Les manuels de français en usage aux pays-bas

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Les manuels de français en usage aux pays-bas
5ème journée d’études Pierre Guibbert - Manuels scolaires en usage et usages des manuels- 10 juin 2009, p. 1
Communication: XXX
1
[TAILLE MAXIMALE D’UNE COMMUNICATION : 30000 SIGNES, ESPACES ET NOTESCOMPRIS]
TITRE GENERAL DE LA COMMUNICATION
LES MANUELS DE FRANÇAIS EN USAGE AUX PAYS-BAS : D’HIER À
AUJOURD’HUI, QUELLE ÉVOLUTION DE LEUR USAGE?
Van der Sanden-Piva, Nathalie, Université de Nimègue, Pays-Bas, Département de
Linguistique Appliquée et Malmberg, Den Bosch, Pays-Bas
RESUME :
L’enseignement des langues vivantes étrangères (LVE) a toujours joué un rôle
important aux Pays-Bas (Van Els, 1992). Dans ce cadre, il paraît légitime de se
questionner sur le matériel pédagogique utilisé avec succès par les enseignants de
français et d’analyser leurs pratiques d’hier à aujourd’hui. On s’attachera ici à décrire ce
qui a trait aux « méthodes » et non aux seuls outils pédagogiques, tels que les ouvrages
de grammaires et les livres de vocabulaire.
Nous débuterons cette communication par un aperçu historique des principaux
manuels de français, qui ont été fréquemment en usage aux Pays-Bas par le passé, ainsi
que des pratiques des enseignants. Nous tenterons de repérer des éléments marquants,
qui font sens quant à leur usage et à la clé de leur succès, en cherchant à répondre à ces
deux questions. Quel contenu didactique ces anciens manuels véhiculent-ils? Et que
nous enseignent-ils sur les pratiques de leurs premiers utilisateurs? Puis, nous décrirons
les pratiques actuelles des enseignants et les principaux manuels de français qui sont
fréquemment utilisés aujourd’hui. Sur ce dernier point, nous apporterons le témoignage
de notre expérience en tant qu’auteur et rédactrice d’un manuel de français en usage aux
Pays-Bas, rédigé en collaboration avec des collègues enseignantes qui exercent depuis
longtemps dans ce pays.
TEXTE :
Dans le titre de la 5ème journée Pierre Guibbert, le terme « usage » réfère aux manuels
scolaires comme outils utilisés pour l’enseignement d’une matière scolaire dans un pays
donné, ainsi qu’à leur utilisation dans l’institution scolaire de ce pays. Parler des
manuels en usage, c’est donc chercher à inventorier les outils qui sont utilisés pour
enseigner cette matière dans un premier temps, puis chercher à analyser leur contenu
didactique, ainsi que leur usage. Nous nous intéresserons ici aux pratiques des
enseignants de FLE aux Pays-Bas, ainsi qu’aux méthodes utilisées avec succès pour leur
enseignement de cette langue. Nous décrirons tour à tour ces méthodes et le cadre dans
1
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lequel leurs pratiques s’inscrivent, suivant un contexte historique donné et quand c’est
possible, en référence à un programme scolaire avec des objectifs précis.
1. L’enseignement du français aux Pays-Bas : un aperçu historique des
manuels en usage et des pratiques des enseignants
L’enseignement du français aux Pays-Bas remonte à une tradition très ancienne. C’est
la première langue étrangère qui y a été enseignée. Ainsi, on en relève des traces dès le
Moyen-Âge (Van Els et Knops, 1988). Ce qui caractérise l’enseignement du français
dès le début est son aspect « utilitaire » (Recoules-Arnihac, 1994). Le public
d’apprenants est issu en grande partie de la bourgeoisie commerçante. Les négociants
veulent savoir couramment lire ou parler le français pour pouvoir converser dans la vie
quotidienne.
1.1 Le français, une langue « utilitaire » enseignée dès le Moyen-Âge aux PaysBas : quelles méthodes?
Durant cette période, on ne peut pas encore parler de « manuel » en usage, à
proprement parlé, comme il en sera question plus tard, mais de « méthode » pour
apprendre la langue cible. Dans les Provinces-Unies, les méthodes utilisées connaissent
parfois beaucoup de succès. Ainsi, au XIIIe siècle, on y relève l’usage fréquent d’un
« Livre des Mestiers », qui connaîtra plusieurs rééditions jusqu’au XVe siècle en raison
de son succès (Van Els et Knops, 1988). On trouve aussi des versions de cette méthode
pour l’apprentissage d’autres langues étrangères que le français. Par exemple, l’une de
ces versions est utilisée par les fils des riches commerçants de Bruges pour apprendre à
parler le flamand. Dans ces différentes versions, on trouve des dialogues orientés sur
des situations de la vie courante, ainsi que des conseils sur l’étiquette (Van der Sanden,
2001, p. 22).
Un autre ouvrage qui rencontre du succès pour apprendre le français, est le
« vocabulaire » de Berlaimont, qui est la première édition d’un livre de conversation
(Kok Escalle, 1997). Cet ouvrage peut-être considéré comme un véritable « manuel »,
au sens moderne, dans lequel les éléments grammaticaux reprennent le contenu des
dialogues, du vocabulaire et des lettres. Paru en 1530, il sera réédité plusieurs fois en
plusieurs langues entre le XVIe et le XVIIIe siècle (Van Els et Knops, 1988).
1.2 Les méthodes de français utilisées par les maîtres de langue du XVIIe au
XIXe siècles
Du XVIIe au XVIIIe siècle, le français devient la langue dominante de l’élite sociale
de l’époque aux Pays-Bas, comme c’est aussi le cas dans le reste de l’Europe. Durant
cette période, les enseignants, que l’on appelle alors des « maîtres de langues » vont
développer une grande pratique. Beaucoup de méthodes qui sont conçues pour
l’enseignement du français résultent de leur expérience soit dans les écoles françaises où
ils donnent des cours de français à des enfants, soit en tant que précepteurs, qui
fournissent un enseignement individuel et personnalisé à des élèves (Kok-Escalle et Van
Strien-Charbonneau, 2005).
Les méthodes qui sont alors en usage et qui ont du succès, reposent sur l’idée que le
contenu d’apprentissage de la langue doit valoriser les besoins des apprenants et ne pas
seulement leur inculquer des règles grammaticales. Ainsi, le maître doit-il être avant
tout un bon « praticien », soucieux de la qualité de sa méthode, ce qui passe par
beaucoup d’expérience pratique. C’est le cas de Piélat par exemple, dont la méthode
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porte le titre significatif suivant: L’Antigrammaire, qui est parue en 1681. Outre cette
méthode, d’autres méthodes rencontrent du succès, comme celle de Parival, qui a pour
titre Dialogues françois, selon le langage du temps, un ouvrage paru en 1659, ainsi que
celle de Pierre Marin, intitulée la méthode familière, parue en 1698. Ce dernier terme
indique bien le souci de transmettre un savoir proche de la réalité aux apprenants. Un
autre plaidoyer en faveur d’un apprentissage orienté sur la pratique est celui de l’Abbé
de Bellegarde, qui préconise la pratique de la conversation et un enseignement simplifié
de la grammaire, dont la méthode: Modèles de conversations pour les personnes polies,
illustre ce choix (Kok-Escalle et Van Strien-Charbonneau, 2005).
Au XVIIe siècle, outre cet « objectif » utilitaire, qui est souvent présent dans les
méthodes, on observe la présence d’un autre objectif qui a trait à la formation humaniste
de l’élite sociale. Il s’agit de former les jeunes gens à se comporter en hommes de cour,
qui savent parler et se comporter en société. L’apprentissage du français est donc vu
comme le moyen de parfaire son éducation. Se faisant, il contribue à la construction
identitaire d’un individu, en lui inculquant un savoir-vivre. En revanche, dans les écoles
françaises, la formation mondaine passe au second plan, il s’agit avant tout de former
les élèves d’un point de vue moral et religieux. Ici, nous renvoyons à l’étude de KokEscalle et Van Strien-Charbonneau (2006), qui ont décrit les connotations religieuses
dans les manuels de français en usage aux Pays-Bas du XVIe au XIXe siècles. Ce sont
aussi de tels éléments qui assurent le succès des méthodes de français à cette période.
1.3 Une longue période sans changement dans les méthodes de français en usage
et les pratiques des enseignants
Au XIXe siècle, une nouvelle période s’ouvre. L’institutionnalisation de
l’enseignement des langues aux Pays-Bas va se faire progressivement dans
l’enseignement secondaire et universitaire (Van Els, 1992). En 1806, une première loi
impose le français comme langue au programme dans les écoles primaires, suivie par
une seconde loi en 1857, qui instaure les LVE comme matière obligatoire dans ces
écoles. En outre, à la fin de l’école primaire, une épreuve de français figure au
programme de l’examen de fin d’études que les élèves ont à passer (Baardman, 1961).
Puis, juste avant 1880, c’est au tour de l’enseignement secondaire d’intégrer les langues
étrangères dans ses programmes. En effet en 1863, deux types d’enseignement
secondaire vont être instaurés, dont l’un sera orienté vers une professionnalisation des
élèves et l’autre, vers une formation universitaire. C’est aussi à cette période que les
premières chaires à l’université seront créées (Engelberts, 1995). Au début, cette
institutionnalisation se déroule lentement, car le recrutement des enseignants qualifiés
n’est assuré qu’à partir de la mise en place d’une loi en 1879. En outre, les enseignants
de langue ne bénéficient pas d’une reconnaissance sociale comme ceux de latin et de
grec, considérées comme des matières « nobles ».
À cette période, la version et la traduction sont introduites comme épreuves aux
examens à la fin de l’enseignement secondaire, et ce pour très longtemps. Ainsi,
pendant 100 ans, de 1868 à 1968, le contenu de ces épreuves demeure t-il inchangé
(Hoekstra, 1990). La compréhension et la traduction d’un texte constituent le cœur de
l’examen, ce qui influence en retour le contenu des méthodes utilisées. Un exemple de
ce type de méthode cité par Hoekstra est La France et sa langue de Wagenaar et Ornée,
parue en 1955. Dans les années 50 et 60, la plupart des lycéens aux Pays-Bas
apprenaient le français avec cette méthode qui porte un titre de facture classique. Dans
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cette méthode, l’enseignement du français est orienté sur un apprentissage de la
traduction à partir de la langue cible, des règles grammaticales, ainsi que du vocabulaire
et des idiomes. Cet enseignement se fondait lui-même sur la méthode didactique utilisée
pour apprendre le latin et le grec, considérées comme le modèle de référence pour
longtemps. Dans le même temps, on note cependant que certains praticiens proposent de
renouveler l’enseignement des LVE, en favorisant la « méthode directe » plutôt que la
« méthode grammaticale » et l’apprentissage inductif de la grammaire, plutôt que
déductif, l’objectif de cet apprentissage étant que les élèves se fabriquent « leur propre
grammaire » en quelque sorte (Van Els, 1992). Mais ces éléments apparaîtront
beaucoup plus tard dans les manuels de langue utilisés aux Pays-Bas.
2. Un début de changement dans les pratiques des enseignants et les manuels de
français en usage
Jusque dans les années 60, aux Pays-Bas et un peu partout en Europe, l’enseignement
de la langue et de la culture étrangère est dominé par l’utilisation et la compréhension
de textes littéraires, qui sont traduits par les élèves. Durant cette période, on s’intéresse
prioritairement aux grandes œuvres littéraires et artistiques. C’est la notion de
« civilisation » qui prime, c’est-à-dire des œuvres qui incarnent un esprit « supérieur »
français, néerlandais, allemand, etc. Ainsi, à l’université aux Pays-Bas, les œuvres
étudiées sont-elles celles des historiens et des hommes de lettres animés par un esprit
universaliste et un idéalisme humaniste de la France (Eijkhout, 1990). Eijkhout cite en
exemple un ouvrage fréquemment utilisé qui s’intitule L’Esprit français, une anthologie
qui propose aux lycéens l’image d’une civilisation supérieure. Un autre exemple qui
illustre cet état de fait, provient des épreuves proposées aux élèves néerlandais de
l’enseignement secondaire professionnel qui passe leur diplôme de fin d’études. Ainsi,
en 1930, on leur demande de traduire un extrait simple d’une œuvre littéraire dans un
bon néerlandais » Hoekstra (1990).
Puis, dans le courant des années 1960, un grand changement va avoir un impact sur
l’enseignement des langues aux Pays-Bas. Ainsi pour la première fois, la « loi
Mammouth » votée en 1968 laisse le choix aux élèves de choisir la langue dans laquelle
ils passeront une épreuve à la fin de leurs études dans l’enseignement secondaire.
L’enseignement du français n’est donc plus obligatoire, ce qui influence le nombre
d’heures de cours de français dispensés dans les écoles, et en retour le contenu des
programmes scolaires dans les écoles du cycle secondaire. C’est un profond
changement, car dans le mêmes temps, ces écoles sont subdivisées en trois types
d’enseignement, respectivement le MAVO, le HAVO et le VWO. Le MAVO, dure de
trois à quatre ans (enseignement secondaire moyen). Le HAVO dure cinq ans. Et le
VWO est un enseignement pré universitaire d’une durée de six ans.
2.1 Langue et civilisation dans les manuels de FLE en usage aux Pays-Bas à
partir des années 70
À cette période, sous l’influence d’un mouvement dans de nombreux pays en faveur
d’un enseignement de langue plus orienté sur la vie quotidienne, et non plus seulement
sur les textes littéraires, les enseignants de langue vont chercher à introduire plus de
« culture », au sens moderne, en classe de langue. Petit à petit, un objectif pratique
« utilitaire » va se substituer au seul objectif « littéraire » qui dominait dans les années
précédentes. Sans retracer tous les débats, on peut citer par exemple le Symposium de
Santiago de Chili, sur l’enseignement de la civilisation française au niveau universitaire,
qui aura un impact important au début des années 70, ainsi que les publications
régulières sur ce sujet dans Le Français dans le monde et des ouvrages collectifs comme
ceux de Reboullet en 1973 intitulé L’enseignement de la civilisation.
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Ce mouvement aura beaucoup de répercussions sur l’enseignement de la langue et de
la culture française aux Pays-Bas, même si elles s’y produisent plus tardivement. Elles
entraîneront des discussions sur le contenu des programmes scolaires et la formation des
enseignants, ainsi que sur le contenu des manuels en usage. Par exemple, il en résulte
que l’on introduit une matière intitulée ‘Civilisation française’ dans les programmes
d’examens en 1966. En outre, pour la première fois on introduit cette nouvelle matière
dans les programmes des instituts de formation des enseignants nouvellement créés
(Eijkhout, 1990). On y va tous est un exemple de manuel dont le contenu didactique
s’inspire de ces discussions. Paru en 1974, ce manuel connaîtra beaucoup de succès et
plusieurs rééditions de suite, sous un nouveau titre : Allons y Tous, un manuel qui est
encore utilisé par 8% d’enseignants en 1991 (Kuhlemeier, 1991). Dans leur
introduction, les auteurs de ce manuel soulignent le fait que l’enseignement de la
civilisation doit occuper une place importante. Ils considèrent que c’est un élément
“indispensable”, qu’ils ont intégré au contenu du manuel, au même titre que le contenu
linguistique”. À titre d’exemples, citons ici quelques titres de leçons qui reflètent un
intérêt pour des aspects de la vie quotidienne, comme: Au magasin d’alimentation, C’est
du camembert, ça? Tu aimes ce vin? J’organise une boum. D’autres manuels en usage
aux Pays-Bas font aussi directement référence au contenu de civilisation qu’elles
intègrent, comme la Méthode Orange, éditée en 1978 ou bien Carrefour, une méthode
néerlandaise éditée en 1980. Ces deux manuels aussi connaîtront un certain succès. Et là
encore, les titres des leçons réfèrent souvent à des aspects de la vie quotidienne, comme
le montre cet exemple extrait de la Méthode Orange : Petit commerce ou supermarché?
et cet autre exemple, extrait de Carrefour : M.Piquet va faire des courses.
2.1 Les manuels de français en usage aux Pays-Bas dans les années 80
À partir des années 80, les manuels en usage pour l’enseignement du français aux
Pays-Bas sont dits « communicatifs». Par « communicatif », on entend que les
dialogues sont orientés sur des fonctions de langage, par exemple des expressions pour
« demander », « refuser », ou « obtenir quelque chose ». Ces nouveaux manuels se
fondent sur la méthode « communicative », qui s’inspire de ce que préconisent les
auteurs du Niveau-Seuil paru en 1976 à Strasbourg. En outre, le contenu didactique
proposé aux enseignants est « thématique », c’est-à-dire qu’il est ordonné à partir de
thèmes de la vie quotidienne, tels que l’habitat, les transports, les loisirs, etc. Et lorsque
les apprenants ont un niveau de langue plus élevé, on leur propose des thèmes qui ont
trait au « substrat » de la culture, qui leur permettent de mieux saisir les modes de vie
des locuteurs natifs ou bien l’histoire et la politique de leur pays. À cette période, on
observe que le marché des manuels est en pleine croissance. Ceux qui sont utilisés aux
Pays-Bas, sont issus du marché local. Citons ici quelques exemples qui connaîtront un
réel succès, comme : Bienvenue en France et Formule F, parus en 1984, À toi
maintenant, paru en 1986, ou bien encore Études Françaises, paru en 1985. Outre ces
manuels qui sont issus du marché local, on trouve aussi des manuels de FLE édités en
France qui sont fréquemment utilisés et connaissent du succès, notamment dans les
Alliances Françaises et les Instituts où l’on apprend le français, comme C’est le
Printemps, à la fin des années 70 ou bien Sans frontières, au début des années 80.
Comme il existe de plus en plus d’éditions de nouveaux manuels, il en résulte que de
nombreuses études paraissent sur le contenu des manuels en usage, notamment dans le
magazine de référence pour les enseignants de langue aux Pays-Bas, intitulé Levende
Talen. Citons quelques exemples d’articles extraits de Levende Talen qui décrivent le
contenu de manuels de FLE en usage à cette période, comme ceux de Bugel en 1978,
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Daniëls, en 1985, De Hoog et al., en 1987, ou bien Mondria - de Vries, paru en 1989.
Parmi ces descriptions, certaines portent exclusivement sur le contenu culturel d’un
manuel, d’autres s’attardent sur son contenu grammatical ou communicatif, en
s’interrogeant sur ce que ce manuel transmet réellement aux apprenants. D’autres
articles portent sur des études qui sont menées sur la comparaison entre les effets de
l’apprentissage d’une langue avec un manuel fondé sur la méthode « communicative »
et un manuel qui s’appuie sur la méthode « grammaticale » (Edelenbos, 1990). Mais, il
faut bien constater qu’une étude comparative approfondie sur un corpus de manuels de
langues reste souvent difficile et partielle (Van Els et al., 1984).
2.2 L’émergence de nouveaux programmes et usages des manuels de français ces
dix dernières années
Depuis le premier août 1998, de nouveaux programmes ont été rédigés pour
l’enseignement des langues aux Pays-Bas, qui en ont à nouveau influencé le contenu
(Mulder et Stoks, 1996). Dans ces nouveaux programmes, il existe un domaine intitulé
« Langue et culture » qui a pour objectif la maîtrise d’une compétence socioculturelle
par les élèves (Mulder et Smulders, 1998). La littérature y occupe une place à part, en
particulier dans la seconde phase de l’enseignement secondaire, réservée aux élèves qui
suivent un enseignement en classe de VWO et HAVO. Cette place est différenciée,
suivant le niveau des élèves et le choix de leur orientation, qui se fait suivant trois choix
possibles. Par exemple, le choix de l’orientation « Culture et société » amène les élèves
de niveau VWO à travailler la compréhension orale, l’expression orale, l’expression
écrite et la littérature, mais non pas la lecture, alors que les élèves de niveau HAVO ne
travailleront que sur ces trois derniers éléments (Van der Sanden, 2001). Ces
dispositions affectent naturellement le contenu des nouveaux manuels en usage aux
Pays-Bas. Ainsi, on remarque que les nouvelles parutions sont de plus en plus orientées
sur la possibilité de différencier l’apprentissage d’une langue, en fonction du niveau des
apprenants et de leur nombre d’heures de cours par semaine.
C’est ce que nous proposons dans le manuel D’accord!, édité par Malmberg en 2002,
et réédité en 2007. Ce manuel peut être utilisé par des apprenants en classe de VWO,
HAVO et VWO. Bien entendu, le niveau des textes et des exercices proposés diffère
suivant les éditions destinées à ces trois types d’enseignement. Pour ce faire, l’éditeur
doit être très à l’écoute des enseignants et s’adapter à leur demande, tout en anticipant
ce qui pourra leur « plaire » comme contenu didactique dans le futur. On observe de ce
fait que les maisons d’édition sont face à un marché exigeant, et qu’elles doivent par
conséquent organiser des journées spéciales durant lesquelles les enseignants viennent
les rencontrer, ainsi que les auteurs, et leur poser des questions sur le contenu des
nouveaux manuels. On note aussi depuis quelques années l’importance des forums sur
Internet, qui permettent aux enseignants de poser des questions sur le contenu
pédagogique des manuels. Enfin, lors de congrès comme le Congres Frans organisé en
mars 2009 à Noordwijkerhout, les enseignants pouvaient aussi rencontrer les éditeurs et
les auteurs et s’informer sur le contenu des dernières parutions dans le domaine de
l’enseignement du français.
Outre ces dernières dispositions dans les programmes scolaires concernant
l’enseignement des LVE aux Pays-Bas, deux autres faits marquants ont contribué à
influencer le contenu des manuels de langue en usage dans l’enseignement secondaire
ces dernières années. Tout d’abord, la parution et l’utilisation du Cadre Européen
Commun de Référence (CECR) pour les langues, paru en 2001 conduit désormais les
auteurs d’un manuel à spécifier le niveau de compétence qu’ils ambitionnent d’atteindre
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avec les apprenants pour chaque activité qu’ils développent. Second fait marquant, en
2008 le parlement néerlandais a voté une nouvelle loi qui entraîne la gratuité des
manuels scolaires pour tous les élèves. Désormais les parents n’ont plus de manuels à
acheter, ce sont les écoles qui le font. Les maisons d’édition et les enseignants s’en
inquiètent, car ils ont peur que cela influence la qualité de l’enseignement dispensé dans
les écoles. En effet, celles-ci ne sont plus obligées de renouveler aussi souvent les
manuels qu’auparavant, ce qui se produisait généralement après 5 ans. À long terme,
cela risque donc d’affecter leur usage, car les enseignants pourront utiliser plus souvent
des manuels, dont le contenu pourra être daté. En outre, comme les exercices pourront
être fabriqués par les enseignants, il y aura plus de difficultés à évaluer le niveau général
des élèves, chaque école fabriquant son propre matériel. Ce problème a été soulevé par
le CITO, un institut qui évalue les connaissances des élèves en LVE au niveau national,
en fonction de programmes scolaires, dont se servent aussi les éditeurs et les auteurs de
manuels de langue pour en concevoir le contenu aux Pays-Bas.
Conclusion
D’hier à aujourd’hui, on note une évolution quant au contenu des manuels en usage
pour l’enseignement du FLE aux Pays-Bas et à leur usage. Depuis la création des trois
types d’enseignement en 1968, respectivement le MAVO, HAVO et VWO, le contexte
d’apprentissage a beaucoup évolué et il s’est complexifié sous l’influence de
changements méthodologiques et l’instauration de nouveaux programmes. Désormais,
pour qu’un manuel ait du succès, un éditeur est amené à tenir compte d’un certain
nombre de points, soulignés par un grand nombre d’enseignants de français aux PaysBas, dont nous rapportons les principaux ci-dessous:
1. En premier lieu, le manuel doit présenter une flexibilité. Ainsi, il doit pouvoir
être utilisé en fonction d’un nombre d’heures variables au programme, qui
varient d’une classe et d’une école à l’autre.
2. Le manuel doit aussi permettre à un enseignant de travailler librement une
partie de son contenu, car il n’a souvent pas le temps de faire tout le
programme, et il est amené à sélectionner des chapitres parmi le contenu du
manuel.
3. Il doit aussi permettre de différencier les contenus d’apprentissage suivant le
niveau des élèves et de varier les activités qui sont menées avec eux.
4. Le contenu du manuel doit s’adapter au ‘goût’ des élèves et à la culture des
jeunes, en privilégiant des thèmes actuels et intéressants, ce qui implique une
forme créative pour parler de la culture et des actualités qui les concernent,
comme c’est par exemple le cas dans Carte Orange, avec un roman-photo.
5. Le contenu du manuel doit permettre de valider des niveaux d’apprentissage
contenus dans le CECR, qu’il faut désormais spécifier systématiquement
après la conception de nouvelles tâches et activités prévues pour les élèves.
6. Les manuels édités doivent être facilement utilisables et simplifiés dans leur
contenu. Ainsi pour D’accord ! par exemple, il existe une différence entre la
première et la seconde édition qui est nettement plus « allégée ».
7. Le contenu du manuel doit faciliter l’autonomie des élèves, en leur permettant
de travailler seuls avec un ordinateur, chez eux ou bien en salle de classe.
D’accord! par exemple contient un web pédagogique, qui leur permet de faire
des exercices de grammaire, de vocabulaire, d’exercer leur prononciation, ou
bien de faire des recherches sur l’actualité en France par le biais de sites sur
Internet.
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En conclusion, on retiendra que la complexité des situations d’apprentissage
influence le contenu des manuels de FLE en usage aux Pays-Bas, qui proposent de plus
en plus un apprentissage « à la carte ». C’est la tendance que l’on remarque le plus
nettement dans les manuels les plus utilisés actuellement par les enseignants de
français, comme Carte Orange, D’accord !, Grandes Lignes ou encore Franconville.
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5ème journée d’études Pierre Guibbert - Manuels scolaires en usage et usages des manuels- 10 juin 2009, p. 10

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