Mademoiselle Chambon - Version de tournage du 31 Août 2010

Transcription

Mademoiselle Chambon - Version de tournage du 31 Août 2010
Mademoiselle Chambon
screenplay
Stéphane Brizé & Florence Vignon
From the novel MADEMOISELLE CHAMBON by Eric Holder
A film by
Stéphane Brizé
- shooting -
1
DEBUT GENERIQUE
(blanc sur fond noir)
1. EXT / CHANTIER / JOUR
Les informations suivantes du générique viennent s'inscrire en surimpression sur l'image…
Chantier d'une maison en construction.
Ce mois d'avril offre les premiers soleils de printemps.
Jean (38/40 ans) défonce une dalle en béton avec un marteau piqueur. Bruit… poussière…
Ses bras, son corps, son visage tremblent sous les vibrations de la machine. Jean est un
homme qui dégage à la fois quelque chose de doux et de solide. Le genre de gars simple, sans
esbroufe, avec les pieds sur terre.
2. EXT / CHANTIER / JOUR
Toujours le générique en surimpression…
Jean défonce un mur à grands coups de masses en compagnie d'un de ses collègues,
Mahmoud, un gars à l'air sérieux et bosseur, un peu plus âgé que lui.
3. EXT / CHANTIER / JOUR
Toujours le générique en surimpression…
Bruit strident de la meuleuse. Jean sectionne une barre de fer avec l'aide de Mallard, son autre
collègue de chantier. Mallard a la cinquantaine, il a un peu de ventre.
FIN GENERIQUE
(blanc sur fond noir)
4. INT / CUISINE MAISON JEAN / NUIT
C'est le soir…
Jean est au calme, chez lui, en train de terminer de dîner avec sa femme, Anne-Marie (38/40
ans) et son fils, Jérémy (8 ans).
La cuisine, comme le reste de la maison d'ailleurs, ressemble à ce qu'on peut voir chez un peu
tout le monde. C'est simple, fonctionnel, propre et bien rangé.
Anne-Marie est une femme à la beauté discrète. Pas de maquillage, elle a un côté pratique et
carré qui cache une grande sensibilité. Elle lave deux ou trois fruits au dessus de l'évier.
ANNE-MARIE
T'as vu le ficus du salon comment il fait une drôle de tête ?
JEAN
Non, pas fait attention.
Elle referme le robinet et retourne à table.
Jérémy termine de manger son yaourt.
ANNE-MARIE
(à son fils)
Tu manges un fruit après.
2
Jean prend une poire qu'il épluche avec attention afin de faire une seule longue épluchure.
Anne-Marie pelle une orange.
ANNE-MARIE
(toujours en train de penser à son ficus)
Je vais essayer de lui mettre un truc dans la terre que j'ai vu dans un
bouquin, ça peut peut-être l'aider.
Alors sinon, j'ai eu un coup de fil de Christine ce midi, elle demande si c'est
possible de faire l'anniversaire de ton père le week-end du 7 juillet au lieu de
celui du 1er.
JEAN
Pourquoi ?
ANNE-MARIE
Parce qu'elle vient de changer ses dates de vacances pour arranger une
collègue, ce qui fait que le week-end du 1er elle sera pas encore en congés.
Et faire la route jusqu’ici, repartir le jour même et reprendre le boulot le
lendemain, pour elle c'est compliqué.
Elle a déjà appelé ton autre sœur pour savoir si ça l'embêtait, mais c’est bon,
ça l'embête pas.
JEAN
Ben, il faut que je le dise à mon père, c'est tout.
ANNE-MARIE
Ça change rien pour lui.
JEAN
Non, c'est juste qu'il faut que je lui explique parce que quand il s'est mis
quelque chose en tête…
JEREMY
Il viendra Lucas ?
ANNE-MARIE
Ben oui, il va venir avec son papa et sa maman.
Il fait une tête de plus que toi, maintenant ? C'est un grand, ton cousin.
Anne-Marie a terminé d'éplucher son orange et elle fait des petites entailles dans un des
quartiers de peau.
ANNE-MARIE
(à Jean)
Mais ta sœur m'a dit que cette année, c'est à peu près sûr qu'il redouble.
JEREMY
Moi, je redouble pas.
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ANNE-MARIE
Ah non, faut pas redoubler, c'est pas bien ça. C'est interdit de redoubler.
(à Jean)
Et pour le cadeau, elle m'a dit : " C'est Jean qu'achète, il saura, et on le
rembourse après comme les autres fois ".
Jean hoche la tête.
Anne-Marie a glissé le morceau de peau d'orange qu'elle taillait depuis tout à l'heure entre sa
lèvres supérieure et sa gencive. Les petites entailles qu'elle a faites font comme des dents.
Elle s'adresse à Jérémy avec son "dentier" ridicule en changeant sa voix.
ANNE-MARIE
Tiens, passe-moi le pain.
Ça fait rire Jérémy.
ANNE-MARIE
Passe-moi le pain, je te dis.
Jean sourit.
5. INT / ESCALIER + COULOIR ETAGE MAISON JEAN / NUIT
Jean a pris son fils sur son épaule, un peu comme un sac de farine, pour l'emmener dans sa
chambre à l'étage. Il le chatouille, Jérémy rigole.
6. INT / CHAMBRE JEREMY / NUIT
Jérémy est dans son lit, sa petite lampe de chevet est allumée près de lui. Jean est allongé en
travers du lit, sa tête posée sur sa main.
JEREMY
Je Vous Salue Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec vous, vous êtes
bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.
Sainte Marie, priez pour nous…
JEAN
Non, Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous…
JEREMY
Ah oui… Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pécheurs,
maintenant et à l'heure de notre mort. Amen.
JEAN
C'est bien.
Allez Dodo.
Il lui fait une bise, éteint la lumière et quitte la chambre.
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7. INT / CUISINE MAISON / NUIT
Anne-Marie sort les bols du meuble de cuisine et les dispose avec les cuillères, les couteaux et
les serviettes sur la table afin que tout soit prêt pour demain matin. Sur chaque bol, il y a le
nom de son propriétaire… Jérémy… Jean… Anne-Marie.
8. INT / CHAMBRE MAISON JEAN / NUIT
Jean et Anne-Marie sont dans leur lit, ils regardent la télévision… un téléfilm.
Anne-Marie s'est blottie contre Jean.
Sur l'écran, deux personnages qui s'étreignent dans les bras l'un de l'autre en se déclarant leur
flamme.
Musique bien présente, dialogues explicatifs, ce n'est visiblement pas un chef d'œuvre mais
Anne-Marie est visiblement émue.
Jusqu'au moment où elle se redresse brusquement.
ANNE-MARIE
Ah, t'as pété…
Jean joue les innocents.
JEAN
Ben Doudou… qu'est-ce que tu racontes ?
ANNE-MARIE
Ah, t'es lourd, Jean.
Jean a du mal à ne pas se marrer.
JEAN
Mais non, je te dis.
Est-ce que t'as entendu quelque chose ?
ANNE-MARIE
Non mais c'est pire… C'est une infection, là.
Anne-Marie est quand même amusée par la situation.
Elle s'adosse à son oreiller pour continuer à regarder le film.
ANNE-MARIE
T'es pas cool.
JEAN
(pas vraiment crédible)
J'ai rien fait.
9. INT / USINE / JOUR
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Des bouteilles en verre s'entrechoquent bruyamment les unes contre les autres sur la chaîne
d'une usine avant d'être savamment guidées par la machine automatisée vers un rail où elles
sont rincées… puis séchées… puis remplies… puis étiquetées… puis scellées d'une capsule
en métal… avant de rejoindre le bout de la chaîne où Anne-Marie, en compagnie d'autres
ouvrières, les récupèrent pour les placer dans des cartons.
Gestes répétitifs et précis, Anne-Marie est concentrée sur son travail. Il faut aller vite pour
remplir les cartons puis les refermer et les sceller avec une grosse agrafeuse avant qu'ils
aillent s'empiler sur une palette.
10. EXT / CHANTIER / JOUR
Sur son chantier, Jean coule une dalle de ciment en compagnie de Mahmoud.
Leur patron, un homme d'une soixantaine d'années, les rejoint et leur dit bonjour en leur
serrant la main.
LE PATRON
Vous avez déjà fini derrière ?
MAHMOUD
Oui, on est resté un peu hier avec Jean.
LE PATRON
C'est bien, vous m'arrangez le coup, il va être rassuré le client.
(à Jean)
Je peux te voir deux minutes ?
Jean s'éloigne de quelques pas avec son patron.
LE PATRON
Dis-moi, il fait son boulot Mallard ?
JEAN
Oui, normal.
LE PATRON
Il fait bien sa part ?!
JEAN
Hum.
LE PATRON
Tu le vois pas picoler en loucedé ?
JEAN
Non non, ça va, il est bien.
LE PATRON
Et il est où là ?
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JEAN
Il est parti nous acheter du pain.
Le patron ne semble pas complètement convaincu.
LE PATRON
Il faut me dire hein, s'il déconne, je veux pas que ça recommence.
Jean acquiesce.
LE PATRON
Allez, à tout à l'heure.
Jean s'éloigne.
11. EXT / CHANTIER / JOUR
Jean et ses deux collègues – Mallard et Mahmoud – font une pause déjeuner. Ils se sont assis
en bordure du chantier.
Une femme obèse passe sur le trottoir d'en face.
Mallard la siffle comme pour flatter sa beauté. Ça fait marrer Jean mais il lui donne quand
même un coup de coude.
JEAN
Allez, arrête tes conneries.
Mallard, assez lourd, siffle à nouveau.
La femme leur jette un rapide regard en les traitant sans doute tout bas d'abrutis et poursuit
son chemin.
MALLARD
C'est la pêche au gros ça, c'est toute une technique. Alors c'est un peu
méfiant comme bestiau, mais quand t'en chope un, je peux vous dire que
c'est la fête au slip.
MAHMOUD
Il paraît que c'est vrai.
MALLARD
Mais c'est pas "il paraît" , c'est vrai. C'est parce que ces filles là, comme
elles le font pas souvent, quand elles le font, c'est comme quand toi tu fais
des crêpes, c'est la fête.
JEAN
(qui sourit)
N'importe quoi.
MALLARD
Si, je te jure, elles sont folles.
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Mallard repère quelqu'un d'autre de l'autre côté de la rue.
MALLARD
Tiens, ça aussi c'est de la grosse coquine …
Il siffle…
De l'autre côté de la rue, un lévrier afghan tourne fièrement la tête vers eux.
Tout le monde se marre.
12. EXT / CHANTIER / JOUR
Le travail a repris.
Mahmoud et Mallard sont près de la toupie.
Jean est au téléphone, un peu plus loin. Il a l'air inquiet.
JEAN
Qu'est-ce qui se passe ?…
T'as fait venir le docteur ?…
Là, je suis obligé de terminer un truc mais j'y vais tout de suite après. Je
t'embrasse.
Jean raccroche et rejoint ses collègues.
MAHMOUD
Ça va ?
JEAN
Il y a ma femme qui s'est coincé le dos au boulot.
13. INT / VOITURE JEAN / JOUR
Jean est au volant de sa voiture. Il s'est vite rhabillé et n'a pas pris le temps de se faire un brin
de toilette avant de partir.
Son téléphone sonne. Il décroche.
JEAN
…
Ouais, j'y vais là Doudou, je suis sur la route. Ça y est, le docteur est passé
?…
Ça va mieux ?…
D'accord, à tout à l'heure…
14. INT / COULOIR ECOLE / JOUR
Jean grimpe l'escalier qui mène au premier étage de l'école où il n'y a plus un seul bruit
d'élèves et s'engouffre dans le couloir qui donne sur les salles de classe. Il ne connaît
visiblement pas les lieux et aperçoit une femme de ménage qui nettoie une classe vide.
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JEAN
Excusez-moi, vous savez où se trouve la classe de Mademoiselle
Chambon ?
LA FEMME
C'est en haut de l’escalier, au bout du couloir à gauche.
JEAN
Merci.
15. INT / AUTRE COULOIR ECOLE / JOUR
Jean arrive au bout d'un autre couloir et se dirige vers une des salles. La porte n'est pas
fermée.
De l'autre côté de la salle de classe, de dos, silhouette frêle et élégante, mademoiselle
Chambon (38 ans), l'institutrice, regarde par la fenêtre.
Jean frappe deux petits coups à la porte pour signaler sa présence… La femme ne réagit pas.
Il frappe à nouveau, un petit peu plus fort… toujours pas de réaction. Il est un peu gêné, il
essaie à nouveau… elle se retourne enfin, confuse, en retirant les petits écouteurs qu'elle avait
dans les oreilles.
VÉRONIQUE
Oh pardon, excusez-moi.
Elle se dirige vers Jean, un sourire aux lèvres.
JEAN
Je suis le papa de Jérémy, je m'excuse, je suis un petit peu en retard.
VÉRONIQUE
Non non, ça va, il n'y a pas de problèmes, la directrice m'avait prévenue…
bonjour.
JEAN
Bonjour.
Ils se serrent la main.
VÉRONIQUE
Allez-y, entrez. Jérémy va revenir, il est parti aux toilettes.
Jean fait quelques pas en avant et attends. Il n'est pas très à l'aise dans cet endroit, il ne se sent
pas vraiment à sa place, gêné tout à coup par les traces de ciment resté sous ses ongles.
Véronique va glisser son lecteur de CD et ses écouteurs dans son cartable en même temps
qu'elle range ses affaires étalées sur son bureau.
VÉRONIQUE
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Alors comme il était un peu inquiet tout à l’heure, je lui ai bien expliqué que
sa maman n’avait rien de grave, juste mal au dos. C’est ce que m’a dit la
directrice.
JEAN
Oui, c'est ça, elle s'est fait ça au travail.
VÉRONIQUE
On en a profité aussi pour faire les devoirs. Comme ça, c'est fait.
JEAN
Ah, merci.
Un temps.
VÉRONIQUE
Allez-y, asseyez-vous si vous voulez.
JEAN
Non non, ça va, merci.
Il y a quelque chose d'imperceptible, comme une timidité réciproque, qui s'exprime
immédiatement entre Jean et l'institutrice.
Véronique va nettoyer le tableau avec la brosse. Jean regarde les va et viens de son bras.
VÉRONIQUE
Ça va, ça n'a pas été trop compliqué avec votre travail pour venir ?
JEAN
Non non, je suis parti un peu plus vite que les collègues mais ça a été. Mais
le temps d'arriver, comme on est sur un chantier de l'autre côté de la ville,
dans la rue de la piscine, ça a pris un peu de temps.
Véronique a terminé d'essuyer le tableau.
Elle s'adosse à son bureau.
Long silence.
JEAN
Ça va avec Jérémy, ça se passe bien ?
VÉRONIQUE
Oui oui, ça va, il suit bien. Il faudrait juste qu'il prenne un peu plus
confiance en lui à l’oral, qu'il ose plus facilement répondre. Parce que quand
on l'interroge, il sait.
Une porte qui se referme au loin et des pas qui résonnent dans le couloir.
VÉRONIQUE
C'est lui, ça…
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Effectivement, Jérémy entre bientôt dans la classe. Il sourit en voyant son père et va lui faire
une bise.
JEAN
Ça va, grand ?
Jérémy acquiesce.
JEAN
Tu ranges tes affaires ?
Jérémy range ses cahiers et ses livres.
Jean récupère le manteau de son fils qui était posé sur le dossier d'une chaise.
Véronique s'approche d'eux en restant à quelques pas.
VÉRONIQUE
Ah, et puis j'ai donné à tout le monde la photo de classe qu'on a faite en
début de semaine.
Jérémy a terminé de ranger ses affaires dans son cartable et il rejoint son père qui lui tient son
manteau pour qu'il l'enfile.
Véronique regarde ce papa qui se met à hauteur de son fils pour lui remonter sa fermeture
éclair avant de se relever pour prendre son cartable.
JEAN
On y va, grand ?
(à Véronique)
Bon ben au revoir… et merci encore.
Ils se serrent la main.
VÉRONIQUE
Non mais c'est normal. Et puis j'ai le temps.
Au revoir Jérémy, à demain.
JEREMY
Au revoir.
Jérémy et Jean quittent la salle de classe.
16. EXT / RUE / JOUR
Ils sortent de l'école et rejoignent la voiture garée de l'autre côté de la rue, en face de l'école.
Jérémy grimpe à l'arrière et Jean referme la portière derrière lui. Puis juste avant de se mettre
au volant, il jette un regard rapide en direction de la classe de mademoiselle Chambon…
17. INT / CLASSE / JOUR
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… Véronique ferme le store d'une des fenêtres de sa classe et le rideau qui se baisse laisse à
peine le temps à leurs regards de se croiser.
18. INT / CHAMBRE PARENTS MAISON JEAN / JOUR
Anne-Marie est assise dans son lit, sous sa couette, en train de regarder la télé.
Deux petits coups à sa porte… Jean et Jérémy entrent doucement.
JEAN
C'est nous.
ANNE-MARIE
Ah, mes hommes. Des bisous…
Jean et Jérémy vont l'embrasser.
JEAN
Ça va mieux ?
ANNE-MARIE
Je suis complètement bloquée.
Tout à l'heure, le médecin m'a fait une piqûre, ça va un peu mieux mais si je
bouge, n'importe quel mouvement, ça me fait super mal.
JEAN
Il t'a arrêtée ?
ANNE-MARIE
Ah oui, là c'est repos, au moins une semaine il a dit.
Ça va, t'es pas arrivé trop en retard ?
JEAN
Non non, ça va, il faisait ses devoirs avec la maîtresse.
ANNE-MARIE
Vous avez fait la dictée aujourd'hui ?
JEREMY
Hum.
ANNE-MARIE
T'as fait des fautes ?
JEREMY
Trois.
ANNE-MARIE
C'est trop, trois fautes.
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JEREMY
Mais c'est pas des grosses fautes ?
ANNE-MARIE
Tu me montreras ton cahier tout à l'heure.
Jérémy acquiesce.
JEAN
Tiens, montre à maman la photo de classe que la maîtresse t'a donnée.
Jérémy va sortir la photo de son cartable.
Anne-Marie essaie de se redresser dans le lit. Elle a mal.
JEAN
Mais reste allongée, bouge pas.
Ça te fait mal où ?
ANNE-MARIE
Là, partout en bas.
Jérémy revient près du lit avec la photo de classe.
Les enfants sont sagement alignés en trois rangées sur le cliché. Sur le côté, la maîtresse est
debout, souriante.
ANNE-MARIE
Et ben, tu vois, t'es joli avec ta chemise là, tu voulais pas la mettre.
JEREMY
Non, je voulais le maillot de foot.
ANNE-MARIE
Tiens demande à papa si on met un maillot de foot pour faire une photo.
JEAN
Ah non, il faut toujours une chemise pour la photo de classe, c'est obligé.
ANNE-MARIE
(en redonnant la photo à Jérémy)
Tu vas la mettre dans ta chambre ?
ANNE-MARIE
T'as encore des devoirs ?
JEREMY
Non, j'ai tout fait avec la maîtresse.
Jérémy sort de la chambre.
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ANNE-MARIE
Je suis désolée, j'ai pas eu le temps de repasser les chemises de ton père.
JEAN
Mais, t'inquiète pas.
ANNE-MARIE
Et puis je voulais aussi passer un coup d'aspirateur dans la maison, c'est tout
crade. Tout à l'heure, quand le docteur était là, je te jure j'avais honte.
JEAN
Mais arrête, c'est pas crade, t'as fait ça il y a deux jours.
Tu restes là, tu bouges pas, tu regardes la télé, je m'occupe des choses.
ANNE-MARIE
Tu pourras lui faire à manger pour ce soir ? T'auras qu'à lui faire du poisson
pané avec des petites pâtes, ce sera bien.
19. INT / CUISINE MAISON JEAN / SOIR
Jean ouvre les placards de la cuisine à la recherche de quelque chose que, visiblement, il ne
trouve pas.
Il sort de la cuisine et s'adresse à Jérémy qui regarde un dessin animé à la télé.
JEAN
Tu sais où elle met la poêle, maman ?
JEREMY
A côté des casseroles.
JEAN
Et tu sais où elle les met les casseroles ?
JEREMY
A côté de la cocotte… en dessous l'évier.
20. INT / CUISINE MAISON JEAN / SOIR
Les poissons panés sont en train de cuire dans la poêle. Ça fume pas mal. Jean les retourne…
Ils sont cramés.
21. INT / CUISINE MAISON JEAN / SOIR
Jean et Jérémy sont assis face à face dans la cuisine. Ils trempent un morceau de baguette
beurrée dans un bol de chocolat.
JEAN
Tu diras pas à maman.
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Jérémy dit non de la tête.
Jean se coupe du pain.
JEAN
Vous jouez contre qui samedi ?
JEREMY
Chavagne.
Jean fait une petite moue.
JEAN
C'est pas gagné.
22. EXT / JARDIN MAISON DU PERE / JOUR
Dans le jardin situé derrière la maison de son père, Jean retourne la terre à l'aide d'une bêche.
C'est un jardin méticuleusement entretenu où rien ne dépasse.
Sa canne à la main, son père (75 ans), assis à quelques mètres de là sur une chaise en toile,
l'observe attentivement. C'est un homme au visage et au corps fatigué qui a besoin d'une
assistance respiratoire. Deux tuyaux discrets reliés à une petite bouteille d'oxygène lui entrent
dans les narines. Mais malgré l'âge et la fatigue, il émane de lui une certaine autorité, une
fierté un peu raide.
Jean continue de bêcher.
23. EXT / JARDIN MAISON DU PERE / JOUR
Jean rince les outils au robinet situé contre le mur à l'extérieur de la maison. Son père vient en
récupérer un déjà lavé pour l'emporter dans la cabane à outils.
LE PÈRE
Faudra qu'on pense à désherber les rosiers aussi avant qu’ils se fassent
bouffer par les liserons. Ça fait pas propre.
24. INT / CUISINE MAISON DU PERE / JOUR
Les meubles en formica, la table recouverte d'une toile cirée aux motifs défraîchis, le flexible
qui pend au robinet, le grand évier carré… la cuisine de la maison du père de Jean est un
endroit propre et modeste où le temps semble s'être un peu figé.
Jean remplit une petite bassine.
25. INT / SALLE A MANGER MAISON DU PERE / JOUR
La télévision est allumée dans la salle à manger… Un jeu bruyant et coloré.
Sur le meuble, une photo de mariage des parents de Jean. Une photo aussi de Jean et de ses
sœurs lorsqu'ils étaient enfants ainsi qu'une vierge en plastique remplie d'eau de Lourdes.
Sa bassine pleine à la main, Jean pénètre dans le salon et rejoint son père qui l'attend assis sur
une chaise, les pieds nus, les jambes de son pantalon remontés jusqu'au genoux. Il a toujours
son assistance respiratoire.
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Jean dépose la bassine par terre et son père plonge ses deux pieds dans l'eau.
Jean s'assoit sur une chaise juste en face de lui et étale une serviette de toilette sur ses genoux.
JEAN
Ça va, la température ?
LE PÈRE
Ça va.
Un temps.
JEAN
Tu sais que t'as plus un slip avec un élastique qui tient ? Faudra que je t'en
rachète.
Jean plonge le gant de toilette dans l'eau.
JEAN
Tiens, amène ta jambe.
Le père de Jean sort une jambe de l'eau et la pose sur la serviette de toilette posée sur les
genoux de son fils. Jean lui lave le pied avec le gant et du savon.
LE PÈRE
Ça va mieux, Anne-Marie ?
JEAN
Ça va, elle est encore arrêtée quelques jours mais ça va mieux.
…
Tu sais, pour ton anniversaire, finalement on s'est dit que ce serait mieux de
faire ça le week-end du 7 juillet.
LE PÈRE
On avait dit le 1er.
JEAN
Oui mais c'est parce qu'en fait Christine sera pas encore en vacances. Elle a
dû changer ses dates et par rapport à la route à faire et son travail le
lendemain, c'est mieux pour elle le week-end d'après.
LE PÈRE
(un peu brusque)
Elle est pas obligée de venir si ça l'empêche de partir en vacances.
JEAN
Mais non justement, je te dis qu'elle part la semaine d'après au lieu de partir
le week-end du 1er. Et comme ici, c'est sur son chemin, c'est plus pratique
pour elle, c'est tout.
Ça lui fait plaisir de venir.
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26. INT / SALLE A MANGER MAISON DU PERE / JOUR
Le père de Jean est installé à la table de la salle à manger. Il a ouvert son journal devant lui.
La télévision est toujours allumée.
Jean rejoint son père, un petit sac de sport à la main.
JEAN
Bon, je t'ai récupéré ton linge sale, je t'ai rangé le propre. Tu fais pas
attention à comment tes chemises sont pliées, c'est moi qu'ai fait ça.
LE PÈRE
Tu m'as sorti les médicaments ?
JEAN
Sur la table de la cuisine.
Il va lui faire une bise rapide.
JEAN
Allez, j'y vais…
LE PÈRE
Faudra que tu m'emmènes chez Nicoleau aussi un de ces quatre, faut que ce
soit réglé ce truc là.
JEAN
Oui ben ça presse pas.
(en quittant la pièce)
Je te ferme la porte.
Jean s'en va.
Bruit de clé qui ferme la porte de la maison.
Le père reste seul face à son journal accompagné par le son de la télé.
27. INT / VESTIAIRE CHANTIER / JOUR
Fin de la journée de travail. Dans la cabine Algeco qui sert de vestiaire à l'équipe, Jean se lave
les mains dans un évier crasseux. A l'aide d'une petite brosse, il essaie d'enlever le maximum
des traces de ciment encore sous ses ongles.
Puis il s'essuie les mains, jette un œil sur sa montre et active un peu le mouvement en
s'habillant. Il retire son t-shirt et s'asperge copieusement de déodorant en spray. Il se sent sous
les bras et en rajoute un peu.
Mallard, un de ses deux collègues, arrive. L'odeur du déodorant lui saute au nez.
MALLARD
Houla, ça cocotte.
Il va sortir une bouteille de vin blanc de son armoire et se sert un petit verre.
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JEAN
Tu devrais faire plus gaffe avec ça, il est pas débile le patron, il devine.
MALLARD
Je fais ma part.
JEAN
Je te le dis, c'est tout, c'est pas pour t'embêter.
Mallard avale son verre de vin blanc et s'en ressert un autre.
Jean
JEAN
Ça va, Michette ?
MALLARD
Moyen moyen, c'est pas la grande forme en ce moment, elle est fatiguée.
(il regarde la photo d'une 2CV scotchée à l'intérieur de sa porte d'armoire)
Hein, t'es fatiguée ?
Va falloir mettre le nez là-dedans… Hein Michette ?
Jean se peigne rapidement face à un petit miroir.
JEAN
Tu me dis si t'as besoin d'un coup de main.
Allez, à demain.
Il lui serre la main et s'en va.
28. INT / SORTIE ECOLE / JOUR
Les parents d'élèves - plutôt des mamans - sont venus chercher leurs enfants à la sortie de
l'école.
Véronique, l'institutrice, échange quelques mots avec l'une d'entre elles près de la porte de
sortie et dit au revoir aux élèves qui s'en vont.
Jean arrive un peu essoufflé.
JEAN
Bonjour.
VÉRONIQUE
Bonjour.
Véronique appelle Jérémy.
Il y a toujours entre Véronique et Jean cette petite gêne imperceptible, même si Jean est moins
raide que la première fois.
JEAN
18
Ça a été ?
VÉRONIQUE
Très bien. On a fait sport aujourd’hui.
Un petit temps.
Jérémy rejoint son père, son cartable à la main.
JEAN
Ça va, grand ? T'as toutes tes affaires ?
JEREMY
Mmmh.
VÉRONIQUE
Excusez-moi, je pourrais vous demander quelque chose ?
Jean acquiesce
VÉRONIQUE
(hésitante)
Voilà, je vous explique. Une fois par mois, je demande à un parent d’élève
de venir parler de son travail devant la classe pour que les enfants voient ce
qu'ils auraient peut-être envie de faire plus tard… et samedi qui vient, c’était
le papa de Thibault qui devait être là mais sa femme vient de m'apprendre
qu'il pourra pas. Alors, je me suis dit que peut-être vous pourriez le
remplacer et parler de votre travail aux élèves.
JEAN
(déstabilisé)
Ben… je sais pas, je suis pas sûr que ce soit très intéressant. C'est du
bâtiment.
VÉRONIQUE
Non, c'est bien, je suis sûre qu'il y a plein de choses à raconter.
…
Et puis là pour être honnête, ça me rendrait vraiment service parce que sinon
on aura personne et c'est dommage je trouve pour les enfants.
Un petit temps.
JEAN
Ben, écoutez… moi je veux bien vous dépanner mais je sais pas si j'aurais
grand chose à dire.
VÉRONIQUE
Ce qu'on fait avec les élèves, c'est qu'on prépare des questions avant, comme
ça la conversation se fait plus facilement, c'est plus fluide.
Jean a encore une petite hésitation.
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JEAN
Ben, si ça peut vous rendre service, moi je veux bien.
VÉRONIQUE
C'est très gentil, je vous remercie.
JEAN
(à Jérémy)
Tu dis au revoir ?
JEREMY
Au revoir.
VÉRONIQUE
Au revoir.
Jean et son fils s'éloignent. Petit bonhomme, la main dans celle de son papa qui lui porte son
cartable.
29. INT / CUISINE MAISON JEAN / NUIT
Il fait nuit, la maison de Jean est endormie.
Sur la table de la cuisine, les bols sont déjà en place pour demain matin.
30. INT / CHAMBRE JEAN / NUIT
Jean et Anne-Marie font l'amour dans leur lit. Ou plutôt essaient… Anne-Marie a toujours
mal au dos. Elle est allongée, Jean est sur elle… mais l'entreprise n'est pas simple.
ANNE-MARIE
Attends, attends, attends, j'ai super mal, là…
Jean change de position. Mais Anne-Marie a toujours un peu mal.
ANNE-MARIE
Pas comme ça… Relève toi un peu.
Jean se redresse.
ANNE-MARIE
Vas-y, mets-moi un coussin sous le dos.
Jean prend un oreiller et le glisse sous Anne-Marie.
ANNE-MARIE
Ah non, c'est pire, il est trop gros.
Seulement à force de bouger, Jean commence à faiblir.
20
ANNE-MARIE
Non, t'en vas pas…
JEAN
Oui mais là, Doudou, j'ai l'impression que je vais te casser en deux.
Ça la fait rire.
ANNE-MARIE
Arrête de me faire rire, ça me fait mal.
Reste… Continue.
Jean essaie de trouver une position qui arrange Anne-Marie, une position où elle ne sentirait
pas son poids. Mais elle a mal dans toutes les positions et elle se marre.
Jean, qui rigole aussi, est obligé d'abandonner, essoufflé.
Un temps.
JEAN
Pour une fois que j'essayais de me faire une handicapée… c'est pas ça.
Ça les fait rire.
31. INT / SALON MAISON JEAN / JOUR
Anne-Marie va mieux, elle passe l'aspirateur dans le salon. Pas mal de feuilles par terre au
pied du ficus. Il n'a pas bonne mine. Elle aspire les feuilles qui disparaissent dans le tuyau.
La voix de Jean dans son dos la fait se retourner.
Il est dans l'encadrement de la porte.
JEAN
Ça va, comme ça ?
Il a mis une chemise qui lui donne un air très légèrement endimanché.
Anne-Marie coupe l'aspirateur et s'approche de Jean.
ANNE-MARIE
Ah ben oui, voilà, c'est bien.
Elle vient lui ajuster son col et fait disparaître du plat de la main un pli presque imaginaire sur
son épaule.
JEAN
C'est pas trop ?
ANNE-MARIE
Non, j'aime bien quand t'es comme ça, t'es beau.
T'as vu le ficus ? C'est de pire en pire, il perd toutes ses feuilles.
21
JEAN
C'est pas mon truc, ça.
Allez, on y va.
Jean rejoint son fils près de la porte d'entrée.
JEAN
T'es prêt ?
Jérémy acquiesce.
JEAN
A tout à l'heure.
Ils quittent la maison.
32. EXT / ECOLE / JOUR
La façade de l'école.
La cloche sonne pour indiquer le début des cours.
33. INT / CLASSE ECOLE / JOUR
Jean est debout près de Véronique, face aux élèves.
VÉRONIQUE
Alors est-ce que quelqu'un sait comment on écrit, maçon ?
Quelques mains se lèvent. Véronique donne la parole à un des enfants.
VÉRONIQUE
Oui…
ENFANT 1
M…A…deux S…O…N
VÉRONIQUE
Non, ça s'écrit pas avec deux S. Il y a un petit piège.
(à un autre élève)
Vas-y…
ENFANT 2
Ça s'écrit M…A…Ç…O…N
VÉRONIQUE
Bravo, exactement, ça s'écrit avec un C cédille, comme ça.
Elle écrit le mot "maçon" au tableau.
VÉRONIQUE
22
Et le papa de Jérémy qui est avec nous ce matin est donc maçon. Qu'est-ce
qu'on dit au papa de Jérémy ?
LES ÉLÈVES
BONJOUR MONSIEUR !
Jean est un peu intimidé.
JEAN
Bonjour.
VÉRONIQUE
Et il est venu aujourd'hui pour nous parler de son métier. Donc comme
d'habitude, d'abord on écoute et après on posera des questions. D'accord ?
(à Jean)
Voilà, c'est à vous, je vous laisse la parole.
Jean ne sait pas trop par quoi commencer. Il croise le regard de son fils qui est lui aussi un peu
tendu, comme si son père était monté sur une scène de théâtre. Jean n'est pas très hardi au
départ, ce n'est pas son habitude de parler devant une assemblée.
JEAN
Alors, comme vous l'a dit votre maîtresse, je suis maçon, c'est à dire que je
construis des maisons ou je les rénove…
VÉRONIQUE
(qui l'interrompt)
Rénover, les enfants, ça veut dire qu'à partir d'une maison ancienne, on en
fait une neuve.
JEAN
Oui, voilà c'est ça, pardon.
Enfin, je dis "je" mais je suis pas tout seul, on est toujours plusieurs dans
une équipe.
Il ne sait pas trop sur quoi enchaîner.
Il tourne son regard vers Véronique comme pour chercher une aide.
VÉRONIQUE
Ce qu'on va faire, on va imaginer que j'ai un terrain tout vide, je veux
construire une maison dessus, une maison neuve, d'abord est-ce que c'est
vous qui dessinez la maison ?
JEAN
Ah non, ça c'est l'architecte. Lui, il dessine la maison, il fait des plans, et
nous on fait ce qu'il a décidé.
VÉRONIQUE
23
Voilà, on va imaginer une maison normale, pas trop grande, pas trop petite,
quand les maçons arrivent pour la construire, qu'est-ce qu'ils font en
premier ?
JEAN
Alors, que la maison soit grande ou petite, la première chose qu'on fait, c'est
les fondations. Les fondations, c'est une grosse plaque de ciment très solide
qu'on coule, on appelle ça une chape, et on va construire la maison dessus.
34. INT / CLASSE / JOUR
Les élèves posent maintenant des questions à Jean qui a pris de l'assurance par rapport au
début de son intervention.
ENFANT 3
Et combien de temps il faut pour construire une maison ?
JEAN
Ah ben ça, ça dépend. Mais en règle générale un mois, un mois et demi, pas
plus.
Les enfants sont surpris et réagissent par des "Oh" et des "Ah".
JEAN
Quand je dis ça, c'est juste les murs. Après, il y a le plombier, l'électricien,
le plâtrier, le menuisier qui doivent passer. Et ça, ça prend encore plusieurs
semaines.
ENFANT 4
Et est-ce qu'une maison, quand elle est construite, elle est construite pour
toute la vie ?
JEAN
Si elle est bien construite, normalement oui, c'est pour longtemps. C'est fait
pour durer.
Véronique fixe avec attention le profil de Jean. Elle est troublée par la gentillesse, la
simplicité, la force et la timidité qui se dégage de lui.
Un enfant lève la main.
ENFANT 5
Et il faut combien de parpaings pour construire une maison ?
JEAN
(qui sèche)
Ben là… je peux pas vous dire exactement, j'ai jamais vraiment compté.
Peut-être 1500 - 2000.
Encore des "Oh" et des "Ah" d'étonnement chez les enfants.
24
Ça fait sourire Jean. Il tourne son visage et croise le regard de Véronique qui sourit elle aussi.
ENFANT 6
Comment est-ce que vous avez commencé à fabriquer des maisons ?
JEAN
Alors au départ, quand j'avais à peu près ton âge, j'allais de temps en temps
sur les chantiers avec mon père qu'était maçon lui aussi, donc je voyais
comment ça se passait et petit à petit, j'ai trouvé ça intéressant, j'ai voulu
faire comme lui et c'est devenu mon métier.
ENFANT 6
Est-ce que c'est un métier qui salit les mains ?
JEAN
Ah ben un petit peu quand même, c'est comme quand vous faites de la
peinture, on s'en met un peu partout. Mais un petit coup de savon le soir et
c'est bon.
Les enfants sont en panne de questions.
Véronique les regarde un instant puis vient à la rescousse.
VÉRONIQUE
Moi ce que j'aimerais bien que vous nous disiez, c'est ce qui vous plaît
vraiment dans votre travail, ce qui vous paraît le plus intéressant.
Un petit temps de réflexion.
JEAN
Et ben… je crois que ce qui me plaît le plus, c'est que quand vous êtes
maçon, tous les jours il y a quelque chose de nouveau. Quelque chose qu'on
pensait faire comme ça et puis finalement on peut pas et il faut trouver une
autre solution. Il faut être ingénieux. Et ça j'aime bien…
Véronique ne quitte pas Jean du regard.
JEAN
… Et puis c'est vrai que quand vous arrivez quelque part, qu'il y a rien du
tout et que vous repartez quelques semaines plus tard avec une maison
qu'est construite, à chaque fois ça fait quelque chose, c'est normal. On est
content. On imagine les gens qui vont vivre dedans…
Soudain, la cloche retentit, les élèves commencent à s'agiter.
VÉRONIQUE
Attendez… attendez… une petite minute.
(la cloche s'arrête)
Voilà, est-ce que ça vous a plu ce matin d'apprendre comment on construit
des maisons ?
25
LES ÉLÈVES
OUIIIII….
VÉRONIQUE
Alors, avant de partir, on va tous remercier le papa de Jérémy qui est
gentiment venu nous parler de son métier. Qu'est-ce qu'on dit ?
LES ÉLÈVES
MERCI MONSIEUR….
Jean sourit.
Son fils, Jérémy, semble assez fier de son père.
VÉRONIQUE
(aux élèves)
Vous prenez votre manteau dans le couloir et vous m'attendez dans le hall
en bas avant de sortir dehors.
Les élèves se lèvent dans un grand brouhaha de chaises qui glissent sur le sol.
Véronique est troublée par Jean.
VÉRONIQUE
Ça va, ça vous a plu ?
JEAN
Oui oui, c'était drôle. Ils posent plein de questions.
VÉRONIQUE
C'était très bien.
C'était simple, c'était clair… très instructif. On a appris plein de choses.
Vraiment, merci.
JEAN
Ben, de rien, merci à vous.
VÉRONIQUE
Je pourrais vous poser une question ? C'est juste un renseignement.
Jean acquiesce.
VÉRONIQUE
J'ai une fenêtre chez moi dans mon salon qui laisse passer pas mal d'air et
puis il y a surtout une fuite quand il pleut. D'après vous, pour faire réparer, il
faudrait que je m'adresse plutôt à un maçon ou à un menuisier ?
JEAN
26
Ben ça dépend. Ça dépend s'il faut juste réparer un peu la fenêtre ou tout
changer. Mais peut-être qu'il suffit juste de mettre un joint, c'est peut-être
pas grave.
VÉRONIQUE
Là, honnêtement, je pourrais pas vous dire, je suis nulle dans ces trucs là.
Mais c'est quand même bien abîmé.
Un petite seconde d'incertitude.
JEAN
Je pourrais regarder ça, si vous voulez ?
Véronique est un peu déstabilisée.
VÉRONIQUE
Oui mais je voudrais pas que ça vous embête.
JEAN
Non mais ça m'embête pas.
35. EXT / RUE DEVANT IMMEUBLE / JOUR
La voiture de Jean arrive au pied d'un petit immeuble. Véronique est assise sur le siège
passager, Jérémy est à l'arrière.
36. INT / VOITURE JEAN / JOUR
JEAN
(à Jérémy)
Tu veux monter ou attendre dans la voiture ? J'en ai pas pour longtemps.
JEREMY
Je reste dans la voiture. Tu mets la radio ?
Jean remet la clé de contact pour mettre la radio en marche. Puis il suit Véronique vers
l'entrée de son immeuble.
37. INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Véronique entre dans son appartement suivie de Jean qui s'essuie les pieds avant d'entrer.
C'est un petit appartement d'une cinquantaine de mètres carrés où l'entrée donne sur le salon,
lui-même séparé de la cuisine par un bar. Jean n'est pas très à l'aise dans ce lieu qu'il ne
connaît pas. Les livres, les disques, les reproductions de peintures au mur ou les quelques
portraits de musiciens ou d'auteurs célèbres, bref cet intérieur d'une personne cultivée intimide
Jean. Même si Véronique ne met aucune distance entre eux.
VÉRONIQUE
Vous voulez boire quelque chose ?
27
JEAN
Non non, merci, ça va.
…
C'est quelle fenêtre ?
VÉRONIQUE
C'est celle-là.
Véronique déplace un pupitre sur lequel est posé une partition.
Jean va inspecter la fenêtre…
Son verdict est rapide.
JEAN
Ah mais elle est morte cette fenêtre en fait. Vous voyez, là, les huisseries…
c'est complètement pourri, c'est tout bouffé.
Véronique s'approche de la fenêtre pour regarder le problème.
VÉRONIQUE
Et ça peut se réparer ?
JEAN
Ben dans cet état-là, il faudrait mieux la changer. Parce que dans pas
longtemps, c'est le mur qui va s'abîmer. Ça commence d'ailleurs.
Vous voyez là…
Véronique regarde l'endroit qu'Jean lui indique sous la fenêtre.
VÉRONIQUE
Ah oui d'accord…
C'est des gros travaux ça ?!
JEAN
Ben, il faut enlever le châssis, en installer un autre, mettre une fenêtre
double-vitrage, faire les raccords, c'est pas compliqué mais c'est un peu de
travail, oui.
VÉRONIQUE
Et ça peut coûter combien de faire ça ?
JEAN
Une fenêtre comme ça, c'est entre 500 et 600 Euros.
Véronique fait une petite moue.
VÉRONIQUE
Ah oui, quand même.
28
Un temps.
JEAN
Ça, c'est des prix d'entreprises. Mais on peut toujours s'arranger pour faire à
moins cher.
VÉRONIQUE
Comment vous feriez ?
JEAN
Ben déjà, si vous voulez, je pourrais vous l'installer la fenêtre, ce serait
moins cher qu'une entreprise.
VÉRONIQUE
Vous savez faire ça ?
JEAN
Ah ben oui, j'en pose souvent.
Ça, c'est une après-midi de travail.
VÉRONIQUE
Moi, je veux bien mais je veux pas que ça vous dérange.
JEAN
Non mais ça me dérange pas.
VÉRONIQUE
Et vous pourriez faire ça quand ?
JEAN
Ben, il faut que ce soit plutôt un samedi. N'importe lequel. Le week-end
prochain, c'est possible.
VÉRONIQUE
Oui, c'est bien le week-end prochain. Euh non…
Si si, le week-end prochain, c'est bien.
Un temps.
Ils ne savent pas trop sur quoi enchaîner.
JEAN
Et vous voudriez plutôt du bois ou plutôt du PVC ?
VÉRONIQUE
(après une petite hésitation)
Non, plutôt du bois… comme ça, je pourrai la peindre de la couleur que je
veux, ce sera mieux.
38. INT / CUISINE MAISON JEAN / NUIT
29
Anne-Marie est en train de faire la vaisselle dans l'évier.
Jean est près d'elle, un torchon à la main. Il essuie ce qui est déjà lavé et va le ranger au fur et
à mesure.
ANNE-MARIE
Tu sais ce que je me disais ? Ce serait sympa d'inviter la maîtresse de
Jérémy à manger un jour.
JEAN
Pour quoi faire ?
ANNE-MARIE
Ben, comme ça, pour la remercier de t'avoir donné du travail. Elle est là que
depuis septembre, elle doit pas connaître grand monde.
Jean réagit un peu brusquement.
JEAN
Je lui change sa fenêtre, elle me paie, c'est normal. Je vois pas pourquoi on
l'inviterait à manger. On la connaît pas.
Anne-Marie est un peu surprise par la réaction de Jean mais elle n'insiste pas.
ANNE-MARIE
Non mais c'était comme ça.
39. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Véronique décroche les rideaux installés devant sa fenêtre du salon et les plie.
40. INT / CUISINE VERONIQUE / JOUR
Véronique coupe le ruban qui entoure une boîte en carton dans laquelle les pâtissiers mettent
les gâteaux. Elle en sort des petits macarons de toutes les couleurs qu'elle dispose au fond
d'une assiette en dessinant une tête de clown avec deux yeux verts, un nez rose et une bouche
souriante multicolore.
41. INT / SALLE DE BAIN VERONIQUE / JOUR
Véronique se lave les mains au dessus du lavabo de sa salle de bains. Elle relève la tête et se
regarde un court instant dans le miroir. Puis elle prend la serviette de toilette et s'essuie les
mains. Là, elle se regarde à nouveau dans le miroir et, dans un geste délicat, arrange
légèrement sa coiffure. Puis elle semble penser à quelque chose, arrête son geste et sort de la
salle de bain.
42. INT/ CUISINE VERONIQUE / JOUR
30
Véronique défait la tête de clown qu'elle avait dessinée dans l'assiette avec les macarons et
redispose les petits gâteaux pour faire apparaître une marguerite. Voilà, c'est mieux, elle est
plus satisfaite.
43. EXT / DEVANT PAVILLON JEAN / JOUR
La voiture de Jean est garée dans la petite allée qui mène à son garage dont la porte métallique
est restée ouverte. Il charge une fenêtre dans le coffre du véhicule puis dépose à côté des
outils de maçonnerie.
Puis il retourne dans le garage et s'adresse à Anne-Marie par la porte qui communique avec
l'intérieur de la maison.
JEAN
Bon ben, j'y vais.
ANNE-MARIE
(off)
Oui, à tout à l'heure. Bisous.
Il ressort du garage, monte dans sa voiture et s'en va.
44. INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Véronique ouvre la porte de son appartement.
VÉRONIQUE
Bonjour.
JEAN
Bonjour.
VÉRONIQUE
Allez-y, entrez.
Jean entre et dépose ses outils près de la fenêtre.
45. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Jean déplie maintenant une grande bâche en dessous de la fenêtre.
Véronique est à quelques pas, elle se sent un peu inutile.
Jean désigne l'étui à violon posé pas très loin de la fenêtre.
JEAN
Ça, ce serait mieux de le mettre un peu plus loin pour pas risquer de
l'abîmer.
Véronique prend l'étui et le pose ailleurs.
Jean poursuit la préparation de son chantier. Il se sent observé, il est un peu embarrassé.
Véronique devine bien qu'elle ne sera d'aucune utilité.
31
VÉRONIQUE
Bon… si vous avez besoin de quelque chose, je suis à côté, vous me dites.
Et puis je vous ai préparé des petits gâteaux si vous avez faim.
JEAN
D'accord.
VÉRONIQUE
Je vous laisse…
Et si vous voulez boire quelque chose, vous vous servez dans le frigo.
Elle quitte la pièce.
46. INT / CHAMBRE VERONIQUE / JOUR
Véronique est assise à son bureau dans sa chambre, elle corrige les cahiers de ses élèves.
Soudain des bruits de coups de marteaux dans la pièce d'à côté. Elle relève la tête, intriguée.
Cela dure un temps puis le silence se fait durant quelques secondes avant que nous entendions
le bruit strident d'une meuleuse. Véronique se lève et va coller son oreille contre le mur. Puis
elle va se rasseoir quand le silence se fait à nouveau. Mais dès qu'elle est assise, surgit le bruit
encore plus fort d'une scie sabre qui fait vibrer tout l'appartement.
46 a. INT / PETIT COULOIR / JOUR
La porte de la chambre s'ouvre lentement et Véronique va discrètement regarder ce qui se
passe dans son salon.
Jean termine de faire des entailles dans le cadre de la fenêtre (dormant) avec sa scie sabre puis
à l'aide d'un burin, d'un marteau et d'un pied de biche descelle les morceaux du cadre fixés
contre le mur.
Véronique reste un moment à regarder Jean comme une petite souris. Elle fixe ses gestes
sûrs… ses bras… son cou… son dos… Lui, ne s'en rend pas compte et continue comme si de
rien n'était. Puis elle referme la porte et retourne à ses cahiers.
46 b. INT / CHAMBRE VERONIQUE / JOUR
Véronique s'est rassise devant sa table elle a du mal à se concentrer.
47. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Jean termine d'arracher l'intégralité du dormant puis avec son burin et son marteau fait sauter
les reliefs de ciment dans la cadre.
Il passe ensuite un coup d'aspirateur pour retirer les morceaux de ciment qui se sont
décrochés.
Il vient ensuite poser le nouveau cadre et perce des trous dedans pour le fixer au mur avant de
le faire définitivement tenir à l'aide de grandes vis. Puis il vérifie avec son niveau si tout est
bien droit.
32
Il s'agit maintenant de faire le joint en silicone entre le nouveau dormant et le mur (côté rue).
Armé d'un pistolet à joint, il rempli copieusement l'interstice avant de le lisser avec une petite
cuiller.
Véronique entre dans la pièce pour aller dans la cuisine séparée du salon par le bar.
VÉRONIQUE
Ça va, ça se passe bien ?
JEAN
Ça va.
Véronique met de l'eau dans une bouilloire en plastique et la repose sur son socle pour la faire
chauffer.
VÉRONIQUE
Je me fais un thé, vous en voulez un ?
JEAN
Non non, ça va, merci.
Le temps que l'eau chauffe, elle regarde Jean qui continue son travail.
Sans doute parce qu'il sent le regard de la jeune femme sur lui, Jean tourne son visage vers
elle.
Leurs regards se croisent et restent accrochés l'un à l'autre un court instant. Puis Véronique se
détourne et va prendre une tasse et un sachet de thé.
L'eau est chaude…
Véronique la verse dans la tasse et retourne dans la chambre.
48. INT / CHAMBRE VERONIQUE / JOUR
Véronique est assise à nouveau près de son bureau, sa tasse de thé entre les mains. Elle a
légèrement tourné sa chaise sur le côté et, un coude posé sur sa table de travail, elle fait
presque face à la fenêtre de sa chambre. Elle fixe la fumée qui s'échappe de sa tasse de thé
qu'elle n'a pas encore entamée. Les bruits de l'extérieur ne semblent plus lui parvenir.
49. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Accroupi au milieu du salon, Jean prépare maintenant une petite bassine de plâtre pour faire
les raccords entre le dormant et le mur à l'intérieur de la pièce.
La poudre blanche… puis l'eau… comme un cuisinier qui préparerait un plat, il remue à l'aide
de sa spatule le mélange qui s'épaissit lentement… Son esprit semble ailleurs.
Il ralentit petit à petit son geste… s'arrête complètement puis relève le visage en direction de
la chambre de Véronique
50. INT / CHAMBRE VERONIQUE / JOUR
Et comme si elle devinait le regard de Jean vers elle, Véronique tourne légèrement la tête vers
le mur qui sépare sa chambre du salon. Un temps… puis elle détourne son visage pour
regarder vers la fenêtre. Quelque chose d'infiniment paisible se dégage d'elle.
33
51. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Jean fait ses raccords de plâtre tout autour de la fenêtre. Peut-être son esprit est-il légèrement
ailleurs aussi.
51 a. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Puis Jean reste assis un instant devant la fenêtre sur sa caisse à outils le temps que le plâtre
sèche.
51 b. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Lorsque c'est sec, il gratte les reliefs de plâtre avec un grattoir…
51 c. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
… passe l'aspirateur à nouveau et…
51 d. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
… pose les baguettes autour de la fenêtre.
51 e. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Enfin, il pose les deux battants de la fenêtre et vérifie l'ouverture et la fermeture une ou deux
fois. Il prend un peu de recul pour juger de l'effet et, perfectionniste, essuie un coin de la vitre
avec un chiffon.
51 f. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Le travail est terminé, Jean rince ses outils dans une bassine d'eau.
52. INT / PETIT COULOIR APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Il n'y a pas un bruit dans l'appartement.
Jean s'approche de la chambre de Véronique et l'appelle doucement...
JEAN
Mademoiselle…
Pas de réponse.
Il s'approche de la porte de la chambre restée très légèrement entrouverte.
Il la pousse à peine, juste assez pour voir…
Par la petite ouverture, il découvre Véronique allongée sur son lit, endormie, un livre près
d'elle.
Il la regarde un instant. Sa main posée près de son visage… Ses pieds nus…
Il ne veut pas la réveiller et retourne dans le salon.
34
53. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Ses outils sont rangés… la place est propre.
Il manque deux pétales à la marguerite que Véronique avait dessinée avec les macarons. Jean
mange un des gâteaux et, avec précaution, regarde les livres sur les étagères et les quelques
photos accrochées au mur.
Sur l'une d'entre elles, Véronique est avec ses parents et sa sœur aînée dans un jardin. Son
père dégage quelque chose de sévère. Il pose une main protectrice sur l'épaule de la sœur qui
se trouve légèrement en avant. Véronique, elle, est à côté de sa mère, sur la droite de la photo.
Au fond, une maison assez cossue.
Il y a aussi quelques photos de montagnes enneigées.
Sur une autre photo, Véronique joue du violon. Elle est plus jeune. Elle est sur une scène de
théâtre.
Jean s'approche de l'étui à violon que Véronique a posé dans un coin de la pièce. Il jette un œil
en direction de la chambre… pas un bruit… Il ouvre précautionneusement l'étui et découvre
l'instrument allongé sur son lit de velours rouge.
D'un doigt épais il gratte timidement une corde qui émet un son étouffé.
54. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Jean est maintenant assis sur le canapé. Il attend…. Il a pris un magazine qu'il feuillette. Un
bruit dans la pièce d'à côté… Jean repose le magazine rapidement… Véronique le rejoint.
VÉRONIQUE
Excusez-moi, je me suis endormie.
Il fallait me réveiller.
Jean se lève.
JEAN
Non mais je viens juste de terminer.
Véronique découvre la fenêtre.
VÉRONIQUE
Ah mais c'est super…
Elle va ouvrir puis refermer les battants à deux reprises. Elle est sincèrement émerveillée par
le travail de Jean.
VÉRONIQUE
Ah c'est extraordinaire. Et en plus, on n'entend plus rien de l'extérieur quand
c'est fermé. C'est tout calme.
Jean est touché par la joie enfantine de Véronique devant son travail.
55. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
Véronique remplit deux tasses de thé. Elle en prend une et tend l'autre à Jean.
35
Ils boivent une gorgée en silence.
Un long temps.
JEAN
Je pourrais vous demander quelque chose ?
VÉRONIQUE
Oui.
JEAN
Ça va peut-être vous paraître un peu bizarre mais il y a une chose qui me
ferait plaisir, parce que j'en ai entendu une fois à la télé, c'est que vous me
jouiez un petit air de…
Il désigne le violon.
JEAN
… votre instrument, là.
Peut-être que vous appelez pas ça un air, d'ailleurs.
VÉRONIQUE
Si si, on peut dire un air.
Véronique a un temps d'hésitation.
VÉRONIQUE
Non mais ça va être nul, j'ai pas envie.
Silence.
VÉRONIQUE
Vous allez être déçu.
JEAN
J'insiste pas alors.
Véronique dit non de la tête.
Un temps.
JEAN
Vous allez la peindre de quelle couleur, votre fenêtre ?
VÉRONIQUE
Je sais pas, peut-être en vert. Ou en bleu, je sais pas.
Un temps.
VÉRONIQUE
Vous aviez entendu quel morceau à la télé ?
36
JEAN
Ah ça, j'en sais rien. Je sais juste que j'avais plutôt bien aimé. Ça m'avait
plu.
Véronique hésite. Elle a pourtant bien envie de faire plaisir à Jean.
VÉRONIQUE
Le problème, c'est que ça fait longtemps que j'ai pas joué devant des gens.
JEAN
Et ben, vous n'avez qu'à me tourner le dos, comme ça vous serez pas devant
moi.
L'idée fait sourire Véronique.
Elle hésite encore un instant puis repose sa tasse et se décide à aller chercher son violon dans
l'étui. Puis elle s'empare de l'archet dont elle resserre le crin.
Elle tourne le dos à Jean et cale son instrument entre son menton et son épaule. Elle fait
glisser l'archer sur les cordes pour vérifier l'accord, tourne une ou deux chevilles à l'extrémité
du manche pour retendre les cordes et marque un petit temps d'arrêt tout en respirant
profondément pour calmer les battements de son cœur. Puis elle soulève l'archet qu'elle tient
un instant en suspension au dessus des cordes et commence à jouer. D'abord légèrement mal
assurée, elle prend peu à peu confiance en elle et joue finalement très bien.
Jean reste suspendu aux mouvements de l'archet de Véronique. Il est saisi par une émotion
très profonde et ne parvient pas à détacher son regard du profil perdu de la jeune femme qui
lui tourne le dos. Et il l'écoute longuement, sans bouger.
56. INT / VOITURE JEAN / JOUR
La musique se poursuit…
Jean est au volant de sa voiture, le regard fixé sur la route devant lui, encore bouleversé par ce
qu'il a ressenti chez Véronique.
57. EXT / ROUTE / JOUR
Musique…
Jean arrête sa voiture sur le bord de la route. Il coupe le moteur et reste un long moment
presque immobile. Il tente de reprendre sa respiration devenue très courte puis jette un long
regard autour de lui.
58. INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Musique…
Véronique s'est appuyée contre le chambranle d'une porte de son appartement et reste aussi un
long moment suspendue dans ses pensées.
Elle regarde les macarons posés dans l'assiette qui dessinent une marguerite à laquelle il
manque deux pétales.
59. INT / MAISON JEAN / JOUR
37
Fin de la musique cut.
Jean rentre chez lui. Il accroche sa veste à la patère près de l'entrée. Il a retrouvé ses esprits
mais force tout de même un peu son naturel.
JEAN
C'est moi.
ANNE-MARIE
(off)
On est là.
60. INT / SALON MAISON JEAN / JOUR
Jean rejoint sa femme et son fils qui jouent aux petits chevaux dans le salon tout en mangeant
chacun une tartine de Nutella.
Il les embrasse tous les deux.
JEAN
Qui c'est qui gagne ?
JEREMY
C'est moi.
Jean s'installe près d'eux et les regarde jouer. Il est là et en même temps, il n'est pas
complètement présent.
ANNE-MARIE
Ça va, ça s'est bien passé ?
JEAN
Très bien.
Un petit temps.
Jérémy lance son dé et avance son pion…
ANNE-MARIE
(à Jérémy)
Hé, Titi, regarde.
Jérémy relève la tête…
Anne-Marie lui sourit exagérément avec du Nutella plein les dents.
Jérémy se marre.
Jean force un sourire.
61. EXT / TERRAIN DE FOOTBALL / JOUR
C'est jour de match de foot. Jérémy est au milieu du terrain en train de courir après le ballon.
Sur la touche, l'entraîneur donne ses instructions aux gamins.
38
Accoudé à la barre qui entoure le terrain, Jean regarde le match sans vraiment beaucoup
d'attention. Il est pensif.
A côté de lui, un autre papa.
L'HOMME
Il est fort le N°7, il est fort pour son âge. Vous trouvez pas ?
JEAN
(ailleurs)
Si si.
62. INT / CUISINE / SOIR
Anne-Marie est debout devant son plan de travail en train de préparer le repas.
Au bout d'un moment, Jean s'approche d'elle par derrière et la serre dans ses bras.
JEAN
Tu fais quoi ?
ANNE-MARIE
Un gloubiboulga.
Ça fait sourire Jean.
JEAN
Pas trop cuit, tu fais attention.
Un temps.
JEAN
Tu sais ce que j'aimerais bien qu'on fasse demain s'il fait beau ?
ANNE-MARIE
Non.
Jean lui dit quelque chose tout bas dans l'oreille.
ANNE-MARIE
Tout à l'heure j'ai eu exactement la même idée.
63. INT / VOITURE / JOUR
Il fait beau… Jean est au volant de sa voiture sur une route de campagne. Anne-Marie est
assise près de lui, Jérémy est à l'arrière. Ambiance de dimanche ensoleillé, Anne-Marie et
Jérémy chantent.
ANNE-MARIE & JEREMY
Je frappe au numéro 3,
Je demande mademoiselle Angèle,
39
La concierge me répond,
Mais quel métier fait elle ?
Elle fait des pantalons, des jupes et des jupons,
Et des gilets de flanelle,
Elle fait des pantalons, des jupes et des jupons,
Et des bonnets de coton,
Ah Ah Ah Ah, je ne connais pas,
Ce genre de métier là,
Allez voir à côté…
Je frappe au numéro 4,
Je demande mademoiselle Angèle,
La concierge me répond,
Mais quel métier fait elle ?
Elle fait des pantalons, des jupes et des jupons,
Et des gilets de flanelle,
Elle fait des pantalons, des jupes et des jupons,
Et des bonnets de coton,
Ah Ah Ah Ah, je ne connais pas,
Ce genre de métier là,
Allez voir à côté…
La voiture de Jean s'engage dans l'allée d'un bois.
64. EXT / BOIS / JOUR
La voiture est garée à l'entrée du bois.
Plus loin, dans un endroit un peu dégagé, Jean, sa femme et Jérémy ont installé une nappe sur
l'herbe sur laquelle repose assiettes, verres, couverts et nourriture. Ils en sont au dessert.
Il y a aussi une bouteille de vin rosé presque terminée. Jean et Anne-Marie sont très très
légèrement gris.
Jérémy a son livre de français à la main. Il lit tout haut un exercice.
JEREMY
"Le service de maintenance a rédigé ce rapport à la demande du directeur".
Situez le complément d'objet direct dans cette phrase.
Jean et Anne-Marie restent un peu interdits.
ANNE-MARIE
Le complément d'objet direct…
JEAN
Vas-y, redis la phrase.
JEREMY
"Le service de maintenance a rédigé ce rapport à la demande du directeur".
40
ANNE-MARIE
Le complément d'objet direct, c'est quoi ça déjà ?
JEREMY
Ben, la maîtresse, elle a dit que pour trouver, il fallait dire "qu'est-ce que".
ANNE-MARIE
Qu'est-ce que quoi ?
JEREMY
Ben… "Qu'est-ce que". C'est ce qu'elle a dit.
JEAN
Oui mais qu'est-ce que quoi ? Elle a raison maman.
JEREMY
Elle dit, quand vous lisez la phrase, pour trouver le complément d'objet
direct, il faut dire "qu'est-ce que".
ANNE-MARIE
Mais ils disent dans ton livre ce que c'est le complément d'objet direct ?
Jérémy revient quelques pages en arrière… et trouve.
JEREMY
Complément d'objet direct… COD. Le complément d’objet direct dépend
d’un verbe transitif direct. Il lui est directement relié, sans préposition. Il
répond à la question qui est-ce que ? qu’est ce que ?
L'explication totalement obscure plonge Anne-Marie et Jean dans un abîme de perplexité. Ce
qui a une tendance à les faire sourire.
ANNE-MARIE
Redis ça…
JEREMY
Le complément d’objet direct dépend d’un verbe transitif direct. Il lui est
directement relié, sans préposition. Il répond à la question "qui est-ce que ?
qu’est ce que ?".
ANNE-MARIE
(en lui demandant le livre)
Fais voir.
Jérémy donne son livre.
ANNE-MARIE
(qui lit lentement pour tenter de comprendre)
41
Le complément d’objet direct dépend d’un verbe transitif direct – déjà c'est
quoi transitif direct - Il lui est directement relié, sans préposition. Il répond
à la question "qui est-ce que ? qu’est ce que ?".
Elle pousse un soupir.
JEAN
C'est quoi "transitif " ?
Jérémy ne sait pas.
Anne-Marie cherche dans la table des matières.
ANNE-MARIE
Transitif… page 45… Voilà…
Un verbe transitif est un verbe accompagné d'un complément d'objet (Il
mange une pomme). La plus grande partie des verbes actifs sont tantôt
transitifs (directs ou indirects) tantôt intransitifs - c'est-à-dire qu'ils peuvent
être construits avec ou sans complément. Mais quelques-uns sont transitifs
ou intransitifs de nature, essentiellement, c'est-à-dire qu'ils exigent ou ne
peuvent pas être construits avec un complément.
Le charabia grammairien la fait sourire tellement elle ne comprend rien.
ANNE-MARIE
T'as compris quelque chose ?
JEAN
(qui sourit aussi tant il ne capte rien)
Ben… c'est le complément d'objet direct, c'est ça.
Ils se marrent.
JEREMY
Ben non, il faut pas rigoler.
ANNE-MARIE
Oh ben dis… on réfléchis.
JEREMY
Alors, c'est quoi le complément d'objet direct dans la phrase ?
ANNE-MARIE
On cherche… on cherche, mon titi.
(elle relit la définition du COD mais en fait elle se marre)
Le complément d’objet direct dépend d’un verbe transitif direct – ça
maintenant on sait ce que c'est - Il lui est directement relié, sans préposition
– ça c'est important - Il répond à la question "qui est-ce que ? qu’est ce
que ?".
Ils donnent pas un exemple quelque part ?...
(elle cherche)
42
Complément d'objet direct… le facteur poste une lettre. Qu'est-ce que poste
le facteur ?... Une lettre. Une lettre est le complément d'objet direct. Ben
voilà…
JEAN
Alors vas-y avec la phrase de l'exercice.
Anne-Marie redonne le livre à Jérémy.
ANNE-MARIE
C'était quoi la phrase ?
Jérémy retrouve la page.
JEREMY
"Le service de maintenance a rédigé ce rapport à la demande du directeur".
ANNE-MARIE
Ben, qu'est-ce qu'a fait le service de maintenance ? Il a rédigé un rapport. Il
a rédigé un rapport, c'est le complément d'objet direct.
Une seconde d'incertitude.
ANNE-MARIE
Ben si… Ils disent qu'il faut se dire "qu'est-ce que". Qu'est-ce qu'a fait le
service de maintenance ? Il a rédigé un rapport.
JEAN
(pas sûr de lui)
Oui mais dans l'exemple, c'était "le facteur a posté une lettre". Et le
complément d'objet direct, c'était "une lettre", c'était pas "posté une lettre".
ANNE-MARIE
Ben, qu'est-ce qu'il a fait ? Il a posté une lettre.
JEREMY
Ben c'est "un rapport" alors. Qu'est-ce que le service de maintenance a
rédigé ?
JEAN
C'est Jérémy qu'a raison, c'est "un rapport". Le service de maintenance a
rédigé quoi ?... un rapport.
ANNE-MARIE
Voilà, mon chéri, t'as ta réponse. Qu'est-ce qu'on dit à maman ?
JEREMY
Ben attends, c'est pas fini, il y en a d'autres, des phrases.
43
ANNE-MARIE
Tu sais ce qu'on va faire ?... On va faire ça à la maison.
65. EXT / BOIS / JOUR
Anne-Marie et Jérémy jouent maintenant au badminton. Ils rient et leur voix résonnent dans le
bois.
Resté assis près de la nappe, le regard légèrement grave, Jean regarde sa femme et son fils qui
s'amusent. Il détourne son regard et celui-ci se pose sur le livre de français de Jérémy. Il est
troublé.
66. INT / MAGASIN DE DISQUES / JOUR
Jean est sur un escalator… il arrive à l'étage d'un grand magasin de disques.
"Musiques du monde", "rock", "jazz", "électro", "indépendants", "variété française", il se sent
un peu perdu dans cet univers qui n'est pas le sien. Il trouve le rayon "classique". Devant lui
des dizaines de noms de compositeurs qui ne lui disent rien. Il voit un disque avec une photo
de violon dessus. Il le prend, le retourne, lit ce qu'il y a sur la pochette avant de le reposer. Un
vendeur s'approche de lui.
LE VENDEUR
Je peux vous aider ?
JEAN
Euh…non non, merci, ça va.
Jean redescend par l'escalator et sort du magasin.
67. EXT / CHANTIER / JOUR
Sur le chantier, Jean essaie de sectionner un linteau avec une meuleuse.
Bruit… poussière… la machine, visiblement pas assez puissante, ne parvient pas à attaquer la
matière en profondeur.
Ses deux collègues, Mallard et Mahmoud sont à côté de lui.
Jean s'arrête, essoufflé et un peu agacé, il en a plein les bras.
JEAN
Ah putain…
MALLARD
Tiens, passe moi ça, je vais te le couper moi ce truc là.
Mallard lui prend la machine des mains.
JEAN
Je te préviens, tu forces pas, tu me la fous pas en l'air.
Mallard met la machine en marche et attaque le béton qui ceint les fers. Comme avec Jean, la
meuleuse a du mal à couper. Mais Mallard insiste…
44
JEAN
Tu vois bien que ça marche pas, qu'elle est pas assez costaud.
Mais Mallard n'arrête pas, bien que la machine peine vraiment.
MALLARD
Mais si, t'inquiète.
Le moteur commence à chauffer.
La voiture du patron arrive sur le chantier à ce moment-là.
Jean hausse le ton.
JEAN
Mais tu vas tout bousiller, tu vois pas que tu vas tout bousiller ?
MALLARD
Mais qu'est ce que t'as là ? Ça vient… tu vois pas que ça vient ?
Et effectivement, il parvient à entamer le béton.
Soudain le moteur de la meuleuse se met à chauffer et s'arrête net dans une odeur de bobine
grillée.
Jean s'énerve brusquement et récupère sa machine.
JEAN
Tiens, tu vois…
Putain, tu fais chier, je t'ai dit qu'elle était pas assez costaud.
Ça va t'es content maintenant ?
Il appuie sur le bouton "marche" mais le moteur est cuit.
Mahmoud veut jeter un œil.
MAHMOUD
Fais voir.
JEAN
Fais voir quoi ? Elle est pétée, elle est pétée.
MALLARD
Attends, ça va, j'ai pas fait exprès.
Le patron les rejoint à ce moment-là.
LE PATRON
Oh, c'est quoi ce bordel ? Qu'est-ce que vous foutez là ?
MAHMOUD
On n'avait pas de meuleuse, Jean nous a prêté la sienne mais elle était pas
assez puissante et le moteur a cramé, voilà.
45
JEAN
IL a fait cramer le moteur !
MALLARD
Voilà, c'est encore moi.
Jean ne s'est pas calmé.
JEAN
Exactement, c'est toi… Putain, tu me fais chier.
MALLARD
Ça va, j'ai pas fait exprès.
LE PATRON
Bon, on se calme… d'accord ? C'est de ma faute, la meuleuse était dans ma
voiture, j'aurais dû vous la laisser, c'est bon.
(à Jean)
Toi, tu vas au magasin de matériaux, tu te rachètes une meuleuse et moi je te
la rembourse. Et t'y vas tout de suite, ça permettra à tout le monde de se
calmer. Et puis, vu l'heure maintenant, t'auras qu'à rentrer chez toi après.
Et les autres, on retourne au boulot.
Jean s'éloigne, rejoint sa voiture et claque la portière. Puis il démarre et s'en va.
MALLARD
N'importe quoi, lui. Je sais pas ce qu'il a mais c'est n'importe quoi.
MAHMOUD
Mais t'inquiète, c'est rien, c'est des conneries.
MALLARD
Ça va, il a pas à me parler comme ça, je suis pas une merde. Devant l'autre
en plus…
68. INT / BAR / JOUR
Jean boit un demi debout au zinc d'un café. Il est préoccupé.
Il termine son verre, paie et s'en va.
69. INT / MAGASIN MATERIAUX / JOUR
Jean passe à la caisse pour payer sa meuleuse.
70. EXT / RUE DEVANT MAGASIN MATERIAUX / JOUR
Jean sort du magasin et va mettre sa meuleuse sur le siège arrière de sa voiture garée juste en
face. Il referme la portière arrière lorsque quelqu'un l'interpelle.
46
C'est Véronique. Elle a plusieurs sacs à provisions dans les mains.
VÉRONIQUE
Bonjour.
Jean ne parvient jamais à être complètement à l'aise en présence de Véronique. Il est en plus
gêné par ce qu'il a ressenti la dernière fois qu'il l'a vue.
JEAN
Bonjour.
VÉRONIQUE
Ça va ?
JEAN
Ça va. Merci.
VÉRONIQUE
Je venais acheter de la peinture pour la fenêtre.
JEAN
Il faut prendre de la glycéro. Pour les fenêtres, ça tient mieux.
VÉRONIQUE
D'accord, glycéro, je retiens.
Un temps pendant lequel une certaine gêne flotte dans l’air…
VÉRONIQUE
Bon ben… au revoir.
JEAN
Oui, au revoir.
Véronique s'éloigne.
Jean monte dans sa voiture.
71. INT / MAGASIN MATERIAUX / JOUR
Véronique est au rayon peinture en train de lire les étiquettes sur les pots.
Une voix derrière elle…
JEAN
Excusez-moi…
Véronique se retourne.
JEAN
47
Excusez-moi, je voulais vous demander… le morceau que vous m'avez joué
l'autre jour chez vous, ça existe en disque ?
VÉRONIQUE
Oui, bien sûr.
JEAN
Et vous pourriez me donner le nom ?
VÉRONIQUE
Je pourrais même vous le prêter si vous voulez. J'en ai plusieurs
enregistrements.
72. INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Véronique ouvre la porte de chez elle.
Jean la suit, il porte quelques uns de ses sacs à provisions qu'il dépose sur le bar.
VÉRONIQUE
Merci.
Un temps.
Elle range quelques produits dans le frigo.
VÉRONIQUE
Vous voulez pas une bière ? Moi, j'en prendrais bien une mais si je suis pas
toute seule.
JEAN
Bon ben, une bière alors.
Véronique sort deux bières du frigo, les débouche et en tend une à Jean.
VÉRONIQUE
Vous voulez un verre ?
JEAN
Non non, ça va, merci.
VÉRONIQUE
Tchin…
Ils font claquer les bouteilles l'une contre l'autre et boivent chacun une petite rasade au goulot.
La petite gêne qui existait entre eux depuis leur première rencontre n'existe soudain plus. Il ne
savent toujours pas quoi se dire mais le silence ne semble plus les gêner. Ils assument d'être là
face à face.
Leurs regards se croisent un instant... un instant un peu long. Puis Jean détourne le regard.
VÉRONIQUE
48
Je vous montre les disques ?
Jean suit Véronique qui va s'accroupir près de l'étagère basse où elle range ses disques. Jean
se baisse et s'accroupit lui aussi. Ils sont tout près l'un de l'autre. Véronique passe ses disques
en revue et en ressort un qu'elle tend à Jean. Elle parle assez bas.
VÉRONIQUE
Alors ça, c'est très bien.
C'est Yehudi Menuhin qui joue.
Jean regarde la pochette.
VÉRONIQUE
Yehudi Menuhin, c'était le plus grand violoniste du monde.
Et elle continue à chercher d'autres disques.
Jean lit ce qu'il y a au dos du boîtier.
On remarque une étiquette avec le nom et le prénom de Véronique au dos du CD.
JEAN
Et il joue le morceau que vous m'avez joué ?
VÉRONIQUE
C'est le numéro 4.
En fait, ce que je vous ai joué l'autre jour, c'est le premier mouvement d'une
sonate.
Elle récupère un autre disque qu'elle tend à Jean.
VÉRONIQUE
Dans celui-là aussi, il y est. C'est le numéro 2.
…
Et il y a un autre morceau que j'adore aussi…. c'est celui-là.
Elle pointe du doigt au dos du disque le morceaux qu'elle aime.
VÉRONIQUE
Dans celui-là, il y a deux instruments. Violon et piano. Ça se marie bien le
violon et le piano.
Leurs corps sont très proches… ils ressentent un trouble évident l'un et l'autre.
Elle récupère le disque et le glisse dans la platine.
Après un court silence, les premières notes s'élèvent dans la pièce… D'abord le piano puis
ensuite le violon qui vient lui répondre et mêler ses notes avec les siennes. Véronique et Jean
restent tout près l'un de l'autre, sans faire le moindre geste, juste réunis par la musique. Ils sont
comme deux gamins qui n'osent s'avouer leur attirance. Mais le désir est là, très présent. Ils
restent un long moment sans bouger, à écouter la musique, en évitant de se regarder. Puis Jean
tourne légèrement son visage vers Véronique qui le regarde à son tour. Comme si chacun
baissait la garde, comme s'ils se connaissaient depuis toujours, ils se sourient longuement
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avec une simplicité et une évidence désarmantes. Puis Jean tend son bras, prend la main de
Véronique et la pose sur son visage. C'est comme si à cet instant, il était enfin arrivé à
destination, comme si soudain un poids de mille tonnes avait disparu de ses épaules. Il ferme
les yeux, respire profondément et embrasse délicatement l'intérieur de la main de Véronique.
Puis leurs visages s'approchent lentement l'un de l'autre, leurs fronts se touchent enfin et ils
restent ainsi un instant, les yeux fermés… jusqu'au moment où leurs lèvres finissent par se
rencontrer. Un baiser très doux et très intense qui dure un long moment. Un très long
moment. Et puis soudain, Jean reprend ses distances. Moment de flottement pendant quelques
secondes.
JEAN
Pardon.
…
Je vais y aller.
Jean se relève et quitte l'appartement.
Véronique ne bouge pas et reste là, accroupie, émue par ce qui vient de se passer.
73. INT / CUISINE MAISON JEAN / JOUR
Anne-Marie est dans la cuisine en train de préparer le repas du soir en même temps qu'elle fait
réviser son histoire-géo à Jérémy.
On entend Jean qui ouvre la porte d'entrée.
Il entre dans la cuisine quelques secondes plus tard et va faire une bise à sa femme. Il tente
d'être le plus lisse possible, de ne rien laisser transparaître de son émotion.
JEAN
J'ai pris du pain.
Il embrasse aussi son fils.
JEAN
Ça va, grand ?
Jérémy acquiesce.
ANNE-MARIE
Ah, il y a ton père qu'a appelé tout à l'heure, il veut que tu l'emmènes chez
Nicoleau.
JEAN
Je le rappellerai.
Bon ben, je vais prendre une douche.
Et il sort de la cuisine.
74. INT / CHAMBRE JEAN / NUIT
Jean est dans le lit, il regarde la télé.
50
Anne-Marie le rejoint dans la chambre et va se glisser sous la couette, toute contente de se
blottir dans les bras de Jean.
ANNE-MARIE
Le meilleur moment de la journée.
(elle lui fait un bisou sur la joue)
Je t'aime.
Et elle regarde la télé, serrée contre lui.
75. EXT / FAÇADE BOUTIQUE POMPES FUNEBRES / JOUR
La façade d'une boutique sur laquelle est inscrit en gros : "NICOLEAU – pompes funèbres"
76. INT / BUREAU COMMERCIAL DES POMPES FUNEBRES / JOUR
Jean et son père sont assis face à un responsable commercial des pompes funèbres.
LE COMMERCIAL
Alors, envisagez-vous les soins de conservation ?
Un petit temps de réflexion chez le père de Jean.
LE COMMERCIAL
C'est mieux. Quand le corps est exposé, pour la famille, c'est mieux.
Le père se tourne vers Jean pour avoir son avis.
Jean n'est pas très à l'aise et il n'a pas d'avis sur la question.
JEAN
C'est toi qui voit.
LE PÈRE
On va prendre les soins.
Le commercial note…
LE COMMERCIAL
Et enfin, question importante, souhaitez-vous une crémation ou une
inhumation ?
LE PÈRE
Enterré.
Le commercial termine de remplir le document.
LE COMMERCIAL
D'accord… Voilà.
On passe de l'autre côté ?
51
77. INT / SALLE EXPOSITION CERCUEILS / JOUR
Différents cercueils sont exposés dans une grande pièce moquettée.
LE COMMERCIAL
Alors ce qu'il faut savoir, c'est que vous avez trois grandes familles de
produits. Le type "Parisien", comme celui-là…
Le type "Lyonnais" comme celui-ci…
Et enfin le type "tombeau" que vous voyez là-bas…
Et ensuite, quand vous aurez arrêté votre décision entre ces trois grandes
options, il faudra choisir le bois, bien sûr. Alors, le pin et le peuplier, ce sont
des bois tendres qui évidemment offrent assez peu de résistance au temps,
ensuite vous avez le hêtre et tous les bois de la famille des acajous comme le
sipo ou la tiama qui sont déjà beaucoup plus résistants et enfin bien sûr, la
rolls - mais très accessible quand même - le chêne.
Un long temps.
LE COMMERCIAL
Je vous laisse réfléchir un instant ?
Jean et son père acquiescent et le commercial se retire.
Ils font quelques pas timides au milieu des cercueils. Ils parlent bas comme si le lieu était
sacré.
LE PÈRE
C'est pas celui-là qu'on avait pris pour ta mère ?
JEAN
Si, mais pas avec ces poignées là.
Un temps.
Le père s'éloigne de quelques pas pour aller voir un des modèles de plus près.
Jean l'observe du coin de l'œil.
D'un geste lent et mal assuré, le vieil homme touche le bois et le tissus intérieur du cercueil.
Jean est pudiquement touché par l'image de ce vieux corps fatigué.
78. EXT / ROUTE CAMPAGNE / JOUR
Jean vient garer sa voiture sur le bas côté d'une petite route isolée de campagne qui domine la
ville.
Il coupe le moteur et se penche pour récupérer sous le siège les CD que Véronique lui a
donnés. Il sort l'un d'entre eux de son boîtier et le glisse dans le lecteur.
La musique envahit lentement l'habitacle. C'est la musique que lui avait joué Véronique. Jean
tourne son visage vers l'extérieur et regarde la ville en miniature qui s'étend en contrebas.
Jean reste là, un long moment, à la fois ému et grave.
79. INT / MAISON JEAN / NUIT
52
Il fait nuit, la maison est silencieuse.
Un tas de linge repassé est posé sur la table du salon.
Une horloge indique qu'il est près de 3 heures.
Dans le silence de la pièce à peine perturbé par le bruit discret du frigo, Jean est assis à la
table de sa cuisine, un verre d'eau devant lui, perdu dans ses pensées. Il fixe les bols déjà prêts
pour demain matin sur lesquels sont inscrits les prénoms de chacun… Jean… Anne-Marie…
Jérémy.
Soudain la voix d'Anne-Marie le surprend.
ANNE-MARIE
(endormie)
Ben, t'étais où, tu m'as fait peur, qu'est-ce qui se passe ?
JEAN
Non, rien, je suis là, j'avais soif.
ANNE-MARIE
Tu remontes ?
Jean acquiesce.
ANNE-MARIE
Ça va ?
Jean lui tend la main, elle s'approche de lui, il lui entoure la taille et serre fort son visage
contre sa poitrine. Elle est surprise par ce geste, étonnée par la manière dont Jean a de se
blottir contre elle. Elle pose ses mains sur la tête de Jean et lui caresse doucement et
longuement les cheveux.
ANNE-MARIE
Jean… Il faut que je te dise quelque chose…
Je suis enceinte.
Jean reste figé, incapable du moindre geste.
80. EXT / CHANTIER / JOUR
Jean travaille sur le chantier. Il étale du ciment sur une rangée de parpaings. Ses gestes sont
mécaniques, sans enthousiasme.
81. INT / CHAMBRE VERONIQUE / JOUR
Véronique est assise à sa table de travail, elle corrige les cahiers de ses élèves. Mais elle n'est
pas vraiment à ce qu'elle fait. Sans y prêter attention, elle joue mollement avec son stylo entre
ses doigts. Puis elle relève la tête et regarde vers l'extérieur. Il fait beau.
82. INT / SALON VERONIQUE / JOUR
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Véronique récupère son violon et se met devant le pupitre sur lequel est posé un livre de
partitions. Elle feuillette les pages sans trop savoir ce qu'elle a envie de jouer. Elle s'arrête
enfin sur l'une d'entre elles, cale son instrument entre son épaule et son menton, fait glisser
l'archer deux ou trois fois sur les cordes pour faire résonner l'instrument… Et change soudain
d'avis. En fait, elle n'a pas du tout envie de jouer.
83. EXT / PARC MUNICIPAL / JOUR
Le soleil brille dans le ciel presque sans nuages.
Véronique est assise sur l'herbe d'un parc municipal, les genoux relevés qu'elle encercle de ses
bras.
Elle regarde les enfants qui jouent un peu plus loin, accompagnés de leur maman qui les
surveillent, assises sur les bancs.
Puis elle ferme les yeux et relève légèrement le visage pour sentir la douceur des rayons du
soleil sur sa peau. Et elle reste ainsi un long moment. Elle se sent bien.
84. EXT / CHANTIER / JOUR
Sur le chantier, Jean est près de la toupie avec Mahmoud, ils préparent du ciment.
Un coup de sifflet de Mallard… Jean se retourne.
MALLARD
Y'a quelqu'un pour toi.
Jean va vers l'entrée du chantier.
C'est Véronique qui est venue lui rendre visite…
Il est ému de la voir en même temps qu'il ne se sent pas du tout à l'aise. Bien sûr à cause de ce
qu'il ressent, mais aussi de se présenter devant elle en habit de travail, les mains pleines de
ciment. La présence de ses collègues, un peu plus loin, qui ne doivent pas manquer de le
regarder, ne l'aide pas non plus.
VÉRONIQUE
Bonjour.
JEAN
Bonjour.
VÉRONIQUE
Je vous dérange pas ?
JEAN
Non non, ça va.
VÉRONIQUE
(en parlant du chantier)
Ça va, vous avancez bien ?
JEAN
On est un peu en retard mais on va rattraper.
54
Un temps.
VÉRONIQUE
Moi, ça y est, j'ai repeint la fenêtre chez moi. En bleu. Ça fait bien.
Jean acquiesce.
VÉRONIQUE
Et comme je trouvais ça jolie comme couleur, j'en ai mis sur toutes les
fenêtres et autour des portes aussi.
Mais ça sent un peu fort comme peinture quand même.
Un temps.
JEAN
Je voulais vous appeler.
Un coup de sifflet lointain de Mallard.
Jean a un geste rapide de la tête en direction du chantier puis refait face à Véronique, mal à
l'aise à cause de la lourdeur de son collègue.
Véronique sourit.
VÉRONIQUE
Pourquoi vous vouliez m'appeler ?
JEAN
Par rapport à l'autre jour. A ce qui s'est passé.
Un temps.
VÉRONIQUE
On a qu'à dire qu'il s'est rien passé l'autre jour.
Vous êtes juste venu chercher des disques.
Jean acquiesce.
VÉRONIQUE
Et vous me les rendrez quand vous en aurez envie.
Un temps.
VÉRONIQUE
Vous les avez écoutés ?
JEAN
Non.
Un temps.
55
VÉRONIQUE
Bon ben, je vais y aller… je vais vous laisser travailler.
…
Au revoir.
JEAN
Au revoir.
Et elle s'en va.
Jean reste un instant sans bouger.
85. EXT / CHANTIER / JOUR
Jean rejoint ses collègues sur le chantier.
MALLARD
(provocateur)
Humm, c'est de la petite coquine, ça.
Jean n'a pas du tout envie de rigoler.
JEAN
Allez, c'est bon, ça va.
MALLARD
Ben si, c'est de la petite cochonne, ça.
JEAN
(ferme)
Ça va, je te dis.
Mallard insiste.
MALLARD
Je te dis que c'est de la petite cochonne qu'aime la bite, ça se voit.
Ni une ni deux, Jean met un coup de boule à Mallard et se jette sur lui.
JEAN
Tu comprends pas le français, espèce de connard ? Tu la fermes ! D'accord ?
Mahmoud, surpris par la violence de Jean, s'interpose et parvient à le relever.
MAHMOUD
Mais ça va pas, non ?!
JEAN
Il me fait chier ce connard.
56
MAHMOUD
Oui bon ça va, c'est pas une raison pour réagir comme ça.
Qu'est-ce qui t'arrives, là, Jean ?
Jean s'éloigne.
MAHMOUD
(à Mallard en train de se relever)
Et puis tu peux pas la fermer, toi aussi, deux minutes ?
MALLARD
(qui saigne du nez)
Ça va, on peut déconner.
86. INT / ESCALIER IMMEUBLE VERONIQUE / JOUR
Véronique monte l'escalier qui mène au palier de son appartement. La légèreté d'il y a encore
peu de temps a disparu. Elle ouvre la porte et entre chez elle.
87. INT / CUISINE VERONIQUE / JOUR
Sans même avoir retiré sa veste, Véronique s'est assise sur une chaise près de la table de sa
cuisine. Elle reste là, un long moment, dans le silence de la pièce, à regarder par la fenêtre.
Puis elle se lève, ouvre son réfrigérateur, regarde ce qu'il y a dedans, prend un yaourt, referme
la porte, récupère une cuillère et se met à manger lentement en restant debout appuyée contre
le plan de travail.
Elle fixe le violon allongé dans l'étui resté ouvert. Silence…
Soudain, le téléphone sonne. Elle ne bouge pas. Une nouvelle sonnerie… puis une autre… et
le répondeur se déclenche.
La voix presque enjouée de l'annonce tranche avec la tristesse présente de Véronique.
VOIX DE VÉRONIQUE
Bonjour, vous êtes bien chez Véronique Chambon, vous pouvez me laisser
un message après le bip sonore et je vous rappellerai.
VOIX DE FEMME
Bonjour, c'est maman… Tu n'es pas là ?... Voilà, je t'appelais comme ça,
pour avoir de tes nouvelles, j'espère que tu vas bien, que t'es toujours
contente de ta classe. Nous ici, ça va, mais il fait pas très très beau. Et puis
je voulais te dire aussi qu’on pouvait tous être très fière de ta sœur… ça y
est, elle a obtenu son poste de procureur. Et pour fêter ça, elle nous a invités
le week-end dernier à manger chez Latouche avec Philippe et les petits. Ton
père a trouvé que ça avait un peu baissé… Mais bon, c’était très bien quand
même. Et elle nous a dit, qu'avec Philippe, ils pensaient acheter
l'appartement à côté du nôtre à la montagne. Tu sais, celui de monsieur
Larcher.
Voilà, j'espère que tu vas bien, que toi aussi t'as des bonnes nouvelles et que
tu passeras bientôt nous voir. Nous, on part que début août, on va en
Normandie. Allez, on t'embrasse, à bientôt.
57
Et elle raccroche.
Bip… Bip… Bip… Bip… puis le répondeur se tait et le silence emplit à nouveau
l'appartement. Véronique n'a pas bougé.
88. INT / SALON MAISON JEAN / NUIT
Anne-Marie est en train de couper les branches du ficus définitivement mort avant de le
dépoter.
Jean est assis sur le sol du salon, adossé au canapé.
Il regarde son fils qui construit une maison en Légos.
JEREMY
Tu me trouves un rouge. Un quatre.
Jean cherche un instant parmi le tas de Légos étalées sur le sol et trouve une brique qu'il tend
à son fils.
JEREMY
Non, pas un gros, un plat.
Jérémy trouve ce qu'il cherchait pour continuer sa construction.
ANNE-MARIE
(très gentiment)
Tu sais ce que je me disais pour l'anniversaire de ton père ?… c'est qu'un
buffet, ce serait mieux en fait qu'un repas assis. Ça changerait.
Qu'est-ce que t'en penses ?
JEAN
Ouais, je sais pas.
ANNE-MARIE
Tu vois, comme tout le monde se croise pas forcément beaucoup, ça
permettrait de plus discuter les uns avec les autres.
Jean n'est pas convaincu.
ANNE-MARIE
Et puis pour les enfants, ce serait plus sympa, ils seraient pas bloqués à
table, ils pourraient bouger. Moi, j'aime bien l'idée.
JEAN
Je sais pas, un repas assis, ça me paraît mieux quand même.
ANNE-MARIE
Oui mais un repas assis, tu vois, comme on sera quand même une vingtaine
avec les enfants, ça fait une sacrée organisation.
Jean se braque un peu.
58
JEAN
Honnêtement, si on s'organise bien, je vois pas où est le problème de faire à
manger pour 20 personnes.
Maintenant, si t'as pas envie qu'on fasse l'anniversaire de mon père, tu le dis.
Anne-Marie est étonnée par réaction un peu brusque de Jean.
ANNE-MARIE
J'ai pas dit ça, j'ai juste dit que ce serait moins compliqué un buffet qu'un
repas assis, et qu’en plus ce serait plus sympa. C'est tout.
La tension commence à monter insidieusement.
JEAN
Oui, sauf qu'à 75 ans, mon père il a peut-être pas envie de manger debout.
Surtout dans son état.
ANNE-MARIE
Mais il s'agit pas de manger debout. Y’aura des tables et des chaises, c'est
pas le problème !
JEAN
(qui hausse soudain le ton)
Alors c'est quoi le problème ? Je te dis, si t'as pas envie de le faire cet
anniversaire, on le fait pas. Mais tu le dis tout de suite.
Jérémy a arrêté de jouer, surpris et inquiet
Anne-Marie se défend..
ANNE-MARIE
Attends, ça va, me parle pas comme ça. Je te dis pas que j'ai pas envie de le
faire, ça me fait plaisir de le faire cet anniversaire, j'essaie juste de trouver
une idée qui soit pas trop compliquée à organiser, c’est tout.
Si encore tes sœurs habitaient dans le coin, elles pourraient m'aider mais
là…
Jean s'énerve.
JEAN
Elles habitent pas là, mes frangines, qu'est-ce que tu veux que je leur dise ?
Qu'à cause d'elles on peut pas faire une fête normale ? Mais c'est pas un
problème, moi je les appelle tout de suite et on annule tout.
Un temps.
ANNE-MARIE
(blessée)
Je sais pas ce que t'as mais vraiment j'aurais mieux fait de rien dire.
59
JEAN
Oui ben exactement, t'aurais mieux fait de rien dire.
(il se lève brusquement pour quitter la pièce)
Putain, tu fais chier.
Une porte claque dans la maison.
Anne-Marie, complètement décontenancée par la violence soudaine de Jean, a soudain les
larmes aux yeux. Elle rassure son fils qui ne comprend pas ce qui se passe.
ANNE-MARIE
C'est rien, mon chéri.
89. INT / CHAMBRE MAISON JEAN / NUIT
Jean est dans le lit, il regarde vaguement la télé.
Puis il coupe le son et écoute les bruits qui proviennent de la salle de bain.
Bruit d'Anne-Marie qui se brosse les dents et crache le dentifrice avant de se rincer la bouche.
Jean remet le son de la télévision.
90. INT / CHAMBRE DE JEREMY / NUIT
Jérémy est allongé sous sa couette, il ne dort pas.
On entend le son diffus de la télé.
91. INT / CHAMBRE MAISON JEAN / NUIT
Anne-Marie rejoint Jean dans la chambre et se déshabille.
Puis elle va se coucher près de Jean.
ANNE-MARIE
Tu peux laisser la télé, ça me dérange pas. Bonne nuit.
Puis elle s'allonge en tournant le dos à Jean.
Un temps.
Puis Jean coupe la télévision. Il regarde sa femme un instant et s'allonge près d'elle, tout près
d'elle et la serre dans ses bras. Elle se laisse faire.
JEAN
Excuse-moi…
Excuse-moi.
Elle se blottie contre lui.
92. INT / EGLISE / JOUR
Jean entre dans une église. La porte résonne en se refermant. Petit bonhomme écrasé par la
hauteur du lieu, Jean va tremper les doigts de sa main droite dans le bénitier et fait un rapide
signe de croix avant d'aller s'asseoir. L'église est quasiment vide.
Seule une vieille dame est assise un peu plus loin de l'autre côté de l'allée centrale.
60
Jean reste longuement, penché en avant, les coudes posés sur ses genoux, les mains croisées,
le regard perdu devant lui.
93. EXT / PARKING GRAND MAGASIN DE FLEURS ET PLANTES VERTES /
JOUR
Anne-Marie pousse un chariot dans lequel elle a mis un ficus et un sac de terreau. Arrivée
près de la voiture, elle ouvre le coffre et dépose le sac à l'intérieur. Puis elle va ouvrir la
portière côté passager, bascule le dossier du siège et glisse la plante devant. Ça ne passe pas.
Elle recule alors le siège pour faire plus de place au pot qui tient le pied de la plante… et
s'arrête soudain. Là, sous le siège, elle découvre plusieurs CD. Au dos de chaque boîtier, le
nom de Véronique est inscrit à la main sur une étiquette.
94. INT / USINE / JOUR
Bruits des bouteilles qui s'entrechoquent. Anne-Marie est à son poste de travail à l'usine.
Gestes répétitifs… elle récupère les bouteilles en bout de chaîne, les met dans des cartons
qu'elle scelle avec la grosse agrafeuse.
Mais Anne-Marie semble complètement ailleurs… préoccupée.
95. EXT / ECOLE / JOUR
A la porte de l'école, Véronique dit au revoir aux élèves qui vont rejoindre leurs parents.
Anne-Marie vient à sa rencontre.
ANNE-MARIE
Bonjour.
VÉRONIQUE
Bonjour.
ANNE-MARIE
C'est possible de vous voir ? Je voudrais vous demander quelque chose.
VÉRONIQUE
Euh… oui, pas de problèmes. Je finis juste avec les enfants et je suis à vous.
ANNE-MARIE
Oui oui, allez-y, allez-y.
Anne-Marie s'éloigne.
ANNE-MARIE
Tu m'attendras un petit peu, je voudrais discuter avec ta maîtresse ?
Véronique continue ce qu'elle était en train de faire en tentant de dissimuler un léger malaise.
96. INT / COULOIR ECOLE / JOUR
61
Véronique, accompagnée d'Anne-Marie, s'est éloignée de la porte de sortie.
VÉRONIQUE
Vous vouliez me voir pour quoi ?
Un petit temps.
ANNE-MARIE
C'était à propos de Jérémy. Je voulais savoir comment ça se passait, s'il n'y
avait pas de problèmes pour le passage en CM1.
Véronique est un peu déstabilisée. Elle craignait sans doute que la discussion ne s'engage sur
un autre terrain.
VÉRONIQUE
Euh… Oui oui, ça a été, ça a été une bonne année. Il y a eu un petit
flottement à un moment en français et en math mais il s'est bien repris.
C'est sa participation en classe qui pourrait s'améliorer, il ose pas tout à fait
assez prendre la parole. Mais il y a pas de problèmes pour le passage en
CM1, ça ira.
ANNE-MARIE
Et vous pensez que ce serait bien qu'il fasse des devoirs de vacances, ça
l'aiderait ?
VÉRONIQUE
Oui, si vous voulez, c'est toujours bien. Mais vous savez, moi je me fais pas
de soucis pour lui. C'est un petit garçon intelligent, c'est un travailleur. Et
puis on sent que vous êtes derrière lui, que vous l'aidez, il n'y a pas de
problèmes. Je vous dis, c'est juste l'oral qui pourrait être mieux.
ANNE-MARIE
Donc, je m'inquiète pas.
VÉRONIQUE
Non, il n'y a pas de raisons.
Un temps.
ANNE-MARIE
Je voulais aussi vous demander… Vous savez, l'autre fois, quand mon mari
est allé changer la fenêtre chez vous, je m'étais dit que pour vous remercier
de lui avoir donné un peu de travail, ça m'aurait fait plaisir que vous veniez
manger à la maison un dimanche.
La proposition déstabilise Véronique.
VÉRONIQUE
Euh…
62
Oui, pourquoi pas.
ANNE-MARIE
Ou un samedi mais le dimanche, je me dis que c'est mieux parce qu'on n'a
pas Jérémy à emmener au foot, les courses sont faites, on est plus tranquille.
Mais peut-être que vous avez d'autres choses à faire.
VÉRONIQUE
Non non, c'est bon.
ANNE-MARIE
Vous voulez qu'on dise dimanche qui vient ?
VÉRONIQUE
Oui, si vous voulez.
ANNE-MARIE
Vous serez à pied ?
VÉRONIQUE
Euh… à pied oui, en bus.
ANNE-MARIE
Alors il faut prendre le 14 et c'est l'arrêt Bulgarie. Et nous on est au 4 rue de
Marathon.
Véronique acquiesce.
97. INT / MAISON JEAN - CHAMBRE BEBE / JOUR
Jean est en train de gratter la tapisserie dans une chambre avec une éponge pleine d'eau et une
spatule.
Anne-Marie entre dans la pièce.
ANNE-MARIE
Coucou…
Ils se font une petite bise sur la bouche.
ANNE-MARIE
Ça va, c’est pas trop galère à enlever ?
JEAN
Non non, ça va, ça se fait bien. Sauf que j'ai déconné tout à l'heure, j'ai fait
tomber l'escabeau par terre et j'ai abîmé le parquet.
ANNE-MARIE
Bah, c'est dans le coin, c'est pas grave, il y aura le lit par dessus.
…
63
C’est bien, ça avance vite quand même.
Un temps.
ANNE-MARIE
Bon allez, je vais ranger les courses.
Ah, et puis je suis passé voir la maîtresse de Jérémy tout à l'heure.
Surprise de Jean qu'il masque le mieux possible.
JEAN
Pour quoi faire ?
ANNE-MARIE
Ben, comme ça, pour Jérémy, pour savoir comment ça allait. Elle est
vraiment gentille, cette fille.
…
Je lui ai proposé de venir manger dimanche prochain.
JEAN
(qui cache son léger malaise)
Oui, c'est une bonne idée.
ANNE-MARIE
Une quiche, ça te dit pour ce soir ?
JEAN
Mmmh.
Puis Anne-Marie quitte la pièce.
ANNE-MARIE
Ah, et puis j’ai repassé les chemises de ton père.
Jean reste un instant sans bouger sa spatule à la main.
98. INT / BUS / JOUR
Véronique est assise dans le bus, un petit paquet emballé posé sur ses genoux. Elle s'est
habillée simplement, sans aucune volonté d'apparaître plus séduisante que d'habitude. Elle est
un peu tendue, inquiète.
Elle regarde la ville défiler au travers de la vitre. Ambiance de dimanche... Les rues sont
quasiment vides.
99. EXT / DEVANT MAISON JEAN / JOUR
Véronique arrive devant la maison de Jean et Anne-Marie, ouvre le petit portail, remonte la
petite allée et va frapper à la porte.
64
C'est Anne-Marie qui ouvre. Elle a fait un effort particulier dans ses vêtements et dans sa
coiffure.
ANNE-MARIE
Bonjour.
VÉRONIQUE
Bonjour.
ANNE-MARIE
Allez-y, entrez.
Elle entre.
100.
EXT / MAISON JEAN - JARDIN/ JOUR
Tout le monde est à table.
Anne-Marie a mis les petits plats dans les grands. Jean et Véronique font leur possible pour
que leurs regards se croisent pas.
Anne-Marie remplit les assiettes.
VÉRONIQUE
Merci merci… c'est bon.
ANNE-MARIE
(à Jérémy)
Ton assiette, titi…
Anne-Marie lui met une cuillerée de haricots et Jérémy va pour retirer son assiette.
ANNE-MARIE
Allez, encore un petit peu.
JEREMY
Pas beaucoup.
Elle lui en redonne un peu puis sert Jean.
ANNE-MARIE
Ça va, tout le monde a ce qu'il faut ?
VÉRONIQUE
C'est parfait.
Tout le monde se met à manger.
Un temps.
VÉRONIQUE
C'est excellent.
65
ANNE-MARIE
Ça, le barbecue, c'est le truc de Jean, je le laisse faire. Moi, je m'approche
pas de ça.
C'est bon, titi ?
JEREMY
Hum.
Un temps.
ANNE-MARIE
A un moment ce matin, j'ai eu peur qu'il pleuve et puis vers 11H00, ça s'est
dégagé.
VÉRONIQUE
Là d'où je viens, en ce moment, c'est pas du tout ce temps là, il pleut.
ANNE-MARIE
C'est où chez vous ?
VÉRONIQUE
La région parisienne.
ANNE-MARIE
Alors ça, Paris, on se dit tout le temps qu'on irait bien et puis en fait, on y va
pas.
VÉRONIQUE
Vous n'y êtes jamais allé ?
ANNE-MARIE
Si, on y est déjà allé une fois en fait, il y a longtemps avec l'école, en
troisième – on était dans la même classe avec Jean. On avait fait la tour
Eiffel, Versailles, les Champs-Elysées, le Louvre, des trucs comme ça mais
depuis jamais.
VÉRONIQUE
Il y a plein de choses à voir, c'est très beau.
ANNE-MARIE
Ah oui, on était allés sur les bateaux-mouches aussi, c'était excellent ça.
VÉRONIQUE
Les bateaux-mouches, ça peut paraître bizarre, moi j'y suis jamais allée. Et
autant j'adore découvrir des choses à chaque fois que mon travail me fait
découvrir une nouvelle région, autant quand je vais voir mes parents à Paris,
je le fais pas.
66
ANNE-MARIE
Parce qu'à chaque rentrée, vous changez d'endroit ?
VÉRONIQUE
Non, des fois, je reste deux ans. Mais souvent, c'est un an. Des fois moins.
ANNE-MARIE
Moi, je vous admire, je sais que je pourrais pas changer tout le temps
d'endroit comme ça. De toutes façons, avec Jean, on n'aime pas trop bouger,
on aime bien notre petit coin, on est bien.
(à Jean)
Hein ?
Jean acquiesce.
VÉRONIQUE
En même temps, un des avantages, c'est que quand je tombe sur une école
qui me plaît pas trop, je sais que ça durera pas.
ANNE-MARIE
Oui mais quand elle vous plait ?
VÉRONIQUE
Quand elle me plait, je pars aussi. Je me suis habituée.
Un temps.
ANNE-MARIE
Tu vas chercher de l'eau titi ?
Jérémy quitte la table.
ANNE-MARIE
Et là, qu'est-ce qui se passe, Madame Legon, elle revient en septembre ?
VÉRONIQUE
En fait, madame Legon que je remplace, revient en septembre, c'est sûr,
mais comme madame Bérard part en retraite, la directrice m'a proposée de
rester.
ANNE-MARIE
Et qu'est-ce que vous allez faire ?
VÉRONIQUE
Je sais pas… je me disais que je commençais peut-être justement à en avoir
assez de bouger tout le temps. Il y a un moment, on a envie de se poser, de
souffler un petit peu. Mais je sais pas.
Jérémy revient et s'arrête sur le seuil de la baie vitrée du salon.
67
JEREMY
Je trouve pas les bouteilles d'eau.
ANNE-MARIE
Sous l'évier.
JEREMY
Non, il y en a pas.
ANNE-MARIE
Dans le garage alors, à côté de l'établi de papa.
Jérémy y retourne.
A ce même instant, le minuteur posé sur la table sonne.
ANNE-MARIE
Ah, il faut que j'aille mettre la tarte dans le four.
Anne-Marie quitte la table.
Jean et Véronique restent seuls.
Long silence.
Ils sont assis de chaque côté de la table mais pas en face l'un de l'autre. Bien qu'ils aient
conservé une certaine distance depuis le début du repas, ils savent très bien ce qui se joue
entre eux. Mais que peut-il exister d'autre, là maintenant, que ce silence ? Anne-Marie est à
quelques mètres d'eux, dans la maison, Jérémy n'est pas loin, ils ne peuvent qu'échanger un
regard comme pour se dire qu'ils savent. Qu'ils savent que leur rencontre n'est pas anodine.
Et puis, après un long silence, Jean s'autorise à dire…
JEAN
Ça me fait plaisir que vous soyez là.
Véronique lui sourit.
Un temps.
Anne-Marie et Jérémy reviennent en même temps.
Jean et Véronique reprennent leurs distances.
ANNE-MARIE
Ça y est, c'est parti, la tarte.
(en désignant les plats sur la table)
Vous en voulez encore ?
VÉRONIQUE
Non non, merci, ça va.
101.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Jean, Jérémy et Véronique jouent au foot dans le jardin. Jérémy fait équipe avec sa maîtresse
contre son père, ils doivent glisser le ballon dans un petit but dont les poteaux sont symbolisés
68
par deux vêtements roulés en boule posés sur le sol. Véronique n'est absolument pas douée
pour ce sport mais elle y met du cœur.
Anne-Marie revient vers la table avec un plateau sur lequel elle a disposé une cafetière, des
tasses, des cuillères et du sucre. Elle dépose le tout sur la table, met les tasses à la place de
chacun et s'assoit. Là, elle regarde son mari, son fils et Véronique qui s'amusent comme une
petite famille unie le ferait un dimanche après midi de printemps.
Et soudain… son regard s'emplit d'une immense tristesse. Elle se sent exclue des rires, comme
si c'était elle que l'on avait invitée. Et elle se sent seule. Profondément seule.
102.
EXT / TERRASSE MAISON JEAN / JOUR
Tout le monde joue aux cartes, au jeu des 7 familles, sur la table de la terrasse. Il y a une belle
atmosphère, quelque chose de doux qui se dégage de cet instant. Anne-Marie a retrouvé sa
lumière.
JEREMY
Dans la famille Mouton, je voudrais le père.
ANNE-MARIE
A qui tu demandes ?
JEREMY
A toi.
ANNE-MARIE
Pioche.
JEREMY
T'as pas le père ?
ANNE-MARIE
Non.
JEREMY
Ben, c'est pas possible.
ANNE-MARIE
J'ai pas le père.
Jérémy pioche.
ANNE-MARIE
Alors, je te demande à toi, dans la famille Cheval, je voudrais la fille.
Jérémy lui donne une carte.
ANNE-MARIE
La mère.
69
Jérémy lui donne une autre carte.
ANNE-MARIE
Le père.
Jérémy fait la tête en voyant fondre ses cartes.
ANNE-MARIE
Et l'oncle.
Jérémy donne aussi cette carte là, tout dépité.
ANNE-MARIE
Famille.
Elle pose ses cartes sur la table.
Jérémy se penche vers sa mère et lui dit quelque chose à l'oreille.
ANNE-MARIE
Ben, si tu veux.
Jérémy sourit.
JEREMY
Maintenant ?
ANNE-MARIE
Ben, attends qu'on ait terminé.
JEAN
Qu'est-ce qu'il veut ?
ANNE-MARIE
Il veut montrer sa chambre à sa maîtresse.
VÉRONIQUE
Tu veux me montrer ta chambre ?
Jérémy acquiesce.
VÉRONIQUE
C'est gentil.
JEREMY
(à sa mère)
Et puis je pourrais montrer la chambre de ma petite sœur aussi ?
Véronique reçoit la nouvelle comme un uppercut. Elle ne peut soudain plus rien dire et a
toutes les peines du monde à masquer son émotion.
70
Jean est brusquement terriblement mal à l'aise.
ANNE-MARIE
D'abord elle pas terminée cette chambre, c'est le bazar, il y a pas grand
chose à voir et ensuite c'est peut-être un petit frère que tu vas avoir, on sait
pas.
JEREMY
Non, c'est une petite sœur.
Véronique parvient à cacher tant bien que mal son malaise derrière un sourire aimable.
Jean, presque figé, ne sait plus où se mettre.
ANNE-MARIE
Voilà, alors depuis qu'on lui a dit ça, il veut le dire à tout le monde. Nous,
on préfère attendre les 3 mois pour l'annoncer.
Véronique acquiesce d'un petit mouvement de la tête.
Anne-Marie reprend le cours de la partie.
ANNE-MARIE
Bon, à moi encore.
Pour toi Jean… dans la famille Canard, je demande la mère.
JEAN
Pioche.
Véronique est complètement décomposée, elle est à des années lumière de la partie de carte.
Tout comme Jean qui dissimule mal son malaise.
JEAN
(à Jérémy)
A Jérémy… dans la famille Chat, je demande le père.
JEREMY
Pioche.
103.
INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
L'appartement silencieux de Véronique.
Véronique est allongée sur le côté, sur son lit même pas défait, elle n'a pas pris la peine de
retirer ses vêtements, pas même sa veste. Elle reste là, immobile. Ses yeux ont pleuré.
104.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Dans son jardin, Jean est assis sur la balançoire. Le regard triste, il fait bouger mollement le
ballon avec le plat de son pied.
105.
INT / CUISINE MAISON JEAN / JOUR
71
Depuis la fenêtre de la cuisine, Anne-Marie observe un instant Jean qu'elle voit seulement de
dos.
106.
INT / CANTINE ECOLE / JOUR
Brouhaha des enfants pendant le déjeuner à la cantine.
Véronique est assise à une table, un peu à l'écart des élèves. Elle n'a quasiment pas touché son
plateau repas. Elle grignote un biscuit, absente.
Une collègue vient s'asseoir en face d'elle avec son plateau.
LA COLLÈGUE
Quand est-ce qu'ils mettront un mur anti-bruit entre les gamins et nous ? Ça
me stresse.
(un temps)
T'as pris les brocolis ?…
Tu sais, qu'il paraît qu'ils sont transgéniques leurs brocolis. Moi, je prends
toujours de la purée.
Tu manges pas ton yaourt ?
Véronique dit non de la tête.
LA COLLÈGUE
Je peux te le prendre ?
Véronique lui donne son yaourt tout en essayant de faire bonne figure face à cette logorrhée
soudaine.
LA COLLÈGUE
Ah oui non pardon, c'est à la cerise, j'aime pas ça, je te le rends.
Tu vois le vrai problème ici, c'est que tu prends ton entrée, ton plat, ton
dessert, le temps que tu passes à la caisse, le temps que tu t'assois, le temps
que tu manges ton entrée… et ben, ton plat de résistance est presque froid.
Véronique a les yeux qui se remplissent de larmes…
LA COLLÈGUE
Il y a plein de cantines où ils te donnent un ticket à la place du plat et tu vas
le chercher quand t'as mangé ton entrée. Comme ça, il est chaud.
La collègue s'arrête soudain en voyant les larmes de Véronique. Elle est complètement
décontenancée.
LA COLLÈGUE
Ben… c'est pas grave Véronique… il suffit de manger ton plat avant ton
entrée.
Véronique ne parvient pas à retenir ses pleurs.
72
107.
EXT / RUE DEVANT IMMEUBLE VERONIQUE / JOUR
Dans le reflet d'un rétroviseur extérieur de voiture, l'image de Véronique qui marche dans la
rue, son cartable et quelques courses à la main.
Jean est au volant, il observe Véronique. Elle ne le voit pas.
Elle rejoint son immeuble, pousse la porte d'entrée et disparaît à l'intérieur.
Jean ne bouge pas.
108.
INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Il n'y a pas de partition sur le pupitre de Véronique.
L'étui du violon est refermé, posé dans un coin du salon.
Véronique range ses courses dans les placards de sa cuisine. Ses gestes sont mécaniques, son
regard n'exprime même plus de tristesse.
Le téléphone sonne… Elle arrête son geste, hésite à aller répondre mais finalement elle n'y va
pas. Nouvelle sonnerie… elle ne bouge toujours pas. Troisième sonnerie… et le répondeur se
met en marche.
VOIX ENREGISTRÉE DE VÉRONIQUE
Bonjour, vous êtes bien chez Véronique Chambon, vous pouvez me laisser
un message après le bip sonore et je vous rappellerai.
VOIX D'JEAN
Bonjour, c'est Jean... j'aimerais pouvoir vous parler si c'est possible un
moment…
Véronique reste à sa place.
VOIX D'JEAN
Je voudrais juste m'expliquer.
Je sais que vous êtes chez vous, je vous ai vu monter tout à l'heure. Je suis
dans ma voiture, en bas.
Véronique écarte le rideau de la fenêtre du salon et regarde en contrebas.
Elle voit le toit de la voiture de Jean garée au pied de son immeuble pendant qu'elle entend sa
voix sur le répondeur.
VOIX D'JEAN
Est-ce que vous pourriez décrocher s'il vous plait ?
Véronique aimerait décrocher mais elle se retient.
VOIX D'JEAN
Je voudrais juste vous parler un petit moment, juste vous voir pour vous
expliquer.
…
Vous voulez pas ?
…
73
Je voulais vous demander pardon. Et si je vous ai fait du mal, c'est pas du
tout ce que je voulais.
Voilà, je vous dis au revoir…
Au revoir.
Il raccroche et le silence emplit à nouveau la pièce.
En bas, la voiture de Jean reste un instant sans bouger.
Véronique hésite.
Encore quelques secondes puis la voiture démarre, s'éloigne et disparaît.
Véronique referme le rideau et reste seule.
109.
INT / SALLE A MANGER - MAISON PERE / JOUR
Jean essuie les pieds de son père qu'il vient de laver dans une petite bassine posée au sol au
milieu du salon.
La télé est allumée dans un coin de la pièce faisant entendre un jeu bruyant.
JEAN
Je t'ai racheté des slips.
LE PÈRE
Tu me diras combien je te dois.
110.
INT / SALON MAISON PERE JEAN / JOUR
A genoux près de son père, Jean lui coupe précautionneusement les ongles des pieds.
LE PÈRE
Et quelle pièce vous allez transformer en chambre pour le petit ?
JEAN
Ben, celle à côté de la notre, il y a pas trop le choix.
Un petit temps.
LE PÈRE
C'est bien, tu dois être content.
Jean acquiesce à peine.
La musique démarre…
111.
EXT / PETITE ROUTE DE CAMPAGNE / JOUR
Et se poursuit…
La voiture de Jean est garée sur la petite route de campagne qui surplombe la ville où nous
l'avons déjà vu venir. Il reste un long moment sans bouger derrière son volant.
112.
INT / CABINET GYNECOLOGUE / JOUR
74
Musique…
Sur l'écran noir et blanc du moniteur de l'échographe, apparaît un minuscule embryon.
Anne-Marie regarde d'abord l'écran puis tourne son visage vers Jean. Il lui sourit mais il n'est
pas vraiment là et Anne-Marie le sent très bien.
113.
EXT / CHANTIER / JOUR
Musique…
Jean est sur un nouveau chantier, une maison neuve en construction à peine commencée.
Avec ses collègues, il coule une dalle en ciment.
114.
INT / CHAMBRE JEREMY – MAISON JEAN / NUIT
Le visage souriant de Véronique… figé sur la photo de classe que Jérémy a punaisé au dessus
de son petit bureau.
Jean, qui s'est allongé près de son fils endormi et qu'il entoure d'un bras protecteur, fixe
longuement la photo et le sourire de l'institutrice.
115.
INT / CLASSE VERONIQUE / JOUR
Musique…
Dans sa classe vide, Véronique regarde longuement par la fenêtre. Son attention est attirée par
quelque chose derrière elle. Elle se retourne lentement.
Dans l'encadrement de la porte de sa classe… il n'y a personne.
116.
INT / APPARTEMENT VERONIQUE / NUIT
Musique…
Véronique est assise sur le canapé de son salon. Elle tient son répondeur dans sa main et
écoute la voix de Jean.
VOIX ENREGISTRÉE D'JEAN
Je voudrais juste vous parler un petit moment, juste vous voir un petit peu
pour vous expliquer.
…
Vous voulez pas ?
…
Alors, je vous demande pardon pour tout. Et si je vous ai fait du mal, c'est
pas du tout ce que je voulais.
Voilà, je vous dis au revoir…
Au revoir.
Elle retourne en arrière…
VOIX ENREGISTRÉE D'JEAN
Alors, je vous demande pardon pour tout. Et si je vous ai fait du mal, c'est
pas du tout ce que je voulais.
Voilà, je vous dis au revoir…
Au revoir.
75
Fin de la musique.
117.
INT / BUREAU DE LA DIRECTRICE DE L'ECOLE / JOUR
La directrice de l'école (une femme très douce) est assise face à Véronique. Elle la regarde un
instant.
LA DIRECTRICE
Et pour vous, c'est clair dans votre tête ?
Véronique acquiesce.
LA DIRECTRICE
Mais moi, il me semblait que quand je vous avais parlé de cette idée de
remplacer madame Bérard, vous étiez intéressée.
VÉRONIQUE
Oui mais après j'ai réfléchi et en fait je pense pas que ce soit une bonne idée.
LA DIRECTRICE
Et qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis comme ça ?
Véronique ne sait pas comment répondre.
LA DIRECTRICE
Parce que moi, tous les retours que j'ai eu - des parents, des collègues – tout
le monde vous aime bien.
Les arguments de la directrice ne laissent pas Véronique insensible.
LA DIRECTRICE
C'est dommage.
…
C'est sûr sûr sûr dans votre tête ?!
Véronique acquiesce.
LA DIRECTRICE
Je me permets quand même d'insister… j'aimerais beaucoup que vous
restiez.
La gentillesse de la directrice touche vraiment Véronique. Elle hésite, elle aimerait lui faire
plaisir et en même temps elle ne peut pas.
VÉRONIQUE
Non, je suis désolée, je resterai pas.
Silence.
76
La directrice fait une petite moue désappointée.
118.
INT / COULOIR ECOLE / JOUR
Véronique sort du bureau de la directrice et s'éloigne dans le couloir.
119.
INT / CHAMBRE D'ENFANT / JOUR
Une chambre de bébé impeccablement rangée.
ANNE-MARIE
(off)
C'est pas mal, ça, comme couleur.
Nous ne sommes pas dans une vraie chambre d'enfant mais dans un immense magasin de
meubles où sont recréés ces chambres.
Jean, Anne-Marie et Jérémy visitent.
Anne-Marie a maintenant un ventre légèrement plus gros, sa grossesse commence à se voir.
ANNE-MARIE
Qu'est-ce que t'en penses ?
Jean fait des efforts insensés pour paraître le plus naturel possible. On pourrait d'ailleurs
presque y croire.
JEAN
Ouais, c'est pas mal.
ANNE-MARIE
Tu préfères l'autre ?
JEAN
L'autre est bien aussi.
Un temps.
Anne-Marie sent que quelque chose n'est pas tout à fait normal chez Jean. Qu'il est là sans être
vraiment là. Mais elle prend sur elle.
JEREMY
J'ai soif.
ANNE-MARIE
(assez ferme)
Tout à l'heure.
Ils poursuivent la visite.
Soudain, Anne-Marie s'arrête net.
ANNE-MARIE
(très tendue, à Jean)
77
Bon, qu'est-ce qu'il y a, là ? Il y a quelque chose qui va pas ? Ça te fait pas
plaisir d'être là ?
JEAN
(surpris)
Ben, qu'est-ce que t'as ?
ANNE-MARIE
Il y a que ça fait une heure qu'on est là et on dirait que t'es pas avec nous.
T'es où là ?
JEAN
Quoi, je suis où ?
ANNE-MARIE
Oui, t'es où ? Ça t'intéresse ce qu'on est en train de faire ou quoi ?
JEREMY
J'ai soif.
ANNE-MARIE
(énervée)
Pas maintenant, je t'ai dit !
JEAN
Ça va pas de lui parler comme ça ?
ANNE-MARIE
Et toi, ça va de te foutre de nous depuis je sais pas combien de temps ? Si tu
t'emmerdes, tu le dis. Et si on est pas assez bien pour toi, tu le dis aussi.
Un temps.
Les larmes sont montées aux yeux d'Anne-Marie.
Bien qu'il y ait peu de monde dans le magasin, Jean est mal à l'aise.
JEAN
(qui calme le jeu)
Bon, ça va, t'as fini ?
Anne-Marie ne répond pas.
JEAN
On continue ?
Un temps puis Anne-Marie se calme.
ANNE-MARIE
(à Jérémy)
T'as soif ?
78
Jérémy acquiesce.
ANNE-MARIE
Allez viens, on y va.
Ils s'éloignent.
120.
INT / SALON MAISON JEAN / NUIT
Il fait nuit.
Par terre, une maison en Légo pas encore terminée.
Le ficus acheté récemment trône dans un coin de la pièce.
Dehors on entend le bruit de la pluie sur les dalles de la terrasse.
Anne-Marie est assise seule dans le canapé au milieu du salon à peine éclairé. Elle fume une
cigarette. C'est la première fois qu'on la voit faire cela depuis le début. Elle pleure en silence.
Des larmes discrètes qu'elle essuie rapidement d'un revers de la main dès qu'elles coulent sur
sa joue.
A l'étage, Jean ne dort pas. Légèrement en retrait en haut de l'escalier, il regarde sa femme.
121.
INT / CLASSE VERONIQUE / JOUR
Dans la classe vide, Véronique retire les derniers dessins des enfants qui décoraient les murs.
Sur le tableau noir, inscrit en gros à la craie de couleur d'une écriture malhabile d'enfant :
Au revoir, maîtresse.
122.
INT / BUS / JOUR
Véronique est assise dans le bus, son cartable sur ses genoux. Elle regarde les dessins des
enfants qu'elle a récupérés... l'un d'entre eux représente la mer toute bleue avec des bateaux
aux voiles colorées… sur un autre sont dessinées des fleurs… un autre encore représente
l'école… sur un suivant, une maison en construction avec un homme debout à côté sous lequel
est écrit : papa
123.
INT / IMMEUBLE VERONIQUE / JOUR
Véronique monte l'escalier qui mène au palier de son appartement et presque arrivée en haut,
elle s'arrête.
Jean l'attend là, devant chez elle.
Un temps.
VÉRONIQUE
Bonjour.
JEAN
Bonjour.
…
Comme je sais que vous allez partir, je voulais vous rendre les disques.
79
Il les lui tend.
VÉRONIQUE
Vous les avez écoutés ?
Jean acquiesce
VÉRONIQUE
Ça vous a plu ?
JEAN
Oui.
En fait, j'ai surtout écouté le morceau que vous aviez joué.
J'y connais rien mais je trouve que vous jouez mieux.
Véronique sourit.
VÉRONIQUE
Non je crois pas, malheureusement.
JEAN
Si, moi je trouve.
Ils se regardent longuement.
VÉRONIQUE
(avec beaucoup de douceur)
Vous savez, je crois que ce serait mieux que vous partiez maintenant.
Jean hésite un instant puis fait quelques pas pour partir.
JEAN
En fait, je voulais vous demander quelque chose.
…
Dimanche qui vient, c'est l'anniversaire de mon père, on organise un repas,
et ça m'aurait fait plaisir que vous veniez jouer un air de violon pour lui.
VÉRONIQUE
Non, je crois pas que ce soit très une bonne idée.
JEAN
Pourquoi ?
VÉRONIQUE
Parce que.
Un temps.
JEAN
80
Ça peut avoir l'air bizarre mais ça m'aurait fait plaisir que mon père entende
quelque chose de beau.
Véronique ne répond rien et secoue négativement la tête.
Un temps.
JEAN
Bon ben, au revoir.
VÉRONIQUE
Au revoir.
Jean s'en va.
Véronique reste immobile un instant avant de rentrer chez elle.
124.
INT / APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Dans son salon, Véronique termine de remplir un carton de livres. Les cadres ont déjà été
retirés du mur et quelques cartons s'entassent dans un coin. Sur l'un d'entre eux, le violon,
enfermé dans son étui.
La pièce a perdu sa vie.
Elle a aussi retiré le rideau devant la fenêtre du salon. L'encadrement peint en bleu tranche
violemment avec le mur glabre.
Véronique replie maintenant son fin pupitre métallique qui ne prend bientôt presque plus de
place et le glisse dans une malle.
Véronique enveloppe ses verres dans du papier journal et les dépose les uns sur les autres
dans un carton. Elle arrête soudain son geste.
125.
INT / SALON - MAISON JEAN / NUIT
Jean, Anne-Marie et Jérémy sont assis à la table du salon. Ils fabriquent des guirlandes en
papier crépon et des lampions.
Anne-Marie explique à son fils comment s'y prendre.
Jean, lui, reste silencieux. Ce qui n'échappe pas à Anne-Marie.
Soudain, le téléphone sonne. Jérémy va décrocher.
JEREMY
Allo…
Oui, c'est moi…
(à son père)
Papa, c'est la maîtresse.
Gêne autour de la table.
Jean se lève et va prendre le combiné.
Jérémy revient s'asseoir.
Anne-Marie est devenue soudain toute triste.
JEAN
Allo…
(Un temps… Jean sourit)
81
Ah, c'est super, je vous remercie.
Oui, c'est ça, c'est dimanche midi.
Au revoir.
Il raccroche et retourne s'asseoir.
JEAN
(à Jérémy, avec l'air le plus détaché possible)
J'avais demandé à ta maîtresse de venir jouer du violon à l'anniversaire de
papy. Et elle est d'accord.
Anne-Marie encaisse.
JEAN
(à Jérémy)
Tu savais qu'elle jouait du violon ?
JEREMY
Non.
ANNE-MARIE
Et t'es sûr que ça va intéresser ton père ?
JEAN
Ben ouais, c'est très joli le violon.
Tu connais pas ?
Cette petite question anodine est en même temps un peu méprisante. En tous cas, Anne-Marie
le ressent comme ça.
Un temps.
JEAN
C'est pas une bonne idée ?
ANNE-MARIE
(qui a du mal à contenir son émotion)
Si si.
126.
INT / COULOIR MAISON JEAN / NUIT
Les lumières dans la maison sont éteintes. Seul un rai de lumière est perceptible sous la porte
des toilettes au fond du couloir. On entend les bruits de quelqu'un qui vomit.
La lumière de la chambre s'allume et quelques secondes plus tard, Jean sort et s'approche de la
porte des toilettes. Il frappe doucement.
JEAN
Ça va ?
ANNE-MARIE
(off)
82
C'est bon, c'est rien.
Un temps.
Elle vomit à nouveau.
JEAN
Tu veux quelque chose ?
ANNE-MARIE
(off)
C'est rien, je te dis, va te recoucher.
127.
INT / CHAMBRE JEREMY / NUIT
Jérémy est dans son lit… mais il ne dort pas. Il entend indistinctement les bruits de la
conversation de ses parents dans le couloir.
128.
INT / CHAMBRE PARENTS MAISON JEAN / NUIT
Jean est recouché.
On entend le bruit d'un robinet d'eau qui coule depuis la salle de bain avant de s'arrêter.
Un instant plus tard, Anne-Marie rejoint Jean et se couche.
JEAN
Ça va mieux ?
ANNE-MARIE
Ça va, ça va.
(un temps)
Il fallait bien que ça arrive.
J'ai l'impression que j'ai eu plus de chances avec Jérémy.
Silence…
ANNE-MARIE
Jean…
JEAN
Oui.
Un temps.
ANNE-MARIE
Tu m'aimes ?
Jean se sent presque pris en défaut.
JEAN
Bien sûr que je t'aime.
83
129.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Jour d'anniversaire du père.
Il y a pas mal de monde dans le jardin de la maison de Jean. Les adultes discutent par petits
groupes et 6 ou 7 enfants jouent en riant et en criant.
Sur une grande table près de la terrasse, il y a un buffet.
Jean est allé accueillir Véronique qui vient d'arriver et il va la présenter à son père et aux
personnes près de lui. Véronique n'est finalement pas très à l'aise au milieu de tous ces gens
qu'elle ne connaît pas.
JEAN
Papa, je te présente Véronique, la maîtresse de Jérémy.
Le père serre la main de Véronique.
LE PÈRE
Alors il apprend bien à l'école, Jérémy ?
VÉRONIQUE
Ça va, ça va, il a fait une bonne année.
JEAN
Elle est venue parce qu'elle a un cadeau pour toi tout à l'heure.
LE PÈRE
C'est quoi ?
JEAN
Tu vas voir, ça va te plaire.
Tu veux que j'aille te chercher quelque chose à boire ?
LE PÈRE
C'est bon, ça va.
Jean poursuit les présentations pour Véronique.
JEAN
Alors… ma sœur aînée, Christine.
Christine a une dizaine d'année de plus qu'Jean. C'est une femme qui a sans doute été assez
belle mais son visage est aujourd'hui fatigué. Les batailles de la vie ont creusé ses traits bien
qu'elle affiche toujours une vraie énergie.
CHRISTINE
Bonjour.
VÉRONIQUE
Bonjour.
84
JEAN
Et mon autre sœur, Laurence.
Laurence est une femme qui dégage quelque chose de méfiant, elle n'est pas particulièrement
avenante. Elle se protège.
LAURENCE
Bonjour.
VÉRONIQUE
Bonjour.
JEAN
Et puis leur mari sont…
(il les cherche du regard)
… là-bas.
Voilà, vous connaissez toute la famille.
Vous avez vu Jérémy ?
VÉRONIQUE
Oui, il est venu me dire bonjour en arrivant.
JEAN
Vous voulez boire quelque chose ? On a du punch.
130.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Un peu plus loin, Anne-Marie passe parmi les invités avec un plateau rempli de petits toasts.
Elle aperçoit Jean qui sert un verre à Véronique à quelques mètres de là. La situation n'est
sans doute pas simple pour elle mais elle a décidé de ne rien montrer de ce qu'elle ressent. Et
elle fait bonne figure face à tous ses invités.
ANNE-MARIE
Ça va, vous avez tout ce qu'il faut ?
INVITÉ
Impeccable.
ANNE-MARIE
Alors, avec du rose dessus, c'est des rillettes de saumon et les autres, c'est de
la terrine de canard.
Les invités prennent quelques toasts sur son plateau.
ANNE-MARIE
Il y en a d'autres sur la table, faut y aller.
Jean s'approche d'elle et lui pose la main sur la taille.
85
JEAN
Ça va bien ?
ANNE-MARIE
Ça va, ça va, j'espère juste qu'on a fait assez de toasts.
JEAN
Il y a Véronique qu'est arrivée.
ANNE-MARIE
J'arrive.
131.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Véronique est seule près du buffet, un verre à la main. Elle n'est pas très à l'aise et essaie de
faire bonne figure en offrant un sourire un peu artificiel.
Anne-Marie arrive avec son plateau vide près d'elle. Elle prend des toasts d'un plateau posé
sur la table pour les mettre sur le sien.
ANNE-MARIE
Ça va ?
VÉRONIQUE
Ça va.
ANNE-MARIE
Jean vous a dit qui est qui ?
VÉRONIQUE
Oui oui, ça y est.
ANNE-MARIE
Vous vous servez, hein, c'est fait pour manger.
VÉRONIQUE
C'est bon.
Un petit temps.
VÉRONIQUE
Vous voulez un peu d'aide ?
ANNE-MARIE
Non, non, ça va aller.
Et la voilà repartie avec son plateau à la main.
Anne-Marie n'a pas été désagréable mais elle n'a pas été très chaleureuse non plus. Et
Véronique l'a ressenti.
Pas loin de là, les enfants jouent.
86
Le père de Jean, lui, est toujours assis dans son fauteuil. Il a besoin de son oxygène et les deux
petits tuyaux entrent dans ses narines pour l'aider à respirer. Jean est venu lui apporter un
coussin qu'il lui glisse avec précaution dans le dos.
132.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Près de la table des boissons, Jean parle maintenant avec sa sœur Christine. Il tient une
assiette en plastique à la main et mange une salade de pâtes.
CHRISTINE
Et il dit quoi le médecin ?
JEAN
Il dit, il dit… qu'il a respiré de la merde sur les chantiers toute sa vie et qu'il
a les poumons qui fonctionnent plus.
CHRISTINE
Tu lui dis pas pour le chômage de Marc.
Jean dit non de la tête.
CHRISTINE
Parce que ça, ça va l'achever.
Marc, le mari de Christine arrive.
MARC
Bon, est-ce qu'il reste quelque chose à boire ?
CHRISTINE
(gentille mais ferme)
Tu forces pas… tu fais attention.
MARC
C'est mon deuxième.
CHRISTINE
C'est au moins ton quatrième, me raconte pas d'histoires.
Jean aperçoit Véronique de l'autre côté du jardin qui gonfle un ballon de baudruche pour un
des enfants. Elle fait un nœud au ballon, tourne la tête et accroche un instant le regard de Jean.
Deux secondes pendant lesquelles ils restent suspendus l'un à l'autre puis Jean détourne le
regard.
133.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
C'est la distribution des cadeaux au père de Jean. Chacun a apporté un petit quelque chose et
le père ouvre les paquets avant d'embrasser celui ou celle qui lui a offert. Parfois c'est un
enfant, tout fier qui donne le paquet. Il y a des rires et des exclamations autour du vieux père.
87
134.
INT / CHAMBRE PARENTS / JOUR
Véronique est dans la chambre d'Anne-Marie et Jean. Elle sort son violon de son étui et
commence à l'accorder.
Dehors un enfant chante une petite chanson à son grand-père…
Son regard se pose alors sur la photo de mariage d'Anne-Marie et Jean posée sur la commode.
Elle fixe longuement ces deux jeunes gens bien habillés qui posent dans un jardin fleuri.
Bonheur figé sur un cliché ensoleillé.
La famille applaudit le petit garçon qui termine sa chanson.
Véronique a un instant d'hésitation… puis range son violon précipitamment dans son étui et
récupère son sac et sa veste avant de quitter la chambre.
135.
INT / ESCALIER – SALON – ENTREE MAISON JEAN / JOUR
Véronique descend l'escalier qui mène au rez de chaussée de la maison et se dirige vers la
sortie.
Soudain la voix de Christine, la sœur de Jean.
CHRISTINE
Ah, vous êtes là, on vous cherchait. On donne les cadeaux à mon père.
Véronique est un peu décontenancée.
VÉRONIQUE
Euh… oui oui, j'arrive.
Christine retourne dans le jardin.
Véronique a un temps d'hésitation.
136.
INT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Tous les regards des invités sont dirigés vers Véronique. Elle se tient debout devant tout le
monde, intimidée. Elle présente le morceau qu'elle va jouer et cale l'instrument entre son
épaule et son menton. Elle a un gros trac et prend un long temps avant de se lancer.
Jean est assis. Anne-Marie est debout, à quelques pas de là sur sa gauche.
Puis Véronique fait lentement glisser son archet sur les cordes de l'instrument et les premières
notes s'élèvent. C'est un morceau à la fois gai et mélancolique.
Tout le monde, adultes et enfants, écoutent Véronique avec attention.
Jean est complètement en admiration. Autant par ce qu'il entend que par Véronique. Une
émotion profonde grandit en lui, il est comme aspiré par la musique. Il fixe le visage de
Véronique, ses doigts sur le manche, son archet qui va et qui vient… avec un regard d'amour.
Anne-Marie tourne son regard vers son mari et ce qu'elle voit dans les yeux de Jean lui fait
mal. Elle est là, au milieu de toute sa famille, impuissante, face au sentiment amoureux qui
traverse Jean.
Lui, ne la voit pas, il ne regarde que Véronique… uniquement Véronique.
Anne-Marie quitte alors discrètement l'assemblée et rentre dans la maison.
137.
INT / CHAMBRE PARENTS - MAISON JEAN / JOUR
88
Anne-Marie est assise sur son lit, elle pleure doucement. Dehors, on entend encore le violon
de Véronique. Anne-Marie a vu dans le regard de Jean quelque chose qu'elle ne connaissait
pas et qui la rend terriblement malheureuse. Puis ce sont les dernières notes du morceau et les
applaudissements.
138.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Une des tantes de Jean, une femme d'une soixantaine d'années, parle avec Véronique.
LA TANTE
Mais vous faites des concerts ou quelque chose comme ça ?
VÉRONIQUE
Non non, c'est juste pour moi.
Mais j'en ai fait, il y a longtemps. Il y a très longtemps.
LA TANTE
Ah oui, quand même. Parce que là, c'est plus qu'un niveau amateur.
Jean est à quelques pas de là, il est face à la table sur laquelle sont posées les boissons. Il tient
un verre à la main, dos à nous. Il est sous le choc de l'émotion qui l'a traversé tout à l'heure. Il
fixe le verre entre ses doigts… puis il tourne la tête légèrement vers Véronique et la regarde
parler avec sa tante.
139.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Anne-Marie joue avec les enfants. Mais elle se force à faire bonne figure car elle n'a pas le
cœur à cela.
Véronique la rejoint. Elle a récupéré sa veste et son étui à violon.
VÉRONIQUE
Je vous dis au revoir.
ANNE-MARIE
Ah, au revoir.
Elles se serrent la main.
ANNE-MARIE
Alors ça y est, vous nous quittez ?!
VÉRONIQUE
Oui.
Un temps.
ANNE-MARIE
Vous allez où ?
89
VÉRONIQUE
Chez moi, en région parisienne.
ANNE-MARIE
Bon ben… bon courage.
VÉRONIQUE
Merci.
Et merci pour l'invitation.
ANNE-MARIE
Vous rentrez comment ?
VÉRONIQUE
Jean m'a proposée de me raccompagner.
Anne-Marie encaisse. Elle parvient tout de même à sourire mais cela lui est douloureux.
VÉRONIQUE
Au revoir.
ANNE-MARIE
Au revoir.
Et elle s'en va.
Anne-Marie la regarde s'éloigner.
Plus loin dans le jardin, Jean rejoint Véronique et ils quittent la fête ensemble.
140.
INT / VOITURE JEAN / JOUR
Jean et Véronique sont en voiture, assis côte à côte dans le silence de l'habitacle à peine
perturbé par le bruit du moteur.
Les façades des maisons de la ville défilent devant les yeux de Véronique. Dans quelques
heures, cela appartiendra à son passé. Elle en est presque déjà détachée.
Un temps…
JEAN
Je peux vous montrer quelque chose ?
VÉRONIQUE
Quoi ?
141.
EXT / ROUTE DE CAMPAGNE / JOUR
La voiture de Jean vient se garer sur cette route qui domine la ville. Ce même endroit où il est
déjà venu s'isoler pour écouter les disques que lui avait donnés Véronique.
Ils descendent de voiture.
90
142.
EXT / ROUTE DE CAMPAGNE / JOUR
Véronique fixe la ville qui s'étend en contrebas.
Jean est à quelques mètres d'elle, appuyé contre sa voiture. Il la regarde longuement. Elle est
presque de dos par rapport à lui. Il fixe sa nuque… ses épaules… une main.
Puis Véronique vient s'appuyer à son tour contre la voiture.
Un temps…
VÉRONIQUE
Vous venez souvent ici ?
JEAN
Ça m'arrive… de temps en temps. J'aime bien.
On voit loin.
Un silence.
VÉRONIQUE
Tout à l'heure, je vous regardais avec votre papa et je trouvais ça très
touchant. Vous prenez vraiment soin de lui.
JEAN
On en a qu'un.
…
Vous faites pas pareil ?
Véronique s'assombrit.
VÉRONIQUE
Non.
On fait pas ça chez nous.
Un temps.
JEAN
Vous partez quand ?
VÉRONIQUE
Demain matin. J'ai mon train à 10H00.
143.
EXT / RUE DEVANT IMMEUBLE VERONIQUE / JOUR
La voiture de Jean s'immobilise au pied de l'immeuble de Véronique. Il coupe le moteur.
Silence…
Jean tourne son visage vers Véronique qui le regarde bientôt à son tour. Ils se dévisagent
longuement. Très longuement. Ils savent que bientôt, ils ne se verront plus. Alors ils retardent
l'instant de se séparer. Puis Véronique prend la main de Jean, l'embrasse plusieurs fois et la
serre contre elle un instant. Puis elle la relâche et quitte la voiture.
Bruit de la portière qui claque.
91
Jean regarde Véronique s'éloigner jusqu'au moment où elle disparaît derrière la porte de son
immeuble.
Jean baisse les yeux et reste immobile un long moment dans le silence de l'habitacle. Voilà,
cette histoire est terminée.
Silence…
Puis comme s'il sentait quelque chose, Jean relève les yeux. Véronique est là devant lui, à
quelques dizaines de mètres de la voiture.
Un temps.
Jean sort brusquement de sa voiture et rejoint Véronique qui se blottit dans ses bras.
144.
INT / CHAMBRE APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Bruit du froissement des tissus dans la pénombre de la chambre. Jean retire lentement le
chemisier de Véronique avant qu'elle ne retire à son tour sa chemise. Ils s'embrassent et se
caressent avec une attention et un abandon absolu.
Puis nus, à peine recouverts du drap, ils font l'amour lentement. Leur respiration est lourde
pendant que le plaisir monte en eux. Ils s'embrassent, se regardent, se caressent et finissent par
jouir ensemble. Ils restent un instant immobile, presque suspendus, sans respirer, et Véronique
entoure Jean de ses bras et le serre très fort contre elle.
145.
INT / CHAMBRE APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
La pièce est redevenue silencieuse. Jean est allongé dans le lit, Véronique s'est blottie dans ses
bras. Ils restent ainsi un long moment… sans bouger… sans parler. Voilà, le temps s'est
arrêté.
146.
INT / CHAMBRE APPARTEMENT VERONIQUE / JOUR
Jean s'habille. Il a déjà remis son pantalon et boutonne maintenant sa chemise.
Véronique est assise sur le bord de son lit.
Un temps.
Puis des larmes discrètes coulent sur la joue de Véronique.
Jean s'approche d'elle et la serre contre lui. Elle l'entoure de ses bras, s'accroche à lui et pleure
longuement. Puis, au bout d'un moment, elle se détache et le repousse légèrement.
VÉRONIQUE
(doucement)
Allez, va-t-en maintenant.
Mais Jean ne bouge pas.
Véronique devient plus insistante.
VÉRONIQUE
Allez… va-t-en, s'il te plait.
Après un instant, Jean se penche vers Véronique et lui parle tout bas à l'oreille. On n'entend
pas ce qu'il lui dit.
Véronique secoue négativement la tête.
Il lui parle à nouveau tout bas.
92
VÉRONIQUE
(très bas mais audible)
Ne me dis pas ça si tu le fais pas, Jean.
Silence…
VÉRONIQUE
Et ta femme ?
Et ton fils ?
Jean ne répond rien.
Un temps.
JEAN
A demain.
Il se lève puis s'en va.
Véronique reste seule.
On entend le bruit de la porte d'entrée qui se ferme.
Silence…
147.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / JOUR
Les invités sont encore là dans le jardin de la maison de Jean. Il y a de la musique, les bruits
des discussions, les cris des enfants.
Anne-Marie aperçoit Jean qui rejoint directement la table où il y a des boissons. Il se verse un
punch, l'avale d'un trait puis s'en ressert un autre.
Anne-Marie a compris ce qui s'est passé, elle n'est pas dupe. Et elle a mal.
148.
EXT / JARDIN MAISON JEAN / NUIT
Il fait nuit. Tous les invités sont maintenant partis. Le silence est revenu. La lumière de la
terrasse éclaire un peu le jardin.
Anne-Marie et Jean ramassent ensemble en silence les assiettes, les couverts et les verres
encore étalés sur la grande table. Ils évitent de croiser leurs regards.
Son plateau chargé, Anne-Marie rentre dans la maison.
Jean reste seul.
149.
INT / SALLE DE BAIN MAISON JEAN / NUIT
Anne-Marie est assise sur le bord de la baignoire, elle se démaquille.
150.
INT / GARAGE / NUIT
Il fait nuit. Jean entre dans le garage par la porte qui communique avec la maison. Il allume la
lumière, ouvre le coffre de sa voiture et y dépose un petit sac de voyage. Puis il referme
discrètement le coffre, éteint la lumière et quitte le garage.
93
151.
INT / CUISINE MAISON JEAN / JOUR
Il fait jour…
Jean prend son petit déjeuner.
Anne-Marie lave quelques couverts dans l'évier.
Un long silence uniquement perturbé par le son d'une radio qui diffuse les infos du matin.
Anne-Marie s'essuie les mains et quitte la cuisine.
Jérémy la rejoint dans le couloir.
JEREMY
(off)
Je peux aller jouer dehors avec Paul ?
ANNE-MARIE
(off)
Dans son jardin, pas dans la rue. Et tu prends ton gâteau.
Jérémy entre dans la cuisine pour récupérer un gâteau dans un sachet avant de repartir aussi
vite. Jean le rattrape par la bras et le serre contre lui un instant. Un instant un tout petit peu
long. Jérémy est d'abord surpris mais il passe ses bras autour du cou de son père. Jean
prolonge cet instant encore quelques secondes sans rien dire puis il relâche son étreinte.
JEAN
Allez, va.
Jérémy quitte la cuisine.
Jean reste seul.
152.
INT / ENTREE MAISON JEAN / JOUR
Jean prend sa veste accrochée à la patère près de la porte d'entrée.
JEAN
Bon ben, j'y vais…
ANNE-MARIE
(off)
A ce soir…
Jean, mal à l'aise, ne répond rien.
Puis il sort et referme la porte derrière lui.
153.
INT / GARAGE / JOUR
Jean est installé derrière le volant de sa voiture, dans son garage, à l'arrêt. Il ne bouge pas.
Un temps…
Puis les premières notes d'une musique s'élèvent… celle que Véronique lui avait joué le jour
où il était allé changer sa fenêtre.
Il tourne la clé de contact et le moteur démarre.
La musique se poursuit sur toutes les prochaines séquences…
94
154.
INT / VOITURE JEAN / JOUR
Jean est au volant de sa voiture. Les façades des maisons défilent derrière la vitre.
155.
INT / TAXI / JOUR
Véronique est assise, elle, à l'arrière d'un taxi. Le paysage de la ville défile derrière son
visage.
156.
EXT / DEVANT LA GARE / JOUR
Le taxi se gare devant la gare. Véronique sort de la voiture, récupère sa valise et son étui à
violon et rejoint l'entrée du bâtiment…
157.
INT / GARE / JOUR
… Elle traverse le hall, s'arrête un instant pour composter son billet, jette un œil sur le tableau
d'affichage et avec quelques autres voyageurs, descend l'escalier qui rejoint le couloir
souterrain qui mène au quai.
158.
INT / VOITURE / JOUR
Au volant de sa voiture, Jean fait les derniers mètres qui le mènent au parking de la gare. Il
cherche une place mais il n'y en a pas une de libre.
Alors, il ressort du parking.
159.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Le train n'est pas encore en gare. Véronique grimpe les dernières marches de l'escalier qui
mène au quai, fait quelques mètres et pose sa valise et son étui à violon à ses pieds.
160.
INT / VOITURE JEAN / JOUR
Jean repère une place dans une rue près de la gare. Il s'arrête, coupe le moteur et sort de sa
voiture.
Il ouvre le coffre, récupère son sac, referme le coffre et rejoint l'entrée de la gare en pressant
le pas.
161.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Le train apparaît soudain au loin et entre en gare dans un vacarme assourdissant en passant
lourdement devant Véronique restée debout près de la voie. Bruit des freins qui ralentissement
violemment la machine.
162.
EXT - INT / PARKING GARE – HALL GARE / JOUR
Toujours d'un pas ferme, Jean traverse le parking et rejoint l'entrée de la gare.
95
163.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Le train s'est maintenant complètement immobilisé et les premiers passagers, encombrés de
leurs bagages, descendent du train.
164.
INT / COULOIR SOUTERRAIN DE LA GARE / JOUR
Jean descend l'escalier de la gare et rejoint le couloir qui passe sous les voies. Il marche sans
s'arrêter, sans regarder les gens qu'il croise. Il va rejoindre Véronique.
Et puis soudain, imperceptiblement, quelque chose se passe… son pas ralentit. D'abord
légèrement puis de plus en plus clairement. Des voyageurs le dépassent…
165.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Encore quelques passagers à descendre du train et Véronique laisse passer devant elle les
voyageurs qui veulent monter.
L'escalier qui donne sur le quai laisse régulièrement apparaître des passagers. Mais pas Jean…
166.
INT / COULOIR SOUTERRAIN DE LA GARE / JOUR
Et pour cause… Il s'est arrêté au pied de l'escalier qui rejoint le quai et il ne parvient pas à
faire ces quelques derniers mètres. Il est là, comme écrasé par un poids énorme qui l'empêche
de bouger.
167.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Encore trois au quatre passagers à monter dans le train puis c'est au tour de Véronique d'y
aller… Mais elle s'attarde.
168.
INT / COULOIR SOUTERRAIN DE LA GARE / JOUR
Son sac de voyage à la main, Jean hésite toujours au pied de l'escalier... Il est à deux doigts
d'y aller, il hésite, il est prêt à le faire.
169.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Le quai est maintenant vide, Véronique est la dernière à devoir monter dans le train mais elle
repousse encore le moment de le faire.
170.
INT / COULOIR SOUTERRAIN DE LA GARE / JOUR
A quelques mètres de là, Jean parvient à faire un mouvement de son corps...
171.
EXT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Véronique ne veut toujours pas monter dans le train.
Soudain un homme apparaît en haut de l'escalier…… mais ce n'est pas Jean.
Un coup de sifflet du chef de quai pour signaler à Véronique de monter dans le train. Elle
retarde encore le moment.
96
172.
INT / COULOIR SOUTERRAIN DE LA GARE / JOUR
Il suffirait à Jean qu'il grimpe ces quelques marches pour rejoindre la femme qu'il aime mais,
son sac à la main, il est incapable de faire le moindre geste.
Soudain, un nouveau coup de sifflet du chef de quai qui signifie que le train va bientôt partir.
A cet instant, Jean sait qu'il ne partira jamais.
173.
INT / QUAI DE LA GARE / JOUR
Véronique est maintenant obligée de monter dans le train. Les portes se referment presque
immédiatement derrière elle. Elle regarde une dernière fois en direction de l'escalier… et
soudain, elle voit Jean, debout au milieu des marches, son sac posé à ses pieds.
Jean et Véronique se regardent intensément en sachant que bientôt ils ne se verront plus
jamais. Le train se met lentement en mouvement. Véronique et Jean ne peuvent détacher leur
regard l'un de l'autre et s'accrochent comme des naufragés à ces derniers instants.
Le train prend de la vitesse et s'éloigne peu à peu.
Jean fixe le plus longtemps possible ce train qui devient un petit point qui disparaît bientôt
complètement.
Le quai est redevenu silencieux, Jean est seul au milieu de l'escalier.
Fin de la musique.
Alors Jean récupère son sac, redescend lentement les quelques marches de l'escalier et
disparaît.
174.
INT / ENTREE MAISON JEAN / JOUR
Jean rentre chez lui. D'un geste lent, il retire sa veste qu'il accroche à la patère.
175.
INT-EXT / CUISINE MAISON JEAN / JOUR
Anne-Marie est en train de préparer le déjeuner dans la cuisine. Elle a un regard étonné vers la
pendule. Jean ne devrait pas être là.
Il la rejoint et, sans un mot, avec l'habitude du quotidien, gestes mille fois répétés, il prend un
torchon et se met à essuyer les quelques assiettes posées sur l'égouttoir de l'évier.
Anne-Marie voit le sac de Jean posé dans l'entrée. Elle tourne son regard vers son mari et le
regarde un instant sans qu'il le remarque. Il est ailleurs. Peut-être… sans doute a-t-elle
compris. Alors elle reprend en silence la préparation du repas pendant qu'Jean continue
d'essuyer la vaisselle.
Un temps…
ANNE-MARIE
Il y a ton père qu'a appelé tout à l'heure. Il voudrait que tu passes le voir
demain.
Jean acquiesce d'un léger mouvement de la tête.
ANNE-MARIE
Il l'a pas dit mais je crois qu'il était heureux de son anniversaire.
97
Un temps.
JEAN
Oui… c'était une belle fête.
FIN