baccalaureat blanc

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baccalaureat blanc
BACCALAUREAT BLANC
CORRECTION
DECEMBRE 2008-12-11
PHILOSOPHIE
Série GET
Drée : 4 heures
coefficient : 3
Le candidat traitera, au choix, l’un des trois sujets suivants.
L’usage des calculatrices et du dictionnaire ou de tout autre document est interdit.
Ce sujet comporte 14 pages.
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1er sujet : Quel besoin avons-nous de chercher la vérité ?
2ème sujet : Comment comprenez-vous cette formule de G. Bachelard : « l’esprit
scientifique doit se former contre la nature, contre ce qui est en nous et hors de nous
l’impulsion et l’instruction de la nature, contre l’entraînement naturel, contre le fait coloré et
divers. L’esprit scientifique doit se former en se réformant. »
3ème sujet :
La science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose
absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l’opinion, c’est pour
d’autres raisons que celles qui fondent l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort.
L’opinion pense mal : elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant
les objets par leur utilité, elle s’interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l’opinion ; il
faut d’abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas par exemple,
de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire,
une connaissance vulgaire provisoire. L’esprit scientifique nous interdit d’avoir une opinion sur
des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des
problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d’euxmêmes. C’est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit
scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il
n’y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien
n’est donné. Tout est construit.
Gaston Bachelard.
Pour expliquer ce texte vous répondrez aux questions suivantes, qui sont destinées
principalement à guider votre rédaction. Elles ne sont pas indépendantes les unes des autres et
demandent que le texte soit d’abord étudié dans son ensemble.
QUESTIONS
1. Dégager la thèse du texte et les étapes de son argumentation.
2. Expliquez :
a. « l’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances ».
b. « ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique » ;
c. « rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit ».
3. L’opinion fait-elle obstacle à la science,
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SUJET 1 : QUEL BESOIN AVONS-NOUS DE CHERCHER
LA VERITE ?
A/ Coup de pouce.
I/ Analyse du sujet.
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Le Besoin renvoie à la nécessité d’un objet pour permettre la subsistance et la
croissance d’un être. Dire que nous avons besoin de la vérité, c’est supposer que,
sans cette recherche, notre survie et notre bien-être sont compromis. Il se
distingue du désir, tendance vers un objet considéré comme source de
satisfaction, mais dont la non-réalisation n’entraîne qu’une frustration.
La vérité, conformité de la pensée à son objet, manifeste une saisie du réel. Il
faudra alors se demander si cette saisie répond à un besoin, si elle satisfait un
manque, ou si elle n’est pas plutôt dangereuse pour la vie même.
II/ Problématique et plan
Si l’on a besoin de chercher la vérité, c’est parce qu’elle ne se donne pas d’emblée, qu’elle
est voilée par les apparences. Dire que l’on a besoin de chercher la vérité, c’est affirmer qu’il y a
danger pour notre existence à demeurer dans la croyance et le préjugé.
On analysera donc d’abord les avantages du savoir, pour montrer ensuite en quel sens la
vérité peut être angoissante, l’illusion et le mensonge se révélant être parfois plus efficaces d’un
point de vue pratique et politique.
Cependant, la recherche de la vérité reste un désir et un devoir ancrés au cœur même de
la nature humaine. Reste à savoir si elle est un désir légitime.
Plan de la dissertation
I/ L’utilité pratique de la vérité
II/ la recherche de la vérité ne répond pas à un besoin…
III/ … mais à un désir que nous avons le devoir de satisfaire.
IV/ Utiliser ses connaissances.
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Afin d’évaluer l’intérêt de la recherche de la vérité, nous analyserons le
mensonge et l’illusion. Le premier, assertion volontairement contraire à la
vérité, montre que tous n’ont pas intérêt à la recherche de la vérité, et qu’elle ne
répond en ce sens pas nécessairement à un besoin. L’illusion, née d’un désir,
montre que l’on peut avoir besoin de se cacher la vérité : il est des vérités
difficiles à entendre.
Platon : le mensonge peut s’avérer nécessaire en politique : on peut refuser la
recherche de la vérité au nom de l’utilité : « A ceux qui gouvernent la cité […]
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revient la possibilité de mentir, que ce soit à l’égard des ennemis ou à l’égard des
citoyens quand il s’agit de l’intérêt de la cité » (La République ).
Pour Kant, dire la vérité est un devoir, l’on ne peut moralement vouloir le
mensonge : « Être véridique dans les propos qu’on ne peut éluder, c’est là le
devoir formel de l’homme envers chaque homme, quelle que soit la gravité du
préjudice qui peut en résulter pour soi-même ou pour autrui » (Fondements de
la métaphysique des mœurs).
B/ CORRIGE : plan détaillé
[Introduction]
Le développement des sciences montre l’engouement de l’humanité pour la vérité.
Valeur absolue, elle est l’objet d’une quête infinie. Mais quel besoin avons-nous de chercher la
vérité ? Si nous admettons facilement que la vérité est digne de respect, nous préférons parfois
secrètement ne pas voir la réalité telle qu’elle est. Mais la recherche de la vérité ne répond-elle
pas au-delà de ses conséquences directes, à un désir profondément ancré dans la nature
humaine ?
[I/ L’utilité pratique de la vérité]
La possession de la vérité (adéquation de la pensée au réel) assure à l’homme la saisie du
fonctionnement des phénomènes. Le savoir a des vertus pratiques : il permet d’agir, de
connaître les moyens permettant d’accéder aux fins que l’on se donne.
La science développe la technique ensemble de procédés et savoir-faire permettant
d’atteindre un but prédéterminé. L’homme se libère de la nature et des obstacles qu’il rencontre
par le savoir. On recherche donc la vérité d’abord pour son utilité : elle permet de satisfaire
besoins et désirs.
Exemple : pour se nourrir, plus l’on maîtrise les techniques de l’agriculture, plus on
connaît les moyens de garantir une bonne récolte, plus on peut satisfaire ses besoins. On a
besoin de recherche la vérité pour combler ses manques physiques.
[II/ La recherche de la vérité ne répond pas un à besoin]
Cependant, dès lors qu’on maîtrise les techniques rudimentaires nécessaires à la
subsistance, on peut abandonner la recherche de la vérité, celle-ci ne répondant plus à un
besoin.
Même plus, on peut parfois avoir besoin d’occulter la vérité. « Toute vérité n’est pas
bonne à dire » ; la vérité est parfois décevante, cruelle, source d’angoisse. L’illusion est un
besoin.
Le mensonge peut également s’avérer efficace, notamment en politique : « A ceux qui
gouvernent la cité […] revient la possibilité de mentir, que ce soit à l’égard des ennemis ou à
l’égard des citoyens quand il s’agit de l’intérêt de la cité », écrit Platon (La République). Ce n’est
pas la recherche de la vérité qui est ici nécessaire, mais le fait de la taire.
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[III/ … mais à un désir que nous avons le devoir de satisfaire]
Même si la vérité blesse, l’homme tend à la rechercher. N’est-ce pas plutôt à un désir que
correspond cette quête, un désir légitime car inscrit dans la nature même de l’homme, comme le
souligne Aristote lorsqu’il écrit : « Tous les hommes désirent naturellement savoir »
(Métaphysique) ? La recherche de la vérité est, dans le domaine de la connaissance, non un
besoin qui répond à ses caractéristiques biologiques, mais un désir essentiel à l’homme pour
l’accomplissement de sa nature.
Kant montre que ne peut être tenu pour moralement bon qu’un principe dont on peut
vouloir qu’il devienne en même temps une loi universelle. Or, le menteur, ne souhaitant pas
être découvert, désire qu’autrui agisse en fonction d’une maxime inverse à la sienne (maxime de
la sincérité). Moralement, chercher et dire la vérité est un devoir.
[Conclusion]
Même si l’homme, en tant qu’animal, ne se caractérise pas par son besoin de cherche la
vérité, le désir de la chercher le caractérise néanmoins en propre dès que l’on met l’accent sur
son caractère raisonnable : si l’homme possède la raison, faculté de désirer, selon Kant, parce
que toujours en quête de vérité, il ne peut actualiser son essence que par cette recherche qui se
définit avant tout comme quête de liberté : savoir, c’est pouvoir s’émanciper.
Mais l’on pourrait, avec Nietzsche, interroger la légitimité de ce désir de vérité :
« « Vouloir le vrai » ce pourrait être, secrètement, vouloir la mort. »
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2ème sujet : comment comprenez-vous cette
formule
de
scientifique
G.
doit
Bachelard :
se
former
« l’esprit
contre
la
nature, contre ce qui est en nous et hors
de nous l’impulsion et l’instruction de la
nature,
contre
l’entrainement
naturel,
contre le fait colore et divers. L’esprit
scientifique
réformant. »
doit
se
former
en
se
CORRIGE : devoir rédigé
Il est banal d’interpréter l’activité scientifique comme le prolongement, comme
l’approfondissement de la connaissance vulgaire et des techniques primitives. L’agriculteur, qui
après une longue expérience parvient, en interprétant la limpidité de l’atmosphère, la direction
du vent et la forme des nuages, à prévoir le temps du lendemain raisonne au fond déjà comme le
savant météorologiste qui dispose simplement d’un système de signes plus étendu et de la
connaissance de lois plus précises. On sait d’autre part que les premiers géomètres furent des
arpenteurs, des « mesureurs de terre » qui, dans l’Egypte ancienne, avaient à redistribuer les
terres après la crue du Nil. On rappelle complaisamment que « la science est née à l’atelier, à la
cuisine, à la chasse ».
Pourtant si la science n’était que le prolongement naturel des actes spontanés et des
expériences primitives, on comprendrait mal que les science soit une aventure si récente dans
l’histoire des hommes ; plus de dix mille ans des civilisations complexes et raffinées ; or, la
physique date de trois siècles, la chimie de deux siècles, la biologie d’un siècle à peine, tandis
que les sciences humaines commencent tout juste de nos jours à mériter le nom de sciences : il
semble donc bien, à la réflexion, que l’attitude scientifique, loin d’être spontanée chez l’homme,
soit un produit tardif de l’histoire.
C’est que la connaissance spontanée ne peut parvenir à saisir des structures objectives.
Elle reflète tout naturellement notre organisation physiologique, nos tendances psychiques, nos
préjugés autour de la terre. Notre propre position à la surface de la terre, ainsi que nos organes
de vision, rendent inévitable cette première interprétation : de même l’antique et fausse
doctrine des quatre éléments n’est que la systématisation de la perception naïve : n’importe qui
distingue immédiatement l’eau, la terre, l’air et le feu ; ce qui est le plus manifeste est tenu pour
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essentiel. Tout naturellement nous projetons sur le monde nos dispositions mentales. Ainsi
Aristote, voyait-il l’univers à l’image de la grammaire de la langue grecque, composé de
« substances » et « d’attributs » ; le marbre est froid, la laine est chaude, le plomb est lourd.
L’explication par les « vertus » occultes – est en fait naïvement psychologique : la nature a
horreur du vide comme Madame la Baronne a horreur du thé. Aristote suivait la suggestion de
sens lorsqu’il distinguait les corps lourds dont le lien naturel est le bas et les corps légers dont le
lieu naturel est le haut. Les corps inertes sont ici involontairement assimilés à des hommes qui
s’efforcent de retrouver leur « chez soi ». Spontanément « je vois le monde comme je suis » et
non pas comme il est, selon l’heureuse expression de Paul Eluard. Et je ne projette pas
seulement sur le monde mes dispositions personnelles mais encore tous les mythes que je tiens
de la tradition. Ainsi les observateurs de l’aurore boréale du 11 octobre 1527 décrivent qu’ils
virent dans le ciel des t^tes ensanglantées de damnés et des diables cornus armés de tridents et
de glaives flamboyants.
L’attitude scientifique apparaît alors comme une rupture avec l’attitude naturelle. La
science, bien loin de prolonger la vision spontanée que nous avons de l’univers, la transforme
radicalement. Aux faits « colorés et divers » de la perception commune elle substitue un univers
de quantités abstraites ; à la place du sensible sonore et coloré elle découvre des vibrations dont
on peut mesurer longueur d’ondes et fréquence ; à la diversité empirique elle substitue
l’unification rationnelle : non seulement, pour la chimie, les corps infiniment divers se
ramènent à une centaine de corps simples, mais encore ceux-ci sont-ils composés d’atomes et
l’atome lui-même est aujourd’hui analysé, l’électron apparaissant comme le constituant ultime
de la matière : là où la perception immédiate voit des êtres, la science ne connaît que des
rapports ; toutes les propriétés apparentes des choses se ramènent à des relations avec d’autres
choses : la chaleur apparente d’une substance s’explique par sa « conductibilité », le poids
dépend du champ de gravitation, la couleur d’un objet de la lumière qu’il réfléchit.
Tandis que, spontanément nous nous projetons nous-mêmes sur l’univers, la science
nous enseigne à nous comprendre, tout au contraire, à partir de l’univers. Ce qui était principe
inconscient d’interprétation devient objet d’explication. Pour l’alchimiste Paracelse (14931541), la rouille et le vert-de-gris étaient les « excréments » des métaux qui « mangent et boivent
plus que de raison dans le sein de la terre ». Paracelse projetait sur les phénomènes chimiques
son expérience humaine de la digestion. La science renverse ce schéma alimentaire par les
diastases. La chimie de Paracelse était une biologie imaginaire. Notre biologie s’efforce d’être
une chimie vraie.
Le grand obstacle à la connaissance objective c’est le corps. La conquête de l’objectivité
suppose, dans toute la mesure du possible, sa mise hors-circuit. Sans doute lisons-nous avec nos
yeux les indications des instruments scientifiques. Mais précisément ce donné visuel, spatial, se
prête à la mesure et permet de construire un savoir objectif ; la sensation musculaire du poids,
subjective et imprécise, devient par exemple l’appréciation visuelle de la position de l’aiguille de
la balance ; la « force » est mesurée par l’allongement communiqué à un ressort. La température
devient un fait scientifique lorsqu’elle n’est plus sentie sur la peau mais lue sur le thermomètre ;
la lecture du thermomètre représente l’élimination de mon corps, lui-même source de chaleur,
de la connaissance de la chaleur. Et ce qu’il y a de plus remarquable c’est que mon corps origine
de mes appréciations spontanées sur la température, devient alors l’objet d’une connaissance
physiologique scientifique qui détecte les « récepteurs thermiques », montre que l’impression de
température est en partie soumise aux variations de la circulation sanguine, au fonctionnement
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plus ou moins satisfaisant du foie, etc… La subjectivité, sensible, origine de la connaissance
empirique, obstacle à la connaissance scientifique, devient l’objet d’une analyse scientifique : le
cycle de la « désubjectivisation » de la connaissance exige donc une véritable conversion
mentale qui déchoit mon corps de toute position privilégiée dans la connaissance, en fait un
simple objet explicable par ses relations avec les autres objets. A cet égard l’héliocentrisme
copernicien demeure l’exemple type de la découverte scientifique ; ici « l’impulsion et
l’instruction de la nature » aussi radicalement redressées et comme le dit magnifiquement
Brunschvicg, le savant peut « se rendre à lui-même le témoignage que détachant sa pensée du
point auquel il paraissait lié à jamais et par les organes du corps et par la région de l’espace où la
terre est située, il a bien su l’ordonner en un système adéquat à l’ordre des mouvements
universel ».
M. Bachelard a donc tout à fait raison de dire que l’esprit scientifique s’est formé « contre
l’entraînement naturel, contre le fait coloré et divers ». L’esprit scientifique, ajoute-t-il, « se
forme en se réformant ». Il ne faut pas, en effet, s’imaginer que l’esprit scientifique se constitue
d’un seul coup, le progrès scientifique apparaissant comme une accumulation progressive de
découvertes qui s’ajouteraient paisiblement les unes aux autres. En réalité la science ne
progresse pas par accumulation mais par crises. L’esprit scientifique apparaît à chaque moment
comme un ensemble de principes, de méthodes et de théories, propres à interpréter
l’expérience, mais que l’élargissement continu du champ expérimental remet sans cesse en
question ; la science ne cesse d’ « instruire la raison » ; l’idée suscite l’expérience, mais
l’expérience transforme l’idée. Les relations entre l’esprit de la science et le donné qu’elle
interprète sont d’ordre dialectique. Chaque épreuve expérimentale apparaît ainsi –selon la
formule de Le Roy – comme une « crise de croissance de la pensée ».
Considérons par exemple les postulats euclidiens qui jouèrent si longtemps le rôle d’un
absolu dans la pensée géométrique. Selon Kant ils appartiennent encore à la structure intime de
l’esprit humain, qui porte en lui universellement et nécessairement la « forme a priori » de
l’espace. Mais les travaux de Riemann et de Lobatchevski ont montré qu’on peut construire une
géométrie cohérente tout en modifiant le postulat euclidien des parallèles.
Riemann réussit à construire à système dans lequel par un point pris hors d’une droite on
ne peut construire aucune parallèle à une droite tandis que Lobatchevski admet,
axiomatiquement, la construction d’une infinité de parallèles. Dans la première de ses
géométries. Dans la première de ses géométries la somme des angles du triangle est supérieure,
dans la seconde inférieure à deux droits. On s’avise alors que l’« absolu » indémontrable d’où
part Euclide n’est qu’une convention parmi indémontrable d’où part Euclide n’est qu’une
convention parmi d’autres possibles, une « définition déguisée ». La géométrie d’Euclide décrit
le cas très particulier d’un espace à « courbure négative ». L’esprit mathématique moderne opère
donc une révolution radicale dans l’idée traditionnelle de l’axiome ou du postulat. Ces premiers
principes ne sont ni vrais ni faux ; ce sont des conventions et on n’a plus à se préoccuper de leur
essence, de leur nature. Ils ont revêtu une signification fonctionnelle, ce sont simplement des
règles opératoires.
La physique de là « relativité » a opéré dans la pensée scientifique une mutation du même
ordre. Le dispositif expérimental de Michelson et Morley destiné à mettre en évidence le
mouvement de la terre par rapport à l’espace absolu de référence, à l’éther, et qui était assez
précis pour accuser une vitesse de déplacement de la Terre dix fois plus petite que celle qu’elle a
en réalité, n’a jamais révélé la moindre différence de vitesse entre deux rayons lumineux, l’un
émis dans le sens du mouvement de la terre, l’autre en sens inverse ; d’où la nécessité de
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réinterpréter l’ensemble de la Mécanique, et de modifier de fond en comble l’esprit de la science
newtonienne.
On sait aussi comment la théorie ondulatoire de la lumière, qui avait trouvé dans l’œuvre
maxwellienne son interprétation mathématique accomplie, a été mise en question par les
expériences modernes. L’effet photo-électrique qui dépend de la fréquence, et non de
l’intensité, montre que des radiations frappant une surface métallique libèrent les électrons du
métal et que se passe comme si ces électrons étaient dispersés par une grêle de projectiles ; d’où
le retour au moins partiel à une théorie corpusculaire de la lumière qui impose la mise au point
d’un nouvel outil mathématique (calcul des matrices, mécaniques statistiques) ; l’analyse
infinitésimale, analyse du continu, des variations par gradations insensibles qui convenait
parfaitement à la théorie ondulatoire de la lumière, théorie continuiste, n’est plus adaptée aux
nouvelles données expérimentales. Seulement il faut ici comprendre que la défaite d’in
instrument intellectuel n’est pas une défaite de la raison elle-même, mais une invitation à
prouver sa fécondité par l’invention de concepts et de méthode inédits, à promouvoir pour
répondre à chaque nouvelle « crise » un « nouvel esprit scientifique ».
3ème sujet : M. Bachelard,
A/ COUP DE POUCE
I/ Analyse et intérêt philosophique du texte
La science désigne la connaissance qui vise l’objectivité dans l’énonciation de
lois qui mettent en évidence les rapports qu’entretiennent entre eux les
phénomènes.
L’opinion doit être comprise ici comme une idée reçue non interrogée et non
fondée qui relève d’une certaine subjectivité. Il ne s’agit pas de l’opinion au sens
d’engagement personnel, comme quand on dit que l’on a ses propres opinions
(convictions).
Bachelard oppose radicalement science et opinion. Analysant le premier obstacle
épistémologique, l’opinion, il montre que l’esprit scientifique doit penser contre
l’opinion et savoir s’interroger. La croyance apparaît alors comme un obstacle de la
raison.
-
II/ Problématique et Plan de la question 3 :
Question classique par excellence, l’opposition entre opinion et science peut sembler
évidente. Cependant, il faut considérer l’opinion comme idée reçue (que critique
Bachelard) et comme pensée non encore fondée, provisoire, consciente de sa fragilité,
mais parfois nécessaire. Le problème se situe dans l’analyse de la notion d’obstacle : faire
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obstacle à quelque chose, c’est l’empêcher. L’opinion empêche-t-elle la science
d’avancer, ou bien peut-elle parfois la guider ? A moins qu’elle ne soit indépendante de la
science : cette dernière ayant un domaine spécifique, ne faut-il pas avoir des opinions
dans les autres domaines ? A quelles conditions opinion et science peuvent-elles
cohabiter, voire coopérer ?
Plan proposé
I/ L’opinion n’a pas les mêmes buts que la science
II/ L’opinion n’a pas les mêmes méthodes et fondements que la science
III/ La liberté d’opinion est un droit fondamental.
IV/ Utiliser ses connaissances
-
-
Bachelard dans La formation de l’esprit scientifique, analyse les obstacles
épistémologiques : l’ensemble des représentations du réel qui empêchent sa
compréhension. « L’esprit scientifique doit se former en se réformant », en
s’affranchissant de ces représentations spontanées.
Pour montrer la nécessité de s’interroger afin de trouver le vrai, on rappellera la
célèbre formule socratique selon laquelle « la seule chose que je sais, c’est que je
ne sais rien ». On pourra faire appel à l’allégorie de la caverne de Platon dans la
République, et montrer comment s’effectue le passage de l’opinion (du monde
sensible) à la connaissance (au monde intelligible).
CORRIGE
QUESTION 1
Bachelard analyse le rapport qu’entretiennent opinion et science. Le véritable esprit
scientifique est celui qui sait penser contre l’opinion et poser des problèmes, interroger ce que
l’opinion croit illusoirement pouvoir expliquer. L’opinion est un obstacle épistémologique qu’il
faut vaincre non seulement lors de la constitution de la science, mais constamment : c’est un
obstacle récurrent.
Bachelard commence par poser la thèse : science et opinion s’opposent radicalement.
Puis il l’explique en précisant d’abord les caractéristique de l’opinion qu’il oppose ensuite à
celles de la science. L’opinion, idée reçue sans analyse, préjugé non interrogé, est fondée sur la
recherche de l’utilité (quel est l’effet de ? …), et non sur celle des rapports entre les phénomènes
(comment ? …). Ainsi, l’esprit scientifique doit s’en libérer afin de pouvoir interroger la nature.
L’opinion croit savoir ; au contraire, le scientifique est d’abord celui qui sait qu’il ne sait pas,
celui qui a le sens du problème. La science est une perpétuelle reconstruction, faite de remise en
causes et de rectifications permanentes.
QUESTION 2
A.
Si l’opinion est le premier obstacle épistémologique à surmonter, c’est parce
qu’elle est dénuée de pensée, ne s’interroge pas, juge selon les apparences et
surtout l’utilité. Elle « traduit des besoins en connaissances », ne considère dans
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B.
C.
le réel que ce qui peut être source de satisfaction et juge trop vite, s’interdisant
de connaître véritablement. Nous le savons, ce qui nous plaît ou nous procure
satisfaction n’est pas toujours ce qui est vrai. Ce qui intéresse l’opinion, ce n’est
pas l’explication d’un phénomène, mais son effet et il n’y a alors ni fondement
ni connaissance dans l’opinion.
Au contraire, ce qui caractérise l’esprit scientifique, c’est son sens du problème.
La science commence toujours par une question posée à la nature, par une
interrogation. Le scientifique n’est pas celui qui trouve des solutions, mais
d’abord celui qui pose les problèmes, remet en cause les idées reçues aussi bien
que les théories antérieurement admises.
Par conséquent, la science n’est jamais achevée, elle ne doit pas être
dogmatique. « Rien ne va de soi » : il faut toujours s’interroger. « Rien n’est
donné. Tout est construit » ; la science suppose une rupture avec les idéologies
antérieures, elle ne progresse pas, comme on le pense spontanément, de
manière progressive et continue, mais par révolutions successives.
QUESTION 3
Le plan détaillé est rappelé entre crochets pour vous aider, mais il ne doit en aucun cas
figurer sur votre copie. Il faudra donc soigner les introductions et les conclusions partielles ainsi
que les transitions entre les différentes parties et sous-parties afin de guider le correcteur.
[Introduction]
La philosophie classique se caractérise par son combat contre l’opinion, jugement hâtif et
non rationnellement fondé qui fait obstacle au savoir en ce qu’il se donne l’apparence de la
connaissance. Mais, d’un autre côté, la liberté d’opinion est un droit fondamental dans les
sociétés démocratiques, affirmé notamment parla Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789. Que penser alors d l’opinion ? Est-elle radicalement opposée au savoir ?
Constitue-t-elle nécessairement un obstacle à la science, ou bien a-t-elle des vertus propres à
servir la recherche scientifique ?
[I/ L’opinion n’a pas les mêmes buts que la science]
[A. Buts de la science]
La science cherche à établir une connaissance rationnelle et objective des phénomènes, à
énoncer des lois qui expliquent le rapport constant et universel (dans la plupart des cas) entre
les phénomènes. Elle est de l’ordre de l’universel : « Il n’y a de science que du général », écrivait
déjà Aristote. Son but est aujourd’hui de comprendre non pas pourquoi, mais comment se
produisent les phénomènes. La science se caractérise alors par un souci d’explication.
[B. Buts de l’opinion]
Au contraire, ce que cherche l’opinion, et c’est aussi ce en quoi elle attractive pour le
commun des mortels, c’est l’utilité. Les jugements qu’elle énonce sont en général voués à
résoudre des problèmes pratiques et particuliers. Elle cherche à cerner non comment ont lieu les
phénomènes, l’explication n’ayant que peu d’intérêt d’un point de vue pratique, mais quels
effets ils engendrent. Si l’on veut, par exemple, se soigner d’une maladie, on se demande plus
spontanément quels sont les médicaments ou exercices nécessaires à la guérison, mais l’on
s’intéresse beaucoup moins à la façon dont vont agir ces remèdes, au processus par lesquels ils
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vont nous permettre de guérir. Ce qui importe à l’opinion, c’est le résultat, non le moyen d’y
parvenir.
On voit donc bien que science et opinion ont des fins différentes. Mais doit-on pour
autant en conclure que l’opinion est un obstacle à la science, qu’elle l’empêche de progresser ? Si
le scientifique n’allait pas au-delà de l’opinion, et se limitait à son jugement, la science ne
pourrait pas avancer. A se contenter de jugements trop simplistes, on s’empêche de connaître
véritablement les choses.
[II/ L’opinion n’a pas les mêmes méthodes et fondements que la science]
[A. problème et certitude]
Ce qui caractérise en outre l’opinion, c’est qu’elle vise la certitude et s’ancre en chacun
de manière à empêcher toute remise en cause. Les opinions sont tenaces, et Socrate n’a eu de
cesse de les combattre afin de mettre à jour la vérité (cf. allégorie de la caverne). Ce n’est que
contre l’opinion que peut s’établir un savoir véritable. Avant toute recherche de la vérité, il faut
faire nôtre cette formule socratique : « la seule chose que je sais, c’est que je ne sais rien ».
Bachelard insiste sur cette nécessité : « l’esprit scientifique doit se former en se réformant », en
s’affranchissant des idées reçues qui voilent la vérité. L’opinion, qui exclut toute interrogation et
toute remise en cause, constitue un obstacle à la science : pensant savoir, on se prive de
réflexion et de recherche approfondie. La science, qui s’interroge constamment, ne peut garantir
le sentiment de sécurité que confère la stabilité (toute relative cependant) que semble conférer
l’opinion en prétendant être du côté de la certitude.
[B. Le problème du fondement]
En outre, l’opinion est un jugement anonyme, non fondé, que l’on ne peut justifier.
D’ailleurs, nous avons souvent tendance à dire : « c’est mon opinion, et si certains ne la
partagent pas, c’est leur droit. » Mais alors, prenons conscience que l’opinion est de l’ordre de la
croyance plus que de celui du savoir. Or, nous considérons souvent dogmatiquement nos
opinions comme supérieures à celles des autres, sans pour autant pouvoir le justifier, en leur
donnant valeur de vérité. Au contraire, le scientifique cherche à expliquer, et nulle théorie ne
peut être admise sans démonstration provoquant un assentiment général. Mais comme
l’opinion, de par sa manière de s’exprimer (le langage commun) est plus accessible que la science
(formalisée et abstraite), nous avons tendance à être davantage enclins à écouter l’opinion plutôt
qu’à chercher à comprendre véritablement.
[III/ La liberté d’opinion est un droit fondamental]
[A. Les dangers d’une pensée unique]
Cependant, la diversité des opinions est parfois admise comme positive. En effet, si l’on
nome opinion non plus l’idée reçue et non interrogée, mais le jugement personnel relevant
d’une certaine réflexion (« avoir une opinion, c’est mieux que de ne rien penser du tout »), on
peut considérer que la confrontation des diverses opinons peut être une première ébauche à
l’élaboration d’un savoir, et non une opposition comme se sachant elle-même non certaine,
comme capable de s’interroger. Ne doit-on pas plutôt parler d’hypothèse ? Si l’on parle de
liberté d’opinion, ce doit être au sens de liberté de croyance, de pensée, mais consciemment
reconnues comme subjectives et ne prétendant pas détenir la vérité absolue. C’est à cette
condition que l’opinion peut ne pas faire obstacle à la science.
[B. L’opinion distinctive de la science, non obstacle à la science]
Il est des domaines que la science ne prend pas pour objet, et qui semblent cependant
appeler un jugement. La politique, la morale, le domaine des valeurs est propice à l’opinion. Ici,
bien que l’opinion doive encore savoir être interrogée et rationnellement analysée, elle doit être
considérée comme ne faisant pas obstacle à la science, tant qu’elle n’empiète pas sur son
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domaine. C’est, par exemple, ce qui autorise Descartes lors de sa recherche de l’indubitable à
conserver une « morale provisoire » (à laquelle fait d’ailleurs allusion Bachelard) en attendant de
pouvoir la fonder rationnellement.
[Conclusion]
S’il est vrai que, comme le dit Bachelard, la science doit toujours être en rupture avec
l’opinion conçue comme idée reçue se donnant valeur de certitude, il n’en reste pas moins que
nous pouvons avoir des croyances non fondées et parfois naïves sans faire obstacle à la science, à
condition toutefois d’être conscients du caractère incertain de ces croyances et de savoir les
interroger. L’opinion au sens premier du terme est donc bien un obstacle à la science, mais cela
ne doit pas mener au scepticisme radical qui prônerait une suspension définitive de tout
jugement – suspension d’ailleurs pratiquement et intellectuellement intenable. Il faut, dans
l’exercice de la science, éviter, deux écueils : le dogmatisme et le scepticisme. Rappelons que,
come l’écrivait Einstein, « les préjugés sont plus difficiles à désagréger que les atomes ».
FIN DE LA CORRECTION DES SUJETS DU BAC BLANC N°1.
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