Doit-on toujours dire la vérité ? Une approche philosophique
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Doit-on toujours dire la vérité ? Une approche philosophique
ANNEXE 2 Doit-on toujours dire la vérité ? Une approche philosophique Cette question a été envisagée, dans le cadre d'une polémique philosophique qui a opposé B.Constant* et E. Kant*, vers 1797. Pour Kant, connu comme le grand penseur des fondements de la morale, le devoir de vérité est un devoir absolu : sans lui, toute parole perd crédit et le fondement de tout contrat devient invalide. En ce sens, tout mensonge est une injustice commise à l'égard de l'humanité en général, puisqu'il ruine la confiance (il suffit qu'on vous mente une fois pour que vous deveniez méfiants et mettiez toutes les paroles futures en doute). B. Constant imagine alors la situation suivante : « supposons que des assassins se présentent à votre porte en vous demandant si votre ami qu'ils poursuivent n'est pas réfugié dans votre maison. » Supposons qu'ils soient patibulaires, vraiment menaçants, armés ; bref, vous ne pouvez biaiser. Que devez-vous faire ? Devez-vous vous en tenir au devoir de vérité et risquer de faire courir votre ami à sa perte ? Ne pas mentir reviendrait ici à livrer le fugitif à l'assassin ! Il y a ici conflit de devoirs : le devoir de vérité entre en compétition avec le devoir d'assistance à personne en danger. Le sujet est partagé entre deux exigences incompatibles. La situation proposée par Constant invite à envisager les conséquences de sa parole : si je parle, que se passe t-il ? Le sujet moral est responsable des conséquences de ses actes, appliquer un principe rigide de façon aveugle est inacceptable. Le cas envisagé par Constant est habilement choisi, car il ne peut manquer de faire vaciller les certitudes des tenants de la vérité à tout prix : lequel d'entre-nous opterait dans pareil cas pour la vérité ? E. Kant va répondre à Constant dans un petit opuscule intitulé « Sur un prétendu droit de mentir par humanité ». (Le titre à lui seul en dit long !) La moindre dérogation accordée au devoir de vérité, fût-ce au nom de principes généreux, soulève au moins 2 difficultés : - Si on tolère ne serait-ce que la plus petite exception au devoir de vérité, son « autorité devient aussitôt chancelante et vaine », c'est la raison pour laquelle il doit s'agir d'un « devoir absolu qui vaut en toute circonstance » (cf Woody Allen, « Crimes et délits »). - « La vérité n'est pas un bien dont on serait propriétaire et sur lequel on peut reconnaître un droit à l'un tandis qu'on le refusera à l'autres ». « Il ne fait aucune différence entre les personnes envers lesquelles on puisse avoir ce devoir et celles envers lesquelles il serait possible de s'en exempter ». www.occe.coop Office Central de la Coopération à l’Ecole Autrement dit, la vérité est un devoir corrélatif à un droit de la personne lié à la reconnaissance de sa dignité et de son autonomie de sujet : lui mentir, c'est porter atteinte à ce droit. Le cas soumis par Constant semble limpide, il est beau comme un cas d'école, mais rares sont les situations réelles (dans lesquelles nous sommes partagés entre devoir de vérité, et, pour le dire vite, «devoir d'humanité ») qui se présentent de manière aussi simple. Comment prendre alors la juste décision ? - Comment être sûr que des considérations autres que le souci d'humanité n'entreront pas en ligne de compte plus ou moins à notre insu ? Dissimule-t-on la vérité à un patient parce qu'on sait qu'elle lui sera néfaste, ou parce que la révéler serait trop déstabilisant pour soi-même, ou encore parce qu'on ne veut pas empiéter sur les plates-bandes d'un autre praticien ? Comment y voir clair ? Peut-on être certain que la mauvaise foi ne viendra pas s'immiscer dans la décision ? - Comment garantir qu'une première exception n'en encouragera d'autres par la suite, qui deviendront plus aisées parce que précédées par une « première fois », mais pas plus légitimes pour autant ? C'est pourquoi on ne peut pas prendre à la légère les remarques de Kant : s'exempter trop rapidement du devoir de vérité c'est occulter le risque de se servir du devoir d'humanité comme d'un alibi (qui masquerait ou justifierait d'autres mobiles). (Chez Kant il y a toujours la question : que se passerait-il si j'universalisais la maxime de mon action = si le mensonge devenait la règle) Si je considère l'autre comme un sujet à part entière, c'est-à-dire comme une personne consciente apte à exercer son jugement et à exercer son libre choix, le droit à la vérité est une des conditions de son autonomie. Qu'est-ce qu'être autonome ? Littéralement, est auto-nome celui qui se donne à lui-même sa propre loi. Le terme reçoit d'abord une acception dans l'ordre du politique et de la morale, désignant celui qui est apte à déterminer lui-même les règles auxquelles il se soumet. Moralement, je ne peux pas être autonome si je suis maintenu dans l'ignorance de ce qui me concerne directement. Comment pourrai-je alors me gouverner, sans même savoir dans quels eaux je vais devoir naviguer ? Intervention dans le cadre du réseau SPHERES (Soins palliatifs hôpitaux et réseau externe de santé) A.Champsaur www.occe.coop Office Central de la Coopération à l’Ecole