Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une cause

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Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une cause
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CAS CLINIQUE
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Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une
cause rare de tarsalgie.
An uncommon cause of foot pain : The tarsal navicular bone insufficiency stress fracture.
Yassine Azagui, Amine Belmoubarek, Hicham El Yahyaoui , Karim Ahed, Hamza
Benameur, Yassir El Andaloussi, Ahmed Reda Haddoun, Mohammed Nechad.
Service de Chirurgie Orthopédique et Traumatologie, Aile 4 CHU Ibn Rochd, Casablanca - Maroc.
Rev Mar Rhum 2014; 28: 48-51
Résumé
Abstract
Les fractures de fatigue du scaphoïde tarsien
Literature review shows only few detailed
rapportées dans la littérature sont observées
navicular bone stress fracture case reports :
chez le sportif jeune qui pratique un sport de
in young athletes. Insufficiency fracture of the
façon intensive. Les fractures par insuffisance
foot bones involve mainly the metatarsals, the
osseuse du pied concernent les métatarsiens,
calcaneus, the talus, whereas tarsal navicular
le calcanéus, le talus et exceptionnellement le
bone location seems exceedingly rare.
scaphoide tarsien.
We have a case of a bone insufficiency fracture
Nous rapportons un cas de fracture par
of the tarsal navicular bone in a 36-year-
insuffisance osseuse du scaphoïde tarsien chez
old female patient with many risk factors
une patiente de 36 ans, présentant plusieurs
of bone insufficiency : long term steroid
facteurs de risque : corticothérapie pour un lupus
treatment for lupus erythematosus, renal
avec insuffisance rénale, hémodialyse depuis
failure, hemodialysis since three years and
six ans, hyperparathyroïdie sévère. L’imagerie
severe secondary hyperparathyroidism. Early
par résonance magnétique, permit le diagnostic,
diagnosis was established using magnetic
qui fut confirmé au sixième mois par la
radiographie montrant un liseré de condensation
perpendiculaire aux travées osseuses.
Les particularités physiopathologiques, cliniques
et thérapeutiques de cette localisation rare sont
évoquées.
Mots clés :
Fracture de contrainte ;
Scaphoide tarsien.
resonance imaging, and confirmed six months
later on radiography, showing typical line of
sclerosis perpendicular to bone trabeculae.
Physiopathological and clinical characteristics
of this uncommon fracture are mentioned.
Key words : Stress fracture; Tarsal navicular
bone.
Le pied est un des sites privilégiés des fractures de
OBSERVATION
contrainte et plus particulièrement des fractures de fatigue.
Mme K.L âgée de 36 ans a été traitée par prednisone (en
Les localisations les plus fréquentes sont les métatarsiens,
le calcanéus, le talus [1,2]. Les fractures de contrainte du
scaphoide tarsien sont particulièrement rares.
moyenne 10 mg/jour) depuis l’âge de 21 ans pour un lupus
érythémateux. En 2008, une glomérulonéphrite extramembraneuse a été diagnostiquée et a évoluée malgré
Nous en rapportons un cas révélant une insuffisance
le traitement immunosuppresseur vers une insuffisance
osseuse chez une patiente de 36 ans.
rénale terminale prise en charge en hémodialyse au début
Correspondance à adresser à : Dr. Y. Azagui
Email : [email protected]
Revue Marocaine de Rhumatologie
Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une cause rare de tarsalgie.
2010. L’aggravation progressive de l’hyperparathyroïdie
secondaire à l’insuffisance rénale a justifiée
une
parathyroïdectomie en juin 2012, la parathormone
intacte (PTHi) étant alors à 940 ng/L (n < 65). En juillet
2012, la patiente avait rapportée une douleur du tarse
gauche apparue depuis six mois, de type mécanique, sans
traumatisme ni activité physique inhabituelle. L’examen
notait une zone douloureuse pré- et sous-malléolaire
interne. La radiographie ne montrait ni fracture ni
anomalie architecturale du pied. L’imagerie par résonance
magnétique (IRM) montrait une fracture du scaphoide
tarsien gauche sous forme d’un trait en hyposignal sur
les séquences T1 et T2 (Fig. 1). La scintigraphie osseuse
réalisée un mois après l’IRM avait objectivée une hyperfixation linéaire du scaphoide tarsien gauche ainsi qu’un
foyer calcanéen gauche (Fig. 2). Le bilan biologique était
le suivant : Calcémie 2,3 mmol/L, PTHi 28 ng/L, 25 OH
vitamine D3 17ng/ML (n = 10–75), les marqueurs du
remodelage osseux était dans les limites normales basses
en rapport avec le taux bas de PTHi : activité phosphatase
alcaline 71 (n = 39–105), ostéocalcine 13 ng/ML (n =
7–39). L’absorptiomètrie osseuse bi- photonique à rayons
X montrait une densité minérale osseuse diminuée au fémur
(0,71 g/cm2, Z-score à –2) et au rachis (0,83 g/cm2,
Z-score à –1). Le traitement comportait une immobilisation
plâtrée pendant une durée de 45 jours et une augmentation
de l’apport calcique et de vitamine D (alfacalcidol 0,25 µg
IV trois fois par semaine).
En Mai 2013, la radiographie montrait une bande
d’ostéosclérose du scaphoide tarsien typique d’une
fracture de contrainte en voie de consolidation (Fig. 3).
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Figure 2 : Scintigraphie osseuse du pied gauche (face) : hyperfixation d’allure
linéaire du scaphoide. Petit foyer adjacent du calcanéum.
Figure 3 : Radiographie du pied gauche au 6ème mois (incidence oblique) : fracture
polaire supérieure du scaphoide tarsien en voie de consolidation.
Discussion
Figure 1 : IRM du pied gauche, incidence sagittale pondérée en T1 : fracture du
Scaphoide tarsien.
Revue Marocaine de Rhumatologie
Les fractures par insuffisance osseuse peuvent survenir
lorsqu’une contrainte mécanique modérée survient sur
une pièce osseuse fragilisée [2 , 3]; elles s’opposent aux
fractures de fatigue qui surviennent sur un os soumis à des
contraintes importantes et répétées. Elles sont favorisée
par des facteurs généraux : ostéoporose, ostéomalacie,
hyperparathyroïdie, ostéopètrose, traitement par le
fluor, corticothérapie, polyarthrite rhumatoïde et des
facteurs locaux : arthrose, ostéosynthèse, ostéotomie,
Algodystophie, maladie de Paget, dysplasie osseuse
et radiothérapie [4,5]. Notre patiente a présenté une
fracture de contrainte du scaphoide tarsien favorisée
par une insuffisance osseuse, cette dernière liée à la
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Y. Azagui et al.
CAS CLINIQUE
corticothérapie prolongée et à l’hyperparathyroïdie
secondaire à l’insuffisance rénale.
Les fractures de contrainte du pied concernent rarement
le scaphoide tarsien.
Greaney et al [6] avaient indiqués chez des recrues
militaires une fréquence de 2 % de fracture du scaphoide
tarsien sur 839 fractures de fatigue des membres inférieurs
diagnostiquées après scintigraphie osseuse ; l’atteinte
du talus est évaluée à 5,5 % dans la même étude. Deux
cas de fractures de fatigue du scaphoide tarsien ont été
signalés dans une autre série de 1338 fractures de
fatigue du pied et du tiers inférieur de jambe chez des
recrues militaires [7]. Pour Hasselman [8], l’atteinte du
tarse, os naviculaire et cunéiformes a représentée 1 % des
fractures par insuffisance osseuse (FIO) du pied. L’atteinte
des os du pied représente 5 % à11% des FIO selon le
mode de recrutement des patients [9,10].
Mais c’est Torg et al [11] en 1982 qui avait publié
la série la plus importante de 21 cas et dégageait les
caractéristiques essentielles de cette affection.
Cliniquement, la fracture du scaphoïde tarsien peut être
latente, comme dans notre cas. Parfois, elle se traduit
par des douleurs modérées médiale du pied, de rythme
mécanique, aggravées par la marche et l’effort physique
intense. La douleur peut être intense et nécessite une prise
encharge urgente [12]. L’examen clinique peut parfois
retrouver un œdème, une tuméfaction locale ou une
douleur à la palpation osseuse.
En cas de fracture des os courts, riches en os trabéculaire,
les radiographies précoces montrent rarement une solution
de continuité ou une réaction périostée [12] ; les lignes de
condensation, traduction du processus de réparation, sont
tardives et inconstantes.
La superposition des os du tarse rend le diagnostic
radiographique difficile et nécessite une incidence
oblique pour dégager le scaphoide tarsien [12]. Chez
notre patiente, la radiographie standard initiale du pied
n’objectivait pas de fracture et le retard diagnostic était
de 6 mois.
La scintigraphie peut être très évocatrice par deux
particularités présentes dans notre cas : Une hyper-fixation
d’aspect linéaire perpendiculaire à la direction des travées
osseuses et la présence d’autres foyers d’hyperfixations
[12]. En tomodensitométrie [12], l’os présente à ce niveau
un aspect en anneau dense sur les coupes perpendiculaires
au grand axe du pied : La fracture va se traduire par une
rupture partielle ou complète de cet anneau. Il est important
d’utiliser des fenêtres très larges pour détecter les fractures
débutantes au sein de la sclérose. L’IRM [14] est parfois
moins performante que la tomodensitométrie pour visualiser
la fracture qui peut être masquée par un œdème médullaire;
les séquences en T1 après gadolinium entraînent un
hypersignal de l’œdème facilitant ainsi la visualisation du
trait de fracture qui reste en hyposignal. Chez l’enfant,
l’IRM permet d’écarter les difficultés d’interprétation de
la scintigraphie liées à l’hyperfixation physiologique des
épiphyses [14]. Sur le plan physiopathologique, l’arche
interne du pied dont le scaphoïde tarsien est la clé de
voute, est sollicitée en compression tant lors de l’attaque du
pas, lors de la course que lors des mouvements de varussupination du pied (Le jambier postérieure y joue un rôle
important). Aussi, une zone de concentration de stress se
constitue au niveau de ce scaphoïde et aboutit à une fracture
de fatigue. Cette zone siège au niveau le moins vascularisé
du scaphoide tarsien, c’est-à-dire au tiers moyen comme
l’ont montré des études micro-angiographiques [15].
Le diagnostic différentiel de la fracture de fatigue du
scaphoïde tarsien se discute essentiellement avec la
tendinite du jambier postérieure, l’entorse du ligament
latéral interne, la fracture de fatigue du premier métatarsien
et l’entorse de la Chopart.
Le traitement dépend de l’ancienneté de la fracture, une
fracture vue précocement c’est-à-dire avant la sixième
semaine se traite orthopédiquement: Botte plâtrée sans
appui pendant 8 semaines. Le traitement chirurgical par
vissage est indiqué en cas de fracture ancienne.
Notre patiente présentait une fracture ancienne du
scaphoïde tarsien de 6 mois, le traitement fut orthopédique
vue les tares associées chez la patiente contre-indiquant
la chirurgie. Le résultat fonctionnel était cependant
satisfaisant.
Conclusion
La fracture du scaphoide tarsien par insuffisance osseuse
est rare. Sa rareté tient peut être à sa méconnaissance.
Toute fracture du coup de pied ne cédant pas aux
traitements habituels avec des radiographies normales
doit faire suspecter une fracture de fatigue du scaphoïde
tarsien et conduire à la scintigraphie.
Déclaration d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.
Références
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Revue Marocaine de Rhumatologie
Fracture du scaphoïde tarsien par insuffisance osseuse : une cause rare de tarsalgie.
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