sexualité chez l`enfant et abus

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sexualité chez l`enfant et abus
SEXUALITÉ CHEZ L’ENFANT ET ABUS
Jean Labbé, MD, FRCPC
Professeur titulaire
Département de pédiatrie
Université Laval
On a tendance à considérer les jeunes enfants comme innocents, purs, sans
désir ni intérêt sexuel. Des comportements sexuels chez des enfants d’âge
scolaire avant l’adolescence peuvent donc inquiéter leurs parents et les amener
à vous consulter. Vous aurez alors besoin de réponses aux questions suivantes?
Qu’est-ce qui peut être considéré comme « normal »? Quels sont les
comportements sexuels anormaux et quelles sont leurs causes? Quelle conduite
le médecin doit-il adopter dans une telle situation? Quels conseils peut-il donner
aux parents? C’est là l’objet de l’actuelle présentation.
1. Qu’est-ce qui peut être considéré comme normal?
1.1 Développement psychosexuel normal
C’est suite à des expériences familiales, sociétales et culturelles que l’enfant
développe ses connaissances au sujet de la sexualité, internalise des valeurs
sexuelles qui le conduiront à adopter un rôle sexuel.
0-23 mois
L’exploration du monde se fait d’abord par la bouche, puis ensuite par le toucher.
Le jeune enfant explore son corps avec curiosité, y compris ses organes
génitaux. La plupart des enfants découvrent le plaisir de l’autostimulation
génitale. Des érections ou des excitations vaginales peuvent survenir
spontanément ou lors de touchers.
2 à 5 ans
Il s’agit de la période la plus active sur le plan sexuel avant l’adolescence, se
manifestant notamment par de l’autostimulation, de l’exhibitionnisme et du
voyeurisme. Les jeux sexuels d’exploration (attouchements) sont fréquents avec
la famille et les amis, mais pas avec les inconnus. L’usage de mots vulgaires
n’est pas rare, tout comme un comportement séducteur.
6 à 8 ans
Cette période est notable par une baisse de l’activité sexuelle et un plus grand
besoin d’intimité. L’enfant recherche davantage la compagnie de compagnons du
même sexe. Il peut comparer son corps à celui des autres. On constate chez lui
une alternance entre des attitudes d’inhibition et de désinhibition. L’intérêt envers
la sexualité est balancé par la curiosité envers les autres aspects de la vie.
9 à 12 ans
Les changements pubertaires débutent chez la majorité des enfants au cours de
cette période. Avec la puberté, la fréquence de la masturbation augmente et son
but devient le plaisir et l’orgasme. Les jeunes peuvent rechercher des contenus
sexuels dans les médias. L’attrait vers le sexe opposé peut faire en sorte que le
jeune ait un(e) petit(e) ami(e). Toutefois, les échanges amoureux à cet âge ne
dépassent pas habituellement les baisers et les caresses.
1.2 Comportements sexuels « normaux » chez les enfants prépubères
Pour considérer un comportement sexuel comme « normal », il faut l’évaluer en
fonction de plusieurs critères, dont l’âge de l’enfant, son niveau de
développement, la fréquence de ce comportement chez les pairs, et l’absence de
conséquences négatives à court comme à long terme. Le dévoilement de ce
comportement peut entraîner chez l’enfant un certain embarras, mais non pas de
la colère, de la honte, de la crainte, de la culpabilité ni de l’anxiété.
Il peut s’agir d’un comportement pratiqué en solo ou d’actes partagés avec
d’autres enfants. Dans ce dernier cas, on considère « normal » les jeux sexuels
exploratoires, limités en types (observations, attouchements) et en fréquence
(sur une courte période de temps), entre enfants du même âge ou de
développement similaire, et avec consentement réciproque. Ces comportements
vont diminuer suite à une supervision parentale accrue.
Toutes les études sur le sujet indiquent que les comportements sexuels sont
fréquents avant la puberté. Selon Kinsey, 57% des hommes et 48% des femmes
auraient souvenir de jeux sexuels avant l’adolescence (1). Ryan a rapporté chez
un groupe de professionnels travaillant en protection de l’enfance un taux de
56.1% ayant eu des activités sexuelles avec d’autres enfants avant l’âge de 12
ans (2). Haugaard et Tilly ont questionné 1089 collégiens et collégiennes sur le
même sujet et ont obtenu un taux de 42% (3)
Une étude par questionnaire de 128 collégiennes a rapporté un taux de jeux
sexuels chez 85% d’entre elles durant l’enfance (4). De son côté, Johnson a
obtenu les informations suivantes de 339 professionnels en santé mentale et en
service social sur leurs propres expériences avant l’âge de 13 ans (4) :
2
- 73% avaient eu un jeu sexuel avec d’autres enfants
- 34% avaient montré leurs organes sexuels à un autre enfant
- 16% avaient simulé un coït avec un autre enfant
- 5% avaient inséré un objet dans le vagin ou le rectum d’un autre enfant
Finkehor s’est intéressé aux expériences sexuelles à l’intérieur d’une même
fratrie. Avec une étude par questionnaire auprès de 796 collégiens, 15% des
garçons et 10% des filles avaient eu une telle expérience avec un frère ou une
sœur (5).
J’ai mis à l’annexe 1 un résumé des comportements sexuels fréquents et
inhabituels. La référence la plus citée pour les comportements sexuels des
enfants prépubères est celle de Friedrich et al, dont les résultats apparaissent à
l’annexe 2 (6). Les auteurs ont recueilli leurs données chez 880 enfants entre
l’âge de 2 et 12 ans, sans histoire d’abus sexuel. Toutefois, ces données datent
de près de 20 ans. On ignore si elles seraient modifiées aujourd’hui dans le
contexte où les enfants sont davantage exposés à des messages sexuels
implicites et explicites via les médias, la publicité, la mode, etc.
2. Quels sont les comportements anormaux?
On considère comme « problématique » ou « inadapté » un comportement qui
présente l’une ou l’autre des caractéristiques suivantes :
Enfant seul
-
L’enfant se masturbe de façon excessive ou compulsive ou en public,
après avoir été averti de demeurer dans l’intimité
-
Avec des objets (poupée, toutou), l’enfant se livre à des gestes sexuels
qui traduisent une connaissance sexuelle trop avancée pour son âge
-
L’enfant a des comportements démontrant une préoccupation excessive
avec la sexualité
-
Les comportements
développement
sexuels
de
l’enfant
interfèrent
avec
son
Avec partenaire(s)
-
Le comportement ne s’inscrit pas dans une relation de jeu ou d’exploration
par curiosité
3
-
Les enfants sont d’âge ou de développement différent
-
Les enfants ont un statut différent (enfant gardien et enfant gardé)
-
Le partenaire est un enfant inconnu
-
Les comportements sexuels prennent la place d’autres comportements
usuels dans la vie de l’enfant
-
Les comportements sexuels sont fréquents et progressifs
-
Les connaissances sexuelles dépassent le stade de développement des
enfants impliqués
-
Il s’agit de comportements sexuels adultes (génital-génital, oral-génital)
-
Les comportements sexuels sont dirigés vers des adultes
-
Il s’agit de contacts sexuels avec des animaux
-
Les comportements persistent après avertissement par des adultes de les
cesser
-
Les enfants ne comprennent pas leurs droits et/ou ceux des autres
-
Les gestes sexuels s’accompagnent de violence, de menaces
-
Les comportements affectent négativement les pairs impliqués
-
Il y a association de sentiments de peur, de honte ou de culpabilité
-
Les comportements sont cause d’inconfort ou de douleur
On comprend d’après cette description qu’il peut véritablement y avoir des
« abus sexuels » entre enfants du même âge et du même niveau de
développement. C’est le cas notamment lorsqu’il y a coercition exercée par un
enfant envers un autre pour la pratique de comportements sexuels. Ces enfants
qui abusent ne tiennent pas compte du refus de l’autre, ni de sa souffrance
physique, ni de son inconfort émotionnel.
Par ailleurs, selon au moins une étude, il peut y avoir des conséquences
négatives de « jeux sexuels entre pairs », même en l’absence de coercition,
comme de la nervosité, de la honte et un sentiment de culpabilité (7). Il semble
donc que ce ne soient pas les gestes posés qui soient les plus importants, mais
la façon dont ils sont perçus par les enfants.
4
3. Quelles sont les causes des comportements problématiques?
Abus sexuel
On a cru jadis que les comportements sexuels inadaptés chez des enfants
prépubères indiquaient nécessairement qu’ils avaient été victimes d’abus
sexuels. Des études récentes ont montré que c’est vrai seulement pour une
partie des cas et d’autant plus si l’enfant est jeune. Dans une étude publiée par
Johnson sur des enfants ayant des comportements sexuels abusifs, 72% de
ceux de moins de 6 ans, 42% de ceux de 7 à 10 ans et 35% de ceux de 11 et 12
ans avaient été victimes d’abus sexuels (8).
Exposition à du matériel sexualisé explicite
Des enfants peuvent être portés à répéter des comportements qu’ils ont
observés à la télévision, sur des vidéos pornographiques ou sur internet. Une
étude québécoise citée par Poulin a montré que près de trois garçons sur quatre
et une fille sur deux ont consommé de la pornographie avant l’âge de 14 ans (9).
Vécu dans un milieu sexualisé
Des parents qui se disent ouverts d’esprit n’hésitent pas à se montrer nus devant
leur enfant, prennent leur bain ou leur douche avec lui, même après l’âge
scolaire, ou négligent de s’isoler pour leurs relations sexuelles. L’enfant vivant
dans un milieu où l’intimité et les frontières sont absentes ne peut comprendre
que chaque personne ait besoin d’un espace privé.
Maltraitance autre que l’abus sexuel
Il y a aussi des enfants qui utilisent des comportements sexuels pour soulager un
état de tension ou pour compenser un besoin d’attention et de contact physique.
C’est ainsi qu’on en retrouve chez des enfants victimes d’abus physique, de
mauvais traitements psychologiques ou de négligence.
Retard de développement
Des enfants retardés vont avoir des comportements qui ne correspondent pas à
leur âge chronologique, mais à leur stade de développement.
4. Quelle conduite adopter?
Lorsqu’un parent consulte pour des comportements sexuels chez son enfant qui
l’inquiètent, c’est principalement l’histoire qui va se révéler utile pour départager
5
entre les comportements « normaux » et « anormaux ». Dans le premier cas, des
explications vont suffire habituellement pour le rassurer. S’il s’agit de
comportements inadaptés, une investigation plus poussée sera nécessaire pour
tenter d’identifier la source du problème.
4.1 Questionnaire du parent
Description des actes, fréquence, durée
Description des circonstances, présence de coercition
Âge des participants
Réactions des enfants et du parent lors de la découverte
Histoire du développement, du comportement, des relations sociales
Histoire scolaire
Composition du milieu familial
Relations familiales, autorité et discipline
Expression de l’affection et de la sexualité dans la famille
Histoire médicale et psychiatrique de l’enfant et des parents
Inquiétude parentale quant à la possibilité d’un abus sexuel
Possibilité d’exposition de l’enfant à du matériel sexuel explicite
4.2 Questionnaire de l’enfant
En présence d’un comportement sexuel inadapté, il faut garder en tête la
possibilité que l’enfant ait été victime d’abus sexuel et en tenir compte dans son
approche. L’objectif du questionnaire médical n’est toutefois pas de « prouver »
l’abus sexuel ni d’identifier l’abuseur éventuel. Il vise à recueillir suffisamment
d’éléments pour établir si le diagnostic est probable et si l’enfant a besoin de
protection.
L’entrevue doit se faire en privé, ou en plaçant le parent en retrait dans la pièce.
Il est important de choisir un langage compréhensible pour l’enfant. On doit
utiliser des questions ouvertes et encourager l’enfant à décrire les événements
dans ses propres mots, sans lui mettre de pression. S’il refuse de parler, on ne
doit pas insister. Les questions directives ou suggestives (à répondre par oui ou
non) doivent être évitées. Il faut noter l’attitude de l’enfant au cours du
questionnaire et son état émotionnel. Les verbalisations de l’enfant doivent être
citées textuellement au dossier, tout comme les questions utilisées.
Comme introduction, on peut demander à l’enfant s’il sait pourquoi il vient vous
voir. S’il l’ignore, on peut l’aborder en disant : « Ton parent m’a raconté que tu
avais fait certaines choses avec un tel, j’aimerais que tu m’en parles. Qu’est-ce
qui est arrivé exactement? »
Dans la recherche d’un éventuel abus sexuel, on peut utiliser des questions
comme les suivantes :
6
« Y a-t-il quelqu’un qui t’a fait quelque chose qu’il n’aurait pas du faire? »
« Est-ce que quelqu’un t’a fait quelque chose que tu ne voulais pas? »
« Y a-t-il quelqu’un qui t’a touché d’une façon qu’il n’aurait pas du? »
« Est-ce que quelqu’un t’a touché à un endroit que tu ne voulais pas? »
4.3 Examen ano-génital
L’examen doit toujours se faire avec le consentement de l’enfant. Lorsqu’il refuse
toute collaboration, il vaut mieux remettre l’examen à un autre moment pour
mieux le préparer. La force ne doit jamais être utilisée pour procéder. L’examen
anogénital s’inscrit dans le déroulement d’un examen physique complet. Les
attitudes de l’enfant en cours de l’examen seront notées.
Examen anal
L’enfant est couché sur le côté avec les genoux repliés vers lui (décubitus
latéral). Les fesses sont écartées avec les pouces en exerçant une légère
pression latérale. Il faut une observation d’au moins 30 secondes pour vérifier
l’apparition ou non d’une dilatation des deux sphincters.
Examen génital (garçon)
L’examen peut se faire lorsque le garçon est couché sur le dos (décubitus
dorsal). On observe le pénis et le scrotum. Chez le garçon non circoncis, le
prépuce est dilaté en douceur pour vérifier le méat urétral et le gland. Le contenu
scrotal est palpé.
Examen génital (fille)
La fillette prépubère est installée sur le dos (décubitus dorsal) avec les jambes
écartées (position de grenouille). Pour dégager la région hyménale, on utilise la
séparation et la traction des lèvres. La séparation des lèvres consiste
simplement à exercer une pression latérale sur les grandes lèvres avec les
pouces. Pour la technique de traction, il s’agit, à l’aide du pouce et de l’index de
chaque main, de pincer légèrement les deux grandes lèvres et de les tirer en
latéral et vers le bas. La position génupectorale (couchée sur le ventre, les
fesses en l’air) est utilisée lorsque la position de grenouille n’a pas permis une
vision satisfaisante de la région péri-hyménale ou pour confirmer la présence
d’anomalies.
4.4 Examens paracliniques
Les risques de retrouver une infection transmise sexuellement (ITS) chez un
enfant prépubère asymptomatique avec un examen physique normal sont très
faibles, ce qui explique qu’il n’y a pas d’utilité à procéder systématiquement à
des examens de laboratoire lors de l’examen médical d’un enfant, même en cas
7
de présomption d’abus sexuel. Des prélèvements sont indiqués en présence de
l’un des critères suivants :
-
victime avec une ITS déjà identifiée
présence de symptômes suggestifs d’infection
signes physiques d’abus ou d’infection
fratrie avec ITS
agresseur avec ITS
agresseurs multiples
stade de Tanner ≥ 3
Les examens comprennent des cultures pour gonocoque et chlamydia au niveau
des orifices impliqués. Les tests utilisant une technique d’amplification génique
sont plus faciles à effectuer (examen d’urine). Lorsqu’ils sont positifs, ils doivent
être confirmés par autre test utilisant une méthode différente. Il faut considérer
dans des cas choisis un prélèvement sanguin pour des tests sur la syphilis,
l’hépatite B et le VIH.
Trousse médico-légale
Elle est indiquée seulement lorsque tous les éléments suivants sont réunis :
-
possibilité de contact avec les secrétions génitales, salivaires ou avec
le sang de l’agresseur
épisode remontant à ≤ 5 jours
accord des parents et de l’enfant
plainte policière
4.5 Signes physiques
Les données les plus récentes indiquent que les signes physiques spécifiques
d’abus sexuel sont l’exception plutôt que la règle, et ce, même avec une histoire
de pénétration. Parmi les victimes prouvées d’abus sexuel, 85% ont un examen
physique normal, 10% ont des signes non spécifiques et seulement 5% ont des
anomalies considérées comme très suggestives. Que la majorité des examens
soient normaux s’explique de plusieurs façons :
-
certains abus n’impliquent pas de contact physique
les contacts physiques se font en douceur la plupart du temps, sans
causer de lésion
les lésions guérissent rapidement (7-30 jours)
le processus de guérison peut entraîner une réparation complète des
tissus
des fillettes peuvent interpréter à tort un contact à l’entrée du vestibule
comme une « pénétration »
un lubrifiant a été utilisé
8
Un outil très utile pour l’interprétation des signes physiques est la classification
de Joyce Adams (10).
Signes physiques non spécifiques
Rougeur des organes génitaux ou de l’anus
Écoulement vaginal
Petites encoches hyménales
Adhésions des lèvres
Dilatation anale de < 20 mm
Fissures anales
Signes physiques indicatifs
Lacérations aiguës ou ecchymoses importantes des lèvres, des tissus périhyménaux, du pénis, du scrotum ou du périnée
Lacération récente de la fourchette postérieure
Lacération aiguë partielle ou complète de l’hymen
Ecchymose de l’hymen
Lacérations péri-anales
Transection hyménale
Absence focale de tissu hyménal
Cicatrice péri-anale
Cicatrice de la fourchette postérieure ou de la fossa navicularis
Infections non spécifiques
Gardnerella vaginalis
Condylomes
Herpès
Infections spécifiques
Gonocoque
Chlamydia
Trichomonas vaginalis
Syphilis
VIH
Preuves de contact sexuel
Traces de sperme sur le corps ou les vêtements de l’enfant
9
5. Protection de l’enfant / Traitement
Selon l’article 38d de la Loi sur la protection de la jeunesse, il y a obligation de
faire un signalement au DPJ dans les cas suivants :
1. Lorsque l’enfant subit des gestes à caractère sexuel, avec ou sans
contact physique, de la part de ses parents ou d’une autre personne et
que ses parents ne prennent pas les moyens nécessaires pour mettre fin
à la situation.
2. Lorsque l’enfant encourt un risque sérieux de subir des gestes à
caractère sexuel avec ou sans contact physique, de la part de ses parents
ou d’une autre personne et que ses parents ne prennent pas les moyens
nécessaires pour mettre fin à la situation.
Le signalement est à faire quel que soit l’âge de la personne qui abuse. Lorsqu’il
s’agit d’un enfant, il faut cependant faire attention à ne pas utiliser de termes qui
pourraient le stigmatiser comme « abuseur, agresseur, ou prédateur sexuel ».
Ces enfants ne sont pas comparables aux adultes qui abusent.
Il n’y a pas que les abus sexuels qui vont nécessiter un signalement. Les enfants
avec un comportement sexuel problématique secondaire à un milieu sexualisé
ou à une maltraitance vont également avoir besoin de protection.
La plupart de ces enfants vont bénéficier d’une prise en charge en psychologie.
6. Conseils aux parents en regard de la sexualité de l’enfant
Tous les parents devraient savoir que la sexualité fait partie du développement
normal de leur enfant et que les enfants se modèleront en partie suivant leur
propre exemple. Je dois signaler ici que les recommandations par les
experts en psychologie concernant les attitudes parentales en matière de
sexualité sont parfois contradictoires. J’ai donc mis ici les recommandations
qui semblent obtenir l’appui du plus grand nombre d’experts.
Éducation sexuelle
L’éducation sexuelle des enfants est un processus progressif qui débute
habituellement à l’âge des nombreux questionnements de l’enfant autour de 4-5
ans. Les explications doivent être adaptées au développement de l’enfant.
Plusieurs livres spécialement conçus pour être regardés avec les enfants
s’avèrent très utiles à cet égard. La comparaison de la reproduction chez les
animaux peut s’avérer une bonne idée.
10
Les parents doivent apprendre à leurs enfants les noms exacts pour désigner les
parties génitales. Les parents ne doivent pas se fier entièrement à l’école pour
cette éducation. Les enfants qui ne la reçoivent pas à la maison risquent de
l’obtenir de leurs pairs ou en consultant des sites pornographiques sur internet.
Découverte fortuite de jeux sexuels « normaux » entre enfants
Habituellement, les enfants seront gênés de s’être fait prendre. Les experts
mettent les parents en garde contre une réaction excessive lors du dévoilement,
ce qui pourrait avoir des conséquences négatives sur le développement sexuel
des enfants en cause. On conseille au parent de rester calme et d’amener les
enfants à faire une autre activité de jeu. Par la suite, à tête reposée, Il pourra en
reparler avec son enfant. En accord avec ses valeurs, le parent pourra interdire à
l’enfant de recommencer ou mettre des balises, telles que demeurer discret et
s’assurer que le partenaire est consentant. Le parent aura soin également d’en
aviser les autres parents concernés. Une supervision plus étroite dans le futur
lorsque les mêmes enfants seront ensemble permettra d’éviter des récidives,
lorsque c’est là le désir du parent.
Masturbation
Après avoir été estimée longtemps comme un geste répréhensible sur le plan
religieux, puis risquée pour la santé physique et mentale, la masturbation de
l’enfant est maintenant considérée comme une manifestation normale du
développement psychosexuel. Pourtant, cette activité suscite encore
régulièrement de l’inquiétude chez les parents et le médecin est souvent sollicité
pour donner son avis.
Durant la petite enfance (2 à 5 ans), elle peut être pratiquée de façon
occasionnelle pour la détente et le réconfort, plutôt que pour le plaisir sexuel.
Entre 5 et 8 ans, elle demeure occasionnelle, mais peut commencer à revêtir un
objectif de plaisir. La fréquence de ce comportement augmente avec l’âge. Alors
que 10% des enfants se masturbent à 7 ans, le pourcentage atteint 80% à 13
ans.
Les enfants avec des problèmes émotionnels ou comportementaux ont tendance
à se masturber davantage, tout comme les enfants qui s’ennuient ou qui
manquent d’affection ou de contact physique. Par ailleurs, on considère comme
anormal une masturbation en public inappropriée pour l’âge, excessive,
agressive, ou pratiquée à l’aide d’un objet.
Les spécialistes du comportement s’entendent pour conseiller aux parents de ne
pas tenter de faire cesser « à tout prix » ce comportement, dans la mesure où il
concorde avec le développement normal de l’enfant. Les parents doivent être
rassurés qu’il s’agit d’une habitude sans danger.
11
Avec un jeune enfant surpris en train de se masturber, l’attitude à conseiller est
simplement de distraire l’enfant et de l’occuper à autre chose. Pour celui qui se
masturbe ouvertement, on recommandera aux parents de lui enseigner les
règles de base sur les notions de vie privée et d’intimité. Certaines choses ne se
font pas en public, tout simplement. On peut se servir de l’exemple des besoins
d’excrétion. « Est-ce que papa ou maman fait cela dans la cuisine ou le salon? »
L’enfant qui se masturbe souvent a peut-être besoin qu’on l’occupe davantage
ou qu’on augmente les contacts physiques avec lui (le bercer, le caresser, le
coiffer, lui donner des massages…).
Prévention des comportements sexuels inadaptés
Selon la majorité des experts (bien qu’il s’agisse d’un sujet controversé), il serait
préférable de favoriser dès l’âge de 3-4 ans l’établissement de frontières
personnelles et enseigner à l’enfant les notions de vie privée et d’intimité. Cela
implique pour les parents de ne pas s’exposer nus devant leur enfant et de
respecter son intimité (pas de douche ou de bain en commun, fermer la porte de
la salle de bain, de la chambre lors de l’habillage, etc).
Ils doivent s’assurer d’une supervision adéquate de leur enfant, afin qu’il n’ait pas
accès à du matériel sexuel explicite. Il est préférable à cet égard que les enfants
n’aient pas de télévision ou d’ordinateur dans leur chambre. Il existe des logiciels
pour bloquer les sites inappropriés sur le Web (11). De même, il est important de
vérifier les sites visités par l’enfant sur internet.
Attention aux modes qui tendent à sexualiser précocement les fillettes pour en
faire des objets érotiques (string, chandail bedaine, jeans taille basse, etc). La
pression des pairs peut être forte à cet égard, étant donné que la société actuelle
banalise la sexualisation à outrance des adolescentes et des fillettes prépubères.
Prévention des abus sexuels
Les parents doivent choisir avec soin les personnes chargées de la garde de
l’enfant. Ils doivent enseigner à l’enfant la différence entre les « bons » et les
« mauvais » touchers. Ils doivent lui apprendre à dire « non », même à une
personne qu’il connaît bien, s’il se trouve dans une situation non désirée. Ils
doivent établir une bonne communication avec leur enfant, et l’encourager à leur
mentionner si quelqu’un lui fait des avances qui le rendent mal à l’aise. Ils
doivent lui expliquer la différence entre les bons secrets (qui rendent heureux) et
les mauvais secrets (qui font mal en dedans). Ils doivent lui enseigner à ne pas
accepter de cadeaux des étrangers et à ne pas les suivre quels que soient les
motifs et les circonstances.
12
7. Conclusions
Il n’est pas rare que des parents s’inquiètent en raison de comportements
sexuels manifestés par leur enfant, soit en solo, soit avec des partenaires. Le
médecin peut alors jouer un rôle important pour conseiller les parents en cas de
jeux sexuels normaux. Par contre, la découverte d’un comportement sexualisé
problématique peut mener à la découverte d’un abus sexuel sous-jacent. Une
bonne histoire de cas demeure l’élément clé pour l’évaluation d’une telle
situation. Lorsque le médecin a un motif raisonnable de croire l’enfant en danger,
il doit faire un signalement au DPJ. Par ailleurs, le médecin peut aussi jouer un
rôle de conseiller en matière de sexualité, ce qui pourra prévenir certains
comportements inadaptés.
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14
Annexe 1
COMPORTEMENTS SEXUELS FRÉQUENTS
De 2 à 6 ans
Absence de pudeur, aime être nu
Utilise les mots d’élimination (pipi,
caca) avec les pairs
Peut explorer les différences
corporelles entre filles et garçons
Curiosité au sujet des parties sexuelles
et génitales
Touche à ses parties intimes, même
en public
Jeux sexuels avec les amis et la
fratrie, de type jouer au docteur
Retire du plaisir à toucher ses parties
génitales
De 7 à 12 ans
Jeux sexuels avec les enfants qu’il
connaît, de type jouer au docteur
Intéressé au contenu sexuel dans les
médias (télévision, films, radio)
Touche à ses parties intimes à la
maison, en privé
Regarde des images de nudité
S’intéresse au sexe opposé
Gêné de se déshabiller
Gêné en présence des étrangers
COMPORTEMENTS SEXUELS INHABITUELS DE 2 À 12 ANS
Met sa bouche sur les parties
sexuelles
Met des objets dans le rectum ou le
vagin
Se masturbe avec des objets
Touche les parties sexuelles des
autres après avoir été averti de ne plus
le faire
Touche les parties sexuelles des
adultes
Demande de participer à des actes
sexuels
Imite une relation sexuelle
Déshabille les autres
Demande de voir une émission
sexuellement explicite
Imite les sons d’une relation sexuelle
Traduction libre du feuillet « Sexual development and sexual behavior problems
in children ages 2-12 » publié par le National Center on Sexual Behavior of
Youth, January 2004.
15
Annexe 2
COMPORTEMENTS SEXUELS DES PRÉSCOLAIRES (%)
1. Met sa bouche sur les parties génitales d’un autre
2. Demande de participer à un acte sexuel
3. Se masturbe avec un objet
4. Insère des objets dans le vagin ou l’anus
5. Imite une relation sexuelle
6. Touche les organes génitaux des animaux
7. Imite les sons d’une relation sexuelle
8. Donne un baiser avec la langue
9. Met la bouche sur les seins de sa mère
10. Déshabille d’autres personnes
11. Demande à regarder une émission explicite
12. Imite un comportement sexuel avec une poupée
13. Voudrait être du sexe opposé
14. Parle d’actes sexuels
15. S’habille comme le sexe opposé
16. Touche les parties sexuelles des autres
17. Frotte son corps contre d’autres personnes
18. Se montre très amical avec des hommes étrangers
19. Étreint des adultes étrangers
20. Montre ses parties sexuelles à d’autres enfants
21. Utilise un vocabulaire sexuel
22. Est anormalement agressif ou passif
23. Tente de séduire en paroles
24. Colle les autres de trop près
25. Prétend être du sexe opposé
26. Se masturbe avec la main
27. Regarde des photos de nudité
28. Montre ses parties sexuelles à des adultes
29. Touche à ses parties sexuelles en public
30. S’intéresse au sexe opposé
31. Essaie de voir les gens se déshabiller
32. Touche à des seins
33. Embrasse des enfants non familiers
34. Embrasse des adultes non familiers
35. S’asseoit les jambes écartées
36. Est gêné de se déshabiller
37. Se déshabille devant les autres
38. Se promène tout nu
39. Touche à ses parties sexuelles à la maison
40. Se gratte l’entrejambe
41. Se promène en sous-vêtements
42. S’amuse avec des jouets de garçons et de filles
43. Est gêné avec les étrangers
Moy
2-6
M
2-6
F
7-12
M
7-12
F
0.1
0.4
0.8
0.9
1.1
1.3
1.4
2.5
2.6
2.6
2.7
3.2
4.9
5.7
5.8
6.0
6.7
7.1
7.3
8.1
8.8
10.4
10.6
11.6
13.0
15.3
15.5
16.0
19.7
23.0
28.5
30.7
33.9
36.2
36.4
38.7
41.2
41.9
45.8
52.2
52.9
53.9
64.5
0.4
1.2
0.8
0.0
0.8
4.5
0.4
1.6
0.0
4.4
0.0
0.8
7.3
2.4
6.0
8.9
8.5
4.5
6.5
15.7
4.8
8.1
8.5
6.8
16.9
22.6
11.3
25.8
35.5
21.0
33.9
43.5
41.1
41.1
35.1
29.5
49.6
47.7
64.1
58.1
54.5
63.3
63.6
0.0
0.0
0.8
2.8
0.4
0.0
0.8
4.0
7.7
4.4
1.6
4.0
7.5
2.8
9.5
5.6
8.3
11.5
14.3
7.5
1.2
17.5
15.9
15.4
20.6
16.3
7.9
17.9
19.0
20.6
33.3
48.4
55.2
52.4
59.1
32.7
61.9
65.4
54.4
67.9
75.0
71.4
80.8
0.0
0.0
0.0
0.0
2.4
0.0
3.9
2.4
0.0
0.5
6.8
1.5
1.9
9.2
3.4
4.9
4.4
2.9
2.4
4.4
19.9
6.3
2.9
14.7
2.9
11.2
27.2
9.7
15.5
19.9
27.7
11.7
9.7
18.9
15.5
50.0
21.4
20.6
36.4
40.8
44.1
30.6
47.1
0.0
0.6
1.7
0.6
1.1
0.0
0.6
1.7
0.0
0.0
3.4
7.5
1.1
10.3
2.9
4.0
4.6
8.0
4.0
2.3
12.1
8.6
14.9
8.0
8.0
8.6
18.4
6.9
2.9
32.8
14.9
9.2
21.3
26.4
29.9
52.0
23.0
12.0
18.4
34.5
16.0
42.5
56.0
D’après Friedrich WN et al. Normative sexual behavior in children. Pediatrics 1991; 88: 456-464.
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