Courageux mais pas téméraire…
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Courageux mais pas téméraire…
À l’aveuglette dans la vie suivante (suite) appel du large Courageux mais pas téméraire… Avril 2007, Port Tudy dans l’île de Groix, la ravissante île de Bretagne sud à laquelle les rhododendrons géants en liberté donnent un air de Sud. Justement, Thoè a attendu tout l’hiver que son capitaine l’emmène vérifier si la lumière et la chaleur du Sud sont plus captivants que la sauvagerie de la grise nature écossaise. Pour gagner du temps, il n’a pas souillé sa jupe dans ce port bien protégé, propre et respectueux de la caisse du bord. Pour aller au Sud, il faut traverser la sulfureuse renommée du Golfe de Gascogne. Courageux mais pas téméraire… j’ai fait appel à l’équipe. les présentations du plan de pont et de Thoè à Étienne. Avec Xantus, un X-412, il est passé trop vite au Sud. Il voulait vivre un flash-back en Galice. Ce sera NOTRE objectif, après MON pèlerinage breton. Dis Capitaine ! – Les bateaux ont-ils une âme ? – Je n’en sais rien. Il faudrait le leur demander ! La question me tarabuste. Dans le doute, abstiens-toi, dit le dicton. Donc ils n’ont pas d’âme. Mais le principe de précaution me dit que dans le cas où ils en auraient une, il faut lui faire honneur. Honneur aux âmes ! Pour une fois, je respecte le stupide principe de précaution édicté par une société d’assistés allergiques au moindre risque. L’abstention du doute ne devrait pas exister non plus. Il vaut mieux agir et se tromper que ne pas agir et ne rien apprendre. Après notre amarinage express, nous faisons escale à l’île d’Yeu, patrie Photos © Pierre Lang U ne barge entrave la sortie du bassin à flot du charmant port, dont le charmant capitaine n’a pas hésité à aider à gréer les voiles. Impatient, je me hasarde quand même à essayer de faire dessiner par Thoè un sillage en forme de baïonnette naine avec le vent de travers. Cette action aussi téméraire qu’impossible à réaliser ne sera pas récompensée : longue éraflure dans la coque, malgré l’aide des gens présents. Nous voilà en mer, vers le non moins charmant port couleur pastel de Sauzon (Belle-Île). Puis La Trinité sur Mer, lieu de naissance de Thoè. Mon ami Étienne m’y rejoint. Nous nous mettons en route cinq minutes après le départ du Spi Ouest, après avoir vérifié les anodes et nettoyé l’hélice. Cap sur l’île de Houat pour 36 de Tara, pour dire au revoir au sister-ship de Thoè. 50 milles parcourus sous le soleil exactement. Thoè n’a pas vu Tara depuis son baptême en 2005. Leurs robes bleu ciel et jaune d’or se marient très bien. Les deux bateaux se retrouvent côte à côte. Quand on les voit se dandiner de conserve, on ne peut s’empêcher de penser qu’ils ont une âme. Courageux mais pas téméraire… Caresse d’ego à La Rochelle Ouf ! Thoè n’a pas accroché le pont de l’île de Ré avec son mât de 16 mètres. Pour sûr ! Il est à plus de 30 mètres ! On a beau le savoir, on garde l’impression qu’on va déchirer le tablier en deux. Nous avons de bons souvenirs à La Rochelle aussi. Deux mois après sa naissance, Thoè avait remporté le premier prix du Concours Bateaux en Bois, au Grand Pavois 2001. Petit cocorico belge au pays des bateaux caravanes de grande série. Longue partie de golfe Après l’assiette de fruits de mer à l’abri de la muraille de la cité corsaire et une douce nuit dans le port des Minimes, nous larguons la dernière amarre pour la traversée du terrible golfe de Gascogne. « Minimes » : quel nom ridicule pour la plus grande marina de la côte Atlantique ! Outre l’amitié que j’ai pour Étienne, c’est aussi pour cette partie de golfe que j’ai fait appel à lui. Quand c’est possible, j’aime courir deux lièvres à la fois. Un objectif principal à ne pas manquer et un objectif accessoire qui constitue le cadeau bonus s’il se réalise sans qu’il soit une déception s’il ne se réalise pas. C alme plat. En route au moteur sous le soleil. Décidément, Éole nous ménage avant d’entamer les choses sérieuses ! Nous laissons à bâbord le phare du Rocher d’Antioche, au nord de l’île d’Oléron, où les pêcheurs s’activent. Étienne est un équipier exemplaire. Le meilleur équipier est un skipper chevronné qui arrive à ôter sa casquette de capitaine pour endosser le gilet d’équipier d’un autre capitaine. C’est à l’équipier de s’adapter aux habitudes du capitaine et pas le contraire. Rien de pire que quelqu’un qui essaye de changer les habitudes du bord. Imaginez-vous ce qui arrive quand les aussières sont lovées à la mode des antipodes et rangées à un endroit inhabituel ! Le plus subtil, pour un équipier, est d’aller au-delà de ce simple comportement moutonnier. Tout en déléguant la responsabilité de son devenir à son capitaine, il doit néanmoins être prêt à lui suggérer toutes les initiatives utiles et importantes. Mais il doit accepter qu’elles ne soient pas suivies de l’effet escompté. Sans oublier qu’un bon capitaine est capable de déléguer ses propres responsabilités à ses équipiers. Pas simple ! – Pierre, tes aussières, tu les tournes dans quel sens ? – P ffft ! J’en sais rien ! Je ne me suis jamais posé la question ! Il y a un sens ? – (silence compatissant) A propos, tu sais ce que se racontent deux skippers qui se rencontrent ? – Cette fois, ce n’est pas une colle ! Ils se racontent des histoires de skippers et de bateaux. C es histoires tombent à pic. Heureusement qu’elles sont à la fois innombrables et interminables. Un mille au moteur, cela use, cela use… Tralalilalère… Deux milles au moteur, cela use, cela use… Tralalilalère… Honte ! Nous ne connaissons pas de chansons de marins. Le golfe avec « e » portait bien son nom en ce début de printemps. Sa surface inquiétante était mieux tondue, plus plate et plus lisse que le green anglais du trou numéro 18 du parcours des championnats du monde de golf sans « e ». Génial pour Tiger Woods. Pour nous, le green liquide bleu était bien trop long, même en utilisant un bois de 6 tonnes prolongé d’un fer de 2,5 tonnes, au bout d’un manche en aluminium de 16 mètres. Étienne a été d’un secours inappréciable pour cette interminable traversée de 45 heures au moteur. Deux cent quinze milles au moteur, cela donne le temps de profiter à fond les manettes du soleil… des histoires de skippers… des dauphins devant l’étrave… de la cuisine… de la douceur de vivre… Terre ! Les nuages annoncent enfin la terre espagnole. La brume fait timidement son apparition. Nous arrivons à Ribadesella, aussi soulagés que si nous avions navigué pendant deux jours dans la baston. L’échelle de mât en sangle est hissée le long du hauban pour pouvoir monter sur le quai de pierre, nous dégourdir les jambes et profiter de cette escale bien sympathique. • Pierre Lang Mes carnets de bord sur CD-ROM : www.thoe.be