Anim peur C 2

Transcription

Anim peur C 2
PEUR et LITTÉRATURE JEUNESSE
Cycle 2
Pourquoi ce choix de travail autour de la peur
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le souci de créer des liens entre les cycles autour de la littérature.
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Cycle 1 : les doudous. Permettre de travailler l’entrée en littérature à partir d’albums sur le
thème des doudous. La finalité proposée sera une malle dans laquelle seront mises à
disposition les différentes productions réalisées dans les classes. Elle circulera d’école en
école.
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=> Comment apaiser les peurs ?
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Cycle 2 : la peur. Tendre vers des comités de lecture, des objets à lire en travaillant
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le « traitement » de la peur dans la littérature de jeunesse
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Comment utiliser la littérature de jeunesse ? Quelles activités autour du livre ?
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=> Les représentations de la peur.
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Cycle 3 : le policier. La typologie du policier. Vers un défi lecture.
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=> Qu’est ce qui fait peur dans le policier ? Comment les auteurs font ils monter la tension
génératrice de peur.
Telles étaient nos intentions aux mois de mai, juin de l’année scolaire passée
Mais, la peur est aussi un sujet d’actualité très en vogue puisqu’ il a été retenu comme thème au
salon du livre de Montreuil « Il était une fois la peur » en novembre 2008.
Extrait de Télérama du 19 novembre 2008:
« Frousse trouille et tout le tremblement » :
La peur, c’est excitant ! Surtout en couleurs et avec des mots pour le dire, comme c’est le cas dans
les albums pour enfants »
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008
Nous voilà donc dans le vif du sujet :
Il était assez tôt, 8 h 32 du matin plus précisément. C'était un jour très
ensoleillé. Brusquement, la porte d'entrée d'une immense et étrange demeure,
située à l'orée d'une forêt majestueuse, s'ouvrit à sa pleine grandeur. Des
centaines de jeunes réjouis en sortirent en courant. Chacun portait dans ses
bras quelques livres. Dame littérature de jeunesse, déjà assise sous un chêne
centenaire, les invita à venir la rejoindre. Puis, elle ouvrit un très grand livre. Il
s'agissait d'un conte effrayant. Elle en commença la lecture. Son auditoire, plus
rapidement que l'éclair, s'était assis sur des coussins spécialement cousus pour
l'occasion. Certains avaient la forme de loups, d'autres de sorcières, d'autres
encore de dragons, de serpents ou d'ogres... Le récit dura fort longtemps. De
temps à autre, on entendait des rires. Et de temps à autre, les jeunes
frissonnaient et se rapprochaient les uns des autres. Il arrivait même que l'un
d'eux pose une question. Dame littérature de jeunesse y répondait. Parfois, elle
interrogeait les jeunes.
Calmement, la fin du récit venue, elle se leva, invita les enfants à s'approcher
d'elle. À la question qu'elle leur posa ensuite, tous répondirent en choeur:
«Peurs, pourquoi aurions nous peur de vous?» Les enfants savaient désormais
qu'il était possible de contrôler et de maîtriser leurs peurs. Dame littérature
aussi. C'est précisément ce jour là, semble –t-il, qu'elle prit la ferme décision de
ne jamais oublier les enfants qui éprouvent des peurs dans tous les écrits
publiés sous sa juridiction. Elle en fit l'oeuvre de toute sa vie.
QUELLE DEFINITION DONNER AU MOT PEUR ?
Tous les dictionnaires sérieux le disent, pavor du verbe pavere donne le mot peur.
Pavor , c’est aussi une déesse et pas n’importe laquelle, puisqu’il s’agit de la déesse de la peur.
On trouve aussi, épouvante, épave, impavide, panique (flûte de pan des bergers : annonce du danger).
Si l’on prend le mot anglais stress, il vient du latin districtus étroit. Il s’agirait donc d’emprunter un
passage étroit, la peur au ventre. C’est ce que s’appliquent à faire la plupart des héros.(Le tunnel
d’Anthony Brown). En fait la peur est l’expérience même du passage. Épreuve et lieu du
grandissement pour le petit garçon ou la petite fille.
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008
L’histoire ne nous dit jamais s’ils ont la trouille, la frousse ou la pétoche nos petits héros de papier,
mais ces mots trouille, frousse pétoche sonnent comme des onomatopées qui évoquent les gargouillis
intestinaux. Si l’on ajoute à ce festin langagier « pavor nocturnus » alors là on touche au comble de
la peur : la peur de la peur, la pire d’entre toutes, parce que la plus difficile à nommer.
QU’EST CE QUE LA PEUR ?
Selon Anne Bacus la peur est avant tout une réaction physiologique. Sur un plan psychologique c’est
une émotion, un ressenti corporel face à quelque chose que l’on interprète comme un danger. Cette
peur se traduit souvent par un repli sur soi, une fuite.
Adulte et enfant, mêmes peur ? L’émotion est la même, c’est la notion de danger qui diffère.
La peur a un rôle de protection mais qui ne fonctionne que jusqu’à un certain point. Au-delà,
il arrive qu’on soit débordé par la peur et qu’on perde ses capacités (marcher dans le couloir
pas éclairé, passer un oral d’examen…)
Quelles sont les peurs des enfants ?
Tous les enfants ou presque ont peur : peurs innées
de l’obscurité,
du loup,
des monstres,
des voleurs, …
Passage obligatoire car elles font partie intégrante du développement de l’enfant.
Mais il existe aussi des peurs acquises :
peur du médecin,
des chiens,
de l’eau, …
qui apparaissent à la suite d’une expérience désagréable.
La peur apparaît dès la naissance (des bruits, du silence, de tomber…) ; elle disparaît le plus souvent
en grandissant mais peut laisser des traces.
Les peurs qui sont les plus fréquentes et les plus récurrentes chez les enfants qui commencent à
fréquenter le milieu scolaire, sont :
peur de plusieurs animaux,
peur du noir,
peur des créatures imaginaires,
peur de la séparation d’avec leurs parents, …
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008
Ainsi la notion de danger est omniprésente dans celle de la peur et l’expérience que se construit
l’enfant est le résultat de l’apprentissage de ces dangers.
Les peurs enfantines sont rattachées à des événements qui, pour la plupart, se déroulent dans un autre
monde que celui des actions quotidiennes de l’enfant.
L’image que prend la peur à la télévision favorise probablement son développement. Certaines
images vues à l’écran cristallisent la peur. Quand on raconte le PCR à un enfant, son imaginaire joue
un rôle de filtre. Voir le loup qui dévore la grand-mère (Mère-Grand) à l’écran est beaucoup plus
marquant. Et il faut compter avec les différences de sensibilité des enfants.
Mais qui donc aurait peur : les filles ou les garçons ?
Il existe une croyance immémoriale, encore très prégnante, selon laquelle la trouille serait l’affaire
des filles ; jamais celle des garçons. Il suffit de se plonger dans les ouvrages de littérature jeunesse
pour convaincre les jeunes enfants (nos élèves) qu’il n’en est rien : Tu ne dors pas petit ours ? Il y a
un cauchemar dans mon placard, Billy se bile, traduisent des peurs de garçons.
LA PEUR DANS LA LITTÉRATURE
En littérature, le genre qui, par voix de tradition orale ou par écrit, a osé aborder le thème de la peur,
c’est le conte. Il aborde les innommables et innombrables formes qu’elle peut prendre. Le Petit
poucet et Barbe bleue sont deux exemples qui nous autorisent à dire que le plus souvent les contes,
voyageurs inépuisables hors des frontières du temps et de l’espace, portaient et portent encore un
énorme sac plein de peurs sous leurs bras. Les contes expriment les peurs réelles ou imaginaires de
l’humanité toute entière.
Pourquoi continuent-ils à captiver la majorité des enfants à qui on les raconte ? Probablement parce
qu’ils visitent des lieux où se loge l’affectivité.
Les contes modernes s’avèrent aussi, révélateur de l’ampleur et de la récurrence avec lesquelles la
peur se révèle aux enfants. On pourrait citer comme exemple l’album de Maurice Sendak, Max et les
maximonstres.
Les écrivains, qui parfois font des choix liés à leurs propres peurs enfantines, invitent en tout cas, et
de manière tout à fait intentionnelle, les jeunes lecteurs à franchir des étapes nécessaires, leur
permettant de s’exprimer à propos des peurs qu’ils éprouvent. Pour cela, les auteurs proposent de
façon claire, simple et précise la rencontre de chaque lecteur avec la peur, avec ses peurs.
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008
Les descriptions effrayantes, dans Le livre d’en bas et les illustrations parfois agressives de Frisson
de fille, ne serait ce que par les couleurs utilisées, sont elles là pour effrayer les enfants ?
Il semblerait qu’elles aient plus comme objectif de contribuer à la croissance harmonieuse de
chacun, qui, au cours de son enfance fait obligatoirement l’expérience de la peur, car elle invite les
enfants à identifier chacune de leurs peurs et à s’exprimer à propos d’elle.
Livrée à elle seule, sans filet, la peur devient folle, sauvage.
Mise en mots elle trouve sa maison. Eviter qu’elle ne batte la campagne, sans but, sans forme
identifiable; la contenir, lui donner une enveloppe, la mettre en langage, la mastiquer, lui flanquer
des yeux de loup, des mains de géants ou des cornes par dessus les oreilles, tels sont les principaux
tracas des mythes, légendes, contes et comptines…
Si on la laissait faire comme elle veut, la peur exigerait qu’on se taise, c’est pourquoi il faut ouvrir la
bouche. Anecdote extraite de « leçon d’introduction à la psychanalyse » Freud. Dans le noir, un petit
garçon demande à sa tante de continuer à lui parler. La tante s’étonne de ce que le petit garçon
veuille l’entendre alors qu’il ne la voit pas. Le petit garçon répond : « Quand quelqu’un parle il fait
plus clair ». Voir clair dans le noir pourrait bien être depuis toujours le but de la manœuvre.
Ce ne sont pas les histoires angoissantes qui créent les angoisses. La peur est en nous, les contes nous
aident à apprendre ce qu’est la peur. Les livres en parlent, les mettent en représentation et offrent la
possibilité de les surmonter au moins en partie.
La littérature développe ce thème parfois fort sérieusement (Billy se bile) parfois sous le couvert de
l’humour (Il y a un cauchemar dans mon placard ). Mais en tout cas les auteurs qui s’y essaient, ont
compris et appliqué la douce règle du dire montrer exprimer et s’exprimer.
Toutefois la lecture d’un ouvrage n’est que la première étape d’un long voyage au cours duquel
l’enfant devra identifier le type de peur qui s’y trouve personnifiée, la regarder en face, dialoguer
avec elle voire s’amuser avec elle. On pourra même aller plus loin en lui écrivant, en écrivant à son
sujet en en discutant avec d’autres (Le grand livre des peurs)
C’est ainsi que petit à petit elle deviendra un peu, puis progressivement beaucoup plus petite que
celui qui l’éprouve (Billy se bile).
Mais il faut un long entraînement pour apprendre à être moins effrayé , moins agressif, examiner sa
peur et essayer de retrouver confiance en soi. Et c’est à ce prix que l’enfant pourra contrôler, voir
maîtriser sa peur.
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008
Et pourquoi alors ne pas poursuivre en allant jusqu’à :
-
s’amuser à avoir peur,
-
faire peur à la peur,
-
en rire mais ensemble ?
En tout cas on veillera à ne pas fermer la porte au nez de la peur ou des peurs. On fera en sorte que
les enfants ne pensent pas qu’il serait préférable d’enfouir la peur dans quelque coin sombre pour
feindre ensuite de l’oublier.
L’une de nos responsabilités éducative est d’écouter les enfants s’exprimer à propos de leurs peurs.
Pour les accompagner sur ce chemin pourquoi ne pas partir le sourire aux lèvres, et les bras chargés
d’albums appropriés. Il deviendra alors bien agréable pour les petits et les grands de partager les
contenus de ces ouvrages où les protagonistes expriment nos peurs.
Mais une fois cette certitude acquise, se pose alors le problème de la sélection.
Le pouvoir de l'adulte qui effectue la sélection des livres qu'il souhaite lire, raconter ou rejeter
est de première importance. La censure faite par l’adulte ne doit pas être un alibi parfait qui
permettrait d’exclure certains ouvrages.
Confrontées nous-mêmes à cette responsabilité de la sélection, nous avons pris le parti de
vous proposer des albums qui, pour certains sortent un peu des choix habituels tels que Les trois
brigands -Tomi Ungerer ou Max et les maximonstres - Maurice Sendak, ce qui n’enlève rien à la
qualité et à l’intérêt de ces ouvrages.
On sera sensible à la richesse, à la qualité du contenu du texte et des illustrations, à la langue
mais aussi à la pertinence et à la profondeur des valeurs véhiculées. La spécificité de chaque ouvrage
devra permettre la mise en œuvre de nombreuses activités d’échanges, de discussion et
d’exploitations aussi variées que possibles.
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008
Les procédés de la peur :
- L’auteur cherche à ouvrir les yeux du lecteur sur ce que celui-ci redoute de voir
(il suggère, révèle progressivement..). Le lecteur doit combler les blancs, interpréter l’équivoque. On
est entre le dit et le non dit. Dans tous les cas il s’agit de dire ce qui ne peut pas l’être, de mettre en
mot une situation qui ne fait pas partie de notre réalité.
« La littérature de la peur est une littérature de rêve. Si cauchemar il y a, c’est à la surface du texte ;
écrire la peur est avant tout une affaire de mots. C’est dans le monde du verbe que les auteurs
puisent leurs images. Faire peur, c’est avant tout dire la peur »
Patrick Joole TDC n° 803
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Documents de référence
- Les programmes BO n° 3 du 19 juin 2008
- TDC n °803
article de Patrick JOOLE
- Il était une fois... la peur : Charlotte GUÉRETTE
Professeure en didactique de la littérature d'enfance et de jeunesse
Faculté des sciences de l'éducation
Université Laval, Québec
- Il était une fois la peur. Salon du livre de Montreuil 2008 Daniel CONROD
vidéo : interview d’enfants et d’un auteur (site www.la-croix.com) salon de Montreuil
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Lisette Bossuet/Dominique Desgeorge
CPC Bordeaux Blanquefort 2008