingt-cinq ans au service
de Frédéric II de Prusse) ou
« Bach de Hambourg » (où il succède à Telemann durant les
vingt dernières années de sa
carrière), le deuxième fils du
Cantor est le chaînon qui relie
le baroque finissant aux prémices de ce qui n’est pas encore le
romantisme. C’est justement
cette verve dramatique, ce combat violent de l’ombre et de la
lumière, cet étourdissant jaillissement théâtral que la violoncelliste et son ensemble Pulcinella défendent avec un brio qui
force l’admiration et l’enthousiasme. Un disque révolutionnaire qui se place d’emblée au
sommet de la discographie.
p marie-aude roux
1 CD Aparté.
L I V R E
culture | 17
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
dans la plupart des cas un fond
rythmique funky à souhait. Seule
la chanson Screwdriver apporte
une touche rock assez marquée.
C’est par un titre « engagé », Baltimore, que débute l’album. Le commentaire social et politique n’est
pas ce que l’on connaît le plus chez
lui, il n’est pas pour autant absent
de ses compositions. Baltimore a
été enregistré quelques jours après
l’arrestation brutale, le 12 avril
2015, de Freddie Gray, 25 ans, par
des membres du département de
police de la ville du Maryland. Le
jeune Afro-Américain meurt une
semaine plus tard après une période de coma traumatique. Des
manifestations, certaines virant à
l’émeute, qui dénoncent ce cas et
plus globalement les brutalités
policières contre les Noirs, ont lieu
à Baltimore, Chicago, New York,
Philadelphie, Washington…
Passé ce sujet d’actualité, Hitnrun Phase Two se poursuit entre
l’évocation de joies musicales
(Rock and Roll Love Affair, plutôt
soul en dépit de son titre, Groovy
Potential), l’autocitation clin d’œil
dans le puissant Stare emporté par
parce qu’ils en ont fait leur
raison d’être dans le répertoire
contemporain.
le lien intime, travaillé, entre
acoustique et électrique/électronique. p sylvain siclier
p pierre gervasoni
5 CD Naïve.
1 CD Savoir FER/Rue Stendhal.
L’approche est
pop et soul,
avec des cordes
et une imposante
section de vents
Intégrale de l’œuvre pour
quatuor à cordes d’Arnold
Schoenberg, Alban Berg et
Anton Webern
Les Diotima, qui fêtent en 2016
leurs vingt ans d’existence, sont
l’un des quatuors à cordes les
plus recherchés par les compositeurs contemporains.
Habitués aux partitions avantgardistes, ils en arriveraient
à considérer la production
d’un György Ligeti (1923-2006)
comme du classique… Alors, que
dire de celle de la seconde école
de Vienne, emblématique de la
première moitié du XXe siècle ?
Que, sous leurs archets, ces pages ne passent jamais pour de la
musique « ancienne », y compris
certaines œuvres de jeunesse
pas toujours très personnelles.
Mais, dans une intégrale, la
notion de parcours prime sur le
reste. Etendu sur 3 CD, le chemi-
nement d’Arnold Schoenberg
constitue un éloge de la forme.
Celui de ses élèves (un CD
chacun) manifeste, au contraire,
un attachement à l’expression.
Expansive pour Alban Berg,
concentrée pour Anton Webern.
Dans tous les cas, la volonté de
jouer avec les limites est magnifiée par les Diotima. Sans doute
MOP MOP
F RAN ÇOI S ELI E R OU LIN
Lunar Love
Musique lente
Tropical et futuriste, aquatique
et funky, africain, sans doute,
mais aussi soul et assoupli de
jazz ou d’élasticité jamaïcaine.
Le cinquième album de ce
quintette italien, formé autour
d’Andrea Benini (batterie,
percussions, voix), fait entendre
des lamelles chantantes (vibraphone, marimba, balafon…), des
bruissements, le son aérien du
hang (instrument constitué de
deux hémisphères métalliques),
des craquements, de l’eau qui
Le précédent album du compositeur, guitariste et claviériste
François Elie Roulin, Le Bonheur,
paru fin 2014, présentait une
exploration des genres en compagnie d’une quinzaine de musiciens. Musique lente, dont
le titre indique la thématique,
est en formation plus resserrée,
avec un autre guitariste et claviériste, Matthieu le Sénéchal,
cocompositeur de trois des
huit morceaux du disque, Miwa
Rosso au violoncelle, et Bertrand Cervera au violon. Les notes allongées des guitares se mêlent à des harmoniques comme
des gouttelettes, des cordes ténues épousent un piano en profondeur (Tsunami de douceur).
Outre le beau développement
mélodique des compositions,
leur durée, de trois à huit minutes, maintient l’intérêt et l’attention dans un genre, la musique
instrumentale évocatrice d’atmosphères et d’ambiances, qui
tend trop souvent à l’étalement.
Egalement au crédit de l’album,
tombe goutte à goutte. Et puis
des invités, Wayne Snow et
Annabel Ellis avec leurs voix
suaves, l’Anglo-Trinidadien
Anthony Joseph et ses scansions
ténébreuses. Ce cocktail de
saveurs métisses avait séduit
Woody Allen, qui avait intégré
en 2012 une composition de
Mop Mop à la bande originale
de son film To Rome With Love.
p patrick labesse
1 CD Agogo Rec/Differ-ant.
K Retrouvez l’intégralité
des critiques sur Lemonde.fr
une basse profonde et l’écriture
des vents, une juste dose de
romances (Look at Me Look at U,
When She Comes, proche du jazz
avec son tapis de vents). Jusqu’à un
enchaînement parfait. Black Muse,
avec un faux air d’hommage à
Stevie Wonder qui annonce ensuite une composition en plusieurs mouvements, 1 000 LightYears Away (non indiquée sur la
pochette), Revelation, tempo lent,
sobre, avec contre-chant de saxophone, et l’allègre et dansant
Big City, tout en chœurs et vents.
Le régal final. p
sylvain siclier
Hitnrun Phase Two, de Prince,
1 CD NPG Records.
QUINZE ANS DE MA VIE
Loïe Fuller
Quelle vie que celle de
Loïe Fuller (1862-1928) ! La
comédienne, danseuse et
chorégraphe américaine,
enfant prodige de la scène
dès l’âge de 2 ans et demi, a
non seulement piloté une
carrière hors du commun
mais a aussi inventé un
style qui a révolutionné
l’histoire de l’art. Ses
Mémoires, parus en 1908
avec une préface d’Anatole
France, sont réédités
au Mercure de France et
offrent un plongeon dans
les coulisses d’un parcours
de haute intensité.
Très girl next door, au
point qu’on a la sensation
d’avancer bras dessus bras
dessous avec elle dans les
montagnes russes de sa
vie, Loïe Fuller en trace les
grandes étapes. Depuis sa
naissance dans la campagne de Chicago jusqu’à
ses immenses succès aux
Folies-Bergère et dans le
théâtre qu’elle se fit construire pour l’Exposition
universelle de 1900, à Paris. Elle débarque en France
en 1892. Dans sa valise, un
programme de cinq danses dont la fameuse Danse
serpentine. Très vite, elle
comprend l’impact de la
lumière sur les flots de tissus qui l’enveloppent. Sur
cette base, Loïe Fuller, qui
fut vite imitée par des dizaines de danseuses, va
construire une œuvre unique, articulant éclairages,
verres de couleur, miroirs,
sur des robes démesurées
dont les manches étaient
prolongées par l’utilisation
de baguettes. Rien de
moins que dix-huit électriciens étaient requis pour
ses spectacles dont elle fit
breveter quelques-unes
des inventions scéniques
et optiques. Au plus près
de son quotidien, ces
Quinze ans de ma vie s’accompagnent d’annexes
(textes de Mallarmé) tout
aussi savoureuses que les
péripéties de la star. p
rosita boisseau
Quinze ans de ma vie. Mercure
de France, 350 pages, 18 euros.
18 |
télévisions
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Replays et
VOD : les lois
de la jungle
Services, contenus, tarifications,
modes de diffusion : la télévision
du XXIe siècle bouscule les
habitudes, jusqu’à la confusion
D
epuis que la communication sans fil à haut
débit d’Internet s’est
généralisée, les usages
des téléspectateurs n’ont cessé de
se modifier. En sus du bon vieux
poste installé dans le salon, c’est
désormais sur d’autres écrans et
extra-muros que se consomme
aussi la télévision : sur un ordinateur (de bureau ou portable), un
smartphone ou une tablette numérique. Avec l’avantage supplémentaire de pouvoir regarder quatre programmes différents sur
autant de supports à partir du
même abonnement auprès d’un
fournisseur d’accès.
Cette combinaison d’« un média
et de quatre écrans » est la réalisation technologique et sociologique qu’avait imaginée Alain Le Diberder, aujourd’hui directeur des
programmes d’Arte, du temps où il
officiait à Canal+ (jusqu’en 2001),
où il avait trop tôt prôné « l’indispensable continuité entre le contenu de l’antenne et celui du Web ».
Une continuité que n’avait alors
pas voulu voir la chaîne cryptée,
qui s’en mordit les doigts, mais
qui, à cet égard, a depuis largement
redressé la barre.
Ces nouveaux « ponts » entre les
écrans ont été accompagnés par la
généralisation du « replay » (rediffusion à la demande, catch-up ou
« télévision de rattrapage »), qui
permet de revoir, sur ces divers
écrans connectés, des émissions
pendant une durée moyenne de
sept jours. Mais certains programmes – ceux de CanalPlay et d’OCS
(Orange Cinéma Séries) par exemple – sont téléchargeables temporairement et peuvent donc être
vus sans connexion Internet.
A cela s’ajoutent des boutiques
en ligne où un vaste catalogue
de films, séries, documentaires,
concerts et spectacles est accessible par le biais payant d’une location (en général quarantehuit heures) et/ou d’un téléchargement définitif, ainsi que des sites
de visionnage illimité en streaming (flux continu) par abonnement, également nommés SVOD
(Subscription Video on Demand).
Après FilmoTV en 2008, CanalPlay en 2011, OCS Go en 2013, Netflix en 2014, c’est à présent France
Télévisions qui s’apprête à lancer
« une offre de vidéo à la demande
par abonnement qui sera généraliste, avec des séries, du documentaire, des programmes jeunesse et
du cinéma », ainsi que l’a confirmé
dans Le Monde du 3 mai Laetitia
Recayte, chargée de ce dossier.
Et cette dernière d’ajouter ceci,
qui dit bien la profonde révolution
du monde télévisuel français :
« Cela dénote une conception de
notre métier qui est désormais
d’éditer des contenus, plus que
d’éditer des chaînes. »
Les spécialistes réduisent volontiers la multiplicité des services et
usages télévisuels à deux grandes
catégories : le visionnage des chaî-
nes en direct (télévision linéaire)
et le visionnage différé ou déconnecté (télévision non linéaire).
Mais le profane se trouve
confronté à une multiplicité de règles et d’exceptions, en fonction de
son fournisseur d’accès et des services offerts par les chaînes.
Ainsi, certaines nouvelles séries
sont immédiatement disponibles
en intégralité sur les plates-formes
de replay (à l’image de ce que
fait systématiquement Netflix) ;
d’autres proposent la rediffusion
des épisodes pendant sept jours
au fur et à mesure de leur passage
à l’antenne (de sorte que, en fin de
course, on ne peut plus voir les
premiers) ; certaines sont très vite
disponibles au téléchargement
payant, d’autres seulement à la location en ligne.
Selon les fournisseurs
Si l’on prend l’exemple de la série
« Baron noir » (diffusée en février à
l’antenne de Canal+), on constate
qu’elle est toujours disponible en
replay sur Canal+ à la demande,
mais pas sur son service de visionnage en streaming payant CanalPlay. En revanche, la boutique
CanalPlay VOD la propose au téléchargement définitif pour 1,99 €
l’épisode (2,99 € sur iTunes, la
plate-forme d’Apple…).
Mais encore faut-il connaître
l’existence de CanalPlay VOD, savoir qu’elle est, comme CanalPlay,
accessible sans être abonné à Canal+. Et encore faut-il que le fournisseur d’accès le propose : « Le public consomme de la VOD principalement via les box, et CanalPlay
n’est pas disponible chez tous les
fournisseurs d’accès, reconnaît
Manuel Alduy, directeur de Canal
OTT (Over the Top), qui gère les services accessibles sur ordinateur,
tablette ou smartphone. Certains
[Orange et SFR] ont préféré développer leurs propres boutiques ;
d’autres [Free] sont plus ouverts. »
Les tarifs de ces achats et locations peuvent être aussi très divers : sur Francetv pluzzvad, la
boutique de France Télévisions, le
film Pension complète (2015), de
Florent Siri, avec Gérard Lanvin et
Franck Dubosc, n’est disponible
qu’à l’achat (13,99 €) ; idem sur iTunes, mais 2euros moins cher… Sur
CanalPlay VOD, et sur MyTF1VOD,
Pension complète est en revanche
seulement disponible à la location
(4,99 €)… « Les politiques tarifaires et commerciales des services
de VOD varient en fonction de leurs
propres impératifs, comme dans
d’autres secteurs économiques,
explique Manuel Alduy. Nous
faisons des opérations promo,
comme d’autres. »
De son côté, la boutique en ligne
d’Arte propose, parfois simultanément, une édition (voire une gravure à la demande !) sur DVD, une
location en streaming pour quarante-huit heures ou un téléchargement définitif. Il arrive même
que cela se produise (comme ac-
NINI LA CAILLE
Le profane est
confronté à une
multiplicité
de règles et
d’exceptions,
en fonction de
son fournisseur
d’accès et des
services offerts
par les chaînes
tuellement pour le documentaire
La Fin des Ottomans) tandis que le
programme est toujours disponible en replay sur le site Arte + 7,
largement après la durée de sept
jours, ou même sur la chaîne
YouTube d’Arte… Difficile, décidément, de s’y retrouver.
« L’usage général est de sept
jours pour les replays, précise
Alain Le Diberder, mais ne concerne essentiellement que les
émissions et les documentaires
pour lesquels, au gré à gré, des délais de rediffusion plus longs sont
parfois accordés par les producteurs. Ce n’est jamais le cas pour
les films américains, mais nous
avons, en moyenne, quelque
150 films proposés chaque année à
la rediffusion en +7. » Les usages
sont différents selon les pays
européens : « En Grande-Bretagne, les replays peuvent durer trois
ou quatre semaines », reconnaît le
directeur des programmes d’Arte.
Chez OCS, où Guillaume Jouhet,
son directeur général, s’honore
d’afficher 90 % de séries inédites,
la règle est celle d’une disponibilité pendant trente jours. « De surcroît, et c’est ce qui nous distingue
de nos concurrents sur les séries récentes que nous diffusons, nous
proposons l’intégralité des saisons
dont la dernière en exclusivité. » Ce
qui explique qu’on peut voir la
saison 5 de « Girls » uniquement
sur OCS, tandis que les quatre précédentes peuvent être rediffusées
par d’autres chaînes.
« Tout ce qu’on fait a du sens,
mais cela ne se sait pas forcément,
reconnaît M. Jouhet. Il va nous
falloir trouver un dénominateur
commun. » Même son de cloche
du côté d’Arte, où Alain Le Diberder reconnaît que le panorama
des services VOD est « complexe et
mouvant ». Mais il est persuadé
« qu’il s’harmonisera tout en se
généralisant dans les cinq prochaines années ».
Attirer des spectateurs
Cependant, M. Le Diberder justifie
la multiplicité des chaînes de
diffusion des programmes d’Arte –
celles de YouTube ou du réseau social Facebook par exemple – par
le fait « qu’elle permet de faire venir des spectateurs épars vers la
maison mère et leur faire découvrir
d’autres services comme Arte Future, Arte Creative, Arte Concert, qui
proposent des contenus exclusifs. Dans le monde numérique, il y
a deux attitudes : attendre que le
spectateur vienne à nous ou aller le
trouver là où il est. »
M. Jouhet va dans le même sens :
« Contrairement à d’autres, nous ne
voulons pas privilégier ou opposer
télévisions linéaire et non linéaire.
Les chiffres semblent d’ailleurs
nous donner raison : 29 % des abonnés d’OCS regardent la télévision en
linéaire, 29 % à la demande uniquement, 42 % font les deux. »
Les diffuseurs s’accordent également à dire qu’un des problèmes
liés à ces nouveaux modes de dif-
fusion des programmes télévisuels est « la gestion de l’impatience du public », impatience
qu’exacerbent les mises à disposition intégrales et immédiates de
Netflix, impatience qui peut inciter au téléchargement illégal d’un
programme pas encore proposé
en France…
Il s’agit donc de s’adapter aux
nouveaux rythmes de diffusion :
« Starz et HBO, deux chaînes câblées américaines dont nous reprenons les séries, n’ont pas la
même attitude, précise M. Jouhet.
La première a rendu immédiatement disponible l’intégralité de
“The Girlfriend Experience” ; la seconde jugeait impensable de livrer
d’un coup toute la sixième saison
de “Game of Thrones” : cela aurait
privé le public de l’énorme suspense entre les épisodes… Nous
nous sommes évidemment calés
sur leur rythme. »
Pour M. Alduy, la problématique
posée par ces nouveaux rythmes
de diffusion « n’est pas simple car
la filière audiovisuelle, quels que
soient les pays, fonctionne au contraire sur la “gestion de la patience”,
c’est-à-dire une chronologie d’exploitation et des exclusivités qui
permettent de générer des revenus.
Car produire des films et des séries
coûte cher, plus cher que dans
d’autres secteurs culturels, et il faut
de multiples exploitations d’une
même œuvre pour rentabiliser l’investissement de départ. » p
renaud machart
télévisions | 19
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Augustin Trapenard, le tatoué de littérature
Le chroniqueur du « Grand Journal » lance, sur Canal+, « 21 cm », une émission littéraire très swing
A
D IM AN CH E 8 M AI
RENCONTRE
ugustin
Trapenard
était sûrement un très
bon prof, avec son enthousiasme et sa passion de transmettre. Il avait fait
un parcours sans faute, comme le
souhaitait sa mère, elle-même enseignante : khâgne, Ecole normale
supérieure, agrégation d’anglais,
thèse sur Emily Brontë – « Parce
que je suis un romantique, mais je
ne l’ai pas terminée, j’espère le faire
un jour .»
Puis, dans le cadre de sa thèse et
en accord avec l’Ecole normale supérieure, il est allé aux Etats-Unis,
à l’université de Californie à Berkeley. « Là, j’ai découvert une autre
manière d’enseigner, de faire de la
recherche, et un respect pour le métier, ce qui n’est pas le cas en
France, où il y a au contraire un
certain mépris. »
Il est donc rentré avec l’envie de
faire autre chose. Et, là encore, en
dix ans, c’est un sans-faute.
D’abord des piges, à Elle, puis au
Magazine littéraire. Un petit tour
sur Radio Nova. « Ensuite, Joseph
Macé-Scaron m’a fait entrer dans
l’équipe de “Jeux d’épreuves” sur
France Culture. Quand cela s’est
arrêté, j’ai repris la case avec “Le
Carnet d’or”. Enfin, Laurence
Bloch, qui m’avait déjà fait faire
une émission d’été sur France Inter, m’a proposé “Boomerang”. j’ai
commencé fin 2014. De la culture,
juste après la matinale, c’était un
projet enthousiasmant, la possibilité de recevoir des artistes très
divers, d’Hélène Cixous à Johnny
Hallyday. »
« Il faut inventer autre chose »
Entre-temps, Augustin Trapenard
avait aussi rejoint « Le Grand Journal » de Canal+. « C’est là que j’ai
vraiment commencé à faire de la
télévision. Avant, j’avais juste une
chronique, en français et en anglais, sur France 24. » A-t-il été saisi
par le démon de l’audiovisuel ?
« Je ne crois pas. Ecrire sur les livres
me manque. Et puis, après beaucoup de contraintes, d’abord le circuit universitaire, puis le travail actuel, il n’est pas exclu que je prenne
une retraite anticipée. En outre, je
suis capable de tout quitter pour
quelqu’un. »
Ce n’est pas vraiment pour demain, cette retraite, puisque,
lundi 9 mai, sur Canal+, sera diffusée la première émission littéraire
d’Augustin Trapenard, « 21 cm ». Il
insiste sur la liberté que lui a donnée la chaîne. « On m’a fait confiance. Ma première invitée, Patti
Smith, est anglophone. On sait
TF1
20.55 Les Miller,
une famille en herbe
Comédie de Rawson Marshall
Thurber (EU, 2013, 130 min).
23.05 Esprits criminels
Série (EU, saison 5, ép. 3 et 4/23).
France 2
20.55 Après Hitler
Documentaire de David Korn-Brzoza
et Olivier Wieviorka (Fr., 2016, 95 min).
22.30 Les Français
Série (Fr., 2016, ép. 7 et 8/8).
France 3
20.55 Inspecteur Lewis
Série (GB, 2015, 2 × 90 min).
0.20 Les Surprises de l’amour
Comédie de Luigi Comencini
(Fr., 1959, 110 min).
Canal+
21.00 Rugby
Top 14 : Toulon-Castres.
22.55 L’Equipe du dimanche
Présenté par Karim Bennani.
France 5
20.40 Vêtements, n’en jetez plus !
Documentaire d’Elsa Haharfi
(Fr., 2015, 50 min).
21.30 Quand la cuisine
fait le trottoir
Documentaire de David Corre
(Fr., 2013, 50 min).
A Paris, en février.
FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO
qu’on perd des téléspectateurs, dès
qu’on propose des entretiens avec
des personnes ne parlant pas le
français, mais ça n’a posé aucun
problème. »
Pourquoi « 21 cm » ? C’est expliqué dans un prégénérique, qui
n’est pas d’un raffinement extrême, et qui se veut un passage
de témoin entre Frédéric Beigbeder, « qui incarne la culture sur Canal+ », et Augustin Trapenard.
« Il faut voir ça au deuxième ou
troisième degré, insiste-t-il, et ça
n’aura lieu qu’une fois, tout
comme mon combat, de boxe, puis
de lutte, puis de sumo, avec Antoine de Caunes. Comme je fais un
entretien de trente minutes avec
une seule personne, il faut le couper, donner des respirations. Et
puis j’ai toujours rêvé d’une émission littéraire qu’on pourrait regarder en mangeant du pop-corn. La
littérature, ce n’est pas ennuyeux,
c’est excitant. »
En dehors de ces deux séquences pas inoubliables, ce premier
« 21 cm » est très réussi, très construit. Un format un peu inhabituel, quarante minutes, qui correspond à ce qu’Augustin Trapenard veut faire, « rompre avec un
plateau et des invités. Bernard Pivot a porté cette formule à l’excellence, il faut inventer autre chose ».
« Conseils de lecture »
Avec Patti Smith, on est d’abord
au cimetière Montparnasse, où
elle « rend visite » à des écrivains
qu’elle admire, dont Baudelaire.
C’est « extérieur jour ». Puis, on
passe à « intérieur jour », au domicile du journaliste littéraire.
« Cette séquence existera toujours,
car chez moi on installe une autre
atmosphère. » Certes, d’autant
que le chien d’Augustin Trapenard
vole la vedette à son maître. « Pour
le reste, la construction pourra varier, je n’aime pas la rigidité et l’excès de répétition. Il y a aussi de petits spots, des conseils de lecture
par des gens que j’aime. »
On peut regretter que Patti
« J’ai toujours
rêvé d’une
émission littéraire
qu’on pourrait
regarder
en mangeant
du pop-corn »
Smith soit traduite et non sous-titrée, « mais sur Dailymotion, avec
lequel nous avons des accords, ce
sera sous-titré », précise-t-il.
Recevoir un seul écrivain par
émission, c’est une volonté « de
faire entendre une autre manière
de voir le monde », et c’est en effet
ce qui fait toute la saveur de ce
« 21 cm » – un artiste, son univers,
son intimité, et son regard sur la
société.
Après ce galop d’essai en mai,
« 21 cm » devrait devenir régulière
à partir de septembre. Avec quelle
périodicité ? Mensuelle probable-
ment, mais rien n’est encore arrêté, en raison des incertitudes
sur l’avenir de Canal+.
Au cours de la séquence
« battle », avec Antoine de Caunes
– dont on n’est pas totalement
convaincu qu’elle serve les livres
que chacun défend –, on constate
qu’Augustin Trapenard a plusieurs tatouages, que l’on distingue mal.
« Ce sont des mots. De Joni Mitchell, dont je suis fan. Un passage
magnifique du Bruit et la Fureur,
de Faulkner, et un autre de Fitzgerald dans Gatsby le Magnifique. Ce
sont des phrases que je ne veux jamais oublier, et elles sont là parce
que, dans ma famille, la maladie
d’Alzheimer est très présente. »
Avec un corps si littéraire, Augustin Trapenard était sans doute
prédestiné pour inventer une
émission littéraire. p
josyane savigneau
« 21 cm », lundi 9 mai, à 22 h 55
sur Canal+.
A partir du mois d’août, la Premier League ne sera plus visible sur Canal+ mais sur SFR Sport 1
L
bre 2015, a donc constitué une
surprise considérable dans le paysage audiovisuel français. Le
groupe présidé par Patrick Drahi
n’a pas hésité à investir près de
120 millions d’euros par saison
pour s’emparer, jusqu’en 2019,
d’un produit télévisuel hors normes.
Un pack de cinq chaînes
Pour le téléspectateur habitué à se
brancher sur Canal+ Sport lors
des longs tunnels de foot anglais
du samedi au dimanche, ce changement de diffuseur va désormais l’obliger à s’offrir un abonnement au nouveau bouquet SFR
Sport, dont le lancement a été officiellement annoncé mercredi
27 avril.
Associé à Patrick Drahi, le patron de Next RadioTV (BFMTV,
RMC) et désormais dirigeant de
SFR Médias, Alain Weill n’a pas ca-
Les moyens
financiers sont là,
les moyens
humains aussi.
Reste à connaître
les noms de la
dizaine de
consultants
nécessaire
ché ses ambitions : « Le sport, c’est
notre ADN ! Pour la télé, c’est un
formidable vecteur d’audience et
nous savons faire vivre le sport. »
D’où le lancement d’un pack de
cinq chaînes sportives regroupées sous l’appellation SFR Sport
et ayant chacune sa spécificité : la
Premier League mais aussi du
foot d’autres pays européens et
sud-américains sur SFR Sport 1,
les autres disciplines (du basket
au tennis en passant par le rugby
et le ski alpin) sur SFR Sport 2, les
sports extrêmes (du kitesurf au
motocross) sur la 3, des rencontres en qualité ultra HD (4K) sur la
4 et des sports de combat sur la 5.
Même si rien n’est encore officiel, l’amateur de foot anglais ne
pourra pas, a priori, s’abonner
uniquement à SFR Sport 1 pour vivre sa passion. Il lui faudra prendre l’abonnement au pack des
cinq chaînes, disponible pour
tous et pas seulement aux locataires d’une box SFR. Abonnement
dont le tarif n’a pas encore été
fixé. Quant à la qualité des programmes proposés, Alain Weill a
juste précisé : « Les exemples de
Canal+ et de BeIN en matière de
couverture sportive placent la
barre haut. Nous allons nous en
Arte
20.45 L’Eté meurtrier
Drame de Jean Becker
(Fr., 1983, 130 min).
22.55 Elvis & Priscilla
Documentaire d’Annette Baumeister
(Fr., 2014, 55 min).
M6
20.55 Zone interdite
« Foire de Paris 2016 : vendeurs
et inventeurs révolutionnent
votre maison ». Présenté par
Wendy Bouchard.
23.00 Enquête exclusive
« Boko Haram, la secte terroriste ».
Présenté par Bernard de La Villardière.
LUN D I 9 M AI
TF1
20.55 Sam
Série (Fr., 2015, saison 1, ép. 3 et 4/6).
22.55 New York, unité spéciale
Série (EU, saison 15, ép. 24/24 ;
saison 6, ép. 18 et 19/23).
France 2
20.55 Rizzoli & Isles :
autopsie d’un meurtre
Série (EU, saison 5, ép. 17/18 ;
saison 3, ép. 10 et 11/15).
23.00 Alcaline le mag
« Christophe ». Magazine musical.
France 3
20.55 Politiques :
ils connaissent la chanson
Documentaire de Mireille Dumas
(Fr., 2016, 130 min).
SFR se prépare pour accueillir le football anglais
es nombreux téléspectateurs passionnés de football anglais résidant en
France vont devoir changer leurs
habitudes. Depuis plus de quinze
ans, la Premier League anglaise,
compétition sportive la plus populaire du monde, était visible
moyennant finances sur les antennes de Canal+.
Au début des années 2000, le diffuseur payait 4,5 millions d’euros
par saison. Entre 2010 et 2013, l’addition est montée à 24 millions.
Avant de s’élever, entre 2013 et
2016, à 63 millions. Lors du renouvellement des droits en 2013, Rodolphe Belmer, l’ancien directeur
général du groupe, assurait même
que la Premier League était « la
compétition la plus appréciée de
[leurs] abonnés ».
La perte des droits de diffusion
de la Premier League par Canal+
au profit d’Altice, en novem-
V O S
S O I R É E S
T É L É
inspirer pour proposer un produit
de grande qualité. »
Les moyens financiers sont là,
les moyens humains également,
puisque, par l’intermédiaire de
l’agence interne RMC Sport et
MCS (Ma Chaîne Sport, propriété
de Patrick Drahi depuis 2007), une
centaine de journalistes spécialisés seront mis à contribution.
Reste à connaître les noms de la
dizaine de consultants nécessaires à la bonne tenue de cette
chaîne qui se veut « premium ». Si
peu de noms (Emmanuel Petit,
Raymond Domenech) apparaissent encore, le mercato bat actuellement son plein dans le bureau
de François Pesenti, directeur général de l’agence RMC Sport. Le
temps est compté, puisque le
coup d’envoi de la prochaine saison de Premier League est programmé samedi 13 août. p
alain constant
Canal+
21.00 Le Bureau des légendes
Série (Fr., saison 2, ép. 1 et 2/10).
22.50 21 cm
Magazine littéraire animé par Augustin
Trapenard. Invitée : Patti Smith.
France 5
20.45 Le Dernier Métro
Drame de François Truffaut
(Fr., 1980, 130 min).
22.55 C dans l’air
Magazine.
Arte
20.55 La Chasse
Drame de Thomas Vinterberg
(Dan., 2012, 110 min).
22.45 L’Inconnu du lac
Thriller d’Alain Guiraudie
(Fr., 2013, 95 min).
M6
20.55 Prometheus
Film de science-fiction de Ridley
Scott (EU-GB, 2012, 135 min).
23.10 Real Stell
Film de Shawn Levy
(EU, 2011, 145 min).
20 | télévisions
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
« Le Bureau des légendes » s’ancre dans le réel
SÉLECTION
La deuxième saison de la série créée par Eric Rochant s’affirme comme l’une des meilleures productions françaises
CANAL+
LUNDI 9 – 21 H 00
SÉRIE
E
n 2015, lorsque Fabrice de
La Patellière, le directeur
de la fiction de Canal+,
annonçait que la chaîne
cryptée diffuserait chaque année
une nouvelle saison du « Bureau
des légendes », nombreux étaient
ceux à ne pas trop y croire. Et pourtant, le petit miracle a eu lieu.
Dès lundi soir, la deuxième saison
sera bien à l’antenne et, déjà, la
troisième est en tournage à la Cité
du cinéma à Saint-Denis, en banlieue parisienne.
Tout au long de ces dix épisodes
plus « musclés » et plus fluides que
les précédents, on retrouve, bien
sûr, Malotru (impeccable Mathieu
Kassovitz), une des « légendes » du
contre-espionnage français qui,
par amour pour la belle Syrienne
Nadia El-Mansour (troublante
Zineb Triki), va devoir choisir entre
abandonner celle qu’il aime ou trahir son pays. A leurs côtés, tous les
acteurs de la première saison sont
présents (Jean-Pierre Darroussin
en patron blasé mais subtil, Gilles
Cohen, Sara Giraudeau, Léa Drucker, etc.), qui épousent leurs personnages avec une forte intensité
et permettent aux téléspectateurs
de s’attacher encore plus à eux.
C’est d’autant plus important
que cette saison est plongée en
Mathieu Kassovitz (Malotru). JESSICA FORDE
pleine actualité. On y voit les chefs
de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) confrontés à
un djihadiste sanguinaire narguant la France, et on suit « Phénomène » (la délicate Sara Giraudeau)
à Téhéran, où elle est en mission
clandestine. Tout autour, des
agents s’activent en Syrie, en Irak
ou au Liban pour tenter d’infiltrer
l’organisation Etat islamique. Mais
nous n’irons pas plus loin pour
laisser aux téléspectateurs le plaisir de découvrir la suite…
Tournés en novembre 2015 au
moment où Paris était victime des
attaques terroristes, les épisodes
de cette saison ont pris une couleur particulière. « Qu’on le veuille
ou non, même si nous ne cherchons
pas à suivre l’actualité, nous y sommes en plein, et cette situation influence nos émotions et notre jeu »,
constate Mathieu Kassovitz.
Si cette série fonctionne aussi
bien dans son récit, sa réalisation
et sa direction d’acteurs, c’est
grâce à la mise en place d’un véri-
table « showrunner » qui, comme
au Etats-Unis, contrôle tout et peut
ainsi « imposer sa grammaire
sur l’ensemble des épisodes de la série », comme le dit Eric Rochant,
qui endosse ce rôle.
RAD IO
teur et le jeu des acteurs. « Cette
réalisation collégiale est possible
parce que je peux tout chapeauter et faire en sorte que la série
conserve son style et sa sobriété. Les
faiblesses à l’écriture ne sont jamais
rattrapables », pointe-t-il.
Un impératif qui satisfait Alex
Berger, l’un des producteurs.
« Cette série est le résultat d’une rencontre d’exigences, affirme-t-il. Exigence de production, de distribution et de réalisation autour d’Eric
Rochant. Cette concentration a
permis un processus créatif comme
pour les séries américaines, car,
dans ces studios loués à l’année,
tout est linéaire et permet de
gagner du temps et de l’argent. »
Cela n’empêche pas les agents, au
cours de cette saison, de se rendre
sur le terrain et de se confronter
à ceux qu’ils combattent. « On perçoit mieux comment les décisions
prises entre les quatre murs de la
DGSE peuvent avoir des répercussions sur la réalité », explique Eric
Rochant, qui continue à beaucoup
se documenter sur Internet pour
écrire certaines scènes. En tout cas,
en attendant la troisième saison, la
mission est accomplie. p
daniel psenny
Réalisation collégiale et exigence
Installé dans des bureaux situés
au-dessus du plateau de tournage
où il écrit les scènes au fur et à
mesure avec ses coscénaristes, Eric
Rochant peut suivre et contrôler
la mise en scène de chaque réalisa-
« Le Bureau des légendes »,
saison 2, créée par Eric Rochant.
Avec Mathieu Kassovitz,
Jean-Pierre Darroussin,
Sara Giraudeau.
La culture à contrechamp
Journée de l’orgue
à France Musique
Dans le cadre des manifestations
du « Jour de l’orgue », la Maison
de la radio accueille au sein
de son auditorium l’orgue
de 12 mètres de haut, conçu
et fabriqué par Gerhard Grenzing :
87 jeux, 5 320 tuyaux, 4 claviers,
2 consoles. Dimanche 8 mai, de
7 heures à 19 heures, France Musique
profite de l’occasion pour mettre à
l’honneur ce chef-d’œuvre et invite
les auditeurs à en découvrir toute
la richesse et les facettes, à travers
une programmation spéciale et de
nombreux concerts.
RTL à Cannes
Présente à Cannes durant toute
la durée du 69e Festival (du 11
au 22 mai), RTL s’offrira une affiche
prestigieuse, le jeudi 12 mai, dans
l’émission « Laissez-vous tenter »
(de 9 h à 9 h 30), durant laquelle
Yves Calvi et Stéphane Boudsocq
recevront le trio d’acteurs Julia
Roberts, Jodie Foster et George
Clooney pour le thriller Money
Monster, qui sera présenté hors
compétition. Un rendez-vous à
retrouver en vidéo sur RTL. fr
TOUR N AGE
Les treize webdocumentaires réalisés par Marc-Aurèle Vecchione proposent un plongeon au cœur des contre-cultures
P
ur, authentique, puissant.
Ces trois adjectifs donnent
un aperçu de l’essence
des photographies qui retracent
l’histoire de la contre-culture dans
la websérie « Photos rebelles »
d’Arte Creative (accessible sur
Arte.tv ). Les photographes Glen E.
Friedman, Janette Beckman,
Danny Lyon, Gavin Watson et
Henry Chalfant ont dessiné les
contours des mouvements culturels contestataires qui ont bouleversé la fin du siècle dernier. La légitimité de leur travail tient dans le
fait que chacun d’eux s’est plongé
dans l’univers alternatif qu’il entendait dévoiler, dans la veine d’un
journalisme d’immersion.
A travers l’évocation des souvenirs des photographes, les treize
épisodes de « Photos rebelles »
retracent avec une puissance
authentique l’histoire de la
contre-culture, depuis l’aube des
années 1970 avec la naissance de
la lutte pour les droits civiques
aux Etats-Unis, jusqu’aux années
1990 et l’émergence des rave parties en Grande-Bretagne.
La malice d’Henry Chalfant
traverse l’écran quand il raconte
la peur qui l’avait saisi lors d’une
soirée passée à graffer illégalement les wagons des métros
new-yorkais avec une communauté de graffeurs dont il avait
réussi à gagner la confiance.
Des souvenirs de temps à autre
empreints de nostalgie, comme
lorsque Glen E. Friedman partage
ses souvenirs des années 1970,
quand le skateboard en était
encore à ses balbutiements, pratiqué dans la clandestinité par
une poignée d’adeptes aux cheveux longs dans des piscines désertées par leurs propriétaires ca-
liforniens. Sont enfin d’une
grande acuité les témoignages de
Gavin Watson, qui égrène les
noms de sa bande d’amis skinheads qui déambulaient fièrement dans les rues de Wycombe,
une banlieue populaire de Londres, bomber sur les épaules et
Doc Martens aux pieds.
Une esthétique de la violence
A l’heure de la marchandisation
globalisée du marché de la culture et de la retouche d’image,
« Photos rebelles » fait l’effet
d’une décharge électrique. Sim-
ple, dénué d’artifice et original, le
travail des photographes est saisissant d’authenticité. La websérie est d’autant plus captivante
que de ces clichés argentiques
émane une esthétique de la
violence qui soumet le spectateur
à visionner la websérie d’une
traite ; rappeurs qui posent
Beretta au poing, Afro-Américains qui bravent la répression
policière, bikers qui avalent rageusement l’asphalte… Toutes ces
photos témoignent d’une rage
d’exister. D’exister autrement. p
jérémie vaudaux
« Engrenages », saison 6
Canal+ vient d’annoncer le
lancement jeudi 5 mai du tournage
de la saison 6 de sa série
« Engrenages », produite par Son et
Lumière et récompensée aux
derniers International Emmy Awards.
Un tournage en région parisienne qui
durera environ sept mois.
0123 est édité par la Société éditrice
HORIZONTALEMENT
GRILLE N° 16 - 110
PAR PHILIPPE DUPUIS
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
12
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 109
HORIZONTALEMENT I. Plum-puddings. II. Ripas. Iodera. III. Emet. Ange. Un.
IV. Firent. Onces. V. Etirèrent. SO. VI. Rasages. Is. VII. Eté. Etain. VIII. Ni.
Scabreuse. IX. Cocaïnes. Têt. X. Entraîneuses.
VERTICALEMENT 1. Préférence. 2. Limitation. 3. Upérisé. Ct. 4. Matera.
Sar. 5. PS. Négocia. 6. Atre. Ani. 7. DIN. Es. Ben. 8. Dogon. Erse. 9. Identité. 10. Ne. Sauts. 11. Grues. Isée. 12. Sansonnets.
I. Une in qui se fait sentir. II. Celle
d’Abélard avait un H. Même en voie
de disparition, il est toujours au
travail. III. La grande des grandes
ondes. Avec la part de Bercy. Son golfe
communique avec la mer Rouge.
IV. Créée d’un coup de baguette
magique. Trois points sur quatre.
V. Mauvaises habitudes et pertes
de temps. Appréciation en marge.
VI. Tous les autres en raccourci.
Extraites de la fève de Calabar.
VII. Personnel. Pan dans la jupe. Pile.
VIII. Sensible au toucher. Possessif.
Nourrice de Zeus, devenue montagne. IX. Sœur de satyres. Fait du
propre mais laisse des traces au
passage. X. Ludwig n’a pas pu aller
plus loin.
VERTICALEMENT
1. Cherchez-la ailleurs, elle n’existe
pas ici. 2. Pour plus tard. 3. Supporté.
Elément d’une suite. 4. Bout de rime.
Sur la portée. Lavé n’importe comment. 5. Bien appréciée. Romains
chez Verdi. 6. Chaleureusement
accueillies. Base de lancement.
7. Scorpion d’eau. 8. Sur le coup.
Victime de son rythme de vie. 9. En
attendant de pouvoir entrer. Pour un
premier tour de cadran. 10. Couvert
de senteurs marines. Prête à tout
avaler. 11. Encouragement bruyant.
Assure la liaison avec le muscle.
12. Malgré cela.
SUDOKU
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Expert
Complétez toute la
grille avec des chiffres
allant de 1 à 9.
4
2
Chaque chiffre ne doit
être utilisé qu’une
1 3 8
4 9 seule fois par ligne,
colonne et par
2
9 1
3 8 par
carré de neuf cases.
Réalisé par Yan Georget (http://yangeorget.net)
4
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1
“Elles viennent du fond
des temps et de tous les
continents nous raconter
leur histoire.”
Un hors-série
CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
du « Monde » SA
Durée de la société : 99 ans
à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 94.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui,
75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00
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de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ;
par courrier électronique :
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
Courrier des lecteurs
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Par courrier électronique :
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paritaire des publications et agences de presse
n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037
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Corinne Mrejen
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75707 PARIS CEDEX 13
Tél : 01-57-28-39-00
Fax : 01-57-28-39-26
L’Imprimerie, 79 rue de Roissy,
93290 Tremblay-en-France
Toulouse (Occitane Imprimerie)
Montpellier (« Midi Libre »)
disparitions & carnet | 21
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Qi Benyu
Ng Ectpgv
Ancien lieutenant
de Mao
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AU CARNET DU «MONDE»
Naissance
Sarah LICHTSZTEJN-MONTARD,
ancienne déportée d’Auschwitz,
a la bonheur d’annoncer la naissance
de son arrière-petite-ille,
Mme Mireille Gassin,
son épouse,
Philippe, Florence, Roland,
ses enfants
et leurs conjoints,
Ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès du
Rencontre de la société des lecteurs
professeur
Raymond GASSIN,
« 1936, que reste-t-il
du Front Populaire ? »
professeur honoraire
de droit et de criminologie
à l’université d’Aix-Marseille,
prix Beaumont-Tocqueville,
chevalier
dans l’ordre national du Mérite,
commandeur
dans l’ordre des Palmes académiques,
A l’occasion de la publication
du Hors-Série intitulé « 1936 »,
Le Monde s’interroge,
que reste-t-il du Front Populaire ?
survenu le 4 mai 2016,
à l’âge de quatre-vingt-cinq ans.
Les obsèques auront lieu le lundi 9 mai
à 15 heures, en l’église Notre-Dame de
l’Arc, 10, rue de la Fourane, Aix-enProvence (Bouches-du-Rhône).
Les Floralies (Genêts),
Traverse Saint-Pierre,
13100 Aix-en-Provence.
Mme Françoise Job,
son épouse,
M. et Mme Bernard Job,
Olivier, Estelle,
M. et Mme Bernard Weil,
Martin, Arnaud, Eric,
ses enfants
et ses petits-enfants,
Les familles Dockès, Hayem, Lévy
et Taillandier,
le 5 mai 2016.
M. Sylvain JOB,
survenu le 30 avril, à Lunéville,
à l’âge de quatre-vingt-onze ans.
Décès
A
ncien lieutenant de
Mao et de son épouse
Jiang Qing durant les
premières années de la
Révolution culturelle avant d’être
lui-même victime des purges, Qi
Benyu est mort, le 20 avril, à l’âge
de 85 ans.
Ses Mémoires, qu’un éditeur de
Hongkong lui avait commandés
en 2011 et qu’il souhaitait voir publier avant ses 85 ans, sont finalement sortis une semaine après sa
mort, le 28 avril. Ils sont dédicacés
à « l’anniversaire des cinquante
ans de la Révolution culturelle lancée par Mao » – un événement que
l’ancien idéologue, qui fut rédacteur en chef adjoint de Drapeau
rouge, la principale publication
théorique du maoïsme, n’a jamais
renié, et qu’il a contribué à animer.
Né dans la province du Shandong en 1931, Qi Benyu a grandi à
Shanghaï et a rejoint le Parti communiste en 1949. Il entre à 19 ans à
Zhongnanhai, la nouvelle Cité interdite du pouvoir communiste à
Pékin, où il deviendra l’assistant
d’un des secrétaires de Mao. Il se
fera vite remarquer par le Grand
Timonier pour ses prises de position radicales.
Des regrets
Qi Benyu fait partie des rédacteurs de la circulaire du
16 mai 1966, qui sonnera le coup
d’envoi de la Révolution culturelle, avec une offensive en règle
contre ceux que Mao accuse
d’être des « tenants de la voie capitaliste » infiltrés au sein du Parti –
en commençant par Peng Zhen, le
maire de Pékin, avant de toucher à
peu près toute la direction du
Parti et les anciens compagnons
d’armes de Mao, en dehors du déférent et ambivalent Zhou Enlai.
Les auteurs de la circulaire du
16 mai, parmi lesquels se trouvent
Jiang Qing et ses trois acolytes de
la future « bande des quatre », rejoindront le groupe central de la
Révolution culturelle, un tout
nouvel organe directement assujetti à Mao, et qui deviendra pendant un temps le donneur d’ordres suprême du pays, court-circuitant les institutions gouvernementales et le reste du Parti.
S’il a toujours défendu Mao,
dont la Révolution culturelle a
pourtant été officiellement qualifiée de « désastre » par le Parti
communiste en 1981, Qi Benyu
exprime toutefois, dans ses Mémoires, ses regrets au sujet du suicide de trois personnalités qui furent les victimes indirectes de sa
plume : ceux d’abord du célèbre
historien marxiste Jian Bozan et
1931 Naissance dans
la province de Shandong
(Chine)
1949 Rejoint le Parti
communiste chinois
1968 Est arrêté et emprisonné. Il ne sera libéré
qu’en 1986
20 AVRIL 2016 Mort
à Shanghaï
de son épouse, à qui Qi Benyu reprocha dans un de ses articles de
Drapeau rouge de « s’opposer à la
lutte des classes » et de « faire les
louanges des rois et des empereurs ». Agressés et violentés par
les gardes rouges, les époux Jian
finiront par avaler une surdose de
somnifères le 18 décembre 1968.
L’autre mort que Qi Benyu dit
regretter est celle du poète et journaliste Deng Tuo, ex-rédacteur en
chef du Quotidien du peuple, qui
se suicide une semaine après que
Qi Benyu l’eut désigné comme un
« traître » dans l’un de ses écrits,
au terme d’une longue campagne
de dénigrement.
La carrière de zélateur de Qi
Benyu sera pourtant de courte
durée : en 1967, au côté de deux
autres maoïstes, il incite à débusquer les traîtres au sein de l’armée. Mais cette initiative, jugée
trop hasardeuse à un moment où
le chaos s’installe, est vite décapitée. Il est arrêté. Mao dénonce un
trio de « cafards ». Jiang Qing parle
d’une « clique antiparti qui
œuvrait secrètement au nom de
Liu Shaoqi, Deng Xiaoping et Tao
Zhu » – dont Qi Benyu avait pourtant été l’un des plus ardents dénonciateurs.
Jeté en prison, Qi Benyu ne sera
jugé que bien après la Révolution
culturelle, en 1983, en tant qu’un
de ses instigateurs et membre de
la « clique contre-révolutionnaire
de Jiang Qing et Lin Biao ». Il est
condamné à dix-huit ans de prison, mais relâché en 1986 en raison des quinze ans déjà passés
derrière les barreaux.
Il retourne alors vivre à Shanghaï, où il a travaillé de longues
années dans une librairie et a publié des livres historiques sous un
pseudonyme. En dehors des regrets exprimés dans ses Mémoires, Qi Benyu n’a jamais failli dans
sa loyauté au couple Mao : dans un
essai récent, il avait dressé un portrait élogieux de Jiang Qing et dénoncé la campagne « de rumeurs
et de mensonges » dont celle-ci
aurait été victime. Condamnée à
la prison à vie en 1981 au terme
d’un procès fleuve, Jiang Qing s’est
suicidée dix ans plus tard. p
brice pedroletti
Jacqueline Barritault,
son épouse,
Etienne Barritault,
Pierre Barritault,
ses ils,
Stéphanie Gaugiran,
ont la tristesse de faire part du décès du
professeur
Lionel BARRITAULT,
survenu le 2 mai 2016,
à l’âge de soixante-quinze ans.
La cérémonie religieuse aura lieu
le lundi 9 mai, à 11 heures, en l’église
Saint-Germain, de Magny-les-HameauxVillage (Yvelines).
Le départ du cortège aura lieu à 10 h 45,
de Brouëssy.
11, square Albonie,
75016 Paris.
Brigitte Fleurot,
son épouse,
Gaëlle et David Abeille,
sa ille et son gendre,
Cyril Fleurot et Bénédicte Dubois,
son ils et sa belle-ille,
Morgane et Valentine Abeille,
ses petites-illes,
ont la tristesse de faire part du décès de
Bernard FLEUROT,
survenu le 1er mai 2016.
La cérémonie religieuse sera célébrée
en l’église Saint-Médard, Paris 5 e ,
le mardi 10 mai, à 14 h 30.
Sa famille,
Ses amis camarades
d’engagement syndical et politique,
ont la tristesse de faire part du décès de
Denise
FRAENKEL-SALOMON,
Les obsèques ont eu lieu au cimetière
israélite de Lunéville (Meurthe-etMoselle), le mardi 3 mai, à 14 h 15.
3, rue Rivolet,
54300 Lunéville.
[email protected]
L’AREPS (Association de relaxation
psychanalytique Sapir)
Et les Journées Balint d’Annecy,
ont la tristesse de faire part du décès de
Monique MEYER,
survenu le 29 avril 2016.
Nous rendons hommage à cette femme
lumineuse, présente et vivante dans son
écoute ainsi que dans la transmission.
Autant qu’une collègue estimée,
c’est une amie précieuse que nous perdons.
Danièle Raisonnier,
Benjamin,
leur ils,
Charles, Marc, Emilie, Louis-David,
ses enfants et leurs conjoints,
Octave, Constantin, Constance, Lila,
ses petits-enfants,
ont la douleur de faire part du décès de
Alain R. SCHLUMBERGER,
X 48,
survenu le 3 mai 2016, à Paris.
Nous nous retrouverons lundi 9 mai,
à 15 h 30, en la salle de la Coupole,
au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20è.
Un culte d’action de grâces aura lieu
in mai.
Ni leurs ni couronnes.
[email protected]
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Lieu d’asile.
Manifeste pour une autre psychiatrie
(Odile Jacob, 2015),
jeudi 12 mai 2016, à 21 heures,
au Centre Sèvres,
35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e.
Discutant : Nicolas Dissez,
psychiatre, psychanalyste.
Entrée 12 €.
Débats
L’union de la gauche,
l’espace d’un instant, va renaître
dans ce beau mois de mai 2016,
comme par enchantement.
François Hollande de sa plus belle
éloquence salue Léon Blum,
en cet anniversaire de la victoire
du Front populaire aux élections
législatives de mai 1936.
Mais les années 1930, c’est aussi la crise
économique, les guerres, le populisme,
la xénophobie et l’antisémitisme,
les réfugiés et la montée du nazisme.
Et la question revient souvent,
y a-t-il des similitudes entre 1936
et aujourd’hui.
Les comparaisons sont troublantes
entre les deux périodes.
Alain Bergougnioux, historien,
Jean Vigreux, historien,
participeront au débat animé
Michel Noblecourt,
éditorialiste au Monde
et Michel Lefebvre,
responsable des hors-séries du Monde,
le jeudi 12 mai 2016, à 18 h 30,
Auditorium du journal Le Monde,
80, boulevard Auguste-Blanqui,
Paris 13e.
Plateforme
de la création architecturale
Le Laboratoire du Logement
Un beau logement,
c’est un grand logement.
À partir de cette afirmation
de Jean Nouvel dans les années 1980,
débat sur les surfaces,
les typologies et les normes
du logement social en France,
Réservation obligatoire par mail
uniquement
et dans la limite des places disponibles à
[email protected]
Assemblées générales
L’ANCEF
informe ses adhérents de la tenue
de son Assemblée générale extraordinaire
le 24 mai 2016, à 14 h 30, à son siège,
Grenoble (Isère).
L’Association du
Planning Familial de Paris
tiendra son assemblée générale,
le mardi 24 mai 2016, à 19 heures,
10, rue Vivienne, Paris 2e.
mardi 10 mai 2016, à 18 h 30.
Histoire et actualité des bidonvilles,
un temporaire qui dure,
Les Entretiens de Chaillot,
SIST CMB
Association loi 1901,
26, rue Notre-Dame-des-Victoires,
75002 Paris.
Louis Paillard,
architecte et urbaniste, Paris,
Les membres de l’Association
sont convoqués à l’assemblée générale
ordinaire qui se tiendra le
jeudi 26 mai, à 18 h 30.
mercredi 11 mai 2016, à 11 heures,
au 74, rue Jean Bleuzen,
à Vanves (Hauts-de-Seine)
lundi 23 mai, à 19 heures.
Entrée libre,
inscription citechaillot.fr
Exposition
Népal
un an après les tremblements de terre,
mobilisation pour un orphelinat.
Exposition photos et ilm pour témoigner,
du 9 au 14 mai 2016, Galerie Orphée,
6, rue Simon-le-Franc, Paris 4e.
Vernissage,
le 11 mai, de 17 heures à 22 heures.
contact : [email protected]
à l’effet de délibérer
sur l’ordre du jour ci-après :
- Approbation du rapport sur la situation
morale et inancière pour l’exercice 2015
- Approbation des comptes de l’exercice
clos le 31 décembre 2015
- Présentation des rapports
du commissaire aux comptes relatifs
à l’exercice clos le 31 décembre 2015
- Proposition et approbation
de l’affectation du résultat de l’exercice
clos le 31 décembre 2015
Communications diverses
Cet avis tient lieu de faire-part.
[email protected]
Anniversaire de décès
« ... Et imaginez un peu
que je trouve un ailleurs. »
Alexis Gayel Boiro Roumer.
survenu le 2 mai 2016,
jour de son quatre-vingt-dixième
anniversaire.
Denise avait choisi de donner son corps
à la science.
Les Grandes Conférences de l’EPhEP,
avec le docteur Thierry Najman,
psychiatre, chef de pôle,
autour de son livre,
ont la douleur de faire part du décès de
Manon,
DR
Conférence
Institut universitaire Elie Wiesel Séminaire 3 séances : « Du terrorisme aux
terrorismes ? », 10, 17, 24 mai 2016,
à 18 h 30, avec Alain Bauer, professeur
de criminologie - 119, rue La Fayette,
75010 Paris. Tél. : 01 53 20 52 61.
www.weezevent.com/cours-alain-bauer
- Approbation du budget 2016
- Désignation
d’un commissaire aux comptes
- Résolutions.
Les comptes arrêtés au 31 décembre 2015
ainsi que le rapport moral peuvent être
consultés au siège du CMB.
Gayel,
mon cœur, puisse ce 8 mai 2016,
huitième anniversaire de ton départ,
t’apporter paix, joie, consolation,
dans ton Ailleurs.
Le Carnet
Maman,
Gaty.
Hommage
Le président
de l’université d’Auvergne,
Le doyen de l’Ecole de droit,
ont appris avec tristesse le décès du
Annoncez
vos événements
culturels
professeur
Jean STOUFFLET,
doyen honoraire de la Faculté de droit.
Ils tiennent à exprimer, avec l’ensemble
des personnels de l’université,
leurs très sincères condoléances à son
épouse, ses enfants et leurs proches,
et à témoigner du rôle important qu’a joué
le professeur Stoufflet, contribuant
par ses exceptionnelles qualités
d’enseignant, de chercheur et d’auteur,
à l’essor et au renom de l’université
d’Auvergne.
Pour toute information :
01 57 28 28 28
01 57 28 21 36
[email protected]
Tarif : 29,50 € TTC Prix à la ligne
Signatures
Projections-débats
Lectures
Communications
diverses
22 |
DÉBATS & ANALYSES
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
La police française doit
privilégier la pacification
des manifestations
Mort de presse | par serguei
Contrairement à la plupart de ses voisins, la France
est en retard dans la réforme du maintien de l’ordre.
Il est plus efficace de mêler le dialogue à la fermeté
plutôt que de céder à la répression systématique
Par OLIVIER FILLIEULE
et FABIEN JOBARD
D
Ecologie : la France bloquée par ses élites
Engluée dans une vision productiviste et archaïque,
la gauche actuellement au pouvoir est incapable
de répondre à l’impératif écologique. Une
candidature des Verts à la présidentielle s’impose
Par CÉCILE DUFLOT
A
l’heure où nombre d’observateurs
glosent sur le supposé conservatisme de la jeunesse et des organisations syndicales opposées à la « loi
travail », je veux dire que les conservateurs
ne sont pas forcément ceux que l’on croit.
J’en veux pour preuve l’incroyable retard
pris par notre pays en matière d’écologie.
Disons les choses clairement : alors que
foisonnent les initiatives qui démontrent
que se lève une nouvelle génération consciente de notre responsabilité face à l’environnement, de notre interdépendance
dans les écosystèmes, et donc de notre destinée commune, la transition écologique
demeure freinée par des élites dépassées.
Ces élites défendent une vision productiviste archaïque, sans réinterroger la notion
de croissance et sans comprendre la nécessité de modifier nos manières de produire,
de consommer, de nous déplacer, d’habiter.
Les bloqueurs ne sont pas les manifestants
de Nuit debout, mais les tenants de la
technostructure persuadée de détenir seule
la vérité du pays. Ceux-là mêmes qui voulaient me dissuader de mettre en place
l’encadrement des loyers et écoutaient
davantage les lobbys que les citoyens ; les
mêmes ont abandonné les banlieues et
trahi le monde rural. Comment attendre
d’eux qu’ils intègrent l’impératif écologique, le grand devoir de notre temps ?
A la vérité, l’écologie nécessite un grand
virage. Mais comme dans tout processus
de transformation de cette importance,
il serait naïf de croire que tout le monde
souhaite que ce tournant advienne.
L’écologie est l’adversaire de la rente
parce qu’elle présuppose une mise en
commun des ressources et affronte la logique d’accaparement et de prédation qui
anime le stade actuel du capitalisme. Et
c’est ce qui effraie les rentiers du système.
Préoccupés par le maintien de leur position dominante, ils font mine de ne pas
voir que leur système ruine le vivant et
mène donc l’humanité et la planète vers
l’abîme. Au lieu donc de courir après
un introuvable consensus écologique,
le gouvernement aurait dû assumer les
C’EST UN INCROYABLE
GÂCHIS. NOUS POUVIONS
FAIRE DE CE
QUINQUENNAT CELUI DU
SURSAUT ÉCOLOGIQUE,
C’EST LE QUINQUENNAT
DE L’ENLISEMENT
antagonismes qui opposent partisans et
détracteurs des solutions écologiques.
Mais ce gouvernement pense, avec trente
ans de retard, que l’histoire s’est achevée
avec la chute du mur de Berlin. De là découle sa course vers l’orthodoxie : droite et
gauche raisonnables devraient partager
l’essentiel et s’opposer à la marge. D’une
certaine manière, nous voyons poindre à
nouveau l’illusion d’une gauche balladurienne, engoncée dans les contours étroits
du prétendu cercle de la raison qu’elle partage en colocation idéologique avec la
droite libérale. Or si le clivage gauche-droite
est dépassé, ce n’est pas en raison de l’épuisement de ce qu’on appelait jadis la question de classe (elle demeure tragiquement
valide), mais bien parce que le paradigme
écologiste définit de nouvelles questions
qui interrogent notre existence elle-même.
RÉINVENTION
L’écologie est le nouvel horizon du progrès.
Ce n’est pas seulement une voie de salut,
mais aussi un chemin de réinvention. Face
à l’urgence climatique, au péril nucléaire,
aux menaces qui pèsent sur la biodiversité,
il n’est plus temps de tergiverser. Alors, pardon de l’écrire, mais comment, au regard
du gouffre entre les exigences environnementales de la période et l’immobilisme
gouvernemental, ne pas désespérer de la
triste politique menée par un président de
la République que nous avons contribué à
faire élire ? C’est un incroyable gâchis. Nous
pouvions faire de ce quinquennat celui du
sursaut écologique, c’est aujourd’hui le
quinquennat de l’enlisement. Je ne dis pas
que rien n’a été fait : je dis que le cap choisi
n’est pas le bon, fixé par des cartographes
incapables de lire l’inédit du monde.
Après m’avoir fait reproche d’avoir choisi
la participation gouvernementale, on m’a
fait reproche d’avoir quitté une coalition
qui ne menait pas la politique que nous avions contractualisée. Que n’ai-je entendu
alors sur ma prétendue gauchisation ! Parce
que j’ai voulu proposer un autre chemin,
m’affirmer en solidarité avec la gauche
européenne de Podemos et Syriza tout en
posant la nécessité absolue de conduire un
grand virage écologique, on m’a caricaturée. Peu m’importe.
A la vérité, une écologie libre pose problème parce qu’elle fait mentir les pronostics établis. Une écologie aux ordres plaît
davantage aux conservateurs. C’est une
promesse de conformisme, une ambition
sans contenu, une politique sans transcendance. Or qui ne voit que c’est précisément
cette absence de transcendance qui tue
notre République ? Les Français désespèrent de la politique parce que les politiques
menées sont sans horizon, sans souffle,
sans vision projetant un avenir meilleur.
L’idéal européen lui-même est en train de
mourir sous les coups conjugués des amis
de la finance et des nationaux-populistes.
Il nous faut ouvrir une voie nouvelle. Je
m’y emploie, avec d’autres. Depuis longtemps déjà, je plaide ainsi pour une refondation écologique de notre République,
basée sur la logique des biens communs.
La première avancée serait d’inscrire l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique dans notre Constitution. J’ai formulé cette proposition il y a quelque temps
déjà. On m’a alors opposé qu’il ne fallait pas
toucher à la Constitution. Mais nous sortons de l’odieux feuilleton de la déchéance
de nationalité. J’affirme qu’il serait plus
essentiel, plus digne et plus conforme au
sens de l’histoire de déclarer que notre République est désormais une République
écologique qui se préoccupe de la préservation du vivant, de la nature et des droits des
générations futures.
UN AÉROPORT INUTILE
Au lieu de cela, nous accumulons les retards. La loi de transition énergétique reste
en grande partie lettre morte malgré un
amoncellement de promesses. Nous n’encourageons nullement l’innovation technologique en faveur de l’environnement.
Nous découvrons avec effroi qu’on nous
ment sur des informations essentielles
concernant la sûreté nucléaire, alors même
qu’on ne cesse de reporter l’effectivité de la
fermeture de Fessenheim. Le gouvernement s’obstine à défendre un projet d’aéroport inutile à Notre-Dame-des-Landes, et
organise une consultation qui n’a que les
apparences de la démocratie. Je compte
bien y jeter toutes mes forces pour convaincre du danger et de l’inutilité de ce projet.
Plus généralement, si je veux me tenir à
distance du petit monde de l’entre-soi parisien et de la manie de l’hypercommentaire,
je n’entends pas rester muette ou immobile
dans les temps qui viennent. Si je me suis
éloignée des enjeux internes à mon parti,
c’est pour mieux écouter la population de
notre pays, et en particulier les jeunes générations, que je veux convaincre de construire un avenir écologique.
C’est à mes yeux l’un des enjeux de la
présidentielle à venir. Le temps est proche
où, à nouveau, les Françaises et les Français auront à choisir une direction et à déterminer ensemble qui devra conduire la
politique du pays. L’écologie doit être représentée dans le débat qui vient. Je me
battrai pour que notre candidature soit la
plus efficace possible, qu’elle rassemble
largement, qu’elle agrège des femmes et
des hommes issus de traditions diverses
mais réunis par la même volonté de transformation de la société. Nous pouvons
faire naître l’espoir. Les arguments d’autorité des conservateurs sont autant de herses qu’ils veulent infranchissables. La
chose étrange est qu’ils prétendent de surcroît incarner la modernité. Rien n’est plus
faux. L’avenir nous appartient. p
¶
Cécile Duflot est ancienne ministre
du logement et députée de Paris
Europe Ecologie-Les Verts
epuis 1987, à Berlin, la journée du 1er mai est l’occasion, pour des centaines
de jeunes, d’user de projectiles,
cocktails Molotov, tirs de mortier, fusées diverses. Le 1er mai 2016
n’a pas dérogé à la règle, tout en offrant un contraste saisissant avec
les scènes des années 1980-2000 :
les « casseurs », comme on les appelle en France, se sont bien réunis
sur les lieux habituels, mais la violence s’est comme évaporée. A la
différence des dernières manifestations françaises, la police berlinoise
a neutralisé ceux qu’on appelle en
Allemagne aussi les « casseurs », en
plein milieu d’un rassemblement
pacifique et festif, et sans provoquer de remous. Le même weekend, d’autres interventions policières usaient de la force soit contre
des anarchistes et autonomes,
soit contre des néonazis, soit contre
les deux à la fois, à Stuttgart
(500 interpellations !), à Bochum, à
Zwickau et ailleurs. La violence et la
détermination des protestataires
n’étaient pas moindres sur ces lieux
qu’à Paris ou à Rennes. La police a
employé la force. Force est restée à
la loi, donc, mais surtout , force est
restée dans la loi.
En Allemagne, la doctrine du
maintien de l’ordre est celle de la
« dés-escalade » (Deeskalation). Elle
vise la recherche de la minimisation des violences collatérales,
inutiles ou dangereuses, et le dialogue permanent avec la foule. On en
retrouve des déclinaisons dans
maints pays d’Europe : les officiers
de dialogue et les Special Police
Tactics (SPT) en Suède, la event police au Danemark, les peace units
aux Pays-Bas, les liaison officers en
Angleterre, ou encore le modèle dit
des « trois D » (dialoguer, désamorcer, défendre) en Suisse romande.
Ces nouveaux modèles européens
déclinent quatre grands principes :
une conception des logiques de la
foule différente de la psychologie
des foules toujours au cœur de la
conception enseignée aux policiers
français ; la facilitation et l’accompagnement des manifestations ;
le développement de la communication à tous les stades d’une opération de maintien de l’ordre et enfin la différenciation et le ciblage
des interventions de rétablissement de l’ordre.
EXPLIQUER, ÉCLAIRER
La psychologie des foules en circulation est nourrie de démarches
d’observation expérimentale et
participative. Elle établit que les individus dans la foule conservent
leur faculté de penser de manière
autonome tant qu’ils ne perçoivent
pas de groupe adverse ou hostile.
Dans ce cas alors, ils font foule et se
laissent aller à des comportements
collectifs éventuellement violents
et incontrôlés. Tout l’enjeu est alors
pour les policiers de faire en sorte
de maintenir le dialogue et la communication tout au long de la
manifestation et de l’événement, et
avec le plus de groupes possible. Pas
seulement avec les organisations
qui ont déclaré la manifestation,
mais avec les composantes des
cortèges. Expliquer, éclairer, apparaître aux côtés des manifestants.
L’emploi de la force, lorsqu’il survient, poursuit alors une double finalité : neutraliser certains individus, faire la démonstration au plus
grand nombre que la violence n’est
pas tournée vers la foule, mais seulement concentrée sur les personnes qui la menacent. Les policiers
déploient alors deux équipes : ceux
EN ALLEMAGNE,
LA DOCTRINE EST
CELLE DE LA
« DÉS-ESCALADE » :
MINIMISATION DES
VIOLENCES
ET DIALOGUE
PERMANENT
AVEC LA FOULE
qui interpellent et, dans le même
temps, ceux qui expliquent les interpellations en cours. Cette complémentarité de la force et de la parole s’illustre ainsi : des policiers
lourdement équipés interpellent un
individu au sol, ou arrachent une
banderole qu’ils estiment litigieuse,
ou éloignent un groupe hostile,
et, simultanément, au plus près de
l’action, des policiers équipés de
gilets fluo, par exemple marqués
« Anti-Konflikt-Team », dialoguent.
L’exercice n’est parfois pas aisé,
mais il est efficace. Parfois même,
les policiers emploient des hautparleurs puissants pour expliquer
ce qu’il en est.
COLÈRE, HOSTILITÉ ET ANGOISSE
Ces changements profonds des doctrines de maintien de l’ordre n’ont
pas échappé aux polices françaises.
Le rapport de la commission de
l’Assemblée nationale formée après
les événements de Sivens en mentionne certains éléments, qui sont
publics. Mais ils semblent ne pas
pénétrer les polices françaises. Tout
se passe en effet comme si ces
dernières n’en adoptaient qu’un volet – le raffinement des techniques
d’intervention – sans considérer le
volet complémentaire indispensable – la communication.
On l’a vu avec l’exemple du tronçonnement de la manifestation parisienne : cette technique employée
en Allemagne ou en Angleterre, qui
consiste à sectionner un cortège
pour en exfiltrer les éléments perturbateurs, a suscité chez les manifestants au mieux l’incompréhension, au pire la colère, l’hostilité et
l’angoisse. De même, nos polices savent interpeller au compte-gouttes.
La gendarmerie a développé les ULI
(unités légères d’intervention) dans
les années 1990 ; à leur suite, les
CRS ont aux mêmes fins développé
les binômes – section protection et
intervention et section d’appui et
de manœuvre. Mais sans refondation générale de la philosophie du
maintien de l’ordre. Ces techniques
semblent poursuivre des objectifs
d’affichage politique quant au plus
grand nombre possible de déferrements devant les tribunaux.
La police en maintien de l’ordre
est tournée vers la satisfaction des
objectifs politiques, alors qu’elle
tend d’abord, ailleurs en Europe, à
la pacification des cortèges. On
comprend donc à cette aune que la
réforme d’un maintien de l’ordre
est moins d’ordre technique que
d’ordre politique : c’est toute une
conception du rapport entre la police, les manifestants et le politique
que les expériences européennes
actuelles amènent à repenser. p
¶
Olivier Fillieule est professeur
de science politique à l’université
de Lausanne
Fabien Jobard est chercheur au
CNRS (Centre Marc-Bloch à Berlin)
débats & analyses | 23
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
Les transgenres
face à l’élection
présidentielle de 2017
Traité transatlantique :
« Tu veux ou tu veux pas ? »
Pour la première fois en France, une enquête
scientifique a offert la possibilité de
répondre « autre » à la question concernant
le sexe afin d’étudier les choix politiques
ParJANINE MOSSUZ-LAVAU
et RÉJANE SÉNAC
C
ent soixante-six. C’est le
nombre de personnes qui,
dans le panel « Election
présidentielle 2017 » du Centre de
recherches politiques de Sciences
Po (Cevipof), ne se définissent ni
comme « femme » ni comme
« homme », mais comme « autre »
Pour la première fois en France,
une enquête scientifique a offert
la possibilité de répondre « autre »
à la question concernant le sexe
et d’étudier les francs-tireurs qui
ne se retrouvent pas dans la catégorisation binaire, seule autorisée
par le droit. Sur les 20 319 individus interrogés, 166 se montrent
réfractaires au port de l’étiquette
« femme » ou « homme », soit
0,82 % de l’échantillon, ou encore,
si l’on extrapole à l’ensemble de la
population, environ 600 000 qui
refusent les cases officielles. Des
« autres » dont les instances internationales, suivies en cela par plusieurs contrées, prônent la reconnaissance.
L’identité de genre a été défendue en 2007 par un collège d’experts de l’ONU, pour qui elle se réfère « à l’expérience intime et
personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à
la naissance ». Des pays admettent
une troisième identité : l’Inde avec
les hijras, l’Australie, la Malaisie, la
Nouvelle-Zélande, l’Afrique du
Sud ou le Népal. D’autres permettent de choisir son sexe administratif : l’Argentine depuis 2012, la
Colombie, l’Allemagne (2013), le
Danemark (2014), le Québec
(2015).
En France, nous n’en sommes
pas là. En mars, la cour d’appel
d’Orléans a renvoyé à l’inscription
« sexe masculin » une personne
intersexuée qui avait obtenu
en 2015 de pouvoir apposer la
mention « sexe : neutre » sur ses
papiers. Pourtant, en réponse à la
condamnation de la France par la
Cour européenne des droits de
l’homme et aux recommandations de la Commission nationale
consultative des droits de
l’homme, une proposition de loi,
enregistrée en septembre 2015 à
l’Assemblée nationale, vise à faciliter la modification de la mention du sexe à l’état civil (notamment en la démédicalisant). Sans
suite pour l’instant.
« NI HOMME NI FEMME »
Mais ces « autres » existent et savent pourquoi ils se positionnent
ainsi. Ils l’explicitent en répondant à une question ouverte de
notre enquête, à partir de laquelle
sont construits les groupes présentés ici par taille décroissante.
Le premier réunit ceux qui se
sentent à la fois homme et
femme, « mi-homme, mi-femme »,
« un peu des deux », qui ont « une
part féminine et une part masculine ». Le deuxième revendique
son appartenance au genre humain. Une priorité quand on se
voit comme « des personnes à part
entière », des détenteurs de droits
« qui n’ont pas de sexe ». On rencontre, dans un troisième groupe,
ceux qui répondent « ni homme ni
femme », « ni l’un ni l’autre », « ni
féminine ni masculine », exprimant un refus plus marqué des
stéréotypes accompagnant les
identités proposées. Le quatrième
groupe associe le sentiment de
marginalisation sociale à celui de
la perte, y compris de l’identité
sexuée. Ne travaillant pas, âgés,
handicapés, ceux qui en font par-
LES « AUTRES »
NE SONT PAS
DE JEUNES
UNIVERSITAIRES
CONTAMINÉS
PAR LA REDOUTÉE
« THÉORIE DU GENRE »
tie s’estiment illégitimes, au point
de s’exclure des catégories traditionnelles. Le cinquième groupe
se veut celui du « flou », de ceux
qui se disent « androgyne », « atypique » ou « transgenre, intergenre ».
Un sixième groupe rassemble
les personnes qui s’accolent des
noms d’animaux comme « chien
malade », « alligator », « animal de
laboratoire » ou du joli « demivampire, demi-sorcière, avec un
zeste d’extraterrestre ». Ce ne sont
pas des pirouettes mais une vraie
résistance devant l’assignation binaire. Dans un dernier groupe,
c’est au nom d’une orientation
sexuelle (« homosexuel », « lesbienne », « lesbos hétéro ») qu’on
rejette l’appellation contrôlée.
Les « autres » se distinguent
aussi par leur profil sociodémographique, sexuel et politique. Ils
comptent plus de seniors et
moins de diplômés du supérieur.
Ce ne sont donc pas de jeunes
universitaires contaminés par la
redoutée « théorie du genre », séduits par ce que ses contempteurs
appellent une mode et brocardent
comme un conformisme. Leurs
choix semblent plutôt liés à leur
sexualité. En effet, 12 % se désignent comme bisexuels, contre
1 % seulement des femmes et 2 %
des hommes ; 7,5 % se déclarent
asexuels (1 % des femmes, 0,5 %
des hommes). Des troupes perçues comme marginales, des sujets encore tabous.
Ils se situent volontiers « très à
gauche » : 10 % contre 3 % chez les
femmes et 4 % chez les hommes ;
7 % sont proches du Nouveau
Parti anticapitaliste (1 % des femmes, 2 % des hommes) ; 10 % sont
dans la mouvance d’Europe Ecologie-Les Verts (5 % des femmes,
4 % des hommes). Ils prévoient
un vote en faveur de Philippe
Poutou : en suffrages exprimés et
dans l’hypothèse d’une candidature, 5,5 % d’entre eux (2 % des
femmes comme des hommes)
l’épauleraient en 2017.
Ces résultats plaident pour une
prise en compte d’une troisième
catégorie dans le droit et dans les
enquêtes scientifiques. Quand elles y sont obligées, les personnes
acceptent de figurer sur les affiches classiques. Mais dès qu’on
leur en offre la possibilité, certaines s’évadent. Les convictions intimes ressurgissent, révélant sous
le vernis des conventions des aspirations inattendues. Pour les
sciences biologiques et médicales,
la détermination du sexe est une
« affaire compliquée », de l’ordre
du continuum plus que de la binarité. Respecter cette réalité
exige un effort intellectuel et l’acceptation d’un inconfort, nécessaires pour sortir de l’idéologie. In
fine, ne peut-on imaginer un avenir sans la mention du sexe dans
l’état civil ? p
¶
Janine Mossuz-Lavau
et Réjane Sénac sont
chercheuses au CNRS et
au Cevipof (Sciences Po-CNRS).
Analyse
cécile ducourtieux
bruxelles - bureau européen
L’
occasion était, semble-t-il, trop belle.
Mardi 3 mai, à peine vingt-quatre heures après la publication par
Greenpeace de documents confidentiels donnant une photographie
plus précise de l’état des discussions
entre Européens et Américains, François Hollande a
dit « non, à ce stade » au Tafta, le désormais fameux
traité de libre-échange que l’Union européenne
tente de négocier avec les Etats-Unis. Mi-avril, il
avait déjà abordé ce sujet sur lequel, ces dernières
années, contrairement à la chancelière allemande,
Angela Merkel, il était resté très discret. Mais jamais
encore le président français n’avait été aussi clair.
Très maladroitement défendu, au début, par la
Commission européenne (elle négocie au nom des
vingt-huit pays membres), qui ne mettait en avant
que d’hypothétiques bénéfices économiques, le
Tafta n’en finit plus de susciter les critiques. Opacité
des négociations, menaces sur la protection des
consommateurs, sur l’agriculture et sur l’environnement en Europe… L’extrême gauche européenne,
une partie de l’extrême droite et nombre de mouvements citoyens dénoncent un traité supposé porter
en germe le pire de la mondialisation : le nivellement des normes par le bas, les destructions d’emplois, les fermetures d’usines.
Pour le président, s’opposer au Tafta, est un petit
coup politique. Cela fait très Nuit debout : à court
terme, cela ne peut qu’aider dans le cadre de l’actuelle opération de reconquête politique engagée
par M. Hollande. Mais est-ce habile, si on se place
dans une perspective de long terme, qui devrait être
celle de tous nos politiques ?
Car, de deux choses l’une : soit le gouvernement
français estime qu’un traité de libre-échange avec
les Etats-Unis n’est pas une bonne chose, et il aurait
dû le dire avant, au moins le 13 juin 2013, lorsqu’il a
officiellement accepté, lors d’un conseil des ministres des affaires étrangères, avec les vingt-sept
autres gouvernements de l’Union, d’entrer en discussion avec Washington. Soit, au contraire, Paris
pense qu’un accord visant à fluidifier et à intensifier les relations commerciales entre les deux
grands pôles de l’Occident est une bonne chose.
Qu’il ouvrira des perspectives pour l’agriculture, les
industries et les services européens, sur un marché
américain encore très fermé. Bref, qu’il permettra
d’éviter que le centre de gravité commercial de la
planète ne se déplace complètement dans la zone
pacifique. Et il se bat en conséquence pour obtenir
un accord équilibré.
La France a prouvé qu’elle pouvait, efficacement,
monter au créneau, quand ses intérêts étaient en
jeu. Paris s’est en effet battu bec et ongles à Bruxelles, en 2013, pour que le secteur audiovisuel soit exclu du champ de la négociation du Tafta, au nom de
l’exception culturelle. Le secrétaire d’Etat au com-
merce, Matthias Fekl, s’est aussi démené pour améliorer le dispositif d’arbitrage des conflits entre
Etats et multinationales. Avec succès : Bruxelles a
fini par proposer un mécanisme plus transparent
aux Américains.
Rompre la négociation est évidemment une option toujours sur la table quand les parties se trouvent dans une impasse ou que l’une des deux
campe sur des positions inacceptables. Mais les
documents divulgués par Greenpeace ne font pas
état d’une telle situation de « crise ». Leur grand
intérêt est de faire apparaître, pour la première fois,
la position américaine, sur plusieurs points essentiels de la discussion. Sur la coopération réglementaire, les Américains insistent clairement pour
imposer leur modèle. Greenpeace redoute même
qu’ils essayent de contourner le principe de précaution européen, pour mieux imposer leurs industriels, fabricants d’OGM et de pesticides. Washington demande aussi que sa manière de réglementer,
en impliquant les lobbys très en amont du processus, soit adoptée par l’Union.
En revanche, les Etats-Unis restent sur la défensive, notamment sur l’ouverture plus grande de
leurs marchés publics aux entreprises du Vieux
Continent, et continuent à refuser de reconnaître
les indications géographiques européennes. En
face, les Européens ne donnent absolument pas
l’impression de céder sur leurs intérêts « offensifs », notamment les marchés publics et les appellations d’origine.
Mais tous les proches des discussions le disent :
les négociations sont en cours, les parties sont loin
d’avoir posé toutes leurs cartes sur la table. C’est
pour ça que, pour l’instant, elles n’en sont pas encore arrivées au stade des concessions. On n’en est
pas encore au end game, comme disent les négociateurs, cette « fin de partie » où il sera alors vraiment
temps de juger si le compromis est acceptable, s’il
faut conclure ou retirer ses billes.
LA TENTATION D’UN ACCORD « BÂCLÉ »
Du coup, pendant cette négociation au long cours,
la meilleure stratégie reste la fermeté, la vigilance.
Pour éviter que Washington impose sa manière de
légiférer, pour obtenir des concessions sur les « intérêts offensifs » européens. Il faut aussi se garder
de la tentation d’un accord « bâclé », tentation assez
sensible à Berlin, où Angela Merkel a répété, ces derniers jours, qu’elle voulait faire « tout son possible »
pour boucler un accord Tafta dans l’année, avant la
fin du mandat Obama.
Le très opportuniste coup de gueule français, audelà de son manque de cohérence, ne va pas aider à
renforcer la position commune européenne. De
quoi auront l’air les négociateurs bruxellois, la prochaine fois qu’ils se retrouveront autour de la table
avec les Américains ? Ces derniers, pas réputés pour
être des tendres, et ulcérés qu’une ONG ait rendu
publiques leurs positions, demanderont peut-être,
avec une pointe d’agacement dans la voix : « On
veut bien continuer à discuter, mais vous ? Il faudrait
peut-être que vous arriviez à vous mettre d’accord
entre vous, non ? » Et ils n’auraient pas tort. p
LE TRÈS
OPPORTUNISTE
COUP DE GUEULE
FRANÇAIS,
AU-DELÀ
DE SON MANQUE
DE COHÉRENCE,
NE VA PAS AIDER
À RENFORCER
LA POSITION
COMMUNE
EUROPÉENNE
Les migrants ou la faillite des politiques
H
onte à ceux qui ne
voient que guenilles.
Regardez bien. Ils portent la lumière de
ceux qui luttent pour leur vie. »
Dans un poème sur ces hommes
et ces femmes que l’Europe tente
de repousser, alors qu’ils appellent au secours, l’écrivain Laurent
Gaudé rhabille le réfugié, ajustant
son projecteur sur son habit de
lumière. Trop éblouissant sans
doute pour que la classe politique
puisse le regarder en face.
L’opuscule collectif sur les migrants se referme sur ces vers
écrits par le lauréat du prix Goncourt 2004. Laurent Gaudé, qui a
écrit un roman sur Lampedusa, a
fait le déplacement de Calais, vu
cette « honte française » qui lui a
inspiré un autre texte fort. Déjà
paru dans Le 1, ce « ressenti » de sa
visite dans le plus grand bidonville de France est devenu un classique. C’est à ce titre qu’il est repris
en ouverture de cet opuscule collectif de 96 pages, où se répondent des universitaires, des écrivains et des journalistes.
Pourquoi les migrants ? ne se limite pas à un état des lieux. Ce petit livre met en perspective le sujet
qui s’est imposé à l’Europe
comme un de ses « problèmes »
majeurs. Les auteurs sélectionnés
par Eric Fottorino, directeur du 1,
et son équipe rappellent que les
pays ne devraient même pas se
poser la question de l’accueil ou
du refoulement, juste assurer leur
devoir ; car, comme le précise le
démographe François Héran, « on
ne divise pas par deux un droit ».
« L’infusion durable »
Pour que les choses soient claires,
chercheurs et journalistes rappellent ce qu’est ce droit d’asile né
en 1951, qui a eu du mal à trouver à
s’harmoniser en Europe. Pédagogique, le livre redonne aussi des
repères chronologiques et sémantiques à l’heure où l’amalgame facile entre « réfugié » et
« migrant » apporte de l’eau au
moulin des bâtisseurs de murs.
Derrière ces travaux de chercheurs, résumés sans être caricaturés, perce à chaque page la
faillite du politique. Un des rares à
avoir pris la plume sur le sujet est
Jean-Paul Delevoye. En observateur, il pose la question la plus
cruciale du moment : « Est-ce que
les politiques guident les peuples
ou est-ce qu’ils les suivent ? » La réponse est dans la question et
plusieurs contributions racontent comment ceux qui dirigent
l’Hexagone se sont inventé une
nouvelle histoire de France, celle
d’une terre d’accueil.
Pourtant, « la France n’est pas un
grand pays d’asile !, rappelle François Héran. Eric Besson, ministre
de l’immigration, répétait à satiété que nous étions les plus généreux. C’était totalement erroné…
La France est très loin de l’image
que les politiques veulent donner d’elle. » Ce qui était vrai durant le quinquennat Sarkozy n’a
pas été démenti depuis 2012,
même si le taux d’admission à
l’asile a augmenté.
Et d’ajouter : « Notre modèle n’est
pas celui de l’invasion massive,
mais celui de l’infusion durable…
Une approche trop souvent
oubliée dans un pays où un quart
de la population est immigrée ou
descendant d’immigré. » Une vérité à laquelle ramènent les pages
concises d’un petit livre qui résume bien les enjeux de la crise
migratoire de ce début du
XXIe siècle. p
maryline baumard
POURQUOI LES
MIGRANTS ? COMPRENDRE
LES FLUX DE POPULATION
Editions Le 1/Philippe Rey,
96 pages, 7,90 euros
24 | 0123
0123
DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016
L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE
par sylvie kauffmann
L’EUROPE
CÉLESTE
veau par la ministre de l’éducation, Najat
Vallaud-Belkacem.
Ils étaient venus pour décerner au pape
une récompense, certes, méritée, mais qui
reflète en creux la situation tragique dans
laquelle les dirigeants européens se sont
enfermés : l’incapacité à résoudre les crises
qui menacent le Vieux Continent – migrants, chômage, exclusion —, voire le renoncement. Faute de parvenir à agir, ils
donnent par ce voyage à Rome l’impression de s’en remettre au spirituel.
Le pape, lui, qui est revenu de son voyage
à Lesbos, en Grèce, avec quelques demandeurs d’asile syriens, ne se réfugie pas dans
l’Europe céleste. Il a vigoureusement rappelé l’Europe à sa promesse : « Que t’est-il
arrivé, Europe humaniste, paladin des
droits de l’homme, de la démocratie et de la
liberté ? » Sermon sévère pour une Europe
qui, avec ce prix Charlemagne habituellement décerné à Aix-la-Chapelle, cherche régulièrement à renouer avec les racines carolingiennes et catholiques des pères fondateurs Robert Schuman, Konrad
Adenauer et Alcide de Gasperi.
Mais, en cette année 2016, le catholicisme
n’est pas toujours très chrétien, ni européen : le pape jésuite en est conscient, il a
dénoncé, sans les nommer, le repli identitaire, qui frappe notamment la Hongrie, la
Pologne, la Slovaquie et l’Autriche, pays de
contre-réforme, qui refusent d’accueillir
Ouragan
sur le Golfe
A
u royaume de « MBS »,
l’homme fort de l’Arabie saoudite, plus formellement connu sous
le nom de vice-prince héritier Mohammed Ben Salman, on ne fait
pas dans la demi-mesure. Lorsqu’on exécute, c’est par dizaines. Et
quand on licencie, c’est par dizaines de milliers.
Lorsqu’il a présenté, le 25 avril, sa
« vision pour 2030 », programme
ultra-ambitieux de transformation de l’économie du pays, le
jeune prince ignorait-il que la
grande entreprise saoudienne de
BTP Saudi Ben Laden lui ravirait la
vedette quelques jours plus tard,
en annonçant la suppression de
77 000 emplois ? Il y a pourtant un
point commun à ces deux événements : tous deux témoignent de
la force de la tempête qui souffle
sur les monarchies pétrolières du
Golfe depuis que la chute des
cours du pétrole est devenue une
réalité durable et structurante. Ou,
plus exactement, déstructurante.
S’il n’y avait que l’effondrement
des prix du pétrole ! C’est bien à
une multiplicité de crises et de retournements que sont confrontés
aujourd’hui ces pays du désert, si
confortablement assis sur leurs réserves d’or noir que certains
avaient cru que cela durerait toujours. Pas tous : plus clairvoyants,
les Emirats arabes unis et le Qatar
ont cherché à diversifier leurs revenus depuis plusieurs années. A
Abou Dhabi, le mot-clé « vision »,
dont l’Arabie saoudite vient seulement de s’emparer, fait tant partie
du vocabulaire officiel qu’il a déjà
un côté éculé. La « vision » de
l’émir a permis de sabrer sans états
d’âme dans les dépenses publiques et de ramener en dix ans la
part du pétrole dans le PIB d’Abou
Dhabi de plus de 50 % à 30 %. En
Arabie saoudite, l’or noir fournit
90 % des caisses de l’Etat. On comprend pourquoi MBS veut décrocher son pays de « l’addiction au
pétrole ». Une tâche titanesque.
« Multiples convulsions »
D’autant plus titanesque que l’horizon est singulièrement sombre.
Tant de vents contraires traversent la région que, à cette intensité-là, ce n’est plus une tempête,
c’est un ouragan. Les dirigeants
des pays du Golfe qui veulent faire
bonne figure en présentant la
chute du prix du baril comme une
occasion de faire enfin des réformes doivent aussi se rendre à l’évidence : la baisse a, en parallèle, provoqué une chute spectaculaire des
investissements de l’industrie pétrolière. De 700 milliards de dollars (613 milliards d’euros) en 2014,
ces investissements passeront à
400 milliards cette année. L’impact de l’absence de projets, avertissent les experts, se fera sentir
d’ici trois ou quatre ans, avec un
inévitable déclin de la production.
A cette incertitude s’ajoute – et
c’est ce qui inquiète le plus les monarques du Golfe – une grave instabilité régionale. Le retour de
l’Iran, fort de l’accord sur le nucléaire et de la levée des sanctions,
déstabilise profondément Riyad.
« Cet accord a tout changé, reconnaît un spécialiste occidental. Pendant trente ans, les Saoudiens dominaient la région. A présent les
Iraniens sont rentrés dans le jeu :
c’est un élément fondamental,
source de multiples convulsions. »
L’OPEP, le cartel qui, au siècle dernier, assurait la domination du
L’INDISPENSABLE
CHANGEMENT DE
MODÈLE ÉCONOMIQUE
NE SE FERA PAS
SANS HEURTS
CHUTE DU PRIX
DU BARIL, COUPES
BUDGÉTAIRES, RETOUR
DE L’IRAN, GUERRES
EN SYRIE ET AU
YÉMEN : LA SITUATION
EST EXPLOSIVE POUR
LES MONARCHIES
PÉTROLIÈRES
marché du pétrole à quelques pays
producteurs, est aujourd’hui une
organisation chaotique et affaiblie, théâtre de ces convulsions : sa
dernière réunion, à Doha en avril,
s’est terminée par un échec, lorsque l’Iran a refusé de suivre la proposition de l’Arabie saoudite. L’intransigeance de Riyad a irrité les
émirs, qui souhaitent ardemment
un Iran stable, si près d’eux.
Ce n’est pas du contexte géopolitique que viendra le salut. Le
Moyen-Orient est en feu, la guerre
en Syrie concentre un nombre record de puissances belligérantes,
et l’Arabie saoudite a entraîné une
dizaine de pays arabes sunnites,
dont plusieurs du Golfe, dans une
autre guerre, au Yémen, qui leur
coûte cher. Non contents d’avoir
bouleversé le marché des hydrocarbures avec le schiste, les Américains donnent des signes de désengagement de la région, source
supplémentaire d’affolement ; les
commentaires très durs de Barack
Obama sur ses « alliés » du Golfe,
trop heureux de profiter de la protection militaire américaine mais
incapables de mettre la main au
portefeuille pour y participer, ont
fait frémir plus d’une moustache
dans les palais dorés.
C’est évidemment pour l’Arabie
saoudite que le défi posé par ce
monde nouveau est le plus redoutable, et sa capacité à le relever est
le point d’interrogation majeur de
la région. Avec 30 millions d’habitants, la suppression des subventions à l’essence, à l’eau, à l’électricité, voire l’introduction de la TVA
– la notion d’impôt sur le revenu
reste pour l’instant un anathème
dans la région –, peuvent avoir des
conséquences autrement explosives que pour le petit Qatar qui
compte 2,5 millions d’habitants,
dont 300 000 Qataris. Il n’a pas
échappé aux sujets de MBS que le
groupe Ben Laden ne licencie pas
seulement Indiens et Philippins,
mais aussi 15 000 Saoudiens.
L’indispensable changement de
modèle économique ne se fera pas
sans heurts ni sans évolution sociale, religieuse et politique. Au
Qatar, dans les Emirats et en Arabie saoudite, on assiste à une relève générationnelle au sommet :
l’émir du Qatar a 35 ans, MBS en a
30. C’est le bon moment. Dans notre Occident qui aime les choses
simples, on évoque une convergence « MBS-MBZ », sorte d’alignement idéal dans lequel le jeune,
fougueux et médiatique Mohammed Ben Salman rejoindrait la ligne réformatrice longuement mûrie de Mohammed Ben Zayed, le
prince héritier de l’émirat d’Abou
Dhabi. Mais pas un des meilleurs
experts de la région ne s’aventurerait à parier sur les chances de succès de la « vision » MBS.
« On est au tout début du “printemps arabe”, quasiment les premières semaines, commente un
homme d’affaires arabe installé
dans le Golfe. Il s’agit d’un changement profond, une véritable remise
en cause de l’ordre colonialiste.
Daech, les rapports entre la religion
et l’Etat, tout ça, ce sont des phénomènes passagers. » p
F
aute de parvenir à construire l’Europe terrestre, ou au minimum à la
sauver, les responsables politiques
européens semblent s’en être remis à l’Europe céleste. En procession, les dirigeants
de l’Union européenne se sont rendus à
Rome, au Vatican, ce vendredi 6 mai, pour
remettre le prix Charlemagne au pape
François. Ils étaient tous là, ou presque : la
chancelière allemande Angela Merkel, les
présidents de toutes les institutions communautaires (le Polonais Donald Tusk, le
Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l’Allemand Martin Schulz, l’Italien Mario Draghi), le premier ministre italien, Matteo
Renzi, le roi d’Espagne. La République française était représentée à un moindre ni-
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l’Autre, surtout s’il est musulman. « Les réductionnismes et toutes les tentatives d’uniformisation, loin de générer des valeurs, condamnent nos peuples à une cruelle pauvreté :
celle de l’exclusion », a accusé François.
Surtout, en demandant à l’Europe d’être
« capable de donner naissance à un nouvel
humanisme », le pape a invité ses hôtes à
passer à l’action. Et à retrouver l’esprit et le
pragmatisme de la déclaration Schuman,
qui lança le 9 mai 1950 l’aventure européenne. « Dans notre monde divisé et blessé,
il faut retourner à cette solidarité de fait, à la
même générosité concrète qui a suivi le
deuxième conflit mondial. »
Les dirigeants politiques sont fermement
invités à agir, même si, par définition, leurs
actions sont un compromis complexe entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Lorsque l’Union européenne
avait reçu, en 2012, le prix Nobel de la paix,
François Hollande avait fait la moue, expliquant qu’ils allaient recueillir un prix mérité par les pères de l’Europe d’hier. « Mais
nous devons nous aussi être des héros »,
avait rétorqué Angela Merkel. Cette année,
la chancelière a eu cette étoffe dans sa gestion des réfugiés. Le prix Charlemagne
aurait dû lui être remis – une seconde fois
après celui de 2008 – plutôt qu’au pape. Le
chemin montré aux Européens eût été plus
éclairant, fût-il semé d’embûches. François
et le ciel peuvent attendre. p