sexualité chez l`enfant et abus
Transcription
sexualité chez l`enfant et abus
SEXUALITÉ CHEZ L’ENFANT ET ABUS Jean Labbé, MD, FRCPC Professeur titulaire Département de pédiatrie Université Laval On a tendance à considérer les jeunes enfants comme innocents, purs, sans désir ni intérêt sexuel. Des comportements sexuels chez des enfants d’âge scolaire avant l’adolescence peuvent donc inquiéter leurs parents et les amener à vous consulter. Vous aurez alors besoin de réponses aux questions suivantes? Qu’est-ce qui peut être considéré comme « normal »? Quels sont les comportements sexuels anormaux et quelles sont leurs causes? Quelle conduite le médecin doit-il adopter dans une telle situation? Quels conseils peut-il donner aux parents? C’est là l’objet de l’actuelle présentation. 1. Qu’est-ce qui peut être considéré comme normal? 1.1 Développement psychosexuel normal C’est suite à des expériences familiales, sociétales et culturelles que l’enfant développe ses connaissances au sujet de la sexualité, internalise des valeurs sexuelles qui le conduiront à adopter un rôle sexuel. 0-23 mois L’exploration du monde se fait d’abord par la bouche, puis ensuite par le toucher. Le jeune enfant explore son corps avec curiosité, y compris ses organes génitaux. La plupart des enfants découvrent le plaisir de l’autostimulation génitale. Des érections ou des excitations vaginales peuvent survenir spontanément ou lors de touchers. 2 à 5 ans Il s’agit de la période la plus active sur le plan sexuel avant l’adolescence, se manifestant notamment par de l’autostimulation, de l’exhibitionnisme et du voyeurisme. Les jeux sexuels d’exploration (attouchements) sont fréquents avec la famille et les amis, mais pas avec les inconnus. L’usage de mots vulgaires n’est pas rare, tout comme un comportement séducteur. 6 à 8 ans Cette période est notable par une baisse de l’activité sexuelle et un plus grand besoin d’intimité. L’enfant recherche davantage la compagnie de compagnons du même sexe. Il peut comparer son corps à celui des autres. On constate chez lui une alternance entre des attitudes d’inhibition et de désinhibition. L’intérêt envers la sexualité est balancé par la curiosité envers les autres aspects de la vie. 9 à 12 ans Les changements pubertaires débutent chez la majorité des enfants au cours de cette période. Avec la puberté, la fréquence de la masturbation augmente et son but devient le plaisir et l’orgasme. Les jeunes peuvent rechercher des contenus sexuels dans les médias. L’attrait vers le sexe opposé peut faire en sorte que le jeune ait un(e) petit(e) ami(e). Toutefois, les échanges amoureux à cet âge ne dépassent pas habituellement les baisers et les caresses. 1.2 Comportements sexuels « normaux » chez les enfants prépubères Pour considérer un comportement sexuel comme « normal », il faut l’évaluer en fonction de plusieurs critères, dont l’âge de l’enfant, son niveau de développement, la fréquence de ce comportement chez les pairs, et l’absence de conséquences négatives à court comme à long terme. Le dévoilement de ce comportement peut entraîner chez l’enfant un certain embarras, mais non pas de la colère, de la honte, de la crainte, de la culpabilité ni de l’anxiété. Il peut s’agir d’un comportement pratiqué en solo ou d’actes partagés avec d’autres enfants. Dans ce dernier cas, on considère « normal » les jeux sexuels exploratoires, limités en types (observations, attouchements) et en fréquence (sur une courte période de temps), entre enfants du même âge ou de développement similaire, et avec consentement réciproque. Ces comportements vont diminuer suite à une supervision parentale accrue. Toutes les études sur le sujet indiquent que les comportements sexuels sont fréquents avant la puberté. Selon Kinsey, 57% des hommes et 48% des femmes auraient souvenir de jeux sexuels avant l’adolescence (1). Ryan a rapporté chez un groupe de professionnels travaillant en protection de l’enfance un taux de 56.1% ayant eu des activités sexuelles avec d’autres enfants avant l’âge de 12 ans (2). Haugaard et Tilly ont questionné 1089 collégiens et collégiennes sur le même sujet et ont obtenu un taux de 42% (3) Une étude par questionnaire de 128 collégiennes a rapporté un taux de jeux sexuels chez 85% d’entre elles durant l’enfance (4). De son côté, Johnson a obtenu les informations suivantes de 339 professionnels en santé mentale et en service social sur leurs propres expériences avant l’âge de 13 ans (4) : 2 - 73% avaient eu un jeu sexuel avec d’autres enfants - 34% avaient montré leurs organes sexuels à un autre enfant - 16% avaient simulé un coït avec un autre enfant - 5% avaient inséré un objet dans le vagin ou le rectum d’un autre enfant Finkehor s’est intéressé aux expériences sexuelles à l’intérieur d’une même fratrie. Avec une étude par questionnaire auprès de 796 collégiens, 15% des garçons et 10% des filles avaient eu une telle expérience avec un frère ou une sœur (5). J’ai mis à l’annexe 1 un résumé des comportements sexuels fréquents et inhabituels. La référence la plus citée pour les comportements sexuels des enfants prépubères est celle de Friedrich et al, dont les résultats apparaissent à l’annexe 2 (6). Les auteurs ont recueilli leurs données chez 880 enfants entre l’âge de 2 et 12 ans, sans histoire d’abus sexuel. Toutefois, ces données datent de près de 20 ans. On ignore si elles seraient modifiées aujourd’hui dans le contexte où les enfants sont davantage exposés à des messages sexuels implicites et explicites via les médias, la publicité, la mode, etc. 2. Quels sont les comportements anormaux? On considère comme « problématique » ou « inadapté » un comportement qui présente l’une ou l’autre des caractéristiques suivantes : Enfant seul - L’enfant se masturbe de façon excessive ou compulsive ou en public, après avoir été averti de demeurer dans l’intimité - Avec des objets (poupée, toutou), l’enfant se livre à des gestes sexuels qui traduisent une connaissance sexuelle trop avancée pour son âge - L’enfant a des comportements démontrant une préoccupation excessive avec la sexualité - Les comportements développement sexuels de l’enfant interfèrent avec son Avec partenaire(s) - Le comportement ne s’inscrit pas dans une relation de jeu ou d’exploration par curiosité 3 - Les enfants sont d’âge ou de développement différent - Les enfants ont un statut différent (enfant gardien et enfant gardé) - Le partenaire est un enfant inconnu - Les comportements sexuels prennent la place d’autres comportements usuels dans la vie de l’enfant - Les comportements sexuels sont fréquents et progressifs - Les connaissances sexuelles dépassent le stade de développement des enfants impliqués - Il s’agit de comportements sexuels adultes (génital-génital, oral-génital) - Les comportements sexuels sont dirigés vers des adultes - Il s’agit de contacts sexuels avec des animaux - Les comportements persistent après avertissement par des adultes de les cesser - Les enfants ne comprennent pas leurs droits et/ou ceux des autres - Les gestes sexuels s’accompagnent de violence, de menaces - Les comportements affectent négativement les pairs impliqués - Il y a association de sentiments de peur, de honte ou de culpabilité - Les comportements sont cause d’inconfort ou de douleur On comprend d’après cette description qu’il peut véritablement y avoir des « abus sexuels » entre enfants du même âge et du même niveau de développement. C’est le cas notamment lorsqu’il y a coercition exercée par un enfant envers un autre pour la pratique de comportements sexuels. Ces enfants qui abusent ne tiennent pas compte du refus de l’autre, ni de sa souffrance physique, ni de son inconfort émotionnel. Par ailleurs, selon au moins une étude, il peut y avoir des conséquences négatives de « jeux sexuels entre pairs », même en l’absence de coercition, comme de la nervosité, de la honte et un sentiment de culpabilité (7). Il semble donc que ce ne soient pas les gestes posés qui soient les plus importants, mais la façon dont ils sont perçus par les enfants. 4 3. Quelles sont les causes des comportements problématiques? Abus sexuel On a cru jadis que les comportements sexuels inadaptés chez des enfants prépubères indiquaient nécessairement qu’ils avaient été victimes d’abus sexuels. Des études récentes ont montré que c’est vrai seulement pour une partie des cas et d’autant plus si l’enfant est jeune. Dans une étude publiée par Johnson sur des enfants ayant des comportements sexuels abusifs, 72% de ceux de moins de 6 ans, 42% de ceux de 7 à 10 ans et 35% de ceux de 11 et 12 ans avaient été victimes d’abus sexuels (8). Exposition à du matériel sexualisé explicite Des enfants peuvent être portés à répéter des comportements qu’ils ont observés à la télévision, sur des vidéos pornographiques ou sur internet. Une étude québécoise citée par Poulin a montré que près de trois garçons sur quatre et une fille sur deux ont consommé de la pornographie avant l’âge de 14 ans (9). Vécu dans un milieu sexualisé Des parents qui se disent ouverts d’esprit n’hésitent pas à se montrer nus devant leur enfant, prennent leur bain ou leur douche avec lui, même après l’âge scolaire, ou négligent de s’isoler pour leurs relations sexuelles. L’enfant vivant dans un milieu où l’intimité et les frontières sont absentes ne peut comprendre que chaque personne ait besoin d’un espace privé. Maltraitance autre que l’abus sexuel Il y a aussi des enfants qui utilisent des comportements sexuels pour soulager un état de tension ou pour compenser un besoin d’attention et de contact physique. C’est ainsi qu’on en retrouve chez des enfants victimes d’abus physique, de mauvais traitements psychologiques ou de négligence. Retard de développement Des enfants retardés vont avoir des comportements qui ne correspondent pas à leur âge chronologique, mais à leur stade de développement. 4. Quelle conduite adopter? Lorsqu’un parent consulte pour des comportements sexuels chez son enfant qui l’inquiètent, c’est principalement l’histoire qui va se révéler utile pour départager 5 entre les comportements « normaux » et « anormaux ». Dans le premier cas, des explications vont suffire habituellement pour le rassurer. S’il s’agit de comportements inadaptés, une investigation plus poussée sera nécessaire pour tenter d’identifier la source du problème. 4.1 Questionnaire du parent Description des actes, fréquence, durée Description des circonstances, présence de coercition Âge des participants Réactions des enfants et du parent lors de la découverte Histoire du développement, du comportement, des relations sociales Histoire scolaire Composition du milieu familial Relations familiales, autorité et discipline Expression de l’affection et de la sexualité dans la famille Histoire médicale et psychiatrique de l’enfant et des parents Inquiétude parentale quant à la possibilité d’un abus sexuel Possibilité d’exposition de l’enfant à du matériel sexuel explicite 4.2 Questionnaire de l’enfant En présence d’un comportement sexuel inadapté, il faut garder en tête la possibilité que l’enfant ait été victime d’abus sexuel et en tenir compte dans son approche. L’objectif du questionnaire médical n’est toutefois pas de « prouver » l’abus sexuel ni d’identifier l’abuseur éventuel. Il vise à recueillir suffisamment d’éléments pour établir si le diagnostic est probable et si l’enfant a besoin de protection. L’entrevue doit se faire en privé, ou en plaçant le parent en retrait dans la pièce. Il est important de choisir un langage compréhensible pour l’enfant. On doit utiliser des questions ouvertes et encourager l’enfant à décrire les événements dans ses propres mots, sans lui mettre de pression. S’il refuse de parler, on ne doit pas insister. Les questions directives ou suggestives (à répondre par oui ou non) doivent être évitées. Il faut noter l’attitude de l’enfant au cours du questionnaire et son état émotionnel. Les verbalisations de l’enfant doivent être citées textuellement au dossier, tout comme les questions utilisées. Comme introduction, on peut demander à l’enfant s’il sait pourquoi il vient vous voir. S’il l’ignore, on peut l’aborder en disant : « Ton parent m’a raconté que tu avais fait certaines choses avec un tel, j’aimerais que tu m’en parles. Qu’est-ce qui est arrivé exactement? » Dans la recherche d’un éventuel abus sexuel, on peut utiliser des questions comme les suivantes : 6 « Y a-t-il quelqu’un qui t’a fait quelque chose qu’il n’aurait pas du faire? » « Est-ce que quelqu’un t’a fait quelque chose que tu ne voulais pas? » « Y a-t-il quelqu’un qui t’a touché d’une façon qu’il n’aurait pas du? » « Est-ce que quelqu’un t’a touché à un endroit que tu ne voulais pas? » 4.3 Examen ano-génital L’examen doit toujours se faire avec le consentement de l’enfant. Lorsqu’il refuse toute collaboration, il vaut mieux remettre l’examen à un autre moment pour mieux le préparer. La force ne doit jamais être utilisée pour procéder. L’examen anogénital s’inscrit dans le déroulement d’un examen physique complet. Les attitudes de l’enfant en cours de l’examen seront notées. Examen anal L’enfant est couché sur le côté avec les genoux repliés vers lui (décubitus latéral). Les fesses sont écartées avec les pouces en exerçant une légère pression latérale. Il faut une observation d’au moins 30 secondes pour vérifier l’apparition ou non d’une dilatation des deux sphincters. Examen génital (garçon) L’examen peut se faire lorsque le garçon est couché sur le dos (décubitus dorsal). On observe le pénis et le scrotum. Chez le garçon non circoncis, le prépuce est dilaté en douceur pour vérifier le méat urétral et le gland. Le contenu scrotal est palpé. Examen génital (fille) La fillette prépubère est installée sur le dos (décubitus dorsal) avec les jambes écartées (position de grenouille). Pour dégager la région hyménale, on utilise la séparation et la traction des lèvres. La séparation des lèvres consiste simplement à exercer une pression latérale sur les grandes lèvres avec les pouces. Pour la technique de traction, il s’agit, à l’aide du pouce et de l’index de chaque main, de pincer légèrement les deux grandes lèvres et de les tirer en latéral et vers le bas. La position génupectorale (couchée sur le ventre, les fesses en l’air) est utilisée lorsque la position de grenouille n’a pas permis une vision satisfaisante de la région péri-hyménale ou pour confirmer la présence d’anomalies. 4.4 Examens paracliniques Les risques de retrouver une infection transmise sexuellement (ITS) chez un enfant prépubère asymptomatique avec un examen physique normal sont très faibles, ce qui explique qu’il n’y a pas d’utilité à procéder systématiquement à des examens de laboratoire lors de l’examen médical d’un enfant, même en cas 7 de présomption d’abus sexuel. Des prélèvements sont indiqués en présence de l’un des critères suivants : - victime avec une ITS déjà identifiée présence de symptômes suggestifs d’infection signes physiques d’abus ou d’infection fratrie avec ITS agresseur avec ITS agresseurs multiples stade de Tanner ≥ 3 Les examens comprennent des cultures pour gonocoque et chlamydia au niveau des orifices impliqués. Les tests utilisant une technique d’amplification génique sont plus faciles à effectuer (examen d’urine). Lorsqu’ils sont positifs, ils doivent être confirmés par autre test utilisant une méthode différente. Il faut considérer dans des cas choisis un prélèvement sanguin pour des tests sur la syphilis, l’hépatite B et le VIH. Trousse médico-légale Elle est indiquée seulement lorsque tous les éléments suivants sont réunis : - possibilité de contact avec les secrétions génitales, salivaires ou avec le sang de l’agresseur épisode remontant à ≤ 5 jours accord des parents et de l’enfant plainte policière 4.5 Signes physiques Les données les plus récentes indiquent que les signes physiques spécifiques d’abus sexuel sont l’exception plutôt que la règle, et ce, même avec une histoire de pénétration. Parmi les victimes prouvées d’abus sexuel, 85% ont un examen physique normal, 10% ont des signes non spécifiques et seulement 5% ont des anomalies considérées comme très suggestives. Que la majorité des examens soient normaux s’explique de plusieurs façons : - certains abus n’impliquent pas de contact physique les contacts physiques se font en douceur la plupart du temps, sans causer de lésion les lésions guérissent rapidement (7-30 jours) le processus de guérison peut entraîner une réparation complète des tissus des fillettes peuvent interpréter à tort un contact à l’entrée du vestibule comme une « pénétration » un lubrifiant a été utilisé 8 Un outil très utile pour l’interprétation des signes physiques est la classification de Joyce Adams (10). Signes physiques non spécifiques Rougeur des organes génitaux ou de l’anus Écoulement vaginal Petites encoches hyménales Adhésions des lèvres Dilatation anale de < 20 mm Fissures anales Signes physiques indicatifs Lacérations aiguës ou ecchymoses importantes des lèvres, des tissus périhyménaux, du pénis, du scrotum ou du périnée Lacération récente de la fourchette postérieure Lacération aiguë partielle ou complète de l’hymen Ecchymose de l’hymen Lacérations péri-anales Transection hyménale Absence focale de tissu hyménal Cicatrice péri-anale Cicatrice de la fourchette postérieure ou de la fossa navicularis Infections non spécifiques Gardnerella vaginalis Condylomes Herpès Infections spécifiques Gonocoque Chlamydia Trichomonas vaginalis Syphilis VIH Preuves de contact sexuel Traces de sperme sur le corps ou les vêtements de l’enfant 9 5. Protection de l’enfant / Traitement Selon l’article 38d de la Loi sur la protection de la jeunesse, il y a obligation de faire un signalement au DPJ dans les cas suivants : 1. Lorsque l’enfant subit des gestes à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation. 2. Lorsque l’enfant encourt un risque sérieux de subir des gestes à caractère sexuel avec ou sans contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin à la situation. Le signalement est à faire quel que soit l’âge de la personne qui abuse. Lorsqu’il s’agit d’un enfant, il faut cependant faire attention à ne pas utiliser de termes qui pourraient le stigmatiser comme « abuseur, agresseur, ou prédateur sexuel ». Ces enfants ne sont pas comparables aux adultes qui abusent. Il n’y a pas que les abus sexuels qui vont nécessiter un signalement. Les enfants avec un comportement sexuel problématique secondaire à un milieu sexualisé ou à une maltraitance vont également avoir besoin de protection. La plupart de ces enfants vont bénéficier d’une prise en charge en psychologie. 6. Conseils aux parents en regard de la sexualité de l’enfant Tous les parents devraient savoir que la sexualité fait partie du développement normal de leur enfant et que les enfants se modèleront en partie suivant leur propre exemple. Je dois signaler ici que les recommandations par les experts en psychologie concernant les attitudes parentales en matière de sexualité sont parfois contradictoires. J’ai donc mis ici les recommandations qui semblent obtenir l’appui du plus grand nombre d’experts. Éducation sexuelle L’éducation sexuelle des enfants est un processus progressif qui débute habituellement à l’âge des nombreux questionnements de l’enfant autour de 4-5 ans. Les explications doivent être adaptées au développement de l’enfant. Plusieurs livres spécialement conçus pour être regardés avec les enfants s’avèrent très utiles à cet égard. La comparaison de la reproduction chez les animaux peut s’avérer une bonne idée. 10 Les parents doivent apprendre à leurs enfants les noms exacts pour désigner les parties génitales. Les parents ne doivent pas se fier entièrement à l’école pour cette éducation. Les enfants qui ne la reçoivent pas à la maison risquent de l’obtenir de leurs pairs ou en consultant des sites pornographiques sur internet. Découverte fortuite de jeux sexuels « normaux » entre enfants Habituellement, les enfants seront gênés de s’être fait prendre. Les experts mettent les parents en garde contre une réaction excessive lors du dévoilement, ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le développement sexuel des enfants en cause. On conseille au parent de rester calme et d’amener les enfants à faire une autre activité de jeu. Par la suite, à tête reposée, Il pourra en reparler avec son enfant. En accord avec ses valeurs, le parent pourra interdire à l’enfant de recommencer ou mettre des balises, telles que demeurer discret et s’assurer que le partenaire est consentant. Le parent aura soin également d’en aviser les autres parents concernés. Une supervision plus étroite dans le futur lorsque les mêmes enfants seront ensemble permettra d’éviter des récidives, lorsque c’est là le désir du parent. Masturbation Après avoir été estimée longtemps comme un geste répréhensible sur le plan religieux, puis risquée pour la santé physique et mentale, la masturbation de l’enfant est maintenant considérée comme une manifestation normale du développement psychosexuel. Pourtant, cette activité suscite encore régulièrement de l’inquiétude chez les parents et le médecin est souvent sollicité pour donner son avis. Durant la petite enfance (2 à 5 ans), elle peut être pratiquée de façon occasionnelle pour la détente et le réconfort, plutôt que pour le plaisir sexuel. Entre 5 et 8 ans, elle demeure occasionnelle, mais peut commencer à revêtir un objectif de plaisir. La fréquence de ce comportement augmente avec l’âge. Alors que 10% des enfants se masturbent à 7 ans, le pourcentage atteint 80% à 13 ans. Les enfants avec des problèmes émotionnels ou comportementaux ont tendance à se masturber davantage, tout comme les enfants qui s’ennuient ou qui manquent d’affection ou de contact physique. Par ailleurs, on considère comme anormal une masturbation en public inappropriée pour l’âge, excessive, agressive, ou pratiquée à l’aide d’un objet. Les spécialistes du comportement s’entendent pour conseiller aux parents de ne pas tenter de faire cesser « à tout prix » ce comportement, dans la mesure où il concorde avec le développement normal de l’enfant. Les parents doivent être rassurés qu’il s’agit d’une habitude sans danger. 11 Avec un jeune enfant surpris en train de se masturber, l’attitude à conseiller est simplement de distraire l’enfant et de l’occuper à autre chose. Pour celui qui se masturbe ouvertement, on recommandera aux parents de lui enseigner les règles de base sur les notions de vie privée et d’intimité. Certaines choses ne se font pas en public, tout simplement. On peut se servir de l’exemple des besoins d’excrétion. « Est-ce que papa ou maman fait cela dans la cuisine ou le salon? » L’enfant qui se masturbe souvent a peut-être besoin qu’on l’occupe davantage ou qu’on augmente les contacts physiques avec lui (le bercer, le caresser, le coiffer, lui donner des massages…). Prévention des comportements sexuels inadaptés Selon la majorité des experts (bien qu’il s’agisse d’un sujet controversé), il serait préférable de favoriser dès l’âge de 3-4 ans l’établissement de frontières personnelles et enseigner à l’enfant les notions de vie privée et d’intimité. Cela implique pour les parents de ne pas s’exposer nus devant leur enfant et de respecter son intimité (pas de douche ou de bain en commun, fermer la porte de la salle de bain, de la chambre lors de l’habillage, etc). Ils doivent s’assurer d’une supervision adéquate de leur enfant, afin qu’il n’ait pas accès à du matériel sexuel explicite. Il est préférable à cet égard que les enfants n’aient pas de télévision ou d’ordinateur dans leur chambre. Il existe des logiciels pour bloquer les sites inappropriés sur le Web (11). De même, il est important de vérifier les sites visités par l’enfant sur internet. Attention aux modes qui tendent à sexualiser précocement les fillettes pour en faire des objets érotiques (string, chandail bedaine, jeans taille basse, etc). La pression des pairs peut être forte à cet égard, étant donné que la société actuelle banalise la sexualisation à outrance des adolescentes et des fillettes prépubères. Prévention des abus sexuels Les parents doivent choisir avec soin les personnes chargées de la garde de l’enfant. Ils doivent enseigner à l’enfant la différence entre les « bons » et les « mauvais » touchers. Ils doivent lui apprendre à dire « non », même à une personne qu’il connaît bien, s’il se trouve dans une situation non désirée. Ils doivent établir une bonne communication avec leur enfant, et l’encourager à leur mentionner si quelqu’un lui fait des avances qui le rendent mal à l’aise. Ils doivent lui expliquer la différence entre les bons secrets (qui rendent heureux) et les mauvais secrets (qui font mal en dedans). Ils doivent lui enseigner à ne pas accepter de cadeaux des étrangers et à ne pas les suivre quels que soient les motifs et les circonstances. 12 7. Conclusions Il n’est pas rare que des parents s’inquiètent en raison de comportements sexuels manifestés par leur enfant, soit en solo, soit avec des partenaires. Le médecin peut alors jouer un rôle important pour conseiller les parents en cas de jeux sexuels normaux. Par contre, la découverte d’un comportement sexualisé problématique peut mener à la découverte d’un abus sexuel sous-jacent. Une bonne histoire de cas demeure l’élément clé pour l’évaluation d’une telle situation. Lorsque le médecin a un motif raisonnable de croire l’enfant en danger, il doit faire un signalement au DPJ. Par ailleurs, le médecin peut aussi jouer un rôle de conseiller en matière de sexualité, ce qui pourra prévenir certains comportements inadaptés. Références 1. Lamb S, Coakley M. “Normal” childhood sexual play and games: differentiating play from abuse. Child Abuse Negl 1993; 17: 515-526. 2. Ryan G. Childhood sexuality: a decade of study. Part 1 – Research and curriculum development. Child Abuse Negl 2000; 24: 33-48. 3. Haugaard JJ, Tilly C. Characteristics predicting children’s responses to sexual encounters with other children. Child Abuse Negl 1988; 12: 209-218. 4. Kellogg ND et al. Clinical report – The evaluation of sexual behaviors in children. Pediatrics 2009; 124: 992-998. 5. Finkelhor D. Sex among siblings: a survey of prevalence, variety and effects. Arch Sexual Behav 1980; 9: 171-194. 6. Friedrich WN et al. Normative sexual behaviour in children. Pediatrics 1991; 88: 456-464. 7. Sperry DM, Gilbert BO. Child peer sexual abuse: preliminary data on outcomes and disclosure experiences. Child Abuse Negl 2005; 29: 889-904. 8.Johnson TC. Child perpetrators-children who molest other children: preliminary findings. Child Abuse Negl 1988; 12: 219-229. 9. Poulin R. Pornographie, rapports sociaux de sexe et pédophilisation. La_Revue, 2009. http://www.lrdb.fr/file/Poulin.pdf 13 10. Adams JA. Guidelines for medical care of children evaluated for suspected sexual abuse : an update for 2008. Curr Opinion Obstet Gynecol 2008; 20: 435441. 11. Cavanagh-Johnson t. Some considerations about sexual abuse and children with sexual behavior problems. J Trauma Dissociation 2002; 3: 83-105. 12. Cavanagh Johnson T. Understanding children’s sexual behaviors. What’s natural and healthy. New Harbinger Publications, Inc, 1999. 13. Gil E, Cavanagh Johnson T. Sexualized children – Assessment and treatment of sexualized children and children who molest. Lauch Press, 1992. 14. Hornor G. Sexual behavior in children: normal or not? J Pediat Health Care 2004; 18: 57-64. 15. Yates A. Differentiating hypererotic states in the evaluation of sexual abuse. J Am Acad Child Adolesc Psychiatry 1991; 30: 791-795. 16. St-Pierre F, Viau MF. La sexualité de l’enfant expliquée aux parents. Éditions du CHU Ste-Justine, 2006. 17. Gagnon MM et Tremblay. Implication des parents dans l’intervention des enfants présentant des comportements sexuels inadaptés. In Tardif M et al. L’agression sexuelle : coopérer au-delà des frontières. Cifas 2005 : 529-541. 18. Mallants C, Casteels K. Practical approach to childhood masturbation – a review. European J Pediat 2008; 167: 1111-1117. 19. Friedrich WN et al. Child sexual behaviour inventory: normative, psychiatric, and sexual abuse comparisons. Child Maltreatment 2001; 6: 37-49. 20. De Jong AR. Sexual interactions among siblings and cousins: experimentation or exploitation. Child Abuse Negl 1989; 13: 271-279. 21. Hayez JY, Anselot C. Sexualité des enfants en âge d’école primaire. Neuropsychiat Enfance Adolesc 1998; 46 : 459-467. 22. Heyman M. Helping parents address their child’s sexual behavior problems. J Child Sex Abuse 2001; 10: 35-57. 23. American Academy of Pediatrics. Sexuality education for children and adolescents. Pediatrics 2001; 108: 498-502. 24. Quatre étapes pour améliorer la sécurité de votre famille sur le Web. http://www.microsoft.com/canada/fr/protect/family/guidelines/basics.mspx 14 Annexe 1 COMPORTEMENTS SEXUELS FRÉQUENTS De 2 à 6 ans Absence de pudeur, aime être nu Utilise les mots d’élimination (pipi, caca) avec les pairs Peut explorer les différences corporelles entre filles et garçons Curiosité au sujet des parties sexuelles et génitales Touche à ses parties intimes, même en public Jeux sexuels avec les amis et la fratrie, de type jouer au docteur Retire du plaisir à toucher ses parties génitales De 7 à 12 ans Jeux sexuels avec les enfants qu’il connaît, de type jouer au docteur Intéressé au contenu sexuel dans les médias (télévision, films, radio) Touche à ses parties intimes à la maison, en privé Regarde des images de nudité S’intéresse au sexe opposé Gêné de se déshabiller Gêné en présence des étrangers COMPORTEMENTS SEXUELS INHABITUELS DE 2 À 12 ANS Met sa bouche sur les parties sexuelles Met des objets dans le rectum ou le vagin Se masturbe avec des objets Touche les parties sexuelles des autres après avoir été averti de ne plus le faire Touche les parties sexuelles des adultes Demande de participer à des actes sexuels Imite une relation sexuelle Déshabille les autres Demande de voir une émission sexuellement explicite Imite les sons d’une relation sexuelle Traduction libre du feuillet « Sexual development and sexual behavior problems in children ages 2-12 » publié par le National Center on Sexual Behavior of Youth, January 2004. 15 Annexe 2 COMPORTEMENTS SEXUELS DES PRÉSCOLAIRES (%) 1. Met sa bouche sur les parties génitales d’un autre 2. Demande de participer à un acte sexuel 3. Se masturbe avec un objet 4. Insère des objets dans le vagin ou l’anus 5. Imite une relation sexuelle 6. Touche les organes génitaux des animaux 7. Imite les sons d’une relation sexuelle 8. Donne un baiser avec la langue 9. Met la bouche sur les seins de sa mère 10. Déshabille d’autres personnes 11. Demande à regarder une émission explicite 12. Imite un comportement sexuel avec une poupée 13. Voudrait être du sexe opposé 14. Parle d’actes sexuels 15. S’habille comme le sexe opposé 16. Touche les parties sexuelles des autres 17. Frotte son corps contre d’autres personnes 18. Se montre très amical avec des hommes étrangers 19. Étreint des adultes étrangers 20. Montre ses parties sexuelles à d’autres enfants 21. Utilise un vocabulaire sexuel 22. Est anormalement agressif ou passif 23. Tente de séduire en paroles 24. Colle les autres de trop près 25. Prétend être du sexe opposé 26. Se masturbe avec la main 27. Regarde des photos de nudité 28. Montre ses parties sexuelles à des adultes 29. Touche à ses parties sexuelles en public 30. S’intéresse au sexe opposé 31. Essaie de voir les gens se déshabiller 32. Touche à des seins 33. Embrasse des enfants non familiers 34. Embrasse des adultes non familiers 35. S’asseoit les jambes écartées 36. Est gêné de se déshabiller 37. Se déshabille devant les autres 38. Se promène tout nu 39. Touche à ses parties sexuelles à la maison 40. Se gratte l’entrejambe 41. Se promène en sous-vêtements 42. S’amuse avec des jouets de garçons et de filles 43. Est gêné avec les étrangers Moy 2-6 M 2-6 F 7-12 M 7-12 F 0.1 0.4 0.8 0.9 1.1 1.3 1.4 2.5 2.6 2.6 2.7 3.2 4.9 5.7 5.8 6.0 6.7 7.1 7.3 8.1 8.8 10.4 10.6 11.6 13.0 15.3 15.5 16.0 19.7 23.0 28.5 30.7 33.9 36.2 36.4 38.7 41.2 41.9 45.8 52.2 52.9 53.9 64.5 0.4 1.2 0.8 0.0 0.8 4.5 0.4 1.6 0.0 4.4 0.0 0.8 7.3 2.4 6.0 8.9 8.5 4.5 6.5 15.7 4.8 8.1 8.5 6.8 16.9 22.6 11.3 25.8 35.5 21.0 33.9 43.5 41.1 41.1 35.1 29.5 49.6 47.7 64.1 58.1 54.5 63.3 63.6 0.0 0.0 0.8 2.8 0.4 0.0 0.8 4.0 7.7 4.4 1.6 4.0 7.5 2.8 9.5 5.6 8.3 11.5 14.3 7.5 1.2 17.5 15.9 15.4 20.6 16.3 7.9 17.9 19.0 20.6 33.3 48.4 55.2 52.4 59.1 32.7 61.9 65.4 54.4 67.9 75.0 71.4 80.8 0.0 0.0 0.0 0.0 2.4 0.0 3.9 2.4 0.0 0.5 6.8 1.5 1.9 9.2 3.4 4.9 4.4 2.9 2.4 4.4 19.9 6.3 2.9 14.7 2.9 11.2 27.2 9.7 15.5 19.9 27.7 11.7 9.7 18.9 15.5 50.0 21.4 20.6 36.4 40.8 44.1 30.6 47.1 0.0 0.6 1.7 0.6 1.1 0.0 0.6 1.7 0.0 0.0 3.4 7.5 1.1 10.3 2.9 4.0 4.6 8.0 4.0 2.3 12.1 8.6 14.9 8.0 8.0 8.6 18.4 6.9 2.9 32.8 14.9 9.2 21.3 26.4 29.9 52.0 23.0 12.0 18.4 34.5 16.0 42.5 56.0 D’après Friedrich WN et al. Normative sexual behavior in children. Pediatrics 1991; 88: 456-464. 17