Le activités culturelles, les industries créatives et les villes

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Le activités culturelles, les industries créatives et les villes
Villes
Villes
e u r o p é e n n e s
Amsterdam ★ Bari ★ Birmingham ★ Brno ★ Budapest ★ Evosmos ★ Gijón ★ Helsinki ★ Katowice ★ Lille Métropole ★ Manchester ★ Maribor ★ Naples ★ San Sebastián ★ Velenje ★ Vilnius
Les activités culturelles, les industries créatives et les villes
Délégation interministérielle à la ville
194, avenue du Président-Wilson
93 217 Saint-Denis La Plaine Cedex
Tél : +33 (0)1 49 17 46 46
www.ville.gouv.fr
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Les éditions de la DIV
ISBN : 978-2-11-097189-0
ISSN : 1629-0305
Dépôt légal : février 2008
Les éditions de la DIV
Délégation interministérielle à la ville
Collection
Villes
Les éditions de la DIV
Sommaire
Préface
5
Avant-propos
7
Introduction :
le réseau URBACT Culture, seize villes d’Europe très différentes
10
Carte : les villes du réseau URBACT I
12
Thème 1
Le rôle de la culture et de la créativité dans le (re)développeme nt des villes
13
Thème 2
La dimension physique
30
Thème 3
La dimension sociale
43
Thème 4
La dimension économique
54
Glossaire
68
Préface
Depuis 2003, le programme européen d’échange d’expériences URBACT suscite
un intérêt soutenu dans toute l’Europe : plusieurs milliers d’acteurs de terrain s’y
sont investis, représentant plus de 200 villes, dont de nombreuses villes moyennes
et villes des nouveaux États membres.
Je me réjouis d’autant plus du chemin parcouru depuis le lancement ex
nihilo de ce pro g ra m me que la Fra nc e, sous la houlette de la Délégatio n interministérielle à la ville (DIV) qui en assure la gestion et l’animation pour le compte
des autres États membres, a fortement investi ce projet, tant par l’expertise que par
les moyens financiers qu’elle a mobilisés.
En cinq ans d’activité, URBACT a accumulé un capital cons id é rable d’expériences et de savoir-faire, organisé en rapports de séminaires, dossiers virtuels, études et re c o m manda t io ns, disponibles sur le site Int e r net du pro g ra m me
www.urbact.eu en anglais et, pour les principaux d’entre eux, en français. Ce mode
de diffusion, le seul envisageable à l’échelle européenne, présente cependant des
limites : celles de la notoriété du site et celles, notamment, de la barrière linguistique.
Il restait nécessaire que les professionnels français de la politique de la ville
– mais aussi les chercheurs, étudiants et consultants pour lesquels la ville est au
cœur de leur activité – puissent avoir accès de façon plus large à ce corpus de
connaissances et d’expériences.
C’est maintenant chose faite puisque la DIV a entrepris d’éditer une série d’ouvrages présentant de façon synthétique les productions les plus marquantes
d’URBACT – rapports finaux de réseaux thématiques ou de groupes de travail, études – et de les diffuser largement auprès des professionnels français de la ville,
aussi bien en version papier qu’en version numérique*.
Préface
Ces synthèses ne prétendent pas restituer toute la richesse des travaux
conduits dans le cadre d’URBACT, mais au moins d’en fournir un aperçu. Cet ouvrage
donnera, je le souhaite, l’envie au lecteur d’aller plus loin. Par exemple, en allant
à la découverte de la bibliothèque numérique du site Internet d’URBACT, ou bien
en prenant contact avec les acteurs des expériences qui l’auront particulièrement
intéressé, ou bien encore en engageant sa collectivité dans le processus d’échange
et de capitalisation proposé par URBACT pour la période 2007-2013, avec des
moyens redoublés et des ambitions décuplées.
C’est l’ambition que se fixe cette série d’ouvrages. Si elle permet tout simplement de convaincre le lecteur de confronter sa pratique et ses idées à celles de ses
homologues européens afin de les questionner et les renouveler, cette collection
aura largement atteint son but.
Yves-Laurent Sapoval
Délégué interministériel à la ville
* sur le site Internet de la DIV, www.ville.gouv.fr
Avant-propos
Les activités culturelles,
les industries créatives et les villes
“La culture est le propre de l'homme”, “elle est l'essence de la vie”, “si l'Europe
était à refaire, nous devrions commencer par la culture”… les expressions courantes ne manquent pas et tout le monde semble s'accorder sur un point : la culture
est une question essentielle ! Pourtant, force est de constater qu'elle ne constitue
pas une réelle priorité des politiques publiques, en particulier au niveau européen.
Sans doute ce phénomène est-il dû en partie à la difficulté de trouver une
définition, claire et partagée par tous, de la culture et des activités culturelles. Une
définition commune permettrait pourtant d'évaluer – plus aisément qu'aujourd'hui
– le véritable impact de la culture sur le développement économique et social des
territoires.
Néanmoins, depuis quelques années, les activités culturelles jouent un rôle de
plus en plus important en Europe. C'est plus particulièrement le cas des “industries
créatives” qui se sont révélées être un important vecteur de croissance.
Les notio ns d'activités culturelles et d'industries créatives couvrent un large
éventail de fo nc t io ns liées à la création, la pro duction, la distribution ou la cons o mmation de “pro duits” symboliques comme la musique, le théâtre, la danse, les arts
visuels ou les pro g rammes de ra d io et de télévision, et comprend également certains
aspects du patrimo i ne ; pour la plupart des gens, ces “objets” sont devenus des éléments essentiels de leur style de vie et de leur conscience collective.
Ainsi la culture appartient-elle aux réalités de chacun : elle définit l'identité
du citoyen et lui apporte également des matériaux pour construire sa propre personnalité. Mais si le processus est commun à tous les Européens, c'est dans les
zones urbaines que les mouvements culturels se créent, puis se développent.
En Euro p e, les villes ont toujours été les principaux centres de l'inno v a t ion
et du développeme nt culturel. C’est là que, depuis le Moyen Âge, naissent tous les
nouveaux coura nts de la culture euro p é e n ne ; et que, de tout temps, les habitants
sont les plus enclins à découvrir les nouvelles tenda nces et à y participer. Depuis
des siècles, les villes ont do nc mis en œuvre de véritables politiques culture l l e s,
Avant-propos
en comme n ç a nt par la cons t r uc t ion d'équipeme nts tels que les théâtre s, les
musées ou les bibliothèques publiques. Elles se sont égaleme nt attachées à fa v oriser l'accès à la culture, no t a m me nt par l'éduc a t ion (académies des Beaux Arts,
conservatoires…).
Aujourd'hui, leur champ d'action s'est considérablement élargi. Les villes ne
fournissent plus seulement les infrastructures indispensables, mais tendent à mettre en place des soutiens plus directs (aide à la production culturelle, création
d'événementiels comme les festivals, les défilés de rues…). Ce faisant, elles entrent
parfois en concurrence entre elles.
Les élus locaux ont désormais compris l’impact que les événements culturels
pouvaient avoir sur l'image de leur ville, en particulier pour celles qui souffrent
d’une mauvaise réputation ou qui en sont totalement dépourvues. Grâce à l'émergence d'une nouvelle identité culturelle, ils espèrent accroître l'attractivité de leur
commune aux yeux d'investisseurs potentiels ou de nouveaux arrivants, et entendent également améliorer la confiance des différents acteurs locaux dans l'avenir
de leur ville.
Réduire les activités culturelles à des instruments au service de l'attractivité
serait toutefois une erreur. Elles peuvent également jouer un rôle déterminant en
faveur du développement durable des quartiers, en permettant d'améliorer la
confiance que les habitants ont en eux-mêmes et leur sentiment d'appartenance à
la ville, et doivent aussi aider au développement de la créativité au sein même des
sociétés locales, en particulier parmi les personnes les plus défavorisées. En effet,
les activités culturelles apportent de l'information, des compétences et des capacités inexistantes dans les autres secteurs, et pourtant indispensables à l'épanouissement de chacun.
Vers la ville créative
Face au défi de la mondialisation, l'Europe redéfinit aujourd'hui son rôle dans
l'économie mondiale. Le continent qui a fixé les normes de l'ère industrielle doit
désormais inventer de nouvelles bases pour son développement. Sa compétitivité
internationale et le bien-être de ses citoyens reposent aujourd'hui sur la connaissance,
Avant-propos
l'innovation et les préoccupations sociales et environnementales, qui prennent le
pas sur l'offre de services et de produits à faible coût.
Dans ce contexte, toutes les activités culturelles – et plus précisément les
“industries” créatives – constituent un puissant levier. Elles représentent un pas
important vers une économie de la connaissance. Cela est vrai de façon directe,
avec le développement d'activités liées au savoir, mais aussi plus indirectement
avec l'émergence d'une “ambiance créative”, une impression diffuse génératrice
d’innovation dans d'autres secteurs de l'économie.
La plupart du temps, la base de la connaissance ne résulte pas de simples initiatives individuelles : elle est le produit de la créativité collective d'une société
dans son ensemble. Le défi revêt donc une forte dimension sociale, et l'environnement social en constitue un élément primordial. Si les activités culturelles et les
industries créatives doivent jouer un rôle moteur dans l'innovation, elles ont besoin
d'un certain nombre d'infrastructures, de réseaux et de relations humaines. Elles
s'épanouiront d'autant mieux qu'il existe un véritable “milieu créatif”.
Ces conditions ne peuvent être réunies que dans un environnement urbain ;
les villes d'Europe sont même à la pointe de ce combat. C'est donc là que doivent
se situer les foyers du développement des activités culturelles et des industries
créatives.
La plupart des villes euro p é e n nes ont déjà claireme nt compris l'importance
de ces activités da ns leur “re d é v e l o p p e me nt”. Certaine s, comme Bilbao, Fra nc fort
ou Glasgow, se sont lancées dans l’aventure depuis plus de dix ans, fa i s a nt de la
culture un élément décisif de leurs politiques de régénération urbaine.
Néanmoins, l'approche mise en œuvre tend parfois à être sélective, en agissant
de façon isolée soit sur la dimension sociale, soit sur l'économie, soit encore sur le
caractère physique du territoire. Pourtant, passer de la “ville productive” à la “ville
créative” constitue le véritable défi et nécessite une approche transversale.
Introduction
Le réseau URBACT Culture :
seize villes d'Europe très différentes
Mis en place en octobre 2003 pour une durée de trois
ans, le réseau URBACT Culture se composait d’acteurs
locaux issus de seize villes, représentant douze États
membres : Ams t e rdam (Pays-Bas), Bari (It a l ie ) ,
Birmingham (Royaume-Uni), Brno (République tchèque), Budapest (Hong r ie), Dono s t ia-San Sebastián
( E s p a g ne), Evosmo s - T hessaloniki (Grèce), Gijón
(Espagne), Helsinki (Finlande), Katowice (Pologne),
Manchester (Royaume-Uni), Maribor (Slovénie), Naples
(Italie), Velenje (Slovénie), Vilnius (Lituanie) et le chef
de file, Lille Métropole (France).
projets spécifiques, avaient réuni autour d’eux un très
large éventail de compétences et d’expériences diverses.
De tailles diverses (40 000 à un million d'habitants), ces
villes sont issues de contextes culturels très variés (de
l'Angleterre à la Grèce, de la Lituanie à l'Espagne) ; elles
assument des rôles différents en Europe ou dans leur
pays (ville capitale, ville de pro v i nc e, ville de banl ieue…), n'ont pas le même niveau de développeme nt
économique, possède nt une histoire et un patrimo i ne
qui leur sont pro p re s, et do i v e nt fa i re face à des prob l è mes et des défis économiques ou sociaux bien souv e nt partic u l iers ; bref, elles ont chacune leur ide ntité
et sont, de ce fait, re p r é s e ntatives de la diversité
européenne.
Représentant du chef de file, l'Agence de développement
et d'urbanisme de Lille Métropole a conduit l'ensemble
du processus en lien étroit avec les représentants des
villes partenaires, et assumé l'ensemble des tâches
administratives et financières.
Cependant, elles partagent toutes la même expérience :
celle du rôle que jouent la culture et les industries créatives en faveur de la compétitivité des villes, du bienêtre des habitants et du développement à venir.
Des experts locaux
Chaque ville était représentée par des techniciens et des
experts locaux, soit un permanent associé à d'autres
participants en fonction des thèmes abordés lors des
différents séminaires. Ainsi, plus de 250 personnes ont
directement participé aux activités du réseau. Les
experts locaux, conscients que le débat et l’échange
d’expériences étaient nécessaires pour trouver des outils
communs permettant aux villes soit d’élaborer et mettre
en œuvre des politiques culturelles, soit de créer des
Le groupe a également bénéficié du soutien de quatre
experts thématiques chargés de guider les travaux et en
évaluer les progrès. Il s'agit de Jean Hurstel (France),
Charles Landry (Royaume-Uni), Jordi Pascual (Espagne)
et Paul Rutten (Pays-Bas). Gianmichele Panarelli de
l’Université de Pescara (qui s’est volontairement joint au
réseau) et les experts du programme URBACT ont également participé au travail.
Un large échange d'expériences
Le réseau URBACT Culture a travaillé d'octobre 2003 à
septembre 2006 (puis jusqu'en décembre 2006 pour
régler l'ensemble des questions administratives). Il s'est
réuni en séminaires thématiques organisés autour de
quatre approches principales choisies au début du partenariat et issues de l'expérience commune.
Le réseau s'est donc concentré sur la relation entre la
culture et la régénération urbaine au travers de l’analyse
des différents impacts de la culture sur la cohésion
sociale, le développement économique et la régénération physique. Il a également exploré les pistes d'une
approche intégrée qui combine les trois dimensions.
Bien que déjà divisé en quatre thèmes principaux, le
champ des questions et activités potentiellement couvertes s'est avéré encore trop large pour être examiné
avec suffisamment d’attention dans le temps imparti. Le
réseau s’est donc vu contraint de sélectionner, parmi les
thématiques retenues, ce qui paraissait être le plus
important ou répondre aux enjeux les plus partagés.
Introduction
Les experts thématiques ont animé et guidé le travail
des partenaires, et permis la mise en perspective des
expériences : Paul Rutten s'est plus particulièrement
chargé de la dimension économique, Jean Hurstel de la
dimension sociale, Jordi Pascual de l'approche physique
et Charles Landry de l'approche intégrée.
Chaque séminaire s’est tenu dans une ville différente :
A ms t e rdam, Naples, San Sebastián, Bari, Evosmo s,
Manchester, Helsinki, Birmingham, Gijón, Maribor et
Velenje, la conférence finale ayant eu lieu à Lille
Métropole. La méthode de travail s'étant appuyée sur le
dialogue avec les acteurs de terrain, les participants ont
eu l'occasion de découvrir les projets locaux, de dialoguer avec leurs responsables et de partager les expériences en direct. Ces séminaires de trois jours étaient organisés en différentes séances de travail :
• questions administratives et intro duction des enjeux ;
• présentation des études de cas par les villes hôtes
et/ou d’autres villes partenaires ;
• visites sur site avec présentation par les experts
hôtes et débats sur les projets ;
• débats en ateliers ;
• visites culturelles en soirée ;
• conclusions et discussions sur les leçons à tirer.
Objectifs et résultats
Au début des travaux, les différents partenaires – forts
de leur propre expérience – partageaient le même
constat de l’importance des facteurs culturels dans les
politiques de régénération urbaine, tout en déplorant
que les instances nationales et européennes n’en fassent
pas autant et ne reconnaissent pas suffisamment le rôle
de la culture dans les politiques urbaines.
Ils s’accordaient par ailleurs sur le fait que les politiques
culturelles sont trop souvent comprises comme des instruments d’aide au développement de l'attractivité des
v i l l e s,alors qu'elles ont davant a ge à offrir et jouent déjà
un rôle beaucoup plus large : améliora t ion de la
confiance en soi, émergence d'un sentiment d'appartenance, développement de la créativité et apparition de
nouveaux métiers et, par cons é q u e nt, création d'emplois.
Les objectifs du réseau ont donc été définis de la façon
suivante :
• illustrer l'importance de la culture dans les politiques
et les projets de régénération urbaine par des études
de cas et en partageant connaissances et expériences
des villes partenaires ;
• étudier, décrire et diffuser d'éventuels modèles et
approches transposables ;
• en tirer des conclusions et des recommandations
à diffuser largement.
Après presque trois ans de travail, le constat est clair :
en dépit de nombreuses différences, les villes membres
du réseau partagent un certain nombre de valeurs et
d’enjeux. Ensemble, elles ont également pu établir des
conclusions communes et s’accordent pour confirmer
l'hypothèse de départ : la dimension culturelle est indispensable au succès des initiatives de régénération
urbaine et à la compétitivité des villes.
Différentes publications présentent en détail les résultats du travail accompli :
• un recueil d'études de cas ;
• trois rapports thématiques sur le rôle des activités
culturelles et industries créatives dans chacune
des dimensions économique, sociale et physique
de la régénération urbaine ;
• un rapport final sur l'approche intégrée, combinant
ces trois aspects de la régénération urbaine ;
• un document qui reprend les conclusions et
les recommandations du réseau ;
• un CD-rom contenant l’ensemble des productions
du réseau et le travail de la photographe
Anna Katarina Scheidegger.
Les publications du réseau sont bilingues français/
anglais, et les conclusions et recommandations peuvent
être consultées en dix langues : français, anglais, néerlandais, italien, espagnol, polonais, slovène, lithuanien,
tchèque et grec.
Le présent document constitue une synthèse de l’ensemble des travaux et des conclusions du réseau URBACT
Culture.
Les villes du réseau URBACT I
Culture
et créativité
Thème
1
Le rôle de la culture et de la créativité
dans le (re)développement des villes
1
Présentation
de la thématique
peut avoir un effet régénérateur. Mais cette régénération ne peut atteindre son meilleur niveau de réussite
que lorsque les dimensions physique, économique et
La prise en compte du rôle potentiel de la culture dans
sociale sont intégrées : se concentrer sur un seul aspect
le renouvellement urbain est une tendance actuelle
risque en effet d’engendrer une régénération déséquili-
forte. Elle découle du constat des dérives de nombreu-
brée. Le risque est d’autant plus fort que les liens entre
ses politiques d’aménagement qui, faute d’avoir pris en
culture et économie apparaissent de plus en plus étroits.
compte la dimension culturelle, ont parfois contribué à
la dégra da t ion du tissu urbain ou ont enge ndré des
D a ns la plupart des villes, les divers éléme nts de
p rojets de régénéra t ion do nt la mise en œuvre s’est
l’économie créative représentent en moyenne 5 % de
avérée pro b l é matique. Ce bilan, très mitigé, est à l’ori-
l’économie générale, avec une croissance soutenue de ce
g i ne d’une conception nouvelle du rôle que doit jouer
pôle au cours des quinze dernières années. Le secteur
la culture dans les politiques d’aménagement urbain.
crée des emplois et donne naissance à une nouvelle
Loin d’être accessoires, les questions culturelles doivent
“classe créative”, avec comme conséquence pour la ville
se situer au cœur d’un développement réussi, intégré et
de bénéficier d’une image neuve, positive et rajeunie, et
durable.
d’attirer des investissements, des entreprises et aussi
des touristes !
Dans le cadre du réseau URBACT “Activités culturelles et
industries créatives : moteur du renouvellement urbain”,
Les entreprises intéressées sont à la recherche de sites
plus de soixante études de cas ont été réalisées, qui
pour s’établir. Des bâtiments rénovés (par exemple, une
montrent que la culture, sous des aspects très différents,
ancienne usine reconvertie) ou construits avec un objectif
Culture
et créativité
culturel dans un quartier en régénération, peuvent
mondialisée, et ce alors même que les termes de
constituer une source d’inspiration. Devenus points de
l’échange au niveau international ont été modifiés.
repère ou “icônes” d’un quartier, ces bâtiments peuvent
attirer de nouveaux arrivants dans un quartier “où ils ne
À ce contexte s’ajoutent évidemment les conséquences
s e ra ient pas venus autre me nt ”. D’importants effets
de l’élargissement de l’Union européenne, particulière-
induits, comme l’ouverture de cafés et de restaurants ou
ment en terme de composition démographique.
l’amélioration de la sécurité de la zone, peuvent également en découler.
Parallèlement, la destinée des villes européennes a également été façonnée par la technologie : il aura fallu moins
Cette approche positive des activités culturelles peut
d’une décennie pour que l’usage du téléphone cellulaire –
largement contribuer au renouvellement économique, à
inventé en 1983 – devienne courant ; cela est aussi vrai
condition que les habitants et les services municipaux
pour le “World Wide Web”, inventé en 1989 et aujourd’hui
soient correctement impliqués dans le processus.
prépondérant dans le traitement des affaires et de la communication. L’idée de la virtualité est, au cours de la
même période, passée d’une “lueur dans l’imagination
2
Mutations urbaines
et villes européennes
d’une avant-garde” au stade de la banalité, modifiant par
là même notre conc e p t ion de l’espace et du temps.
■ Un remodelage en profondeur qui se poursuit.
Plus récemment, les événements du 11 septembre 2001
Aujourd’hui, l’interdépendance de la question culturelle
ont été à l’origine de débats houleux sur l’éventualité
et de celle du développement urbain est devenue parti-
d’un “choc des civilisations”, faisant naître un courant
culièrement urgente, du fait – entre autres – du change-
de profonde méfiance qui sera difficile à éliminer.
ment fondamental subi par l’Europe. Il y a trente ans, les
mines de charbon, les usines sidérurgiques et les grands
■ Un processus d’adaptation culturelle. Ces évolu-
chantiers de construction navale dominaient des pans
tions majeures jouent un rôle, encore indéfinissable,
entiers de l’activité du continent. Dix ans plus tard,
dans la manière dont les villes européennes se conçoi-
l ’ E u rope politique était profo nd é me nt bouleversée,
vent. Au cours des trente dernières années, les villes ont
d ’ a b o rd par l’apparition de la Glasnost et de la
commencé à surmonter ces bouleversements par un pro-
Perestroïka, ensuite par l’effondrement du bloc soviéti-
cessus d’adaptation culturelle. Pour comprendre cette
que. Qui se doutait alors que la politique de “porte
dynamique du changement urbain en Europe, quatre
ouverte” de la Chine, annoncée par Deng Xiaoping en
points doivent être abordés : la question des “lignes de
1986, allait condu i re ce pays-cont i ne nt à de v e n i r
faille”, celles des “champs de bataille”, les paradoxes du
l ’ a t e l ier du mo nde et à poser un défi économique sans
développement et les moteurs du changement.
précédent ?
En premier lieu les “lignes de faille”, mécanismes de
Ces événements ont contribué à remodeler en profon-
changement si profondément enracinés et sujets à dis-
deur l’Europe des villes, et le mouvement n’est pas ter-
cussion qu’ils façonnent notre vision du monde et notre
miné. Les succès chinois et ind ien influencent
identité. Ces lignes structurent à ce point notre pensée
aujourd’hui, en grande partie, le destin de nombreuses
que les grandes batailles culturelles de ce monde visent
métropoles européennes, moyennes ou gra nde s. Ces vil-
à résoudre ou à se positionner par rapport à ces lignes.
les doivent se définir des rôles nouveaux dans l’économie
Recensons les quatre plus importantes :
Culture
et créativité
• lutte entre vision laïque et vision religieuse du monde
c o ns id é ra t ion les change me nts démo g raphiques de
• lutte entre éthique respectueuse de l’environnement
l’Europe urbaine – notamment sa population vieillis-
et rationalité économique dans la gestion des nations
sante – et la ségrégation spatiale croissante entre les
et des villes
jeunes et les personnes âgées.
• conciliation de l’individualisme et du bien collectif
• questionnement de notre identité : est-elle
D’ores et déjà, on note que de très nettes transforma-
individuelle ou multiple ?
tions économiques se produisent : le déclin des petits
commerces indépendants et la montée des grandes chaî-
Viennent ensuite les “champs de bataille”, qui se
nes mondiales de distribution, la montée du commerce
créent généralement à propos de choix entre plusieurs
en périphérie ou aux abords des agglomérations, le
politiques et sont, en cela, davantage marqués par des
transfert des sites industriels et leur éloignement du
considérations pragmatiques. Mais ils mettent égale-
tissu urbain, la transformation des centres-villes en
ment l’accent sur la question de savoir “quel genre de
lieux de spectacle, la métamorphose des ports en mari-
ville nous voulons” : ils peuvent donc être tout aussi
nas résidentielles, la réappropriation des rives par les
bien considérés comme des batailles culturelles. L’une
habitants, l’augmentation du parc automobile… la liste
des questions clés concerne le choix entre multicultura-
est loin d’être exhaustive.
lité (une reconnaissance de la différence que certains
craignent de voir déboucher sur la création de ghettos)
■ La culture comme moyen de renforcer son attracti-
et interculturalité (échange entre différentes commu-
vité. Aujourd’hui, presque toutes les villes de l’Union
nautés au sein de l’espace partagé qu’est la ville). Parmi
européenne s’appuient sur des activités de service, du
ces luttes, celles pour une meilleure cohésion sociale et
développement des services à la personne aux services
une plus grande prise en compte de la protection de
commerciaux. Mais une tendance à la délocalisation est
l’environnement arrivent en bonne place.
déjà perceptible dans ces secteurs et nombreux sont
ceux qui migrent vers l’est. La Chine offre ainsi des ser-
Dans le cadre du développement urbain se retrouvent
vices de dessin d’architecture à un coût égal à 10 % des
également certains paradoxes, par exemple celui qui
tarifs européens ; l’Inde est tout aussi compétitive en ce
existe entre risque et créativité. Le développement
qui concerne le développement de logiciels ou la pres-
d’une culture de la créativité comme moteur du dévelop-
tation de services de comptabilité.
pement urbain se heurte, en effet, à la culture de la
réduction du risque. Un autre paradoxe actuel est celui
Dans ces conditions, comme améliorer la valeur ajoutée
qui oppose accessibilité et isolement. Peut-il y avoir
de l’économie européenne ? Trois voies sont possibles :
“excès d’accessibilité” ? Être soumis à une avalanche
• inventer de nouveaux objets, qui seront ensuite
d’informations incontrôlées impossibles à filtrer est un
produits ailleurs ;
problème connu, qui peut s’avérer contre-productif.
• fournir des services stratégiques qui ne peuvent être
reproduits à l’identique ;
Cette adaptation culturelle des villes doit tenir compte
• se concentrer sur des activités nouvelles, telles que
des puissants moteurs de changement qui sont à l’œu-
les industries créatives produisant des biens à valeur
vre : la diversité grandissante entre les communautés,
symbolique.
conséquence de la mobilité de masse et de l’ouverture
des frontières entre les pays de l’espace européen, est
Face à ces choix, les villes partent avec des acquis iné-
une donnée incontournable. Mais il faut aussi prendre en
gaux : leurs rôles sont différents, chacune possède son
Culture
et créativité
originalité propre et elles occupent diverses niches. Les
Cette compétitivité se décline également en termes
villes capitales, qui cumulent le pouvoir politique, éco-
sociaux, par la qualité des relations entre les groupes
nomique et culturel, sont en principe les plus fortes. Les
sociaux, y compris intercommunautaires, et celle du tra-
agences de développement économique et les centres
vail du secteur associatif. Dans ce contexte, un indica-
d’investissements y sont fréquemment concentrés et ces
teur de première importance existe : le “solde des
capitales s’attribuent des ressources conséquentes, sou-
talents” se définit comme le différentiel entre les per-
vent au détriment d’autres centres régionaux d’impor-
sonnes talentueuses arrivant dans la ville et celles qui la
tance. Cela explique sans doute la réactivité des villes
quittent.
de deuxième rang qui doivent lutter pour se faire une
place sur l’échiquier mondial, alors même que les res-
■ La ville créative. De fait, de plus en plus, les mem-
sources sont contrôlées par les capitales. Ces villes, Lille
bres du réseau URBACT voient dans les ressources cultu-
Métropole, Manchester, Birmingham ou encore Naples,
relles la matière première de leurs villes, voire le fonde-
ont largement mis en avant la culture comme instrument
ment de ses valeurs. En ce sens, les atouts de la culture
de leur régénération.
remplacent les ressources naturelles telles que le charbon, l’acier ou l’or. Pour les exploiter et assurer leur
Dans ce contexte de concurrence, la culture est souvent
développement, il faut avant tout faire appel à la créa-
utilisée à la fois comme un moyen et un outil pour ren-
tivité, à l’imagination. Il appartient donc à l’urbanisme
forcer l’attractivité d’une ville. Même si chacune apporte
d’identifier, de gérer et d’exploiter ces ressources. La
une réponse légèrement différente, les villes membres
culture ne doit plus être un ajout marginal, le dernier
du réseau URBACT ont réalisé que la régénération était
pris en considération, mais bien avoir une réelle
un processus intégré complet : des bâtiments rénovés
influence sur les techniques de l’urbanisme et du déve-
dans un environnement ravagé par le chômage ne cor-
loppement urbain. En un mot, elle doit devenir partie
respondent pas à cette conception de la régénération ;
intégrante du développement urbain.
ces bâtiments doivent être animés d’une nouvelle vie.
C’est pourquoi l’attractivité des villes représente un
L’idée de ressources culturelles a évolué depuis la fin des
enjeu extrêmement important, la nécessité d’une telle
années 70. D’abord perçues comme faisant partie d’une
compétitivité ne cessant de croître avec la montée de la
culture d’opposition s’exprimant à travers les films, la
mobilité internationale des investissements et des per-
musique et les arts graphiques, les industries culturelles
sonnes qualifiées.
sont ensuite véritablement entrées dans l’économie.
Cette évolution a accompagné les efforts de plusieurs
Or le pouvoir d’attractivité économique et la compétitivité
villes euro p é e n nes qui se débattaie nt avec des pro b l è-
sont liés à la rentabilité, au niveau de l’investissement, à
mes de re s t r uc t u ra t ion industrielle. Tout au long de s
l’innovation technologique et à l’accès aux capitaux à ris-
années 80 et da ns les années 90, les villes industrielles
que pour les sociétés opérant dans la ville. De nombreux
des Mid l a nds et du No rd de la Gra nde - B retagne ont ainsi
facteurs entrent en jeu : la qualité et les qualifications de
développé les indu s t r ies culture l l e s, rebaptisées par la
la main-d’œuvre, le degré de mise en réseau de la ville et
suite indu s t r ies et économies créatives, et en ont fait
le niveau de développement de ses infrastructures techno-
un éléme nt cent ral de leur objectif de régénéra t io n
logiques, mais aussi le rang et le statut des sociétés loca-
économique.
les et de leurs produits ou services. Amsterdam cherche
ainsi à se forger l’image d’un pôle d’excellence mondial
Ce n’est que tardivement que le constat du rôle de la
dans le secteur des industries créatives.
culture dans la régénération urbaine a été dressé dans
Culture
et créativité
l’Union européenne. La première étude approfondie date
révolution punk et post-punk, elle a commencé à
de 2001 (Rapport sur l’exploitation et le développement
encourager ces formes directes et crues de la culture de
du potentiel d’emploi du secteur culturel à l’ère de la
la jeunesse des rues et à mettre en place autour d’elle
numérisation). Ce rôle est aujourd’hui bien ancré. Il se
des stratégies de développement économique. Une
combine avec le concept de “ville créative”, un titre que
évolution qui se fait encore sentir aujourd’hui : c’est
s’attribuent quarante villes en Europe. Au sein du réseau
ainsi que la régénération récente de Manchester – lan-
URBACT, Birmingham, Manchester et Amsterdam utili-
cée grâce à l’immense succès qu’ont rencontré les jeux
s e nt ce titre, qua nd d’autres villes comme Lille
du Commonwealth en 2002 – a pour base un projet de
Métropole étudient les implications de l’ ”agglomération
développement des hauts lieux culturels initié depuis
créative”.
le milieu des années 80 pour attirer des investissements et des avantages économiques vers la ville. En
L’idée de ville créative implique en effet d’identifier les
2000, la municipalité a créé le service de développe-
nouveaux facteurs de compétitivité. Parmi ceux-ci, on
ment des industries créatives (CIDS), sous la forme
peut citer les viviers de compétences, la prise de
d’une association à but non lucratif qui assiste le déve-
conscience de la dimension écologique, la recherche du
loppement d’un tissu d’entreprises liées aux industries
design, le concept d’environnement créatif, la notion
créatives. Le CIDS vise aujourd’hui à favoriser un envi-
d’infrastructure douce ou encore la façon dont équipe-
ronnement dans lequel les entreprises créatives peu-
ments et bâtiments culturels et emblématiques pour-
vent se développer et créer toute une série de services
raient être utilisés. L’ouvrage de Richard Florida publié
interconnectés.
en 2002, The Rise of the Creative Class, établit le lien
entre la classe créative, l’économie créative et les conditions qui attirent cette classe dans les villes, et tire la
conclusion que, dans une large mesure, le développe-
3
Les dilemmes des politiques
culturelles
ment économique se trouve stimulé par des facteurs tels
que la tolérance et la diversité, la qualité de l’infrastruc-
Il n’existe pas de modèle standard en matière de culture.
ture urbaine ou la richesse de l’offre de loisirs.
Toute une gamme d’interventions est envisageable en
fo nc t ion de l’échelle et du potent iel des villes.
Toutefois, un certain nombre de principes, de méthodes
Le CIDS de Manchester
et de problèmes sont communs à toutes les villes quand
il s’agit de définir une politique culturelle. L’analyse des
Manchester a réussi à se forger la réputation de centre
études de cas réalisées pour le réseau URBACT a mis en
européen de l’industrie de la musique, image associée
lumière les dilemmes auxquels peuvent être confrontées
à des noms tels que Factory Records, à des night-clubs
les politiques culturelles. Face à ces interrogations, l’ap-
comme l’Hacienda ou le Band on the Wall, et à des
proche la plus favorisée encourage les villes à rechercher
groupes comme Joy Division/New Order, Oasis ou The
des critères d’équilibre et de traitement simultané de
Smiths. Déjà, dans les années 60 et 70, des groupes
certaines questions relevant de la culture et de la régé-
précurseurs tels que Herman Hermits, The Hollies ou
nération urbaine.
Freddie and The Dreamers avaient émergé de la ville. Ce
climat a permis d’assurer la transition entre les activi-
■ La première question qui vient généralement à l’es-
tés artistiques et la régénération. Une fois que la
prit des concepteurs et décideurs porte sur le cadre
municipalité a eu surmonté ses interrogations face à la
général et la localisation des activités culturelles.
Culture
et créativité
Sur le premier aspect, les villes tendent à s’interroger
■ En deuxième lieu, les concepteurs et décideurs
sur l’importance – centrale ou plus marginale – à réser-
vont se pencher sur les dilemmes d’urbanisme propre-
ver à la culture dans leur développement et dans la vie
ment dits. Il s’agira de déterminer si la ville veut effa-
locale. Helsinki, lorsqu’elle a été nommée Capitale euro-
cer la mémoire ou l’intégrer dans le processus de régéné-
péenne de la culture, a opté pour la notion de culture
ra t ion. Il faudra donc choisir entre différe ntes orient a-
au sens large et a encouragé les citoyens à y participer
tio ns : démolir et construire du neuf, préserver ou reme t-
activement. Les villes cherchent ensuite à déterminer
tre en état et réutiliser. Tout aussi importante est la
des choix de localisation, à commencer par l’élément le
question de la position des pouvoirs publics locaux à
plus crucial : doivent-elles se concentrer sur le centre-
l’égard du marché : la ville devra déterminer si elle sou-
ville ou bien sur des zones plus périphériques ? Elles se
haite laisser faire le jeu du marché ou au contraire le cor-
pencheront également sur la question de l’opportunité
r iger – en laissant les pouvoirs publics intervenir pour
de créer des systèmes productifs locaux (“clusters”) spé-
fournir des locaux et équipements qui réduiro nt les fra i s
cialisés (dans le domaine de la musique, par exemple) et
de fonctionne me nt. C’est ce dernier choix qu’a fait le pro-
de se concentrer sur des bâtiments précis ou sur l’amé-
gramme Broedplaats à Amsterdam, qui offre des locaux à
nagement de secteurs plus larges.
loyer préférentiel pour les projets artistiques.
Certains choix peuvent d’ailleurs évoluer, comme le mo ntre l’exemple de Birmingham : après avoir axé pendant
■ Enfin, les interrogations sur le développement social
des années son développement culturel sur le centre-
et économique constituent le troisième facteur façon-
ville et sa zone de petite ceinture, un gra nd changement
nant la conception des relations entre la culture et la
de politique l’a amenée à porter une plus grande atten-
ville. Les décideurs vont devoir déterminer s’ils souhaitent
t ion aux qua r t iers ex t é r ie u r s. C’est ce qu’illustre le
considérer leur ville comme une seule communauté ou
p rojet ArtSite, qui s’attache à monter des spectacles,
comme un ensemble de communautés, une interrogation
organiser des ateliers et donner des cours dans les
lourde d’implications pour la lutte contre l’exclusion. Un
locaux appartenant aux diverses communautés.
dilemme émergent consiste à décider si la ville doit opter
pour une approche multiculturelle ou interculturelle : dans
Le ArtSite de Birmingham
le premier cas, les communautés distinctes tendent à re ster séparées avec un risque de ghettoïsation, dans le
ArtSite est un réseau de cinq lieux qui proposent tout
second, l’accent est plutôt mis sur le mélange.
au long de l’année, aux communautés locales de quartiers caractérisés par un fort niveau d’exc l u s io n
S’agissant du développement économique, l’attention
sociale, des activités artistiques de haute qualité à des
s’est longtemps portée sur une question centrale : attri-
prix abordables. Les différents espaces travaillent en
buer une valeur économique à des activités culturelles
partenariat avec des artistes et des entreprises créati-
constitue-t-il une entrave, ou bien promeut-il la créati-
ves de la région pour mettre en place des activités
vité et l’innovation ? À cet égard, les villes peuvent être
adaptées aux différents publics. ArtSite propose égale-
amenées à rencontrer plusieurs types de dilemmes.
ment des clubs extrascolaires, des cours pour adultes
Parmi ces derniers, doivent-elles insister sur les systè-
et des projets artistiques pour des personnes de tous
mes et les méth odes d’incitation indirecte ou, au
âges et tous niveaux d’expérience. ArtSite Birmingham
contraire, de subvention directe ? Doivent-elles soutenir
a été lancé en 1998 par la ville de Birmingham et le
la demande ou bien la production de contenus ? Faut-il
MAC (Midlands Arts Centre). En 2001, il est devenu un
privilégier des investissements dans des start-ups ou
organisme indépendant sans but lucratif.
dans des projets plus solidement établis ?
Culture
et créativité
Ces dernières années, l’intérêt porté à la culture du
années à un certain nombre de problèmes. Principale
point de vue économique a permis de faire progresser le
difficulté : la définition globalisante de la culture, très
débat, avec l’arrivée de nouveaux partenaires disposés à
délicate à gérer en termes politiques puisqu’elle semble
investir dans des initiatives culturelles. Loin d’être nui-
renvoyer à tout et rien à la fois ; d’où une tendance pour
sible, l’introduc t ion de consid é ra t ions comme rc ia l e s
les villes à oublier facilement son existence, ou tout au
dans le développement culturel peut créer une dynami-
moins à la percevoir comme une notion très floue. Face
que très positive, en améliorant la prise de conscience
à cette évolution, la communauté culturelle a entamé
de notions telles que l’efficacité, la rentabilité ou encore
un cheminement pour mettre en lumière son impor-
le rapport qualité-prix ; avec pour conséquence, pour de
tance. Trois grands axes ont été privilégiés.
nombreux organismes culturels, de diversifier les sources de financement. Il sera toutefois important de veil-
■ La transformation des bâtiments. Le premier axe,
ler à éviter que la culture locale ne devienne un bien
considéré aujourd’hui comme particulièrement détermi-
commercial figé à la merci d’une stricte logique de
nant, est lié au patrimoine architectural ou à la réutili-
déterminisme économique.
sation de bâtiments industriels désaffectés. Dans des
villes comme Vilnius ou Budapest, les objectifs des
Pour la collectivité locale qui gère des projets culturels,
urbanistes et promoteurs visant à rénover des bâtiments
les enjeux sont considérables : elle devra déterminer si
dégradés se sont trouvés correspondre aux besoins
elle agit de manière centralisée ou décentralisée, dire c-
exprimés par des artistes ou des structures culturelles en
tement par prestation de services ou en accordant son
quête d’espaces. La surface même de ces bâtiments
s o u t ien à d’autres, et si elle re c o n naît l’artiste comme
encourageait une utilisation culturelle ; c’était égale-
gestionnaire. Quant aux questions de mise en œuvre,
ment une façon bon marché de redonner une utilité à
elles portero nt aussi bien sur le degré de participation de
des édifices de grande taille, en particulier d’anciens
groupes culturels et d’individus, sur la prise en charge
bâtiments industriels faciles à subdiviser et à valoriser
par des organismes publics ou privés, et sur la dimension
en tant que pépinières de start-ups. D’Helsinki à
locale, régionale, nationale ou internatio nale envisagée.
Birmingham, d’Amsterdam à Naples et Roubaix, cette
orientation a préfiguré l’approche matérielle de la cul-
Ces dilemmes sont le résultat de l’analyse des études de
ture et de la régénération urbaine, puisque les groupes
cas effectuées dans le cadre du réseau URBACT Culture. Ils
culturels y trouvaient leur compte. Dans son prolonge-
n’appellent donc pas de “bonne réponse”, les concepteurs
ment est née l’idée du quartier culturel ou créatif, et
et les décideurs devant veiller à respecter un équilibre
plus largement du milieu créatif.
afin de pouvoir traiter ces questions simultanéme nt.
Le quartier se définit comme un ensemble de bâtiments,
avec en son centre un ou deux bâtiments phares. Citons
4
Les réponses de la communauté
culturelle
comme illustrations la Custard Factory à Digbeth/
Eastside, la Condition publique à Roubaix, le complexe
Pekarna à Maribor, le projet Laboral à Gijón… dans tous
Les projets culturels ont un impact sur les citoyens, les
les cas, ces initiatives sont associées à des petites
institutions et la ville. Cette idée est défendue de lon-
entreprises culturelles, des programmes de développe-
gue date par ceux qui travaillent dans le domaine de la
ment économique ciblés et même des agences de recher-
culture au sein des villes du programme URBACT, ses
che de fonds culturels spécialisés. De quoi donner corps
partisans ayant été confrontés ces trente dernières
à une no t ion de synerg ie qui permet d’ex p l o rer de
Culture
et créativité
nouvelles pistes et développer de nouveaux produits et
■ Connexion entre les arts et les besoins de l’écono-
services dans le domaine de l’économie culturelle.
mie nouvelle. Plus récemment, la sphère culturelle a
connu une réévaluation considérable : ses liens avec la
■ La créativité artistique. Un deuxième axe pour saisir
nouvelle économie l’ont placée au centre du renouveau
cette notion – à la fois vague et large – de culture a été
urbain, enge ndra nt, à un certain degré, l’abandon de la
de se focaliser sur les activités artistiques : chant, théâ-
c o nc e p t ion tra d i t io n nelle des activités artistiques/
tre, écriture, danse, musique, sculpture, peint u re, design
culturelles comme des activités sans but lucratif, et une
ou dessin. Les supports et équipements permettant la
plus grande association du secteur commercial et non
création artistique ont également été pris en compte,
commercial.
a i nsi que les infra s t r uctures matérielles qui y sont liées,
en partic u l ier les théâtres et musées. Mais il a aussi fallu
Parallèlement, les transformations et l’innovation impo-
analyser la spécificité des activités artistiques, un véri-
sées par le nouvel ordre économique européen pour
table dilemme quand la conception d’efficacité et de
réinventer les anciennes activités industrielles et créer
ra t ionalité qui domine le monde mo de r ne apparaît pra t i-
de nouveaux secteurs économiques ont entraîné une
quement diamétralement opposée aux valeurs pro mues
profonde évolution : les services professionnels créatifs,
par la créativité artistique. De fait, la participation aux
comme le design et la publicité, ont bénéficié d’une
activités artistiques fait appel à l’imaginaire dans une
reconnaissance de leur rôle capital dans la création des
me s u re inégalée par rapport aux autres disciplines.
concepts et des idées novatrices d’un certain nombre
d’autres branches de l’activité industrielle, allant de
L’interaction des arts et du développement urbain peut
l’agro-alimentaire et du vêtement à l’industrie automo-
aussi être source d’avantages inattendus. Ainsi, par leur
bile et aux télécommunications. Les spécialistes de la
attention portée à l’esthétique, les arts imposent le pari
stratégie économique des villes ont commencé à réflé-
d’établir des canons de beauté s’appliquant notamment
chir aux bienfaits de cette interaction capable de placer
aux lieux de vie. Les programmes artistiques peuvent
des produits et des services culturels dans un rôle de
lancer un défi aux décideurs en initiant des projets
moteur de l’innovation. Le secteur des jeux sur ordina-
controversés qui obligent les responsables à débattre et
teur fournit un bon exemple, trouvant des applications
à affirmer des positions pouvant avoir des retentisse-
dans des domaines tels que la sûreté dans les industries
ments sur la vie sociale. Ces projets incitent donc la
minières ou les services de la santé.
société à l’introspection et peuvent aller jusqu’à donner
la parole à des personnes ou des communautés jusque-
Ces expériences peuvent offrir une dimension supplé-
là peu consultées. Il convient donc d’explorer les possi-
mentaire, la conception et l’esthétique assumant un rôle
bilités qu’offre l’activité culturelle en termes de :
nouveau et le critère “style” gagnant de plus en plus
d’importance : définie et portée par des critères de
• dialogue entre les cultures
nature culturelle, l’économie devient ainsi – de manière
• traitement des conflits entre communautés
grandissante – une économie culturelle.
ethniques
• recherche de talents
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant d’observer une
• amélioration de la confiance, de la naissance
concurrence de plus en plus forte entre les villes, cha-
de motivation
cune cherchant à être considérée comme le lieu le plus
• changement de mentalité et d’engagement
attractif où les personnes de talents et les sociétés doi-
dans la société.
vent s’installer, où les touristes doivent s’arrêter. C’est
Culture
et créativité
pourquoi les particularismes et les spécificités locales
villes industrielles comme Bilbao, Barcelone, Glasgow,
sont envisagés comme de la valeur ajoutée : une fois
Gênes, Tampere et Rotterdam.
qu’une ville a mis en place une infrastructure et des services de base, ce sont les différences qui comptent ;
Avant tout, la régénération urbaine présente un carac-
c’est-à-dire la culture, et en particulier la culture locale
tère spécifique en fonction des lieux où elle est mise en
qui, même si elle se montre sensible aux tendances de
œuvre, du contexte, des conditions et de l’évaluation
la culture mondialisée, se voudra unique et originale.
des atouts et des ressources existantes. Elle est fréquemment portée par un large éventail de “catalyseurs
Le défi consiste alors à définir une culture locale qui aura
culturels” qui peuvent être de nature physique, écono-
dépassé les clivages économiques et sociaux de la com-
mique ou sociale, mais dont l’impact a généralement
munauté. C’est pourquoi les projets impliquant des pro-
une portée plus vaste. Ainsi, toute modification physi-
grammes d’ouverture aux différentes couches sociales
que a inévitablement des effets sociaux, ne serait-ce
sont particulièreme nt positifs. Toutes les villes membres
que par la modification du contexte dans lequel les per-
d ’ U R BACT sont concernées par l’insertion culturelle, ce qui
sonnes vivent. C’est pourquoi au cours de la dernière
implique que la population locale participe activement au
d é c e n n ie, une attention partic u l i è re a été portée à l’in-
processus de décision en matière de culture ; une stra t é-
t é g ra t ion, da ns l’idée de me t t re en œuvre un esprit de
gie qui renvoie à la question de programme multiculturel
c o nc e r t a t ion et de commu n ic a t ion mu t u e l l e, comme
et interculturel : la lutte contre l’exclusion passe ici par
l’illustre le programme Urban au niveau européen.
un travail d’interprétation dynamique de la culture, des
valeurs et de l’histoire de la part des institutions. Ces de r-
Les villes du réseau URBACT ont identifié plusieurs
n i è res devront être particulièrement conscientes des ten-
types de déclencheurs-régénérateurs.
s io ns qui opposent les points de vue dans leur ville.
Commencée il y a trente ans, la crise des villes d’Europe
occidentale a tout d’abord donné à la culture l’occasion
5
Typologie des processus de
régénération portés par la culture
d’affirmer la place centrale qu’elle peut occuper dans le
processus de transformation urbaine, en tant que moteur
de l’économie, comme moyen de valoriser l’identité de la
Différents types de “déclencheurs” de régénération
ville ou comme principe directeur de renouvellement
urbaine – on les appelle “régénérateurs” – ont été iden-
physique.
tifiés. Toutefois, il est important de souligner que, dans
la réalité, une véritable régénération s’opère lorsque
■ Le bâtiment, l’ensemble de bâtiments et les quar-
divers déclencheurs sont mis en œuvre simultanément.
tiers culturels comme régénérateurs. Le patrimoine
Un exemple : la souplesse des règlements d’urbanisme
bâti des villes témoigne des besoins de l’ère industrielle.
permet la création d’incitations à l’investissement qui
Mais aujourd’hui, les usines, entrepôts ou infrastructu-
vont encourager la réhabilitation d’un bâtiment destiné
res portuaires ont perdu cet usage. Parallèlement, le
à un usage culturel.
développement des villes et la modification de la structure des ménages (en particulier le nombre croissant de
Si nombre de villes membres du réseau URBACT ont
célibataires ou de ménages de petite taille) ont amené
introduit la culture dans leur programme de régénéra-
les villes à repenser leurs infrastructures, leurs trans-
tion, d’autres sont également devenues des références
ports et leur habitat. Finie la période pendant laquelle
dans ce domaine. Il s’agit principalement d’anciennes
le tissu urbain se pliait aux besoins de la circulation
Culture
et créativité
automobile ; on observe actuellement une redécouverte
Mais cette évolution porte en germe certains dilemmes.
et une reconquête des centres urbains.
En premier lieu, des projets culturels à grande échelle
conçus pour un public régional ou national peuvent
Dans ce contexte de modernisation, les zones industriel-
générer des sentiments partagés dans la population
les en périphérie des centres-villes se sont trouvées au
locale : leur coût de fonctionnement important risque de
cœur de nouvelles initiatives : la transformation d’an-
détourner les ressources d’autres projets et faire dimi-
ciens bâtiments industriels en équipements artistiques
nuer les fonds alloués aux activités culturelles ; ensuite,
ou culturels (musées, galeries d’art, bibliothèques, cen-
l’impact du contraste entre la zone choisie et les quar-
tres de création artistique ou pépinières d’entreprises
t iers enviro n nants peut être perçu négativeme nt par le
créatives) est ainsi devenue le catalyseur le plus visible
public. D’autres effets induits sont tout aussi pervers,
de la régénération.
en particulier la focalisation de la tra nsfo r ma t ion de s
centres-villes sur le commerce et la consommation, prin-
Les raisons en sont bien identifiées. Travailler avec l’an-
cipaux moteurs du développement urbain ; la mauvaise
cien offre en effet des possibilités inédites : l’imbrica-
adaptation du tissu économique à cet essor engendre
tion du passé et du présent, notamment le tissu nou-
soit la démolition des bâtiments anciens dans les cen-
veau à usage économique, permet à l’histoire et à la cul-
tres, soit la construction en périphérie de galeries mar-
ture d’opérer simultanément à plusieurs niveaux, en par-
chandes dans des zones commerciales, souvent sur d’an-
ticulier lorsqu’on met en place une approche participa-
ciens terrains industriels.
tive du développement. D’ailleurs, lorsque de vastes
zones industrielles sont démolies – en conservant éven-
Les conséquences sociales ne se fo nt pas attendre :
tuellement un emblème du passé –, les villes utilisent de
les cent res-villes attire nt toujours plus de mo nde,
plus en plus les équipements culturels comme déclen-
e nt ra î na nt un boom des prix immo b i l iers qui conduit
cheurs du processus de développement en faisant appel
à chasser les habitants vers des qua r t iers périphéri-
à des architectes de renommée internationale. Parmi les
ques sans âme, pauvres en équipements et en pouvoir
exemples les plus célèbres figure la construction, par
d’attra c t io n .
F rank Gehry, du Gugge n heim da ns le qua r t ie r
d’Abandoibarra à Bilbao.
Simultanément, un autre processus est à l’œuvre. La faiblesse des prix qui rend un quartier attractif aux yeux
Une fois réhabilités, ces bâtiments deviennent des pôles
des jeunes et des créatifs est en soi un facteur de mode,
d’attraction pour les touristes, mais aussi pour les artis-
qui va à son tour contribuer à entraîner un boom immo-
tes et les sociétés. Lieux de travail et de production, ils
bilier. Les structures industrielles converties en ateliers
ont un impact symbolique et économique sur tout un
pour artistes ou en pépinières pour jeunes sociétés de
quartier. Très vite, d’autres quartiers en transition, au
design sont tout particulièrement à la merci de cette
tissu constitué d’entrepôts industriels légers ou de peti-
évolution. Par exemple, l’ouverture d’une galerie débou-
tes usines pour lesquels il n’existe pas de projet à long
che sur le développement d’un lieu culturel exposant des
terme, sont investis par des artistes et des acteurs de la
œuvres originales, entraînant à son tour l’implantation
nouvelle économie. Au cours de la dernière décennie, le
de bars et de restaurants. C’est le début de la gentrifi-
boom de l’informatique a fait naître dans le monde
cation, une épée à double tranchant : elle suscite une
entier l’idée de développer des quartiers culturels fondés
montée des prix immobiliers qui attire les investisseurs,
sur la production ou des quartiers consacrés aux indus-
mais chasse ceux-là même qui sont à l’origine du dyna-
tries créatives.
misme et de la créativité initiale.
Culture
et créativité
Tout le dilemme du processus de régénéra t ion cons i s t e
La collectivité locale a décidé ici de jouer un rôle de
à conserver un certain équilibre ent re inventivité et tra-
“facilitateur”, de telle sorte que les acteurs privés
d i t ion. Si quelques lieux ont tenté de cont re c a r rer cette
puissent lancer des projets dans toute la ville plutôt
logique
que dans un quartier culturel réservé.
de
ma n i è re cohére nte,
seule
la
ville
d’A ms t e rdam s’en est appro c h é e, sur le modèle du
Temple Bar à Dublin. Ce qua r t ier – un réseau de rues
■ L’activité des artistes, les industries créatives et
étro i t e me nt ent relacées au cœur de la ville – s’était
les événements (manifestations et festivals) comme
t rouvé me nacé de démo l i t ion, précipitant du même
régénérateurs. Les initiatives de la communauté artis-
coup son déclin. Des années plus tard, une fois le pro-
tique elle-même peuvent jouer un rôle primordial dans
jet abandonné, l’idée fit jour d’en fa i re un centre de
la régénération urbaine. C’est ainsi que les projets de
c r é a t ion artistique. Les me s u res d’aména ge ment ont été
construction lancés par les groupes communautaires,
placées sous le contrôle d’un org a n i s me para p u b l ic, qui
bien que moins spectaculaires, peuvent avoir autant
agit tantôt comme pro p r i é t a i re, tantôt en cont r ô l a nt
d’impact que les grandes réalisations. Des groupes d’ar-
les baux pour enrayer la spéculation. Cela a permis de
tistes peuvent joindre leurs forces pour faire fonctionner
g a ra ntir une sécurité à long terme et des prix aborda-
un bâtiment inutilisé, déclenchant la régénération d’un
bles pour les struc t u res artistiques venues s’installer
secteur donné par leur action, mais aussi par les servi-
da ns le qua r t ie r.
ces (bars et restaurants par exemple) qu’ils utilisent. Un
quartier tout entier peut ainsi faire naître une atmos-
Le projet BroedPlaats d’Amsterdam
phère qui séduira petits commerces et entreprises nouvelles en quête de locaux bon marché. Si les collectivi-
Parmi les membres du réseau URBACT, le meilleur
tés ne peuvent, à elles seules, créer ce genre de renou-
exemple de développement que l’on puisse donner est
veau, elles peuvent en revanche le favoriser par la mise
celui d’Amsterdam et de son projet BroedPlaats qui, lit-
en place d’une réglementation afin d’éviter que la réha-
téralement, signifie “couveuse”. Ce terme désigne des
bilitation ne propulse les prix immobiliers à des niveaux
bâtiments dans lesquels des personnes créatives pos-
inabordables pour les occupants. La démarche la plus
sèdent leur studio ou même leur résidence, partagent
souhaitable serait de parvenir à un équilibre entre le
un espace commun pour des projets, élaborent un pro-
maintien d’utilisations à faible valeur économique et
gramme culturel ou des activités de proximité. Ce pro-
l’effet de plus-value immobilière qu’encourage le cycle
jet, un partenariat monté entre les services municipaux
de renouveau.
de l’urbanisme et de la culture, peut être considéré
comme une réaction aux importants développements
Depuis la fin des années 80, les villes ont cherché à cap-
urbains en centre-ville : devant les risques de gentrifi-
ter la croissance des industries créatives, les élus locaux
cation, la communauté des artistes et le conseil muni-
les ayant peu à peu considérées comme une activité de
cipal craignaient de voir la vitalité des sous-cultures
croissance dans laquelle il valait la peine d’investir. S’en
mise en danger. Les BroedPlaats – qui ont vocation à
est suivi un débat sur les questions de la définition et
être disséminées dans toute la ville – ont été initiées
de la classification de cette industrie nouvelle. Plus de
par des squatters, des groupes créatifs, “BroedPlaats
150 études ont été menées en Europe, dont 60 au
Amsterdam”, des entreprises et des sociétés immobi-
Royaume-Uni.
lières. Avec un budget de 32,5 millions d’euros, il
existe maintenant 36 BroedPlaats et environ 1 800
Aujourd’hui, il est prouvé que les industries et l’écono-
espaces de travail pour artistes à des prix abordables.
mie créatives se sont développées à un rythme plus
Culture
et créativité
rapide que la plupart des autres industries en Europe et
olympiques et la Coupe du monde de football. Le rang
dans le monde. Non seulement elles sont au coude à
suivant est occupé par les Expositions universelles et les
coude avec le monde de la finance, les technologies de
Capitales européennes de la culture, comme les villes du
l’information et les bioscienc e s, mais en plus elles ont des
réseau URBACT Helsinki (en 2000) et Lille (en 2004).
avantages inattendus sur ces autres secteurs, et une
Viennent ensuite les “villes de festival” qui ont bâti leur
i n f l u e nce inévitable sur la perc e p t ion des lieux où elles
réputation et “vendent” leur image par le biais des
ont vu le jour. Par exemple, au Royaume-Uni, elles ont
manifestations qu’elles organisent. C’est par exemple le
représenté, en 2002, 8 % de la valeur ajoutée brute, avec
cas de San Sebastián, qui dispose d’un calendrier de fes-
u ne croissance moyenne de 6 % par an ent re 1997 et
tivals annuels.
2002 (à rappro c her d’une croissance moyenne de 3 %
pour l’ensemble de l’économie durant cette période).
M ê me si chaque ma n i f e s t a t ion a sa pro p re spécificité,
Comme elles privilégient pour leur installation les anciens
toutes sont confro ntées au même da nger : l’obligation
entrepôts industriels ou les secteurs en redéveloppement,
de se soume t t re aux objectifs du ma r ke t i ng et de la
les industries créatives contribuent directement à la régé-
visibilité sur la scène int e r na t io nale. Dans ce do ma i ne,
nération de quartiers en crise. Toutes les villes d’URBACT,
il convie nt de se de ma nder comme nt conc i l ier ambition
même les plus petites, estiment aujourd’hui que les
politique et impératifs du ma rché et de la comme rc ia-
industries créatives doivent représenter une part impor-
l i s a t ion avec objectifs culturels ou artistiques. De fa i t ,
tante de leur future économie, au même titre que celle
on voit qu’en réaction au me rc a nt i l i s me, de plus en
occupée par les technologies de l’information.
plus de festivals et de rituels parallèles se me t t e nt en
place.
Alors que certaines villes se sont fait un nom sur la
scène internationale grâce à un festival ou un grand
Les meilleurs rituels réponde nt à un désir profo nd de
événement, les manifestations culturelles ont un rôle
fa i re partie d’une entité supérie u re qui tra ns fo r me la
croissant à jouer : elles rappellent aux habitants, à la
ville en scène d’une hu manité partagée. Ce cas de
collectivité et aux promoteurs locaux le potentiel de
f ig u re ne se re t rouve pra t i q u e me nt que da ns les Je u x
développement dont disposent des zones en état de
olympiques ou la Coupe du mo nde de football : la plu-
délabrement et en voie de marginalisation, ou des espa-
part des villes da ns le réseau URBACT ont en effet créé
ces sous-utilisés. Les festivals artistiques sont de nos
des espaces publics perme t t a nt à chacun de suivre les
jours la forme la plus commune de ces manifestations et
ma t c hes en tant qu’ind i v idu partic i p a nt à une ex p é-
font partie de l’arsenal auquel le responsable de la régé-
r ie nce collective.
nération urbaine peut faire appel. Mais la démarche
n’est pas sans risque : avec le temps, certaines manifes-
■ D’autres types de déclencheurs de régénération
tations artistiques sont devenues de véritables réussites
peuvent aussi entrer en action.
économiques dans lesquelles l’objectif de régénération a
vite été oublié. Dans ce processus, de nombreuses fêtes
Le débat. Le déclin de la pratique de la conversation
traditionnelles peuvent perdre leur caractère d’authenti-
publique et du débat comme exercice intellectuel a sti-
cité, à mesure que l’intérêt touristique prend le pas sur
mulé l’émergence d’une forme d’activité culturelle nou-
la participation autochtone.
velle, dans le cadre de rencontres où l’accent est mis
sur la discussion et l’improvisation. Adelaïde a sans
En tête des manifestations de dimension mondiale se
doute été la première ville à accueillir, en 1999, un
placent les grands événements sportifs que sont les Jeux
Festival des Idées, rapidement suivie par Brisbane et
Culture
et créativité
plus récemment par Bristol. L’originalité réside dans le
munautaires comme le Wythenshawe Forum Art Project,
fait que toutes ces villes emploient cette technique pour
à la périphérie de Manchester, tentent de mettre en
réfléchir à la direction qu’elles prennent. Lille 2004
place.
avait ainsi organisé une série de manifestations sur le
redéveloppement urbain ; Helsinki 2000 avait déjà uti-
Les dispositifs et plans d’action, souvent empruntés
lisé son statut de Capitale européenne de la culture pour
aux États-Unis, jouent un rôle dans le processus cultu-
réévaluer la ville.
rel et dans celui de la régénération urbaine. Le plus
connu d’entre eux, Percent for Art, consiste à allouer
Les règles d’urbanisme peuvent également agir comme
une part des coûts de construction (généralement 1 %)
déclencheur de régénération. De nombreuses villes, dont
à la dimension artistique. Ces dispositifs peuvent pren-
Manchester et Birmingham, utilisent les incitations
dre différentes formes, comme par exemple se limiter à
financières pour encourager les promoteurs à investir
placer une œuvre d’art devant un bâtiment. Mais la réus-
dans les améliorations culturelles et environnementales.
site d’une opération est plus grande dans le cas d’une
mise en commun des financements pour une série de
La flexibilité des réglementations est souvent déter-
projets de construction, ce qui permet d’avoir un plus
minante et sans coût. Elle implique seulement un chan-
grand impact et, parallèlement, d’attribuer des subven-
gement dans les attitudes et une approche proactive
tions aux programmes d’activités.
concernant la gestion de la culture dans la ville. Ainsi,
changer les horaires d’ouverture des débits de boissons
Le rôle critique que jouent les individus dans la régé-
et la réglementation pendant la durée du festival permet
nération est un aspect clé. Une personne qui s’en fait le
à une collectivité locale d’apprécier l’effet produit.
champion est souvent derrière des projets d’activités
artistiques fonctionnant comme régénérateur. Ainsi,
L’esthétique des infrastructures. Les infrastructures
tout projet important mené dans le cadre d’URBACT a
d’usage quotidien (routes, gares, métros, tramways,
connu un “champion” de ce genre, la plupart du temps
pylônes électriques…) sont des biens publics qui peu-
resté anonyme – qu’il s’agisse d’un fonctionnaire, pro-
vent être conçus avec un sens profond de l’esthétique et
moteur immobilier, acteur social ou artiste… Ce sont
servir de déclencheur à la régénération. C’est ainsi
des individus dotés d’une compréhension aiguë de ce
qu’environ quarante-cinq réseaux de métro dans le
que l’art peut produire et qui trouvent le moyen de tra-
monde se sont intéressés à l’esthétique et à l’art comme
vailler dans un cadre entrepreneurial.
moyens de rendre le voyage plus agréable. Les exemples
les plus célèbres sont peut-être ceux de Stockholm, de
L’artiste comme régénérateur. L’association d’artistes
Saint-Pétersbourg et de Moscou.
avec un lieu précis a depuis longtemps été reconnue
comme un facteur très important de renforcement de
La confiance sociale. Alors que la régénération dépend
l’identité locale et de développement du tourisme.
des personnes et de la confiance qu’elles portent en
Fréquemment, les artistes peuvent insuffler au processus
elles, les activités artistiques constituent un puissant
de régénération urbaine une dynamique particulière liée
levier. La confiance acquise en participant à ces activi-
à leur façon de considérer le monde et l’esthétique. Leur
tés et ces projets peut avoir d’autres effets induits inat-
tâche consiste à aider les acteurs du développement
tendus, notamment en terme d’encouragement à trouver
local à exprimer une vision créative, plutôt qu’à se plier
des emplois, y compris dans des secteurs non liés aux
aux a priori. A l’heure où les villes se standardisent,
activités artistiques. C’est ce que certains centres com-
cette notion peut se révéler précieuse.
Culture
et créativité
Un marketing bien pensé peut lui-même faire partie de
privées proposées aux citoyens partage a nt une culture
la dynamique de régénération. Mais peu de villes asso-
publique…
cient la façon de se “vendre” elles-mêmes à leurs objectifs de politique urbaine en adaptant le marketing à ces
Ces différentes acceptions du multiculturalisme sont
fins. Le danger est de “vendre” la ville en oubliant de
aujourd’hui critiquées en ce qu’elles amènent une ségré-
s’intéresser au moderne. Cet écueil peut être évité en
gation entre les communautés. En d’autres termes, on
racontant l’histoire de la cité, le chemin qu’elle a suivi
leur repro c he de mettre en avant les différences entre les
et ce qu’elle a l’intention de devenir, au lieu de se
h a b i t a nts au lieu de se concentrer sur ce qu’ils partagent.
concentrer sur la seule promotion des bâtiments et des
Au niveau local, certains soutiennent que le système (de
manifestations.
même que le racisme et la ségrégation sociale) a enc o uragé la création de communautés culturellement et spa-
Les habitants et les citoyens peuvent, comme les
tialement distinctes, dotées, à leur tête, de “chefs de
organismes, être des déclencheurs de régénération.
communautés”. D’où des problèmes d’intégration pour les
Si la présence de structures artistiques ou d’industries
membres de la deuxième ou troisième génération, qui
créatives peut revêtir une valeur inestimable pour une
connaissent de grandes difficultés à faire reconnaître et
ville, la participation des citoyens au changement
valoriser leur identité nouvelle et hybride, engendrant
urbain est, de son côté, une véritable condition du suc-
b ien souvent des pro b l è mes d’exc l u s ion. Dans ce
cès des stratégies de régénération. Rénover la ville avec
c o nt exte, les centres culturels et leurs programmes sont
l’appui de ses habitants passe par la construction d’une
investis d’une mission consistant à créer le dialogue et
culture urbaine, c’est-à-dire des interactions sociales et
offrir des forums d’échanges entre les différents groupes.
des liens personnels que les habitants tissent entre eux
En dépit du renouveau urbain qui s’opère dans les villes,
dans leur vie quotidienne. C’est ce qui conforte le senti-
la ségrégation spatiale demeure inchangée et toujours
ment d’appartenance et permet à l’identité de se consti-
aussi forte. Cela n’est pas négatif en soi, au moins tant
tuer. Le développement de la culture est un processus
que l’accès aux financement s, aux équipements et aux
social, mais tout se passe encore comme s’il existait
opportunités est équitable. Il est cependant nécessaire de
deux catégories de cultures :
ménager des espaces de convivialité, territoires neutres
• la culture “améliorante” destinée à ceux auxquels il
où les diverses composantes de la ville se retrouvent.
manque quelque chose ;
• une culture plus élaborée, pour les favorisés.
Surtout, les valeurs d’ouverture à l’autre et d’interc u l t uralité doivent être encoura g é e s. Si le multiculturalisme
■ Un thème émergent : multiculturalité et inter-
se fo nde sur la toléra nce entre les cultures, on s’aper-
culturalité. Les travaux menés pendant près de trois
çoit que les lieux mu l t ic u l t u rels ne sont pas toujours
ans par le réseau URBACT Culture ont mis en avant un
des lieux ouverts. De son côté, l’interculturalisme est
thème récurrent : la façon dont nous allons vivre tous
basé sur l’ouverture d’esprit ; et même si cette de r n i è re
ensemble dans nos villes. La “multiculturalité” a constitué
n’est pas, à elle seule, une gara nt ie d’interculturalité,
un cadre législatif et un cadre de valeurs qui ont défini
elle lui offre un cadre pour se développer. Cela indu i t
le contexte et les références au cours des quarante der-
un processus d’acquisition de qualifications et de com-
nières anné e s. Selon les pays, le mu l t ic u l t u ra l i s me a
pétences conc e r na nt “l’autre” qui perme t t ront d’agir
revêtu différe ntes fo r me s, que ce soit en termes de
fo nc t io n nelleme nt avec quiconque sera différe nt de soi,
c o m mu nautés et de cultures ethniques distinc t e s, de
i nd é p e nda m me nt de ses origine s. Les situa t io ns, les
c u l t u res na t io nales d’orig i ne des étra ngers, de cultures
s ig nes, les symboles seront donc décodés de ma n i è re
Culture
et créativité
d i f f é re nte… et la commu n ic a t ion sera cons id é r é e
commercialisation des produits culturels et de la promo-
c o m me une “compétence culture l l e ”. Ceci implique éga-
tion touristique, l’amélioration de la cohérence sociale
leme nt l’acquisition d’une compétence interculturelle
en jetant des ponts entre les communautés et en encou-
qui, da ns une société diversifiée, devie nt aussi impor-
rageant leur participation…
t a nte que des compétences de base comme savoir lire,
é c r i re et compter.
Certains des effets tangibles des arts et activités culturelles peuvent également être relevés au sein même de
En quelques mots, “l’approche interculturelle va au-delà
la culture : le rôle joué par ces groupes dans la régéné-
du principe d’égalité des chances et du respect des dif-
ration physique des zones délaissées et dans la réutili-
férences culturelles existantes, pour passer à une trans-
sation des anciens bâtiments industriels ; la façon dont
formation pluraliste de l’espace public, des institutions
leur présence permet la création de quartiers culturels
et de la culture civile.”
animés dans les villes ; la manière dont la réhabilitation
du patrimoine historique fait naître une dynamique de
développement, en termes de valeur économique du sec-
6
Préconisations
teur et d’attractivité des investissements extérieurs.
Dégradation – voire, dans les cas extrêmes, destructions
En fait, même si les outils d’évaluation manquent, de
de villes –, projets de régénération mal mis en œuvre…
nombreuses institutions soutiennent cette idée d’une
nous subissons aujourd’hui les conséquences d’un man-
culture qui doit se justifier et produire. C’est une notion
que d’attention portée à la dimension culturelle. Si une
solidement établie de par le monde, quoiqu’à des degrés
certaine prise de conscience du rôle essentiel et fonda-
divers.
mental de la culture a bien eu lieu, son impact sur la
réflexion en matière de développement urbain est resté
Même si les villes du réseau URBACT comptent parmi les
insuffisant, en grande partie parce que les caractéristi-
meilleurs exemples européens du lien entre régénération
ques de la culture, de l’art et de la créativité n’obéissent
culturelle et régénération intégrée, leur stratégie est
pas aux paramètres habituels d’évaluation.
restée imprégnée d’une certaine réserve. Les auteurs du
rapport jugent qu’aucune ville importante d’Europe n’a
Une nouvelle discipline universitaire, l’économie de la
encore mis une approche culturelle du développement
culture et les études culturelles, peut être considérée
urbain au centre de ses méthodes de travail. Ceux qui
comme un pas important pour la reconnaissance du sec-
sont impliqués dans ce domaine avancent depuis plus de
teur de la culture. Même si les querelles de clocher ne
trente ans des arguments à contre-courant des modèles
sont pas encore tout à fait réglées, nous avons à notre
prédominants, tandis que la logique financière a pour-
disposition un certain nombre de méthodes éprouvées
suivi sa progression.
pour “évaluer la valeur d’une culture”. Ces méthodes
n’étant que purement quantitatives, prenons garde tou-
■ Les villes d’URBACT ont cheminé en appliquant les
tefois à ne pas négliger la “valeur sociale” des arts et de
méthodes suivantes :
la culture.
• Les acteurs culturels ont expliqué en quoi
les activités culturelles, les industries créatives et
Certains effets obtenus ont ainsi pu être mesurés, comme
la transformation des bâtiments anciens pouvaient
l’augmentation des aptitudes individu e l l e s, le développe-
contribuer à la réussite des objectifs de développement
me nt de la confiance en soi, l’impact économique de la
économique et de régénération.
Culture
et créativité
• Les responsables de la culture ont dialogué avec
dans le contexte des économies développées.
les responsables d’autres services pour leur montrer,
■ De ce long cheminement, les villes d’URBACT ont
à travers des exemples de bonnes pratiques dans
dégagé plusieurs leçons :
le champ culturel, comment culture et régénération
• Réunir différents services pour un programme
fonctionnent.
de travail commun. La nécessité d’élaborer une
• Ils ont présenté des projets dont le succès
stratégie culturelle basée sur un programme commun
est évident : la Cable Factory à Helsinki ou la série
entre des services hétérogènes (culturels et non
d’aménagements effectués à Roubaix.
culturels) apparaît impérative. La première ville ayant
• Les responsables ont également fait appel à
réussi à intégrer les aspects physiques et économiques
des arguments établis à partir d’études d’impact
de la régénération a été Birmingham qui, en 1988,
économique concernant les activités artistiques et
a créé au sein de son conseil une commission
le secteur culturel pour servir de “disposition
Arts et Économie.
de persuasion”. Bon nombre de membres du réseau
• Dans le même état d’esprit, élaborer une stratégie
URBACT ont effectivement lancé une étude de ce type.
culturelle avec des représentants de services sans
• Ils ont coopéré avec le secteur culturel
rapport avec la culture a l’avantage d’attirer des
proprement dit. L’objectif était de faire prendre
personnes compétentes tout en permettant au secteur
conscience que dans son ensemble, ce secteur est
culturel d’élargir son horizon. C’est la politique mise
cohérent en taille, en échelle et en portée. Le but
en place avec succès par Amsterdam.
était de démontrer que ce qui peut apparaître comme
• Mettre en place des “équipes de projet”.
les pièces éparses d’un puzzle (musique, arts
Certaines villes, comme Manchester, ont créé des équi-
graphiques ou danse par exemple) forme en réalité
pes spécialisées dans la mise en œuvre de projets dans
un tout cohérent.
le cadre de la municipalité. Constituées pour dix ans,
• Les responsables ont fait la jonction entre
ces équipes étaient appelées à réaliser d’importants
le patrimoine historique, le tourisme et l’image.
projets d’infrastructures, les services culturels en ayant
Ils ont également encouragé les responsables
la responsabilité aux côtés de nombreux consultants.
de la promotion de la ville à “vendre” le potentiel
• Le projet doit être intégré, à la fois dans
innovant et créatif de la commune.
sa définition et dans sa conception. Il est important
• Dans le sillage de ce qui précède, ils ont “milité”
d’arriver à mêler les dimensions physique, sociale et
pour que les dépenses faites pour la culture ne soient
économique : un ou plusieurs bâtiments dévolus
plus considérées comme des subventions, mais comme
à la culture peuvent également tenir le rôle de lieux de
un investissement.
rencontre et de développement de divers programmes
• De manière plus récente, ils ont contribué à établir
pluridisciplinaires.
le lien entre développement culturel et réalisation
• Utiliser les ressources et incitations extérieures
de certains objectifs dans le cadre de la lutte contre
pour parvenir à intégrer les objectifs. Naples a
l’exclusion sociale.
bénéficié de subventions importantes via le programme
• Le monde culturel a réussi à faire admettre l’argument
européen Urban. Et dans le processus de régénération
selon lequel la culture stimule l’originalité.
des quartiers anciens du centre-ville, Urban a agi
comme catalyseur pour rassembler des projets
Un consensus a fini par émerger : la culture ou le sec-
d’aménagement urbain et des programmes
teur créatif est un déclencheur de la régénération, qui
de régénération sociale, jusque-là non coordonnés.
constitue également un facteur de croissance efficace
• De même, la mise en place d’une stratégie globale
Culture
et créativité
de développement de la ville, tel que l’a fait Lille
de la ville. En même temps, c’est dans les banlieues
sur la base de la position centrale qu’elle occupe
que la culture locale se construit ; c’est pourquoi
depuis l’arrivée de l’Eurostar, apparaît comme
plusieurs villes du réseau URBACT tentent d’impliquer
un facteur de succès.
les zones en périphérie en les appelant
• Enfin, les grandes manifestations permettent aux
à la participation culturelle.
villes d’atteindre des objectifs plus larges,
en apportant notamment des financements nouveaux.
Il est aujourd’hui quasi impossible d’imaginer une ville
Trois des villes du réseau URBACT, Lille, Helsinki
sans culture et sans expression artistique. La stratégie
(Capitales européennes de la culture) et Manchester
culturelle est devenue un atout incomparable dans la
(en accueillant les Jeux du Commonwealth en 2002)
régénération urbaine. Loin d’être marginale, la culture
ont organisé ce type de méga manifestations.
est aujourd’hui le quatrième pilier du développement
• Élaboration de projets communs avec des services
durable.
non culturels. La collaboration est aujourd’hui plutôt
aisée avec les services de promotion et de marketing
qui reconnaissent que les activités culturelles font
partie de toute politique visant à attirer à la fois
les touristes et les investissements extérieurs.
Mais d’autres collaborations peuvent être recherchées :
avec les affaires sociales, l’enseignement et
les activités artistiques. Par ailleurs, à Amsterdam
et à Manchester, c’est avec ceux chargés
du développement économique que les services
culturels ont collaboré.
• Les représentants de la culture doivent
s’impliquer dans les partenariats et autres organes
de décision. Le secteur culturel doit, en effet,
s’assurer que ses représentants sont bien présents lors
des réunions des commissions d’urbanisme,
du développement économique et des affaires sociales.
• Un objectif stratégique, des actions
décentralisées. Jouer la carte de la décentralisation
en portant l’attention à la fois sur les activités
du centre-ville et sur celles de la périphérie est
une garantie pour maximiser le potentiel culturel.
Toutes les villes du réseau URBACT ont veillé à ce que
les centres-villes jouissent d’une grande vitalité
culturelle. Le centre-ville constitue potentiellement
un lieu propice au brassage et peut être important
pour l’émergence d’idées créatives. Dans le meilleur
des cas, il peut jouer un rôle de vitrine pour des idées
créatives et des activités créées dans tous les quartiers
Culture
et urbanisme
Thème
2
La dimension physique
1
Présentation
de la thématique
• Les stratégies de régénération urbaine
des centres-villes insistent sur l’importance symbolique
du centre, tout en soulignant le potentiel de loisirs et
L’expérience vécue au cours des dix ou quinze dernières
de création. Mais si les habitats et les activités de
années dans de nombreuses villes d’Europe est porteuse
production sont exclus, il existe un danger, identifié
de deux enseignements : tout d’abord, la culture doit
par les analystes culturels et les urbanistes, de voir
être intégrée dans les stratégies de développement
certains centres-villes devenir des “parcs à thème”
urbain ; mais dans le même temps, son rôle en tant que
du patrimoine ou des espaces banalisés. Pour garantir
sphère autonome de liberté doit être préservé. Fondé sur
la diversité, les règlements d’urbanisme sont des outils
des valeurs propres telles que la mémoire, le savoir, la
précieux à la disposition des municipalités.
créativité, la diversité ou la tradition, ce rôle est mis en
évidence par les professionnels de la culture. Cet équili-
La créativité, l’innovation et la connaissance figurent
bre est négligé ? Le prix à payer peut être élevé, tant
parmi les priorités des politiques urbaines. C’est ainsi
pour le développement urbain que pour la vitalité de la
que la présence de “créatifs” acquiert une dimension
culture des villes européennes, ce qui pourrait mener à
physique, car ils s’installent généralement dans des
l’instrumentalisation ou à l’isolation de la culture. Pour
zones spécifiques et peuvent réclamer une infrastructure
contrer ce risque et parvenir à cet équilibre, certaines
particulière pour développer leur activité. Le réseau
villes ont élaboré une stratégie culturelle locale :
URBACT Culture a analysé plusieurs types d’infrastructu-
• Dans bien des cas, la régénération urbaine démarre
res dédiées à la créativité : structures d’éducation et de
par la récupération de la mémoire des lieux, valorisant
formation, résidences et studios, espaces créatifs à
ainsi le patrimoine et la compréhension de l’histoire
l’échelle des quartiers, bâtiments culturels polyvalents
de la ville.
ou “districts culturels”. Dans tous les cas, cette variété
Culture
et urbanisme
d’infrastructures témoigne du rôle important de la direc-
L’ a b s e nce d’int é g ra t ion politique des villes/régio ns
tion de la culture de la ville, perceptible dans la respon-
métropolitaines a débouché sur l’avènement de munici-
sabilité des politiques culturelles mais aussi dans l’en-
palités très axées sur la spécialisation, sur la base de
gagement à fournir des espaces, des moyens et une
leurs avantages. Ceci entraîne un développement à deux
“visibilité” à la création et à la production culturelles.
vitesses : certaines zones se trouvent condamnées à la
Les processus de régénération urbaine intègrent souvent
pauvreté et à la marginalisation, la localisation des nou-
la transformation “symbolique” d’un territoire. De nou-
veaux équipements culturels et des infrastructures deve-
veaux éléments tangibles comme des espaces publics,
nant donc plus controversée que jamais ; dans le même
des bâtiments ou des sculptures sont intégrés ; et c’est
temps, les municipalités, les quartiers et les districts
lorsque cette transformation culturelle réussit à s’insérer
rivalisent pour les accueillir. Dans ce contexte, l’instru-
dans les politiques et les programmes sociaux, économi-
ment clé pour réussir l’implantation d’un équipement
ques et environnementaux qu’elle produit ses meilleurs
culturel est le programme, c’est-à-dire le document éta-
résultats.
blissant la mission, les buts et les objectifs spécifiques
du nouvel équipement, accompagné de la description
Parallèlement, les conditions de l’urbanisme ont elles
des démarches nécessaires pour transformer les idées en
aussi évolué au cours des deux dernières décennies. Des
résultats concrets. Généralement, le processus implique
“stratégies de régénération urbaine” ont été et sont
d ’ a s s o c ier un large éventail de partenaire s, ainsi que
mises en œuvre dans les centres-villes et certains quar-
la population. Le partena r iat URBACT Culture tend à
tiers périphériques. Mais au même moment, l’échelle de
démo nt rer que la présence des prof e s s ionnels de la
la ville européenne contemporaine s’est très rapidement
culture améliore la qualité du processus et donne de
modifiée : elle a en effet explosé en surface sous le coup
l’originalité au contenu.
d’une extension anarchique.
En parallèle, la quasi-totalité des villes d’Europe ont vu
se développer des tendances à la fragmentation territo-
2
Le rôle du patrimoine dans
les centres-villes et les quartiers
riale. Une évolution marquée notamment par l’apparition, en périphérie, de nouvelles zones à faible densité,
■ Patrimoine et centres-villes. Durant les années 60
perçues comme des espaces “plus sûrs et offrant une
et 70, la ville était associée à des notions de danger,
meilleure qualité de vie”, et proposant de nouveaux axes
d’agressivité et de pollution. Cette conception particu-
de communication et des centres commerciaux. Mais
lièrement pessimiste fut à l’origine d’une période de
l’impact socioculturel de cette évolution est analysé
dégradation pour de nombreux centres-villes riches en
négativement, la faible densité constituant un obstacle
histoire. Mais dès les années 80, les politiques de régé-
à l’interaction sociale physique au quotidien. De fait, la
nération engagées ont mis l’accent sur la nécessité de
ségrégation de la population, aussi bien riche que pau-
reconquérir le cœur des villes, parvenant ainsi à boule-
vre, augmente dans les villes d’Europe.
verser cet ancien état d’esprit.
La notion d’espaces publics elle-même est en crise. S’ils
La première des stratégies de régénération des centres-
sont aujourd’hui plus diversifiés, offrant davantage d’ac-
villes a consisté à revaloriser les patrimoines. Pour ce
tivités à une population plus variée qu’il y a 30 ans, ces
faire, les municipalités ont enfin commencé à considé-
espaces sont aussi plus complexes et plus difficiles à
rer l’histoire de la ville comme une source d’inspiration
créer, gérer et entretenir.
capable de dynamiser la transformation urbaine.
Culture
et urbanisme
La rénovation du quartier de Tymas à Vilnius
entendu, la dimension culturelle de leur transformation
physique ne doit pas être oubliée. La mémoire des habi-
Dans le centre-ville de Vilnius, la stratégie adoptée
tants est en elle-même un catalyseur du processus de
consistait à mettre l’accent sur les “potentiels de pro-
régénération, souvent initié par la restauration du patri-
duction culturelle”, puis à les mettre en rapport avec
moine bâti. La rénovation d’édifices symboles de l’héri-
les activités existantes dans les secteurs de l’artisanat
tage industriel entre dans cette catégorie, en tant que
et du tourisme. C’est ainsi que le cœur de la ville de
reconnaissance d’une identité de la “classe ouvrière” à
Vilnius – très similaire à celui de Prague, mais deux
expliquer aux générations futures.
fois plus vaste – constitue un bon exemple de régénération urbaine. Le quartier de Tymas, fondé au XVe siè-
Dans les quartiers centraux, les stratégies de régénéra-
cle comme un faubourg de Vilnius où vivaient des arti-
tion urbaine visent avant tout à consolider l’importance
sans du cuir, a été choisi comme cible spécifique du
symbolique du centre et à assurer sa promotion en tant
tourisme culturel. L’idée de rénover le quartier a été
que zone de loisirs et de consommation utile à l’ensem-
avancée au cours des années 90 et, par la suite, il se
ble de la métropole. Mais certains dangers sont claire-
vit attribuer de nouvelles fonctions liées au tourisme
ment identifiés : les analystes culturels et les urbanistes
culturel et à l’artisanat. Plutôt que de se cantonner à
estiment que faute de consacrer une place substantielle
la reconstruction physique du quartier, il fut décidé de
au logement et aux activités de production, les centres-
recréer son esprit d’antan afin d’en faire un lieu où
villes risquent de devenir des “parcs à thèmes patrimo-
habitants et touristes en visite pourraient ressentir
niaux” ou de banals espaces. La stratégie de régénéra-
l’ancienne vie des artisans. Dans cet esprit, des ateliers
tion ne doit donc pas ignorer ces aspects. Dans cet
de tanneurs, de forgerons et de potiers, ainsi qu’un
esprit, certaines municipalités réussissent à contourner
marché artisanal, une foire et un centre dédié au patri-
le risque en garantissant la diversité par le biais de
moine gastronomique ont été installés. Les anciens
règlements d’urbanisme.
parcs et jardins ont été rénovés, les pavés des vieilles
rues restaurés. Pour attirer les artisans, très réticents à
■ Questions relatives à la restauration et la rénova-
quitter leurs lieux de travail, la municipalité s’est
tion du patrimoine. Qu’ils soient situés en centre-ville
engagée à construire et leur louer à tarifs préférentiels
ou en périphérie, les bâtiments et les quartiers ont une
de petits ateliers munis de locaux d’habitation.
valeur symbolique. À ce titre, ils sont devenus un enjeu
Il existe toujours une expectative de diffusion de la
de débat public, principalement en raison des dilemmes
r é g é n é ra t ion physique des cent res-villes vers d’autres
soulevés par leur rénovation :
p a r t ies de la ville, spécialeme nt da ns les qua r t ie r s
• La portée de la rénovation d’un quartier ancien ou
v o i s i ns. Désireuses de combiner leurs objectifs de
d’un monument – par exemple son usage à venir –
d é v e l o p p e me nt culturel et urbain, certaines villes ont
fait souvent débat dans une ville. Il est fréquemment
réalisé des bâtime nts cont e m p o ra i ns da ns leur cent re -
nécessaire de recourir à des solutions au cas par cas.
ville, ou à proximité, da ns le but de créer cet effet de
Si les discussions sont complexes et le rôle des experts
diffusion.
nécessaire, un tel débat est tout à fait compatible
avec l’intervention des citoyens.
■ Patrimoine et quartiers. Les quartiers populaires, les
• Le leadership public est un facteur important
banlieues et les périphéries urbaines ne sont cependant
pour réussir un processus de régénération urbaine,
pas entièrement négligés, et peuvent être également la
à condition toutefois qu’il bénéficie bien de la
cible des stratégies de régénération urbaine. Bien
“légitimité sociale” pour conduire ce processus.
Culture
et urbanisme
Une stratégie à long terme doit donc avant tout
visant à générer une croissance endogène, et d’autre
rassembler. Concrètement, elle se doit de dépasser
part des politiques qui souhaitent importer de l’innova-
les cycles électoraux en recevant le soutien de larges
tion et attirer de la matière grise. Qu’elles soient moyen-
coalitions au sein de la ville.
nes ou grandes, les villes européennes mélangent, pour
• Le traitement du phénomène de gentrification est
la plupart, ces deux types de politique.
également primordial. La gentrification est
le processus d’occupation, par des populations plus
Ces dernières années, le travail de Richard Florida (2002
aisées, des quartiers devenus attractifs ou à la mode.
et 2005) et la notion de “classe créative” sont devenus
Leur arrivée engendre souvent un phénomène
populaires dans nombre de cercles travaillant sur l’ur-
d’éviction pour les anciens locataires qui n’ont plus
bain. Dans ses ouvrages, Richard Florida indique que la
les moyens d’y résider, ce qui peut représenter
richesse des nations dépend de la localisation de la
un véritable problème urbain si le processus
“classe créative”. Cette classe, définie selon lui par le
de régénération n’apporte aucune réponse appropriée
talent, la tolérance et la technologie, devient en consé-
sous la forme de solutions fournies aux locataires.
quence le moteur du développement économique. Ses
Certaines villes ont tenté d’anticiper les effets de
travaux ont fortement contribué à légitimer le rôle d’ac-
la gentrification. Leur expérience montre à quel point
teur du développement urbain joué par la communauté
il est important d’entreprendre une vaste consultation
artistique.
auprès des habitants, puis de prévoir une politique en
matière de logement (relogement des locataires dans
Aujourd’hui, la présence de communautés artistiques/
le même secteur, aide publique pour les habitants
créatives/culturelles bien ancrées dans la ville entraîne
désireux de devenir propriétaires de leurs logements,
l’apparition de groupes de pression culturelle jouant un
promotion des associations de locataires…). Il est
rôle actif dans les débats urbains. La présence même de
également primordial de recourir à des règlements
ces créatifs tend rapidement à acquérir une dimension
d’urbanisme incluant des baux à long terme,
physique : ils se concentrent en effet dans des secteurs
des cessions de biens et la concession de licences pour
spécifiques et exercent des pressions pour obtenir les
les activités commerciales.
équipements leur permettant de développer leur travail.
Dans ce cont ex t e, l’exemple des villes d’URBACT illustre
3
L’émergence d’une créativité
urbaine
bien le rôle important des services mu n icipaux de la
culture. Responsables des politiques culturelles de la
ville et de leur engagement à accorder, à la création et
Les infrastructures dédiées à la créativité méritent une
à la production culturelle des lieux, des ressources et
attention particulière et il faudra, pour cela, analyser
une visibilité adéquate, leur rôle s’en voit, dans certains
divers bâtiments de production culturelle et de quartiers
cas, encore renforcé. C’est notamment le cas des villes
culturels. Ce chapitre traite des questions liées aux
dont les services d’urbanisme ou de développement éco-
interactions existant entre la qualité d’un lieu et les
nomique intègrent la culture dans leur stratégie relative
acteurs culturels (y compris les créatifs).
aux édifices patrimoniaux ou aux zones en régénération.
Mais le rôle de ces services municipaux est également
■ Le créatif et les infrastructures. Les politiques mises
fort au sein des villes où la culture est appréhendée
en œuvre par les villes d’Europe sont, d’une part, des
comme un sujet moins prioritaire que celui de la régé-
politiques et programmes d’éducation et de formation
nération urbaine.
Culture
et urbanisme
■ Quartiers culturels. Depuis deux ou trois décennies,
d’un habitat “abordable”. Le Quartier Nord continue à
dans de nombreuses villes d’Europe, les créatifs ont
attirer aujourd’hui des entreprises dynamiques comme
commencé à occuper les friches industrielles et les ter-
des studios de design, des entreprises de télévision ou
rains vagues pour les transformer progressivement en
de film, des studios d'enregistrement ou des magasins
quartiers culturels. Souvent spontané, ce processus
spécialisés de musique, tout en commençant à devenir
trouve sa principale origine dans les prix “bon marché”
un secteur recherché par les structures financières et
de l’immobilier. Dans certains cas, ce sont même les
juridiques.
pouvoirs publics et les entrepreneurs privés qui l’ont initié. Selon la définition de l’OCDE (2005), les quartiers
La gentrification est souvent citée comme une cons é-
culturels sont des zones dédiées à la production cultu-
quence négative des quartiers culturels, et il est néces-
relle, souvent spécialisées dans un “système productif
saire d’anticiper le phénomène par des stratégies adaptées
local” spécifique (audiovisuel, design, artisanat…) et
impliquant notamment une consultation à grande échelle
situées dans d’anciennes installations industrielles. Il
des habitants et un leadership public du processus. Par ail-
convient de les distinguer des “secteurs culturels”, la
leurs, les projets de régénération urbaine doivent prendre
plupart du temps voués à la consommation culturelle et
en compte la dynamique du système culturel : nombreux
implantés en centre-ville ou au cœur de zones d’exten-
sont, par exemple, les acteurs non institutionnels et
sion urbaine.
alternatifs qui travaillent sur des projets créatifs ex p é r imentaux et d’avant-garde et se tiennent à l’écart des pro-
Le Northern Quarter de Manchester
cessus de marketing urbain. Il est toutefois nécessaire de
maintenir un contrôle et une évaluation lorsque ces
Le Northern Quarter de Manchester est l’un des meil-
acteurs culturels reçoivent un soutien public.
leurs exemples de croissance organique supportée par
des partenariats incluant tous les agents concernés par
En fait, l’un des grands défis des politiques urbaines
la zone, des résidants aux entrepreneurs. Situé dans la
pose la question du champ couvert par la créativité :
partie Nord-Est du centre-ville, ce quartier est une
cette dernière relève-t-elle d’une “classe choisie” ou
ancienne zone d’entrepôts et d’ateliers datant des
constitue-t-elle un droit pour tous de participer à la vie
années 1880, époque où Manchester dominait le com-
culturelle ? Richard Florida prône d’œuvrer au moyen de
merce mondial du textile ; il a abrité le principal mar-
politiques éducatives, technologiques et culturelles for-
ché de gros de la ville et l’une des plus grandes zones
tes vers l’avènement d’une “véritable société créative”.
commerciales du centre-ville. À partir des années 70,
le quartier s’est trouvé marginalisé par la fermeture du
marché de gros et le déclin du commerce. C’est alors
que la baisse des loyers a attiré de petites entreprises.
4
Vers un renouveau
des espaces publics
Au début des années 90, les entreprises locales et les
résidants ont commencé à travailler ensemble en
■ Architecture et design. Les espaces publics sont au
constituant un partenariat, l’Association du Quartier
centre de la ville. Pourtant, après une longue période de
Nord. En 1995, la municipalité et cette association ont
négligence et de déclin, la notion d’espace public tra-
réalisé une étude sur la régénération du quartier, qui a
verse une crise.
débouché sur la concrétisation d’un certain nombre de
projets : programme d’art public, amélioration des circ u-
Ces dernières décennies cependant, les espaces publics
lations piétonnes et de l’éclairage public, développement
ont recommencé à être considérés dans toute l’Europe
Culture
et urbanisme
comme des lieux porteurs de valeurs fonctionnelles et
riées par l’UNESCO comme sites du patrimo i ne mondial,
symboliques, lieux dans lesquels les citoyens pouvaient
et la ville de Ma nchester a posé sa candida t u re pour
se côtoyer. Un mouvement lent – mais constant – de
fa i re reconna î t re son patrimo i ne indu s t r iel.
réappropria t ion de l’espace public est apparu et,
a u j o u rd ’ hui, no m b re de processus de régénéra t io n
Le réseau Culture a étudié les politiques de Brno et
urbaine incluent la transformation “symbolique” d’un
Helsinki, deux villes ayant pour particularité d’utiliser
territoire, avec de nouveaux éléments tangibles : espa-
l’architecture comme l’un des principaux axes de leur
ces publics, édifices ou sculptures. Cette quête atteint
développement. Au début des années 90, la capitale de
son meilleur niveau de réussite lorsque les politiques
la Moravie a vu émerger une nouvelle génération de jeu-
culturelles sont liées aux politiques et programmes
nes architectes, déterminants dans la construction de
sociaux, économiques et environnementaux, et que
plusieurs bâtiments. Depuis 1995, la municipalité s’est
cette démarche intégrée prévoit une consultation à
chargée ou a aidé à la mise en œuvre de nombreux pro-
grande échelle des habitants.
jets, influant sur le processus d’urbanisation de la ville
à travers une intense coopération avec des investisseurs
L’art public est aussi important da ns les stra t é g ies de
privés. À Helsinki, la rénovation du Lasipalatsi (le Palais
r é no v a t ion urbaine. Ces dix de r n i è res années, ce
de Verre) et son ouverture à plusieurs projets de TIC ont
c o ncept s’est élargi, tant et si bien que les pro j e t s,
concrétisé le mariage réussi entre patrimoine architec-
conçus au départ comme de simples “embellissements”
tural et nouveaux usages contemporains.
ou re l e v a nt de la commémo ra t ion, se sont tra ns formés
aujourd’hui en actions ayant un impact sur le lien
Autre exemple évocateur : la transformation de la vallée
s o c ial.
de la Ruhr, qui a donné lieu à de vastes consultations
(villes, entreprises, associations, citoyens) au centre
Les débats sur les espaces publics, l’art public et l’archi-
desquelles prévalaient respect du patrimoine industriel,
tecture occupent fréquemment une place importante
préoccupations écologiques et innovations technologi-
dans les médias locaux. Ils deviennent rapidement très
ques. Pour les villes d’Europe de l’Est qui se trouvent
polémiques, en raison notamment de l’absence d’infor-
aujourd’hui dans la même situation que celle de la val-
mation de qualité ou du manque d’indicateurs qualita-
lée de la Ruhr il y a vingt ans, ce processus de régéné-
tifs : “goût et qualité sont souvent antinomiques”.
ration urbaine peut devenir une référence.
■ Paysages urbains. Concept nouveau dans les débats
■ Convivialité créative. Les événements culturels,
sur la régénération urbaine, la notion de paysage urbain
créés de toutes pièces ou basés sur d’anciennes tradi-
va de pair avec la généralisation du paradigme de la
tions, sont utilisés pour catalyser les processus de régé-
durabilité. Certaines villes garantissent la continuité
nération. Souvent, les villes renouvellent leur répertoire
d’un paysage urbain à travers des mesures et des pro-
de festivités et de traditions en les adaptant à l’époque
grammes : c’est ainsi que les villes historiques possè-
moderne et à la vie citadine. Le but est en même temps
dent des listes d’édifices protégés, normalement accom-
de s’assurer que ces fêtes, dont les autorités locales sont
pagnées de règlements. En tête de ces listes figurent les
généralement initiatrices, sont suivies par une large
sites classés au patrimoine mondial (UNESCO), suivis du
majorité de la population.
patrimoine national, régional/local. Par exemple, dans
le cadre du partenariat URBACT Culture, les villes histo-
Ce “rôle relationnel” des autorités locales est aujourd’hui
riques de Maribor et Vilnius sont d’ores et déjà réperto-
prépondérant, et le service culturel de la ville s’impose
Culture
et urbanisme
souvent comme le leader des initiatives liées à l’utilisa-
ou internationaux similaires qui pourraient être
tion créative de l’espace public :
utilisés comme références ;
• en participant aux débats sur la qualité de
• une analyse des populations qui seront desservies et
l’aménagement urbain et en influençant les décisions
des outils qui pourraient être utilisés afin d’aboutir
dans ce domaine ;
à une implication des citoyens dans le projet ;
• en facilitant le dialogue entre les différentes
• une évaluation de l’impact culturel escompté ;
professions et en favorisant leur interaction avec
• le budget initial.
les habitants ;
• en incitant à la créativité, à l’autonomie sociale et à
■ Équipements métropolitains. Chaque projet culturel
la convivialité.
a toutefois ses propres spécificités. Les équipements
culturels “métropolitains” et “locaux” nécessitent des
programmes différents, car la population desservie n’est
5
Mieux planifier les équipements
culturels
pas la même.
En effet, un équipement culturel “métropolitain” est un
Une attention toute particulière doit être portée aux
bâtiment dont le contenu culturel est destiné à la ville
processus de préparation d’un nouvel équipement cultu-
entière, et qui offre à ce titre un service culturel à l’en-
rel, et notamment à la définition du programme.
semble de la population. Tout particulièrement depuis le
L’aménagement de tels équipements est très souvent lié
début des années 90, un nouvel équipement culturel se
aux processus de régénération urbaine.
doit d’attirer des visiteurs nationaux et internationaux ;
l’une de ses raisons d’être est d’aider la ville à améliorer
Le programme est l’instrument clé de la planification
son image et son attractivité.
nécessaire au succès d’un équipement culturel. Ce document précise la mission, les buts et les objectifs spéci-
Ainsi, en localisant le Symphony Hall/International
fiques du nouvel équipement, et prévoit également les
Convention Center de Birmingham en plein centre-ville,
différentes étapes nécessaires à la concrétisation des
l’idée était aussi d’offrir à la ville une nouvelle image sur
idées en réalisations positives. Dans de nombreuses vil-
les marchés national et international pour attirer des
les d’Europe, les commanditaires d’une nouvelle infra-
investissements extérieurs. Le projet de l’International
structure culturelle ont formulé le programme avec les
Convention Center (ICC), dont le Symphony Hall est par-
éléments suivants :
tie intégrante, fut conçu et mis en œuvre comme la pre-
• un programme à moyen terme : c’est une sorte
mière étape d’une réponse stratégique aux changements
de “contrat” passé entre les institutions à l’origine
rapides du climat économique des années 80, notam-
du nouvel équipement culturel et ses responsables ;
ment pour aider Birmingham à surmonter le déclin éco-
• une indication de la composition des instances
nomique et les problèmes sociaux résultant des muta-
dirigeantes du nouvel équipement culturel.
tions industrielles.
Les représentants des établissements publics et
les représentants de la société civile y figurent
■ Établissements locaux. Par opposition, un équipe-
généralement en bonne place ;
ment culturel “local” profite avant tout au voisinage ou
• un éventail d’indicateurs convenus pour suivre
à une communauté. La bibliothèque et le centre cultu-
l’évolution par rapport aux objectifs ;
rel en sont les deux principales catégories. Il arrive
• une analyse des équipements culturels nationaux
aussi qu’un tel équipement appartienne à des “réseaux
Culture
et urbanisme
urbains”. On entend par “réseaux urbains” des structures
messages doivent être transmis aux habitants, mais
qui rassemblent les équipements culturels de la ville
également à l’extérieur de la ville.
partageant une caractéristique ou un but spécifique, par
exemple un réseau de bibliothèques publiques.
Reconnu sans ambiguïté par les lois et la réglementation de l’urbanisme, le processus de participation des
■ Bâtiments iconiques. Enfin, les bâtiments iconiques
habitants n’est pas toujours pris en compte de manière
représentent une sous-catégorie particulière. Selon cer-
suffisamment rigoureuse dans l’aménagement urbain.
tains architectes, leur but est de promouvoir la valeur
C’est notamment le cas du droit des citoyens à être
esthétique, et ils sont avant tout conçus comme un
informés et à suggérer des modifications et des change-
repère architectural, un nouveau “totem” pour une ville
ments aux plans de régénération. Les méthodes et outils
qui ne possède pas de symbole collectif ou a besoin de
qui permettent d’associer les citoyens peuvent pourtant
nouveaux repères. Mais ces bâtiments, symboliques,
être utilisés pour se conformer aux réglementations et
sont contestés par les analystes culturels. La critique
avoir ainsi des “projets informatifs”, voire des “projets
repose sur le risque de véhiculer une logique “marketing”,
participatifs”.
souvent uniquement commerciale, ou une instrumentalisation de la culture à d’autres fins.
C’est ainsi que la transformation du centre-ville de
Manchester a conduit à un exemple réussi de participation par le biais de consultations régulières du public,
6
Régénération urbaine
et interaction des habitants
d’une consultation publique majeure sur le schéma
directeur, de points d’informations pour le public, d’un
bulletin trimestriel pour tous les particuliers et d’un pro-
Les membres du réseau Culture se sont interrogés sur les
gramme régulier de présentations, pour les groupes d’in-
différentes méthodes permettant d’impliquer les habi-
térêt, des sites Web, des publications et des communi-
tants dans le processus d’aménagement urbain. Ils ont
qués de presse. Ce type de processus de participation est
ainsi été amenés à réfléchir sur les exemples d’interac-
parfaitement compatible avec le travail des experts.
tion entre les populations concernées par un tel processus : professionnels de la régénération urbaine, profes-
Autre exemple réussi de participation et d’implication de
sionnels de la culture et habitants.
la population dans un processus de régénération : le
projet du Kontupiste, à Helsinki. Il s’agit à l’origine d’un
■ Sur la participation. Un processus de régénération
quartier de 30 000 habitants situé à la périphérie de la
peut être conçu comme une opportunité pour renforcer
ville. La zone a reçu des fonds Urban II depuis 2000 et,
les valeurs qui articulent villes et communautés. Dans
à la suite de pressions de l’Office de la culture de la ville
cette hypothèse, la stratégie de régénération est un pro-
d’Helsinki, la culture a été incluse dans le programme de
jet culturel, et ce pour plusieurs raisons :
régénération. Il a donc été décidé de réaliser un nou-
• La stratégie implique que le contenu soit légitimé.
veau centre culturel au milieu de la rue commerçante.
Il s’agira de choisir des souvenirs du passé et de se
L’idée principale était d’adapter le projet aux besoins du
mettre d’accord sur les leçons que l’on peut en tirer ;
quartier, de manière à desservir les besoins en informa-
• Elle suscite de l’interaction sociale : elle implique,
tion et en communication des habitants. Parmi les sous-
en effet, les différentes parties prenantes ;
projets, l’un visait à numériser les photographies per-
• Elle implique, enfin, que les perceptions internes et
sonnelles des résidants, l’autre ciblait plutôt la transfor-
externes ne soient plus les mêmes : de nouveaux
mation de l’image du quartier. Deux leçons ont été tirées
Culture
et urbanisme
de cet exemple : l’association du patrimoine et des nou-
p o u r ra ie nt perme t t re à ces professionnels de partager la
velles technologies, et la réhabilitation symbolique
base de leur expertise sont quasi inexistants.
d’une zone marginalisée.
■ Implication de la population. Les programmes pour
■ L’expertise. Une vaste expertise doit être réalisée
les équipements culturels sont basés sur la prise en
avec la participation de plusieurs cercles, tels que :
compte des utilisations que la société demande. C’est
• les citoyens qui vivent dans la zone ;
pourquoi l’écoute doit se porter à la fois sur les désirs
• les entreprises privées qui veulent investir et en tirer
des professions culturelles et sur les attentes de la
profit ;
population des spectateurs qui vont également être
• les décideurs qui garantissent l’équilibre des intérêts
amenés à utiliser l’équipement culturel.
parmi les différents cercles ;
• les médias locaux qui diffusent des informations sur
Ces dernières années, avec la progression des exemples
le débat ;
de planification "participative" ou "délibérative" de
• un éventail de professions diverses dont l’expertise
nouveaux équipements culturels, l'implication de la
est nécessaire au cours des différentes étapes
population a augme nté. Souvent, en réponse aux
du processus.
demandes de la société civile culturelle locale, les mandataires de nouveaux équipements culturels ont utilisé
L’éventail d’experts varie selon la ville ou le projet. Dans
diverses méthodes de consultations pour mieux impli-
certains cas, les architectes peuvent jouer un rôle pré-
quer les agents culturels et les citoyens : ateliers, sémi-
dominant, dans d’autres, ce sont les sociologues qui
naires, débats, expositions…
domineront. Toutefois, l’expertise de professions plus
concernées par les problèmes sociaux a pris de l’impor-
Les exemples de consultations à grande échelle que sont
tance au cours des dix dernières années : anthropolo-
la baraque de chantier de la Condition publique à
gues, sociologues ou travailleurs sociaux sont normale-
Roubaix et le Forum de Wythenshawe montrent que l’im-
ment intégrés dans les équipes de régénération urbaine.
plication des habitants et la considération des profes-
C’est également le cas de la régénération économique,
sionnels de la culture aboutissent en général à des équi-
désormais incluse dans les stratégies.
pements culturels plus forts, ces derniers offrant une
gamme de services plus vastes à la population avoisi-
Enfin, les professions culturelles sont de plus en plus
nante, et le processus délibératif renforce les valeurs
fréquemment représentées dans les équipes de régéné-
démocratiques.
ration, et le partenariat URBACT Culture a prouvé que
leur présence améliore la qualité du processus et donne
Préconisations
de l’originalité au contenu.
7
Certains obstacles n’ont pourtant pas encore été surmo n-
La culture se situant désormais au centre de la gouver-
tés : ainsi, les professionnels du territoire des domaines
nance, un nombre croissant de villes créent à cet effet
social, économique et culturel ne disposent pas toujours
de nouvelles structures et fournissent les ressources
de lieux pour se réunir et échanger ; les méthodes de
adéquates. L’étude de la relation entre la culture et la
chaque groupe de professionnels demeurent relativement
dimension physique de la régénération urbaine a abouti
floues pour les autres ; et les processus de formation
à plusieurs re c o m ma ndations, différe ntes selon le
( u n i v e r s i t a i re, post-universitaire et européen) qui
niveau d’action.
Culture
et urbanisme
■ Au niveau local :
Des documents de référence comme l’Agenda 21 pour la
culture peuvent aider à promouvoir le rôle de la culture.
Les politiques culturelles doivent être fortes. Ce n’est
Ils peuvent également offrir des lignes directrices sur les
qu’à cette condition qu’une interaction fructueuse avec
principaux éléments à prendre en compte dans l’élabo-
les domaines social, économique et environnemental
ration de la politique culturelle.
peut se développer. La culture peut être considérée
comme le quatrième pilier du développement urbain. Il
Le secteur culturel et les autorités locales peuvent être
faut toutefois veiller à ne pas considérer cette structure
encouragés à coopérer au sein de plateformes et
“en quatre piliers” comme autant de silos indépendants :
réseaux ayant vocation à favoriser l’échange d’informa-
des projets très intéressants peuvent jaillir d’interac-
tions sur le rôle de la culture dans la dimension physi-
tions entre ces piliers.
que de la régénération urbaine.
Le service municipal de la culture doit être impliqué
Ces plateformes et réseaux pourraient devenir les leviers
dans tous les services de la régénération urbaine et du
des processus de formation, et ainsi aider à combler
développement. Ses principes d’organisation doivent reflé-
une double lacune : tout d’abord, le rôle de la culture
ter le rôle central de la culture dans l’aménagement
n’est pas encore bien appréhendé par le secteur de la
urbain, et le personnel doit être partie prenante dans tous
régénération urbaine (professionnels du fo nc ier, du
les services de régénération urbaine et de développement.
s o c ial ou enc o re de l’écono m ie) ; ensuite, les age nts
culturels méconnaissent souvent les processus de régé-
La relation entre le service culturel et le service
nération urbaine.
urbanisme doit être directe, et doit intervenir à toutes
les étapes de la planification. Le processus d’élaboration
La présence de “créateurs” étant particulièrement
d’un schéma directeur ou métropolitain doit impliquer
recherchée, de nombreuses villes ont choisi d’améliorer
les professionnels de la culture.
le rôle de leur infrastructure en faveur de la créativité.
Il est primordial d’élaborer une vision à long terme,
Dans ce contexte, les politiques et programmes destinés
indépendante des cycles politiques et basée sur des par-
à attirer des créateurs en quête de qualité de lieu revê-
tenariats public-privé-associatif. Cette approche s’est
tent une dimension physique évidente. Même si diver-
révélée être un élément clé du succès des stratégies de
sité, authenticité et identité d’un lieu sont difficiles à
régénération. Notons que la méthode la plus courante
mesurer, ces notions permettent d’appréhender ce que
pour la régénération d’une zone fait intervenir des par-
recouvre la notion de “qualité d’un lieu”.
tenariats public-privé-associatif.
Pour qu’il y ait contact, et donc interaction entre
Une stratégie culturelle est un outil permettant notam-
citoyens, les espaces publics sont nécessaire s. De nos
me nt de créer de la cohésion da ns le secteur culture l ,
jours, ces derniers sont plus variés et “accueillent da v a n-
et d’établir de nouveaux partena r iats ent re le secteur
t a ge d’activités réalisées par un public plus diversifié”. Il
culturel et les autres acteurs urbains (éducation, tou-
devient par conséquent plus difficile de les créer, de les
risme, emploi…). Elle constitue également un moyen
gérer et d’en assurer la maintenance.
d’attirer davantage de ressources vers les projets culturels et d’établir une ligne directrice pour la planification
De la même manière, il est nécessaire d’organiser des
physique ou le plan directeur.
événements culturels ayant pour fonction de catalyser
Culture
et urbanisme
les processus de régénération. Qu’ils soient totalement
peuvent inclure une transformation “symbolique” d’un
inventés ou qu’ils réinterprètent d’anciennes traditions,
territoire. Celle-ci peut comprendre un nouvel élément,
la palette est large.
comme un bâtiment, une sculpture ou de nouveaux
espaces publics.
Pour combattre la fra g me nt a t ion, pour que les citoyens
fa s s e nt le lien ent re eux, on utilisera avec profit des
L’apparition, à certains endroits, du phénomène de gen-
itinéraires culturels.
trification doit susciter une réponse de la part du processus de régénération (relogement des locataires, aides
L’instrument clé d’un équipement culturel réussi est le
en terme d’accession à la propriété, cofinancement en
programme, qui spécifie entre autres sa mission, ses
vue de projets de réhabilitation…). Les plans de régé-
buts et ses objectifs spécifiques.
nération doivent être participatifs, transparents, pensés
à long terme et ouverts à des partenariats nationaux et
À cet égard, la localisation de nouveaux équipements
européens pour favoriser un processus interactif de com-
culturels est souvent un problème épineux qui exacerbe
paraison, d’échange et d’apprentissage.
la concurrence entre les territoires. Une stratégie culturelle adaptée peut analyser ces tensions et apporter des
Pour élaborer leur propre projet de développement
réponses basées sur l’égalité des chances pour les habi-
urbain, les villes sont à la recherche de “bonnes prati-
tants d’accéder à ces équipements culturels.
ques” dont elles pourraient s’inspirer. Les partenariats,
nationaux ou européens, favorisent le processus interac-
L’implic a t ion de la société civile et des associations
tif de comparaison, d’échange et d’apprentissage. On
locales da ns le processus de conc e p t ion et d’élabora-
encouragera donc, avec profit, la participation des ser-
t ion de nouveaux espaces urbains re n fo rce les lie ns
vices culture dans les réseaux européens tels qu’URBACT
sociaux.
ou Eurocities Culture Forum.
Tout aussi importante est l’implication du secteur
■ Au niveau national :
privé dans les stratégies de régénération. Sans de nouveaux investissements privés, le lancement de projets
Les gouvernements pourraient donner des lignes direc-
inédits dans un quartier devient en effet très difficile.
trices pour l’élaboration de stratégies culturelles loca-
Des actions spécifiques pour attirer ces investissements
les, en établissant par exemple des programmes intermi-
seront donc nécessaires.
nistériels entre ministères de la Culture et d’autres
ministères. La mise en place, avec les collectivités loca-
Les professions de la culture ne doivent pas être consi-
les, de processus de consultation préalable fiables por-
dérées comme des instruments, mais comme des acteurs
tant sur les aspects de faisabilité et les structures de
du développement urbain : elles apportent une contri-
gouvernance constituent une condition de succès pour
bution originale que “nul autre ne peut apporter”. Elles
les programmes nationaux.
doivent à ce titre être reconnues et impliquées dans le
processus de régénération.
Étant donné le manque de connexion entre les initiatives de régénération urbaine menées par les villes d’un
Les villes et quartiers concernés par la régénération doi-
même pays, les gouvernements pourraient créer des pla-
vent développer la relation des habitants à l’innovation
teformes et réseaux. L’idée serait d’échanger des infor-
et à la prise de risque : les processus de régénération
mations et de discuter du rôle joué par la culture dans
Culture
et urbanisme
la dimension physique de la régénération urbaine de ces
rait probablement le remplacement, dans les concepts
villes.
c e nt raux, de “régénération urbaine” par “développement
urbain”.
Afin de garantir l’égalité d’accès et de participation, les
investissements et dépenses d’exploitation des gouver-
Aucune structure adéquate d’évaluation des program-
nements nationaux et régionaux dans le domaine de la
mes et de capitalisation n’a, à ce jour, été développée.
culture doivent répondre à un équilibre géographique.
URBACT est un bon exemple de démarrage de ce processus de capitalisation des informations connexes à la
Il a été observé que les limites commu nales consti-
régénération urbaine en Europe. Le processus doit être
t u e nt souvent un obstacle à la compréhe ns ion de la
porté plus avant, ce qui constituera l’un des objectifs du
métropole, et par là même à l’élabora t ion de politiques
programme URBACT II.
et de pro g ra m mes appro p r i é s. Les tenda nces urbaines à
la ghe t t o ï s a t ion et à la fra g me nt a t ion physique doi-
Les politiques culturelles sont considérées à tort comme
v e nt do nc être traitées à un niveau approprié. C’est au
des questions purement nationales. L’int é g ra t ion
m i n i s t è re des Adm i n i s t ra t io ns locales et publiques qu’il
européenne nécessite des politiques et des incitations
re v ie nt de stimuler la coopéra t ion int e rc o m mu nale
qui complètent les dispositifs nationaux. Pour ce faire,
pour do n ner une cohére nce politique aux villes
il est nécessaire que l’information circule davantage, de
c o nt e m p o ra i ne s.
manière à engendrer de nouvelles idées.
Au cours des dernières années, certaines autorités régio-
À cause du manque de priorité accordée encore par
nales ou nationales ont lancé des programmes de régé-
l’Europe à la culture et aux politiques culturelles, l’Union
nération urbaine au niveau des quartiers. Il est fonda-
et les États membres perdent des avantages concurren-
mental que les futurs programmes de ce type incluent la
tiels à l’échelle mondiale. L’Europe a donc besoin d’une
culture et qu’ils fournissent des informations et des
stratégie culturelle qui doit devenir partie intégrante
lignes directrices. L’objectif est en effet de permettre
de la stratégie européenne de croissance et de cohésion.
aux collectivités locales qui répondent à l’appel d’offre
de développer une “infrastructure culturelle” et des
Cette stra t é g ie culturelle euro p é e n ne doit être basée
“processus culturels” forts dans leur programme.
sur les villes, car les faits mo ntre nt que la compétitivité
d ’ u ne ville croît lorsqu’elle développe une stra t é g ie
■ Au niveau européen :
culturelle. Des fonds struc t u rels do i v e nt créer un cadre
culturel fort, permettant aux villes de comparer et
Il n’existe pas encore de politique urbaine européenne
d’évaluer leurs politiques dans ce domaine.
définie comme un ensemble cohérent de principes associés à des programmes à long terme et à des schémas de
Les fonds structurels pourraient également être utilisés
financement. Toutefois, Urban et PPU (Programme par-
pour créer une plateforme d’apprentissage européenne
ticulier d'urbanisme) pourraient être considérés comme
afin que les villes échangent leurs expériences sur cha-
des embryons. Des voix, provenant d’autorités locales,
que type spécifique d’i n f ra s t r u c t u re culture l l e :
du monde de l’université et de la recherche, demandent
musées, bibliothèques, centres culturels…
que l’Union européenne crée non seulement des programmes, mais aussi des politiques. Le passage de l’ins-
Ces fo nds pourra ie nt enfin enc o u ra ger les villes, mais
trument “programmes” à celui de “politiques” implique-
aussi les régio ns et les États, à i n vestir dans des
Culture
et urbanisme
équipements culturels en re l a t ion avec des pro g ra mmes de régénéra t ion urbaine. Ces équipeme nts ont, en
effet, une valeur culturelle intrinsèque (qu’elle soit
esthétique, artistique ou symbolique…) ; ils sont égaleme nt des moteurs pour la création de nouveaux
e m p l o i s, l’interaction sociale et la régénéra t ion phy s ique et environnementale.
Culture
et lien social
Thème
3
La dimension sociale
1
Présentation
de la thématique
cohabitation, sur un même territoire urbain, d’habitants
dotés de ressources et d’origines culturelles et religieuses différentes.
■ Les faits. De novembre 2005 à mai 2006, la série
d’événements graves que l’Europe a connus pose la ques-
Les analystes proposent, en premier lieu, des explica-
t ion de la vie commu ne dans nos cités. En novembre
tions économiques, parmi lesquelles le chômage mas-
2005, suite à la mort de deux adolescents de Clichy-sous-
sif et les déficits de ressources sont les plus fréquem-
B o i s, la banlieue parisienne s’embrase. Les émeutes se
ment mentionnés. Car les banlieues en France, par exem-
propagent dans plusieurs villes françaises, occasionnant
ple, rassemblent le plus grand nombre de ménages pau-
70 000 faits de violences urbaines en à peine quelques
vres (26 % contre 10 % en moyenne nationale) et le plus
semaines. Au Royaume-Uni, des affro ntements se pro du i-
grand nombre de chômeurs, particulièrement jeunes (30
sent entre commu nautés asiatiques et afro-caribéennes à
à 40 % dans certains quartiers). Ces explications ne sont
B i r m i ngham, entraînant un mort et plusieurs blessés.
toutefois pas suffisantes : certaines villes présentant les
Enfin, une série ininterrompue de meurtres racistes et
mêmes caractéristiques, comme Marseille ou Roubaix,
xénophobes s’est déclenchée à Anvers, à Berlin et dans
n’ont pas été touchées par le phénomène.
la partie orientale de l’Allemagne. Dans ce dernier cas, la
Viennent ensuite des explications culturelles : la coha-
situation dans certaines villes était telle qu’une mise en
bitation entre des communautés et des individus d’ori-
garde offic ielle fut adressée aux “gens de couleur” pour
gines et de cultures différentes poserait un grave pro-
leurs déplacements.
blème. La discrimination à l’embauche et au logement
est un fait avéré qui se superpose en général à l’inéga-
■ Les explications. Ces divers événements n’ont ni la
lité des ressources. Là encore, ces explications ne sont
même origine, ni la même dimension ; mais ils ont en
pas, à elles seules, probantes : de nombreuses villes
commun de poser la question, centrale et urgente, de la
européennes conna i s s e nt des populatio ns d’origine
Culture
et lien social
étrangère importantes sans que cela entraîne ipso facto
terme – constituent un ensemble de représentatio ns, de
des affrontements meurtriers.
valeurs, de pratiques, de rituels propres à un groupe
social. L’hypothèse retenue par le réseau Culture consiste
Les explications politiques insistent sur le rôle de l’ex-
à dire que la régénération urbaine doit aller de pair avec
trême droite : ce sont les partis politiques ouvertement
un mo u v e ment qui favorise l’expression de ces cultures ;
racistes et xénophobes qui attiseraient directement l’af-
elle doit dépasser la simple cohabitation de cultures dif-
frontement entre communautés. Si en Belgique, en
férentes et doit favoriser le dialogue interculturel.
France et aux Pays-Bas, les partis d’extrême droite ont
remporté certains succès électoraux, ni l’Allemagne ni la
Aujourd’hui, les villes sont multiculturelles. Si des indi-
Grande-Bretagne n’ont connu pareil phénomène lors des
vidus ou des groupes d’origines et de cultures différen-
dernières élections, et ce malgré un taux très élevé de
tes y cohabitent plus ou moins pacifiquement, ces grou-
communautés étrangères.
pes sont isolés, sans lien entre eux. La mise en relation
de ces cultures constitue l’enjeu essentiel des cités
■ Les enjeux. La problématique proprement sociale du
contemporaines.
tissu urbain actuel se situe donc au croisement de ces trois
niveaux d’explications. Dans les quartiers qui combinent
Les émeutes et les incidents xénophobes ne doivent pas
inégalité des ressources, discrimination par l’origine ou la
faire oublier que la régénération culturelle est aujourd’hui
race et climat politique délétère, la dimension sociale de la
à l’œuvre et qu’elle a déjà produit des résultats signific a-
régénération urbaine apparaît très nettement.
tifs dans bon nombre de villes. Les projets et pratiques
relevés dans un ensemble important de villes du réseau
L’adjectif social souligne la marque d’une relation : rela-
URBACT n’ont pas la prétention de résoudre les problèmes
tions entre individus et communautés, ent re cultures dif-
sociaux auxquels les villes sont confrontées. En revanche,
férentes, entre citoyens, partis et élus politiques. Dans
on doit considérer qu’ils ouvrent un champ d’expérime n-
cette acception, “social” ne définit plus seulement l’aide
tation fertile sur les voies et les moyens nouveaux pour
apportée par une collectivité publique aux plus démunis,
v i v re ensemble dans la ville.
mais également un ensemble de relations tissées au sein
d’une “communauté urbaine”. La régénération urbaine
À partir de là, trois enjeux essentiels pour les temps à
pose donc la question fondamentale du lien social au sein
venir ont été identifiés :
d’une collectivité urbaine : comment vivre ensemble ?
• Comment la culture peut-elle contribuer à la lutte
contre les inégalités sociales, contre toutes les formes
Dans ce contexte, la culture peut-elle jouer un rôle posi-
d’exclusion et de ségrégation liées au revenu ou à la
tif dans le développement des relations entre les habi-
position sociale ?
t a nt s, entre les communautés ? Peut-elle contribuer à
• Comment la culture peut-elle contribuer
reconstruire le lien essentiel d’urbanité, de coexistence
à la cohabitation entre individus et groupes d’origines
des individus et des groupes dans la cité contemporaine ?
différentes, et favoriser un véritable échange
La réponse peut être assurément positive si on ne re s-
interculturel ?
treint pas la culture à cet ensemble d’institutio ns ou de
• Comment mettre en place des politiques culturelles
manifestations artistiques (on pense là au théâtre, à
favorisant l’expression de la mise en valeur de
l’opéra, aux musées…) qui constitue les emblèmes tra d i-
la diversité culturelle, alors que les instruments
tionnels. Adoptons une acceptation plus large : la cul-
traditionnels sont déjà confrontés à un manque
t u re, ou plutôt les cultures – au sens anthropologique du
de ressources financières ?
Culture
et lien social
■ Un double défi. Les villes sont soumises à un double
variables et selon les statuts – à l’administration et à la
défi. Tout d’abord, elles sont confrontées à une ségréga-
gestion du centre. Ce modèle d’établissement relevant
tion spatiale. Villes multipolaires, villes “fragmentées”,
du secteur socioculturel s’est propagé dans de nombreu-
villes “en miettes” dotées d’une polarisation sociale très
ses villes européennes, dans le but d’assurer l’animation
marquée… les expressions ne manquent pas pour quali-
globale des quartiers ou d’une ville. Leurs titres (foyers,
fier le phénomène. Quartiers “de défaveur” d’un côté où
c e nt re s, commu nautés) sig na l e nt bien l’objectif
se concentrent ménages pauvres, migrants et chômeurs;
re c he rché : rétablir du lien, de la sociabilité, de la
quartiers où se rassemblent les plus riches de l’autre ;
c o m mu n ic a t ion et de la re l a t ion sociale da ns les cités
quant aux classes intermédiaires, elles fuient vers des
cont e m p o ra i ne s.
périphéries de plus en plus éloignées. La question à
laquelle doivent répondre les pouvoirs publics n’est alors
L'ouverture d'une centre social à Evosmos
plus seulement celle de la mixité de l’habitat, mais aussi
E nt re 1990 et 2001, la population d’Evosmo s, une des
celle de la cohésion sociale urbaine.
mu n icipalités de la conu r b a t ion de Thessalonique, a
c o n nu un accro i s s e me nt cons id é ra b l e, passant de
Second défi, la ségrégation sociale s’intensifie dans les
26 000 à 55 000 habitants ; cette nouvelle population,
villes européennes. La mondialisation économique, la
constitué principalement de réfugiés politiques pro v e-
désindustrialisation et la montée corrélative d’un chô-
nant des pays de l’Est, souffre du chômage (18 %) et de
mage de masse entraînent une inégalité croissante en
problèmes d’intégration.
terme de ressources. Le rejet de certaines communautés
En 1996, la municipalité ouvre un centre social destiné
se traduit dans une discrimination plus souterraine et
à répondre à toutes les questions, à tous les défis
plus subtile, dans les difficultés d’embauche, de loge-
sociaux qu’elle rencontre. Accueil et aide sociale pour
ments, de loisirs.
les familles nécessiteuses, accueil et aide aux chômeurs,
aide et conseil juridique, accueil et conseil aux parents
Pour répondre à ces défis, les villes européennes doivent
sur l’école ; en parallèle, le centre développe un ens e m-
adopter une approche globale, à la fois sociale et cultu-
ble d’activités de formation : un département de forma-
relle, dont le maître mot est : rétablir, régénérer le lien
tion à l’informatique, de photo, de céramique, de coupe
social au-delà de toutes les segmentations, divisions,
couture, un département de musique pour enfants et
clivages à l’œuvre dans les villes européennes.
adolescents, un département d’apprentissage du grec,
de l’italien et de l’espagnol, mais aussi un jardin d’enfants et des activités créatives pour les plus jeunes.
2
Les différentes fonctions
du centre social ou socioculturel
Au cours des tre nte dernières années, la crise socia l e
a profo nd é me nt remis en cause ce modèle établi après
■ Une activité permanente de formation. Les diffé-
la seconde guerre mo nd ia l e, et qui a connu son plein
rentes appellations attribuées au secteur socioculturel –
é p a no u i s s e me nt penda nt les Tre nte Glorie u s e s. Alors
Soziokultur en Allemagne, Community Arts en Grande-
qu’ils sont subme rgés par une de ma nde massive d’as-
Bretagne – présentent des traits communs : il s’agit
s i s t a nce socia l e, alors que la confro nt a t ion avec les
généralement d’équipements de proximité couvrant un
j e u nes des qua r t iers est parfois vio l e nte et que les
territoire précis, au sein desquels l’éventail des activités
r é ductio ns budg é t a i res sont inc e s s a nt e s, les cent re s
pratiquées est extrêmement large et divers, et dont les
socioculturels conna i s s e nt une crise ma j e u re, ent ra î-
membres participent couramment – sous des formes
na nt du même coup une remise en cause ra d icale du
Culture
et lien social
modèle d’animation globale sur lequel leur action
très peu selon les pratiques culturelles proposées.
reposait.
• Tous les efforts de démocratisation culturelle
proposés depuis plus de quarante ans n’ont abouti qu’à
La solution de facilité serait de nier et de rejeter ces
un résultat très marginal, l’héritage culturel familial
équipements de proximité. Il serait aujourd’hui mieux
jouant un rôle majeur dans ce domaine.
approprié de leur attribuer des missions plus précises et
• Les pratiques musicales ou théâtrales amateurs
plus limitées, pour en faire :
concernent un volant social beaucoup plus large de la
• des lieux de formation, ou plutôt d’éducation,
population, mais sans relation avec la consommation
en s’inspirant du mouvement d’éducation populaire
de l’offre culturelle institutionnelle.
né au tournant du siècle dernier mais en lui donnant
résolument une couleur contemporaine ;
Ceci amène au constat que si l’offre culturelle traditionnelle
• le premier échelon de l’éducation à la culture
des institutions crée bien du lien social, ce dernier ne fonc-
scientifique et technique, les musées et centres
tionne qu’à l’intérieur d’un groupe bien défini. Ainsi, bien
scientifiques en constituant le sommet comme à Na p l es;
que les instruments traditionnels des politiques publiques
• la base d’ateliers de pratiques artistiques,
de la culture correspondent à la fois à une nécessité natio-
de projets artistiques menés par des artistes du lieu,
nale et locale de renouvellement de la création cont e m p o-
une démarche dont le centre socioculturel servirait
raine, et à la fois à une nécessité en termes d’image et de
également le rayonnement et la diffusion ;
valorisation de la qualité de la vie urbaine, ils trouvent
• des centres d’apprentissage des langues en dehors du
leurs limites en tant que support du lien social.
système scolaire – à l’instar d’une Maison des langues
en projet dans la région parisienne – pour permettre
Pour dépasser ces limites, différents moyens sont utili-
à la fois aux migrants l’apprentissage de la langue
sés par les collectivités locales :
du pays d’adoption, et à tous les autres l’apprentissage
• la création de résidences artistiques : invitation dans
des langues des migrants et de toute autre langue
une ville de groupes de théâtre, d’écrivains et
du monde, dans une perspective d’échange mutuel
de chorégraphes pour la réalisation d’une production
des langues et des savoirs ;
artistique ;
• la mise en place, par un centre socioculturel ou
■ Le centre culturel, base d’un développement social
un établissement scolaire avec des artistes
urbain. L’éventail des centres culturels est très large. Il
professionnels, d’ateliers de pratiques artistiques selon
existe deux pôles extrêmes : ceux qui s’attachent exclu-
un rythme hebdomadaire ;
sivement à la diffusion de produits culturels, et ceux qui
• le montage de projets par des institutions
s’attachent avant tout à favoriser la participation et
culturelles : au-delà du secteur pédagogique des musées,
l’implication des habitants, avec des positions intermé-
de nombreuses institutions culturelles en Europe
diaires jouant sur la participation et la diffusion à des
tentent d’élargir leur impact social traditionnel et
degrés divers.
d’explorer de nouvelles relations à la ville et au quartier. C’est le cas notamment de certains musées
Statistiques à l’appui, les études de socio l o g ie de
en Grande-Bretagne et au Portugal. À l’occasion du
la culture ont démontré les points suivants :
passage du millénaire, le musée de Newcastle
• La consommation de produits culturels concerne les
a demandé aux habitants de la ville de fournir un objet
classes moyennes supérieures disposant d’un diplôme
représentatif de leur vie quotidienne pour l’intégrer
universitaire, soit 10 à 15 % de la population, et varie
à sa collection.
Culture
et lien social
Toutes ces démarches de démocratie culturelle et/ou de
à des fins culturelles ou toute création d’industries nou-
participation des habitants à la vie culturelle restent
velles. À Glasgow, la sauvegarde d’un ancien clocher
encore minoritaires. Mais elles représentent un énorme
d’église sur Royston Road a permis de mettre au point
potentiel de reconstitution du lien social et de valorisa-
un projet de développement durable de l’ensemble du
tion des groupes sociaux exclus de “l’offre culturelle
quartier, porté par les habitants.
classique”. Elles perme t t e nt notamme nt d’ouvrir le
champ social de la culture et d’offrir, pour un coût mar-
Enfin, implanter des œuvres d’art dans l’espace public ne
ginal, un impact important sur la cohésion sociale
correspond pas seulement à une recherche d’ordre déco-
urbaine, de justifier par un rayonnement social plus
ratif ou esthétique : il s’agit de contribuer, symbolique-
large le financement public des institutions culturelles
ment, au phénomène d’intégration des quartiers dans
en place, et de permettre, dès la scolarité, une initiation
une agglomération urbaine. Bien sûr, ces implantations
aux démarches artistiques. Pour ce faire, il est néces-
doivent être concertées avec les habitants, afin que
s a i re de coordo n ner l’action mu n icipale da ns les
l’appréhension de la signification de ces œuvres soit
domaine éducatif, social et culturel.
commune. Ce fut le cas à Strasbourg, où des paroles
d’habitants ont été “transfigurées” par des artistes
■ Des projets liés au cadre de vie et au déve l o p p e-
locaux tout au long d’une ligne de tram.
ment durable : m é mo i re des qua r t ie r s, réaffectation
de l’espace social à des fins culturelles ou d’indu s t r ies
Il ne s’agit ni plus ni mo i ns que de respect. Respecter
no u v e l l e s.
la mémo i re, l’histoire commune attachée à un territoire
urbain. Respecter la parole des habitants au mo me nt de
Les projets qui concernent le cadre de vie et le dévelop-
l ’ i m p l a nt a t ion d’œuvres d’art publiques da ns leur
pement durable intéressent au premier chef la dimension
espace de vie. Un qua r t ier et, à plus forte raison une
physique de la régénération urbaine. Leur impact social
ville, sont des espaces symboliques et ima g i na i re s,
symbolique important ne doit cependa nt pas être
caractérisés par leur fragilité. Toute intervent ion peut
négligé. C’est ainsi que la destruction des immeubles
développer un tissu symbolique, le sent i ment d’appar-
dans les grands ensembles urbains, qui vise à réduire la
t e na nce et d’ide ntité de ses habitant s, elle peut égale-
densité de l’espace bâti, représente une cassure dans
me nt le détruire.
l’appréhension de la mémoire par ses habitants. La
mémoire collective d’un quartier étant un puissant fer-
■ Des projets favorisant les relations entre les com-
ment d’identité et d’appartenance pour ses habitants,
munautés culturelles ou religieuses. Ces projets se
un ensemble important de projets culturels s’attache à
caractérisent par deux démarches : d’une part, le par-
cet aspect sous la forme de publications, de films, d’ex-
tage de valeurs artistiques universelles, d’autre part la
positions. C’est notamment le cas à Turin, à Naples, mais
mise en valeur des traits spécifiques d’une communauté
aussi, pour de nombreux projets, en Grande-Bretagne,
religieuse, culturelle et ethnique.
en Suède et en France.
Dans la première approche, c’est bien l’individu qui est
De même, au cours des trente dernières années, les pro-
appelé à partager des valeurs artistiques universelles,
cessus de désindustrialisation massive ont laissé en fri-
quelle que soit son origine, sa religion ou sa condition
che de nombreuses usines. Or la mémoire industrielle est
sociale. C’est le cas des centres culturels MAC et REP à
un élément fondamental de la réappropriation de l’es-
Birmingham, mais aussi de la Condition publique à
pace social symbolique, et ce avant toute réaffectation
Roubaix.
Culture
et lien social
La baraque de la Condition publique à Roubaix
complémentaires. La Convention sur la protection des
contenus culturels et des expressions artistiques, votée
Ancien entrepôt de laine et de soie de 13 000 m , la
à une très large majorité par l’UNESCO le 21 octobre
Condition publique à Roubaix a bénéficié d’importants
2005, précise que “la protection et la promotion de la
travaux de restauration entre septembre 2003 et mars
diversité des ex p re s s io ns culturelles impliquent la
2004. Pendant toute cette période, la baraque de chan-
reconnaissance de l’égale dignité et du respect de tou-
tier s’est imposée comme un lieu central, ouvert aux
tes les cultures, y compris celle des personnes apparte-
ouvriers, à l'équipe du projet, aux architectes, finan-
nant aux minorités et celle des peuples autochtones”.
ceurs, techniciens, élus, voisins, amis et étudiants. Un
Cette convention entrera en vigueur lorsque trente pays
café y était installé, ainsi qu'un espace de projection
l ’ a u ro nt ado p t é e. La dime ns ion no r mative qu’elle
présentant les plans de la reconversion de la Condition
acquerra alors bouleversera les politiques culturelles et
publique ; on pouvait également y découvrir les pro-
sociales mises en œuvre.
2
jets culturels et architecturaux, ainsi qu'une vue en
trois dimensions du bâtiment ; une exposition de pho-
Les bouleversements et mutations des repères tradition-
tographies montrait l'évolution des travaux et le travail
nels (entre les sexes, les religions, dans les familles)
des ouvriers ; la baraque abritait également un espace
posent la question d’un processus d’identité culturelle
de discussions et de réunion, un endroit où l'on pou-
fragilisé, qui concerne aussi bien les autochtones que
vait partager de la cuisine traditionnelle ; des concerts
les migrants. Un tiers des personnes de nationalité fran-
et des projections y étaient également proposés, ainsi
çaise ont une origine étrangère, ce qui devrait amener
qu'un cours public d'architecture.
chacun d’entre nous à réfléchir à son identité et à
L’idée était à la fois de présenter le projet architectu-
reconnaître les apports multiculturels qui la composent.
ral à travers différents événements, mais aussi d’ouvrir
l’entrepôt au public et d’instaurer de nouvelles formes
La multiculturalité des villes contemporaines, au sens de
de communications entre tous les acteurs de la restau-
communautés culturelles isolées, est avérée. Le vérita-
ration. À cet effet, un budget de 40 000 euros a été
ble enjeu est en fait la reconnaissance mutuelle de ces
alloué pour gérer la baraque et sur les six personnes
cultures. D’où la question : comment passer d’une
recrutées en contrats de solidarité, deux ont été
société multiculturelle à une société interculturelle ? Le
e m b a uchées définitiveme nt par la suite. Lorsque la
sociologue belge Éric Corijn l’affirme : dès lors que les
Cond i t ion publique a ouvert ses portes, pas mo i ns de
urbains ne partagent pas de racines communes, “un pro-
10 320 personnes avaie nt participé au projet. Ses ini-
jet qui fasse lien social ne peut pas être identitaire, mais
tiateurs ont toutefois noté des difficultés pour assu-
métissé, hy b r ide”. Différe nts projets donne nt des pistes
rer un mixa ge adéquat de personnes d’orig i nes très
de réflex ion pour me t t re en place ce projet social et
d i v e r s e s.
culturel, métissé et hybride. Ils mettent tout d’abord en
valeur l’apport des migrants à une communauté natio-
Dans le deuxième cas, même si les centres sont ouverts
nale (par exemple la Cité de l’immigration à Paris) et
à des visiteurs n’appartenant pas à une communauté
organisent la rencontre et la confrontation des cultures.
religieuse, culturelle, ethnique ou régionale, il s’agit
Ainsi la Casa musicale de Perpignan assure l’expression
avant tout d’en mettre en valeur les traits spécifiques.
et la formation musicale des habitants des quartiers
Sous réserve que commu nauté ne de v ie n ne pas syno-
gitans ou maghrébins. Certains musées, certaines biblio-
ny me de repli commu na u t a r i s t e, les appro c hes indivi-
thèques ont entrepris une action déterminée : livres
duelles ou collectives ne sont pas exc l u s i v e s, mais
étrangers mis en rayon, sous-titrage dans les cinémas et
Culture
et lien social
les théâtres à destination des communautés étrangères
Mais il arrive souvent que les projets culturels des villes
de la ville… Le secteur commercial peut aussi jouer un
européennes soient isolés et divisés entre champs artis-
rôle : dans un quartier de Vienne, le marché a servi de
tiques et institutions supports, sans réelle cohérence au
décor à un commerce culturel entre les habitants de
niveau de la ville. Ils sont souvent accomplis sans véri-
communautés différentes et les artistes locaux. On
table stratégie de communication, sans l’appui d’une
assiste également à la multiplication des festivals et
politique culturelle d’envergure. Et souvent, faute d’une
fêtes interculturelles. Enfin, rap, danse et graffeurs du
politique culturelle à moyen et long terme, ces projets
mo u v e ment hip-hop représentent un moteur interculturel
naissent et meurent.
puissant.
Pour améliorer cet état de fait, il est important :
Pour positives qu’elles soient, ces actions ne peuvent
• d’organiser des manifestations culturelles regroupant
faire oublier les tensions, les discriminations dont les
un ensemble important de projets dans une démarche
personnes d’origine étrangère font encore l’objet dans
artistique commune qui soit à la dimension d’une ville
nos cités. C’est pourquoi un immense effort de partage
ou d’une agglomération urbaine ;
des cultures et de pluralisme culturel reste encore à
• d’inscrire cette manifestation dans la durée, suivant
accomplir au plan national comme au plan local.
un rythme bisannuel ou semestriel, qui se répète
d’année en année ;
■ Les projets qui mobilisent l’ensemble d’une agglo-
• d’offrir un événement qui regroupe et manifeste
mération urbaine par une manifestation commune.
la cohésion d’une cité ;
Ces projets reposent sur une manifestation commune,
• de favoriser l’expression et la participation
facteur de cohésion sociale urbaine, ou sur la promotion
des habitants, quels que soient leur origine et
de la jeunesse et des nouvelles technologies.
leur statut social ;
Que ce soit l’Art Fest de Birmingham, le défilé de la
• d’offrir une plateforme artistique de qualité ;
Biennale de la danse de Lyon ou la Zinneke Parade de
• d’entreprendre une véritable communication
Bruxelles, tous ces projets possèdent des caractéristi-
de cet événement citoyen.
ques communes :
• une préparation longue durée de 12 à 18 mois ;
Il est important de souligner que, lorsqu’il n’y a pas seu-
• une coproduction intense entre artistes et groupes
lement consommation mais bien une réelle participa-
d’habitants ;
tion, les arts dans l’espace public, le théâtre de rue et
• une manifestation d’envergure investissant le centre-
la chorégraphie urbaine permettent une reconquête de
ville ;
la ville par ses habitants.
• une résonance médiatique nationale importante ;
• des coûts conséquents en matière de financement et
■ Centre culturel, lieu de promotion de la jeunesse
de logistique ;
et des nouvelles technologies. De plus en plus de cen-
• une mobilisation des habitants et des spectateurs
tres culturels ambitionnent d’être des lieux de forma-
qui permet une forte cohésion sociale symbolique.
tion, dotés d’approches et de démarches pédagogiques
fondamentalement différentes. Ils font appel aux nou-
Ces projets sont le fait de métropoles nationales ou
velles technologies qui non seulement représentent des
régionales importantes. Ils ouvrent cependant une voie
outils de communication, mais apparaissent aussi comme
décisive dans la cohésion sociale urbaine des villes de
des “symboles essentiels de modernité”. Cette volonté
moindre importance.
de formation et ce recours aux nouvelles technologies
Culture
et lien social
mu l t i m é d ia destinent ces centres à un public jeune ; et
i nt e r na t ionale et s’inscrivent dans un ensemble de
cette conjonction concerne plus particulièrement le sec-
réseaux européens. Par rapport à l’approche tradition-
teur artistique. En d’autres terme s, les centres culturels
nelle, ces démarches placées sous le signe de la moder-
se “préoccupent moins de l’exc l u s ion sociale que de l’in-
nité et des nouvelles technologies représentent une
c l u s ion des artistes et des jeunes dans des projets
alternative qui mérite d’être étudiée.
ma j e u r s ”. Pour preuve, la friche des anciennes casernes
de Maribor (Pekarna), lieu culturel alternatif édifié sur le
Selon la dimension des villes et des agglomérations
modèle des friches culturelles européenne s.
urbaines, les pratiques exemplaires ne relèvent pas de la
même démarche. Mais on peut observer que c’est la
Le réseau Pekarna à Maribor
conjonction entre une forte volonté politique et un terrain artistique motivé qui permet le mieux de dévelop-
Le réseau “Pekarna” a été créé dans le quartier de
per du lien social. À cet égard, c’est le pôle culturel de
Magdalena au sein d'une ancienne caserne de l'armée
Naples qui a entrepris la démarche la plus innovante et
yougoslave, en partie ex-entrepôt de farine militaire
la plus globale.
construit avant la seconde guerre mondiale. En 1992,
ce lieu avait été promis par la municipalité de Maribor
La réussite du pôle culturel de Naples
à des activistes qui souhaitaient le destiner à des activités culturelles et artistiques. Mais la municipalité
La municipalité de Naples a mis en place et financé un
étant revenue sur son engagement, l’endroit avait fini
plan pour améliorer la qualité de vie dans les ban-
par être squatté deux ans plus tard et ce n’est qu’en
lieues. La promotion de l'éducation est vue comme une
1999, à la suite de la création d’une ONG privée char-
des meilleures façons de combattre les problèmes de
gée de traiter avec les autorités, que le réseau Pekarna
disparités sociales. La promotion de ces activités édu-
a reçu sa première subvention régulière du gouverne-
catives (théâtre expérimental, activités culturelles...)
ment. Cet organisme, qui dispose aujourd’hui d’un bud-
a pour effet d'intégrer les banlieues à la ville, qui
get annuel de 204 000 euros, de 20 collaborateurs
prend ainsi conscience de sa périphérie. L'objectif pre-
réguliers et 80 plus occasionnels, encourage et sou-
mier de ce projet vise la réhabilitation et la transfor-
tient la coopération entre des individus et des groupes
mation de quatre bâtiments propriété de la ville de
menant des activités culturelles, éducatives, de recher-
Naples en centres culturels proposant du théâtre expé-
che et humanitaires. Cette coopération peut prendre la
rimental, de la musique, de la danse, du cinéma, des
forme de programmes ou de projets. L’organisme four-
arts visuels...
nit également une assistance pour résoudre les besoins
de résidences pour des espaces créatifs, mais sert égapour la jeunesse. Subventionné à hauteur de 58 000
3
euros par la municipalité, il bénéficie aussi de l’assis-
Lutter contre l’exc l u s ion et pro mouvoir la diversité
tance du ministère du Travail, de la Famille et des
culturelle ne s’effectue pas qu’au moyen de mesures
Affaires sociales (41 000 euros), et de celle du minis-
urbanistiques, économiques ou sociales. Une régénéra-
tère de l’Éducation (22 000 euros).
tion urbaine implique une recréation, une réélaboration,
lement de service d’information et de consultation
Préconisations
un réaménagement des représentations, valeurs et symCes lieux bénéfic ia i res d’aides et de pro g ra m mes euro-
boles d’une cité. La culture est donc bien, dans ce sens,
p é e ns se pro j e t t e nt d’emblée da ns une dime ns ion
un moteur essentiel de la régénération urbaine. C’est
Culture
et lien social
dans la vie quotidienne, en agissant sur le terrain, que
Les travaux du réseau démontrent que certaines condi-
l’on peut, le mieux, développer une identité urbaine.
tions doivent être remplies pour que ces processus de
Est-ce un hasard si les incidents de la fin 2005 ont été
régénération urbaine fonctionnent :
moins nombreux à Marseille ? Ne serait-ce pas plutôt la
• une forte volonté politique, non pas seulement
résultante de l’investissement massif dans des projets
de l’adjoint à l’urbanisme mais bien de l’ensemble
culturels qui ont favorisé, chez de jeunes citoyens issus
des élus ;
de l’immigration, le sentiment d’appartenance à une
• l’implication déterminante de l’ensemble des services
ville ?
municipaux, des adjoints, institutions, associations et
habitants de la ville ;
Certes, entre une politique locale fondée sur le “laisser-
• la culture, dans ce dispositif, peut également jouer
faire, laisser-aller” et une réelle volonté politique de
un rôle éminent. Toutefois, il semble qu’au minimum
reconnaissance du lien social, il existe dans la plupart
5 à 10 % des opérations de régénération urbaine
des villes un ensemble intermédiaire de dispositifs
doivent être consacrées aux projets culturels.
divers. Mais trop souvent encore, la culture est considérée comme un adjuvant dans les grandes opérations de
Lutter contre les exclusions sociales et culturelles et
régénération urbaine.
promouvoir la diversité culturelle exige une politique
nouvelle. Cette dernière reposera notamment sur un
Or depuis les années 70, la culture a profondément
effort de longue haleine s’étendant sur plusieurs années,
c h a ngé de fo nc t ion et de statut. Elle n’est plus
sur une relation forte des élus, artistes et habitants, sur
aujourd’hui réservée aux seules classes privilégiées et
une prise en compte des cultures vécues sur le terrain,
s’est élargie à des pratiques nouvelles. De plus, dans un
sur la participation effective des habitants aux projets,
c o nt exte de mondialisation et de mutation rapide et ra d i-
et enfin sur une coordination forte des initiatives et des
cale de nos modes et styles de vie, elle constitue le lieu
projets au niveau local. Cela doit passer par au moins
privilégié où s’élaborent repères nouveaux et sociabilités
trois grands axes :
nouvelles. Elle est en fait un élément central des politiques publiques, axé autour de projets qui, par le dévelop-
• Une politique culturelle fondée sur des projets :
p e me nt de la créativité et des possibilités d’apprentissage
elle doit cibler un objectif inscrit dans le temps selon
non scolaires, favorisent l’ouverture à d’autres cultures,
des moyens définis et propre à un territoire ou
constituent de nouvelles formes de démocratie partic i p a-
à un milieu précis. Il s’agit avant tout de la réalisation
tive et impulsent une nouvelle dimension de la ville. De
d’une action associant une équipe artistique
telles démarches ont l’avantage d’avoir un coût très faible
à un milieu précis, en vue d’un résultat concret.
par rapport à celui d’une institution classique.
Cette politique culturelle, qui nécessite l’inscription
d’un fonds d’aide dans les budgets locaux, doit
■ Au niveau local : pour jouer un rôle plus important
posséder une double entrée : une entrée par les projets
dans les projets de régénération urbaine, la culture
issus de la société civile, associations, organismes et
doit s’inscrire dans un ensemble de projets et de pro-
collectifs d’habitants ; une autre par des propositions
grammes qui intéressent, dans le même temps, le cadre
venant d’artistes ou d’organismes culturels.
de vie, l’économie et la formation. Elle est trop souvent
La conjonction de ces deux entrées doit favoriser
considérée comme une variable d’ajustement à n’utiliser
l’émergence et le foisonnement des initiatives locales.
que lorsque tous les autres projets et dispositifs ont été
Ces projets sont impulsés et coordonnés par les services
arrêtés.
municipaux, qui les proposent pour décision aux élus
Culture
et lien social
dans le cadre d’un programme de développement cultu-
une métropole régionale, ce qui entraînerait une
rel urbain. Ce programme est piloté par un groupe de
désertification accrue des villes moyennes ou petites.
travail réunissant les services culturels, sociaux, de
l’éducation et ceux décentralisés dans les quartiers.
• faire circuler l’information, la rencontre et l’échange
entre les porteurs de projets, par la mise en place d’un
• Une orientation nouvelle pour les institutions
centre de ressources régional destiné à fournir la
culturelles : s’il ne s’agit en aucun cas
documentation sur les autres projets menés au plan
d’instrumentaliser l’art et la culture, son autonomie
national ou européen. Le réseau Banlieues d’Europe,
devant être préservée à tout prix. Cette orientation
qui fédère les initiatives de ce type au niveau
nouvelle devrait être inscrite dans les missions des
européen, est un bon exemple de ce type de pratiques.
institutions culturelles et pourrait s’élaborer sous
différentes formes : résidences artistiques mises en
• mettre en place la formation de médiateurs culturels
place dans les quartiers défavorisés de la ville avec une
et d’élus impliqués dans des politiques de régénération
convention précisant le cadre, le calendrier, le budget
urbaine. Une attention toute particulière devra être
et l’évaluation du résultat ; partenariats avec le
portée à la formation de médiateurs interculturels issus
système éducatif local dans le cadre de plans locaux
de diverses communautés culturelles de la région, en
d’éducation artistique et culturelle ; partenariats actifs
valorisant les acquis professionnels antérieurs.
avec les centres sociaux et les maisons de jeunes,
afin de favoriser l’irrigation du territoire urbain.
■ Au plan national : à ce niveau, la mission ne consiste
plus seulement à contribuer au financement des projets
• Une politique culturelle d’appels à projets mise en
locaux, mais également à orienter ces projets locaux sur
place sur le modèle des appels d’offres proposés dans
des voies nouvelles. Il s’agit d’une mission de réflexion
d’autres domaines : cette approche peut s’avérer
et d’orientation d’un ensemble de politiques culturelles
précieuse quand une ville constate de grandes lacunes
à refonder. Cela passe ensuite par une mission de label-
dans la mise en place d’une politique culturelle de
lisation des projets qui semblent le mieux répondre à ces
régénération urbaine, l’inexistence – voire la paralysie
orientations, puis par la mise en place d’un système de
– des institutions culturelles, ou encore l’atonie du
circulation des artistes et projets au plan national, avec
milieu associatif local. La ville peut alors procéder à
promotion dans les médias nationaux. Enfin, il appar-
des appels à projets selon une convention qui définit
tient à ce niveau national d’assurer la formation des
clairement les conditions et les objectifs des projets,
médiateurs et porteurs de projets en mettant en place,
leur calendrier de réalisation et leur budget.
en partenariat avec les universités, un diplôme reconnu
Les projets sont ensuite sélectionnés par un jury
na t io na l e ment, et de fixer les cond i t io ns de la valori-
indépendant qui motive ses décisions, puis réalisés et
s a t ion des acquis. Si un haut conseil de l’int é g ra t io n
évalués sous la conduite d’un groupe de pilotage qui
se réunit au plan na t io nal, il doit être capable d’orien-
réunit partenaires municipaux, artistes, associations et
ter les choix na t io naux da ns le do ma i ne culturel et
habitants concernés.
i nt e rc u l t u re l .
■ Au niveau régional, il est nécessaire d’assurer la cohé-
■ Au niveau européen, la culture est appelée à jouer
rence de ces politiques locales. Pour ce faire, il faut :
un rôle déterminant dans le défi auquel fait face l’Union
• veiller à un aménagement cohérent du territoire
européenne : l’intégration des nouveaux pays membres
en évitant une trop forte concentration dans
et des personnes et communautés “exclues” soit par leur
Culture
et lien social
origine, soit par leurs ressources. En mars 2005, le
Conseil économique et social européen a émis une
recommandation pour la dimension sociale de la culture,
tandis que l’UNESCO votait le 21 octobre 2005 une
Convention sur la protection des contenus culturels et
des expressions artistiques, portant sur l’égale dignité et
le respect de toutes les cultures. Dans ce contexte, la
régénération urbaine devrait être le terrain privilégié
d’application des politiques d’intégration au niveau
européen ; or ce ne sont plus les nations ou les États qui
sont en première ligne : la mondialisation économique
et la dimension européenne de toute décision politique
do n ne nt désormais aux villes euro p é e n nes – déjà
c h a m p io n nes des investisseme nts da ns le do ma i ne de
la culture – une place majeure. Le dialogue entre les villes européennes et l’Union européenne permettra donc
l’application d’une véritable politique de régénération
urbaine au niveau européen, dans laquelle la culture
jouera un rôle déterminant.
Pour réaliser ces ambitions, il est impératif que la mise
en œuvre de cette dimension essentielle d’intégration
par la culture soit effectuée dans un ensemble de programmes européens, notamment dans les programmes
intervenant sur l’urbain bien sûr, mais pas uniquement.
Les directions sociales et d’éducation sont également
concernées.
La prise de cons c ie nce au niveau de l’UNESCO et de
l ’ Un ion euro p é e n ne de v rait s’accompagner d’une prise
de cons c ie nce au niveau des villes concernées ; car la
culture n’est pas seulement un élément du marketing
des villes : elle est l’élément clé qui permet de promouvoir le sentiment d’appartenance, la capacité de recréer
et de réinventer la ville contemporaine.
Culture
et économie
Thème
4
La dimension économique
1
Présentation
de la thématique
projets de l’Union européenne dans le cadre de l’Agenda
de Lisbonne. Il s’agit là d’un changement majeur dans la
façon dont le rôle de la culture est perçu dans la société.
Les dix dernières années ont été le théâtre d’un profond
changement de la perspective économique de la culture.
Para l l è l e me nt, on assiste au développeme nt d’une
Pendant longtemps, pour les pouvoirs publics, investir
approche relativement nouvelle des activités et des ins-
dans la culture et les services culturels représentait un
titutions culturelles. À l’intérieur comme à l’extérieur du
luxe, accessible pendant les périodes d’abondance ; et
domaine culturel, la contribution de l’entrepreneuriat à
l’avantage économique direct était perçu comme relati-
l’amélioration des prestations des institutions artisti-
vement bas.
ques et culturelles est de plus en plus reconnue.
Évolution récente de la situation, de nombreux scienti-
Diverses entités – on pense aux organisations artisti-
fiques et décideurs politiques sont aujourd’hui persua-
ques, à l’industrie des médias ou aux sociétés de design
dés qu’une culture dynamique peut faciliter l’avènement
– sont classées sous le label “Industries créatives”. Les
d’une économie innovante et compétitive.
entreprises jouent en effet un rôle plus important dans
les activités culturelles. Même si le financement de ces
Par conséquent, la culture et la créativité sont mainte-
dernières est souvent assuré par le gouvernement, la
nant considérées de manière quasi unanime comme des
création d’entreprises, le marketing ou la promotion
ressources importantes pour le développement et la
gagnent du terrain. Nous assistons donc à un nouvel
prospérité. Elles sont même envisagées comme des
équilibre, plus réaliste, entre économie et culture. Cet
conditio ns préalables à une économie de la connaissance
équilibre remplace l’antagonisme traditionnel qui exis-
compétitive et couronnée de succès, l’un des ambitieux
tait entre ces deux “mondes” et qui était basé sur la
Culture
et économie
crainte qu’une approche entrepreneuriale vis-à-vis des
Uni, 1,9 million de personnes sont employées dans les
activités culturelles ne porte préjudice à l’intégrité
industries créatives et les secteurs d’activité associés,
artistique, à l’authenticité et à la qualité esthétique.
ce secteur ayant connu, entre 1997 et 2002, une crois-
Toutefois, il ne s’agit pas d’affirmer que toutes les acti-
sance moyenne de 6 % par an pour une croissance
vités culturelles peuvent être réalisées dans le cadre
moyenne de 3 % de l’ensemble de l’économie.
d’une politique de marché : beaucoup ne sont, en effet,
pas viables dans un environnement purement commer-
Les industries créatives
dans l’économie
rel ou de certains arts de haut niveau.
2
Ces projets revêtent une grande importance pour le
■ Leur rôle et leur domaine d’action. Le ministère bri-
développement des zones urbaines. Reconnaître que les
tannique des Médias, de la Culture et des Sports (DCMS)
investissements dans le domaine de la culture peuvent
fut l’un des premiers à avoir employé la notion d’indus-
avoir un rôle positif ouvre des perspectives inédites
tries créatives. La définition qu’il donna de ce concept,
quand il s’agit d’élaborer de nouvelles politiques de
présenté en 1998 dans le cadre d’un programme spécia-
développement urbain. Dans le contexte général des
lement élaboré pour encourager le développement de ce
économies occidentales, une évolution récente s’affirme
secteur au Royaume-Uni, est très large : “Nous définis-
: l’économie traditionnelle (basée sur les industries
sons les industries créatives comme des industries ayant
manufacturières) est progressivement remplacée par des
leur origine dans la créativité, la compétence et le talent
activités créatives, essent ie l l e ment fo ndées sur la
individuel, et offrant un potentiel de croissance et de
connaissance, et les autorités locales ou régionales
création d’emplois par la génération et l’exploitation de la
intègrent ce nouveau développement dans leurs straté-
propriété intellectuelle”. Les secteurs couverts sont vas-
gies. Est désormais favorisée la constitution d’une base
tes : “la publicité, l’architecture, les arts et le secteur des
de savoir et de créativité dans les villes et régions pour
antiquités, l’artisanat, la création, le stylisme, le cinéma
encourager une production créatrice. C’est ainsi que, de
et la vidéo, les logiciels de loisirs interactifs, la musique,
manière croissante, la culture et la créativité entrent
le spectacle, l’édition, les logiciels et jeux informatiques,
dans le processus de développement économique des
la télévision et la radio”.
cial. C’est le cas de la préservation du patrimoine cultu-
zones urbaines européennes. L’un des premiers vecteurs
de cette évolution est l’émergence des industries créati-
Complétant cette définition, l’économiste américain
ves. En tant que secteur spécifique, elles créent de l’em-
Richard Caves a mis en évidence la valeur dérivée des
ploi et de la richesse. L’industrie des médias et du spec-
produits et des services des industries créatives qui
tacle, les agences de design ou de publicité et les insti-
“apportent des produits et des services que nous asso-
tuts d’art, par exemple, offrent de nombreux emplois aux
cions généralement à la valeur culturelle, artistique, ou
Européens et génèrent de la valeur ajoutée en vendant
simplement au divertissement”. Son regroupement des
leurs produits et leurs services dans le domaine de la
secteurs est similaire à celui du DCMS. On peut toutefois
culture.
y noter certaines différences, comme par exemple l’exclusion de l’artisanat et l’ajout des jouets.
Dans plusieurs villes et pays d’Europe, ces industries
représentent un secteur à forte croissance : en 2004 aux
Enfin, le chercheur américain Allen J. Scott a publié de
Pays-Bas, les industries de la création regroupaient
nombreux ouvrages sur les industries créatives, dans les-
environ 3 % du nombre total des emplois ; au Royaume-
quels il distingue au moins trois catégories de produits
Culture
et économie
et de services réalisés par les industries créatives :
charge” par des campagnes. L’urbanisme et le dévelop-
• les objets physiques transformés en articles culturels
pement des villes nécessitent une contribution créative,
par un procédé de production (vêtements, meubles et
associant le secteur des industries créatives spécialisées
bijoux…)
dans l’aménagement de l’environnement urbain et l’ar-
• les services informatifs ou symboliques (services
chitecture. Par la suite, il incombe aux spécialistes de la
touristiques, théâtre, publicité ou programmes
communication de travailler sur la notoriété afin de
de radiodiffusion…)
positionner les villes sur le marché, attirant artistes,
• les formes hybrides, qui sont essentiellement
investisseurs et visiteurs.
des objets physiques porteurs d’information (papier
imprimé, CD, DVD…)
■ Essai de définition. Sur la base de ces approches,
une définition des industries créatives reconnaissant
Allen J. Scott estime que le mobilier, l’habillement et la
leur convergence avec le reste de l’économie a été for-
bijouterie font partie des industries créatives ; ces der-
mulée. Il est admis que la culture et la créativité font
nières développent en effet des services et des produits
désormais partie intégrante de toutes les productions et
qui tra ns mettent un sens, suscitent l’ima g i na t io n ,
de tous les produits. Dans la définition présentée ici, la
apportent une expérience et sont très souvent utilisés
créativité individuelle, mais aussi collective, est consi-
par des personnes cherchant à cultiver leurs styles de
dérée comme une contribution capitale. Dans cet esprit,
vie. C’est le cas des produits ayant un aspect physique
le sens transmis est regardé comme la fonction princi-
(bijoux, meubles de style) comme des services non
pale du produit, l ’ ex p é r ie nce et le style de vie de v e na nt
matériels (représentation théâtrale, etc.). Pour Scott,
un moteur essent iel de la cons o m ma t ion. En définitive,
tous les produits deviennent culturels, le sens, l’expé-
les indu s t r ies créatives sont cons idérées aujourd ’ hui
rience et la valeur symbolique en faisant partie inté-
c o m me une bra nc he de l’activité culturelle et économi-
grante. Leur compétitivité dans l’économie dite expéri-
que, do nt la particularité est d’être centrée sur le déve-
mentale dépendra lourdement de leur caractère distinc-
l o p p e me nt, la pro mo t ion et l’ex p l o i t a t ion de pro du i t s
tif, basé sur le design, le choix de la marque ou le mar-
et de services tra ns me t t a nt un sens et une symbolique
keting. C’est la raison pour laquelle la production créa-
au moyen de divers lang a ge s. On distingue trois prin-
tive est considérée comme un bien important au sein de
cipaux secteurs d’activité dotés de caractéristiques
l’industrie des arts et du spectacle, mais aussi dans
spécifiques :
l’économie en général ; car les compétences et l’exper-
• les arts, les métiers et le patrimoine culturel
tise des industries créatives trouvent des applications
• l’industrie des médias et du spectacle
dans de nombreux domaines de la société.
• les services créatifs aux entreprises
De cette théorie peuvent être tirées des leçons pour le
■ Culture et restructuration des économies occiden-
développement des villes. La création et la culture dans
tales. Avec l’arrivée d’une nouvelle phase de restructu-
les villes, la façon dont l’environne me nt physique urbain,
ration des économies de l’Europe de l’Ouest, la question
la société et la culture sont définis dans ce contexte
de la recherche des moyens d’utiliser la culture comme
déterminent en grande partie la perception et la mise en
ressource pour le développement économique des villes
valeur des villes par leurs habitants, les visiteurs et les
est passée à l’ordre du jour de la politique des villes et
investisseurs. Comme dans le cas de Barc e l o ne ou
des aggloméra t io ns. Le passage d’une pro duc t ion tra-
Amsterdam, les villes deviennent “culturelles” et peuvent
d i t io n nelle à une écono m ie int e nsive et créative fo n-
parfois être considérées comme des marques “prises en
dée sur la conna i s s a nce est en train de s’accélére r. La
Culture
et économie
rationalisation croissante de la production et la progres-
la création. Avec des sociétés de taille relativement
sion du rendement débouchent sur une diminution des
petite, ce secteur économique s’insère facilement dans
emplois non qualifiés dans les pays d’Europe de l’Ouest.
la structure de l’environnement urbain.
Parallèlement, les emplois à fort coefficient de maind’œuvre, peu qualifiés et peu techniques, sont délocali-
Toutefo i s, certaines branches ou sociétés locales pour-
sés vers l’Europe de l’Est ou l’Asie, où les salaires sont
ra ient très bien faire partie d’un réseau natio nal ou int e r-
relativement bas. De leur côté, les fonctions à haut
national d’activités et d’entre p r i s e s. Ce n’est sans doute
niveau de qualification comme la programmation infor-
pas une coïncidence si les centres urbains prédominants
matique tendent à suivre le même itinéraire.
dans le domaine de la création en Europe sont, dans une
large mesure, les mêmes que dans le secteur de la finance
Dans cet environnement, les autorités locales et régio-
et du commerce : ils sont parfaitement équipés en terme
nales essaient de chercher des alternatives et ouvrent la
de liaisons infrastructurelles internationales.
voie vers une économie plus intensive et créative fondée sur le savoir, et dans laquelle la priorité consiste à
Aux Pays-Bas, en 2004, les industries créatives re p r é s e n-
élever le niveau d’innovation et de compétitivité.
taient environ 3 % du nombre total d’emplois. À
Cependant, la création de nouveaux emplois en Europe
Amsterdam, ce pourcentage grimpait à 6,9 %. Cette ville
de l’Ouest ne doit pas en être la raison principale. Le
détenait alors 15 % du nombre total d’emplois dans ces
point fondamental est plutôt que ce type d’emplois
industries hollandaises, preuve supplément a i re que ces
intensifs et créatifs, fondés sur la connaissance, crée
industries se concentrent dans les villes.
une valeur économique élevée par rapport aux emplois
industriels délocalisés ; les pays qui réussissent à y
En Finlande, le secteur des arts et de la culture repré-
substituer des emplois plus qualifiés conna i s s e nt un
sentait 4,4 % du chiffre d’affaires total de 2001. À
taux de cro i s s a nce supérieur à ceux qui s’en tienne nt
Helsinki, qui concentre 38 % des employés de ce sec-
aux emplois indu s t r iels. Selon The Economist d’octobre
teur, cette proportion s’établit à 9,2 %.
2005, c’est le fait d’économies plutôt orientées vers les
servic e s, comme celles de Gra nde-Bretagne et de s
Au Royaume - Uni, 1,9 million de personnes sont
États-Unis.
employées dans les industries créatives et les secteurs
d’activités associés. Ces derniers constituent, après les
La perception de la culture comme bien économique
services aux entreprises mais avant les services finan-
entre donc dans le cadre de la nouvelle politique de
ciers, la seconde source de prospérité économique à
développement. La culture et la créativité sont des élé-
Londres. C’est également le troisième secteur en terme
me nts essentiels dans une stratégie de développement
d’emplois dans le pays. Londres détient par ailleurs 22,7
économique local ou régional, fa i s a nt face aux défis éco-
% des fonctions occupées dans les industries créatives à
nomiques actuels que connaît l’Europe de l’Ouest. Une
l’échelle nationale, et le Nord du pays (en particulier
é v o l u t ion porteuse de conséquences en terme de déve-
Manchester, Leeds et Liverpool) possède la deuxième
loppement urbain : il est en effet prouvé que les indu s-
plus importante concentration (14 % de l’emploi natio-
tries créatives tendent à se regrouper dans l’environne-
nal dans ces industries).
me nt urbain. Elles sont en fait très souvent implantées
dans les villes, généra l e ment dans la capitale d’un pays
Partout, une forte croissance économique caractérise
ou d’une région, le climat culturel de ces cités s’avérant
l’évolution du secteur. Au Royaume-Uni, la croissance
être une source d’inspiration pour les professionnels de
moyenne a ainsi atteint les 6 % par an entre 1997 et
Culture
et économie
2002, par rapport à une moyenne de 3 % pour l’écono-
d ’ i n fo r ma t io ns et de divertissements aux consomma-
mie globale. Les industries hollandaises présentent une
teurs. Ainsi, Heineken sponsorise des enregistrements et
structure similaire, avec une progression moyenne du
des événements musicaux, tandis que BMW produit des
secteur de 4,4 % entre 1996 et 2005.
films, distribués ensuite en ligne.
■ Des acteurs importants en terme d’innovation. Le
D e u x i è me axe de l’innovation, les indu s t r ies créatives
débat actuel sur l’économie du savoir repose sur la créa-
s o nt égaleme nt très présentes da ns l’écono m ie géné-
tivité, l’innovation et la concurrence. Dans ce contexte,
ra l e, en apportant notamme nt des info r ma t ions à l’in-
les industries créatives sont considérées comme des
du s t r ie du mu l t i m é d ia. Rappelons que, da ns de nom-
acteurs importants en matière d’innovation : elles assu-
b reux cas, le pro duit principal des indu s t r ies créatives
rent le marché de la consommation pour ce qui est des
est l’info r ma t ion. Les nouveaux services électro n i q u e s
services et produits. En second lieu, elles portent l’inno-
l a ncés dépende nt de pro duits et d’éditeurs d’info r ma-
vation dans d’autres segments de l’économie.
t io ns. Développer de nouveaux services numériques sur
le marché de la consommation est un stimulant direct de
Tout d’abord peut-on observer que des services profes-
l’activité économique de l’ensemble du secteur des TIC
sionnels de la création, comme le design et la publicité,
(y compris les opérateurs de réseaux et les fa b r ic a nt s
apportent des concepts et des idées créatrices à d’autres
de matériel).
branches telles que l’industrie alimentaire, l’habillement, l’automobile et les services des télécommunica-
Dans le débat consacré à l’économie fondée sur l’inno-
tions. Ces services contribuent essentiellement au déve-
vation et le savoir, cette innovation, dite non technolo-
loppement et au positionnement des produits et des ser-
gique, apparaît comme essentielle dans une stratégie
vices sur le marché, ce qui en fait des acteurs clés en
innovante. Le British Design Council, qui a mené des
matière d’innovation. Cela explique que, dans de nom-
recherches parmi 1 500 entreprises britanniques, révèle
breux cas, les compagnies choisissent de disposer de
que les sociétés qui investissent et utilisent la création
compétences créatives en entreprise au lieu d’avoir
réussissent mieux sur un plan économique.
recours à des services de création sur le marché.
D’ailleurs, la majeure partie des personnes employées
■ Les avantages des projets urbains visant l’accueil
dans la création ne travaillent pas dans des sociétés
des industries créatives. Pour attirer les métiers de la
répertoriées “créatives”, mais dans les industries de la
création nécessaires aux activités d’entreprises innovan-
production et des services. Il en va de même pour le
tes, la création d’un climat culturel propice est capitale
marketing.
et devient, à ce titre, une autre véritable contribution
des activités culturelles et des industries créatives à la
Les indu s t r ies du do ma i ne des médias et du spectacle
compétitivité régionale. Selon une hypothèse avancée
t ie n ne nt un rôle similaire da ns l’associa t ion d’ima ge s,
par l’économiste Richard Florida, les villes et les régions
de réputatio ns de personnalités médiatiques et de
ont besoin des métiers dits de la création pour innover
t i t res de médias à des pro duits et des services leur
et être compétitives dans l’économie fondée sur le
c o n f é ra ntune ima ge et une ide ntité. Et de plus en plus
savoir ; pour être à la pointe de l’inno v a t ion, une
– surtout sur Int e r net –, ce sont des institutio ns non
r é g ion doit placer les prof e s s ionnels de la création au
s p é c ialisées da ns les médias qui exe rc e nt des activités
p re m ier plan de la compétition ; en tant que secteur
d ’ é d i t ion. Toutes les ma rques actives sur le ma rché de
spécifique, les indu s t r ies créatives génère nt emploi et
la cons o m ma t ion cons a c re nt une part accrue à l’apport
p rospérité. Dans ce cont ex t e, l’aména ge ment d’un cadre
Culture
et économie
culturel et créatif attrayant et la création de centres de
identité à une commune. La présence de centres cultu-
recherche et d’enseignement ultramodernes p e u v e nt
rels et un paysage urbain intéressant (allant de l’archi-
ê t re posé comme cond i t io ns préalables à une écono m ie
t e c t u re mo derne au patrimo i ne culturel) sont de s
u r b a i ne innovante et compétitive. L’Europe du Nord a
atouts : villes et régions peuvent alors devenir des lieux
déjà réussi à se positionner parmi les principales régions
de vie et de visite dignes d’intérêt, voire même apparaî-
innovantes. Des pays comme la Finlande, la Suède, le
tre comme des sites d’implantation attractifs pour les
Danemark, les Pays-Bas et la Belgique développent ainsi
sociétés. Les réflexions concernant la renommée d’une
des valeurs distinctives pour attirer les créateurs artis-
ville et les avantages apportés sur le plan économique
tiques. De nombreux responsables politiques en Europe
jouent actuellement un rôle significatif dans les déci-
ont aujourd’hui adhéré à l’idée d’un lien de forte dépen-
sions concernant les investissements dans des centres
dance entre la création et l’innovation économique.
culturels et la restauration d’édifices historiques et de
Précisions toutefois qu’un nombre important de scienti-
centres-villes.
fiques contestent la validité de l’hypothèse “d’une
classe créative”.
L’environnement urbain, au sens “spatial” du terme,
3
Les leçons des expériences
des villes d’URBACT
apparaît à la fois comme une condition préalable au
développement culturel et comme le résultat de ce der-
■ Le rôle de la culture dans le développement éco-
nier, en découlant de l’aménagement urbain, de la prise
nomique doit être pensé à l’échelle locale et refléter
de décision et de la créativité architecturale. L’accueil
les conditions de terrain. Les expériences menées par
physique des industries créatives est un élément impor-
les villes du réseau fournissent un certain nombre d’in-
tant de l’utilisation de la culture pour le développement
formations intéressantes sur la façon dont les villes et
urbain. À cet égard, le réaménagement des friches
les agglomérations, comme d’autres institutions et
industrielles constitue une approche innovante permet-
acteurs, peuvent faire participer les activités culturelles
tant d’attirer des industries créatives. Ces projets englo-
et les industries créatives au développement économi-
bent généralement les locaux destinés au public des arts
que. Toutefois, il n’existe pas de modèle clairement
et de la culture (par exemple théâtres, galeries et
défini en ce domaine : les caractéristiques structurelles
musées), améliorant ainsi la qualité culturelle de l’envi-
des villes résultant de l’histoire, des conditions géogra-
ronnement. À la clé, des interactions intéressantes et
phiques ou de leur taille réelle fixent des limites aux
fructueuses se produisent entre le développement, l’ac-
ambitions de l’utilisation des industries créatives dans le
tivité économique et la qualité de vie stimulante des
cadre du développement économique. Les villes qui
environnements urbains. Dans certains cas, les zones
jouent un rôle central dans leur pays disposent généra-
développées peuvent faire office d’opérations de pres-
lement d’un large éventail d’activités créatrices. Ces
tige, et confèrent alors à la ville ou à la région une
c i t é s, qui se tro u v e nt au carrefour des réseaux phy s i-
image attrayante permettant de mettre en œuvre, sur le
ques et virtuels, sont reliées aux réseaux économiques
plan économique, le potentiel culturel et artistique.
et culturels internationaux. Certaines villes comme
Manchester, Amsterdam et Helsinki possèdent déjà un
Mais pour construire une réputation, les spécialistes en
vaste programme d’activités culturelles et d’industries
ma r keting tentent aussi d’associer une image à une ville :
créatives, quand d’autres telles que Evosmos, Maribor et
la culture, l’art et le patrimo i ne sont souvent choisis
Velenje commencent à peine à étudier les possibilités
c o m me moyens et outils susceptibles d’attribuer une
qu’offre la culture pour le développement économique.
Culture
et économie
La taille de la ville, le nombre d’habitants et sa situa-
de la culture dans le développement économique doit
tion économique sont des critères importants : de gran-
être pensé à l’échelle locale. Mais cela n’interdit pas de
des métropoles comme Naples, Budapest, Birmingham
s’inspirer de l’expérience positive d’autres villes, à
ou Lille Métropole empruntent des voies de développe-
condition, toutefois, d’adapter ces expériences aux
ment différentes de celles de petites villes au rôle régio-
conditions spécifiques du contexte local. Il est vrai
nal comme Bari, Katowice et San Sebastián.
qu’une même politique ou un même dispositif peut se
révéler efficace dans différentes villes ; on pense en par-
Dans le même temps, des capitales comme Helsinki,
ticulier à la création de réseaux d’institutions et d’inter-
Vilnius, Brno, Budapest et Amsterdam se distinguent sur
venants dans le domaine de la création, dont le rôle
le plan du développement économique de la culture. Ces
consiste à encourager la collaboration et à améliorer
villes, qui figurent généralement parmi les plus impor-
l’échange d’informations, notamment en vue d’une édu-
tantes de leur pays, sont dotées d’une tradition cultu-
cation attentive à l’entrepreneuriat culturel.
relle riche, et accessoirement d’un centre historique. Il
leur est donc plus facile d’attirer activités culturelles et
Les expériences du réseau Culture révèlent l’existence de
créatives. Conséquence : elles bénéficient de la plupart
plusieurs approches stratégiques utilisant les activités
des avantages liés à la consommation et accaparent une
culturelles et les industries créatives pour le développe-
grande partie des subventions publiques. Cette situation
ment économique des villes et des agglomérations. La
peut constituer un frein pour les autres villes qui
question principale concerne l’utilisation efficace des
essaient de développer leur propre potentiel. De manière
biens culturels et créatifs pour le développement.
relativement évidente, le développeme nt d’un pro-
Différentes approches-prototypes se dégagent et se
gramme économique pour la culture dans des villes
retrouvent à la base des diverses politiques et stratégies
dotées d’une structure économique industrielle comme
mises en œuvre dans les villes d’Europe. Précisons que
Manchester, Birmingham, Lille Métropole et Gijón, est
ces approches ne se retrouvent que très rarement dans
différent de celui mis en place dans des villes comme
leur forme “pure”. Les plus significatives sont :
Amsterdam, dont l’histoire économique est principale-
• l’approche projet par projet, généralement adoptée
ment fondée sur le commerce, la finance et les services
par les villes qui commencent à envisager la culture
indépendants. Mais certaines villes comme Manchester
comme ressource économique potentielle. Basée sur
ou Lille Métropole ont néanmoins trouvé la bonne voie,
les projets, cette stratégie encourage un certain nombre
preuve que le “syndrome dit de seconde ville” peut être
de développements, d’événements ou d’organisations
surmonté lorsque les ressources nécessaires sont mises
sans rapports apparents, et ne structure guère l’idée
en œuvre convenablement, combinées à des efforts sou-
d’un avantage économique émanant de ces activités.
tenus et à une stratégie bien élaborée. Si l’identité cul-
Dans une nouvelle phase de développement,
turelle de villes plus récentes, toutes tailles confondues,
elle permet d’élaborer un programme politique ou une
peut être moins forte, elle peut néanmoins constituer un
stratégie des industries créatives. Certaines villes
point de départ pour le développement de nouvelles
du réseau travaillent sur la base “projet par projet”,
activités culturelles et de nouveaux secteurs des indus-
sans (pour le moment) structurer les liens entre
tries créatives.
les différents projets.
• la création de systèmes productifs locaux (du terme
■ Ces stratégies peuvent toutefois s’inspirer de l’ex-
anglophone “cluster”). On définit ces clusters comme
périence positive vécue par d’autres villes. Les expé-
des concentrations géographiques de sociétés et
riences menées au sein du réseau montrent que le rôle
d’institutions interconnectées, actives dans
Culture
et économie
des domaines particuliers, en l’occurrence les industries
l'intermédiaire d'une société de gestion, cette usine
créatives. Ils constituent des groupes importants,
culturelle de 380 locataires est financièrement auto-
concentrés au niveau local et manifestant
suffisante. La rénovation entière du site devrait être
une compétitivité économique particulière dans
finalisée dans les dix prochaines années.
leur secteur. La proximité de sociétés et d’institutions
indépendantes est une forme d’organisation qui offre
■ Une des conditions du succès est la capacité d’im-
des avantages en termes de rendement, d’efficacité et
pliquer un large éventail de partenaires et de gérer
de flexibilité ; cela permet d’augmenter la productivité
des alliances institutionnelles. Une stra t é g ie de
dans le secteur, impose une direction et un rythme
renouvellement économique des zones urbaines, basée
soutenu à l’innovation, tout en encourageant
sur les activités culturelles et les industries créatives,
la création de nouvelles entreprises. Par ailleurs,
doit remplir deux conditions :
le développement d’une stratégie de clusters créatifs
• l’implication d’un large éventail de partenaires :
suppose l’existence – et la reconnaissance de cette
autorités locales et régionales, entreprises spécialisées
existence – d’un certain nombre de sociétés et
dans la création, institutions culturelles et
d’institutions étroitement liées. Ce contexte conduit à
pédagogiques, citoyens, groupes et communautés
une forte compétitivité au niveau local ou régional.
d’artistes, et même promoteurs immobiliers et
Mais la plupart des villes ou des agglomérations
institutions financières ;
souhaitant intégrer la culture dans leur stratégie
• la gestion d’alliances institutionnelles. Certes,
économique ne disposent pas de clusters potentiels,
il n’existe pas de méthode spécifique pour créer
ou ne savent pas encore ce sur quoi elles pourraient
des alliances institutionnelles en vue d’une stratégie
baser une politique de clusters créatifs.
de développement économique basée sur la création.
Mais il est crucial de réussir à gérer des projets dans
La reconversion de l’usine de câbles d’Helsinki
lesquels interviennent divers partenaires, tout en
parvenant à entretenir des liens entre les différents
L’usine de câbles d’Helsinki est l’un des exemples les
projets. Tout particulièrement en ce qui concerne
mieux connus de site industriel réaménagé à des fins
l’implication des autorités régionales, nationales ou
culturelles. Ce site offre en effet un espace et des
européennes, l’importance et la forme des alliances à
moyens favorisant le développement d’activités cultu-
nouer avec les institutions extérieures de la ville sont
relles et de divertissements pour le public. Lorsque
des questions cruciales.
Nokia a décidé de mettre un terme à sa production au
milieu des années 80, la ville d’Helsinki avait initiale-
Pour de nombreuses villes du réseau, une façon positive
ment élaboré d’autres projets pour le site qui n’ont
de tirer avantage de la culture et de la créativité
cependant pas pu aboutir pour des raisons financières.
consiste à en faire la promotion pour améliorer l’image
Après 1990, les 53 000 m de l'usine de câbles “Kaape-
de la ville. Ces politiques visent à inscrire la ville sur la
litehdas” ont été reconvertis en centre d'art indépen-
carte de l’Europe, dans l’espoir d’y attirer visiteurs, artis-
dant louant des espaces pour des artistes, groupes,
tes ou entreprises. Le rôle des pouvoirs publics consiste
a ge nces, associa t io ns, mu s é e s, galerie s, re s t a u ra nt s
pour partie à financer, pour partie à assurer les condi-
et entreprises de média s. Ce projet ne conc e r ne pas
tions nécessaires au développement de la culture. Ces
la seule ville d'Helsinki mais toute l'aire métro p o l i-
efforts profitent au tourisme, au commerce local et aux
t a i ne, qui agit int e r na t io na l e me nt plutôt que locale-
institutions qui promeuvent l’art et la culture auprès du
me nt. Créée par la ville qui la possède toujours par
public, mais aussi à l’ensemble de l’économie grâce à
2
Culture
et économie
l’arrivée de nouvelles entreprises et de nouveaux talents
que de nombreuses villes européennes misent sur les
susceptibles, à leur tour, d’engendrer de nouveaux projets.
nouvelles technologies de la communication. Les startups spécialisées dans les TIC ont la possibilité de se
Dans ce débat portant sur le rôle des activités culturel-
développer avec la subvention de centres de recherche
les et des industries créatives dans la régénération
de haut niveau travaillant sur les technologies de
urbaine, isoler la dimension économique apparaît diffi-
pointe.
cile : une économie urbaine ne peut en effet fonctionner correctement que dans le cadre d’un système local
Devenues aujourd’hui fournisseurs de contenus pour les
bien développé sur les plans social et physique, et basé
nouveaux médias ou les institutions culturelles, les
sur la cohésion sociale et une identité urbaine affirmée.
industries créatives sont appelées à jouer un rôle
Il est donc nécessaire de prendre en compte, dans les
moteur en matière d’innovation dans l’ensemble de
débats sur la dimension économique du développement
l’économie. Elles s’imposent ainsi comme des partenai-
urbain, les liens qui existent avec les autres politiques
res importants dans le développement de nouvelles
de développeme nt, no t a m me nt sociales. En même
applications. Par exemple, la collaboration entre les ins-
temps, les politiques des industries créatives peuvent
titutions de mémoire (musées, archives, etc.), les indus-
facilement être associées aux programmes d’intégration
tries des médias et du spectacle et les institutions péda-
sociale. Pour ce faire, ces programmes doivent encoura-
gogiques dans le secteur des TIC pourrait à l’avenir
ger la richesse culturelle en structurant la culture et la
connaître un grand succès. La recherche et le dévelop-
créativité comme base potentielle du développement
pement jouent également un rôle important dans cette
des petites entreprises.
évolution, les instituts de savoir (c'est-à-dire les universités) étant le troisième partenaire de ce développement
■ L’association des technologies de l’information et
novateur. Des partenariats potentiels dans le secteur des
de la communication (TIC) et des industries créati-
TIC, des industries de la création, de la recherche et du
ves. Les technologies de l’information et de la commu-
développement engendrent des interactions fructueuses,
nic a t ion (enre g i s t re me nt, tra ns m i s s ion, distributio n
particulièrement dans le domaine du patrimoine culturel
électronique, interaction numérique) jouent un rôle
(institutions travaillant sur la mémoire), des jeux de
déterminant pour les industries créatives qui utilisent
hasard et de la radiodiffusion.
les médias. Dès lors, associer industries créatives et TIC
s’avère très prometteur pour les politiques de dévelop-
Sans surprise, l’association de la culture, de la créati-
pement économique : les technologies de reproduction
vité, de la communication et de l’informatique est
et de distribution électronique permettent la produc-
actuellement très recherchée dans le cadre des straté-
tion, la distribution et la consommation dans les indus-
gies de développement régional. Culture et créativité
tries créatives. Dans un mouvement inverse, les TIC per-
sont considérées comme d’importants moteurs pour
mettent la distribution en masse des produits culturels.
l’économie numérique ; elles peuvent également ouvrir
des perspectives de développement économique, notam-
Le sommet de l’Un ion européenne organisé à Lisbonne
ment un potentiel de développement de nouveaux servi-
il y a quelques années prévoyait alors, grâce à l’inves-
ces tournés vers l’activité culturelle locale et régionale
tissement d’au moins 3 % du PNB dans la recherche et
dans les villes et les agglomérations.
le développement, le développement au sein de l’Union
d’une économie de la connaissance, la plus performante
Toutefois, l’avantage économique qu’offre l’association
et la plus compétitive au monde. C’est dans cet esprit
de la culture et des technologies de l’information et de
Culture
et économie
la communication ne réside pas seulement dans cet
les organisations culturelles, les industries créatives et
apport de contenu, mais aussi dans l’utilisation appro-
les innovations en matière de TIC développées dans les
priée des nouveaux médias numériques. Il s’agit de les
instituts de recherche et les universités. Dans ce trian-
mettre en œuvre pour cultiver les identités des villes, à
gle, activités culturelles et industries créatives sont
la fois pour les citoyens vivant dans ces villes et pour
considérées comme des partenaires importants. Les
les visiteurs, les entreprises et les talents éventuelle-
institutions spécialisées dans le savoir et les sociétés
ment prêts à s’y installer. Certaines villes investissent
spécialisées dans les TIC, en lien avec le secteur cultu-
dans des projets alliant activités culturelles et industries
rel, permettent de bénéficier des avantages qu’offre la
créatives, technologies de l’information et de la commu-
culture à l’échelle locale.
nication, recherche et développement. Par exemple, Lille
Métropole allie les industries dites de contenu à des
La coopération de la maison d’édition Laterza susmen-
développements en matière de technologies de la
tionnée avec Technopolis, important centre de recher-
société de l’information, adoptant une approche trans-
che et de développement situé près de Bari, est un
sectorielle combinant multimédia et audiovisuel, princi-
exemple des associations recherchées : tous deux
palement à des fins économiques.
développent en commun un outil et une publication
mettant en valeur le patrimoine culturel de la ville.
Enfin, il est à noter que les TIC of f re nt aux habitants un
Cette activité fait partie intégrante d’une stratégie
g ra nd nombre de nouvelles possibilités de p a r t i c i p a-
générale visant à développer un environnement inno-
tion citoye n n e dans le do ma i ne de la culture et de la
vant dans la ville et la région, articulant culture, créa-
politique, par exemple dans le cadre de projets comme
tivité, entrepreneuriat et technologie. Un des instru-
e-donastia.net (à San Sebastián), dont l’objectif est de
ments utilisés par Technopolis pour promouvoir l’entre-
combler la fracture numérique et de diffuser la pédago-
preneuriat est l’incubation d’entreprises. Avec la région
gie et le savoir dans la société urbaine. Par ailleurs, la
des Pouilles (Puglia), Bari rend la culture et le patri-
municipalité de San Sebastián associe le développement
moine accessibles via les nouveaux médias.
physique urbain à celui du numérique : le Cristina Enea
Park regroupe, dans un même lieu, un espace vert de la
Créée en 1889, la société Laterza (maison d’édition et
culture et des loisirs et un espace libre avec accès
libra i r ie) est un int e r v e na nt privé da ns l’écono m ie
Internet sans fil. Pour tenter de gérer le problème de la
culturelle de Bari. Sa maison d’édition, qui entretient
ségrégation dans la société moderne de l’information et
des relations internationales et possède des contrats
de la communication, le projet Kontupiste (point d’ac-
dans de nombreux pays européens, travaille en colla-
cès de la communauté) à Helsinki fournit un accès aux
boration avec des instituts de savoir (universités) pour
services électroniques aux personnes qui n’ont juste-
ses publications et a noué des liens avec des sociétés
ment pas accès aux technologies modernes de l’informa-
spécialisées dans les TIC pour l’édition électronique. En
tion et de la communication.
ce sens, elle est à la fois co-développeur et producteur
de nouveaux services, et co-producteur en matière
La maison d’édition Laterza de Bari
d’innovation à Bari. En même temps, elle joue un rôle
culturel important dans la ville en tant que lieu de ren-
Dans le programme culturel et économique de Bari et
contre et d’organisation d’événements et de manifesta-
ses environs, l’association de la culture, des TIC et de
tions culturelles. Laterza est devenue un phare cultu-
la R&D (recherche et développement) est à l’ordre du
rel dans la ville.
jour. L’un des objectifs est de stimuler les liens entre
Culture
et économie
■ Le rôle des festivals. Les festivals culturels sont
Docpoint d’Helsinki est, quant à lui, exclusivement
nombreux et encouragés par la plupart des villes euro-
consacré aux tournages de documentaires.
péennes. Bien qu’ils entrent d’ailleurs très souvent dans
le cadre de la politique culturelle traditionnelle, ils peu-
Les festivals de cinéma de Gijón et San Sebastián
vent aussi être considérés comme les débuts d’un programme, progressif, intégrant la culture et la créativité
Les festivals du cinéma de Gijón et de San Sebastián
dans une optique de développement économique.
sont de bons exemples d’activités de création prenant
la fo r me d’un pro g ra m me spécifique des indu s t r ie s
L’expérience des villes du réseau URBACT a permis de
créatives. Pour ces deux villes espagno l e s, le cinéma
mettre en perspective plusieurs exemples :
est une activité importante qui combine objectifs
• Le Brilliantly Festival de Birmingham donne un coup
culturels et économiques. Ces festivals permettent de
de projecteur sur les industries créatives locales
créer des liens entre la ville et certaines des activités
du secteur de la bijouterie, partie intégrante
développées dans les industries créatives et l’industrie
du patrimoine culturel de la ville. Sur le plan culturel,
internationale du film. Les deux villes tentent de créer
le festival est basé sur le patrimoine industriel unique
un cluster d’activités audiovisuelles à l’aide de leurs
du quartier de la bijouterie, associé à une communauté
festivals annuels et organisent, en même temps, des
prospère de designers-réalisateurs modernes.
festivals connaissant un succès croissant.
Plus de 1 200 entreprises spécialisées dans
le commerce des bijoux et des industries créatives, et
Gijón et San Sebastián utilisent leur festival du cinéma
plus de 100 designers-réalisateurs sont installés dans
pour promouvoir les activités des industries créatives
ce quartier.
locales, en particulier dans le domaine de la production
• À Katowice est organisé tous les quatre ans le
audiovisuelle, et celles des activités créatrices au sens
concours international des chefs d’orchestre “Grzegorz
plus large. San Sebastián a nommé un commissaire au
Fitelberg”. C’est l’un des trois plus grands concours
cinéma pour attirer des comédiens dans la ville et
de musique classique en Pologne, un événement
encourager les activités locales dans le secteur ; elle
d’une importance culturelle internationale qui permet
investit aussi dans la formation d’artistes locaux.
à la ville de jouer un rôle reconnu dans l’univers
Gijón, de son côté, envisage également de mettre en
international de la musique classique.
place un commissaire au cinéma. Il est intéressant de
• Dans un tout autre registre, la ville de Naples a
noter que la mise en réseau avec d’autres villes euro-
organisé en 2005 un important festival d’arts. Pendant
péennes joue un rôle important dans les deux cas. Les
dix jours, 600 à 700 jeunes artistes venus des pays du
deux villes accueillent égaleme nt d’autres festivals :
sud de l’Europe ont convergé vers Naples. Ce festival,
Gijón, par exemple, organise Feten, un important festi-
qui se tient tous les deux ans dans une ville d’un pays
val du théâtre pour enfants qui permet de favoriser les
du Sud de l’Europe, met en relation jeunes artistes et
échanges et la coopération au sein des différents sec-
villes culturelles de la région. Naples a essayé de
teurs de la création et de la représentation théâtrale.
profiter de l’événement pour développer la culture et la
créativité dans les quartiers et les alentours de la ville.
De fait, depuis de nombreuses années, beaucoup de pays
Par ailleurs, nombre de villes en Europe organisent
prennent conscience de l’importance économique des
des festivals du cinéma plus ou moins spécialisés :
festivals culturels. C’est en particulier le cas de ceux qui
pour San Sebastián, il s’agit du cinéma grand public ;
manifestent une fidélité à un festival et plaident pour le
pour Gijón, c’est le cinéma indépendant ; le festival
maintien des subventions publiques auprès des autorités
Culture
et économie
locales. On engage des consultants ou des agences de
nécessairement avec les objectifs réellement culturels
développement pour procéder à l’évaluation de l’impact
de la programmation. Ainsi, entre un festival de haut
économique d’un festival au niveau local et régional,
niveau culturel et un événement culturel édulcoré des-
une estimation basée sur les dépenses faites par les visi-
tiné au grand public, c’est le premier qui permettra à la
teurs du festival dans les restaurants, les hôtels, etc.
ville de renforcer son image culturelle.
Dans un certain nombre de cas, les festivals sont des
projets indépendants : ils n’entrent donc pas dans le
Ces manifestations permettent de mettre en œuvre des
cadre d’une politique ou d’une stratégie générale orien-
dynamiques dans des domaines recouvrant des objectifs
tée vers le développement économique. Les festivals
différents, comme les arts et métiers, les médias, le
constituent cependant, parfois, un moyen de rehausser
spectacle et les services créatifs. C’est, pour les villes
l’identité culturelle locale, en mettant en exergue cer-
qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour
tains éléments de l’économie créative régionale ou
gérer des activités culturelles spécifiques permanentes,
locale propre à la région, comme par exemple une
un moyen approprié d’organiser des activités culturelles
semaine “création” ou “mode”. Ils sont un bon moyen
au sein des communautés.
d’installer, de manière temporaire, une atmosphère créative et culturelle dans les villes et les régions, générale-
À cet effet, les festivals peuvent viser plusieurs buts :
ment en présentant un domaine créatif spécifique, une
soutenir la dynamique des industries créatives au niveau
catégorie d’artistes voire une sélection transsectorielle
local, responsabiliser les communautés locales, cultiver
d’activités.
et articuler les identités locales et la cohésion sociale…
La difficulté principale ? Parvenir à maintenir la dynami-
La principale question dans ce domaine porte sur la
que ; pérenniser l’avantage que constitue pour la ville
valeur économique des festivals dans le cadre d’une stra-
ou l’agglomération la création de liens entre les diverses
tégie de développement urbain : quels peuvent être
ressources locales, et maintenir dans le temps la valori-
leurs effets positifs au niveau local, et quel doit être le
sation qui en résulte devraient être les objectifs clés.
rôle des autorités locales et régionales ?
L’organisation d’un festival engendre un certain nombre
Le pouvoir d’attra c t ion des festivals est essent ielle-
de dilemmes. Le plus important réside sans doute dans
me nt lié à l’aspect culturel et artistique ; mais ne
l’équilibre fragile entre la fidélité aux objectifs et aux
n é g l ige o ns pas le fait qu’ils peuvent égaleme nt consti-
intentions initiales et la capacité à changer si le
tuer un moyen de découvrir le potent iel économique de
contexte l’exige et si la formule originale semble avoir
la culture pour le développement des zones urbaines.
vieilli. L’expérience montre que la capacité d’adaptation
D’où le risque d’une certaine ambiguïté qui peut expli-
est vitale, mais la trajectoire du changement est un pro-
quer les difficultés rencontrées par certaines villes pour
cessus relativement délicat. Dans cette phase d’adapta-
se situer entre motivations économiques et objectifs
tion, il s’agit en effet pour un festival de ne pas s’éloi-
culturels. Cette tension se ressent dans presque tous les
gner de son public initial, tout en réussissant à attirer
débats portant sur les avantages économiques de la pro-
de nouveaux visiteurs et participants.
duction artistique et culturelle.
Cependant, l’utilisation des festivals comme outil de
développement ne signifie pas que les motivations économiques vont étouffer la créativité en interférant
Culture
et économie
4
Préconisations
en œuvre au niveau local. Car en ce qui concerne la
valorisation économique de la culture et de la créativité,
Dans nos sociétés occidentales, nombreuses sont les
il n’existe pas de modèle unique valable partout.
possibilités pour bénéficier des avantages économiques
L’échange des pratiques est important, mais il n’ap-
offerts par les activités culturelles et les industries créa-
porte pas de réponses précises adaptées aux contextes
tives. Parce que la culture constitue un facteur impor-
locaux. Les caractéristiques structurelles des villes, qui
tant pour attirer les talents dans une ville ou une agglo-
résultent de l’évolution historique, des conditions géo-
mération, investir dans ce secteur peut permettre de
graphiques ou de leur taille, fixent des limites à l’utili-
créer une économie régionale plus innovante et plus
sation des industries créatives pour le développement
compétitive.
économique. L’échelle et l’importance des ambitions
locales sur l’utilisation de la culture comme force écono-
Une attention particulière doit aussi être portée au
mique doivent prendre en compte ces conditions de
cadre (l’environnement urbain) et au vécu (la qualité de
base.
vie dans une ville ou une région et les relations sociales
qui s’y développent). L’accueil des industries créatives
Pour nombre de villes du réseau, développer la culture
constitue un élément important ; à cet effet, le réamé-
et la créativité est un moyen d’améliorer leur image tout
nagement des friches industrielles fournit très souvent
en bénéficiant des avantages qu’offrent cette culture et
des espaces adéquats pour l’accueil d’équipements cul-
cette créativité. Le rôle des pouvoirs publics consiste en
turels.
partie à financer, mais également à assurer les conditions préalables au développement de la culture en
La qualité de cet environnement est un point impor-
offrant un environnement attractif. Ces efforts profitent
tant pour le développement créatif des villes. Les archi-
au tourisme local et régional, aux institutions culturel-
tectes et les urbanistes, professions qui appartiennent
les, ainsi qu’à l’économie dans sa globalité en attirant
aux services créatifs, apportent les bases pour faire
de nouvelles entreprises et de nouveaux talents.
fonctionner l’économie urbaine, quand les autres secteurs des industries créatives et les citoyens fournissent
L’association des TIC et des industries créatives dans
l’essentiel des contenus. Il s’agit là d’une interaction
les stratégies de développement économique s’avère,
intéressante et fructueuse entre régénération urbaine,
par conséquent, très prometteuse et doit être encoura-
activité économique et qualité de la vie dans l’environ-
gée. Fournisseurs de contenu pour les nouveaux médias,
nement urbain.
les institutions culturelles et les industries créatives
peuvent avoir un rôle moteur en matière d’innovation
La culture, l’art et le patrimoine confèrent une identité
dans l’ensemble de l’économie. De surcroît, les TIC
aux villes. Mais c’est l’existence d’équipements culturels
offrent aux citoyens une multitude de nouvelles possibi-
et un paysage urbain intéressant qui mettent réellement
lités de participation à la culture et à la politique,
les villes et agglomérations sur la carte, faisant d’eux
contribuant à diffuser l’éducation et la connaissance
des endroits dignes d’accueillir touristes, nouveaux
dans la société urbaine.
habitants et nouvelles entreprises.
Enfin, les f e s t i va l s p e r me t t e nt de lancer des dy na m iLes stratégies et les politiques visant à tirer bénéfice
ques da ns des do ma i nes ayant des buts différe nts, tels
des avantages économiques de la culture et des indus-
que les arts et métie r s, les média s, le spectacle ou
tries créatives doivent être conçues, formulées et mises
e nc o re les services créatifs. Mais l’objectif visant à
Culture
et économie
utiliser les festivals culturels comme un moyen d’inscrire
les villes sur la carte en termes économiques doit être
bien encadré, afin que motivations économiques et
dimensions culturelles cohabitent. Ce dernier objectif
peut en servir beaucoup d’autres, notamment soutenir la
dynamique des industries créatives locales, responsabiliser les communautés locales, ou encore articuler et
cultiver des identités locales et la cohésion sociale.
Glossaire
Glossaire
Agenda de Lisbonne :
Après avoir constaté que l’Union européenne se trouvait “face à un formidable bouleversement induit par la
mondialisation et par les défis inhérents à une nouvelle économie fondée sur la connaissance”, le Conseil européen,
réuni à Lisbonne en mars 2000, a défini un nouvel objectif stratégique pour la décennie à venir : devenir
“l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance
économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande
cohésion sociale”. À ces trois objectifs a été ajouté, lors du sommet de Göteborg de juin 2001, le développement
durable.
Le but poursuivi en 2000 était de tendre vers une croissance économique de 3 % en moyenne et de créer
20 millions d’emplois avant 2010.
À mi-chemin, les résultats, plutôt mitigés, ont abouti à la révision de la stratégie de Lisbonne. En mars 2005,
le Conseil européen a décidé de concentrer les efforts de l’Union sur deux objectifs : la croissance et l’emploi.
Un effort a également été lancé pour “améliorer la gouvernance”, avec la mise en place d’un dispositif simplifié
qui doit “faciliter l’identification des priorités tout en respectant l’équilibre global de la stratégie, améliorer la mise
en œuvre de ces priorités sur le terrain en veillant à impliquer davantage les États membres et rationaliser
la procédure de suivi afin de mieux appréhender l’application de la stratégie au niveau national”. Sur cette base
a été adopté un ensemble de “lignes directrices intégrées” constituées des grandes orientations des politiques
économiques et des lignes directrices pour l’emploi. Sous sa propre responsabilité, chaque État a établi
un programme national de réforme. La Commission, de son côté, a présenté un Programme communautaire
de Lisbonne qui détermine les actions à entreprendre au niveau communautaire en faveur de la croissance et
de l’emploi.
Clusters :
Selon la définition de la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires
(DIACT), un cluster, ou “système productif local”, est “une organisation productive particulière localisée
sur un territoire correspondant généralement à un bassin d’emploi et fonctionnant comme un réseau
d’interdépendances constituées d'unités productives ayant des activités similaires ou complémentaires qui se divisent
le travail (entreprises de production ou de services, centres de recherche, organismes de formation, centres
de transfert et de veille technologique, etc.).”
Il s’agit pour l’essentiel de PME-PMI d’un même secteur d’activité – dans notre cas les industries créatives – ou
spécialisées autour d’un même produit ou métier, à la fois complémentaires et concurrentes, et souvent dotées
d’une structure d’animation associant les autres acteurs du territoire.
Glossaire
Industries créatives :
Plusieurs essais de définition ont été tentés. Les partenaires du réseau URBACT Culture ont ainsi cerné
les industries créatives comme étant “des secteurs économiques et culturels qui apportent, aux consommateurs et
aux entreprises, des produits et des services transmettant un sens et une symbolique par divers langages (écriture,
parole, son, image, conception). Les produits et les services fournis par ces industries découlent de la créativité,
du talent artistique ou de compétences individuelles ou collectives et sont conformes quant aux sens spécifiques
qu’ils transmettent et aux expériences qu’ils apportent. Les industries créatives jouent un rôle important dans
la construction des modes de vie et des identités de (groupes de) citoyens au sein de la société”.
Conceptuelle et pragmatique, l’approche retenue par le réseau a consisté à travailler avec trois principaux
domaines : arts et patrimoine culturel, industries des médias et du spectacle, et services créatifs aux entreprises.
Ces domaines se subdivisent en plusieurs branches spécifiques, du stylisme à la musique, de la radiodiffusion
au domaine du spectacle et des musées.
CITIES WEBSITE :
A m s t e rd a m : www. a ms t e rda m . n l
B a r i : www. c o mu ne. b a r i . i t
B i r m i n g h a m : www. b i r m i ng h a m . go v. u k
B r n o : www. b r no . c z
B u d a p e s t : www. b uda p e s t . hu
E vo s m o s : www. de p o e. g r
G i j ó n : www. g i j o n . e s
H e l s i n k i : www. helsinki.fi
Ka t ow i c e : www. p o r t a l . ka t o w ic e.pl & www. i r m . k ra ko w. p l
Lille Métro p o l e : www. c ud l - l i l l e. f r
M a n c h e s t e r : www. ma nc he s t e r. go v. u k
M a r i b o r : www. ma r i b o r. s i
N a p l e s : www. c o mu ne. na p o l i . i t
San Sebastián : www. do no s t ia . o rg
Ve l e n j e : www. v e l e n j e. s i
V i l n i u s : www. v i l n i u s. l t
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Dépôt légal : février 2008
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