Page 9 Le Monde Dimanche 8 - Lundi 9 Mai 2016
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DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 72E ANNÉE – NO 22181 2,40 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE WWW.LEMONDE.FR ― FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO Emmanuel Macron entre les lignes A près Stéphane Bern en 2014 et Audrey Pulvar en 2015, Emmanuel Macron devait présider, dimanche 8 mai, à Orléans les 587es Fêtes de Jeanne d’Arc, commémorant la libération d’Orléans par la Pucelle. L’occasion pour le ministre de l’économie, qui répond à une invitation d’Olivier Carré, maire Les Républicains de la ville, de développer sa vision de la République, quelques jours après que François Hollande a explicité sa conception de la gauche. Et peut-être de préciser un peu quels sont les tenants et les aboutissants du « macronisme ». C’est un fait, Emmanuel Macron brouille les lignes en politique en pré- tendant enjamber le traditionnel clivage gauche-droite pour construire une majorité en 2017. Pourtant, l’ex-banquier a toujours revendiqué son attachement à l’idéologie pour soigner un pays dépressif. « On a créé un pragmatisme au quotidien. Il manque quelque chose », diagnostiquait-il dès le début du quinquennat, fustigeant « une gauche postmoderne qui a renoncé aux grandes histoires pour régler de petits désaccords locaux ». Quelle idéologie alors pour Emmanuel Macron ? « Il entre dans tous les sujets par le prisme de la liberté, c’est un vrai libéral », juge Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès. Parmi ses SADIQ KHAN PREMIER MAIRE MUSULMAN DE LONDRES proches, certains évoquent la lignée Jacques Delors, ou rocardienne, d’autres le comparent à Tony Blair jeune… L’intéressé entretient à volonté le flou : le « macronisme », « je suis incapable de le définir », répond-il au Monde, « je crois dans mon pays ». Et sans doute en lui. → LIR E PAGE 7 2 EN QU ÊTE Regarde pas ci, regarde pas ça PORTRAIT L’addiction aux émissions à succès reste un plaisir coupable. Confessions intimes d’accros à la télé populaire a été élu avec 57 % des voix. Retour sur les vingt ans qui ont propulsé cet avocat spécialiste des droits de l’homme sur le devant de la scène politique britannique MORGANE LE GALL POUR « LE MONDE ». P. ROBERT/M6. PH. LEROUX/FRANCE 3. PH. LE ROUX/ALP/TF1. C.G. JERUSALMI/D8. FRANCE 2. P. OLIVIER/M6. A. FAIDY/ AUTOFOCUS PROD. FRANCE 3. NRJ12. S. SMITH/JPLSTUDIOS. ▶ Le candidat travailliste Le 7 mai, au City Hall de Londres. INTERNATIONAL – PAGE 2 TOBY MELVILLE/REUTERS 4 B U R E AU X- T I C S LinkedIn, le « lien faible » qui fait fort Soudain, un inconnu frappe à la porte de votre réseau… 6 SP O RT Quatre applis dans la course Pour améliorer vos performances au sprint ou seulement courir en vous amusant DIM A NC H E 8 - LU NDI 9 M A I 2016 CAHI E R D U « MO ND E » N O 22181 - NE PE U T Ê TR E VE ND U SÉ PAR É ME NT Europe Le Hongrois Viktor Orban propage la démocratie illibérale L a crise des migrants a été un formidable carburant alimentant son dessein : le premier ministre Viktor Orban promeut en Hongrie la démocratie non libérale. Ce modèle autoritaire fait désormais florès dans toute l’Europe centrale : il est un modèle en Pologne pour le PiS de Jaroslaw Kaczynski, en Slovaquie pour le social-démocrate allié à l’extrême droite Robert Fico. Un quart de siècle après la chute du communisme, les popu- « Hitnrun Phase Two », l’ultime enregistrement en studio du musicien décédé le 21 avril vient de sortir dans le monde entier ▶ Le registre des 214 000 structures offshore administrées par Mossack Fonseca sera publié lundi 9 mai LIR E PAGE 6 Jean BREHAT Rachid BOUCHAREB & Muriel MERLIN présentent Fabrice LIR E PAGE 1 7 Canada La ville pétrolière de Fort McMurray est évacuée I LUCHIN Juliette E BINOCH UE-Turquie Erdogan refuse de modifier la loi antiterroriste Valeria DE SCHI E T I N U R B LIR E PAGE 3 Assurancechômage Le Medef hésite à claquer la porte des négociations ▶ L’homme qui a fourni 11,5 millions de documents panaméens a transmis un manifeste à la « Süddeutsche Zeitung » LIR E NOT R E S U P P LÉ M E NT LIR E PAGE 8 Aux portes de Fort McMurray, Alberta, le 6 mai. J. FRANSON/CANADIAN PRESS/AP C’ est l’exode. Les 80 000 habitants de la région de Fort McMurray fuient les flammes qui ravagent la forêt. Direction le sud. En voiture ou en avion, avec un pont aérien mis en place par les autorités. Cent mille hectares sont partis en fumée. La gestion défectueuse de la forêt, mal nettoyée des souches et du bois mort, est mise en cause dans la catastrophe. Si les installations pétrolières et gazières ont été épargnées, la production est réduite et les cours du pétrole sont repartis à la hausse. A Fort McMurray, le centre de la ville, l’hôpital et l’aéroport ont été épargnés par les flammes. Mais la reconstruction sera longue et coûteuse. → LIR E Ma 1 ÉD ITO R IAL L’EUROPE CÉLESTE LIR E PAG E 2 4 E T N O S IN FO R MAT IO N S PAG E 3 Design : Laurent Pons / TROÏKA • Photo : R. Arpajou © 3B LE LANCEUR D’ALERTE S’EXPLIQUE POUR LA PREMIÈRE FOIS GÉOPOLITIQUE – PAGE S 1 0 À 1 3 Ils sont fous de « Plus belle la vie », ne rateraient pour rien au monde « Amour, gloire et beauté »... Un plaisir souvent coupable Design : Laurent Pons / TROÏKA • Photo : R. Arpajou © 3B Panama papers listes sont au pouvoir dans ces pays. On y assiste à une régression de la démocratie, doublée d’une crispation identitaire et souverainiste. Comme l’explique le chercheur Jacques Rupnik : « Cest un retour de l’Europe centrale, mais pour défendre cette fois une identité et une civilisation européennes qui seraient menacées par la Russie à l’est et l’islamisme au sud. » Culture Le dernier album de Prince, funky à souhait e t u o L ONT uno DUM Br Laurena THELLIE un film RAPdH,eDidier DESPRES, Cyril RIGAUX, Laura DUPRE, Thierry LAVIEVILLE, , Caroline CARBON R, Manon ROYÈRE Avec Jean-Luc NIER don LAVIEVILLE, VINCENT, Bran VENDREDI 13 MAI PAGE 5 Algérie 200 DA, Allemagne 2,80 €, Andorre 2,60 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,40 €, Cameroun 2 000 F CFA, Canada 4,75 $, Chypre 2,70 €, Côte d'Ivoire 2 000 F CFA, Danemark 32 KRD, Espagne 2,70 €, Espagne Canaries 2,90 €, Finlande 4,00 €, Gabon 2 000 F CFA, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,80 €, Guadeloupe-Martinique 2,60 €, Guyane 3,00 €, Hongrie 990 HUF, Irlande 2,70 €, Italie 2,70 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 2,40 €, Malte 2,70 €, Maroc 15 DH, Pays-Bas 2,80 €, Portugal cont. 2,70 €, La Réunion 2,60 €, Sénégal 2 000 F CFA, Slovénie 2,70 €, Saint-Martin 3,00 €, Suisse 3,60 CHF, TOM Avion 480 XPF, Tunisie 2,80 DT, Turquie 11,50 TL, Afrique CFA autres 2 000 F CFA INTERNATIONAL Sadiq Khan, du HLM à la mairie de Londres 2| 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Travailliste, fils de chauffeur de bus pakistanais, il est le premier maire musulman d’une capitale occidentale PORTRAIT permis à Ed Miliband, dont il était le bras droit, d’être élu en 2010 à la tête du Labour contre son propre frère David. L’ex-leader l’a remercié en le nommant ministre chargé de Londres dans son cabinet fantôme, tremplin vers la candidature à la mairie. Sadiq Khan a ensuite brillamment conduit la campagne des législatives du Labour de 2015 à Londres, où, en terrain sociologiquement favorable, il a aidé le parti à conquérir 45 des 73 sièges de député de la mégapole. Dernière en date des manifestations de son habileté politique : l’an passé, contre toute attente, il a battu Tessa Jowell, la candidate de l’establishment blairiste, favorite dans la course à l’investiture pour l’élection municipale de Londres. Pour obtenir les faveurs de la gauche du parti, il a rappelé son opposition de toujours à la guerre en Irak. Il a mis aussi en valeur le parrainage qu’il a accordé à Jeremy Corbyn pour lui permettre de se présenter à la primaire du Labour, où ce dernier a été élu à la surprise générale en septembre 2015. Mais une fois choisi pour candidat pour la mairie de Londres, Sadiq Khan s’est rapidement démarqué du nouveau patron du parti, lui reprochant de renforcer l’image « anti-juive » du Labour par ses rencontres avec le Hamas et le Hezbollah. Il a aussi qualifié d’« erreur » son refus de chanter le God Save the Queen lors de cérémonies. D’ailleurs, M. Corbyn n’est apparu sur aucun document de campagne du candidat travailliste et pratiquement jamais sur le terrain avec lui. londres - correspondant J e serai le meilleur maire pour Londres. » Rencontré quelques jours avant son élection à la tête de la capitale britannique, vendredi 6 mai, Sadiq Khan, 45 ans, semble à première vue conforter le portrait qu’en livrent ses adversaires : sûr de lui jusqu’à l’arrogance. « Il ne perd jamais », dit de lui l’un de ses conseillers, en rappelant que l’élu travailliste a appris la boxe dans son enfance. Pourtant, quand cet homme trapu aux cheveux grisonnants et aux yeux de félin prend la parole sous la pluie au milieu d’une soixantaine d’habitants de Bexley, en grande banlieue de Londres, pour défendre un espace vert menacé par des promoteurs, son empathie, son charisme et son éloquence paraissent relever de l’évidence. « Fils d’immigré pakistanais et à l’aise, c’est un oxymore pour vous ? », tacle-t-il un peu plus tard, au cours d’un entretien dans un café italien. « Mon parcours symbolise le fait que Londres est une ville formidable. J’aime cette cité qui m’a donné toutes mes chances », résume alors celui qui a été élu à la tête de la capitale britannique en rassemblant 57 % des suffrages sur son nom. Qu’il le veuille ou non, l’accession de ce fils de famille modeste et de foi musulmane au sommet d’une des villes les plus cosmopolites du monde (8,7 millions d’habitants, dont 1 million de musulmans) est regardée comme un événement. Toutes proportions gardées, Sadiq Khan serait à Londres ce que Barack Obama a été aux EtatsUnis. Loin de la masquer, il a porté sa différence en bannière pendant toute la campagne. De fait, s’il y a deux choses qu’aucun Londonien ne peut ignorer à propos de Sadiq Khan, c’est qu’il est le fils d’un chauffeur de bus pakistanais et qu’il est musulman. Ces deux détails biographiques, pas nécessairement engageants pour tous les électeurs, il les a mis en avant comme ses principaux atouts. Le fils de chauffeur de bus ? Sadiq Khan posait sur ses dépliants glissés dans toutes les boîtes aux lettres devant un magnifi- LE CONTEXTE REVERS EN ÉCOSSE La victoire nette aux élections du 5 mai à Londres (57 % des voix contre 43 % au conservateur Zac Goldsmith) fait oublier le résultat en demi-teinte du Labour de Jeremy Corbyn en Angleterre et le grave revers qu’il a essuyé en Ecosse. Sitôt sa victoire officialisée dans la nuit de vendredi à samedi, M. Khan a remercié les Londoniens d’avoir « choisi l’espoir plutôt que la crainte », allusion à la campagne de M. Goldsmith, qui tentait de l’associer à l’islamisme et au terrorisme. ÉCHEC DE CROSBY L’élection de Sadiq Khan, premier maire musulman d’une grande capitale occidentale, marque l’échec de la stratégie « raciale » du communicant Lynton Crosby, qui avait géré avec succès les campagnes de Boris Johnson en 2008 et 2012. M. Johnson, qui ne se représentait pas, dirige désormais la campagne conservatrice en faveur de la sortie de l’Union européenne. Sadiq Khan chez lui, dans le quartier populaire de Tooting, dans la banlieue sud de Londres, le 26 février. KALPESH LATIGRA que « double-decker » rutilant, symbole du bus 44 qu’a conduit son père pendant des années. Ancien ministre travailliste des transports, il promet de geler le prix des transports en commun, dont il attribue le coût prohibitif – le plus élevé d’Europe – à la gestion de son prédécesseur, le conservateur Boris Johnson. « Garçon élevé en HLM » Le musulman britannique ? Croyant, pratiquant, il est le mieux placé, assure-t-il, pour « combattre l’extrémisme » en incitant la grande masse modérée de ses coreligionnaires à « dénoncer à haute voix l’extrémisme ». Les musulmans britanniques « doivent faire davantage pour extirper ce cancer », a-t-il déclaré en novembre 2015, après les attentats de Paris. Lui, qui se présente comme « le maire de tous les Londoniens », a critiqué le multiculturalisme en vigueur au RoyaumeUni : « Nous avons protégé le droit des gens à vivre selon leurs traditions culturelles aux dépens du vivre-ensemble. Trop de musulmans britanniques grandissent sans vraiment connaître personne d’une origine différente. » Son troisième atout est d’être un « garçon élevé en HLM », ce qui lui permet de se présenter en champion face à la toute première obsession des Londoniens : la folie des prix de l’immobilier, due notamment à une pénurie de mises en chantier. « Londres est la plus grande ville du monde mais elle perd des points à cause de l’impossibilité d’y vivre, sauf à consacrer la moitié de ses revenus à son loyer ou à ses remboursements d’emprunt, explique-t-il. Ce ne sont plus seulement les chauffeurs de bus ou les professeurs qui ne peuvent plus suivre, ce sont désormais les médecins, les cadres et les banquiers ! » Son parcours de réussite, c’est celui de Londres, n’a-t-il cessé de répéter en substance pendant toute la campagne, transformant le conte de fées de sa propre ascension sociale en bande-annonce de ses ambitions pour une villemonde dont le dynamisme attire la planète entière. « La promesse de Londres a toujours été : “Quelles que soient tes origines, si tu travailles dur, tu trouveras une main pour t’aider et tu pourras tout réussir.” C’est ce qui m’est arrivé, résume-t-il. Mais aujourd’hui, trop de Londoniens, en particulier des jeunes, ne peuvent plus aller jusqu’au bout de leur talent. Les prix des logements et de la vie sont hors de leur portée et plus personne ne les aide. Maire de Londres, je veux être cette main secourable pour les Londoniens de toutes origines. » Et d’égrener les étapes de sa success story. Premier de la fratrie à naître à Londres, il a été élevé dans un HLM surpeuplé du quartier populaire de Tooting avec ses six frères et sa sœur, par des parents durs à la tâche – un père ne refusant jamais les heures supplémentaires, sauf le dimanche pour emmener ses enfants au musée, et une mère qui cousait des robes pour 25 pence la pièce tout en préparant les repas. Il raconte son expérience du racisme ordinaire, qui l’a conduit parfois à exercer ses talents de boxeur, ses professeurs de l’école publique qui l’ont poussé vers les études supérieures, sa carrière d’avocat spécialisé dans les droits de l’homme, comme son épouse Saadiya… Puis la plongée en politi- « Je veux être cette main secourable pour les Londoniens de toutes origines » SADIQ KHAN Lors de sa campagne pour la mairie de Londres que : conseiller municipal à 24 ans, député de Tooting à 34 ans, ministre à 37 ans. « Le premier musulman à accéder au conseil privé de la reine », a-t-on dit de lui quand le premier ministre travailliste, Gordon Brown, lui a confié le portefeuille des transports, en 2009. Avant la première séance en présence d’Elizabeth II, Buckingham l’a appelé pour lui demander sur quel genre de Bible il comptait prêter serment. Il a demandé un Coran. Il n’y en avait pas. Il a apporté son propre exemplaire. « Identités multiples » A force de prétendre transformer ses origines et sa religion en atouts dans la campagne municipale, il a reçu la monnaie de sa pièce. Amplement. Le premier ministre David Cameron l’a accusé d’avoir « servi de couverture à des extrémistes ». Les journaux conservateurs ont sorti des photos où il figure en mauvaise compagnie : aux côtés de Suliman Gani, un imam radical de sa circonscription, ou dans une réunion d’un collectif « contre la terreur politique » soutenu par Al-Qaida. Dans le Mail on Sunday, son adversaire conservateur Zac Goldsmith a été jusqu’à associer son nom aux attentats terroristes de 2005, n’hésitant pas à le comparer aux « dégoûtants personnages » de l’islam radical. L’intéressé répond que dans un meeting, « on ne sait pas toujours qui va parler après vous » et qu’en tant qu’avocat spécialisé dans les dossiers de droits de l’homme, il a évidemment défendu de « dégoûtants personnages ». La foi musulmane, « c’est une partie de qui je suis, explique-t-il. Mais, comme tout le monde, j’ai des identités multiples : je suis un Londonien, un Britannique, un Asiatique d’origine pakistanaise, un supporteur de Liverpool, un père, un mari, un travailliste et un musulman ». Pratiquant – il ne boit pas d’alcool et jeûne pour le ramadan – mais tolérant, en bons termes avec les autres cultes, il a été visé par une fatwa lorsqu’il a pris fait et cause pour le mariage gay. Pour la journaliste Yasmin Alibhai-Brown, l’élection de Sadiq Khan démolit le discours anti-occidental des extrémistes et apparaît comme « le pire cauchemar pour les terroristes ». « Si un musulman peut être élu par des millions de citoyens de toutes origines pour diriger l’une des plus grandes villes du monde, écrit-elle dans le Guardian, comment pourraient-ils continuer de faire croire que les musulmans n’ont pas d’avenir en Europe ou que les Occidentaux les haïssent ? » Politiquement, Sadiq Khan s’affiche en modéré, pragmatique et proeuropéen. Alors que le Labour cumule revers politiques et défaites électorales, il est crédité de trois victoires personnelles : il a Souplesse politique Le fils de chauffeur de bus a séduit une partie de la très cosmopolite City en promettant d’être « le maire le plus pro-business que Londres ait jamais connu ». Une forfanterie, de la part de celui qui va succéder à l’ultralibéral Boris Johnson. Sadiq Khan veut « aider les entreprises à prospérer » et exclut toute augmentation de la fiscalité les visant. Face aux prix astronomiques de l’immobilier, l’ancien « gamin élevé en logement social » ne promet ni contrôle des loyers (hors des compétences du maire) ni réquisitions, mais un programme de construction de logements locatifs abordables et une chasse aux propriétaires voyous. Sa souplesse politique l’a conduit à abandonner son soutien à l’extension de l’aéroport d’Heathrow – une position insoutenable pour les Londoniens – pour vanter celle de Gatwick, bien plus éloigné de la capitale. Son engagement européen est en revanche une constante. « Comment voudriez-vous que le maire d’une ville où plus de 500 000 emplois sont directement liés à l’UE puisse souhaiter la sortie de l’Union ? », lance Sadiq Khan. Et d’entonner un hymne à la diversité culturelle et culinaire qu’apportent à Londres les 550 000 citoyens européens, « ces amis » qui y ont élu domicile et dont il n’oublie évidemment pas qu’ils font partie du corps électoral lors des municipales. Le nouveau combat du boxeur travailliste ne fait que commencer. Boris Johnson, auquel il succède, aspire à remplacer David Cameron à Downing Street. Premier maire musulman d’une capitale européenne, Sadiq Khan va prendre des coups. Mais lui qui « ne perd jamais » sait depuis l’enfance comment les rendre. Avec une véhémence un peu trop appuyée, il prétend n’avoir aucune ambition de devenir premier ministre. Mais il n’ignore rien du fantastique tremplin politique sur lequel il est désormais juché. p philippe bernard international | 3 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 L’accord entre l’UE et la Turquie sur le fil du rasoir Le président turc refuse de modifier la loi antiterroriste comme le prévoyait le texte signé avec Bruxelles rome - envoyée spéciale istanbul - correspondante L’ accord sur les migrants signé le 18 mars entre l’Union européenne et la Turquie est-il toujours d’actualité ? Au lendemain de la mise à l’écart du premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, l’interlocuteur privilégié des Européens dans ce dossier, le président Recep Tayyip Erdogan a montré qu’il reprenait la main, bien décidé à mettre Bruxelles au pied du mur. La Turquie n’a pas l’intention de procéder aux modifications de sa loi antiterroriste comme le prévoit l’accord, a fait savoir M. Erdogan dans un discours aux accents abrupts, prononcé dans le quartier d’Eyüp, à Istanbul, vendredi 6 mai. « Au moment où la Turquie subit les attaques des organisations terroristes et des structures qui les soutiennent, l’Union européenne nous demande de modifier la loi sur le terrorisme. Les visas seront abolis à cette condition, c’est ce qu’ils disent. Désolé, allez votre chemin, nous suivrons le nôtre. Entendez-vous avec qui vous pouvez… », a déclaré le numéro un, très applaudi. Entré en vigueur début avril, l’accord prévoit le retour en Turquie de tous les migrants et réfugiés arrivés après le 20 mars sur les îles grecques de la mer Egée. En retour, Ankara a obtenu une aide financière (6 milliards d’euros), une accélération de la libéralisation des visas pour les ressortissants turcs voulant se rendre dans l’espace Schengen et la reprise des négociations d’adhésion à l’UE. L’exemption de visas d’ici à la fin juin était jusqu’ici perçue comme le principal acquis de l’accord. La Commission européenne vient d’approuver cette mesure, à condition qu’Ankara remplisse les cinq derniers critères exigés (sur 72 au départ), dont une redéfinition de la loi antiterroriste, jugée trop vague. Son champ d’application doit être réduit, « des critères de proportionnalité » doivent être introduits. Réduire les opposants au silence En guerre sur deux fronts, contre les rebelles du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, autonomiste) dans le sud-est du pays et contre les djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI) sur son flanc sud (19 morts à Kilis depuis janvier), la Turquie « ne peut pas se permettre » de changer sa définition du terrorisme, a souligné le ministre turc aux affaires européennes, Volkan Bozkir, cité vendredi par le quotidien progouvernemental Sabah. Le président Erdogan souhaite au contraire l’élargir afin de réduire ses opposants au silence. « Les terroristes ne sont pas seulement ceux qui appuient sur la gâchette, mais aussi ceux qui rendent ces actes possibles. (…) Ce pourrait être des journalistes, des députés ou des représentants de la société civile », avait martelé le chef de l’Etat le 14 mars, au lendemain d’un attentat meurtrier (37 morts) perpétré à Ankara. C’est sous l’inculpation de terrorisme que pourraient être jugés 49 des 59 députés du Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde), accusés de soutien au PKK. Leur immunité parlementaire est en passe d’être levée. La mesure concerne 116 des 550 députés du Parlement, accusés de malversations pour la plupart ; 8 % des députés du Parti de la justice et du développement (AKP, au pouvoir depuis 2002) sont concernés, 83 % dans les rangs du HDP. L’éviction de ces députés entraînerait une recomposition du Parlement, ouvrant la voie à l’adoption de la réforme constitutionnelle voulue par le président Erdogan, qui l’a qualifiée vendredi de « nécessité urgente ». Applaudi par les militants de base de l’AKP, le coup de gueule de surtout au Parlement européen, mais aussi dans les capitales, notamment à Paris. Les nouvelles exigences de la Turquie pourraient braquer un peu plus les eurodéputés, notamment les conservateurs, majoritaires dans l’hémicycle à Bruxelles. « L’accord EU-Turquie a été négocié avec le gouvernement turc, M. Davutoglu n’est pas encore parti, il faut continuer à travailler avec lui », précisait une source diplomatique européenne vendredi soir. « Ce qu’Erdogan veut peut-être, c’est provoquer une réaction forte de l’UE. Le pire serait une réaction en retour très négative du Parlement européen qui casserait l’accord avec Ankara dans les heures qui suivent », ajoutait cette source. Le président Erdogan se sent en « Désolé, allez votre chemin, nous suivons le nôtre. Entendezvous avec qui vous pouvez » RECEP TAYYIP ERDOGAN président turc M. Erdogan inquiète les dirigeants européens. Cruciale, la question des visas menace de mettre l’accord au tapis. Une procédure accélérée, aménagée tout spécialement pour la Turquie, n’est pas envisageable. D’autant que les réticences à la libéralisation des visas sont profondes, position de force sur la question des réfugiés. Près de trois millions de Syriens victimes du conflit ont trouvé refuge en Turquie ; des dizaines de milliers campent dans un no man’s land à la frontière syrienne et 400 000 déplacés pourraient grossir leurs rangs dans le cas d’une offensive aérienne russe sur Alep. Si l’accord s’effondre, les dirigeants turcs ont menacé d’expédier vers l’Europe des centaines de milliers de réfugiés. « Ne croyez pas que les bus et les avions soient ici pour rien, nous ferons le nécessaire », avait menacé M. Erdogan le 11 février, excédé par les appels pressants lancés par l’Europe pour que son pays retienne le flot des migrants. p cécile ducourtieux et marie jégo Prison ferme pour deux journalistes du quotidien « Cumhuriyet » deux journalistes du quotidien d’opposition Cumhuriyet, Can Dündar et Erdem Gül, ont été condamnés, vendredi 6 mai, à cinq ans et dix mois de prison pour le premier, à cinq ans pour le second, par un tribunal d’Istanbul pour « divulgation de secrets d’Etat ». Les deux journalistes, qui ont été laissés en liberté, vont faire appel. Ils sont également poursuivis, dans une autre procédure, pour « liens avec une entreprise terroriste ». L’accusation reprochait aux deux hommes d’avoir publié des articles et une vidéo montrant une livraison d’armes, opérée en 2014 par les services secrets turcs (MIT) aux rebelles syriens. Leur procès, Le pape plaide pour un nouvel humanisme européen En recevant le prestigieux prix Charlemagne, François a appelé les dirigeants de l’UE à s’occuper des réfugiés et des jeunes emblématique des atteintes à la liberté d’expression en Turquie, a été largement suivi par les diplomates occidentaux. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a fustigé leur présence au tribunal dès l’ouverture du procès. Agression à main armée Les audiences ont eu lieu à huis clos. Le chef de l’Etat, qui s’est constitué partie civile aux côtés des services secrets, a accusé les journalistes d’avoir sali la réputation de la Turquie, allant jusqu’à souhaiter publiquement qu’ils « paient le prix fort » pour leurs écrits. L’annonce du verdict a été précédée, vendredi, d’une agres- sion à main armée contre Can Dündar. Sorti de la salle d’audience à l’occasion d’une pause, il a été visé à trois reprises par un agresseur qui a crié « traître » en lui tirant dessus. Can Dündar n’a pas été touché. L’attaquant a été interpellé par la police. Selon l’agence Dogan, il s’agirait de Murat Sahin, 40 ans, originaire de Sivas, une ville conservatrice du nord-est de la Cappadoce. « Nous avons vécu deux tentatives d’assassinat en deux heures, a commenté Can Dündar. L’une par arme à feu et l’autre judiciaire. Je sais que les ordres des plus hautes instances ont joué un rôle dans le jugement. » p m. jé. “UN NANNI MORETTI À LA MODE HISPANIQUE” LES INROCKS “SÉDUISANTE COMÉDIE PHILOSOPHIQUE” L’EXPRESS “UNE FANTAISIE SUBTILE ET DÉCALÉE” LES CAHIERS DU CINÉMA “UNE COMÉDIE EXISTENTIELLE TRAVERSÉE ÇA ET LÀ PAR LE FANTÔME DE BUÑUEL” rome - envoyée spéciale Q ue t’est-il arrivé, Europe humaniste, paladin des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ? » En recevant le prestigieux prix Charlemagne, qui récompense des personnalités ayant œuvré pour la construction européenne, le pape François a prononcé un discours très politique, vendredi 6 mai, au Vatican. Au premier rang dans la Sala Regia, la salle royale du palais apostolique, les présidents des trois institutions communautaires de l’UE, Donald Tusk pour le Conseil, Martin Schulz pour le Parlement, et Jean-Claude Juncker pour la Commission, mais aussi la chancelière allemande, Angela Merkel, étaient venus chercher des paroles d’encouragement de la part du souverain pontife, alors qu’ils tentent de recoller les morceaux d’une Europe profondément divisée sur la question des migrants, menacée par le populisme et les forces centrifuges eurosceptiques. Ils n’ont pas reçu une leçon de morale, mais une injonction à aller de l’avant, plutôt que de regretter le passé comme ils le font si souvent, multipliant les références à l’héritage oublié des pères fondateurs, la paix retrouvée sur le continent, la fin des totalitarismes, etc. François les a aussi pressés de s’occuper, au premier chef, du sort des migrants, mais aussi de celui des jeunes : « Nos jeunes ont un rôle prépondérant. Ils ne constituent pas l’avenir de nos peuples, mais ils sont le présent ; ils sont ceux qui, déjà par leurs rêves, par leur vie, sont en train de forger l’esprit européen. Nous ne pouvons pas penser l’avenir sans leur offrir une réelle « Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit » LE PAPE FRANÇOIS participation comme agents de changement et de transformation. Nous ne pouvons pas imaginer l’Europe sans les rendre participants et protagonistes de ce rêve. » Il a ajouté, encore plus direct et incisif : « Comment pouvons-nous faire participer nos jeunes à cette construction lorsque nous les privons (…) de travaux dignes qui leur permettent de se développer grâce à leurs mains, grâce à leur intelligence et à leur énergie ? Comment voulons-nous leur reconnaître la valeur de protagonistes, lorsque les taux de chômage et de sous-emploi de millions de jeunes Européens sont en augmentation ? Comment éviter de perdre nos jeunes, qui finissent par aller ailleurs à la recherche d’idéaux et de sens d’appartenance parce qu’ici, sur leur terre, nous ne savons pas leur offrir des opportunités et des valeurs ? » Capacité intégratrice de l’UE Sur la migration, une de ses principales préoccupations, François, « fils d’immigrés italiens », comme l’a rappelé M. Schulz lors de son allocution, a aussi eu des mots très forts. « Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier », a-t-il déclaré, sans pour autant condamner ni le refus d’accueillir des réfugiés de certains Etats membres (Hongrie, Pologne, Slovaquie…) ni l’accord, très contesté, signé entre Bruxelles et Ankara en mars. En visite, mi-avril, à Lesbos, l’île grecque transformée en camp de rétention pour réfugiés, le pape avait aussi évité toute critique à l’égard de Bruxelles, mais il avait déjà déploré les « ghettos » empêchant les migrants de s’intégrer dans la société européenne. Vendredi, il a réinsisté sur la nécessité pour l’Europe de retrouver sa capacité intégratrice, elle dont l’identité a « toujours été dynamique et multiculturelle ». François avait prononcé des paroles très dures, en novembre 2014, devant le Parlement européen, regrettant une « Europe grand-mère et non plus féconde et vivante ». Il a été plus positif vendredi, encourageant le Vieux Continent à donner d’urgence naissance à un « nouvel humanisme européen ». La dernière phrase de son discours résume cette sévérité et cette ambition : « Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humains a été sa dernière utopie. » Après le discours du président américain, Barack Obama, fin avril, rappelant aux Européens qu’ils doivent être fiers d’eux-mêmes, ce vibrant appel papal va-t-il aider l’Union à surmonter ses crises ? « Espérons qu’il poussera à une prise de conscience, notamment à l’est de l’Europe », glissait une source européenne, alors que Bruxelles a pris le risque, mercredi 4 mai, d’exacerber encore plus les tensions entre capitales, en présentant une réforme avec de fortes pénalités financières pour les pays refusant les réfugiés. p cécile ducourtieux et cécile chambraud (à paris) TÉLÉRAMA “PETIT CONTE PHILOSOPHIQUE À LA DENSITÉ OUATÉE DES PLUS AGRÉABLES” LE MONDE “UNE COMÉDIE PINCESANS-RIRE PLEINE D’AUTODÉRISION” FROGGY’S DELIGHT “UN HUMOUR À LA FOIS DISCRET ET DÉCALÉ” LA CROIX “ENTRE FABLE ABSURDE À LA BUÑUEL ET CONTE PHILOSOPHIQUE FAÇON ITALO CALVINO, IL REND DISTRAYANT UNE CRISE EXISTENTIELLE !” PREMIÈRE “DIEU MA MÈRE ET MOI REND HOMMAGE À WOODY ALLEN EN IMAGINANT SON PENDANT LUNAIRE ET LATIN” POSITIF “CE FILM PERTINENT POSE SIMPLEMENT LA QUESTION DU LIBRE ARBITRE NIÉ À LA NAISSANCE” LE PARISIEN “COMIQUE ET INQUIÉTANT, SURGI COMME UN DIABLE D’UNE IMPROBABLE BOÎTE À MALICES, UN FILM À LA FOIS LÉGER ET COMPLEXE, AUX MULTIPLES ÉCHOS” SLATE UN FILM DE FEDERICO VEIROJ ACTUELLEMENT AU CINÉMA 4 | international 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Irak : les partisans de Moqtada Sadr calment le jeu L’autre courant proréformes, laïque, a manifesté seul, vendredi, aux abords de la « zone verte », à Bagdad LE CONTEXTE bagdad - envoyée spéciale L a place de la Libération, au centre-ville de Bagdad, avait des airs de lendemain de fête, le 6 mai. En ce premier vendredi de manifestation après l’invasion de la « zone verte », le quartier ultra-sécurisé qui abrite les principales institutions du pays, seuls 400 manifestants du courant civil et laïc ont rejoint cette place devenue le lieu de rendez-vous hebdomadaire du mouvement pro-réformes depuis l’été 2015. Après que des milliers de ses partisans ont investi, le 30 avril, la « zone verte » et le Parlement, le chef religieux et politique chiite Moqtada Sadr a décidé de calmer le jeu. Accusé d’avoir attenté au prestige de l’Etat et conforté par des promesses du gouvernement, il a enjoint ses partisans à rester manifester dans leurs quartiers. L’imposant dispositif sécuritaire déployé autour du centreville et la présence renforcée des milices au motif d’empêcher tout débordement n’ont pas dissuadé le petit groupe de manifestants du courant civil à satisfaire à leur rituel. Emmenés par le leader communiste Jassem El-Helfi, ils ont retrouvé le petit coin de place qu’ils occupent habituellement au milieu d’une marée humaine sadriste. « Le prestige de l’Etat, c’est aussi la dignité du citoyen » : les slogans répondent aux condamnations par les autorités des événements du week-end précédent. « Etre là aujourd’hui pour continuer à soutenir nos demandes de réformes, c’est un défi lancé au gouvernement et aux partis politiques face au renforcement des mesures de sécurité », justifie M. Helfi. Le leader communiste a été parmi les animateurs du vaste mouvement de contestation populaire lancé le 31 juillet 2015 à Bagdad après la mort de Mountasar Al-Helfi, un jeune manifestant de Bassora de 17 ans tué par les forces de sécurité. Le sud du pays manifestait alors contre l’incapacité des autorités à fournir les services VIDE POLITIQUE Depuis le 9 février, le premier ministre Haïder Al-Abadi tente d’imposer un gouvernement de technocrates, qu’il juge plus à même d’imposer les réformes politiques et économiques promises à la suite de mouvement de contestation civil né à l’été 2015. Il est confronté à de fortes résistances des partis politiques, en premier lieu celle de son propre parti, le parti religieux chiite Etat de droit (Dawa). Populaire auprès de milliers d’Irakiens issus des quartiers populaires de Bagdad et des villes chiites du sud du pays, le chef politique et religieux chiite Moqtada Sadr s’est imposé à la tête du mouvement de contestation. Le 30 avril, il a lancé ses milliers de partisans à l’assaut de la « zone verte » et du Parlement pour protester contre un nouvel échec des députés à introniser les technocrates que M. Abadi a choisi pour un remaniement ministériel. Manifestants du courant civil et laïque sur la place de la Libération, à Bagdad, vendredi 6 mai. LAURENT VAN DER STOCKT POUR « LE MONDE » de base face aux chaleurs suffocantes de l’été. La faillite même de l’Etat était dénoncée. La déroute de l’armée irakienne face à l’organisation Etat islamique (EI), qui s’est emparée d’un tiers du territoire en juin 2014, et la crise financière ont mis en lumière l’échec d’un système miné par la corruption et le clientélisme politique. Le tournant de l’été 2015 Pour les quelques centaines de militants civils et laïcs bien seuls à porter ces revendications depuis la fin des années 2000, l’été 2015 a été un tournant. Pour la première fois, des milliers d’Irakiens se sont joints à eux pour réclamer la fin du système politique sectaire et confessionnel mis en place après la chute de Saddam Hussein en 2003. « Le seul moment de ma courte vie où j’ai cru voir de la lumière au bout du tunnel a été le déclenchement des manifestations. C’était la première fois dans l’histoire de l’Irak moderne que les gens disaient sans peur leur volonté d’imposer des réformes », raconte Adham Adel, un poète chiite de 29 ans, actif dans le mouvement civil à Bagdad depuis l’université. Les militants civils ont d’abord accueilli favorablement le ralliement de Moqtada Sadr et de ses milliers de partisans, issus des quartiers défavorisés de Bagdad et des villes du sud chiite, à la fin de l’été. Les promesses de réformes du premier ministre Haider Al-Abadi tournaient déjà court face aux réticences des partis politiques, notamment dans le camp chiite au pouvoir, à renon- « Les islamistes ont réussi à kidnapper le mouvement » ADHAM ADEL poète et militant laïque en faveur des réformes cer à leurs privilèges. Le courant sadriste a donné un nouveau souffle au mouvement, alors que les Irakiens s’en détournaient et que l’ayatollah Ali Al-Sistani, la plus haute autorité religieuse chiite du pays, soutien affiché du mouvement, perdait espoir d’être entendu. Neuf mois plus tard, la désillusion est totale pour Adham Adel. « Les islamistes ont réussi à kidnapper le mouvement. Le courant sadriste est l’un des facteurs de corruption en Irak : il a des ministres et des hauts fonctionnaires. Il a beaucoup de comptes à régler avec les différents acteurs politiques chiites. Il veut faire d’une pierre deux coups : régler ses comptes et gagner les cœurs et esprits des Irakiens pour revenir en force », poursuit-il. En mars, lui et quelque 200 autres manifestants civils ont refusé une nouvelle rencontre avec Moqtada Sadr et arrêté de manifester. « Ils ont cessé de se coordonner avec nous. Le courant sadriste sera le grand gagnant de ces événements », explique Hamid Djerjia, 44 ans, président de l’association Univers pour le développement humain. Difficiles négociations pour la paix au Yémen L’ Arabie saoudite est-elle prête à forcer le gouvernement yéménite, en exil à Riyad, à négocier la paix avec la rébellion houthiste, contre laquelle le royaume est entré en guerre dans la nuit du 25 au 26 mars 2015 ? Pour l’heure, les pourparlers qui se sont ouverts officiellement le 18 avril au Koweït, sous l’égide des Nations unies, ont pour seul mérite d’exister, après deux précédentes tentatives avortées en juin et en décembre 2015 en Suisse, et de forcer les parties à respecter un cessez-le-feu, régulièrement violé mais qui tient globalement depuis un mois. Le dialogue a repris mercredi 4 mai, après un retrait de trois jours de la délégation gouvernementale, au prétexte d’une attaque mineure contre une base militaire de la province d’Amran par la rébellion qui s’était emparée de l’essentiel du pays entre septembre 2014 et mars 2015 avec l’aide des forces de l’ex-président Ali Abdallah Saleh. En fin de semaine dernière, Mohammad Abdoulsalam, le chef de la délégation houthiste, estimait que le gouvernement Hadi « souhaite que les pourparlers s’éternisent, c’est dans son intérêt ». Peu d’observateurs présents au Koweït lui donnent tort. Pour l’heure, les discussions qui se sont ouvertes au Koweït, sous l’égide des Nations unies, ont pour seul mérite d’exister Nombre d’acteurs du camp gouvernemental peuvent trouver un intérêt à poursuivre la guerre contre la rébellion chiite, basée à la frontière sud de l’Arabie saoudite et jugée infiltrée par le grand rival régional de Riyad, l’Iran. C’est le cas du parti Al-Islah, la branche yéménite des Frères musulmans, dont les milices combattent la rébellion et qui peut espérer affermir sa position sur le terrain. C’est aussi le cas du vice-président Ali Mohsen Al-Ahmar, un militaire doté de réseaux islamistes et tribaux puissants en temps de guerre mais au capital politique usé par trois décennies au pouvoir aux côtés de son cousin, l’ex-président Saleh, devenu son ennemi juré. Le président, Abd Rabo Mansour Hadi, sait, quant à lui, n’avoir pas de rôle majeur à jouer dans un Yémen en paix. Ses errements depuis le « printemps yéménite », qui l’a porté au pouvoir en 2012 pour une durée de deux ans, l’ont rendu impopulaire. Il s’appuie sur des milices qui ne lui sont guère loyales et dont le désarmement s’annonce difficile, après un éventuel accord. Son gouvernement ne tient que partiellement Aden, le grand port du sud dont les rebelles ont été chassés en juillet 2015. Surtout, son soutien aux bombardements saoudiens, meurtriers pour les civils, a poussé une part de la population à relativiser les exactions des houthistes, dans un conflit qui a fait plus de 6 400 morts. « Des armes, il y en a partout ! » « L’Arabie saoudite ne va pas continuer éternellement à dépenser son argent avec générosité pour les garder à Riyad, dit Mustafa Noman, ancien vice-ministre des affaires étrangères yéménite et chroniqueur pour le quotidien saoudien Okaz. Il faudra qu’ils partent. Les gouvernements ne sont pas des organes de charité. » Côté rebelles, l’ex-président Saleh, visé par des sanctions de l’ONU et appelé à quitter le pays au terme des hostilités, joue lui aussi de son pouvoir de nuisance, même si ses représentants participent aux négociations au Koweït. Ces pourparlers ont pourtant une chance d’aboutir : « Les Saoudiens veulent en finir, estime une source diplomatique. Le viceprince héritier, Mohammed Ben Salman, a affirmé son autorité. Il a rassemblé la population autour d’une cause commune » ; mais face au manque de résultats visibles, aux critiques de l’allié américain et au coût financier cumulé de l’opération, « l’Arabie saoudite a basculé dans une phase de gueule de bois », estime cette source. Cependant, le royaume ne paraît pas décidé à négocier à n’importe quel prix et l’armée saoudienne évoque encore une possible victoire sur le terrain. Le royaume a négocié directement avec les houthistes, à Riyad en début d’année. « Nous avons négocié un arrêt de la guerre à la frontière, puis l’extension du cessez-lefeu jusqu’au fin fond du Yémen, ainsi que des solutions politiques », dit Mohammad Abdoulsalam, qui « Riyad a basculé dans une phase de gueule de bois », estime une source diplomatique hélène sallon I RAK Le camp gouvernemental fait traîner en longueur les pourparlers tandis que son parrain saoudien s’impatiente koweït - envoyé spécial « Les partisans de Moqtada Sadr ne viennent pas en tant que partisans d’un courant religieux mais comme Irakiens pauvres et démunis, en quête d’un Etat de droit », défend Jassem El-Helfi, qui dit avoir obtenu des garanties du courant sadriste sur la mise en place d’un gouvernement de technocrates et le vote de lois réclamées par le mouvement civil. Avec quelque 300 militants civils, il a décidé de poursuivre le mouvement avec les sadristes. Le 30 avril, il était à leurs côtés. Hamid Djerjia dénonce, lui, une « violation du principe du pacifisme des manifestations ». « Contestataire mais pas révolutionnaire », il veut croire que le courant civil reprendra la main sur le mouvement en faveur des réformes. p a mené ces pourparlers secrets. « Nous n’avons pas de problème actuellement avec l’Arabie saoudite. » Un canal de négociation se maintient au Koweït, de source diplomatique, entre M. Abdoulsalam et l’ambassadeur saoudien. Pour l’heure, les parties divergent sur deux points majeurs : le gouvernement veut que les rebelles rendent leurs armes et abandonnent les villes occupées, suivant la résolution 2 216 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en avril 2015. Les rebelles exigent, quant à eux, la formation préalable d’un gouvernement de transition. « Des armes, il y en a partout ! Pourquoi exigerait-on que nous rendions les nôtres à un parti avec lequel nous sommes en guerre depuis un an ? Qu’est-ce qui garantira nos vies et celles de nos enfants ? », demande M. Abdoulsalam. Ces négociations pourraient encore durer un mois. De source diplomatique, on estime qu’en l’absence d’un accord durable, une solution « à l’eau tiède » acterait la prolongation du cessez-lefeu, avant de nouvelles négociations. Un échec pourrait entraîner une reprise des hostilités à une large échelle, avec le risque que la communauté internationale se désintéresse d’un Yémen en état de désintégration avancée. p louis imbert Des fosses communes découvertes dans l’ancien territoire de l’EI « Plus de cinquante fosses communes ont été découvertes dans plusieurs zones de l’Irak », sur un territoire anciennement contrôlé par les combattants de l’organisation Etat islamique, dont trois charniers sur un terrain de football à Ramadi, a annoncé, vendredi 6 mai, l’envoyé spécial de l’ONU dans le pays. Les preuves de « crimes odieux » commis par le groupe djihadiste s’accumulent à mesure que les territoires qu’il contrôlait en Irak sont repris, a expliqué Jan Kubis. On ne connaît pas encore le nombre de corps découverts. Ramadi, à l’ouest de Bagdad, a été complètement reprise aux djihadistes en février. – (AFP.) BR ÉS I L Une commission du Sénat pour la suspension de Rousseff Une commission du Sénat brésilien a approuvé, vendredi 6 mai, un rapport préconisant la suspension de la présidente Dilma Rousseff, qui pourrait être appliquée prochainement. Si ce rapport est validé par l’assemblée plénière du Sénat, Mme Rousseff sera écartée du pouvoir pendant un délai maximum de six mois, en attendant un jugement final, et remplacée par son vice-président, Michel Temer. – (AFP.) international | 5 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Face à Donald Trump, Hillary Clinton joue la « carte femme » La candidate est toujours confrontée à Bernie Sanders dans la course à l’investiture démocrate REPORTAGE oakland (californie) - A envoyée spéciale lors que Donald Trump a réussi à éliminer un à un ses 16 concurrents, Hillary Clinton n’en a pas encore fini avec son adversaire, Bernie Sanders. « Plombée par les scandales, Hillary n’arrive même pas à ébranler un socialiste de 74 ans », a perfidement analysé Fox News, la télévision conservatrice. Le système des primaires, il est vrai, est différent chez les démocrates. La règle de la proportionnelle rend l’écart plus difficile à creuser. Mais voilà. Quatre mois après les caucus de l’Iowa, alors que les médias n’en ont que pour Trump, voilà Mme Clinton, un vendredi soir, dans un obscur établissement scolaire d’Oakland, berceau de la classe ouvrière de San Francisco, à battre le pavé pour essayer de triompher d’un adversaire qui, répètent les analystes, n’a « mathématiquement » aucune chance de l’emporter. Une situation « embarrassante », reconnaît une militante venue écouter sa championne. « Mais Bernie a absolument le droit de se maintenir. Ce qu’on lui demande, c’est de se concentrer sur les questions de fond et de ne pas attaquer Hillary. » Barack Obama lui-même préfère s’abstenir d’avoir l’air de peser dans la balance. « Bernie Sanders a fait un travail extraordinaire pour soulever un certain nombre de questions importantes pour les démocrates et pour les Américains en général », a-t-il dit, vendredi 6 mai, dans une conférence de presse consacrée à l’économie. Mais le président a quand même fixé un horizon. « Ce que je sais, c’est qu’à un certain point, il va y avoir une conversation entre Bernie Sanders et Hillary Clinton sur la question de savoir comment nous nous dirigeons vers la convention. » Le teste de la Californie Quand pourrait avoir lieu cet entretien au sommet ? M. Obama n’en a rien dit. Les prochaines primaires (Virginie-Occidentale, le 10 mai ; Kentucky et Oregon, le 17 mai) sont favorables à « Bernie », qui n’a aucune raison de ne pas prolonger la course, en attendant le test de la Californie (7 juin), un Etat crucial, par le nombre de délégués en jeu (546 contre 64 pour l’Oregon, 61 pour le Kentucky et 37 pour la Virginie-Occidentale). Selon le décompte du New York Times, Mme Clinton a déjà totalisé 2 223 délégués (dont 522 super-délégués) ; M. Sanders 1 450 (dont 39 super-délégués). Il faut 2 383 délégués pour l’emporter. A l’école élémentaire La Escue- Hillary Clinton (au centre), à l’école élémentaire La Escuelita d’Oakland, en Californie, le 6 mai. DARCY PADILLA/AGENCE VU POUR « LE MONDE » « Plombée par les scandales, Hillary n’arrive même pas à ébranler un socialiste de 74 ans » FOX NEWS lita d’Oakland, ils ne sont que quelques centaines de sympathisants dans la salle de sports, mais Hillary Clinton, si on en croit la presse, préfère les réunions inti- Jeb Bush ne votera pas pour M. Trump Jeb Bush, qui s’est retiré en février de la course à l’investiture du Parti républicain à l’élection présidentielle du 8 novembre aux Etats-Unis, a annoncé, vendredi 6 mai, qu’il ne voterait pas pour Donald Trump, désormais seul en lice. Fils et frère d’anciens présidents, l’ancien gouverneur de Floride a ajouté, dans un message posté sur Facebook, qu’il ne voterait pas davantage pour Hillary Clinton, la favorite de la primaire démocrate. Son frère George W. Bush, dernier locataire républicain de la Maison Blanche (janvier 2001-janvier 2009), a indiqué après la victoire par K.-O. de Donald Trump dans la primaire républicaine qu’il se tiendrait à l’écart de la campagne présidentielle. Leur père, l’ancien président George H. Bush, a lui aussi fait savoir par son porte-parole qu’il ne se mêlait plus de politique. mistes et réserve à la campagne électorale de l’automne les discours qui remplissent les stades. Dans le public, on voit beaucoup de femmes, dont Judy, une militante venue de San Leandro, une banlieue voisine. Comme beaucoup, elle est vêtue d’un T-shirt qui proclame que « La place des femmes est à la Maison… Blanche ». Fin avril, Donald Trump a accusé l’ex-First Lady de « jouer la carte Femme » : faire de la démagogie féministe, autrement dit. Le camp Clinton a aussitôt saisi le moment et lancé des vraies « Woman Card », de la taille d’une carte de crédit (et de couleur rose). En vente sur le site de la candidate. « Je l’ai tout de suite commandée », annonce Judy. Si Hillary Clinton craignait de s’afficher comme la candidate des femmes, la présence de Donald Trump a balayé ses réticences. Droit à l’avortement, défense du planning familial, elle fait applaudir tous les thèmes classiques, et surtout la parité des salaires. Un salaire minimum augmenté et des salaires égaux : « Parce qu’être une femme ne donne pas droit à une réduction quand on est à la caisse du supermarché », proclame-t-elle. Vendredi, Barack Obama en a Droit à l’avortement, défense du planning familial, la démocrate fait applaudir tous les thèmes classiques même appelé aux femmes du camp conservateur pour faire barrage à Donald Trump. « Les électrices républicaines vont devoir décider : est-ce que j’ai l’impression que ce type me représente, moi et ce qui me préoccupe ? » Du président à son vice-président, Joe Biden, en passant par Mme Clinton, les démocrates semblent s’être donné le mot pour ne pas laisser le temps au milliardaire d’amorcer une tentative de recentrage, s’il en avait envie. « Il est important de prendre au sérieux les déclarations qu’il a pu faire dans le passé », a souligné M. Obama. Mme Clinton a cité ce que lui disait souvent une autre femme, l’écrivaine Maya Angelou : « Quand les gens vous montrent qui ils sont, croyez-les. » Mme Clinton a appelé les journalistes à presser de questions le « candidat présomptif » des républicains « également appelé leur candidat présomptueux ». Quand M. Trump dit qu’il veut abroger la réforme de l’assurance-santé, « il faut lui demander par quoi il entend la remplacer. Et si la réponse est : “par quelque chose de génial”, il faut poursuivre », a-t-elle suggéré. Là aussi, elle reprenait un sujet de préoccupation que M. Obama a exprimé à plusieurs reprises, notamment lors du dîner des correspondants accrédités à la Maison Blanche : l’idée que la presse, fascinée par les énormités lancées par le magnat de l’immobilier, fait perdre de vue les enjeux au public à force de « souligner le spectacle et le cirque ». « Il ne s’agit pas de divertissement. Il ne s’agit pas d’un reality show. Il s’agit d’une compétition pour la présidence des Etats-Unis. » En introduction à Hillary Clinton, la maire d’Oakland, Libby Schaaf, n’a pas dit autre chose : « L’Amérique ne peut pas se permettre de jouer dans une mauvaise émission de téléréalité. » A défaut de candidate officielle, les démocrates ont déjà leur message anti-Trump. p corine lesnes L’exode par terre et par air pour fuir l’incendie à Fort McMurray Le feu, qui a déjà ravagé 100 000 hectares dans l’ouest du Canada, pourrait durer encore des semaines edmonton (canada) envoyée spéciale L’ incendie de forêt qui a forcé l’évacuation de 80 000 habitants de la région de Fort McMurray, en Alberta, dans l’ouest du Canada, a encore progressé vendredi 6 mai. Pendant que les pompiers luttaient contre le gigantesque brasier pour protéger les zones d’habitations et les infrastructures stratégiques, les autorités ont déclenché une vaste opération, routière et aérienne, pour évacuer vers le sud de Fort McMurray, Calgary et Edmonton tous ceux qui s’étaient réfugiés dans des camps de l’industrie pétrolière et gazière au nord de la capitale de l’or noir, après l’ordre général d’évacuation donné mardi. Sur 25 000 sinistrés ayant pris cette direction, 7 000 ont quitté les camps par un pont aérien tandis que les autres attendaient l’autorisation de reprendre la route, a précisé la première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, notant que la population réagissait avec calme, comme lors de la pre- mière évacuation. L’autorisation est venue à 7 heures du matin, déclenchant un embouteillage continu sur l’autoroute 63, artère principale de circulation. Toute la journée, un long convoi de voitures et de camionnettes, avançant à pas de tortue sous une chaleur écrasante, occupait deux voies de l’autoroute. Escortés par des policiers, survolés par des hélicoptères militaires, leurs occupants ont dû traverser la ville dévastée avant de poursuivre vers le sud. L’exode pourrait durer quatre jours, a averti le responsable albertain de la prévention des incendies, Chad Morrison, alors que le premier ministre canadien, Justin Trudeau, promettait de se rendre dans la région. « Expérience traumatisante » A Lac La Biche, première agglomération à 291 kilomètres au sud de Fort McMurray, on se préparait vendredi, avec l’aide de la CroixRouge et de bénévoles, à accueillir de nouveaux habitants de la ville sinistrée. « Trois mille sept cents se sont déjà arrêtés ici depuis mardi « La ville n’est pas près d’être sécurisée et la reconstruction prendra des mois » RACHEL NOTLEY première ministre d’Alberta pour profiter des services de secours mis en place, manger, dormir, se vêtir, précise Jihad Moghrabi, responsable des communications de Lac La Biche County, qui compte 29 000 habitants. Nous sommes prêts à fournir à ceux arrivant du Nord l’aide matérielle mais aussi le réconfort dont ils ont besoin. Ils ont vécu une expérience traumatisante, mais ceux que nous avons vus sont dans un bon état d’esprit. » Nombreux seront sans doute ceux qui poursuivront leur route – plus sereinement qu’au Nord – pour rejoindre familles ou amis, voire un autre centre de secours à Edmonton ou à Calgary. Mme Notley a annoncé vendredi une aide d’urgence aux sinistrés de 100 millions de dollars canadiens (68 millions d’euros), disponible la semaine prochaine. La Croix-Rouge a fait état, vendredi, de 29 millions de dollars de dons reçus de Canadiens et d’entreprises. Sur le front de l’incendie, les nouvelles sont rassurantes pour Fort McMurray. Centre-ville, hôpital, aéroport ont été épargnés, mais « les dommages sont considérables, la ville n’est pas près d’être sécurisée et la reconstruction prendra des mois », a déclaré Mme Notley, sans confirmer le chiffre de 9 milliards de dollars canadiens nécessaires à cette reconstruction, cité par des médias. Même si les vents éloignent désormais le foyer principal de l’incendie vers le Nord-Est, les « conditions demeurent extrêmes » et l’incendie pourrait « durer des semaines à la faveur de la sécheresse et, ce, même avec de la pluie », a prévenu Chad Morrison, ajoutant que l’enquête sur ses causes serait difficile. Le bilan de vendredi fait état de 101 000 hectares brûlés et de deux nouveaux foyers d’incendies déclenchés par des éclairs dus au feu principal. Aucun site d’exploitation de pétrole ou de gaz n’a été touché. Production de pétrole en baisse Cependant, plusieurs compagnies d’Athabasca, principale région productrice de pétrole issu des sables bitumineux, ont mis leurs installations au ralenti, avec un minimum d’employés. L’Association canadienne des producteurs de pétrole (CAPP) refusait, vendredi, d’évaluer les pertes, bien que les médias aient fait état d’une réduction de la production de 800 000 à un million de barils par jour, soit la moitié de la normale, depuis mardi. Dans le même temps, les prix du baril de pétrole clôturaient à la hausse vendredi comme la veille. Affichant une perte record de 4,8 milliards d’euros en 2015, les compagnies pétrolières canadiennes ont supprimé plusieurs dizaines de milliers d’emplois depuis deux ans à la suite de la chute des cours pétroliers. Certains estiment que le Canada paie le prix d’une mauvaise gestion forestière au fil des années. Pour réduire les risques aux abords des villes et villages implantés en zone forestière, il faudrait les « nettoyer de tout “combustible”, branches, souches, bois morts », estime Kelly Johnston, directeur associé de Partners in Protection, qui gère FireSmart, un programme canadien de prévention. Les experts canadiens s’attendent à une augmentation des feux de forêt et des superficies ravagées, notamment en forêt boréale, sous l’effet du réchauffement climatique. Au ministère canadien des ressources naturelles, la spécialiste de l’écologie des feux de forêt, Sylvie Gauthier, relève aussi que les systèmes de protection ont été établis de longue date, quand les épisodes de sécheresse étaient plus rares. Aujourd’hui, souligne-t-elle dans le quotidien québécois Le Devoir, « arrêter un feu de forêt en saison sèche, c’est comme tenter d’arrêter un ouragan ». p anne pélouas 6| 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Le lanceur d’alerte s’explique pour la première fois L’homme qui a fourni les 11,5 millions de documents panaméens se dit prêt à collaborer avec les autorités O n ne savait jusqu’à présent quasiment rien du mystérieux lanceur d’alerte à l’origine des « Panama papers », à part le pseudonyme qu’il utilisait dans ses communications sécurisées avec les journalistes allemands de la Süddeutsche Zeitung : « John Doe », un nom fréquemment utilisé pour désigner une personne anonyme dans les administrations anglo-saxonnes. Un mois après le début des révélations conjointes du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et de ses 109 médias partenaires, dont Le Monde, sur la base de 11,5 millions de documents qu’il a fournis, le lanceur d’alerte a décidé d’en dire un peu plus sur lui-même et sa démarche, en transmettant un manifeste intitulé « La révolution CE QU’IL FAUT SAVOIR Coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), 109 rédactions, dont celle du Monde, dans 76 pays, ont eu accès à une masse d’informations inédites qui mettent en lumière le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux. Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias. Les « Panama papers » révèlent que, outre des milliers d’anonymes, de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs. sera numérique » à la Süddeutsche Zeitung. Les journalistes du quotidien munichois ont confirmé que ce texte avait bien été transmis par John Doe : il a employé les mêmes méthodes de vérification d’identité que lors de leurs précédentes rencontres en ligne. Le lanceur d’alerte n’y dévoile pas son identité, mais précise ne jamais avoir travaillé « pour un gouvernement ou un service de renseignement, ni directement ni en tant que consultant ». Il ne révèle pas sa nationalité, mais évoque avec insistance, dans un anglais très soigné, les situations politiques aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Dérives des médias Un doute persistait jusqu’à présent sur ses réelles motivations. Voulait-il en tirer de l’argent – on sait qu’une partie des données du cabinet d’affaires panaméen Mossack Fonseca a été vendue aux autorités allemandes, américaines et britanniques notamment – ou servir l’intérêt général – il a remis gratuitement l’ensemble du « leak » à la Süddeutsche Zeitung ? Ce manifeste tend à confirmer la deuxième option, tant il fait figure de brûlot contre un système de « corruption massive et généralisée », générateur d’inégalités sociales, permis selon lui par les dérives déontologiques de la profession d’avocat d’affaires, l’impunité des plus riches, et l’absence de courage des responsables politiques pour y mettre un terme. « J’ai décidé de dénoncer Mossack Fonseca parce que j’ai pensé que ses fondateurs, employés et clients avaient à répondre de leur rôle dans ces crimes, dont seuls quelques-uns ont été révélés jusqu’à maintenant », explique John Doe. Il estime que les journalistes « ont, à juste titre, déclaré qu’ils ne pouvaient pas fournir [les documents] aux administrations compétentes », mais se dit, lui, « prêt à coopérer avec les autorités dans la mesure de [s]es moyens », parce que « des milliers de poursuites pourraient découler des “Panama papers”, si seulement les autorités judiciaires pouvaient accéder aux documents et les évaluer ». Il n’a pas précisé si la remise de documents se ferait gracieusement, mais soumet sa coopéra- « J’ai décidé de dénoncer Mossack Fonseca parce que ses fondateurs, employés et clients ont à répondre de leur rôle dans ces crimes » tion à une condition : sa protection en tant que lanceur d’alerte. « Tant que les gouvernements n’auront pas mis en place des protections juridiques pour les lanceurs d’alerte, les autorités dépendront de leurs propres ressources ou du travail des médias pour accéder aux documents », prévient-il, en citant les déconvenues d’Edward Snowden (NSA), Bradley Birkenfeld (UBS) et d’Antoine Deltour (LuxLeaks), qui ont vu « leur vie détruite après avoir contribué à mettre en lumière d’évidentes malversations ». Le lanceur d’alerte n’est par ailleurs pas tendre pour les mé- dias, et dénonce les dérives « de nombreux groupes d’information [qui] sont devenus des caricatures de ce qu’ils étaient » : « Des particuliers milliardaires semblent voir dans la propriété d’un journal un simple hobby, limitant la couverture des sujets graves concernant les plus riches, et le journalisme d’investigation sérieux manque de financements. » Il fait un lien direct entre le modèle capitalistique de la presse et l’absence de réaction de plusieurs des « médias les plus importants et compétents du monde » à qui il assure avoir proposé dans un premier temps les données de Mossack Fonseca : « Aucun […] n’a montré de l’intérêt pour cette histoire. » « Ouvrir les yeux » sur le capitalisme Plus étonnant, John Doe assure que « même WikiLeaks n’a pas donné suite à de multiples sollicitations par le biais de son formulaire de signalement » – alors que l’organisation de Julian Assange avait critiqué le traitement des « Panama papers » par l’ICIJ, et assuré qu’elle publierait l’intégralité du « leak » s’il était en sa possession. A la manière d’un Edward Snowden, devenu porte-parole de Obama réclame plus de transparence La Maison Blanche a annoncé jeudi 5 mai un ensemble de mesures pour contraindre les entreprises à rendre publiques davantage d’informations sur leurs propriétaires. Avec comme objectif de réduire l’évasion fiscale et le recours aux prête-noms dans des paradis fiscaux. Le secrétaire au Trésor, Jacob Lew, engage le Congrès à adopter une législation qui permettra d’accroître la transparence. Les banques pourraient se voir tenues d’identifier les propriétaires de leurs entreprises clientes. Par ailleurs, les sociétés détenues par des actionnaires étrangers devraient être obligées d’en rendre compte au fisc américain. Jacob Lew demande enfin aux sénateurs de ratifier huit traités fiscaux en souffrance. la lutte contre la surveillance généralisée, John Doe appelle à « ouvrir les yeux » pour réformer radicalement un système « que nous appelons toujours capitalisme, mais qui se rapproche davantage d’un esclavage économique ». « L’heure est […] venue d’une action véritable », estime-t-il, citant pêle-mêle la transparence sur les registres du commerce du monde entier, une meilleure régulation de la profession d’avocat et une réforme du financement des campagnes américaines, pour couper le lien financier entre les élus et les plus riches. Pour lui, l’impact généré par les 2 600 gigaoctets de données contenues dans les « Panama papers » est l’illustration que l’arme de la rétention d’information, qui s’est substituée à la force militaire pour « soumettre le peuple » aux intérêts des puissants, peut-être combattue à l’aide des nouvelles technologies de l’information. « Du début à la fin, de sa genèse à sa diffusion médiatique globale, la prochaine révolution sera numérique », conclut-il. p jérémie baruch et maxime vaudano L’intégralité des fichiers ne sera pas mise en ligne le consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) va mettre en ligne sur son site, lundi 9 mai à 20 heures, une partie des données du scandale des « Panama papers ». Mais il ne s’agit en aucun cas de l’intégralité des 11,5 millions de fichiers puisés dans les archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore. L’ICIJ et ses 109 partenaires, dont Le Monde, ne souhaitent pas les publier pour d’évidentes raisons de respect de la vie privée – elles contiennent des adresses, des correspondances privées, des transactions financières, des passeports. Ne seront divulgués que le registre interne des quelque 214 000 structures offshore administrées par Mossack Fonseca entre 1977 et 2015 et les métadonnées associées à chacune d’entre elles, c’est-à-dire les dates de création et éventuellement de dissolution, leur statut (active, dormante, dissoute…), le nom des actionnaires, des intermédiaires financiers et, lorsque Mossack Fonseca possédait l’information (c’est-à-dire rarement), des bénéficiaires finaux de ces sociétés. Autant d’informa- tions qui sont, au mieux, parcellaires, et au pire, introuvables dans les registres officiels des 21 paradis fiscaux où ces sociétés sont installées. Cette base de données va donc ressembler au registre du commerce transnational des paradis fiscaux – des informations d’intérêt public, explique l’ICIJ, qui met en avant l’intérêt pour des chercheurs, hors du réseau des médias partenaires du consortium, de les explorer. Données manquantes Il s’agit de données brutes, extraites du système informatique interne du cabinet Mossack Fonseca et donc, à l’origine, saisies par une personne physique : elles ne sont pas à l’abri d’une erreur humaine. On y trouve parfois des fautes d’orthographe ou des données manquantes, d’autant plus fréquentes que l’on remonte dans le temps. Par ailleurs, les seules métadonnées des sociétés ne suffisent pas à en connaître les véritables propriétaires. Les cabinets de domiciliation ainsi que les intermédiaires financiers proposent en effet des services de dissimulation, des prête-noms, qui peu- vent s’enregistrer comme actionnaires en lieu et place des véritables bénéficiaires. Dans les 450 000 noms d’actionnaires de la base se mêlent donc des ayants droit véritables et des prête-noms. Les métadonnées ne disent rien non plus des activités desdites sociétés : sont-elles utilisées à des fins légales pour des investissements internationaux ou pour frauder le fisc en plaçant discrètement de l’argent non déclaré sur un compte en banque ? Seuls les documents associés à chaque société – actes juridiques, documents bancaires, correspondances électroniques – donnent l’occasion d’en savoir plus. L’ICIJ n’entend pas les publier. Le Consortium a enfin ajouté aux « Panama papers » les données des 100 000 sociétés de l’enquête « Offshore Leaks » (2013), administrées par d’autres domiciliateurs offshore que Mossack Fonseca (Portcullis TrustNet et Commonwealth Trust Limited). L’ensemble des informations est présenté sous la forme d’un moteur de recherche et d’une visualisation en réseaux. Elles seront intégralement téléchargeables. p les décodeurs « Les contrôles démocratiques ont échoué » Dans son manifeste, le lanceur d’alerte anonyme appelle les gouvernements à créer des registres du commerce accessibles et transparents L’ TRIBUNE inégalité des revenus est un des marqueurs de notre époque. Elle nous affecte tous, partout dans le monde. Pourquoi ? Et pourquoi maintenant ? Les « Panama papers » fournissent une réponse convaincante à ces questions : une corruption massive et généralisée. Et ce n’est pas une coïncidence si cette réponse nous vient d’un cabinet d’avocats. Plus qu’un simple rouage de « gestion de fortune », Mossack Fonseca a usé de son influence pour écrire et tordre les lois partout dans le monde en faveur d’intérêts criminels. Les sociétés-écrans sont souvent utilisées pour l’évasion fiscale, mais les « Panama papers » montrent sans l’ombre d’un doute que, bien qu’elles ne soient pas par définition illégales, ces structures sont associées à une large palette de crimes qui vont au-delà. J’ai décidé de dénoncer Mossack Fonseca parce que j’ai pensé que ses fondateurs, employés et clients, avaient à répon- dre de leur rôle dans ces crimes, dont seuls quelques-uns ont été révélés jusqu’à maintenant. Il faudra des années pour que l’ampleur réelle des actes ignobles de ce cabinet soit dévoilée. Entretemps, un débat international a démarré, ce qui est encourageant. Milliers de poursuites possibles Que ce soit clair : je ne travaille ni n’ai jamais travaillé pour un gouvernement ou un service de renseignement, ni directement ni en tant que consultant. Mon point de vue est personnel, tout autant que ma décision de partager les documents avec la Süddeutsche Zeitung et le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). Non pas dans un but politique, mais simplement parce que j’ai suffisamment compris leur teneur pour me rendre compte de l’ampleur des injustices qu’ils dépeignaient. Des milliers de poursuites pourraient découler des « Panama papers », si seulement les autorités judiciaires pouvaient accéder aux documents. L’ICIJ et ses partenai- res ont à juste titre déclaré qu’ils ne pouvaient les fournir aux administrations compétentes. Cependant, je serais prêt à coopérer avec les autorités, dans la mesure de mes moyens. Cela dit, j’ai observé que, les uns après les autres, les lanceurs d’alerte ont vu leur vie détruite après avoir contribué à mettre en lumière d’évidentes malversations, aux Etats-Unis comme en Europe. Qu’ils agissent de l’intérieur ou de l’extérieur du système, ils méritent l’immunité contre les représailles gouvernementales, un point c’est tout. Tant que les gouvernements n’auront pas mis en place des protections juridiques pour les lanceurs d’alerte, les autorités dépendront de leurs propres ressources ou des médias pour accéder aux documents. En attendant, j’appelle la Commission européenne, le Parlement britannique, le Congrès américain et toutes les nations à adopter les mesures qui s’imposent, non seulement pour protéger les lanceurs d’alerte, mais aussi pour mettre un terme aux abus mondialisés « La conséquence collective de ces échecs est l’érosion totale des standards déontologiques » des registres du commerce. Dans l’Union européenne, le registre du commerce de chaque Etat devrait être librement accessible et comporter des données détaillées sur les bénéficiaires économiques finaux des sociétés. Le RoyaumeUni peut être fier de ses initiatives, mais a encore un rôle crucial à jouer en mettant fin au secret financier sur ses territoires insulaires [les îles Vierges britanniques, Jersey ou Guernesey], qui sont incontestablement la pierre angulaire de la corruption institutionnelle. Aux Etats-Unis, il est plus que temps pour le Congrès d’imposer la transparence en fixant des règles pour l’accès public à ces informations. Face à la couardise des politiques, il est tentant de céder au défaitisme, alors que les « Panama papers » sont le symptôme évident de la décadence morale de notre société. Pendant cinquante ans, les pouvoirs ont totalement échoué à soigner les métastases des paradis fiscaux. Les banques, les régulateurs financiers et les autorités fiscales ont échoué. Des tribunaux désespérément obsolètes et inefficaces ont échoué. Esclavage économique Les médias ont échoué. Outre la Süddeutsche Zeitung et l’ICIJ, les rédacteurs en chef de plusieurs titres de presse majeurs ont pu consulter les « Panama papers » – même s’ils ont assuré le contraire. Ils ont choisi de ne pas les exploiter. La triste vérité est qu’aucun des médias les plus importants et compétents du monde n’a montré d’intérêt pour cette histoire. Même Wikileaks n’a pas donné suite à de multiples sollicitations. Mais c’est avant tout la profes- sion juridique qui a échoué. Les avocats ont globalement atteint un tel niveau de corruption qu’il est impératif qu’interviennent des changements majeurs. Mossack Fonseca ne travaillait pas seul : malgré des amendes répétées et des violations de régulations étayées, il a trouvé dans presque chaque pays des alliés et des clients auprès de cabinets d’avocats de premier plan. La conséquence collective de ces échecs est l’érosion totale des standards déontologiques, menant en fin de compte à un nouveau système que nous appelons toujours capitalisme, mais qui se rapproche davantage d’un esclavage économique. Qu’il faille attendre qu’un lanceur d’alerte tire la sonnette d’alarme est encore plus inquiétant. Cela prouve que les contrôles démocratiques ont échoué, que l’effondrement est systémique, et qu’une violente instabilité nous guette au coin de la rue. L’heure est venue d’une action véritable. p Lire l’intégralité de la tribune sur lemonde. fr FRANCE Macron ou l’art de brouiller les lignes 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 |7 Ce novice en politique a souligné très tôt l’importance de l’idéologie pour soigner un pays dépressif A insi, Emmanuel Macron s’apprête-t-il à présider la traditionnelle cérémonie des fêtes en l’honneur de Jeanne d’Arc, dimanche 8 mai à Orléans, à l’invitation du maire Les Républicains de la ville, Olivier Carré. L’occasion pour lui de développer sa vision de la République, quelques jours après que François Hollande a explicité sa vision de la gauche. Emmanuel Macron, c’est d’abord un âge (38 ans), une tête bien faite (DEA de philosophie, ENA), un parcours atypique (jamais élu, ex-banquier d’affaires), une ingénuité politique revendiquée : « Je suis dans la bienveillance, je n’ai jamais dit une phrase négative contre tel ou tel, je ne veux pas être embarqué dans la comédie humaine », jure-t-il tout en flirtant allègrement avec la ligne jaune. En réalité, une sorte de flibustier qui « casse le verrou de cette profession réglementée qu’est devenue la politique », dixit son ami Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne. Mais Emmanuel Macron, c’est aussi une offre politique atypique qui prétend enjamber le traditionnel clivage gauche-droite pour construire une majorité en 2017. Macron ou l’art de brouiller les lignes avec quelques idées bien arrêtées. Le mot « idée » est fondamental chez ce novice qui, avant même de faire une entrée fracassante en politique, a revendiqué l’importance de l’idéologie pour soigner un pays dépressif. Il l’a fait en marge du Parti socialiste qui, depuis l’échec de 2002, a le plus grand mal à se définir, et au côté du président de la République, qui n’a jamais voulu conceptualiser ses propres évolutions. « On a créé un pragmatisme au quotidien. Il manque quelque chose », a diagnostiqué Emmanuel Macron dès le début du quinquennat en fustigeant « une gauche postmoderne qui a renoncé aux grandes histoires pour régler de petits désaccords locaux ». Pour lui, pas de politique sans récit ni de récit sans idéal. « Tony Blair jeune » Dans un long article publié en juillet 2015 dans la Revue des deux mondes, il préconise de réinvestir « les trois rêves » qui fondent, selon lui, l’identité française : « le rêve de l’égalité, le rêve d’Europe, le rêve industriel ». Mais quand on lui demande aujourd’hui de dire ce qu’est le « macronisme », il botte en touche : « Je suis incapable de le définir, je crois dans mon pays, son énergie, ses valeurs, sa capacité à réussir dans la mondialisation, je crois au progrès », se contente-t-il de répondre. Macron ou la confiance retrouvée. Un peu court. Le jeune ministre de l’économie avait cependant le sourire lorsque, à la mi-avril, le journaliste de la BBC Andrew Marr l’a comparé à « Tony Blair jeune ». Blair, le héraut de la troisième voie, l’homme qui, dans les années 1990, avait porté l’estocade au travaillisme britannique. Depuis, non seulement la troisième voie a perdu le pouvoir, mais elle a été rangée au rayon des accessoires par l’opposition britannique. « Macron, c’est un Tony Blair mais adapté à son temps », corrige l’essayiste libéral Mathieu Laine, fondateur de la société de « Il entre dans tous les sujets par le prisme de la liberté. C’est un vrai libéral » GILLES FINCHELSTEIN directeur général de la Fondation Jean-Jaurès Au Sénat, le 4 mars 2015. Retransmission de l’audition d’Emmanuel Macron par la commission spéciale chargée du projet de loi « croissance et activité ». MARC CHAUMEIL POUR « LE MONDE » conseil Altermind, qui s’enthousiasme : « Personne dans le monde politique français n’a aussi bien compris les opportunités qu’offre la nouvelle économie. » « La liberté » est le mot dominant dans le vocabulaire d’Emmanuel Macron. « La liberté » qui rime avec « individu », « opportunité », « prise de risque », « optimisme », « progrès ». Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean-Jaurès, constate : « Il entre dans tous les sujets par le prisme de la liberté, c’est un vrai libéral. » Cela explique sans doute l’accusation récurrente qu’une partie de la gauche lui fait : trahir son camp. Pourtant, nuance l’historien Alain Bergounioux, membre du secrétariat national du PS : « Il existe à gauche une famille libérale, de tendance libertaire, c’est un héritage de mai 1968. » Rien ne dit cependant que Macron, qui se revendique « de gauche », soit un libéral-libertaire. Sur les sujets de société, on ne l’a guère entendu, sauf lors du débat sur la déchéance de la nationalité où sa contestation était d’ordre philosophique. « Je ne pense pas qu’on puisse traiter le mal en l’expulsant de la communauté nationale, la responsabilité des gouvernants est de prévenir et de punir implacablement les actes terroristes », avait-il déclaré en se démarquant fortement de François Hollande et de Manuel Valls qui menaient à l’époque un combat constitutionnel pour priver de la nationalité française ceux qui avaient été condamnés pour actes terroristes. Les proches d’Emmanuel Macron brouillent à loisir les pistes en rappelant qu’étudiant il a fait un bout de chemin avec JeanPierre Chevènement avant de fréquenter, sous l’impulsion du philosophe Paul Ricœur, l’équipe de la revue Esprit, en pointe dans la réhabilitation du libéralisme politique. « Macron a le sens de l’Etat un peu raide », souligne un de ses amis. « J’accepte la verticalité du pouvoir », plaide l’intéressé. Et même plus si l’on en croit cette interview surprenante accordée à l’hebdomadaire Le 1, en juillet 2015. Interrogé sur le malaise démocratique, Macron répond : « Je pense fondamentalement que le peuple français n’a pas voulu la mort du roi. La terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n’est plus là, la démocratie ne remplit pas l’espace… » Un troisième ami le décrit pourtant comme un « vrai démocrate », tendance girondin, comme Rocard, accordant « une grande place à la responsabilité individuelle » et à « la délibération publique ». Il le situe dans la continuité d’Emmanuel Mounier, le fondateur de la revue Esprit, initiateur du personnalisme, ce courant spirituel qui cherchait une troisième voie entre le capitalisme libéral et le marxisme. « Attaquer les privilèges » Dans l’histoire compliquée de la gauche, un autre homme, malaimé par le Parti socialiste, s’est nourri de personnalisme : Jacques Delors, chrétien engagé, convaincu que chacun, dans la société, doit prendre sa part de responsabilité. A cinquante-deux ans de distance, les deux hommes se ressemblent. Non seulement à cause de leur foi en l’Europe et de leur combat revendiqué pour une zone euro plus intégrée, mais aussi par leur approche des problèmes nationaux. Lorsque Emmanuel Macron se fait fort de « déplier les problèmes pour lutter contre l’opacité, mettre à jour les rentes, attaquer les privilèges », il marche dans les pas du Jacques Delors des années 1960 qui, au côté de Jacques Chaban-Delmas, avait tenté d’accoucher « la nouvelle société » en débusquant les jeux de rôle du patronat et des syndicats. Toutefois, comme rien n’est simple, Jacques Delors se déclare aujourd’hui « déçu » par Macron à cause de cette tirade prononcée en janvier 2015 depuis les Etats- « Pour entraîner la gauche, il lui manque un discours d’empathie sociale » ALAIN MADELIN candidat Démocratie libérale à la présidentielle de 2002 Unis : « Il faut des jeunes Français qui aient envie de devenir milliardaires. » L’ancien ministre sous François Mitterrand y voit comme le signe d’une déviance, révélatrice de l’époque : « Le rôle excessif de l’argent est néfaste. On s’en sert même pour encourager l’individualisme », s’est-il indigné devant la journaliste Cécile Amar, qui le rapporte dans son livre L’Homme qui ne voulait pas être roi (Grasset, 234 p., 18 euros). Mais, sur l’autre rive politique, un observateur bienveillant applaudit : Alain Madelin, le seul à avoir osé, sous la Ve République, se présenter à l’élection présidentielle sous l’étiquette libérale. C’était en 2002. Il avait obtenu 3,91 % des suffrages exprimés. « Macron a le bon discours, il est avec nous », se réjouit l’ancien président de Démocratie libérale, reconverti dans la finance mais toujours en alerte. Nouvelle école keynésienne Au lendemain des attentats de janvier 2015, il était sorti de son silence pour appeler à un « projet rassembleur », axé sur la relance de la croissance. Il y voyait l’ultime chance pour les politiques de sauver la mise. C’est à cette aune qu’il juge les propositions de Macron : « Ouvrir à la concurrence pour casser les rentes, très bien ; agir sur la fiscalité du patrimoine pour favoriser le capital productif, indispensable. » Mais il ajoute : « Je lui dénie la possibilité d’entraîner la gauche parce qu’il n’a pas l’épaisseur de gauche, il lui manque un discours d’empathie sociale. » Qu’y a-t-il de social dans la pensée d’Emmanuel Macron ? Question cruciale pour cet adepte de la politique de l’offre qui ose dénoncer « la préférence française pour la hausse des salaires et des dividendes », et est accusé par une partie de la gauche de faire la politique du Medef. Son message le plus explicite concerne le marché du travail qu’il décrit comme dual : d’un côté les « insiders », bénéficiaires d’un contrat stable, de l’autre les « outsiders », travailleurs précaires ou chômeurs, tenus à l’écart. Des jeunes pour la plupart qui ne parviennent pas à se faire une place dans la société. Dans cette vision, inspirée par la nouvelle école keynésienne, les acquis sociaux s’apparentent à des rentes injustes et inefficaces qui élèvent une barrière entre les uns et les autres. Pour la faire sauter, une seule solution : flexibiliser le marché du travail, encourager les entrées comme les sorties. La représentation a le mérite d’être claire, mais elle heurte de plein fouet la tradition de la gauche française. L’intéressé en est conscient. « L’ambition est de prendre des risques par rapport à notre clientèle électorale, de tenir un discours sur la capacité de la gauche à ouvrir des droits réels en partant du réel », plaide-t-il. Avant lui, Dominique StraussKahn avait joué les défricheurs à l’intérieur même du PS. C’était il y a douze ans, en 2004, dans une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès, l’ancien ministre de Lionel Jospin remettait prudemment en question la logique de la répartition en plaidant pour « un socialisme de l’émancipation », davantage tourné vers la promotion individuelle. L’idée n’était plus de corriger les inégalités a posteriori par la redistribution, mais d’empêcher qu’elles se forment en amont. Nul ne sait cependant combien ce « socialisme de l’égalité réelle » pesait au sein du PS, car Dominique Strauss-Kahn n’a jamais LE CONTEXTE FÊTES JOHANNIQUES Après Stéphane Bern en 2014 et Audrey Pulvar en 2015, Emmanuel Macron devait présider, dimanche 8 mai à Orléans, les 587es Fêtes de Jeanne d’Arc commémorant, depuis 1429, la libération d’Orléans du siège anglais par la Pucelle. Le ministre de l’économie a répondu à l’invitation du maire LR de la ville, Olivier Carré. « Je voulais donner la parole à quelqu’un qui exerce le pouvoir et qui appartient à une nouvelle génération », explique au Monde le député du Loiret. « Pour avoir travaillé dans la commission sur le projet de loi Macron, ajoute-t-il, j’ai pu constater que j’ai une lecture de la République qui n’est pas éloignée de la sienne. » Une invitation, cependant, qui a fait grincer des dents à droite : cinq parlementaires LR du département sur sept ont annoncé qu’ils boycotteraient le défilé. pris le risque de se compter. Aujourd’hui, Luc Rouban, chercheur au Centre de recherches politiques de Sciences Po évalue à 6 % à peine la proportion d’électeurs qui pourraient se retrouver dans le social-libéralisme. « D’une manière plus générale, la proportion de libéraux ne dépasse pas le tiers de l’électorat », ajoute-t-il en recensant les différentes familles libérales de gauche et de droite. Mais un tiers de l’électorat, c’est somme toute beaucoup dans une élection présidentielle qui, en raison du poids pris par le Front national, se joue de plus en plus au premier tour. Le mouvement En marche ! a été conçu pour cela : tenter d’agréger cette masse d’électeurs, par-delà le clivage gauchedroite, en jouant sur toutes les craquelures du système. p françoise fressoz 8 | france 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Contre la loi « travail », le Medef à quitte ou double L’organisation patronale décidera lundi si elle quitte la négociation sur l’assurance-chômage P artira ou partira pas ? Lundi 9 mai, le Medef devrait décider s’il met à exécution sa menace de quitter la négociation sur l’assurance-chômage, en cours depuis la fin février. Pierre Gattaz, le président de l’organisation patronale, avait évoqué cette éventualité, le 19 avril, pour manifester son mécontentement contre les multiples réécritures du projet de loi sur le code du travail, qui, d’après lui, tournent au « délire ». A l’origine de cet ultimatum, il y a – entre autres – la taxation des CDD, annoncée huit jours auparavant par Manuel Valls pour donner des gages aux mouvements de jeunesse hostiles à la réforme portée par la ministre de l’emploi, Myriam El Khomri. Impossible, à ce stade, de dire si le Medef va se retirer des discussions. Au sein du mouvement, les avis sont partagés. Un haut dirigeant considère que « l’émotion » est retombée depuis la mi-avril. « Peu de fédérations ont envie de claquer la porte », ajoute-t-il. Mais l’hypothèse d’un départ n’est pas à exclure, enchaîne une autre source en interne. Ce qui signerait la fin des négociations et l’absence d’accord entre partenaires sociaux. Le gouvernement s’y est d’ailleurs préparé en indiquant qu’il prendrait ses responsabilités : soit il proroge la convention Unedic actuellement en vigueur ; soit il prend la plume pour en rédiger une autre. La seconde solution ne serait pas un cadeau : l’exécutif s’est, en effet, engagé vis-à-vis de Bruxelles sur un montant de 1,6 milliard d’euros d’économies sur l’assurance-chômage, pour 2016 et 2017 ; il lui appartiendrait donc de prendre des mesures douloureuses. Pas fameux, politiquement, à moins d’un an de la présidentielle. Quoi qu’il en soit, la ruade de M. Gattaz a frappé les esprits, car il n’avait pas la réputation, jusqu’à présent, d’être tenté par la politique de la chaise vide. Lorsque le projet de loi sur le travail avait été retouché, à la mi-mars, dans un sens moins favorable aux employeurs (notamment avec la suppression du plafonnement des indemnités prud’homales), le président du Medef avait réagi de façon mesurée, exprimant sa déception, mais relevant aussi que le texte conservait des « éléments favorables ». Puis il a durci le ton, au fil des jours, jusqu’à l’ultimatum du 19 avril. Pourquoi ce raidissement ? « Une véritable fronde interne a vu le jour à l’initiative de grandes fédérations qui ont demandé un changement de pied à Pierre Gattaz », raconte un membre du conseil exécutif (CE) du Medef. En tête de la contestation, poursuit cette LOI SU R LE T RAVAI L COLLECT I VI T ÉS Manuel Valls n’exclut pas d’utiliser l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter au Parlement le projet de loi sur le travail, indique-t-il vendredi 6 mai sur Public Sénat. « Il ne faut jamais renoncer à un moyen constitutionnel », déclare le premier ministre dans l’émission « Bibliothèque Médicis », où il réaffirme sa « volonté de convaincre » sa majorité. – (AFP.) Un rapport, remis vendredi 6 mai à la ministre des outremer George Pau-Langevin, propose une évolution du statut de Saint-Pierre-et-Miquelon, actuellement collectivité d’outre-mer. Ce rapport envisage soit une « collectivité unique », soit « une collectivité territoriale nouvelle, issue des deux communes de l’archipel », indique Mme Pau-Langevin, sans trancher. – (AFP.) Manuel Valls n’exclut pas d’utiliser l’article 49.3 Le statut de Saint-Pierreet-Miquelon en question Ce dimanche à 12h10 MEGO TERZIAN et ROGER PERSICHINO président de MSF analyste humanitaire répondent aux questions de Philippe Dessaint (TV5MONDE), Sophie Malibeaux (RFI), Christophe Ayad (Le Monde). Diffusion sur les 9 chaînes de TV5MONDE, les antennes de RFI et sur Internationales.fr 0123 FABRICE MONTIGNIER « Les sociétés où la masse salariale pèse sur le chiffre d’affaires sont très sensibles à tout relèvement des cotisations » JEAN-FRANÇOIS CLEDEL membre du Medef même source, il y a le bâtiment, les assurances, la banque, le commerce et Syntec (professions de l’ingénierie, des services informatiques, etc.) : « Ce n’était pas agressif, mais plusieurs membres du conseil exécutif trouvaient que Pierre [Gattaz] avait été trop positif sur la loi El Khomri. » « Il a adopté une attitude conciliante en s’efforçant d’être un interlocuteur loyal avec les pouvoirs publics, complète Jean-Luc Monteil, membre du CE et président du Medef-PACA. Mais certains, au sein de notre mouvement, ont trouvé que ce partenariat était allé trop loin, car le gouvernement n’a pas joué le jeu. » « Manque de fermeté » De telles dissonances n’ont rien de surprenant dans une organisation qui tente d’être le porte-voix d’un tissu d’entreprises extrêmement variées, avec des attentes et des intérêts parfois divergents. Du fait de cette hétérogénéité, les diverses composantes du Medef peuvent avoir des appréciations différentes sur un même dossier. Ainsi en va-t-il de la taxation des CDD. « Les sociétés où la masse salariale pèse significativement sur le chiffre d’affaires, dans les services notamment, sont très sensibles à tout relèvement des cotisations, car cela joue sur le coût du travail, explique Jean-François Cledel, membre du CE et président du Medef-Gironde. C’est moins le cas chez les gros industriels, car les coûts liés à la main-d’œuvre constituent un poste de dépenses moins important, en pourcentage. » C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles plusieurs fédérations, du tertiaire notamment, ont réclamé une riposte vigoureuse après l’annonce de la taxation des contrats courts. D’après un membre du CE, « la fronde était moins dirigée contre Gattaz que contre Alexandre Saubot », vice-président du Medef et patron de l’Union des industries et des métiers de la métallurgie. Ce dernier a été jugé, par certains de ses pairs, trop peu critique à l’égard du gouvernement. D’autres éléments ont crispé le Medef. « Le manque de fermeté de l’exécutif face à la contestation contre le projet de loi El Khomri est perçu comme un appel au rapport de force », confie une figure de la métallurgie. Et plusieurs dispositions ont plongé dans une colère noire les PME : en particulier, l’augmentation des heures de dé- légation syndicale et la possibilité, pour un syndicat, de mandater un salarié dans une entreprise qui n’a pas de représentant de personnel. « Parmi nos adhérents, certains nous disent : “Il est temps de siffler la fin de la récréation.” Ils estiment qu’on ne peut pas compter sur ce gouvernement pour prendre les mesures qui s’imposent », rapporte Hervé Allart de Hees, membre du CE et président du Medef de l’Est parisien. Enfin, la question du remplacement de M. Gattaz, qui quittera son poste en 2018, semble déjà se poser et créer des tensions au sein du Medef. « Le fait d’avoir indiqué qu’il ne briguerait pas un second mandat le rend libre, mais cela fragilise aussi son autorité », décrypte une source patronale, pour qui « la course à la succession » commence à s’installer dans les esprits. Ce climat risque de ne pas simplifier les relations entre le Medef et le gouvernement. p bertrand bissuel Des migrants, un taxi, des « banquiers »… un réseau de passeurs jugé à Dunkerque Le groupe de Français et de Kurdes faisait passer quinze personnes en Angleterre par semaine dunkerque - envoyée spéciale R omain avait interrogé les policiers, les gendarmes aussi. Il en avait parlé aux autres chauffeurs de taxi de Dunkerque (Nord). « Chaque fois, on m’a répondu que, sans franchir de frontières, je pouvais transporter des migrants », rappelle le jeune conducteur de nuit, un peu perdu à la barre du palais de justice de Dunkerque, vendredi 6 mai. Sa chemisette blanche ajustée sur son léger embonpoint de sédentaire, son visage de bon garçon qui se bat chaque mois pour rembourser l’achat de sa licence ont vite fait de lui un intrus dans cette salle d’audience où l’on jonglait avec les milliers d’euros. « En trois mois, mon client a perçu 500 euros en transportant des migrants, à qui il a demandé le strict tarif en vigueur », s’est offusqué Eric Steylaers, l’avocat du chauffeur de taxi, pour qui la présence de son client jugé pour est totalement déplacée. Six hommes – trois Français et trois Kurdes iraniens ou irakiens – étaient convoqués pour « aide à l’entrée, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en France en bande organisée », vendredi, mais seuls les deux maillons faibles de la filière de passeurs dé- mantelée en février à GrandeSynthe (Nord) avaient fait le déplacement : Romain le chauffeur et Zidan, un Irakien. Ce dernier assure être venu depuis l’Italie dans la jungle de Grande-Synthe pour protéger ses neveux en attente d’un passage pour la Grande-Bretagne, avant d’être contraint de travailler pour les passeurs. 14 000 euros le passage garanti Pourtant, après plusieurs mois d’enquête, la police avait mis au jour un réseau complet. Il y avait le chef présumé, un Iranien, Kapa ; deux frères, Morad et Youssef, gérants français d’un café à Grande-Synthe, soupçonnés d’officier comme « banquiers » et dont le commerce servait de quartier général. S’y ajoutait Amir, un Iranien, venu à Grande-Synthe pour passer en Grande-Bretagne ; lui faisait office d’homme de confiance pour les dépôts d’argent et aussi de rabatteur. Kapa est en fuite et les trois autres se sont dispensés de l’épreuve du palais de justice. Qu’importe, dans la salle d’audience, on s’est raconté l’histoire de ces absents grâce auxquels « plus de 15 personnes passaient en Grande-Bretagne chaque semaine », a rappelé le substitut du procureur. Kapa « passeur très expérimenté », était le cerveau, a-t-il souligné, mais « nous sommes aujourd’hui face à une mise en lumière de l’appui logistique et financier sans lesquels les passeurs ne peuvent pas travailler », a-t-il insisté. Dans le camp de Grande-Synthe, un rabatteur, qui pouvait être Zidan ou Amir, amenait des clients vers Kapa. Ce dernier proposait les tarifs : entre 10 000 et 14 000 euros pour un passage garanti, avec complicité du chauffeur, et 4 400 euros sans complicité. Ensuite, il fallait rapatrier l’argent, une étape où les deux frères cafetiers entraient en action. D’abord sous leur nom, puis sous d’autres identités, ils faisaient auprès du comptoir Western Union les retraits que les migrants ne peuvent pas réaliser et prenaient une commission de 10 %. L’enquête a relevé les traces de 150 opérations pour un montant de 319 000 euros. Jusqu’à six ans de prison Avant d’être remis au passeur, cet argent pouvait être confié à Amir, homme de confiance, qui ne le débloquait qu’une fois reçu le signal de l’arrivée effective en Grande-Bretagne. Ces opérations de confiance lui rapportaient chaque fois entre 200 et 600 euros. Zidan, lui, rabattait des clients et aurait touché de son propre aveu 4 000 euros entre le 1er décembre, date où il est arrivé à Grande-Synthe et la mifévrier, moment du démantèlement de l’organisation. De Kapa, il ne reste que son profil Facebook avec des photos de voitures de luxe. Le tribunal a condamné à six ans de prison ferme assortie d’une amende de 50 000 euros ce passeur aguerri. Un mandat d’arrêt international a été émis à son encontre. Zidan et Amir devront purger deux ans d’emprisonnement, payer une amende de 10 000 euros pour le premier et de 8 000 pour le second. Les frères Morad et Youssef, qui étaient sous contrôle judiciaire, sont interdits de tenir un café pendant cinq années. En outre, Youssef est condamné à deux ans de prison et 20 000 euros d’amende, son frère à un an et 5 000 euros. Le chauffeur de taxi, lui, a été relaxé, le tribunal estimant qu’il n’a pas commis d’infraction, ne surfacturant pas ses courses et n’ayant amené personne aux points de départ des camions. Ces peines sont globalement conformes aux réquisitions du ministère public. p maryline baumard france | 9 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 La sécurité privée, un secteur sous tension La menace terroriste fait exploser une activité loin d’avoir achevé sa professionnalisation F estival de Cannes, Euro 2016, Tour de France… Le pays est entré dans une séquence événementielle chargée et l’attention des pouvoirs publics est rivée sur la menace terroriste, qui entraîne une multiplication des contrôles à l’entrée de tous les lieux publics, centres commerciaux et manifestations sportives ou culturelles. Pour y faire face, le secteur de la sécurité privée est appelé à jouer un rôle accru. Plus de 10 000 agents de sécurité devraient ainsi participer à la sécurité du championnat européen de football qui se tient du 10 juin au 10 juillet dans dix villes hôtes. Alors que les acteurs du secteur, du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) au Club des directeurs de sécurité d’entreprises, préconisent d’armer les agents de surveillance, cette montée en puissance de la sécurité privée peut aussi inquiéter, tant le milieu est mal régulé, émietté et économiquement fragile. « Des missions sont transférées petit à petit du public vers le privé » OLIVIER DURAN Syndicat national des entreprises de sécurité Mais dans un contexte postattentats, les acteurs publics poussent dans le sens d’une plus forte mise à contribution : « Nous devons toiletter la répartition des compétences avec d’autres acteurs de la sécurité, considérait en effet Céline Berthon, la secrétaire générale du Syndicat des commissaires de la police nationale (SCPN), lors de son audition par la commission d’enquête parlementaire sur les attentats, le 23 mars. Se pose (…) la question de la contribution des forces de sécurité privées (…) car nous sommes convaincus que la menace actuelle perdurera pendant des années, voire des décennies. » Le sujet n’est pas nouveau, « cela fait des années que des missions sont progressivement transférées du public vers le privé, à travers, par exemple, la sécurité des tribunaux ou l’accueil dans les ministères », rappelle Olivier Duran, porte-parole du Syndicat national des entreprises de sécurité (SNES). « La profession a quasi quadruplé ses effectifs ces vingt dernières années au fur et à mesure du retrait de l’Etat », ajoute Alain Bauer, président du CNAPS, l’instance de régulation du secteur. La commande publique représente aujourd’hui un quart du marché. Et s’il n’est pas envisagé à ce jour de transférer de nouvelles missions régaliennes, ici et là, l’idée d’une privatisation du transport de détenus resurgit régulièrement et, de temps à autre, des municipalités se prennent à rêver à faire patrouiller des vigiles sur la voie publique. « Le discours général a beaucoup changé sur le secteur privé, considère Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS qui travaille sur les questions de police et de sécurité. Aujourd’hui il est légitime d’imaginer armer des agents privés [une possibilité déjà prévue par la loi mais effective dans de rares situations comme le convoi de fonds]. Il y a quelques années, cette proposition aurait suscité une levée de boucliers. » Pour Sebastian Roché, « nous nous dirigeons vers le modèle du nord de l’Europe où le privé détient une place plus grande ». Un scénario sur lequel table également le criminologue Alain Bauer. Si la France compte 250 000 policiers et gendarmes pour quelque 150 000 salariés de la sécurité privée, « à terme, nous arriverons à un ratio d’un agent privé pour un agent public », prévoit-il. Secteur ultra-concurrentiel Aussi attendue soit-elle, cette montée en puissance ne va pas de soi. Ainsi, dans le cadre de l’organisation de l’Euro 2016, les acteurs du secteur ont fait état d’importantes difficultés de recrutement. « Il n’y a pas assez de candidats. Des fan zones ne pourront pas ouvrir », prévient Alain Bauer, à propos des espaces réservés à la retransmission sur écran géant des matchs de la compétition. « Gardien, c’est un métier d’accident de la vie, on tombe dedans », résume Daniel Warfman, directeur délégué de Trigion Sécurité et « Gardien, c’est un métier d’accident de la vie, on tombe dedans » DANIEL WARFMAN directeur délégué de Trigion Sécurité coauteur de La Sécurité privée en France (Que sais-je ?, PUF, 2011). Les chiffres sont éloquents : avec un turn-over de 55 % en 2014, c’est plus d’un salarié sur deux qui quitte son entreprise chaque année. « Souvent, le métier d’agent est un pis-aller », constate Daniel Peltier, secrétaire général du syndicat de salariés SNEPS-CFTC. Des vacations de 12 heures, des postes isolés, des horaires décalés, des stations debout prolongées, des risques d’agression… Les conditions sont difficiles pour un salaire peu élevé. D’après le rapport de branche Sécurité-Prévention 2014, environ 20 % des agents sont au smic et 60 % sont rémunérés entre 3 et 6 % au-dessus du smic. Ce modèle social est à corréler avec les caractéristiques d’un secteur ultra-concurrentiel et morcelé (près de 4 000 entreprises), dans lequel des donneurs d’ordre tirent les prix vers le bas et encouragent le recours à la soustraitance pour plus de souplesse. « La structuration du secteur n’est pas achevée », estime Sebastian Roché. La main-d’œuvre représentant jusqu’à 95 % de la valeur d’une prestation, elle est logiquement la principale variable d’ajustement. Et certaines entreprises n’hésitent pas à recourir au travail non déclaré. Avec 27 % d’entreprises en infraction, principalement pour du travail illégal, contre 17 % à l’échelle nationale, le secteur est dans le viseur des pouvoirs publics. « C’est une profession qui tente de se moraliser depuis quelques années », souligne toutefois Philippe Dingeon, à la Direction générale du travail. Le CNAPS, créé en 2012, doit y contribuer, malgré la mauvaise presse qui lui a été faite à la suite de la mise en examen en janvier pour corruption de son ex-directeur, le préfet Alain Gardère. Ses services sont notamment chargés de délivrer la carte professionnelle obligatoire depuis 2009 pour tout agent de prévention et de sécurité. Elle atteste de sa moralité (absence d’antécédents judiciaires) et de son aptitude professionnelle (détention d’un certificat de qualification professionnelle ou équivalent). Toutefois, les contrôles du CNAPS en 2015 ont relevé qu’un agent sur trois contrôlés n’était pas titulaire de cette carte. Le chantier de la professionnalisation est loin d’être achevé. Pour le poursuivre, le CNAPS inclura à partir du 1er juillet les organismes de formation dans son périmètre de contrôle. p julia pascual MAN I F ESTAT I ON Nouvelles mesures limitant Nuit debout La Préfecture de police de Paris a pris, vendredi 6 mai, des arrêtés interdisant notamment la diffusion de musique et l’alcool place de la République, à Paris, dans les nuits de samedi à dimanche et de dimanche à lundi, en prévision de rassemblements du mouvement Nuit debout de protestation contre le projet de loi sur le travail. – (Reuters.) J UST I C E Perquisitions dans l’entourage du président de la région de La Réunion Les gendarmes ont mené des perquisitions, mardi 3 mai, au siège de la région de La Réunion, à Saint-Denis, et chez des proches du président de la région, Didier Robert, dans le cadre de l’enquête préliminaire pour corruption et favoritisme dans l’attribution à Bouygues et Vinci des marchés de la nouvelle route du littoral, a-t-on appris vendredi. – (AFP.) S AN T É Des bons d’achat pour faire arrêter de fumer les femmes enceintes Des maternités vont tenter de convaincre des femmes enceintes d’arrêter de fumer en leur offrant des bons d’achat, indique Le Parisien, samedi 7 mai. Un total de 400 futures mamans vont être recrutées. Seize maternités de France participent à cette opération lancée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, avec le soutien de l’Institut national du cancer. Romain Caillet, un encombrant spécialiste du djihad pour BFM-TV La chaîne a mis fin, vendredi, au contrat de consultant de ce chercheur reconnu, après que « L’Obs » a révélé qu’il faisait l’objet d’une fiche « S » C’ est par un communiqué inhabituel, et très largement diffusé, que BFM-TV a annoncé, vendredi 6 mai, la fin de sa collaboration avec le chercheur Romain Caillet, considéré comme un des meilleurs experts français du djihadisme. Cette décision fait « suite aux informations dévoilées » mercredi par L’Obs, révélant que le « consultant djihadisme » de la chaîne faisait l’objet d’une fiche « S » et avait un temps défendu les thèses djihadistes. Alors qu’il vivait au milieu des années 2000 en Egypte, Romain Caillet avait fait la connaissance, par un ami commun, des frères Clain, qui ont revendiqué en chanson les attentats du 13 novembre. Ses relations troubles lui vaudront d’être placé en garde à vue en janvier 2008, dans le cadre du démantèlement de la filière irakienne dite « d’Artigat », animée par Fabien Clain. « J’espère ne pas avoir été la cause d’enrôlement de jeunes au djihad. J’ai essayé de réparer mes erreurs en postant « Mon rôle n’est ni de combattre ni d’approuver, mais d’expliquer » ROMAIN CAILLET chercheur, spécialiste du djihadisme [sur Internet] des repentirs publics, explique-t-il alors aux policiers. Quand j’étais djihadiste, je dormais mal la nuit en pensant aux attentats. » Aucune charge ne sera retenue contre lui. Mais la retranscription d’une de ses déclarations aux enquêteurs, exhumée par L’Obs, se retourne aujourd’hui contre lui : « Sur le djihad, je ne suis plus d’accord avec les Clain. Depuis mars 2007, je ne suis plus pour le djihad parce que je m’oppose au fait d’entraîner des jeunes pour se sacrifier à mourir sans avoir acquis au préalable les bases de l’islam. » Sollicité par Le Monde, Romain Caillet explique que cette phrase ambiguë a été mal interprétée. « A l’époque de cette garde à vue, je faisais partie d’une mouvance radicalement antidjihad. J’étais contre le terrorisme tout court, pas seulement pour des considérations religieuses », insiste ce chercheur de 38 ans, qui se définit aujourd’hui comme un « musulman conservateur », ni djihadiste ni salafiste, « désenchanté par tous les courants ». Relations héritées du passé De son « aventure intellectuelle » djihadiste, l’expert a conservé une fiche « S », qui lui vaut de réapparaître de temps à autre en marge de certains dossiers terroristes, au gré des répertoires téléphoniques épluchés par les enquêteurs. Dans l’enquête sur le projet d’attentat de Villejuif, il est ainsi présenté de façon très approximative comme un « journaliste spécialisé dans les questions islamistes et également connu de [la] documentation opération- nelle pour son appartenance à la mouvance islamiste radicale », au seul motif qu’il est ami de longue date avec un homme en contact avec un personnage secondaire du dossier. Lui continue d’assumer ces relations héritées de son passé, qui constituent aujourd’hui près d’« un tiers de ses sources ». Un numéro d’équilibriste qui l’oblige à afficher une certaine neutralité dans la presse pour conserver sa crédibilité auprès de ses contacts, y compris lorsqu’il s’agit de réagir à son éviction de BFM-TV : « J’ai été djihadiste, puis antidjihadiste. Aujourd’hui, je me positionne comme un chercheur : mon rôle n’est ni de combattre ni d’approuver, mais d’expliquer. » « Ce n’est pas une question de fond, c’est une question de confiance : celle-ci est rompue », explique au Monde Hervé Béroud, directeur de la rédaction de BFM-TV. La chaîne reconnaît qu’elle savait que M. Caillet avait eu une « proximité » avec des djihadistes, ce qui n’avait jamais posé problème. « Mais, dans toutes les recherches que nous avons faites, je n’avais pas vu que Romain Caillet était fiché “S” et, surtout, qu’il avait été favorable au djihad, explique M. Béroud. Or, j’estime qu’il ne peut venir chez nous pour s’exprimer sur le terrorisme sans jouer cartes sur table en nous en parlant avant. On aurait alors pu prendre une décision en connaissance de cause. » « Déballage public » BFM-TV avait eu une première alerte, quelques jours seulement après le début de sa collaboration avec Romain Caillet, en mars. Sur Twitter était apparue une photo prise au Liban, en 2012, montrant le chercheur aux côtés de son épouse portant le voile intégral. « On lui avait posé la question, il disait qu’il avait vécu autrement à une époque, raconte M. Béroud. Cela ne nous avait pas paru suffisant pour mettre un terme à la collaboration. » S’il comprend faire l’objet d’une fiche « S », les policiers étant « suspicieux par nature », Ro- main Caillet déplore le « déballage public » de sa vie privée, occasionné par cette polémique. Ironie du sort, son recrutement par BFM-TV est intervenu au moment où un autre spécialiste reconnu du djihad a fustigé la nullité des experts en terrorisme à la télévision… Le 24 mars, David Thomson, journaliste à RFI, avait déploré, sur France 5, le fait que les plateaux soient « trustés par des gens qui peuvent dire tout et n’importe quoi ». Invité à réagir à l’éviction de Romain Caillet, David Thomson livre au Monde son appréciation de cette affaire : « Ce qui fait sa crédibilité, c’est sa hauteur de vue universitaire et le fait qu’il ait eu un pied dans la mouvance djihadiste. C’est ce passé qui lui permet d’en connaître les acteurs et les textes auxquels ils se réfèrent, et d’en être un des meilleurs connaisseurs. Mais je comprends que ce soit compliqué en termes d’image pour une chaîne comme BFM-TV. » p alexandre piquard et soren seelow 10 | GÉOPOLITIQUE Viktor Orban incarne ce retournement de blaise gauquelin (vienne, l’Europe centrale. « C’est un ex-libéral. Sa force correspondant) et alain salles, vient du fait qu’il peut dire : je viens de là, et ça ne avec jean-baptiste chastand marche pas », explique le politologue bulgare Ivan Krastev (président du Centre des stratégies u commencement était Viktor libérales à Sofia et chercheur à l’Institut des Orban. Le 26 juillet 2014, le pre- sciences humaines à Vienne), l’un des rares à mier ministre hongrois natio- s’être intéressé sérieusement à ce courant « dénaliste a développé sa concep- mocrate non libéral ». Orban est un héros de la tion de la démocratie, ou en lutte contre le communisme, devenu rapidetout cas la manière dont il l’ap- ment premier ministre, en 1998. A la surprise plique dans son pays. « Jusqu’à présent, nous générale, il est battu en 2002 et, pendant huit connaissions trois formes d’organisation étati- ans d’opposition, il forge une méthode pour, que : l’Etat-nation, l’Etat libéral et l’Etat-provi- cette fois, garder le pouvoir, que le gouvernedence, estimait le chef de gouvernement en ment polonais ultraconservateur essaie d’imipleine torpeur estivale. Maintenant, la question ter depuis la victoire de Droit et justice (PiS), en est : qu’est-ce qui va venir ensuite ? La réponse novembre 2015. hongroise, c’est que l’ère d’un Etat fondé sur la valeur travail doit leur succéder. (…) Le nouvel LA CONSTITUTION MODIFIÉE EN PROFONDEUR Etat que nous construisons en Hongrie n’est pas La remise au pas du tribunal constitutionnel a été un des premiers actes du nouveau régime. un Etat libéral, c’est un Etat non libéral. » Etat non libéral : jamais cette expression En 2010, avec 52,7 % des suffrages, le parti Fidesz n’avait été, jusqu’à présent, revendiquée par un de Viktor Orban, allié à une formation démodirigeant des vingt-huit pays de l’Union euro- crate-chrétienne, a obtenu les deux tiers des péenne. Elle passe alors plutôt inaperçue. Or sièges du Parlement, lui permettant de modicette démocratie alternative, selon Budapest, fier en profondeur la Constitution. Il s’est lancé proposerait des valeurs bien différentes de cel- dans un changement complet de la Cour sules des fondateurs de la maison commune. Elle prême, rebaptisée « Curia », éliminant au pasreposerait sur l’ordre, le contrôle de la presse, la sage son président, qui avait critiqué les attafamille, la religion, le culte de la terre, la mythi- ques du Fidesz contre la justice. Le Parlement fication d’un passé épuré, la mise au travail des avait annulé des décisions de justice qui viallocataires sociaux, voire la peine de mort saient des membres du Fidesz. La composition qu’il voulait remettre « à l’ordre du jour » en de la Cour avait été remaniée pour favoriser mai 2015. Selon l’ex-dissident, les valeurs occi- l’entrée de membres proches du pouvoir. Le dentales, fondées sur les droits de l’homme, le gouvernement a dû revoir quelque peu sa corespect des minorités, l’Etat de droit et le libre- pie, après des décisions défavorables de la Cour échange, ont fait long feu. Dans un entretien au de justice européenne et de la Cour européenne journal allemand WirtschaftsWoche, le 17 avril, des droits de l’homme à Strasbourg, mais en il a encore enterré la social-démocratie et la dé- gardant l’essentiel. La mainmise sur la presse est tout aussi specmocratie chrétienne européenne, estimant qu’elles avaient été dévoyées par le libéralisme. taculaire. Radio et télévision publiques ainsi que l’agence d’information MTI sont chapeautées par une autorité dont le président est UN MONDE ET UNE PENSÉE « VISIONNAIRES » Au mode de vie hérité des vainqueurs occiden- nommé pour neuf ans par le premier ministre. taux de la seconde guerre mondiale, il oppose Les productions doivent être « équilibrées » ; le son contre-modèle et désire faire de son pays, secret des sources n’est plus protégé ; 950 joursitué à la périphérie de l’UE, le centre nouveau nalistes de l’audiovisuel public sont licenciés. En matière économique, le gouvernement d’un monde et d’une pensée visionnaires. Il tourne le dos à Paris, à Berlin, à Washington et à s’attaque à la grande distribution, un secteur Bruxelles, pour liquider un quart de siècle dominé par des sociétés étrangères, en levant d’héritage libéral postcommuniste. Et ce dans un impôt rétroactif. Il s’immisce dans des conle but de placer sa petite Hongrie – moins de trats de droit privé en imposant les taux de 10 millions d’habitants – sous le modèle auto- remboursement des crédits en devises étranritaire de Singapour, de la Chine, de la Russie et gères. Mais il veille à respecter les critères européens, en redressant les comptes après la gesde la Turquie. Le concept de démocratie non libérale a été tion désastreuse du précédent gouvernement théorisé par le journaliste américain Fareed dominé par d’anciens communistes. Il se garde Zakaria dans la revue Foreign Affairs dès 1997, à bien aussi de s’en prendre aux intérêts allepropos « de régimes démocratiquement élus, mands, très présents en Hongrie et grands souvent réélus ou renforcés par des référen- pourvoyeurs d’emplois. Quand il a tenté d’attadums qui ignorent les limites constitutionnelles quer RTL, la principale chaîne privée hongroise, de leurs pouvoirs et privent leurs citoyens de propriété du groupe allemand Bertelsmann, il droits basiques et de libertés ». Dans cet article, a dû faire marche arrière. Orban a été facilement réélu en 2014. « Il a « The Rise of Illiberal Democracy », il donnait en contre-exemple les pays d’Europe centrale, mieux réussi en économie que ne le prédisaient qui « étaient passés avec succès du commu- ses détracteurs, explique Ivan Krastev. Et il a le nisme à la démocratie libérale ». C’est précisé- soutien des Hongrois. C’est pour cela que sa dément cette transition qui est remise en ques- mocratie non libérale peut devenir contagieuse. Il a su utiliser la crise des migrants. Son discours tion en Hongrie et en Pologne. A 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Hongrie Viktor Orban, architecte de la démocratie non libérale en Europe En rejetant la notion d’Etat de droit, le chef du gouvernement hongrois veut opposer aux valeurs des démocraties occidentales un contre-modèle autoritaire. Cette remise au pas recueille les faveurs d’autres pays d’Europe centrale et de partis d’extrême droite, qui surfent sur la crise des migrants géopolitique | 11 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 A Varsovie, Vienne et Budapest. POIKE STOMPS Photographies extraites du livre de Poike Stomps, Crossing Europe. est très bien reçu chez ces petites nations vieillissantes, qui se sentent menacées dans leur existence par le déclin démographique et ont peur de perdre leur majorité ethnique si une vague de migrants s’installe en Europe. » Car Viktor Orban n’est plus seul. La Pologne, la Croatie, la Slovaquie, trois nouveaux entrants dans l’UE, sont également gouvernés par des partis politiques aux tendances nationalistes et autoritaires. Le premier ministre hongrois a désormais pour allié le parti Droit et justice (PiS), au pouvoir en Pologne. Viktor Orban et le président du PiS, Jaroslaw Kaczynski – surmontant leurs différends sur la Russie de Poutine, avec laquelle la Hongrie a signé un contrat sur le nucléaire, en pleine crise ukrainienne – se sont longuement rencontrés en janvier dans les Carpates polonaises. Ce tête-à-tête au sommet scelle l’extension de la démocratie non libérale en Europe. En arrivant au pouvoir, le gouvernement polonais a appliqué les mêmes recettes. Il est entré dans un conflit ouvert avec le Tribunal constitutionnel, la plus haute autorité judiciaire. Le président de la République, Andrzej Duda, a également accordé sa grâce à l’un des ministres du gouvernement, chargé des services secrets, condamné en première instance à trois ans de prison pour abus de pouvoir lors du précédent gouvernement PiS (2005-2007), alors qu’un appel était en cours. Et les médias publics ont été placés sous contrôle. Les Polonais ont surpassé leur maître hongrois, en s’attaquant aux grandes figures de la transition démocratique, à commencer par Lech Walesa. Ils utilisent aussi la catastrophe aérienne de Smolensk, dans laquelle l’ancien président Lech Kaczynski a trouvé la mort, en 2010, pour s’attaquer au président du Conseil européen et éternel rival de Jaroslaw Kaczynski, Donald Tusk, qui était premier ministre à l’époque. Il n’y a pas que les Polonais. A partir du 1er juillet, l’UE sera présidée pour six mois par Robert Fico, le premier ministre slovaque, qui a déposé une plainte devant la Cour de justice de l’UE contre la répartition de quotas de réfugiés. Il est à la tête d’un gouvernement de coalition entre la gauche et le SNS, un parti d’extrême droite, dont le chef, Andrej Danko, fustige le multiculturalisme. « UN AXE FORT EN EUROPE CENTRALE » Enfin, la Croatie est en plein virage nationaliste depuis la formation d’un nouveau gouvernement, en janvier. Le principal parti de la coalition, le HDZ (Union démocratique croate), a notamment imposé différentes mesures contestées de reprise en main des médias et des institutions publiques. Le ministre des affaires étrangères croate, Miro Kovac, a effectué sa première visite à l’étranger à Budapest pour y déclarer : « Nous voulons développer un axe fort en Europe centrale. » Ivan Krastev s’était inquiété au milieu des années 2000 de l’émergence des démocraties non libérales à propos – déjà – de la Pologne des frères Kaczynski (2005-2007) et de l’arrivée Poike Stomps « J’aime regarder les foules », dit simplement ce photographe néerlandais, qui a observé les passants dans 42 capitales d’Europe. Durant les années 2011 et 2012, il a pris des clichés d’individus lambda traversant la rue à des carrefours très fréquentés, puis les a réunis en un ouvrage, Crossing Europe (« En traversant l’Europe », 2015 et 2016, disponible sur www.poike.nl). Poike Stomps, né en 1977 à Zeist, aux Pays-Bas, livre, à défaut de conclusions, quelques questions à partir de son expérience européenne : « Des pays ont rejoint l’UE pour des raisons purement économiques. N’y a-t-il rien d’autre qui nous réunisse ? Comment l’Union peut-elle cesser d’être une idée pour devenir une pratique ? » au pouvoir du populiste de gauche Robert Fico en Slovaquie, allié aux nationalistes. « Mais, aujourd’hui, nous sommes face à une tendance générale qui ne se limite pas à l’Europe centrale, explique-t-il. L’extrême droite peut remporter l’élection présidentielle en Autriche, le 22 mai. Les mobilisations antipopulistes ont échoué, et la peur générée par ces partis a décliné. Ils représentent désormais une alternative à l’establishment. » L’Europe est la nouvelle terre de mission de Viktor Orban. Surtout depuis que la crise des migrants a achevé de déstabiliser des pouvoirs fragiles, comme en Autriche, par exemple. Il entend désormais effectuer une tournée en Europe, dans le but de prêcher sa vision de l’avenir et de se poser en alternative à la chancelière allemande, Angela Merkel, et à sa gestion de la crise des réfugiés. L’heure n’est plus aux cris d’indignation proférés quand il a commencé, pendant l’été 2015, à construire une barrière sur sa frontière serbe. La montée de l’extrême droite et la peur des réfugiés musulmans dans l’opinion, après les attentats de Paris et de Bruxelles, incitent partout à la prudence. Des conservateurs reconnaissent mezza voce leur satisfaction de le voir tenir tête à Angela Merkel, la personnalité la plus puissante d’Europe. Son influence grandit. En dépit de sa réputation sulfureuse, il n’a jamais été un mouton noir d’extrême droite. Le Fidesz est membre de la principale famille politique du Vieux Continent, le Parti populaire européen Les habits « postmodernes » de l’extrême droite autrichienne il est un constat que les élites intellectuelles viennoises semblent rétives à partager, mais qui paraît incontestable : en 2016, c’est l’extrême droite, une famille politique qu’elles ne cessent de réduire à ses origines nazies sans lui reconnaître d’avoir mené une réflexion réelle, qui a fait un véritable effort pour penser l’avenir. Alors que la gauche et la droite de gouvernement ont échoué à renouveler leur personnel, le Parti libéral d’Autriche (FPÖ) affiche une volonté d’incarner la modernité, face au « monde d’hier », celui hérité des grands conflits du XXe siècle. Dans cette Autriche prospère de 8,6 millions d’habitants, le pouvoir – et les richesses – a été partagé entre le clan des « rouges » (les sociaux-démocrates) viennois et celui des « noirs » (les conservateurs) provinciaux, barons d’opérette en leurs vertes vallées. Dans la famille politique de HeinzChristian Strache, le successeur de Jörg Haider à la tête du FPÖ, cette « troisième voie » qui ne date pas de la crise des migrants, on réfléchit et on anticipe. Même si l’on arbore encore l’écharpe aux couleurs de l’Allemagne au bal annuel des corporations estu- diantines, tout comme le bleuet prussien des militants nazis de 1933 à 1938. Au-delà de ce folklore nostalgique, le FPÖ se targue même d’avoir LA vision pour les générations futures. Dans les colonnes du quotidien conservateur Die Presse, l’intellectuel historique de l’extrême droite autrichienne, Andreas Mölzer, ami du Français Bruno Gollnisch (Front national), annonçait par exemple tout récemment encore l’émergence d’un nouveau système politique typiquement autrichien, différent de celui qui a cours depuis 2010 en Hongrie et qui ne serait donc pas qu’une simple « orbanisation » des nations danubiennes. Cette « identité postmoderne » – ainsi a-t-il nommé le projet – prendrait selon lui « la forme d’une redécouverte de soi, de l’espace confiné de la patrie, en connexion avec un monde ouvert et les nouvelles technologies ». Selon lui, avec un président d’extrême droite en Autriche – cas unique en Europe –, le FPÖ réussirait en quelque sorte enfin le mariage de la culotte de peau et de l’iPhone. On verrait alors l’éclosion dans la Vienne cosmopolite et métisse – siège de l’ONU, de l’OPEP, de l’OSCE, de l’Agence européenne des droits fondamentaux – qui, à l’exception de sa langue et de son histoire, n’est maintenant pas plus germanique que slave et latine, d’une capitale de l’internationale des nationalismes. L’Autriche du FPÖ serait ouverte à la coopération humanitaire, neutre et européenne. Le FPÖ bien vu au Kremlin Tout un programme, qui par le passé n’a pas pu être mis en œuvre, les partis nationalistes ayant toujours fini par se quereller. Sauf que le FPÖ prouve, et depuis des années déjà, qu’il peut désormais entretenir des relations opportunistes, fondées sur des objectifs communs, avec bon nombre de mouvances, dans des pays aussi divers et importants que la France, le Japon ou l’Egypte. Il est bien vu au Kremlin et indiffère dans une majorité de capitales. Il va jouer son va-tout à la faveur du second tour de la présidentielle, le 22 mai, face au candidat écologiste Alexander Van der Bellen. La crise des réfugiés a achevé de diviser un Parti social-démocrate (SPÖ) au bord de l’explosion, à cause du virage décidé par Werner Faymann, le chancelier de gau- che ayant emboîté le pas à la très autoritaire Hongrie voisine en faisant fermer les frontières, au mépris de la convention de Genève. « C’est ce contexte qui est nouveau et qui donne une dimension européenne à ce qui se passe en Autriche, énonce la politologue allemande Tanja Börzel. Pour la première fois, on n’a plus le FPÖ contre la gauche ou la droite au second tour, mais une confrontation entre ceux qui, par exemple, sont contre l’islam et ceux qui défendent le multiculturalisme. » Mais la montée du FPÖ n’est pas imputable uniquement à la crise des migrants. Il y a eu le coup de maître de Heinz-Christian Strache avec le choix de Norbert Hofer, numéro trois du parti et ami personnel, comme candidat à la présidentielle, nettement en tête avant le second tour. En plus d’être une éminence grise, M. Hofer s’est épanoui en orateur talentueux et télégénique. Quant à M. Strache, longtemps méprisé pour ses virées à Ibiza, sa propension à manier le dialecte viennois et ses origines sociales – il est prothésiste dentaire –, il s’est libéré de la vieille garde sulfureuse du FPÖ. p bl. ga. (vienne, correspondant) (PPE) – aux côtés des Républicains, en France, et de la CDU, en Allemagne. Orban a des soutiens puissants à Bruxelles, comme le chef du groupe parlementaire PPE, Manfred Weber, membre de la CSU, ou le président du PPE, le Français Joseph Daul, qui était venu soutenir sa réélection en 2014. C’est la principale raison qui a permis à Viktor Orban de traverser sans dommage la période durant laquelle il a essuyé les récriminations d’une partie de la classe politique européenne. Le PPE préférait le garder dans sa famille, plutôt que de le voir rejoindre le PiS et les tories britanniques au sein des conservateurs et réformistes européens. Orban prenait aussi soin de tenir compte des critiques grâce à une tactique efficace vis-à-vis de Bruxelles : deux pas en avant, un pas en arrière. Il revenait sur un des points qui fâchaient, tout en continuant à avancer. Depuis la crise des migrants, il n’a plus besoin de reculer. ORBAN, KACZYNSKI ET LA LIGNE ROUGE « Viktor Orban a toujours dansé au bord de la ligne rouge, sans la franchir. Kaczynski, en Pologne, essaie systématiquement de la franchir », remarque Ivan Krastev. La Commission européenne a réagi plus fermement à l’égard de Varsovie que de Budapest. Elle a mis en œuvre une nouvelle procédure – créée après l’arrivée d’Orban au pouvoir – de sauvegarde de l’Etat de droit. Mais, à peine enclenchée, la procédure a suscité la gêne, à commencer par celle du président du Conseil européen, Donald Tusk, qui ne la juge pas nécessaire. Dans une Pologne divisée, même ceux qui sont hostiles au gouvernement PiS sont réservés sur l’opportunité de sanctions européennes. En février, l’ONU a tancé Viktor Orban pour avoir « affaibli » la démocratie en ayant fait voter un millier de lois en six ans, démantelant la plupart des contre-pouvoirs. Et, tout récemment, l’ONG Freedom House relevait dans son rapport annuel un déclassement de la Hongrie par rapport aux pays d’Europe centrale, dont la structure démocratique rejoindrait celle, beaucoup moins avancée, de pays des Balkans comme l’Albanie ou la Macédoine. Mais l’Europe semble paralysée face aux « polycrises » qui la secouent, du « Grexit » au « Brexit » en passant par la crise des migrants ou l’agressivité de la Russie de Poutine, qui se réjouit des faiblesses européennes. Elle se sent véritablement menacée de désintégration. C’est le paradoxe de cette extension du domaine de l’Europe non libérale. « Tous ces pays d’Europe centrale vivent en partie des fonds structurels de l’UE. Si l’Union européenne se désintègre, ils en seraient les premières victimes. Et ils deviendraient de très petits pays dans un monde très grand », souligne Ivan Krastev, qui relativise la portée de cette expansion. « Viktor Orban est un politicien très habile et opportuniste. Ses imitateurs n’ont pas forcément le même succès, comme le montre l’échec relatif de Fico aux dernières élections. Oui, il y a une épidémie populiste en Europe, mais on n’en est pas au stade de la pneumonie, d’une maladie dont on peut mourir. » p 12 | géopolitique 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Le modèle Orban de « démocratie non libérale »… POLOGNE E S P A C E S C H E N G E N DROITE NATIONALISTE RADICALE ET EXTRÊME DROITE DOMINENT LA HONGRIE Le Fidesz (Union civique hongroise), parti au pouvoir de Viktor Orban (nationaliste, eurosceptique et non libéral) RÉPUBLIQUE TCHÈQUE Le Jobbik, parti d’extrême droite (ultranationaliste, antisémite et anti-Roms) La coalition de centre-gauche, composée de cinq partis, créée en 2014 LMP, autre parti de gauche SLOVAQUIE 133 UKRAINE 38 23 Komarno Gyor Tatabanya 199 SIÈGES ATTEINTE À LA LIBERTÉ DE LA PRESSE DEPUIS 2010 Tis za AUTRICHE Nyireghyhaza Eger 117 atteintes 5 Censure, poursuites, fermetures de médias indépendants, arrestations de journalistes... Debrecen Budapest ENTRAVE À LA SÉPARATION DES POUVOIRS Veszprem E S P A C E S C H E N G E N Cour constitutionnelle : série d’amendements affaiblissant le contrôle exercé par la Cour sur le Parlement dominé par le Fidesz HONGRIE Dunaujvaros Kecskemet Zalaegerszeg RECRÉER L’ESPRIT D’UNE NATION HONGROISE SLOVÉNIE Pecs Danube Paks Minorités hongroises vivant dans les pays frontaliers, à qui la citoyenneté a été octroyée Szeged ROUMANIE Minorité rom visée en priorité par les travaux d’intérêt public. 263 000 personnes enrôlées en 2015 sous peine de suppression des allocations sociales en cas de refus. CROATIE … confronté à la crise des migrants... Limite de l’espace Schengen Flux migratoire sur la route des Balkans, principal couloir migratoire en provenance de la Grèce Fermeture des frontières sauf exception humanitaire et demandeurs d’asile dans le pays concerné Construction de murs antimigrants BOSNIEHERZÉGOVINE SERBIE … en profite pour renforcer son alliance avec d’autres eurosceptiques Avec les pays du groupe de Visegrad, qui s’opposent à l’instauration de quotas pour l’accueil des migrants Danube Avec la Croatie, où un nouveau pouvoir ultranationaliste est installé depuis janvier 50 km Avec la Russie, construction d’une centrale nucléaire La Hongrie, entre ses murs A la tête d’un pays enclavé au cœur de l’Europe, à la limite de la zone Schengen, Viktor Orban, qui a fermé les frontières aux migrants, veut effacer un quart de siècle d’héritage libéral postcommuniste LE « DIKTAT » DE TRIANON (1920) DE 1945 À 1989, LA CULTURE DES MURS Empire austro-hongrois À PARTIR DE 2004, UNE ENVIE D’EUROPE PARADOXALE Pacte de Varsovie Empire d’Autriche Pays de la « couronne de saint Etienne » Union européenne Limite de l’espace Schengen Hongrie actuelle Hongrie actuelle Condominium de l’Autriche-Hongrie URSS Hongrie actuelle BLOC DE L’OUEST HONGRIE Royaume de Hongrie Rideau de fer BLOC DE L’EST HONGRIE UNION EUROPÉENNE HONGRIE Royaume de Croatie-Slavonie Au sortir de la première guerre mondiale, la nouvelle Hongrie – issue du dépeçage de l’Empire austro-hongrois – se voit, en vertu du traité de Trianon (1920), amputée des deux tiers de son territoire. Trois millions de Hongrois se retrouvent hors de ses frontières. Un siècle plus tard, le président Viktor Orban accordera la nationalité hongroise aux magyarophones pour réparer la « douloureuse injustice de Trianon ». De son côté, le Jobbik, le parti d’extrême droite, fait du rejet de « l’Europe de Trianon » son fonds de commerce. Il renvendique les frontières de la « couronne de saint Etienne ». Il a obtenu 20 % des voix aux législatives de 2014. SOURCES : MAPPING MEDIA FREEDOM ; UNHCR ; MAGAZINE CARTO, N°4, 2011; AFP ; LE MONDE Durant près d’un demi-siècle, la Hongrie est sous domination soviétique. Soumis à un régime autoritaire, le pays est enfermé derrière le rideau de fer qui empêche les populations de circuler. La Hongrie, comme de nombreux pays de l’Est, n’a pas de tradition d’accueil des populations du Sud. Face à l’afflux massif de migrants, près de 400 000 personnes depuis début 2015, une majorité de Hongrois soutiennent la politique de fermeture des frontières de Viktor Orban, qui dénonce la vision multiculturaliste imposée par les pays de l’Europe de l’Ouest. Après la chute du communisme, la Hongrie prend son indépendance et se tourne vers l’Ouest. Elle adhère à l’Union européenne en 2004 et devient membre de l’espace Schengen en 2007. Le pays a largement bénéficié des fonds européens. Pourtant, depuis 2010, Viktor Orban a affirmé à plusieurs reprises la souveraineté de la Hongrie face à Bruxelles. Il s’est opposé aux solutions proposées par Angela Merkel pour résoudre la « crise des migrants » au niveau européen. CARTOGRAPHIE : VÉRONIQUE MALÉCOT ET DELPHINE PAPIN géopolitique | 13 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Jacques Rupnik « Il y a des courants populistes ailleurs, mais, en Europe centrale, ils sont au pouvoir » A cela s’ajoute le fait que ces pays se retrouvent en porte-à-faux par rapport à l’évolution d’un modèle de société occidentale qu’ils réprouvent sur deux plans. Les valeurs libérales et individualistes ont conduit à la généralisation du mariage gay, par exemple. L’autre refus est celui d’une société multiculturelle. Ils ont le sentiment qu’on veut leur opposer un modèle de société qui a échoué, comme ils le voient à travers des images des banlieues et des profils de terroristes. La société multiculturelle viendrait des péchés coloniaux des pays occidentaux, et l’intégration serait faite au nom d’un complexe postcolonial. Ils estiment qu’ils ont été colonisés dans l’empire soviétique et qu’ils n’ont donc pas de dette à l’égard des pays d’émigration. Ils ont pourtant été des pays cosmopolites. Est-ce complètement oublié ? C’était l’époque des sociétés multiculturelles des empires, où les peuples se mêlaient sous un toit commun. Cette Europe plurielle a progressivement disparu après la première guerre mondiale, avec la constitution des Etats-nations qui comportaient environ un tiers de minorités. Après la seconde guerre mondiale, la destruction des juifs, le départ des Allemands et la modification des frontières en ont fait des pays homogènes. Derrière le rideau de fer, ils n’ont pas été exposés aux vagues migratoires du dernier demi-siècle en Occident. Au moment où l’Europe occidentale devenait multiculturelle, ils étaient devenus homogènes. Quand Bruxelles et Angela Merkel ont essayé de leur proposer des quotas de migrants, ils se sont rebiffés devant ce qu’ils percevaient comme une menace pour leur identité nationale et pour la civilisation européenne. L’imaginaire historique de la Hongrie reste marqué par l’invasion ottomane. Avec la crise des migrants, le pays est redevenu une frontière de la civilisation occidentale face à des réfugiés empruntant la route ottomane. Et il ne protège pas la civilisation européenne des hordes de migrants, mais aussi de celle qui veut les pousser à les accepter : l’Allemagne d’Angela Merkel. C’est un autre paradoxe : ils ont gardé une conception allemande ethno-culturelle de la nation, qu’ils ont transposée sur le plan européen, au moment où l’Allemagne a adopté une vision de l’Europe fondée sur les valeurs universalistes des droits de l’homme. Le chercheur français, ex-conseiller de Vaclav Havel, analyse les raisons d’une dérive contagieuse au sein de l’Union européenne. En Hongrie, Pologne, Slovaquie et Croatie, on assiste, dit-il, à une régression de la démocratie, doublée d’une crispation identitaire et souverainiste cès de ces transitions à la capacité d’introduire les institutions de l’Etat de droit, qui était lié à la perspective européenne. La promesse d’une adhésion européenne a amené les acteurs politiques à forger un consensus fort pour créer des instruments compatibles avec l’UE. Cela suppose la confiance dans la capacité d’appliquer des normes, avec des institutions judiciaires indépendantes capables d’y veiller. SCIENCES PO-CERI ENTRETIEN propos recueillis par alain salles J acques Rupnik, directeur de recherches à Sciences Po, est l’un des principaux spécialistes français de l’Europe centrale. Né à Prague en 1950, il a été le conseiller du président tchèque Vaclav Havel, de 1990 à 1992. Il a notamment publié Les Banlieues de l’Europe et Géopolitique de la démocratisation. L’Europe et ses voisinages (Presses de Sciences Po, respectivement 2007 et 2014). Les pays d’Europe centrale semblent se détourner de certaines valeurs européennes qui les avaient poussés vers l’adhésion à l’UE après la chute du communisme. Comment l’expliquez-vous ? Ce qu’il faut bien appeler une dérive en Europe centrale intervient dans des pays qui étaient considérés comme des réussites en termes d’économie et de démocratie. Il y a eu, avec l’élargissement, une convergence sans précédent avec l’Europe occidentale. C’est un rattrapage extraordinaire qui a été tiré par les subventions et l’économie européenne, et singulièrement par le moteur allemand. Ces pays ont développé une conception de l’Europe à l’anglaise, qui reposait sur la nation au niveau politique, sur l’OTAN au niveau sécuritaire et sur Bruxelles au niveau économique. La référence britannique a faibli, depuis que Londres débat d’une sortie de l’UE. Pendant la crise économique, ils se sont alignés sur l’Allemagne, et ils insistaient pour se présenter comme des pays du Nord. Aujourd’hui, ils revendiquent leur position d’Europe centrale mais de façon très différente des années 1980, quand leurs grands écrivains affirmaient une identité distincte du « bloc de l’Est ». Ils revendiquaient alors, par-delà le rideau de fer, leur appartenance européenne et occidentale qu’ils définissaient par des valeurs, un héritage culturel, une civilisation. « Culturellement à l’Ouest, politiquement à l’Est, géographiquement au centre » : c’était le dilemme ou la « tragédie » de l’Europe centrale qu’exprimait Milan Kundera dans son texte sur « Un Occident kidnappé » [Le Débat n° 27, 1983]. L’autre aspiration était celle portée par la dissidence, les droits de l’homme, les revendications démocratiques d’une société civile et le dialogue avec l’espace public européen. C’est cet esprit, dont Vaclav Havel devint le symbole, qui s’est retrouvé au pouvoir au moment des transitions de l’espace communiste vers des régimes démocratiques. On a attribué le suc- C’est précisément ce consensus qui est attaqué en Hongrie ou en Pologne… On assiste dans ces pays à une régression de la démocratie, avec une remise en question de l’Etat de droit, qui passe par des attaques contre les cours constitutionnelles et la remise en cause de la neutralité politique de l’administration. Cela est suivi de la reprise en main des médias publics. Le scénario est le même dans la Hongrie de Viktor Orban et dans la Pologne de Jaroslaw Kaczynski. Il y a des courants populistes et nationalistes importants ailleurs, mais en Europe centrale ils sont au pouvoir. On parlait d’une exception hongroise, il y a désormais la Pologne, qui est le grand pays de la région. On peut y ajouter la Slovaquie, où Robert Fico, un Orban de gauche, gouverne en coalition avec un parti nationaliste de droite. Et la Croatie, qui met en place un gouvernement national-conservateur avec un ministre de la culture admirateur des oustachis (régime croate pronazi pendant la seconde guerre mondiale) s’attaquant aux médias indépendants. Pour paraphraser Churchill, qui évoquait le rideau de fer de la Baltique à l’Adriatique, on peut parler de démocratie non libérale de la Baltique à l’Adriatique. Il s’agit de pays membres de l’UE qui combinent une régression de la démocratie avec une crispation identitaire et souverainiste. C’est un retour de l’Europe centrale, mais pour défendre cette fois une identité et une civilisation européennes qui seraient menacées par la Russie à l’est et l’islamisme au sud. Comment la question migratoire a-t-elle renforcé ces pays d’Europe centrale ? La vague migratoire et la question des quotas ont renforcé considérablement Viktor Orban, qui était en chute libre dans les sondages début 2015. En Pologne, le parti Droit et justice de Jaroslaw Kaczynski aurait certainement gagné les élections législatives de l’automne 2015, mais il n’aurait sans doute pas pu avoir la majorité absolue sans la crise des migrants. La crise économique avait déjà ébranlé la confiance dans le modèle européen, qui apportait l’amélioration du niveau de vie et protégeait des effets de la mondialisation. Avec la crise, l’Europe est perçue comme un instrument de la mondialisation qui impose des mesures de rigueur. Un phénomène analogue s’est produit avec la crise migratoire. L’Europe sans frontières qui était bénéfique – le grand acquis de l’après-1989 – est devenue un problème quand les frontières extérieures se sont révélées incertaines. L’Europe, qui représentait un ancrage stable, rassurant, associé à la prospérité, est devenue un élément d’insécurité et d’inquiétude. JOSEF KOUDELKA/MAGNUM PHOTOS « The Remains of the Berlin Wall », l’un des clichés pris de 1990 à 1995 par Josef Koudelka après la chute du Mur. Josef Koudelka Avec Henri Cartier-Bresson comme figure tutélaire, ce photographe français d’origine tchèque (il est né en 1938, en Moravie) a toujours tenu – et réussi – à conserver son indépendance, grâce à des bourses et des prix. Il se fait remarquer par un grand reportage sur le monde des Roms, dont témoigne son premier livre, Les Gitans. La fin du voyage (1975), qui lui vaudra le prix Nadar. Après avoir photographié l’invasion de son pays natal par les troupes russes, en 1970, il reçoit le prix Robert-Capa et s’installe en Angleterre, puis devient membre de l’agence Magnum. Son travail fait l’objet d’une première exposition au MoMA, en 1975, à New York. Bien d’autres suivront à travers le monde. A 78 ans, Josef Koudelka vit à Prague, où il est revenu en 1990, en gardant un ancrage à Paris. « Je me sens européen et non appartenant à une nationalité », disait-il en juin 2015. Quel rôle le groupe de Visegrad (Hongrie, Pologne, Slovaquie et République tchèque) joue-t-il dans cette réorientation de l’Europe ? La crise migratoire a permis de ressouder le groupe de Visegrad, qui végétait. Les quatre pays qui le constituent agissaient en ordre dispersé sur l’économie comme sur la crise ukrainienne. Les Polonais étant farouchement hostiles à la Russie de Poutine, à la différence des Hongrois et des Slovaques. Le refus des quotas leur a permis de défendre des positions communes face à ce qu’ils perçoivent comme une menace pour leur identité. La République tchèque a une position plus mesurée, malgré les emportements du président, Milos Zeman. Mais le gouvernement partage globalement la même position sur les migrants. Le changement de position de l’Autriche sur les migrants et la possibilité d’une victoire de l’extrême droite à la présidentielle du 22 mai préfigurent-ils un rapprochement avec Budapest et Varsovie ? Orban est persuadé que l’Europe va dans le mur si elle suit l’exemple de Merkel sur les migrants, et que la volte-face de l’Autriche lui donne raison. Vienne, après avoir soutenu la politique d’accueil de la chancelière allemande, un bref « Anschluss humanitaire », a fermé ses frontières avant d’ouvrir le dialogue avec les pays des Balkans pour couper la route aux migrants. L’Autriche fait partie de l’espace centre-européen. C’est une forme de retrouvailles. Mais nous ne sommes pas tout à fait dans la même dimension. Elle relève plutôt du populisme alpin, qui regroupe des nations riches qui ne veulent pas partager : le populiste suisse Christoph Blocher, les Bavarois de la CSU, la Ligue du Nord en Italie. Quand, en 2000, l’Europe a ostracisé l’Autriche après la coalition entre les conservateurs et l’extrême droite, Viktor Orban a été le premier soutien du chancelier Wolfgang Schüssel. Le responsable de la CSU, Edmund Stoiber, était venu au congrès du Fidesz en compagnie de M. Schüssel. On a vu là se constituer un axe BavièreAutriche-Hongrie qui lui a servi quand il est arrivé au pouvoir en 2010. Il lui a aussi permis de conserver le soutien d’une bonne part du Parti populaire européen, quand il était attaqué par la Commission européenne lors de la mise en place de sa démocratie non libérale, qui aujourd’hui prospère. p 14 | CULTURE 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 G R A N D E U R , D É C L I N E T R E N A I S S A N C E D E L A P O P I TA L I E N N E La relève transalpine redécouvre Lucio Battisti et son parolier Mogol, fondateur de la Nazionale Italiana Cantanti, une équipe de football composée de chanteurs REPORTAGE avigliano umbro, milan, turin, bologne, rome (italie) – envoyé spécial M ogol est un homme de parole. Une équipe de moines l’a invité à participer au match caritatif qu’ils organisent, dans quelques jours, sur la pelouse de leur monastère. Pas question de faire faux bond aux frères, qui le marquent à la culotte depuis des semaines pour que leur partie bénéficie de sa notoriété. Alors, en cet hiver éprouvant, il soigne sa condition physique : « Je tiendrai ma place – un mauvais rhume, rien de grave », rassure l’athlète de 79 ans, en survêtement azur devant l’âtre d’une cheminée. Giulio Rapetti, dit Mogol, n’est pas un footballeur ordinaire. Tous les Italiens connaissent ses poèmes, chantés par la voix rauque de son alter ego, Lucio Battisti. Dans sa Lombardie natale, une association s’active même pour qu’il obtienne le prix Nobel de littérature. Mais lui n’établit pas de hiérarchie entre les crampons qu’il chausse et les chansons qu’il échafaude. « C’est la même aventure », glisse-t-il avec la classe et le calme des grands milieux de terrain transalpins. Les poètes comparent l’Ombrie au nombril de l’Italie ; les amateurs de calcio y voient le rond central du pays. C’est là, en terre étrusque, dans la zone la plus axiale de la péninsule, que Mogol s’est installé, au début des années 1990. Une bâtisse médiévale, nichée parmi les collines qui serpentent d’Orvieto à Terni, non loin d’Avigliano Umbro. Le parolier, qui traversa plusieurs fois l’Italie à cheval aux côtés de Lucio Battisti, y a aménagé une étable, ainsi qu’un terrain de foot. Il en fait profiter les résidents de la villa – des amis, des touristes ou les jeunes étudiants du CET, l’école de musique populaire qu’il a ouverte à son arrivée. Comme pour leur en mettre plein la vue, les murs vermillon sont tapissés de photographies en noir et blanc du couple Mogol-Battisti. Les yeux les mieux exercés reconnaîtront, parmi elles, des images d’un match mythique, joué le 2 octobre 1975 devant 10 000 spectateurs à Milan. Il s’agit de la première des 279 apparitions de Mogol sous le maillot de la Nazionale Cantanti, une sélection de chanteurs-footballeurs italiens qu’il a fondée, présidée et animée pendant plus de quarante ans. Ses statistiques sont un poème. « Mogol : 33 gol », griffonne l’ex-capitaine sur un bout de papier, qu’il tend pour la rime plus que pour la frime. Comme d’autres équipes associatives, la Nazionale Cantanti vise d’abord à soutenir des causes humanitaires, sociales et diplomatiques, par le biais de levées de fonds et de campagnes médiatiques savamment orchestrées. « L’ultime poignée de main entre Shimon Peres et Yasser Arafat a eu lieu lors d’un match de la Nazionale Cantanti, le 25 mai 2000, au stade olympique de Rome », insiste Mogol, l’œil brillant. SUPÉRIORITÉ TECHNIQUE Mais que le maître nous pardonne : si sa squadra fascine tant, c’est moins pour son palmarès politico-sportif que pour l’histoire musicale qu’elle raconte en creux. Sur le terrain ou dans les gradins, la Nazionale a longtemps rassemblé l’élite de la chanson italienne. De Caterina Caselli – la mixité est de mise – à Adriano Celentano, de Lucio Dalla à Franco Battiato, de Jimmy Fontana à Luca Carboni, une revue de ses effectifs rappelle combien la Botte fut à la pointe de la pop européenne. Cet âge d’or, qui s’étend du milieu des années 1950 au début des années 1980, s’explique par un dispositif tactique huilé – si l’on s’autorise à filer la métaphore footballistique. Génération Battisti En défense, l’Italie aligne alors des maisons de disques solides et clairvoyantes, comme RCA Italiana, Dischi Ricordi, Ri-Fi, Yep, Cramps ou Numero Uno, le label créé par Mogol ; la plupart disposent de leurs propres studios d’enregistrement. En milieu de terrain, des arrangeurs et instrumentistes polyvalents, souvent salariés d’un label, interviennent avec autorité ; issus du jazz, du rock progressif ou du classique, tels Ennio Morricone, Enrico Intra, Gian Piero Reverberi, Luis Bacalov, Eliop ou Roberto Colombo, ils confèrent au jeu italien sa supériorité technique. En attaque, des voix véloces trouvent les notes et les mots pour chanter les passions d’une nation qui se relève tout juste des décombres fascistes : allant imparable, allure incomparable. En guise de supporteurs, enfin, le pays peut compter sur un festival fervent, San Remo, adossé à un groupe audiovisuel puissant, la RAI. Mais, au tournant des années 1980 et 1990, les Azzurri dévissent. Les titulaires vieillissent, le collectif se délite, la course à l’argent et à la célébrité dribble les considérations artistiques. « Quand l’économie entre sur le terrain, la culture fuit, juge Mogol. Jusqu’à la fin des années 1980, les grands médias cherchaient la qualité – et la proposaient. Puis, par appât du gain, ils ont arrêté. » De RCA à Ricordi, les grands labels périclitent. San Remo se vulgarise, le pays se berlusconise, la Nazionale Cantanti se ringardise, à l’image de son joueur emblématique, le clinquant Eros Ramazzotti – qui totalise près de 130 buts à ce jour. L’an 2000 se profile, l’heure est aux opérations « mains propres », et la jeune chanson « AVEC LE TEMPS, “ANIMA LATINA” FINIT PAR ÊTRE SALUÉ POUR CE QU’IL EST : UN CHEF-D’ŒUVRE. PAUL MCCARTNEY LUI-MÊME EN CONVIENT ! » MOGOL parolier de Lucio Battisti italienne tacle sans pitié un système qu’elle juge dopé et corrompu. De la new wave de CCCP Fedeli alla linea au raggamuffin d’Almamegretta, les espoirs préfèrent alors, aux projecteurs nationaux, l’ombre de l’amateurisme ; à rebours des compromissions mainstream, ils optent pour l’intégrité des circuits indépendants. Deux décennies durant, les ragazzi s’entraînent, s’échauffent, progressent. A tel point que, aujourd’hui, s’il venait à un coach l’idée de composer une Nazionale Cantanti alternative, cette sélection « bis » écraserait l’équipe officielle – sur le plan musical, s’entend. BATTISTI, AVANT-CENTRE Notre entraîneur aurait même l’embarras du choix, tant, depuis quelques saisons, la scène « indie » fleurit en Italie. Pour choisir son onze type, il pourrait puiser dans la programmation du prochain Mi Ami, un festival qui réunit, les 27 et 28 mai à Milan, Cosmo, Iosonouncane, Calcutta, Pop_X ou I Cani, soit la crème de la nouvelle génération. La manifestation a été lancée en 2005 par le site Rockit. it, dont les journalistes couvrent depuis 1997 l’actualité musicale transalpine. « Les médias dominants avaient renoncé à leur mission de défrichage, estime la chroniqueuse Nur AlHabash. Nous avons comblé un vide, voilà tout. » Rien ne semble, a priori, réunir ces jeunes gens disséminés du nord au sud du pays et signés sur une myriade de microlabels (42 Records, La Tempesta, Bomba Dischi, Trovarobato, Gas Vintage…). Hormis leur âge – une petite trentaine d’années – et quelques compli- cités amicales. Mais, à les examiner de plus près, beaucoup partagent « une certaine mélancolie », selon Nur Al-Habash : « Ils ont grandi en respirant le même air. Contrairement aux générations des années 1980 et 1990, la politique est absente de leurs chansons, de même que la volonté de se poser en alternative au système. Moins de rage, moins d’enthousiasme aussi : le focus est intime, personnel. » Une inclination qui puise chez Battisti : « Les albums de Lucio sont le fil rouge de la scène actuelle, en particulier Anima Latina. C’est un disque ambitieux, qui mêle sonorités latines et expérimentations électroniques pour raconter de manière honnête les rapports hommes-femmes. » Anima Latina sort en décembre 1974, quelques mois avant l’unique apparition de Battisti sous la tunique de la Nazionale Cantanti. Il scinde, en deux mi-temps de durée presque égale, la collaboration entre le chanteur et Mogol, qui s’étale de 1966 à 1980 : il y aura un avant et un après. C’est le premier album de Battisti sans single promotionnel ; le premier aussi à être massacré par la critique et boudé par le public. Textes et musiques ont été inspirés par un voyage de plusieurs semaines en Amérique du Sud. « Lucio et moi avons été marqués par la ferveur des jeunes Brésiliens jouant au foot dans les favelas, heureux malgré la misère », se souvient le parolier. A l’époque, le Lombard fait déjà figure de briscard de l’industrie musicale. C’est son père, parolier et directeur artistique pour la Ricordi, qui lui a mis le pied à l’étrier. Mogol s’est fait un nom en adaptant en italien les succès de Dylan ou des Beatles, puis en pre- culture | 15 0123 D I S C O G R A P H I E DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 La Nazionale Italiana Cantanti, le 2 octobre 1975, à Milan. Debout, Lucio Battisti (3e en partant de la droite) et Mogol (1er à gauche). ETORE VALENZA/RCS/ CONTRASTO-REA COS MO L’Ultima Festa Quand il s’extirpe du groupe indie rock Drink to Me, Marco Bianchi chante d’une voix pure sous le pseudo de Cosmo. Référence, paraît-il, à « l’éternel retour » nietzschéen. Et c’est bien tout un pan de l’électro italienne, de la « cosmic disco » de Daniele Baldelli aux boucles dance de Gigi D’Agostino, qui effectue là un retourné acrobatique. Festive et poétique, sa techno-pop frappe fort, au diapason du carnaval de la ville où cet ex-étudiant en philo est né, il y a trente-trois ans, Ivrea (Piémont) : les participants s’y jettent des oranges, jusqu’à plus soif. p a. to. 1 CD 42 Records, 2016 F I T N ESS FOR EVER Personal Train de synthés et jappements doux-amers. « De Battisti j’apprécie d’abord la discrétion : très peu d’interviews, pas de tournées – manière de rappeler que les chansons importent plus que leur chanteur », confesse Contessa, qui a longtemps dissimulé son visage derrière un masque, comme les Daft Punk. Il reçoit dans une trattoria de Testaccio, un quartier populaire qui vibre aux couleurs de l’AS Roma. Comme ses camarades, il se sent à l’étroit dans les niches underground : « J’aspire à l’anonymat pour moi-même, et à la notoriété pour mes morceaux : Battisti a montré que ce n’était pas incompatible. » Le jeune moustachu a coproduit Mainstream (2015), de son ami Calcutta : un album dont le titre dit bien le dessein – objectif en passe d’être atteint si l’on en juge par les scores de ses clips, qui dépassent le million de vues. De même que Battisti, qui était originaire de Poggio Bustone, Calcutta – Edoardo D’Erme pour l’état civil – a grandi dans les environs de la capitale. « Je viens de Latina, une ville fondée par les fascistes, à 60 km de Rome », précise-t-il. D’aucuns ont fait payer à Battisti ses silences politiques, en les rapprochant de l’enrôlement de son père, fonctionnaire fiscal, par l’armée mussolinienne. « Les années 1960 et 1970 étaient saturées d’idéologie, rappelle Mogol. Ceux qui, comme Lucio et moi, écrivaient avant tout sur la sphère intime étaient considérés comme pires que des fascistes : des je-m’en-foutistes. Quand bien même un disque comme Anima Latina évoque les bidonvilles… » Mélodies claires et inflexions sincères, Calcutta déborde le politiquement correct par les ailes droite et gauche. Dans Gaetano, le narrateur s’excuse d’avoir dessiné une croix gammée sur les murs de Bologne (« C’était juste pour la dispute »), avant un refrain frisant le carton jaune (« Flammes dans le campement rom/Ta mère disait : “Ne va pas sur YouPorn” »). « Mes chansons parlent avant tout de vie de couple, concède Calcutta. Mais, ce faisant, il est normal qu’elles fassent écho à des sujets sociaux ou politiques, comme celles de Mogol. » Si l’on se fie au livret des deux albums publiés par Fitness Forever, le footballeur colombien Carlos Valderrama aurait rasé sa fameuse touffe de cheveux pour mieux réussir sa reconversion : l’ancien milieu offensif coacherait désormais ce quatuor napolitain, dont il aurait écrit, composé et arrangé les joyaux pop – qui évoquent un « une-deux » entre Burt Bacharach et Lucio Battisti. A moins qu’on ait affaire à une bande de jeunes farfelus, dont les blagues futées rivalisent avec les formes affûtées… p a. to. 1 CD Elefant Records, 2009 C ALCU T TA Mainstream Sur la pochette, Edoardo del Verme, 26 ans, tient une écharpe de supporteur du Bologna FC, avec le titre de son premier véritable album inscrit en lettres blanches : Mainstream. Manière d’afficher la couleur. Originaire de Latina, ce joueur revient de blessures – sentimentales, amicales, familiales – et accuse un certain surpoids – les arrangements pourraient être plus légers. Mais son écriture, directe et touchante, n’a rien à envier à celle de ses modèles – Caetano Veloso, Morrissey, Battisti. Le buteur pop que la Botte n’espérait plus. p a. to. 1 CD Bomba Dischi, 2015 I OS ON OU N C AN E DIE « Die » signifie « jour » en sarde et « mourir » en anglais. Contraste qu’accentuent les six morceaux de cet éblouissant album-concept, le deuxième pour Jacopo Incani, 33 ans : il n’y utilise qu’une trentaine de mots, qu’il module dans des combinaisons de plus en plus irréelles. Musicalement, la queue du cabot balance des effrois bruitistes d’Animal Collective aux émois harmonieux d’Anima latina, de Battisti, avec échos païens et archaïques. Moins renard des surfaces que chien fou, hurlant à la lune tout en visant le soleil, cet ailier a la vie devant lui. p a. to. 1 CD Trovarobato, 2015 K Retrouvez notre sélection complète (« onze-type » et remplaçants) de la nouvelle génération de chanteurs italiens sur Lemonde.fr LE « CALCIO », ENCORE ET TOUJOURS nant sous son aile de jeunes chanteurs qui en émulent superbement le style, comme Battisti. Sur des groove soul, rock, pop et bientôt disco, celui-ci enquille les tubes, comme un avant-centre les buts. Razzia chez les disquaires. « Avec Anima Latina, nous avons pris le risque de nous couper du public, admet Mogol. La voix de Lucio est mixée très bas, voire trafiquée ; ça m’a contrarié… Mais, avec le temps, le disque finit par être salué pour ce qu’il est : un chef-d’œuvre. Paul McCartney luimême en convient ! » AMORTIS ET ACCÉLÉRATIONS La pochette de l’album montre une fanfare de bambini s’ébrouant dans l’herbe, en short, au crépuscule ; comme une partie de ballon qui aurait vrillé façon carnaval. A quelques années près, Marco Bianchi aurait pu être l’un de ces bambins. « Je suis devenu adulte grâce à Anima Latina, témoigne le trentenaire piémontais, qui chante sous le pseudonyme de Cosmo. A la mort brutale de Battisti, qui a secoué le pays en 1998, j’ai réécouté les vieilles cassettes de ma mère, et je suis tombé sur ce disque. J’ai compris qu’il n’était pas qu’un chanteur qu’on reprend entre amis, à la plage, mais un artiste, au sens le plus fort du mot. » Marco Bianchi a longtemps chanté en anglais, au sein du groupe Drink to Me. Pour ses débuts en solo et en italien, il reprend de volée en 2012 Abbracciala, Abbracciati, Abbracciali, le splendide morceau d’ouverture d’Anima Latina. « On m’a félicité, j’ai pris confiance en moi », sourit-il à la terrasse d’un bar turinois, en siphonnant un verre de Spritz. S’ensuivent deux albums remarquables, Di- sordine (2013) et L’Ultima Festa (2016), qui prolongent les intuitions d’Anima Latina dans une veine électro, voire dance. C’est du reste le propre du disque de Battisti : il est souvent reçu comme une passe, un don qui en appellerait d’autres en retour. Ni refrains ni couplets, mais une suite de pistes mélodiques, d’ébauches rythmiques, qui ne demandent qu’à être explorées plus avant. Pas de catenaccio – ce bétonnage défensif, qui obère les possibles –, mais un jeu en mouvement, alerte et offensif, à la brésilienne. D’amortis en accélérations inopinées, le chanteur jongle avec les tempos, les textures sonores, les familles d’instruments (flûtes, saxophone, synthétiseurs, charango, percussions…) ; sa voix slalome entre les couches de reverb’et les chœurs enfantins pour se trouver parfois seule en pointe, murmurée a cappella, à la limite du falsetto – et du hors-jeu. « Contrairement à ses albums précédents, coproduits par Reverberi, Battisti réalise seul Anima Latina, analyse Jacopo Incani, en grignotant une brioche dans un café de Bologne, où il vit depuis dix ans. Comme Phil Spector ou Brian Wilson, Lucio fait du studio son terrain de jeu : les morceaux sont écrits, arrangés et interprétés dans le même geste. » Sous le nom de Iosonouncane, le Sarde cale sa course sur ces illustres foulées : DIE (2015), son deuxième album, évoque les aboiements d’un bâtard chimérique, croisement d’Anima Latina et du groupe indie rock Animal Collective, sous l’emprise d’un berger illuminé. Autre canidé, romain celui-là : derrière le sobriquet de « I Cani » se cache Niccolo Contessa, trois albums dans les pattes, tout en nappes On touche là au cœur du style mogolien. « La vie importe plus que la culture, insiste le parolier lombard. J’admire la simplicité de l’écriture de Flaubert, qui ne s’encombre pas de références inutiles : le quotidien y vibre dans toute sa vérité, sans chichis. » De Mogol à Calcutta, c’est la même langue qui rebondit, précise et concrète, ponctuée de détails qui trahissent l’italianité des locuteurs – on y boit caffè e limonata, on y déguste panini et gelati, on y joue, encore et toujours, au calcio. « Contrairement aux Scandinaves ou aux Français, les musiciens italiens s’exportent mal : est-ce à cause de notre anglais catastrophique ? », se demande Cosmo. « Nos labels n’ont pas de département international », abonde Nur Al-Habash. Défauts relatifs, à l’heure de la libre circulation des fichiers sur les pelouses numériques : branchez votre plate-forme d’écoute en ligne sur les chansons de cantautori prometteurs, Maria Antonietta, Fitness Forever, L’Orso ou Non Voglio Che Clara, et vous vous sentirez aussitôt à Pesaro, Naples, Ivrea ou Feltre. Ecoutez Erlend Oye, viking échoué à Syracuse, roucouler en italien sur La Prima Estate, et vous vous sentirez aussi bien sicilien, « musicalisé » – comme on dit d’étrangers qu’ils ont été naturalisés. La Botte continuera d’attirer tant que cet esprit courra dans ses équipes, roulera dans ses voix, passera dans ses sons, caressera le cuir de ses chansons – Mogol appelait cela l’anima latina, l’âme latine. p aureliano tonet Festival Mi Ami, les 27 et 28 mai à Milan (Italie). Avec Cosmo, Calcutta, I Cani, Iosonounacane… www.miamifestival.it HUANG 8 MAI — 18 JUIN 16 | culture 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 L’art florentin de l’outrance Pontormo, Rosso Fiorentino et Bronzino : ces trois artistes enragés sont les vedettes de « Maniera », à Francfort ART francfort U nité de lieu : Florence. Unité de temps : entre les années 1510 et 1550. Unité d’action : trois jeunes gens prennent le pouvoir contre la génération précédente. L’exposition « Maniera », au Städel Museum de Francfort, respecte les règles de la tragédie classique. Elle finit donc sur un désastre, la destruction des fresques de Pontormo dans le chœur de l’église San Lorenzo, saccage dont le XVIIIe siècle « éclairé » s’est rendu coupable en 1742. L’exposition rassemble plus d’une centaine de peintures, dessins, gravures et sculptures, dont des œuvres remarquables en provenance de collections privées dont elles ne sortent guère et des dessins que les cabinets d’art graphique des grands musées sont le plus souvent réticents à laisser sortir. Cette abondance suffirait à faire de « Maniera » une réussite. Qu’elle ait pour héros Jacopo Pontormo (1494-1557), Rosso Fiorentino (1495-1540) et Agnolo Bronzino (1503-1572) est évidemment son autre mérite : trois artistes majeurs dans un temps qui n’en manque pas. Ils sont en effet les contemporains, entre autres, de Raphaël, de MichelAnge et de Titien. La concurrence était sérieuse en Italie dans ces décennies-là. C’est donc une histoire de pères à tuer et de rivaux à enterrer, une histoire d’avant-garde autrement dit, dans un vocabulaire plus moderne. Deux jeunes gens ambitieux, Pontormo et Rosso, contemporains à un an près, convaincus de leur génie et exacte- Face à Raphaël, Pontormo et Rosso prennent un tout autre parti : des corps arqués, des couleurs aigres, des gestes paroxystiques ment informés de la situation artistique, doivent impérativement se distinguer afin d’obtenir l’attention des mécènes et protecteurs qu’il leur faut pour s’imposer. Face à eux, il y a le style dit « classique », c’est-à-dire Raphaël, qui est passé par Florence avant de se rendre à Rome en 1508 et d’y devenir l’artiste des papes Jules II, puis Léon X. Il veut l’équilibre des compositions, l’idéalisation des figures, l’harmonie chromatique. Les deux Florentins prennent un tout autre parti : des formes mouvantes, des corps arqués, des drapés virevoltants, des gestes paroxystiques, des couleurs aigres. Ils renversent ou inversent les règles. Observer une sanguine de Pontormo est sur ce point très instructif. L’étude du modèle lui importe peu. Il commence par des courbes lancées sur le papier. Elles deviennent des nus grâce à quelques indications anatomiques – bouches, yeux, seins, sexes – et des hachures qui suggèrent des plis et des volumes. Alors que, chez ses contemporains, le dessin naît du regard sur le modèle, ici, à rebours, le corps sort du dessin, qui est d’abord gestes et rythmes. Ces feuilles, à laquelle l’exposition consacre une large place, sont parmi les plus remarquables dessins de l’histoire. On aimerait les voir en compagnie des esquisses à la pierre noire du Tintoret – autre contemporain encombrant. Ainsi Pontormo et Rosso se débarrassent-ils du classicisme convenu qu’incarne alors à Florence Andrea del Sarto. Ils s’appuient sur des exemples venus du nord : les estampes de Dürer et de Lucas de Leyde, la maniera tedesca qui est un contre-modèle. Leur art de l’outrance triomphe autour de 1520 dans le Saint Jean Baptiste et le Saint Paul en prison de Pontormo, aux yeux exorbités. Rosso n’est pas en reste. Son Saint Jean Baptiste, de quatre ans postérieur, est un homme sauvage nu et musculeux et les seins de la Vierge de sa Sainte Famille pointent visiblement sous sa tunique. Cuirassées d’or et de perles Les grandes familles toscanes – à commencer par les Médicis – soutiennent ces enragés en dépit de leur extravagance. Ou à cause d’elle ? A en juger d’après les portraits de jeunes aristocrates et de grandes dames qui leur sont commandés, l’entente est parfaite, sur fond de dandysme. Bronzino, de dix ans leur cadet, n’est pas moins à l’aise. Après un Archange de 1525-1528 qui préfigure les folies du symbolisme des années 1890, il se fait une spécialité des belles aux coiffures insensées et aux robes flamboyantes. Elles toisent le spectateur, cuirassées d’or et de perles. Le style des trois est si proche dans cette période que l’attribution de certaines études hésite entre eux. « Saint Sébastien » (vers 1528), d’Agnolo Bronzino. MUSÉE THYSSEN-BORNEMISZA, MADRID Car c’est d’un style nouveau qu’il s’agit, d’une maniera si caractéristique que les historiens en ont déduit la notion de maniérisme. Celle-ci désigne l’exaltation de certains procédés graphiques et chromatiques pour euxmêmes et leurs charmes particuliers, sans considération du sujet auquel ils sont appliqués, sacré ou profane, et sans souci de la vraisemblance. Au même moment, à Rome, Michel-Ange cultive son propre maniérisme, plus athlétique et aussi irréel. Qu’ils n’aient pu éviter de Jiri Kylian pétrifie sa danse en images Le chorégraphe tchèque négocie un virage vers la photographie avec une exposition à La Haye DANSE la haye O mbres et reflets, lumières et transparences, écrans flottants dans l’espace ou posés au sol, « Free Fall », l’installation de photos imaginée par le chorégraphe tchèque Jiri Kylian, au Korzo Theater de La Haye, plonge dans un monde mouvant. Un miroitement infini et doux qui s’apaise dans le visage d’une seule femme, la danseuse allemande Sabine Kupferberg. Avec cette première exposition, Jiri Kylian, 69 ans, artiste parmi les plus demandés – plus d’une dizaine de ses pièces sont présentées chaque mois par des compagnies du monde entier, de Tulsa (Oklahoma) à Melbourne (Australie) en passant par Hongkong (Chine) – négocie un virage vers la photographie et les arts plastiques. « Je ne prétends pas être photographe mais c’est ma façon de dialoguer avec la tension existant entre la réalité et l’imagination, explique-t-il. Une tentative de changer ma relation avec le temps, de l’arrêter une fraction de seconde pour pouvoir le contempler tranquillement. » Avec en point de jonction entre les images et ses spectacles un sens aiguisé du cadrage, des plans et de la profondeur de champ. L’insolite de « Free Fall » surgit d’abord de la mise en scène des photos de Sabine Kupferberg, le plus souvent saisie en gros plan. De formats variés, elles sont suspendues dans des endroits straté- giques de la pièce comme pour en briser les angles et modifier la perception. Le 15 avril, Jiri Kylian en peaufinait la disposition, la hauteur… Certaines se déclinent dans un dégradé de différentes images qui se conclut au sol. Elles obligent à une gymnastique : il faut lever les yeux, se pencher ou s’accroupir carrément pour les contempler. Toutes, elles nécessitent qu’on tourne autour d’elles pour saisir le projet de Kylian. Jeu recto-verso Chaque photo est double face : d’un côté, le visage de Sabine Kupferberg, de l’autre, son dos. « Les deux forment une seule et même personne, non ?, glisse Jiri Kylian. J’ai beaucoup chorégraphié les danseurs de dos et je continue à aimer cela. Pour moi, une photo est une tranche de temps, une guillotine. Elle nous sépare du passé et du futur en les rassemblant dans le même moment. Le résultat est une chorégraphie gelée, glacée. Ces images d’un théâtre sans mouvement survivront au performer pendant de nombreuses années. » La singularité de ce jeu rectoverso réside dans la simultanéité de la prise de vue en champ-contrechamp. Un dispositif technique composé de deux appareils face à face prend la danseuse en sandwich pendant qu’elle improvise. « Concrètement, les séances de shooting ressemblaient à une recherche chorégraphique, raconte Sabine Kupferberg. Jiri m’a donné des consignes de recherche « Concrètement, les séances de “shooting” ressemblaient à une recherche chorégraphique » SABINE KUPFERBERG danseuse et modèle pour Jiri Kylian comme “mourir”, “tuer”, “protéger”, auxquelles j’ai répondu surtout par des mouvements du buste en conservant les pieds vissés au sol dans la même position. » La vision de Sabine Kupferberg grimaçante ou grave, jouant avec une pomme verte ou dialoguant avec son double-marionnette plus jeune de treize ans, est un hommage à la singularité intense de cette femme, muse et épouse de Kylian. L’usage des gros plans et le goût des détails, que le spectacle vivant évacue au profit du cadre de scène, électrise la démarche du chorégraphe. « Free Fall » zoome sur la peau, ses reliefs, ses plis. « C’est ça qui est vraiment intéressant et qu’on ne trouve pas au théâtre, commente Kylian. Je suis fasciné par le talent de Sabine à exprimer son monde émotionnel sans cesse changeant. Et sa capacité à opérer une reproduction sincère de ses émotions. Je suis aussi curieux de la façon dont on peut lire le temps sur son visage comme sur celui d’une actrice. » Jiri Kylian a rencontré Sabine Kupferberg en 1969, lorsqu’ils étaient danseurs au Ballet de Stuttgart. Né à Prague, Kylian a quitté son pays en 1967 pour Londres avant d’être engagé à Stuttgart, où il fera ses débuts de chorégraphe. Avec Sabine Kupferberg, il rejoint le Nederlands Dans Theater (NDT) en 1975 et en devient directeur trois ans plus tard. Il hissera le NDT en haut de l’affiche internationale – avec la création d’une centaine de ballets – et en lâchera les rênes en 1999 tout en y restant artiste associé. Régulièrement invité par le ballet de l’Opéra national de Paris et celui de Lyon, il y a monté des pièces inoubliables comme Petite Mort (1991) et Bella Figura (1995), où son écriture laser explose. Pour Sabine Kupferberg, il a mis en scène East Shadow (2013), toujours en tournée avec Gary Chryst. Le 28 avril, dans le cadre d’une soirée Kylian et pour fêter les trente ans des Ballets de Monte Carlo, il a réalisé un film cocasse et sophistiqué intitulé Oskar, avec la danseuse Bernice Coppieters et le chorégraphe Jean-Christophe Maillot, directeur de la compagnie monégasque. Une bombe de jouvence qui renvoie une histoire de couple à un immense éclat de rire. « J’aime la tragi-comédie depuis mon enfance », conclut-il toujours en douceur. p rosita boisseau « Free Fall », de Jiri Kylian. Au Korzo Theater de La Haye. Du 7 au 14 mai. www.korzo.nl s’affronter ne surprend pas. Vers 1533, Pontormo peint Vénus et Cupidon en reprenant, pour la déesse, une esquisse de MichelAnge, que bien d’autres ont copiée en marbre ou sur le papier. Mais lui ne la copie pas : il l’exagère, ajoute au nu féminin un Cupidon adolescent et indiscret et accroche des masques grotesques à l’arc que le dieu de l’amour a abandonné. Point culminant de leur face-à-face : comme MichelAnge a peint à fresque le Jugement dernier dans la chapelle Sixtine entre 1535 et 1541, Pontormo peint à fresque le chœur de la basilique de San Lorenzo, dix ans plus tard. Il n’en reste que quelques rares dessins, qui rendent inconsolable de la destruction de ce qui aurait dû être son grand œuvre. p philippe dagen « Maniera », jusqu’au 5 juin au Städel Museum de Francfort. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 18 heures, jeudi et vendredi jusqu’à 21 heures. Entrée : 14 euros. www.staedelmuseum.de La maison natale de Jean Moulin résiste à la mairie de Béziers L a maison natale de Jean Moulin (1899-1943), à Béziers (Hérault), devrait être épargnée d’une rénovation radicale faisant disparaître toutes traces du passé, que le conseil municipal avait décidée en décembre 2015, contre le vote des élus socialistes et communistes. « On va garder tout ce qui date de cette époque, les cheminées, carrelages, retrouver des papiers peints », déclare au Monde le maire Robert Ménard, apparenté Front national. Comme une réponse à la fronde portée par une pétition (500 signatures) de Biterrois. Transformés en musée, le troisième niveau et le rez-de-chaussée pourraient être ouverts au public à l’été 2017. Seraient conservés la distribution et les volumes, mais non le mobilier, disparu au fil de l’occupation des lieux. Au rez-de-chaussée, dans un espace d’exposition nommé galerie Romanin – en référence à la galerie d’art niçoise qui servit de couverture à Jean Moulin –, seront présentés ses carnets de dessins, lettres et poèmes. Retrouver l’âme des lieux Fils d’un professeur d’histoire, Jean Moulin est né le 20 juin 1899, au 6, rue d’Alsace. Il y passera ses premières années jusqu’à l’âge de 19 ans, y revenant en vacances alors qu’il fait ses études de droit à Montpellier, puis jusqu’en 1938. La maison ne dispose d’aucune protection juridique au titre des monuments historiques. En 2011, l’ancienne équipe municipale achetait l’immeuble pour 600 000 euros. En décembre 2015, la nouvelle municipalité décidait de le céder à un promoteur immobilier, contre la réalisation des travaux de réhabilitation. Au terme de la rénovation, le rez-de-chaussée et l’appartement des Moulin devaient être restitués à la mairie. La parution, le 15 janvier, du journal municipal a mis le feu aux poudres. En couverture, un Jean Moulin coiffé d’un feutre et un slogan – « Non, on ne l’oublie pas ! » – annonçaient le projet de futur musée. Un projet design, épuré, gommant tout de l’atmosphère vieillotte de l’ancien logis. L’Association des amis de Jean Moulin porta l’affaire le 15 février devant le tribunal administratif de Montpellier en vue d’obtenir l’annulation de la décision municipale. Une procédure en cours sans sursis à exécution. Olivier Guiraud, ancien conseiller municipal de la mandature précédente chargé de la culture, se dit rassuré. Mais il voudrait aller plus loin, retrouver l’âme des lieux tels que Jean Moulin les a connus. Et obtenir le label « Maison des illustres ». p florence evin LE REZ-DE-CHAUSSÉE ET LE TROISIÈME NIVEAU POURRAIENT ÊTRE OUVERTS AU PUBLIC À L’ÉTÉ 2017 Prince revient déjà, funky à souhait L E Sortie internationale de « Hitnrun Phase Two », le dernier enregistrement en studio du musicien mort le 21 avril. Avec une chanson sur les émeutes de Baltimore D’ abord proposé en exclusivité aux abonnés de la plate-forme d’écoute en ligne américaine Tidal à partir du 12 décembre 2015 et peu de temps après sur le service de vente de contenus en ligne iTunes Store d’Apple, Hitnrun Phase Two, de Prince, a connu une sortie physique sur support CD en plusieurs étapes. Publié par le label du musicien, NPG Records, fondé en 1993, l’album avait été distribué, fin janvier, aux spectateurs de deux concerts dans les Paisley Park Studios, à Chanhassen, près de Minneapolis (Minnesota) – où le chanteur, guitariste, claviériste, bassiste, producteur et auteurcompositeur a été retrouvé mort le 21 avril. Autre distribution, durant la dernière tournée de Prince, seul au piano, du 16 février au 14 avril, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Canada et aux Etats-Unis. Dans le même temps Hitnrun Phase Two pouvait être acheté et commandé auprès d’un disquaire de Minneapolis. Le voilà bénéficiant d’une sortie physique internationale plus large dans la plupart des magasins de disques et les sites de vente, dont le géant Amazon. Sans indications à ce jour de possibles sorties d’albums posthumes sur lesquels Prince aurait déjà travaillé, Hitnrun Phase Two aura donc le statut de dernier album studio. Le trente-neuvième, auquel il faut ajouter, pour être complet, quatre disques en public, dont un coffret et les enregistrements menés avec les groupes Madhouse et New Power Generation. Prince, lors d’un concert à Birmingham, en mai 2014. WENN/VISUAL/ VISUAL PRESS AGENCY A L B U M S sons avaient été déjà enregistrées et diffusées légalement sur Internet (en 2011, la base d’Xtraloveable ou de When She Comes, de Screwdriver en 2012, de Groovy Potential en 2013…), parfois dans des versions un peu différentes, les arrangements de vents venant donner du relief, du grain. D’autres sont plus récentes, comme Stare, Look at Me Look at U ou Baltimore, certaines aussi déjà diffusées. De toutes ses sources et périodes différentes, il a toutefois fait un album qui se tient. Les parties solistes sont plutôt interprétées par les vents, avec peu d’envol guitaristique de Prince (des courtes interventions durant Baltimore ou Revelation), ce dernier tricotant C . P. EMAN U EL BAC H QUAT U OR D I OT I MA Violoncelle et clavecin Schoenberg, Berg, Webern S E L E C T I O N Commentaire social et politique L’approche est pop, soul et funk, avec des arrangements de cordes, une imposante section de onze vents, un final de belle facture, dans la manière classique de Prince, après le plus expérimental Hitnrun Phase One sorti en septembre 2015, aux envies électro et minimaliste. Une partie des chan- Sinfonia n° 3 Wq. 182/3. Concerto pour violoncelle n° 2 Wq. 171. Sinfonia Wq. 178. Sonate pour violoncelle piccolo Wq. 137. Concerto pour clavecin Wq. 17. Par l’orchestre Pulcinella, Ophélie Gaillard (violoncelle et direction). Brillante, intrépide et sacrée musicienne, Ophélie Gaillard livre un magnifique second opus de ses belles amours avec Carl Philipp Emanuel Bach (17141788). Qu’il soit « Bach de Berlin » (vingt-cinq ans au service de Frédéric II de Prusse) ou « Bach de Hambourg » (où il succède à Telemann durant les vingt dernières années de sa carrière), le deuxième fils du Cantor est le chaînon qui relie le baroque finissant aux prémices de ce qui n’est pas encore le romantisme. C’est justement cette verve dramatique, ce combat violent de l’ombre et de la lumière, cet étourdissant jaillissement théâtral que la violoncelliste et son ensemble Pulcinella défendent avec un brio qui force l’admiration et l’enthousiasme. Un disque révolutionnaire qui se place d’emblée au sommet de la discographie. p marie-aude roux 1 CD Aparté. L I V R E culture | 17 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 dans la plupart des cas un fond rythmique funky à souhait. Seule la chanson Screwdriver apporte une touche rock assez marquée. C’est par un titre « engagé », Baltimore, que débute l’album. Le commentaire social et politique n’est pas ce que l’on connaît le plus chez lui, il n’est pas pour autant absent de ses compositions. Baltimore a été enregistré quelques jours après l’arrestation brutale, le 12 avril 2015, de Freddie Gray, 25 ans, par des membres du département de police de la ville du Maryland. Le jeune Afro-Américain meurt une semaine plus tard après une période de coma traumatique. Des manifestations, certaines virant à l’émeute, qui dénoncent ce cas et plus globalement les brutalités policières contre les Noirs, ont lieu à Baltimore, Chicago, New York, Philadelphie, Washington… Passé ce sujet d’actualité, Hitnrun Phase Two se poursuit entre l’évocation de joies musicales (Rock and Roll Love Affair, plutôt soul en dépit de son titre, Groovy Potential), l’autocitation clin d’œil dans le puissant Stare emporté par parce qu’ils en ont fait leur raison d’être dans le répertoire contemporain. le lien intime, travaillé, entre acoustique et électrique/électronique. p sylvain siclier p pierre gervasoni 5 CD Naïve. 1 CD Savoir FER/Rue Stendhal. L’approche est pop et soul, avec des cordes et une imposante section de vents Intégrale de l’œuvre pour quatuor à cordes d’Arnold Schoenberg, Alban Berg et Anton Webern Les Diotima, qui fêtent en 2016 leurs vingt ans d’existence, sont l’un des quatuors à cordes les plus recherchés par les compositeurs contemporains. Habitués aux partitions avantgardistes, ils en arriveraient à considérer la production d’un György Ligeti (1923-2006) comme du classique… Alors, que dire de celle de la seconde école de Vienne, emblématique de la première moitié du XXe siècle ? Que, sous leurs archets, ces pages ne passent jamais pour de la musique « ancienne », y compris certaines œuvres de jeunesse pas toujours très personnelles. Mais, dans une intégrale, la notion de parcours prime sur le reste. Etendu sur 3 CD, le chemi- nement d’Arnold Schoenberg constitue un éloge de la forme. Celui de ses élèves (un CD chacun) manifeste, au contraire, un attachement à l’expression. Expansive pour Alban Berg, concentrée pour Anton Webern. Dans tous les cas, la volonté de jouer avec les limites est magnifiée par les Diotima. Sans doute MOP MOP F RAN ÇOI S ELI E R OU LIN Lunar Love Musique lente Tropical et futuriste, aquatique et funky, africain, sans doute, mais aussi soul et assoupli de jazz ou d’élasticité jamaïcaine. Le cinquième album de ce quintette italien, formé autour d’Andrea Benini (batterie, percussions, voix), fait entendre des lamelles chantantes (vibraphone, marimba, balafon…), des bruissements, le son aérien du hang (instrument constitué de deux hémisphères métalliques), des craquements, de l’eau qui Le précédent album du compositeur, guitariste et claviériste François Elie Roulin, Le Bonheur, paru fin 2014, présentait une exploration des genres en compagnie d’une quinzaine de musiciens. Musique lente, dont le titre indique la thématique, est en formation plus resserrée, avec un autre guitariste et claviériste, Matthieu le Sénéchal, cocompositeur de trois des huit morceaux du disque, Miwa Rosso au violoncelle, et Bertrand Cervera au violon. Les notes allongées des guitares se mêlent à des harmoniques comme des gouttelettes, des cordes ténues épousent un piano en profondeur (Tsunami de douceur). Outre le beau développement mélodique des compositions, leur durée, de trois à huit minutes, maintient l’intérêt et l’attention dans un genre, la musique instrumentale évocatrice d’atmosphères et d’ambiances, qui tend trop souvent à l’étalement. Egalement au crédit de l’album, tombe goutte à goutte. Et puis des invités, Wayne Snow et Annabel Ellis avec leurs voix suaves, l’Anglo-Trinidadien Anthony Joseph et ses scansions ténébreuses. Ce cocktail de saveurs métisses avait séduit Woody Allen, qui avait intégré en 2012 une composition de Mop Mop à la bande originale de son film To Rome With Love. p patrick labesse 1 CD Agogo Rec/Differ-ant. K Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr une basse profonde et l’écriture des vents, une juste dose de romances (Look at Me Look at U, When She Comes, proche du jazz avec son tapis de vents). Jusqu’à un enchaînement parfait. Black Muse, avec un faux air d’hommage à Stevie Wonder qui annonce ensuite une composition en plusieurs mouvements, 1 000 LightYears Away (non indiquée sur la pochette), Revelation, tempo lent, sobre, avec contre-chant de saxophone, et l’allègre et dansant Big City, tout en chœurs et vents. Le régal final. p sylvain siclier Hitnrun Phase Two, de Prince, 1 CD NPG Records. QUINZE ANS DE MA VIE Loïe Fuller Quelle vie que celle de Loïe Fuller (1862-1928) ! La comédienne, danseuse et chorégraphe américaine, enfant prodige de la scène dès l’âge de 2 ans et demi, a non seulement piloté une carrière hors du commun mais a aussi inventé un style qui a révolutionné l’histoire de l’art. Ses Mémoires, parus en 1908 avec une préface d’Anatole France, sont réédités au Mercure de France et offrent un plongeon dans les coulisses d’un parcours de haute intensité. Très girl next door, au point qu’on a la sensation d’avancer bras dessus bras dessous avec elle dans les montagnes russes de sa vie, Loïe Fuller en trace les grandes étapes. Depuis sa naissance dans la campagne de Chicago jusqu’à ses immenses succès aux Folies-Bergère et dans le théâtre qu’elle se fit construire pour l’Exposition universelle de 1900, à Paris. Elle débarque en France en 1892. Dans sa valise, un programme de cinq danses dont la fameuse Danse serpentine. Très vite, elle comprend l’impact de la lumière sur les flots de tissus qui l’enveloppent. Sur cette base, Loïe Fuller, qui fut vite imitée par des dizaines de danseuses, va construire une œuvre unique, articulant éclairages, verres de couleur, miroirs, sur des robes démesurées dont les manches étaient prolongées par l’utilisation de baguettes. Rien de moins que dix-huit électriciens étaient requis pour ses spectacles dont elle fit breveter quelques-unes des inventions scéniques et optiques. Au plus près de son quotidien, ces Quinze ans de ma vie s’accompagnent d’annexes (textes de Mallarmé) tout aussi savoureuses que les péripéties de la star. p rosita boisseau Quinze ans de ma vie. Mercure de France, 350 pages, 18 euros. 18 | télévisions 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Replays et VOD : les lois de la jungle Services, contenus, tarifications, modes de diffusion : la télévision du XXIe siècle bouscule les habitudes, jusqu’à la confusion D epuis que la communication sans fil à haut débit d’Internet s’est généralisée, les usages des téléspectateurs n’ont cessé de se modifier. En sus du bon vieux poste installé dans le salon, c’est désormais sur d’autres écrans et extra-muros que se consomme aussi la télévision : sur un ordinateur (de bureau ou portable), un smartphone ou une tablette numérique. Avec l’avantage supplémentaire de pouvoir regarder quatre programmes différents sur autant de supports à partir du même abonnement auprès d’un fournisseur d’accès. Cette combinaison d’« un média et de quatre écrans » est la réalisation technologique et sociologique qu’avait imaginée Alain Le Diberder, aujourd’hui directeur des programmes d’Arte, du temps où il officiait à Canal+ (jusqu’en 2001), où il avait trop tôt prôné « l’indispensable continuité entre le contenu de l’antenne et celui du Web ». Une continuité que n’avait alors pas voulu voir la chaîne cryptée, qui s’en mordit les doigts, mais qui, à cet égard, a depuis largement redressé la barre. Ces nouveaux « ponts » entre les écrans ont été accompagnés par la généralisation du « replay » (rediffusion à la demande, catch-up ou « télévision de rattrapage »), qui permet de revoir, sur ces divers écrans connectés, des émissions pendant une durée moyenne de sept jours. Mais certains programmes – ceux de CanalPlay et d’OCS (Orange Cinéma Séries) par exemple – sont téléchargeables temporairement et peuvent donc être vus sans connexion Internet. A cela s’ajoutent des boutiques en ligne où un vaste catalogue de films, séries, documentaires, concerts et spectacles est accessible par le biais payant d’une location (en général quarantehuit heures) et/ou d’un téléchargement définitif, ainsi que des sites de visionnage illimité en streaming (flux continu) par abonnement, également nommés SVOD (Subscription Video on Demand). Après FilmoTV en 2008, CanalPlay en 2011, OCS Go en 2013, Netflix en 2014, c’est à présent France Télévisions qui s’apprête à lancer « une offre de vidéo à la demande par abonnement qui sera généraliste, avec des séries, du documentaire, des programmes jeunesse et du cinéma », ainsi que l’a confirmé dans Le Monde du 3 mai Laetitia Recayte, chargée de ce dossier. Et cette dernière d’ajouter ceci, qui dit bien la profonde révolution du monde télévisuel français : « Cela dénote une conception de notre métier qui est désormais d’éditer des contenus, plus que d’éditer des chaînes. » Les spécialistes réduisent volontiers la multiplicité des services et usages télévisuels à deux grandes catégories : le visionnage des chaî- nes en direct (télévision linéaire) et le visionnage différé ou déconnecté (télévision non linéaire). Mais le profane se trouve confronté à une multiplicité de règles et d’exceptions, en fonction de son fournisseur d’accès et des services offerts par les chaînes. Ainsi, certaines nouvelles séries sont immédiatement disponibles en intégralité sur les plates-formes de replay (à l’image de ce que fait systématiquement Netflix) ; d’autres proposent la rediffusion des épisodes pendant sept jours au fur et à mesure de leur passage à l’antenne (de sorte que, en fin de course, on ne peut plus voir les premiers) ; certaines sont très vite disponibles au téléchargement payant, d’autres seulement à la location en ligne. Selon les fournisseurs Si l’on prend l’exemple de la série « Baron noir » (diffusée en février à l’antenne de Canal+), on constate qu’elle est toujours disponible en replay sur Canal+ à la demande, mais pas sur son service de visionnage en streaming payant CanalPlay. En revanche, la boutique CanalPlay VOD la propose au téléchargement définitif pour 1,99 € l’épisode (2,99 € sur iTunes, la plate-forme d’Apple…). Mais encore faut-il connaître l’existence de CanalPlay VOD, savoir qu’elle est, comme CanalPlay, accessible sans être abonné à Canal+. Et encore faut-il que le fournisseur d’accès le propose : « Le public consomme de la VOD principalement via les box, et CanalPlay n’est pas disponible chez tous les fournisseurs d’accès, reconnaît Manuel Alduy, directeur de Canal OTT (Over the Top), qui gère les services accessibles sur ordinateur, tablette ou smartphone. Certains [Orange et SFR] ont préféré développer leurs propres boutiques ; d’autres [Free] sont plus ouverts. » Les tarifs de ces achats et locations peuvent être aussi très divers : sur Francetv pluzzvad, la boutique de France Télévisions, le film Pension complète (2015), de Florent Siri, avec Gérard Lanvin et Franck Dubosc, n’est disponible qu’à l’achat (13,99 €) ; idem sur iTunes, mais 2euros moins cher… Sur CanalPlay VOD, et sur MyTF1VOD, Pension complète est en revanche seulement disponible à la location (4,99 €)… « Les politiques tarifaires et commerciales des services de VOD varient en fonction de leurs propres impératifs, comme dans d’autres secteurs économiques, explique Manuel Alduy. Nous faisons des opérations promo, comme d’autres. » De son côté, la boutique en ligne d’Arte propose, parfois simultanément, une édition (voire une gravure à la demande !) sur DVD, une location en streaming pour quarante-huit heures ou un téléchargement définitif. Il arrive même que cela se produise (comme ac- NINI LA CAILLE Le profane est confronté à une multiplicité de règles et d’exceptions, en fonction de son fournisseur d’accès et des services offerts par les chaînes tuellement pour le documentaire La Fin des Ottomans) tandis que le programme est toujours disponible en replay sur le site Arte + 7, largement après la durée de sept jours, ou même sur la chaîne YouTube d’Arte… Difficile, décidément, de s’y retrouver. « L’usage général est de sept jours pour les replays, précise Alain Le Diberder, mais ne concerne essentiellement que les émissions et les documentaires pour lesquels, au gré à gré, des délais de rediffusion plus longs sont parfois accordés par les producteurs. Ce n’est jamais le cas pour les films américains, mais nous avons, en moyenne, quelque 150 films proposés chaque année à la rediffusion en +7. » Les usages sont différents selon les pays européens : « En Grande-Bretagne, les replays peuvent durer trois ou quatre semaines », reconnaît le directeur des programmes d’Arte. Chez OCS, où Guillaume Jouhet, son directeur général, s’honore d’afficher 90 % de séries inédites, la règle est celle d’une disponibilité pendant trente jours. « De surcroît, et c’est ce qui nous distingue de nos concurrents sur les séries récentes que nous diffusons, nous proposons l’intégralité des saisons dont la dernière en exclusivité. » Ce qui explique qu’on peut voir la saison 5 de « Girls » uniquement sur OCS, tandis que les quatre précédentes peuvent être rediffusées par d’autres chaînes. « Tout ce qu’on fait a du sens, mais cela ne se sait pas forcément, reconnaît M. Jouhet. Il va nous falloir trouver un dénominateur commun. » Même son de cloche du côté d’Arte, où Alain Le Diberder reconnaît que le panorama des services VOD est « complexe et mouvant ». Mais il est persuadé « qu’il s’harmonisera tout en se généralisant dans les cinq prochaines années ». Attirer des spectateurs Cependant, M. Le Diberder justifie la multiplicité des chaînes de diffusion des programmes d’Arte – celles de YouTube ou du réseau social Facebook par exemple – par le fait « qu’elle permet de faire venir des spectateurs épars vers la maison mère et leur faire découvrir d’autres services comme Arte Future, Arte Creative, Arte Concert, qui proposent des contenus exclusifs. Dans le monde numérique, il y a deux attitudes : attendre que le spectateur vienne à nous ou aller le trouver là où il est. » M. Jouhet va dans le même sens : « Contrairement à d’autres, nous ne voulons pas privilégier ou opposer télévisions linéaire et non linéaire. Les chiffres semblent d’ailleurs nous donner raison : 29 % des abonnés d’OCS regardent la télévision en linéaire, 29 % à la demande uniquement, 42 % font les deux. » Les diffuseurs s’accordent également à dire qu’un des problèmes liés à ces nouveaux modes de dif- fusion des programmes télévisuels est « la gestion de l’impatience du public », impatience qu’exacerbent les mises à disposition intégrales et immédiates de Netflix, impatience qui peut inciter au téléchargement illégal d’un programme pas encore proposé en France… Il s’agit donc de s’adapter aux nouveaux rythmes de diffusion : « Starz et HBO, deux chaînes câblées américaines dont nous reprenons les séries, n’ont pas la même attitude, précise M. Jouhet. La première a rendu immédiatement disponible l’intégralité de “The Girlfriend Experience” ; la seconde jugeait impensable de livrer d’un coup toute la sixième saison de “Game of Thrones” : cela aurait privé le public de l’énorme suspense entre les épisodes… Nous nous sommes évidemment calés sur leur rythme. » Pour M. Alduy, la problématique posée par ces nouveaux rythmes de diffusion « n’est pas simple car la filière audiovisuelle, quels que soient les pays, fonctionne au contraire sur la “gestion de la patience”, c’est-à-dire une chronologie d’exploitation et des exclusivités qui permettent de générer des revenus. Car produire des films et des séries coûte cher, plus cher que dans d’autres secteurs culturels, et il faut de multiples exploitations d’une même œuvre pour rentabiliser l’investissement de départ. » p renaud machart télévisions | 19 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Augustin Trapenard, le tatoué de littérature Le chroniqueur du « Grand Journal » lance, sur Canal+, « 21 cm », une émission littéraire très swing A D IM AN CH E 8 M AI RENCONTRE ugustin Trapenard était sûrement un très bon prof, avec son enthousiasme et sa passion de transmettre. Il avait fait un parcours sans faute, comme le souhaitait sa mère, elle-même enseignante : khâgne, Ecole normale supérieure, agrégation d’anglais, thèse sur Emily Brontë – « Parce que je suis un romantique, mais je ne l’ai pas terminée, j’espère le faire un jour .» Puis, dans le cadre de sa thèse et en accord avec l’Ecole normale supérieure, il est allé aux Etats-Unis, à l’université de Californie à Berkeley. « Là, j’ai découvert une autre manière d’enseigner, de faire de la recherche, et un respect pour le métier, ce qui n’est pas le cas en France, où il y a au contraire un certain mépris. » Il est donc rentré avec l’envie de faire autre chose. Et, là encore, en dix ans, c’est un sans-faute. D’abord des piges, à Elle, puis au Magazine littéraire. Un petit tour sur Radio Nova. « Ensuite, Joseph Macé-Scaron m’a fait entrer dans l’équipe de “Jeux d’épreuves” sur France Culture. Quand cela s’est arrêté, j’ai repris la case avec “Le Carnet d’or”. Enfin, Laurence Bloch, qui m’avait déjà fait faire une émission d’été sur France Inter, m’a proposé “Boomerang”. j’ai commencé fin 2014. De la culture, juste après la matinale, c’était un projet enthousiasmant, la possibilité de recevoir des artistes très divers, d’Hélène Cixous à Johnny Hallyday. » « Il faut inventer autre chose » Entre-temps, Augustin Trapenard avait aussi rejoint « Le Grand Journal » de Canal+. « C’est là que j’ai vraiment commencé à faire de la télévision. Avant, j’avais juste une chronique, en français et en anglais, sur France 24. » A-t-il été saisi par le démon de l’audiovisuel ? « Je ne crois pas. Ecrire sur les livres me manque. Et puis, après beaucoup de contraintes, d’abord le circuit universitaire, puis le travail actuel, il n’est pas exclu que je prenne une retraite anticipée. En outre, je suis capable de tout quitter pour quelqu’un. » Ce n’est pas vraiment pour demain, cette retraite, puisque, lundi 9 mai, sur Canal+, sera diffusée la première émission littéraire d’Augustin Trapenard, « 21 cm ». Il insiste sur la liberté que lui a donnée la chaîne. « On m’a fait confiance. Ma première invitée, Patti Smith, est anglophone. On sait TF1 20.55 Les Miller, une famille en herbe Comédie de Rawson Marshall Thurber (EU, 2013, 130 min). 23.05 Esprits criminels Série (EU, saison 5, ép. 3 et 4/23). France 2 20.55 Après Hitler Documentaire de David Korn-Brzoza et Olivier Wieviorka (Fr., 2016, 95 min). 22.30 Les Français Série (Fr., 2016, ép. 7 et 8/8). France 3 20.55 Inspecteur Lewis Série (GB, 2015, 2 × 90 min). 0.20 Les Surprises de l’amour Comédie de Luigi Comencini (Fr., 1959, 110 min). Canal+ 21.00 Rugby Top 14 : Toulon-Castres. 22.55 L’Equipe du dimanche Présenté par Karim Bennani. France 5 20.40 Vêtements, n’en jetez plus ! Documentaire d’Elsa Haharfi (Fr., 2015, 50 min). 21.30 Quand la cuisine fait le trottoir Documentaire de David Corre (Fr., 2013, 50 min). A Paris, en février. FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO qu’on perd des téléspectateurs, dès qu’on propose des entretiens avec des personnes ne parlant pas le français, mais ça n’a posé aucun problème. » Pourquoi « 21 cm » ? C’est expliqué dans un prégénérique, qui n’est pas d’un raffinement extrême, et qui se veut un passage de témoin entre Frédéric Beigbeder, « qui incarne la culture sur Canal+ », et Augustin Trapenard. « Il faut voir ça au deuxième ou troisième degré, insiste-t-il, et ça n’aura lieu qu’une fois, tout comme mon combat, de boxe, puis de lutte, puis de sumo, avec Antoine de Caunes. Comme je fais un entretien de trente minutes avec une seule personne, il faut le couper, donner des respirations. Et puis j’ai toujours rêvé d’une émission littéraire qu’on pourrait regarder en mangeant du pop-corn. La littérature, ce n’est pas ennuyeux, c’est excitant. » En dehors de ces deux séquences pas inoubliables, ce premier « 21 cm » est très réussi, très construit. Un format un peu inhabituel, quarante minutes, qui correspond à ce qu’Augustin Trapenard veut faire, « rompre avec un plateau et des invités. Bernard Pivot a porté cette formule à l’excellence, il faut inventer autre chose ». « Conseils de lecture » Avec Patti Smith, on est d’abord au cimetière Montparnasse, où elle « rend visite » à des écrivains qu’elle admire, dont Baudelaire. C’est « extérieur jour ». Puis, on passe à « intérieur jour », au domicile du journaliste littéraire. « Cette séquence existera toujours, car chez moi on installe une autre atmosphère. » Certes, d’autant que le chien d’Augustin Trapenard vole la vedette à son maître. « Pour le reste, la construction pourra varier, je n’aime pas la rigidité et l’excès de répétition. Il y a aussi de petits spots, des conseils de lecture par des gens que j’aime. » On peut regretter que Patti « J’ai toujours rêvé d’une émission littéraire qu’on pourrait regarder en mangeant du pop-corn » Smith soit traduite et non sous-titrée, « mais sur Dailymotion, avec lequel nous avons des accords, ce sera sous-titré », précise-t-il. Recevoir un seul écrivain par émission, c’est une volonté « de faire entendre une autre manière de voir le monde », et c’est en effet ce qui fait toute la saveur de ce « 21 cm » – un artiste, son univers, son intimité, et son regard sur la société. Après ce galop d’essai en mai, « 21 cm » devrait devenir régulière à partir de septembre. Avec quelle périodicité ? Mensuelle probable- ment, mais rien n’est encore arrêté, en raison des incertitudes sur l’avenir de Canal+. Au cours de la séquence « battle », avec Antoine de Caunes – dont on n’est pas totalement convaincu qu’elle serve les livres que chacun défend –, on constate qu’Augustin Trapenard a plusieurs tatouages, que l’on distingue mal. « Ce sont des mots. De Joni Mitchell, dont je suis fan. Un passage magnifique du Bruit et la Fureur, de Faulkner, et un autre de Fitzgerald dans Gatsby le Magnifique. Ce sont des phrases que je ne veux jamais oublier, et elles sont là parce que, dans ma famille, la maladie d’Alzheimer est très présente. » Avec un corps si littéraire, Augustin Trapenard était sans doute prédestiné pour inventer une émission littéraire. p josyane savigneau « 21 cm », lundi 9 mai, à 22 h 55 sur Canal+. A partir du mois d’août, la Premier League ne sera plus visible sur Canal+ mais sur SFR Sport 1 L bre 2015, a donc constitué une surprise considérable dans le paysage audiovisuel français. Le groupe présidé par Patrick Drahi n’a pas hésité à investir près de 120 millions d’euros par saison pour s’emparer, jusqu’en 2019, d’un produit télévisuel hors normes. Un pack de cinq chaînes Pour le téléspectateur habitué à se brancher sur Canal+ Sport lors des longs tunnels de foot anglais du samedi au dimanche, ce changement de diffuseur va désormais l’obliger à s’offrir un abonnement au nouveau bouquet SFR Sport, dont le lancement a été officiellement annoncé mercredi 27 avril. Associé à Patrick Drahi, le patron de Next RadioTV (BFMTV, RMC) et désormais dirigeant de SFR Médias, Alain Weill n’a pas ca- Les moyens financiers sont là, les moyens humains aussi. Reste à connaître les noms de la dizaine de consultants nécessaire ché ses ambitions : « Le sport, c’est notre ADN ! Pour la télé, c’est un formidable vecteur d’audience et nous savons faire vivre le sport. » D’où le lancement d’un pack de cinq chaînes sportives regroupées sous l’appellation SFR Sport et ayant chacune sa spécificité : la Premier League mais aussi du foot d’autres pays européens et sud-américains sur SFR Sport 1, les autres disciplines (du basket au tennis en passant par le rugby et le ski alpin) sur SFR Sport 2, les sports extrêmes (du kitesurf au motocross) sur la 3, des rencontres en qualité ultra HD (4K) sur la 4 et des sports de combat sur la 5. Même si rien n’est encore officiel, l’amateur de foot anglais ne pourra pas, a priori, s’abonner uniquement à SFR Sport 1 pour vivre sa passion. Il lui faudra prendre l’abonnement au pack des cinq chaînes, disponible pour tous et pas seulement aux locataires d’une box SFR. Abonnement dont le tarif n’a pas encore été fixé. Quant à la qualité des programmes proposés, Alain Weill a juste précisé : « Les exemples de Canal+ et de BeIN en matière de couverture sportive placent la barre haut. Nous allons nous en Arte 20.45 L’Eté meurtrier Drame de Jean Becker (Fr., 1983, 130 min). 22.55 Elvis & Priscilla Documentaire d’Annette Baumeister (Fr., 2014, 55 min). M6 20.55 Zone interdite « Foire de Paris 2016 : vendeurs et inventeurs révolutionnent votre maison ». Présenté par Wendy Bouchard. 23.00 Enquête exclusive « Boko Haram, la secte terroriste ». Présenté par Bernard de La Villardière. LUN D I 9 M AI TF1 20.55 Sam Série (Fr., 2015, saison 1, ép. 3 et 4/6). 22.55 New York, unité spéciale Série (EU, saison 15, ép. 24/24 ; saison 6, ép. 18 et 19/23). France 2 20.55 Rizzoli & Isles : autopsie d’un meurtre Série (EU, saison 5, ép. 17/18 ; saison 3, ép. 10 et 11/15). 23.00 Alcaline le mag « Christophe ». Magazine musical. France 3 20.55 Politiques : ils connaissent la chanson Documentaire de Mireille Dumas (Fr., 2016, 130 min). SFR se prépare pour accueillir le football anglais es nombreux téléspectateurs passionnés de football anglais résidant en France vont devoir changer leurs habitudes. Depuis plus de quinze ans, la Premier League anglaise, compétition sportive la plus populaire du monde, était visible moyennant finances sur les antennes de Canal+. Au début des années 2000, le diffuseur payait 4,5 millions d’euros par saison. Entre 2010 et 2013, l’addition est montée à 24 millions. Avant de s’élever, entre 2013 et 2016, à 63 millions. Lors du renouvellement des droits en 2013, Rodolphe Belmer, l’ancien directeur général du groupe, assurait même que la Premier League était « la compétition la plus appréciée de [leurs] abonnés ». La perte des droits de diffusion de la Premier League par Canal+ au profit d’Altice, en novem- V O S S O I R É E S T É L É inspirer pour proposer un produit de grande qualité. » Les moyens financiers sont là, les moyens humains également, puisque, par l’intermédiaire de l’agence interne RMC Sport et MCS (Ma Chaîne Sport, propriété de Patrick Drahi depuis 2007), une centaine de journalistes spécialisés seront mis à contribution. Reste à connaître les noms de la dizaine de consultants nécessaires à la bonne tenue de cette chaîne qui se veut « premium ». Si peu de noms (Emmanuel Petit, Raymond Domenech) apparaissent encore, le mercato bat actuellement son plein dans le bureau de François Pesenti, directeur général de l’agence RMC Sport. Le temps est compté, puisque le coup d’envoi de la prochaine saison de Premier League est programmé samedi 13 août. p alain constant Canal+ 21.00 Le Bureau des légendes Série (Fr., saison 2, ép. 1 et 2/10). 22.50 21 cm Magazine littéraire animé par Augustin Trapenard. Invitée : Patti Smith. France 5 20.45 Le Dernier Métro Drame de François Truffaut (Fr., 1980, 130 min). 22.55 C dans l’air Magazine. Arte 20.55 La Chasse Drame de Thomas Vinterberg (Dan., 2012, 110 min). 22.45 L’Inconnu du lac Thriller d’Alain Guiraudie (Fr., 2013, 95 min). M6 20.55 Prometheus Film de science-fiction de Ridley Scott (EU-GB, 2012, 135 min). 23.10 Real Stell Film de Shawn Levy (EU, 2011, 145 min). 20 | télévisions 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 « Le Bureau des légendes » s’ancre dans le réel SÉLECTION La deuxième saison de la série créée par Eric Rochant s’affirme comme l’une des meilleures productions françaises CANAL+ LUNDI 9 – 21 H 00 SÉRIE E n 2015, lorsque Fabrice de La Patellière, le directeur de la fiction de Canal+, annonçait que la chaîne cryptée diffuserait chaque année une nouvelle saison du « Bureau des légendes », nombreux étaient ceux à ne pas trop y croire. Et pourtant, le petit miracle a eu lieu. Dès lundi soir, la deuxième saison sera bien à l’antenne et, déjà, la troisième est en tournage à la Cité du cinéma à Saint-Denis, en banlieue parisienne. Tout au long de ces dix épisodes plus « musclés » et plus fluides que les précédents, on retrouve, bien sûr, Malotru (impeccable Mathieu Kassovitz), une des « légendes » du contre-espionnage français qui, par amour pour la belle Syrienne Nadia El-Mansour (troublante Zineb Triki), va devoir choisir entre abandonner celle qu’il aime ou trahir son pays. A leurs côtés, tous les acteurs de la première saison sont présents (Jean-Pierre Darroussin en patron blasé mais subtil, Gilles Cohen, Sara Giraudeau, Léa Drucker, etc.), qui épousent leurs personnages avec une forte intensité et permettent aux téléspectateurs de s’attacher encore plus à eux. C’est d’autant plus important que cette saison est plongée en Mathieu Kassovitz (Malotru). JESSICA FORDE pleine actualité. On y voit les chefs de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) confrontés à un djihadiste sanguinaire narguant la France, et on suit « Phénomène » (la délicate Sara Giraudeau) à Téhéran, où elle est en mission clandestine. Tout autour, des agents s’activent en Syrie, en Irak ou au Liban pour tenter d’infiltrer l’organisation Etat islamique. Mais nous n’irons pas plus loin pour laisser aux téléspectateurs le plaisir de découvrir la suite… Tournés en novembre 2015 au moment où Paris était victime des attaques terroristes, les épisodes de cette saison ont pris une couleur particulière. « Qu’on le veuille ou non, même si nous ne cherchons pas à suivre l’actualité, nous y sommes en plein, et cette situation influence nos émotions et notre jeu », constate Mathieu Kassovitz. Si cette série fonctionne aussi bien dans son récit, sa réalisation et sa direction d’acteurs, c’est grâce à la mise en place d’un véri- table « showrunner » qui, comme au Etats-Unis, contrôle tout et peut ainsi « imposer sa grammaire sur l’ensemble des épisodes de la série », comme le dit Eric Rochant, qui endosse ce rôle. RAD IO teur et le jeu des acteurs. « Cette réalisation collégiale est possible parce que je peux tout chapeauter et faire en sorte que la série conserve son style et sa sobriété. Les faiblesses à l’écriture ne sont jamais rattrapables », pointe-t-il. Un impératif qui satisfait Alex Berger, l’un des producteurs. « Cette série est le résultat d’une rencontre d’exigences, affirme-t-il. Exigence de production, de distribution et de réalisation autour d’Eric Rochant. Cette concentration a permis un processus créatif comme pour les séries américaines, car, dans ces studios loués à l’année, tout est linéaire et permet de gagner du temps et de l’argent. » Cela n’empêche pas les agents, au cours de cette saison, de se rendre sur le terrain et de se confronter à ceux qu’ils combattent. « On perçoit mieux comment les décisions prises entre les quatre murs de la DGSE peuvent avoir des répercussions sur la réalité », explique Eric Rochant, qui continue à beaucoup se documenter sur Internet pour écrire certaines scènes. En tout cas, en attendant la troisième saison, la mission est accomplie. p daniel psenny Réalisation collégiale et exigence Installé dans des bureaux situés au-dessus du plateau de tournage où il écrit les scènes au fur et à mesure avec ses coscénaristes, Eric Rochant peut suivre et contrôler la mise en scène de chaque réalisa- « Le Bureau des légendes », saison 2, créée par Eric Rochant. Avec Mathieu Kassovitz, Jean-Pierre Darroussin, Sara Giraudeau. La culture à contrechamp Journée de l’orgue à France Musique Dans le cadre des manifestations du « Jour de l’orgue », la Maison de la radio accueille au sein de son auditorium l’orgue de 12 mètres de haut, conçu et fabriqué par Gerhard Grenzing : 87 jeux, 5 320 tuyaux, 4 claviers, 2 consoles. Dimanche 8 mai, de 7 heures à 19 heures, France Musique profite de l’occasion pour mettre à l’honneur ce chef-d’œuvre et invite les auditeurs à en découvrir toute la richesse et les facettes, à travers une programmation spéciale et de nombreux concerts. RTL à Cannes Présente à Cannes durant toute la durée du 69e Festival (du 11 au 22 mai), RTL s’offrira une affiche prestigieuse, le jeudi 12 mai, dans l’émission « Laissez-vous tenter » (de 9 h à 9 h 30), durant laquelle Yves Calvi et Stéphane Boudsocq recevront le trio d’acteurs Julia Roberts, Jodie Foster et George Clooney pour le thriller Money Monster, qui sera présenté hors compétition. Un rendez-vous à retrouver en vidéo sur RTL. fr TOUR N AGE Les treize webdocumentaires réalisés par Marc-Aurèle Vecchione proposent un plongeon au cœur des contre-cultures P ur, authentique, puissant. Ces trois adjectifs donnent un aperçu de l’essence des photographies qui retracent l’histoire de la contre-culture dans la websérie « Photos rebelles » d’Arte Creative (accessible sur Arte.tv ). Les photographes Glen E. Friedman, Janette Beckman, Danny Lyon, Gavin Watson et Henry Chalfant ont dessiné les contours des mouvements culturels contestataires qui ont bouleversé la fin du siècle dernier. La légitimité de leur travail tient dans le fait que chacun d’eux s’est plongé dans l’univers alternatif qu’il entendait dévoiler, dans la veine d’un journalisme d’immersion. A travers l’évocation des souvenirs des photographes, les treize épisodes de « Photos rebelles » retracent avec une puissance authentique l’histoire de la contre-culture, depuis l’aube des années 1970 avec la naissance de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, jusqu’aux années 1990 et l’émergence des rave parties en Grande-Bretagne. La malice d’Henry Chalfant traverse l’écran quand il raconte la peur qui l’avait saisi lors d’une soirée passée à graffer illégalement les wagons des métros new-yorkais avec une communauté de graffeurs dont il avait réussi à gagner la confiance. Des souvenirs de temps à autre empreints de nostalgie, comme lorsque Glen E. Friedman partage ses souvenirs des années 1970, quand le skateboard en était encore à ses balbutiements, pratiqué dans la clandestinité par une poignée d’adeptes aux cheveux longs dans des piscines désertées par leurs propriétaires ca- liforniens. Sont enfin d’une grande acuité les témoignages de Gavin Watson, qui égrène les noms de sa bande d’amis skinheads qui déambulaient fièrement dans les rues de Wycombe, une banlieue populaire de Londres, bomber sur les épaules et Doc Martens aux pieds. Une esthétique de la violence A l’heure de la marchandisation globalisée du marché de la culture et de la retouche d’image, « Photos rebelles » fait l’effet d’une décharge électrique. Sim- ple, dénué d’artifice et original, le travail des photographes est saisissant d’authenticité. La websérie est d’autant plus captivante que de ces clichés argentiques émane une esthétique de la violence qui soumet le spectateur à visionner la websérie d’une traite ; rappeurs qui posent Beretta au poing, Afro-Américains qui bravent la répression policière, bikers qui avalent rageusement l’asphalte… Toutes ces photos témoignent d’une rage d’exister. D’exister autrement. p jérémie vaudaux « Engrenages », saison 6 Canal+ vient d’annoncer le lancement jeudi 5 mai du tournage de la saison 6 de sa série « Engrenages », produite par Son et Lumière et récompensée aux derniers International Emmy Awards. Un tournage en région parisienne qui durera environ sept mois. 0123 est édité par la Société éditrice HORIZONTALEMENT GRILLE N° 16 - 110 PAR PHILIPPE DUPUIS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 I II III IV V VI VII VIII IX X SOLUTION DE LA GRILLE N° 16 - 109 HORIZONTALEMENT I. Plum-puddings. II. Ripas. Iodera. III. Emet. Ange. Un. IV. Firent. Onces. V. Etirèrent. SO. VI. Rasages. Is. VII. Eté. Etain. VIII. Ni. Scabreuse. IX. Cocaïnes. Têt. X. Entraîneuses. VERTICALEMENT 1. Préférence. 2. Limitation. 3. Upérisé. Ct. 4. Matera. Sar. 5. PS. Négocia. 6. Atre. Ani. 7. DIN. Es. Ben. 8. Dogon. Erse. 9. Identité. 10. Ne. Sauts. 11. Grues. Isée. 12. Sansonnets. I. Une in qui se fait sentir. II. Celle d’Abélard avait un H. Même en voie de disparition, il est toujours au travail. III. La grande des grandes ondes. Avec la part de Bercy. Son golfe communique avec la mer Rouge. IV. Créée d’un coup de baguette magique. Trois points sur quatre. V. Mauvaises habitudes et pertes de temps. Appréciation en marge. VI. Tous les autres en raccourci. Extraites de la fève de Calabar. VII. Personnel. Pan dans la jupe. Pile. VIII. Sensible au toucher. Possessif. Nourrice de Zeus, devenue montagne. IX. Sœur de satyres. Fait du propre mais laisse des traces au passage. X. Ludwig n’a pas pu aller plus loin. VERTICALEMENT 1. Cherchez-la ailleurs, elle n’existe pas ici. 2. Pour plus tard. 3. Supporté. Elément d’une suite. 4. Bout de rime. Sur la portée. Lavé n’importe comment. 5. Bien appréciée. Romains chez Verdi. 6. Chaleureusement accueillies. Base de lancement. 7. Scorpion d’eau. 8. Sur le coup. Victime de son rythme de vie. 9. En attendant de pouvoir entrer. Pour un premier tour de cadran. 10. Couvert de senteurs marines. Prête à tout avaler. 11. Encouragement bruyant. Assure la liaison avec le muscle. 12. Malgré cela. SUDOKU N°16-110 5 8 9 3 6 2 4 5 9 7 8 4 1 5 3 2 6 5 3 4 6 8 2 1 9 7 2 6 1 9 7 3 8 4 5 1 9 2 5 6 8 7 3 4 3 5 6 1 4 7 2 8 9 4 8 7 3 2 9 6 5 1 8 2 9 7 5 6 4 1 3 6 4 3 2 9 1 5 7 8 7 1 5 8 3 4 9 6 2 Expert Complétez toute la grille avec des chiffres allant de 1 à 9. 4 2 Chaque chiffre ne doit être utilisé qu’une 1 3 8 4 9 seule fois par ligne, colonne et par 2 9 1 3 8 par carré de neuf cases. Réalisé par Yan Georget (http://yangeorget.net) 4 2 3 1 “Elles viennent du fond des temps et de tous les continents nous raconter leur histoire.” Un hors-série CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX du « Monde » SA Durée de la société : 99 ans à compter du 15 décembre 2000. Capital social : 94.610.348,70 ¤. Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS). Rédaction 80, boulevard Auguste-Blanqui, 75707 Paris Cedex 13 Tél. : 01-57-28-20-00 Abonnements par téléphone : de France 3289 (Service 0,30 e/min + prix appel) ; de l’étranger : (33) 1-76-26-32-89 ; par courrier électronique : [email protected]. 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Commission paritaire des publications et agences de presse n° 0717 C 81975 ISSN 0395-2037 Présidente : Corinne Mrejen PRINTED IN FRANCE 80, bd Auguste-Blanqui, 75707 PARIS CEDEX 13 Tél : 01-57-28-39-00 Fax : 01-57-28-39-26 L’Imprimerie, 79 rue de Roissy, 93290 Tremblay-en-France Toulouse (Occitane Imprimerie) Montpellier (« Midi Libre ») disparitions & carnet | 21 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Qi Benyu Ng Ectpgv Ancien lieutenant de Mao Xqu itcpfu fixfipgogpvu Pckuucpegu. dcrv‒ogu. hkcp›cknngu. octkcigu. cppkxgtucktgu fg pckuucpeg Cxku fg ffieflu. tgogtekgogpvu. oguugu. eqpfqnficpegu. jqoocigu. cppkxgtucktgu fg ffieflu. uqwxgpktu Eqnnqswgu. eqphfitgpegu. ufiokpcktgu. vcdngu/tqpfgu. rqtvgu/qwxgtvgu. hqtwou. lqwtpfigu fÔfivwfgu Uqwvgpcpegu fg ofioqktg. vjflugu. JFT0 Gzrqukvkqpu. xgtpkuucigu. ukipcvwtgu. ngevwtgu. eqoowpkecvkqpu fkxgtugu Rqwt vqwvg kphqtocvkqp < 23 79 4: 4: 4: 23 79 4: 43 58 ectpgvBorwdnkekvg0ht AU CARNET DU «MONDE» Naissance Sarah LICHTSZTEJN-MONTARD, ancienne déportée d’Auschwitz, a la bonheur d’annoncer la naissance de son arrière-petite-ille, Mme Mireille Gassin, son épouse, Philippe, Florence, Roland, ses enfants et leurs conjoints, Ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès du Rencontre de la société des lecteurs professeur Raymond GASSIN, « 1936, que reste-t-il du Front Populaire ? » professeur honoraire de droit et de criminologie à l’université d’Aix-Marseille, prix Beaumont-Tocqueville, chevalier dans l’ordre national du Mérite, commandeur dans l’ordre des Palmes académiques, A l’occasion de la publication du Hors-Série intitulé « 1936 », Le Monde s’interroge, que reste-t-il du Front Populaire ? survenu le 4 mai 2016, à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Les obsèques auront lieu le lundi 9 mai à 15 heures, en l’église Notre-Dame de l’Arc, 10, rue de la Fourane, Aix-enProvence (Bouches-du-Rhône). Les Floralies (Genêts), Traverse Saint-Pierre, 13100 Aix-en-Provence. Mme Françoise Job, son épouse, M. et Mme Bernard Job, Olivier, Estelle, M. et Mme Bernard Weil, Martin, Arnaud, Eric, ses enfants et ses petits-enfants, Les familles Dockès, Hayem, Lévy et Taillandier, le 5 mai 2016. M. Sylvain JOB, survenu le 30 avril, à Lunéville, à l’âge de quatre-vingt-onze ans. Décès A ncien lieutenant de Mao et de son épouse Jiang Qing durant les premières années de la Révolution culturelle avant d’être lui-même victime des purges, Qi Benyu est mort, le 20 avril, à l’âge de 85 ans. Ses Mémoires, qu’un éditeur de Hongkong lui avait commandés en 2011 et qu’il souhaitait voir publier avant ses 85 ans, sont finalement sortis une semaine après sa mort, le 28 avril. Ils sont dédicacés à « l’anniversaire des cinquante ans de la Révolution culturelle lancée par Mao » – un événement que l’ancien idéologue, qui fut rédacteur en chef adjoint de Drapeau rouge, la principale publication théorique du maoïsme, n’a jamais renié, et qu’il a contribué à animer. Né dans la province du Shandong en 1931, Qi Benyu a grandi à Shanghaï et a rejoint le Parti communiste en 1949. Il entre à 19 ans à Zhongnanhai, la nouvelle Cité interdite du pouvoir communiste à Pékin, où il deviendra l’assistant d’un des secrétaires de Mao. Il se fera vite remarquer par le Grand Timonier pour ses prises de position radicales. Des regrets Qi Benyu fait partie des rédacteurs de la circulaire du 16 mai 1966, qui sonnera le coup d’envoi de la Révolution culturelle, avec une offensive en règle contre ceux que Mao accuse d’être des « tenants de la voie capitaliste » infiltrés au sein du Parti – en commençant par Peng Zhen, le maire de Pékin, avant de toucher à peu près toute la direction du Parti et les anciens compagnons d’armes de Mao, en dehors du déférent et ambivalent Zhou Enlai. Les auteurs de la circulaire du 16 mai, parmi lesquels se trouvent Jiang Qing et ses trois acolytes de la future « bande des quatre », rejoindront le groupe central de la Révolution culturelle, un tout nouvel organe directement assujetti à Mao, et qui deviendra pendant un temps le donneur d’ordres suprême du pays, court-circuitant les institutions gouvernementales et le reste du Parti. S’il a toujours défendu Mao, dont la Révolution culturelle a pourtant été officiellement qualifiée de « désastre » par le Parti communiste en 1981, Qi Benyu exprime toutefois, dans ses Mémoires, ses regrets au sujet du suicide de trois personnalités qui furent les victimes indirectes de sa plume : ceux d’abord du célèbre historien marxiste Jian Bozan et 1931 Naissance dans la province de Shandong (Chine) 1949 Rejoint le Parti communiste chinois 1968 Est arrêté et emprisonné. Il ne sera libéré qu’en 1986 20 AVRIL 2016 Mort à Shanghaï de son épouse, à qui Qi Benyu reprocha dans un de ses articles de Drapeau rouge de « s’opposer à la lutte des classes » et de « faire les louanges des rois et des empereurs ». Agressés et violentés par les gardes rouges, les époux Jian finiront par avaler une surdose de somnifères le 18 décembre 1968. L’autre mort que Qi Benyu dit regretter est celle du poète et journaliste Deng Tuo, ex-rédacteur en chef du Quotidien du peuple, qui se suicide une semaine après que Qi Benyu l’eut désigné comme un « traître » dans l’un de ses écrits, au terme d’une longue campagne de dénigrement. La carrière de zélateur de Qi Benyu sera pourtant de courte durée : en 1967, au côté de deux autres maoïstes, il incite à débusquer les traîtres au sein de l’armée. Mais cette initiative, jugée trop hasardeuse à un moment où le chaos s’installe, est vite décapitée. Il est arrêté. Mao dénonce un trio de « cafards ». Jiang Qing parle d’une « clique antiparti qui œuvrait secrètement au nom de Liu Shaoqi, Deng Xiaoping et Tao Zhu » – dont Qi Benyu avait pourtant été l’un des plus ardents dénonciateurs. Jeté en prison, Qi Benyu ne sera jugé que bien après la Révolution culturelle, en 1983, en tant qu’un de ses instigateurs et membre de la « clique contre-révolutionnaire de Jiang Qing et Lin Biao ». Il est condamné à dix-huit ans de prison, mais relâché en 1986 en raison des quinze ans déjà passés derrière les barreaux. Il retourne alors vivre à Shanghaï, où il a travaillé de longues années dans une librairie et a publié des livres historiques sous un pseudonyme. En dehors des regrets exprimés dans ses Mémoires, Qi Benyu n’a jamais failli dans sa loyauté au couple Mao : dans un essai récent, il avait dressé un portrait élogieux de Jiang Qing et dénoncé la campagne « de rumeurs et de mensonges » dont celle-ci aurait été victime. Condamnée à la prison à vie en 1981 au terme d’un procès fleuve, Jiang Qing s’est suicidée dix ans plus tard. p brice pedroletti Jacqueline Barritault, son épouse, Etienne Barritault, Pierre Barritault, ses ils, Stéphanie Gaugiran, ont la tristesse de faire part du décès du professeur Lionel BARRITAULT, survenu le 2 mai 2016, à l’âge de soixante-quinze ans. La cérémonie religieuse aura lieu le lundi 9 mai, à 11 heures, en l’église Saint-Germain, de Magny-les-HameauxVillage (Yvelines). Le départ du cortège aura lieu à 10 h 45, de Brouëssy. 11, square Albonie, 75016 Paris. Brigitte Fleurot, son épouse, Gaëlle et David Abeille, sa ille et son gendre, Cyril Fleurot et Bénédicte Dubois, son ils et sa belle-ille, Morgane et Valentine Abeille, ses petites-illes, ont la tristesse de faire part du décès de Bernard FLEUROT, survenu le 1er mai 2016. La cérémonie religieuse sera célébrée en l’église Saint-Médard, Paris 5 e , le mardi 10 mai, à 14 h 30. Sa famille, Ses amis camarades d’engagement syndical et politique, ont la tristesse de faire part du décès de Denise FRAENKEL-SALOMON, Les obsèques ont eu lieu au cimetière israélite de Lunéville (Meurthe-etMoselle), le mardi 3 mai, à 14 h 15. 3, rue Rivolet, 54300 Lunéville. [email protected] L’AREPS (Association de relaxation psychanalytique Sapir) Et les Journées Balint d’Annecy, ont la tristesse de faire part du décès de Monique MEYER, survenu le 29 avril 2016. Nous rendons hommage à cette femme lumineuse, présente et vivante dans son écoute ainsi que dans la transmission. Autant qu’une collègue estimée, c’est une amie précieuse que nous perdons. Danièle Raisonnier, Benjamin, leur ils, Charles, Marc, Emilie, Louis-David, ses enfants et leurs conjoints, Octave, Constantin, Constance, Lila, ses petits-enfants, ont la douleur de faire part du décès de Alain R. SCHLUMBERGER, X 48, survenu le 3 mai 2016, à Paris. Nous nous retrouverons lundi 9 mai, à 15 h 30, en la salle de la Coupole, au cimetière du Père-Lachaise, Paris 20è. Un culte d’action de grâces aura lieu in mai. Ni leurs ni couronnes. [email protected] # # $ !# $ # #$ $# &. + *2.+ #$ $ #$ $ $# $ # *'$ %&# & #$ # . *&%%* # $ !# ! #! *%& + &/& #$ %# # # " $ #$ ! #! # %&!- &(). % * ** %%#&%. * % # %* # * .* # # ** &.*-& + # % *&% 2#/ .$%% *%. (*$%- * # $ $ %%- &- # (( &.* # 3"&0+" # $# *%" &%%+ # .** % * +- % ++&# #$ $ $ %# $ $ ##+ /% &- #$ $ %# $ $ .# % *&&.*#$ % !# # #! %%- * # % &.1 #$ #!#$ * + (-&&*&. # &#+ $%3 * 3 #$ *%" &. # $ $ -* %  # # * +- % ! !$ % ** * (*+ %- +- % *% & / (*+ %- Lieu d’asile. Manifeste pour une autre psychiatrie (Odile Jacob, 2015), jeudi 12 mai 2016, à 21 heures, au Centre Sèvres, 35 bis, rue de Sèvres, Paris 6e. Discutant : Nicolas Dissez, psychiatre, psychanalyste. Entrée 12 €. Débats L’union de la gauche, l’espace d’un instant, va renaître dans ce beau mois de mai 2016, comme par enchantement. François Hollande de sa plus belle éloquence salue Léon Blum, en cet anniversaire de la victoire du Front populaire aux élections législatives de mai 1936. Mais les années 1930, c’est aussi la crise économique, les guerres, le populisme, la xénophobie et l’antisémitisme, les réfugiés et la montée du nazisme. Et la question revient souvent, y a-t-il des similitudes entre 1936 et aujourd’hui. Les comparaisons sont troublantes entre les deux périodes. Alain Bergougnioux, historien, Jean Vigreux, historien, participeront au débat animé Michel Noblecourt, éditorialiste au Monde et Michel Lefebvre, responsable des hors-séries du Monde, le jeudi 12 mai 2016, à 18 h 30, Auditorium du journal Le Monde, 80, boulevard Auguste-Blanqui, Paris 13e. Plateforme de la création architecturale Le Laboratoire du Logement Un beau logement, c’est un grand logement. À partir de cette afirmation de Jean Nouvel dans les années 1980, débat sur les surfaces, les typologies et les normes du logement social en France, Réservation obligatoire par mail uniquement et dans la limite des places disponibles à [email protected] Assemblées générales L’ANCEF informe ses adhérents de la tenue de son Assemblée générale extraordinaire le 24 mai 2016, à 14 h 30, à son siège, Grenoble (Isère). L’Association du Planning Familial de Paris tiendra son assemblée générale, le mardi 24 mai 2016, à 19 heures, 10, rue Vivienne, Paris 2e. mardi 10 mai 2016, à 18 h 30. Histoire et actualité des bidonvilles, un temporaire qui dure, Les Entretiens de Chaillot, SIST CMB Association loi 1901, 26, rue Notre-Dame-des-Victoires, 75002 Paris. Louis Paillard, architecte et urbaniste, Paris, Les membres de l’Association sont convoqués à l’assemblée générale ordinaire qui se tiendra le jeudi 26 mai, à 18 h 30. mercredi 11 mai 2016, à 11 heures, au 74, rue Jean Bleuzen, à Vanves (Hauts-de-Seine) lundi 23 mai, à 19 heures. Entrée libre, inscription citechaillot.fr Exposition Népal un an après les tremblements de terre, mobilisation pour un orphelinat. Exposition photos et ilm pour témoigner, du 9 au 14 mai 2016, Galerie Orphée, 6, rue Simon-le-Franc, Paris 4e. Vernissage, le 11 mai, de 17 heures à 22 heures. contact : [email protected] à l’effet de délibérer sur l’ordre du jour ci-après : - Approbation du rapport sur la situation morale et inancière pour l’exercice 2015 - Approbation des comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2015 - Présentation des rapports du commissaire aux comptes relatifs à l’exercice clos le 31 décembre 2015 - Proposition et approbation de l’affectation du résultat de l’exercice clos le 31 décembre 2015 Communications diverses Cet avis tient lieu de faire-part. [email protected] Anniversaire de décès « ... Et imaginez un peu que je trouve un ailleurs. » Alexis Gayel Boiro Roumer. survenu le 2 mai 2016, jour de son quatre-vingt-dixième anniversaire. Denise avait choisi de donner son corps à la science. Les Grandes Conférences de l’EPhEP, avec le docteur Thierry Najman, psychiatre, chef de pôle, autour de son livre, ont la douleur de faire part du décès de Manon, DR Conférence Institut universitaire Elie Wiesel Séminaire 3 séances : « Du terrorisme aux terrorismes ? », 10, 17, 24 mai 2016, à 18 h 30, avec Alain Bauer, professeur de criminologie - 119, rue La Fayette, 75010 Paris. Tél. : 01 53 20 52 61. www.weezevent.com/cours-alain-bauer - Approbation du budget 2016 - Désignation d’un commissaire aux comptes - Résolutions. Les comptes arrêtés au 31 décembre 2015 ainsi que le rapport moral peuvent être consultés au siège du CMB. Gayel, mon cœur, puisse ce 8 mai 2016, huitième anniversaire de ton départ, t’apporter paix, joie, consolation, dans ton Ailleurs. Le Carnet Maman, Gaty. Hommage Le président de l’université d’Auvergne, Le doyen de l’Ecole de droit, ont appris avec tristesse le décès du Annoncez vos événements culturels professeur Jean STOUFFLET, doyen honoraire de la Faculté de droit. Ils tiennent à exprimer, avec l’ensemble des personnels de l’université, leurs très sincères condoléances à son épouse, ses enfants et leurs proches, et à témoigner du rôle important qu’a joué le professeur Stoufflet, contribuant par ses exceptionnelles qualités d’enseignant, de chercheur et d’auteur, à l’essor et au renom de l’université d’Auvergne. Pour toute information : 01 57 28 28 28 01 57 28 21 36 [email protected] Tarif : 29,50 € TTC Prix à la ligne Signatures Projections-débats Lectures Communications diverses 22 | DÉBATS & ANALYSES 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 La police française doit privilégier la pacification des manifestations Mort de presse | par serguei Contrairement à la plupart de ses voisins, la France est en retard dans la réforme du maintien de l’ordre. Il est plus efficace de mêler le dialogue à la fermeté plutôt que de céder à la répression systématique Par OLIVIER FILLIEULE et FABIEN JOBARD D Ecologie : la France bloquée par ses élites Engluée dans une vision productiviste et archaïque, la gauche actuellement au pouvoir est incapable de répondre à l’impératif écologique. Une candidature des Verts à la présidentielle s’impose Par CÉCILE DUFLOT A l’heure où nombre d’observateurs glosent sur le supposé conservatisme de la jeunesse et des organisations syndicales opposées à la « loi travail », je veux dire que les conservateurs ne sont pas forcément ceux que l’on croit. J’en veux pour preuve l’incroyable retard pris par notre pays en matière d’écologie. Disons les choses clairement : alors que foisonnent les initiatives qui démontrent que se lève une nouvelle génération consciente de notre responsabilité face à l’environnement, de notre interdépendance dans les écosystèmes, et donc de notre destinée commune, la transition écologique demeure freinée par des élites dépassées. Ces élites défendent une vision productiviste archaïque, sans réinterroger la notion de croissance et sans comprendre la nécessité de modifier nos manières de produire, de consommer, de nous déplacer, d’habiter. Les bloqueurs ne sont pas les manifestants de Nuit debout, mais les tenants de la technostructure persuadée de détenir seule la vérité du pays. Ceux-là mêmes qui voulaient me dissuader de mettre en place l’encadrement des loyers et écoutaient davantage les lobbys que les citoyens ; les mêmes ont abandonné les banlieues et trahi le monde rural. Comment attendre d’eux qu’ils intègrent l’impératif écologique, le grand devoir de notre temps ? A la vérité, l’écologie nécessite un grand virage. Mais comme dans tout processus de transformation de cette importance, il serait naïf de croire que tout le monde souhaite que ce tournant advienne. L’écologie est l’adversaire de la rente parce qu’elle présuppose une mise en commun des ressources et affronte la logique d’accaparement et de prédation qui anime le stade actuel du capitalisme. Et c’est ce qui effraie les rentiers du système. Préoccupés par le maintien de leur position dominante, ils font mine de ne pas voir que leur système ruine le vivant et mène donc l’humanité et la planète vers l’abîme. Au lieu donc de courir après un introuvable consensus écologique, le gouvernement aurait dû assumer les C’EST UN INCROYABLE GÂCHIS. NOUS POUVIONS FAIRE DE CE QUINQUENNAT CELUI DU SURSAUT ÉCOLOGIQUE, C’EST LE QUINQUENNAT DE L’ENLISEMENT antagonismes qui opposent partisans et détracteurs des solutions écologiques. Mais ce gouvernement pense, avec trente ans de retard, que l’histoire s’est achevée avec la chute du mur de Berlin. De là découle sa course vers l’orthodoxie : droite et gauche raisonnables devraient partager l’essentiel et s’opposer à la marge. D’une certaine manière, nous voyons poindre à nouveau l’illusion d’une gauche balladurienne, engoncée dans les contours étroits du prétendu cercle de la raison qu’elle partage en colocation idéologique avec la droite libérale. Or si le clivage gauche-droite est dépassé, ce n’est pas en raison de l’épuisement de ce qu’on appelait jadis la question de classe (elle demeure tragiquement valide), mais bien parce que le paradigme écologiste définit de nouvelles questions qui interrogent notre existence elle-même. RÉINVENTION L’écologie est le nouvel horizon du progrès. Ce n’est pas seulement une voie de salut, mais aussi un chemin de réinvention. Face à l’urgence climatique, au péril nucléaire, aux menaces qui pèsent sur la biodiversité, il n’est plus temps de tergiverser. Alors, pardon de l’écrire, mais comment, au regard du gouffre entre les exigences environnementales de la période et l’immobilisme gouvernemental, ne pas désespérer de la triste politique menée par un président de la République que nous avons contribué à faire élire ? C’est un incroyable gâchis. Nous pouvions faire de ce quinquennat celui du sursaut écologique, c’est aujourd’hui le quinquennat de l’enlisement. Je ne dis pas que rien n’a été fait : je dis que le cap choisi n’est pas le bon, fixé par des cartographes incapables de lire l’inédit du monde. Après m’avoir fait reproche d’avoir choisi la participation gouvernementale, on m’a fait reproche d’avoir quitté une coalition qui ne menait pas la politique que nous avions contractualisée. Que n’ai-je entendu alors sur ma prétendue gauchisation ! Parce que j’ai voulu proposer un autre chemin, m’affirmer en solidarité avec la gauche européenne de Podemos et Syriza tout en posant la nécessité absolue de conduire un grand virage écologique, on m’a caricaturée. Peu m’importe. A la vérité, une écologie libre pose problème parce qu’elle fait mentir les pronostics établis. Une écologie aux ordres plaît davantage aux conservateurs. C’est une promesse de conformisme, une ambition sans contenu, une politique sans transcendance. Or qui ne voit que c’est précisément cette absence de transcendance qui tue notre République ? Les Français désespèrent de la politique parce que les politiques menées sont sans horizon, sans souffle, sans vision projetant un avenir meilleur. L’idéal européen lui-même est en train de mourir sous les coups conjugués des amis de la finance et des nationaux-populistes. Il nous faut ouvrir une voie nouvelle. Je m’y emploie, avec d’autres. Depuis longtemps déjà, je plaide ainsi pour une refondation écologique de notre République, basée sur la logique des biens communs. La première avancée serait d’inscrire l’impératif de lutte contre le dérèglement climatique dans notre Constitution. J’ai formulé cette proposition il y a quelque temps déjà. On m’a alors opposé qu’il ne fallait pas toucher à la Constitution. Mais nous sortons de l’odieux feuilleton de la déchéance de nationalité. J’affirme qu’il serait plus essentiel, plus digne et plus conforme au sens de l’histoire de déclarer que notre République est désormais une République écologique qui se préoccupe de la préservation du vivant, de la nature et des droits des générations futures. UN AÉROPORT INUTILE Au lieu de cela, nous accumulons les retards. La loi de transition énergétique reste en grande partie lettre morte malgré un amoncellement de promesses. Nous n’encourageons nullement l’innovation technologique en faveur de l’environnement. Nous découvrons avec effroi qu’on nous ment sur des informations essentielles concernant la sûreté nucléaire, alors même qu’on ne cesse de reporter l’effectivité de la fermeture de Fessenheim. Le gouvernement s’obstine à défendre un projet d’aéroport inutile à Notre-Dame-des-Landes, et organise une consultation qui n’a que les apparences de la démocratie. Je compte bien y jeter toutes mes forces pour convaincre du danger et de l’inutilité de ce projet. Plus généralement, si je veux me tenir à distance du petit monde de l’entre-soi parisien et de la manie de l’hypercommentaire, je n’entends pas rester muette ou immobile dans les temps qui viennent. Si je me suis éloignée des enjeux internes à mon parti, c’est pour mieux écouter la population de notre pays, et en particulier les jeunes générations, que je veux convaincre de construire un avenir écologique. C’est à mes yeux l’un des enjeux de la présidentielle à venir. Le temps est proche où, à nouveau, les Françaises et les Français auront à choisir une direction et à déterminer ensemble qui devra conduire la politique du pays. L’écologie doit être représentée dans le débat qui vient. Je me battrai pour que notre candidature soit la plus efficace possible, qu’elle rassemble largement, qu’elle agrège des femmes et des hommes issus de traditions diverses mais réunis par la même volonté de transformation de la société. Nous pouvons faire naître l’espoir. Les arguments d’autorité des conservateurs sont autant de herses qu’ils veulent infranchissables. La chose étrange est qu’ils prétendent de surcroît incarner la modernité. Rien n’est plus faux. L’avenir nous appartient. p ¶ Cécile Duflot est ancienne ministre du logement et députée de Paris Europe Ecologie-Les Verts epuis 1987, à Berlin, la journée du 1er mai est l’occasion, pour des centaines de jeunes, d’user de projectiles, cocktails Molotov, tirs de mortier, fusées diverses. Le 1er mai 2016 n’a pas dérogé à la règle, tout en offrant un contraste saisissant avec les scènes des années 1980-2000 : les « casseurs », comme on les appelle en France, se sont bien réunis sur les lieux habituels, mais la violence s’est comme évaporée. A la différence des dernières manifestations françaises, la police berlinoise a neutralisé ceux qu’on appelle en Allemagne aussi les « casseurs », en plein milieu d’un rassemblement pacifique et festif, et sans provoquer de remous. Le même weekend, d’autres interventions policières usaient de la force soit contre des anarchistes et autonomes, soit contre des néonazis, soit contre les deux à la fois, à Stuttgart (500 interpellations !), à Bochum, à Zwickau et ailleurs. La violence et la détermination des protestataires n’étaient pas moindres sur ces lieux qu’à Paris ou à Rennes. La police a employé la force. Force est restée à la loi, donc, mais surtout , force est restée dans la loi. En Allemagne, la doctrine du maintien de l’ordre est celle de la « dés-escalade » (Deeskalation). Elle vise la recherche de la minimisation des violences collatérales, inutiles ou dangereuses, et le dialogue permanent avec la foule. On en retrouve des déclinaisons dans maints pays d’Europe : les officiers de dialogue et les Special Police Tactics (SPT) en Suède, la event police au Danemark, les peace units aux Pays-Bas, les liaison officers en Angleterre, ou encore le modèle dit des « trois D » (dialoguer, désamorcer, défendre) en Suisse romande. Ces nouveaux modèles européens déclinent quatre grands principes : une conception des logiques de la foule différente de la psychologie des foules toujours au cœur de la conception enseignée aux policiers français ; la facilitation et l’accompagnement des manifestations ; le développement de la communication à tous les stades d’une opération de maintien de l’ordre et enfin la différenciation et le ciblage des interventions de rétablissement de l’ordre. EXPLIQUER, ÉCLAIRER La psychologie des foules en circulation est nourrie de démarches d’observation expérimentale et participative. Elle établit que les individus dans la foule conservent leur faculté de penser de manière autonome tant qu’ils ne perçoivent pas de groupe adverse ou hostile. Dans ce cas alors, ils font foule et se laissent aller à des comportements collectifs éventuellement violents et incontrôlés. Tout l’enjeu est alors pour les policiers de faire en sorte de maintenir le dialogue et la communication tout au long de la manifestation et de l’événement, et avec le plus de groupes possible. Pas seulement avec les organisations qui ont déclaré la manifestation, mais avec les composantes des cortèges. Expliquer, éclairer, apparaître aux côtés des manifestants. L’emploi de la force, lorsqu’il survient, poursuit alors une double finalité : neutraliser certains individus, faire la démonstration au plus grand nombre que la violence n’est pas tournée vers la foule, mais seulement concentrée sur les personnes qui la menacent. Les policiers déploient alors deux équipes : ceux EN ALLEMAGNE, LA DOCTRINE EST CELLE DE LA « DÉS-ESCALADE » : MINIMISATION DES VIOLENCES ET DIALOGUE PERMANENT AVEC LA FOULE qui interpellent et, dans le même temps, ceux qui expliquent les interpellations en cours. Cette complémentarité de la force et de la parole s’illustre ainsi : des policiers lourdement équipés interpellent un individu au sol, ou arrachent une banderole qu’ils estiment litigieuse, ou éloignent un groupe hostile, et, simultanément, au plus près de l’action, des policiers équipés de gilets fluo, par exemple marqués « Anti-Konflikt-Team », dialoguent. L’exercice n’est parfois pas aisé, mais il est efficace. Parfois même, les policiers emploient des hautparleurs puissants pour expliquer ce qu’il en est. COLÈRE, HOSTILITÉ ET ANGOISSE Ces changements profonds des doctrines de maintien de l’ordre n’ont pas échappé aux polices françaises. Le rapport de la commission de l’Assemblée nationale formée après les événements de Sivens en mentionne certains éléments, qui sont publics. Mais ils semblent ne pas pénétrer les polices françaises. Tout se passe en effet comme si ces dernières n’en adoptaient qu’un volet – le raffinement des techniques d’intervention – sans considérer le volet complémentaire indispensable – la communication. On l’a vu avec l’exemple du tronçonnement de la manifestation parisienne : cette technique employée en Allemagne ou en Angleterre, qui consiste à sectionner un cortège pour en exfiltrer les éléments perturbateurs, a suscité chez les manifestants au mieux l’incompréhension, au pire la colère, l’hostilité et l’angoisse. De même, nos polices savent interpeller au compte-gouttes. La gendarmerie a développé les ULI (unités légères d’intervention) dans les années 1990 ; à leur suite, les CRS ont aux mêmes fins développé les binômes – section protection et intervention et section d’appui et de manœuvre. Mais sans refondation générale de la philosophie du maintien de l’ordre. Ces techniques semblent poursuivre des objectifs d’affichage politique quant au plus grand nombre possible de déferrements devant les tribunaux. La police en maintien de l’ordre est tournée vers la satisfaction des objectifs politiques, alors qu’elle tend d’abord, ailleurs en Europe, à la pacification des cortèges. On comprend donc à cette aune que la réforme d’un maintien de l’ordre est moins d’ordre technique que d’ordre politique : c’est toute une conception du rapport entre la police, les manifestants et le politique que les expériences européennes actuelles amènent à repenser. p ¶ Olivier Fillieule est professeur de science politique à l’université de Lausanne Fabien Jobard est chercheur au CNRS (Centre Marc-Bloch à Berlin) débats & analyses | 23 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 Les transgenres face à l’élection présidentielle de 2017 Traité transatlantique : « Tu veux ou tu veux pas ? » Pour la première fois en France, une enquête scientifique a offert la possibilité de répondre « autre » à la question concernant le sexe afin d’étudier les choix politiques ParJANINE MOSSUZ-LAVAU et RÉJANE SÉNAC C ent soixante-six. C’est le nombre de personnes qui, dans le panel « Election présidentielle 2017 » du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), ne se définissent ni comme « femme » ni comme « homme », mais comme « autre » Pour la première fois en France, une enquête scientifique a offert la possibilité de répondre « autre » à la question concernant le sexe et d’étudier les francs-tireurs qui ne se retrouvent pas dans la catégorisation binaire, seule autorisée par le droit. Sur les 20 319 individus interrogés, 166 se montrent réfractaires au port de l’étiquette « femme » ou « homme », soit 0,82 % de l’échantillon, ou encore, si l’on extrapole à l’ensemble de la population, environ 600 000 qui refusent les cases officielles. Des « autres » dont les instances internationales, suivies en cela par plusieurs contrées, prônent la reconnaissance. L’identité de genre a été défendue en 2007 par un collège d’experts de l’ONU, pour qui elle se réfère « à l’expérience intime et personnelle de son genre profondément vécue par chacun, qu’elle corresponde ou non au sexe assigné à la naissance ». Des pays admettent une troisième identité : l’Inde avec les hijras, l’Australie, la Malaisie, la Nouvelle-Zélande, l’Afrique du Sud ou le Népal. D’autres permettent de choisir son sexe administratif : l’Argentine depuis 2012, la Colombie, l’Allemagne (2013), le Danemark (2014), le Québec (2015). En France, nous n’en sommes pas là. En mars, la cour d’appel d’Orléans a renvoyé à l’inscription « sexe masculin » une personne intersexuée qui avait obtenu en 2015 de pouvoir apposer la mention « sexe : neutre » sur ses papiers. Pourtant, en réponse à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme et aux recommandations de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, une proposition de loi, enregistrée en septembre 2015 à l’Assemblée nationale, vise à faciliter la modification de la mention du sexe à l’état civil (notamment en la démédicalisant). Sans suite pour l’instant. « NI HOMME NI FEMME » Mais ces « autres » existent et savent pourquoi ils se positionnent ainsi. Ils l’explicitent en répondant à une question ouverte de notre enquête, à partir de laquelle sont construits les groupes présentés ici par taille décroissante. Le premier réunit ceux qui se sentent à la fois homme et femme, « mi-homme, mi-femme », « un peu des deux », qui ont « une part féminine et une part masculine ». Le deuxième revendique son appartenance au genre humain. Une priorité quand on se voit comme « des personnes à part entière », des détenteurs de droits « qui n’ont pas de sexe ». On rencontre, dans un troisième groupe, ceux qui répondent « ni homme ni femme », « ni l’un ni l’autre », « ni féminine ni masculine », exprimant un refus plus marqué des stéréotypes accompagnant les identités proposées. Le quatrième groupe associe le sentiment de marginalisation sociale à celui de la perte, y compris de l’identité sexuée. Ne travaillant pas, âgés, handicapés, ceux qui en font par- LES « AUTRES » NE SONT PAS DE JEUNES UNIVERSITAIRES CONTAMINÉS PAR LA REDOUTÉE « THÉORIE DU GENRE » tie s’estiment illégitimes, au point de s’exclure des catégories traditionnelles. Le cinquième groupe se veut celui du « flou », de ceux qui se disent « androgyne », « atypique » ou « transgenre, intergenre ». Un sixième groupe rassemble les personnes qui s’accolent des noms d’animaux comme « chien malade », « alligator », « animal de laboratoire » ou du joli « demivampire, demi-sorcière, avec un zeste d’extraterrestre ». Ce ne sont pas des pirouettes mais une vraie résistance devant l’assignation binaire. Dans un dernier groupe, c’est au nom d’une orientation sexuelle (« homosexuel », « lesbienne », « lesbos hétéro ») qu’on rejette l’appellation contrôlée. Les « autres » se distinguent aussi par leur profil sociodémographique, sexuel et politique. Ils comptent plus de seniors et moins de diplômés du supérieur. Ce ne sont donc pas de jeunes universitaires contaminés par la redoutée « théorie du genre », séduits par ce que ses contempteurs appellent une mode et brocardent comme un conformisme. Leurs choix semblent plutôt liés à leur sexualité. En effet, 12 % se désignent comme bisexuels, contre 1 % seulement des femmes et 2 % des hommes ; 7,5 % se déclarent asexuels (1 % des femmes, 0,5 % des hommes). Des troupes perçues comme marginales, des sujets encore tabous. Ils se situent volontiers « très à gauche » : 10 % contre 3 % chez les femmes et 4 % chez les hommes ; 7 % sont proches du Nouveau Parti anticapitaliste (1 % des femmes, 2 % des hommes) ; 10 % sont dans la mouvance d’Europe Ecologie-Les Verts (5 % des femmes, 4 % des hommes). Ils prévoient un vote en faveur de Philippe Poutou : en suffrages exprimés et dans l’hypothèse d’une candidature, 5,5 % d’entre eux (2 % des femmes comme des hommes) l’épauleraient en 2017. Ces résultats plaident pour une prise en compte d’une troisième catégorie dans le droit et dans les enquêtes scientifiques. Quand elles y sont obligées, les personnes acceptent de figurer sur les affiches classiques. Mais dès qu’on leur en offre la possibilité, certaines s’évadent. Les convictions intimes ressurgissent, révélant sous le vernis des conventions des aspirations inattendues. Pour les sciences biologiques et médicales, la détermination du sexe est une « affaire compliquée », de l’ordre du continuum plus que de la binarité. Respecter cette réalité exige un effort intellectuel et l’acceptation d’un inconfort, nécessaires pour sortir de l’idéologie. In fine, ne peut-on imaginer un avenir sans la mention du sexe dans l’état civil ? p ¶ Janine Mossuz-Lavau et Réjane Sénac sont chercheuses au CNRS et au Cevipof (Sciences Po-CNRS). Analyse cécile ducourtieux bruxelles - bureau européen L’ occasion était, semble-t-il, trop belle. Mardi 3 mai, à peine vingt-quatre heures après la publication par Greenpeace de documents confidentiels donnant une photographie plus précise de l’état des discussions entre Européens et Américains, François Hollande a dit « non, à ce stade » au Tafta, le désormais fameux traité de libre-échange que l’Union européenne tente de négocier avec les Etats-Unis. Mi-avril, il avait déjà abordé ce sujet sur lequel, ces dernières années, contrairement à la chancelière allemande, Angela Merkel, il était resté très discret. Mais jamais encore le président français n’avait été aussi clair. Très maladroitement défendu, au début, par la Commission européenne (elle négocie au nom des vingt-huit pays membres), qui ne mettait en avant que d’hypothétiques bénéfices économiques, le Tafta n’en finit plus de susciter les critiques. Opacité des négociations, menaces sur la protection des consommateurs, sur l’agriculture et sur l’environnement en Europe… L’extrême gauche européenne, une partie de l’extrême droite et nombre de mouvements citoyens dénoncent un traité supposé porter en germe le pire de la mondialisation : le nivellement des normes par le bas, les destructions d’emplois, les fermetures d’usines. Pour le président, s’opposer au Tafta, est un petit coup politique. Cela fait très Nuit debout : à court terme, cela ne peut qu’aider dans le cadre de l’actuelle opération de reconquête politique engagée par M. Hollande. Mais est-ce habile, si on se place dans une perspective de long terme, qui devrait être celle de tous nos politiques ? Car, de deux choses l’une : soit le gouvernement français estime qu’un traité de libre-échange avec les Etats-Unis n’est pas une bonne chose, et il aurait dû le dire avant, au moins le 13 juin 2013, lorsqu’il a officiellement accepté, lors d’un conseil des ministres des affaires étrangères, avec les vingt-sept autres gouvernements de l’Union, d’entrer en discussion avec Washington. Soit, au contraire, Paris pense qu’un accord visant à fluidifier et à intensifier les relations commerciales entre les deux grands pôles de l’Occident est une bonne chose. Qu’il ouvrira des perspectives pour l’agriculture, les industries et les services européens, sur un marché américain encore très fermé. Bref, qu’il permettra d’éviter que le centre de gravité commercial de la planète ne se déplace complètement dans la zone pacifique. Et il se bat en conséquence pour obtenir un accord équilibré. La France a prouvé qu’elle pouvait, efficacement, monter au créneau, quand ses intérêts étaient en jeu. Paris s’est en effet battu bec et ongles à Bruxelles, en 2013, pour que le secteur audiovisuel soit exclu du champ de la négociation du Tafta, au nom de l’exception culturelle. Le secrétaire d’Etat au com- merce, Matthias Fekl, s’est aussi démené pour améliorer le dispositif d’arbitrage des conflits entre Etats et multinationales. Avec succès : Bruxelles a fini par proposer un mécanisme plus transparent aux Américains. Rompre la négociation est évidemment une option toujours sur la table quand les parties se trouvent dans une impasse ou que l’une des deux campe sur des positions inacceptables. Mais les documents divulgués par Greenpeace ne font pas état d’une telle situation de « crise ». Leur grand intérêt est de faire apparaître, pour la première fois, la position américaine, sur plusieurs points essentiels de la discussion. Sur la coopération réglementaire, les Américains insistent clairement pour imposer leur modèle. Greenpeace redoute même qu’ils essayent de contourner le principe de précaution européen, pour mieux imposer leurs industriels, fabricants d’OGM et de pesticides. Washington demande aussi que sa manière de réglementer, en impliquant les lobbys très en amont du processus, soit adoptée par l’Union. En revanche, les Etats-Unis restent sur la défensive, notamment sur l’ouverture plus grande de leurs marchés publics aux entreprises du Vieux Continent, et continuent à refuser de reconnaître les indications géographiques européennes. En face, les Européens ne donnent absolument pas l’impression de céder sur leurs intérêts « offensifs », notamment les marchés publics et les appellations d’origine. Mais tous les proches des discussions le disent : les négociations sont en cours, les parties sont loin d’avoir posé toutes leurs cartes sur la table. C’est pour ça que, pour l’instant, elles n’en sont pas encore arrivées au stade des concessions. On n’en est pas encore au end game, comme disent les négociateurs, cette « fin de partie » où il sera alors vraiment temps de juger si le compromis est acceptable, s’il faut conclure ou retirer ses billes. LA TENTATION D’UN ACCORD « BÂCLÉ » Du coup, pendant cette négociation au long cours, la meilleure stratégie reste la fermeté, la vigilance. Pour éviter que Washington impose sa manière de légiférer, pour obtenir des concessions sur les « intérêts offensifs » européens. Il faut aussi se garder de la tentation d’un accord « bâclé », tentation assez sensible à Berlin, où Angela Merkel a répété, ces derniers jours, qu’elle voulait faire « tout son possible » pour boucler un accord Tafta dans l’année, avant la fin du mandat Obama. Le très opportuniste coup de gueule français, audelà de son manque de cohérence, ne va pas aider à renforcer la position commune européenne. De quoi auront l’air les négociateurs bruxellois, la prochaine fois qu’ils se retrouveront autour de la table avec les Américains ? Ces derniers, pas réputés pour être des tendres, et ulcérés qu’une ONG ait rendu publiques leurs positions, demanderont peut-être, avec une pointe d’agacement dans la voix : « On veut bien continuer à discuter, mais vous ? Il faudrait peut-être que vous arriviez à vous mettre d’accord entre vous, non ? » Et ils n’auraient pas tort. p LE TRÈS OPPORTUNISTE COUP DE GUEULE FRANÇAIS, AU-DELÀ DE SON MANQUE DE COHÉRENCE, NE VA PAS AIDER À RENFORCER LA POSITION COMMUNE EUROPÉENNE Les migrants ou la faillite des politiques H onte à ceux qui ne voient que guenilles. Regardez bien. Ils portent la lumière de ceux qui luttent pour leur vie. » Dans un poème sur ces hommes et ces femmes que l’Europe tente de repousser, alors qu’ils appellent au secours, l’écrivain Laurent Gaudé rhabille le réfugié, ajustant son projecteur sur son habit de lumière. Trop éblouissant sans doute pour que la classe politique puisse le regarder en face. L’opuscule collectif sur les migrants se referme sur ces vers écrits par le lauréat du prix Goncourt 2004. Laurent Gaudé, qui a écrit un roman sur Lampedusa, a fait le déplacement de Calais, vu cette « honte française » qui lui a inspiré un autre texte fort. Déjà paru dans Le 1, ce « ressenti » de sa visite dans le plus grand bidonville de France est devenu un classique. C’est à ce titre qu’il est repris en ouverture de cet opuscule collectif de 96 pages, où se répondent des universitaires, des écrivains et des journalistes. Pourquoi les migrants ? ne se limite pas à un état des lieux. Ce petit livre met en perspective le sujet qui s’est imposé à l’Europe comme un de ses « problèmes » majeurs. Les auteurs sélectionnés par Eric Fottorino, directeur du 1, et son équipe rappellent que les pays ne devraient même pas se poser la question de l’accueil ou du refoulement, juste assurer leur devoir ; car, comme le précise le démographe François Héran, « on ne divise pas par deux un droit ». « L’infusion durable » Pour que les choses soient claires, chercheurs et journalistes rappellent ce qu’est ce droit d’asile né en 1951, qui a eu du mal à trouver à s’harmoniser en Europe. Pédagogique, le livre redonne aussi des repères chronologiques et sémantiques à l’heure où l’amalgame facile entre « réfugié » et « migrant » apporte de l’eau au moulin des bâtisseurs de murs. Derrière ces travaux de chercheurs, résumés sans être caricaturés, perce à chaque page la faillite du politique. Un des rares à avoir pris la plume sur le sujet est Jean-Paul Delevoye. En observateur, il pose la question la plus cruciale du moment : « Est-ce que les politiques guident les peuples ou est-ce qu’ils les suivent ? » La réponse est dans la question et plusieurs contributions racontent comment ceux qui dirigent l’Hexagone se sont inventé une nouvelle histoire de France, celle d’une terre d’accueil. Pourtant, « la France n’est pas un grand pays d’asile !, rappelle François Héran. Eric Besson, ministre de l’immigration, répétait à satiété que nous étions les plus généreux. C’était totalement erroné… La France est très loin de l’image que les politiques veulent donner d’elle. » Ce qui était vrai durant le quinquennat Sarkozy n’a pas été démenti depuis 2012, même si le taux d’admission à l’asile a augmenté. Et d’ajouter : « Notre modèle n’est pas celui de l’invasion massive, mais celui de l’infusion durable… Une approche trop souvent oubliée dans un pays où un quart de la population est immigrée ou descendant d’immigré. » Une vérité à laquelle ramènent les pages concises d’un petit livre qui résume bien les enjeux de la crise migratoire de ce début du XXIe siècle. p maryline baumard POURQUOI LES MIGRANTS ? COMPRENDRE LES FLUX DE POPULATION Editions Le 1/Philippe Rey, 96 pages, 7,90 euros 24 | 0123 0123 DIMANCHE 8 - LUNDI 9 MAI 2016 L’AIR DU MONDE | CHRONIQUE par sylvie kauffmann L’EUROPE CÉLESTE veau par la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem. Ils étaient venus pour décerner au pape une récompense, certes, méritée, mais qui reflète en creux la situation tragique dans laquelle les dirigeants européens se sont enfermés : l’incapacité à résoudre les crises qui menacent le Vieux Continent – migrants, chômage, exclusion —, voire le renoncement. Faute de parvenir à agir, ils donnent par ce voyage à Rome l’impression de s’en remettre au spirituel. Le pape, lui, qui est revenu de son voyage à Lesbos, en Grèce, avec quelques demandeurs d’asile syriens, ne se réfugie pas dans l’Europe céleste. Il a vigoureusement rappelé l’Europe à sa promesse : « Que t’est-il arrivé, Europe humaniste, paladin des droits de l’homme, de la démocratie et de la liberté ? » Sermon sévère pour une Europe qui, avec ce prix Charlemagne habituellement décerné à Aix-la-Chapelle, cherche régulièrement à renouer avec les racines carolingiennes et catholiques des pères fondateurs Robert Schuman, Konrad Adenauer et Alcide de Gasperi. Mais, en cette année 2016, le catholicisme n’est pas toujours très chrétien, ni européen : le pape jésuite en est conscient, il a dénoncé, sans les nommer, le repli identitaire, qui frappe notamment la Hongrie, la Pologne, la Slovaquie et l’Autriche, pays de contre-réforme, qui refusent d’accueillir Ouragan sur le Golfe A u royaume de « MBS », l’homme fort de l’Arabie saoudite, plus formellement connu sous le nom de vice-prince héritier Mohammed Ben Salman, on ne fait pas dans la demi-mesure. Lorsqu’on exécute, c’est par dizaines. Et quand on licencie, c’est par dizaines de milliers. Lorsqu’il a présenté, le 25 avril, sa « vision pour 2030 », programme ultra-ambitieux de transformation de l’économie du pays, le jeune prince ignorait-il que la grande entreprise saoudienne de BTP Saudi Ben Laden lui ravirait la vedette quelques jours plus tard, en annonçant la suppression de 77 000 emplois ? Il y a pourtant un point commun à ces deux événements : tous deux témoignent de la force de la tempête qui souffle sur les monarchies pétrolières du Golfe depuis que la chute des cours du pétrole est devenue une réalité durable et structurante. Ou, plus exactement, déstructurante. S’il n’y avait que l’effondrement des prix du pétrole ! C’est bien à une multiplicité de crises et de retournements que sont confrontés aujourd’hui ces pays du désert, si confortablement assis sur leurs réserves d’or noir que certains avaient cru que cela durerait toujours. Pas tous : plus clairvoyants, les Emirats arabes unis et le Qatar ont cherché à diversifier leurs revenus depuis plusieurs années. A Abou Dhabi, le mot-clé « vision », dont l’Arabie saoudite vient seulement de s’emparer, fait tant partie du vocabulaire officiel qu’il a déjà un côté éculé. La « vision » de l’émir a permis de sabrer sans états d’âme dans les dépenses publiques et de ramener en dix ans la part du pétrole dans le PIB d’Abou Dhabi de plus de 50 % à 30 %. En Arabie saoudite, l’or noir fournit 90 % des caisses de l’Etat. On comprend pourquoi MBS veut décrocher son pays de « l’addiction au pétrole ». Une tâche titanesque. « Multiples convulsions » D’autant plus titanesque que l’horizon est singulièrement sombre. Tant de vents contraires traversent la région que, à cette intensité-là, ce n’est plus une tempête, c’est un ouragan. Les dirigeants des pays du Golfe qui veulent faire bonne figure en présentant la chute du prix du baril comme une occasion de faire enfin des réformes doivent aussi se rendre à l’évidence : la baisse a, en parallèle, provoqué une chute spectaculaire des investissements de l’industrie pétrolière. De 700 milliards de dollars (613 milliards d’euros) en 2014, ces investissements passeront à 400 milliards cette année. L’impact de l’absence de projets, avertissent les experts, se fera sentir d’ici trois ou quatre ans, avec un inévitable déclin de la production. A cette incertitude s’ajoute – et c’est ce qui inquiète le plus les monarques du Golfe – une grave instabilité régionale. Le retour de l’Iran, fort de l’accord sur le nucléaire et de la levée des sanctions, déstabilise profondément Riyad. « Cet accord a tout changé, reconnaît un spécialiste occidental. Pendant trente ans, les Saoudiens dominaient la région. A présent les Iraniens sont rentrés dans le jeu : c’est un élément fondamental, source de multiples convulsions. » L’OPEP, le cartel qui, au siècle dernier, assurait la domination du L’INDISPENSABLE CHANGEMENT DE MODÈLE ÉCONOMIQUE NE SE FERA PAS SANS HEURTS CHUTE DU PRIX DU BARIL, COUPES BUDGÉTAIRES, RETOUR DE L’IRAN, GUERRES EN SYRIE ET AU YÉMEN : LA SITUATION EST EXPLOSIVE POUR LES MONARCHIES PÉTROLIÈRES marché du pétrole à quelques pays producteurs, est aujourd’hui une organisation chaotique et affaiblie, théâtre de ces convulsions : sa dernière réunion, à Doha en avril, s’est terminée par un échec, lorsque l’Iran a refusé de suivre la proposition de l’Arabie saoudite. L’intransigeance de Riyad a irrité les émirs, qui souhaitent ardemment un Iran stable, si près d’eux. Ce n’est pas du contexte géopolitique que viendra le salut. Le Moyen-Orient est en feu, la guerre en Syrie concentre un nombre record de puissances belligérantes, et l’Arabie saoudite a entraîné une dizaine de pays arabes sunnites, dont plusieurs du Golfe, dans une autre guerre, au Yémen, qui leur coûte cher. Non contents d’avoir bouleversé le marché des hydrocarbures avec le schiste, les Américains donnent des signes de désengagement de la région, source supplémentaire d’affolement ; les commentaires très durs de Barack Obama sur ses « alliés » du Golfe, trop heureux de profiter de la protection militaire américaine mais incapables de mettre la main au portefeuille pour y participer, ont fait frémir plus d’une moustache dans les palais dorés. C’est évidemment pour l’Arabie saoudite que le défi posé par ce monde nouveau est le plus redoutable, et sa capacité à le relever est le point d’interrogation majeur de la région. Avec 30 millions d’habitants, la suppression des subventions à l’essence, à l’eau, à l’électricité, voire l’introduction de la TVA – la notion d’impôt sur le revenu reste pour l’instant un anathème dans la région –, peuvent avoir des conséquences autrement explosives que pour le petit Qatar qui compte 2,5 millions d’habitants, dont 300 000 Qataris. Il n’a pas échappé aux sujets de MBS que le groupe Ben Laden ne licencie pas seulement Indiens et Philippins, mais aussi 15 000 Saoudiens. L’indispensable changement de modèle économique ne se fera pas sans heurts ni sans évolution sociale, religieuse et politique. Au Qatar, dans les Emirats et en Arabie saoudite, on assiste à une relève générationnelle au sommet : l’émir du Qatar a 35 ans, MBS en a 30. C’est le bon moment. Dans notre Occident qui aime les choses simples, on évoque une convergence « MBS-MBZ », sorte d’alignement idéal dans lequel le jeune, fougueux et médiatique Mohammed Ben Salman rejoindrait la ligne réformatrice longuement mûrie de Mohammed Ben Zayed, le prince héritier de l’émirat d’Abou Dhabi. Mais pas un des meilleurs experts de la région ne s’aventurerait à parier sur les chances de succès de la « vision » MBS. « On est au tout début du “printemps arabe”, quasiment les premières semaines, commente un homme d’affaires arabe installé dans le Golfe. Il s’agit d’un changement profond, une véritable remise en cause de l’ordre colonialiste. Daech, les rapports entre la religion et l’Etat, tout ça, ce sont des phénomènes passagers. » p F aute de parvenir à construire l’Europe terrestre, ou au minimum à la sauver, les responsables politiques européens semblent s’en être remis à l’Europe céleste. En procession, les dirigeants de l’Union européenne se sont rendus à Rome, au Vatican, ce vendredi 6 mai, pour remettre le prix Charlemagne au pape François. Ils étaient tous là, ou presque : la chancelière allemande Angela Merkel, les présidents de toutes les institutions communautaires (le Polonais Donald Tusk, le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, l’Allemand Martin Schulz, l’Italien Mario Draghi), le premier ministre italien, Matteo Renzi, le roi d’Espagne. La République française était représentée à un moindre ni- 10 GRANDS DESTINS DU XXe SIÈCLE RACONTÉS PAR 0123 1 044 pages - 39,90 € En vente en librairie ✁ BON DE COMMANDE JE COMMANDE Livre «Ils ont changé le monde» MQVLICHGEMONDE QUANT. 161WMQCHGEMONDE PRIX UNIT. TOTAL 39,90 € ................... € Participation aux frais d’envoi Total de la commande 4,99 € .................... € Pour commander ce coffret, remplissez ce bon de commande et renvoyez-le à : LE MONDE - SERVICE ABONNEMENTS - A 1100 62066 ARRAS CEDEX 9. Vous pouvez également commander sur notre boutique en ligne : www.lemonde.fr/boutique ou par téléphone 0,30 € / min . Délai de livraison : maximum 4 semaines à compter au 3289 de l’enregistrement de la commande. Tirage du Monde daté samedi 7 mai : 275 160 exemplaires Nom : ................................................................................. Prénom : ............................................... Adresse : ............................................................................................................................................. Code postal : mmmmm Localité : ....................................................................................... Tél. : mm mm mm mm mm E-mail : ................................................................................................................................................. Je paie : ❏ par chèque bancaire ou postal à l’ordre de la Société éditrice du Monde ❏ par carte bancaire n° mmmm Expire fin mm mm Notez les 3 derniers chiffres du numéro inscrit au dos de votre carte, mmmm mmmm mmmm Date et signature près de la signature mmm Offre valable en France métropolitaine dans la limite des stocks disponibles jusqu’au 31 décembre 2016. Envoi en colliéco. Vos nom, prénom et adresse seront communiqués à nos services internes et, le cas échéant, dans l’avenir, à quelques publications partenaires, sauf avis contraire de votre part, en cochant la case ci-contre ❏ [email protected] l’Autre, surtout s’il est musulman. « Les réductionnismes et toutes les tentatives d’uniformisation, loin de générer des valeurs, condamnent nos peuples à une cruelle pauvreté : celle de l’exclusion », a accusé François. Surtout, en demandant à l’Europe d’être « capable de donner naissance à un nouvel humanisme », le pape a invité ses hôtes à passer à l’action. Et à retrouver l’esprit et le pragmatisme de la déclaration Schuman, qui lança le 9 mai 1950 l’aventure européenne. « Dans notre monde divisé et blessé, il faut retourner à cette solidarité de fait, à la même générosité concrète qui a suivi le deuxième conflit mondial. » Les dirigeants politiques sont fermement invités à agir, même si, par définition, leurs actions sont un compromis complexe entre éthique de conviction et éthique de responsabilité. Lorsque l’Union européenne avait reçu, en 2012, le prix Nobel de la paix, François Hollande avait fait la moue, expliquant qu’ils allaient recueillir un prix mérité par les pères de l’Europe d’hier. « Mais nous devons nous aussi être des héros », avait rétorqué Angela Merkel. Cette année, la chancelière a eu cette étoffe dans sa gestion des réfugiés. Le prix Charlemagne aurait dû lui être remis – une seconde fois après celui de 2008 – plutôt qu’au pape. Le chemin montré aux Européens eût été plus éclairant, fût-il semé d’embûches. François et le ciel peuvent attendre. p