La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955)
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La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955)
La Nuit du chasseur de Charles Laughton (1955) Présentation avant la projection : . La Nuit du chasseur occupe une place singulière dans l'histoire du cinéma car ce classique est l'unique film de l'acteur Charles Laughton. Ce que l'on ne sait pas toujours à son sujet, c'est qu'il a été un échec à sa sortie (échec qui empêchera Laughton de réaliser d'autres films). Ce film est aussi singulier par sa forme, extrêmement élaborée. Il a été écrit et pensé en étroite collaboration avec l'auteur du roman dont il est adapté, Davis Grubb (dont c'est le premier roman) qui a dessiné des croquis qui inspireront de nombreux plans du film. James Agee (célèbre auteur de Louons maintenant les grands hommes sur la Grande Dépression) a participé à l'écriture du scénario. Cet apport nous renvoie aux deux univers qui s'entremêlent dans le film : celui prédominant du conte et celui plus réaliste de l'Amérique pauvre des années 30 dans laquelle se déroule cette histoire. L'image du film est signée Stanley Cortez, également chef opérateur de La Splendeur des Amberson d'Orson Welles et de Shock Corridor de Samuel Fuller. INTRODUCTION . Laughton le conteur : Acteur britannique. Grand acteur de cinéma au physique ingrat (« J'ai un visage comme l'arrière-train d'un éléphant»), bien souvent abonné aux rôles de méchant (cf. Les Révoltés du bounty de Frank Lloyd). Il est aussi un grand homme de théâtre qui connaîtra des passages à vide dans sa carrière. Il était un lecteur et un conteur passionné : il a fait des lectures radiophoniques et des enregistrements de la Bible, de Dickens, de Kerouac (les clochards célestes). Il aurait aimé connaître par cœur toutes les histoires du monde. . Sous le signe de la voie/voix lactée : Evidemment, cette passion pour le conte, pour les histoires est au cœur du film et c'est même ce qui semble le motiver. Cette dimension se manifeste d'emblée via la berceuse dite par l'actrice Lilian Gish (Rachel Cooper) aux enfants sur un fond de ciel étoilée (au départ, c'est la voix de Laughton lui-même que devait ouvrir le film). Tout part donc de la voix de la conteuse et de cette nuit étoilée qu'elle illumine de ses mots, comme si l'histoire qui nous étaient racontée était intemporelle, venait de la nuit des temps. Les points de vue aériens qui ponctuent le film nous renvoie clairement à cette idée. Ils dessinent un mouvement du haut vers le bas qui établit un lien entre l'universel et le particulier. Lilian Gish s'apparente d'emblée à une fée qui, en citant le sermon sur la montagne, met en garde contre les faux prophètes. La Bible est ici appréhendée comme un conte. Les paroles de la vieille femme témoignent de la bienveillance du film à l'égard des enfants qui savent d'emblée à quoi s'en tenir : ils vont voir une histoire avec un méchant ! Il est étonnant de voir que John n'apparaît pas parmi les enfants autour de Gish, comme si ce message lui était directement adressé. Avant la séance : Dans ce même esprit, les enseignants pourront, pour préparer la séance, revenir sur le conte et ses personnages récurrents. Ils inviteront les élèves à retrouver ces figures universelles dans le film. 1. Des enfants à l'épreuve La première image des enfants, au milieu d'un champ de fleurs, rappelle le ciel étoilé du début (les fleurs sont comme des étoiles tombées du ciel). Ils semblent donc d'emblée raccordés au conte et placés sous un regard protecteur (une bonne étoile) et bienveillant, celui de Rachel mais aussi celui du réalisateur. A. Des obstacles à franchir Comme dans tous les contes, les enfants suivent un parcours initiatique et sont mis à l'épreuve. • Faire énumérer par les élèves les épreuves traversées par ces enfants. . Peur de perdre ses parents . Peur du noir (un parallèle peut être fait avec la scène du Blanche-Neige de Walt Disney, quand l'héroïne se perd dans les bois avant sa rencontre avec les 7 nains) . La rencontre avec le Mal . Peur de l'inconnu, peur de se perdre dans un endroit qu'on ne connaît pas (disparition du foyer protecteur) . Peur de la mort Ce sont des éléments que l'on peut rapprocher de contes célèbres (Le Petit Poucet, Les trois petits cochons, Blanche-Neige, etc.) B. Grandir trop vite • Une question semble importante à poser aux élèves pour revenir sur les étapes traversées par John : Pourquoi le garçon est-il triste quand Harry Powell/Mitchum est arrêté ? . Figures paternelles : Face à l'arrestation de Powell, John revit l'arrestation de son propre père et redevient d'une certaine manière l'enfant qu'il était. Cette place il l'avait perdu en devenant en quelque sort le père et protecteur de sa petite sœur, en endossant un costume bien trop pesant pour son jeune âge. A la fin du film, il peut enfin pleurer. . La perte de l'innocence : Cette scène est particulièrement marquante car s'y exprime toute l'émotion et la douleur du garçon jusqu'ici contenues. Elle permet de revenir notamment sur la poupée, symbole de l'enfance, qui devient révélateur de la perte de l'innocence quand elle devient la cachette où est placée l'argent volé. En visant cet argent, le pasteur menace directement l'enfance en s'en prenant à un de ses objets emblématiques et sacrés. . Le poids des mots : on comprend aussi à travers cette scène le poids des mots, c'est-àdire du secret, confié à l'enfant. La parole du père, sacrée aux yeux de l'enfant, était un véritable fardeau pour son fils qui porte aussi à travers la mission qui lui a été confiée le poids de l'acte de violence commis par son père. Le film s'interroge ainsi sur la valeur des mots pour les enfants. . Morale de l'enfant : Pourquoi John ne veut pas parler pendant le procès ? C'est une idée magnifique dans le film. Il ne veut sans doute plus rien avoir à faire avec ça (et se décharger complètement du poids qu'il avait sur les épaules). Peut-être qu'il veut tout simplement redevenir un enfant. Seule Rachel semble être son référent moral. Le cadeau qu'elle lui fait pour Noël (la montre) va dans le sens d'une reprise du cours de sa vie d'enfant. Juste après la mort de son père et les moqueries des enfants à l'école (la chanson sur le pendu), John regarde une montre dans une vitrine qui lui fait envie mais qu'il ne peut acheter. Le temps semble alors s'arrêter pour lui. C. Le caché et le montré Tout l'enjeu pour John est de rester de bout en bout le gardien du secret que son père lui a confié et le protecteur de Pearl. La tension qui résulte de cette mission passe en termes de mise en scène par un jeu permanent sur ce qui est caché et ce qui est montré, le mensonge et la vérité. Comment la mise en scène organise-t-elle ce jeu ? • Analyse filmique : Les enseignants pourront revenir avec leurs élèves sur la scène qui montre John et Pearl ramassant les derniers billets que la fillette a étalés en jouant par terre alors qu'apparaît en arrière-plan leur méchant beau-père. L'occasion de revenir sur des termes du langage cinématographique (cadre, arrière-plan, avant-plan, hors-champ, éclairage) et sur la notion de suspense. D'autres scènes pourront être évoquées pour illustrer la manière dont le réalisateur crée une tension. • Le regard de John : Les élèves pourront revenir sur les différentes astuces du garçon pour échapper aux menaces du pasteur. La force de John est dans son regard : un regard qui voit tout (à commencer par les mensonges de son futur beau-père), regard qui résiste à la pression et aux menaces (même quand l'espace se resserre autour de l'enfant (cf. discussion dans le couloir). Ainsi, bien souvent le jeune acteur joue en se passant des mots et en s'appuyant uniquement sur l'expressivité de son visage, à la manière d'un acteur du cinéma muet. Ce type de jeu caractérise d'autres personnages et met en évidence l'influence du cinéma muet (et expressionniste) sur l'esthétique du film. Influence qui transparaît plus généralement à travers l'éclairage et les cadrages du film. Les élèves pourront citer les expressions marquantes qui caractérisent certains des personnages et les reproduire (le manque d'assurance et la naïveté de la mère, la folie du pasteur, la bêtise de Icey Spoon, l'air bon et sévère de Rachel), soit une manière de revenir sur le pouvoir des images qui fait que l'on peut aussi se passer des dialogues pour exprimer les émotions, les pensées qui traversent les personnages. Les enseignants pourront passer un extrait d'un film muet, si possible avec Lilian Gish jeune (Les Deux ophelines ou Le lys brisé de Griffith) et être sensibilisé au jeu des acteurs des premiers temps du cinéma. Ils pourront aussi leur montrer quelques images emblématique du cinéma expressionniste (tirées du Cabinet du docteur Caligari par exemple) D. Habiter la nuit, vaincre ses peurs : les ressources de l'enfance Comment les enfants parviennent-ils à surmonter leur peur ? La célèbre scène de leur fuite sur la rivière illustre de manière sublime la manière dont les enfants vont avancer dans l'inconnu et peupler la nuit de leur imaginaire. Leur traversée prend place dans un monde à la fois primitif peuplé d'animaux (qui nous renvoie à la dimension intemporelle et universelle du conte) et merveilleux : les étoiles qui se reflètent sur l'eau font écho au ciel étoilé sur lequel s'ouvre le film. Une lumière de conte, féérique, les éclaire et la voix de Pearl accompagne leur mouvement de dérive comme une berceuse, telle une voix maternelle (l'enfant est doublée par la voix d'une femme). L'occasion de revenir plus largement sur l'importance des chansons dans le film. Lors de la nuit passée dans une grange, les enfants entendront la voix (hors champ) d'une maman chantant une berceuse à son enfant. On a alors l'impression qu'ils vont dormir dans une crèche (référence image biblique). A l'image du film dans son entier, cette séquence rappelle que la fiction nous aide à extérioriser et surmonter nos peurs. Certains passages sur la berge nous montre le monde sur un jour plus réaliste et dur que les moments sur l'eau : ainsi, l'épisode où John et Pearl viennent mendier de la nourriture au milieu d'autres enfants affamés évoque des scènes documentaires de la Grande Dépression. • Atelier autour de la nuit : . Rêve et cauchemar : Afin de définir l'ambiance du film et son style, les élèves pourront repérer les scènes qui s'apparentent à un cauchemar et celle qui ressemblent à un rêve. . Noir et blanc : Pourquoi le choix du noir et blanc et pas celui de la couleur ? (annonce noir et blanc avant la séance). Qu'est-ce que cela met en évidence ? Est-ce que le film aurait le même en couleurs ? Afin de les sensibiliser au noir et blanc, un travail pourra être fait à partir de cartons enduits noir à gratter. Les élèves pourront choisir de donner le visage qu'ils veulent à cette « nuit à gratter » : celui d'un rêve ou d'un cauchemar. L'exercice peut être libre ou plus directement inspiré d'un plan de La Nuit du chasseur que les enfants auraient envie de reproduire. Ce travail peut être aussi réalisé sur une feuille blanche, avec de la peinture noire et blanche. Au préalable, l'influence du noir et blanc dans la lecture de l'image pourra être mis en évidence via la comparaison d'images en couleur avec leurs photocopies en noir et blanc. 1. Visage(s) du mal A. Un personnage de conte A quel personnage de contes peut-on comparer Powell ? . Le grand méchant loup : quand il pousse cri de bête (quand les enfants lui échappe, quand il est blessé dans la grange) . L'ogre : au moment où il veut faire parler Pearl autour de la table . Un croque-mitaine peut se dissimuler aux abords d'un cours d'eau ou d'un étang, afin de noyer les imprudents. . Frankenstein : gestuelle très expressionniste (les bras tendus en avant, cf. scène de la cave, jeu qui a sans doute inspiré Jack Nicholson dans Shining) . personnage presque fantastique : « mais il ne dort donc jamais ? » se demande John lorsqu'il voit Powell au loin, à l'aube. . Barbe-bleue . Le loup de Tex avery B. Le loup dans la bergerie : mise en scène de la peur • Revenir sur ce qui fait peur et de quelle manière le film fait peur : • Chaque élève peut citer des moments, des images, des sons qui leur ont fait peur. Atelier ombre/lumière, apparition/disparition : . Un travail pourra être fait autour de l'ombre et de la lumière : avec une lampe torche et des silhouettes découpées, les élèves pourront créer des ombres menaçantes. Evoquer le jeu d'ombres chinoises avec l'oiseau cage (dans la scène de la grange), revenir sur les trucages du film, les faux décors. Expliquer ce qu'est un studio de cinéma. . Nain qui double Mitchum dans scène grange où l'enfant voit Powell au loin, à l'aube. . Retour sur les scènes où Mitchum apparaît menaçant : quel est le point commun de ces scènes ? A chaque fois, le cadre met en évidence l'intrusion du personnage dans le cadre de la maison. Cette présence intrusive et menaçante est soulignée par le glissement du personnage dans le cadre d'une fenêtre, par sa voix aussi qui donne l'impression qu'il est partout, qu'il domine l'espace. Faire l'expérience de voir la scène avec et sans le son. . Avec les silhouettes et les jeux d'ombres créés les élèves pourront mettre en scène des apparitions et des disparitions menaçantes. Le moment où Powell est le plus menaçant est sans doute celui où il disparaît du champ de vision de Rachel. • Dominer l'espace : péril en la demeure Le partage de l'espace entre le haut et le bas est aussi une manière d'inscrire la foi dans l'architecture du film. Le haut nous renvoie à Dieu qui a plusieurs images dans le film : l'une vraie (véhiculée par Lilian Gish) et l'autre fausse (celle invoquée par le pasteur). A ce titre la maison est un lieu qui reflète bien le partage du film entre ces deux pôles ainsi que l'hypocrisie de Harry Powell. Les élèves pourront réfléchir à ce que représente chaque lieu dans la maison : de la cave à la chambre conjugale. Quel est le lieu de la menace ? Quel est celui du refuge ? Ils pourront aussi s'interroger sur le rôle joué par l'éclairage dans la perception de ces pièces. . Le haut de la maison, la forme du toit rappelle la forme d'une chapelle : c'est là où Powell invoque le tout-puissant et parle du pêché à sa nouvelle épouse. C'est là aussi où il se croit tout-puissant puisqu'il tue la mère des enfants comme si sa main était celle de Dieu. C'est le lieu du mensonge (la fausse purification) et de la domination. . Les sous-sols : lieux de refuge, de peur et de vérité. Il y a la cave, où le vrai visage de Harry Powell apparaît et le fond de la rivière où nous sont données à voir les conséquences de son acte, comme une image rêvée. C. Combattre le mal Rachel prend le dessus sur Powell en prenant le contrôle de l'espace et du son. Elle est la gardienne de la maison, elle s'impose comme une ombre qui domine la situation (et donc l'espace) lorsqu'elle monte la garde la nuit, son fusil en main. Par ailleurs, elle rivalise avec le pasteur sur le terrain du conte. Elle aussi est une conteuse et elle redonne du sens et de la vérité aux histoires racontées aux enfants contrairement à Powell qui fait son numéro en vendant une histoire d'amour et de haine dont Rachel n'est pas dupe (John non plus). Elle rivalise aussi avec le tueur en reprenant à son compte la chanson Leaning on the Everlasting Arms, safe and secure from all alarms à la fin du film. C'est elle qui incarne l'image de la religion à laquelle Laughton adhère, c'est-à-dire avant tout une certaine idée de la bonté alors que le film a presque un côté anti-religieux : le réalisateur montre clairement sa haine des religions organisées. D. Portrait de l'une Amérique pauvre et puritaine Harry Powell est-il le seul à incarner le mal dans le film ? A la fin du film, il est intéressant de voir comment la question de mal est déplacée. Alors que le personnage de Powell est condamné, il disparaît de notre vue et l'attention se porte sur un autre visage du mal américain : une société puritaine entière incarnée par Icey Spoon qui, après avoir été séduite par les discours du faux pasteur (et poussé Willa à l'épouser), est toute prête à le lyncher. Sa haine et celle de beaucoup d'autres s'expriment avec une violence qui met en évidence une certaine folie américaine et peut-être même les racines du mal : on peut se demander si ce n'est pas le puritanisme de cette société montrée comme totalement hypocrite et malade qui produit des personnages aussi dérangés de Powell. Ainsi, l'inspiration du film ne vient pas seulement du conte mais d'une certaine réalité américaine que le réalisateur critique violemment. Comment sont représentés les adultes dans le film ? Le film ne cesse de montrer des figures d'adultes défaillants (à l'exception de Rachel), à commencer par le père qui incarne la folie à laquelle peut conduire la pauvreté. Il représente à lui seul toutes les failles de la société américaine des années 30. Pour avoir voulu protéger ses enfants du besoin, il les plonge dans la plus grande détresse. La mère se caractérise par sa naïveté et son aveuglement total. Le vieil oncle alcoolique que John va voir dans sa cabane est incapable lui aussi de venir en aide aux enfants.