Revue - CCMF

Transcription

Revue - CCMF
coma,
état végétatif
mort cérébrale
•
Bimestriel N° 210
Mars-Avril 1994
ARTERIOPATHIE DES MEMBRES INFERIEURS
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dans l'attente de celui-ci ou en cas d'impossibilité d'un !(este chirurgical. Comprimés : Traitement symptomatique de la claudication intermittente des artériopathies chroniques obi
rantes des membres inférieurs (au stade Il). B ·Cette indication re pose sur des essais cliniques en double aveugle par rapport il un placebo qui montrent une aUJ.(lltCntation du p
mètre de marche d 'au moins 50 %chez 50 à 60 % des malades traités ro ntrc 20 il 40 % des malades s uivant unique ment des régies hygiéno-diététiques. Amélioration du phénomene
Raynaud. Propriétés: Vasodilalateur. Le mécanisme.- de la vasodilatation est encore imparfaitement connu . Deux composan t e~. l'u ne de ly pP p:lpavf>riniQUP. l'aulre adrCnolytique a11
ont pu être mises en évidence. FONZYLANE restaure une microcirculation fonctionnelle e ffi caœ. en ouvrant les sphincters 11ré·capillaires spasmés nu détriment des s hunts artério·
ne ux. Effe ts indésirables : Les effets secondaires du FONZYU\NE sont rares. transitoires et souvent difficile ment imputables avec certitude au médicament. Ont été s ignalés
modifications du transit gastro-duodé nal. nausées. maux de tê te, vertiges. picotement des extrémités avec sensation de chaleur cutanée. Précautions d 'e mploi : Chez l'insuffü
rénal. la posologie doit être rêduite de moitié, soit 150 i1 300 mg/ jour. Il est préférable dans cc cas d'utiliser le FO ZVLANE dosé à 150 mg. Posologie : Traitement d 'attaque: - \
intramusculaire ou intraveineuse lente: 1 ampoule injectable matin et soir. coill du traitement journalier : 5.90 F - Perfusion e n solution glucosée ou salée isotonique: 2 à 8 ampot
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l'A.P. de Paris. Liste Il. Pour toute information complé mentaire se reporte r aux Dic ti onnaires de Spécialit es Phnrmaceutiques.
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IDJ:m J1~III@WWJ:m
Revue du Centre Catholique des Médecins Français
BIMESTRIEL
N° 210 - MARS-AVRIL 1994
RÉDACTEUR EN CHEF
pr Claude LAROCHE
CONSEIL DE RÉDACTION
MM. les Docteurs ABIVEN (Paris),
BARJHOUX (Chambéry), BLIN (Paris).
BOISSEAU (Bordeaux). BOST (Paris).
BREGEON (Angers).
CHARBONNEAU (Paris).
DEROCHE (Joué-les-Tours).
GAYET (Dijon). GERARDIN (Brive).
Mme le or GONTARD (Paris).
MM. les ors LIEFOOGHE (Lille).
MALBOS (Le Mans).
MASSON JBar-sur-Aube),
REMY (Garches).
SOLIGNAC (Perpignan)
SOMMAIRE
• Entre vie et mort, des « États Frontières » 7
par le Père Patrick Verspieren..........................
2
• La décision d'arrêt thérapeutique en réanimation
par le pr Jean-Daniel Tempé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
5
• Que dire de la vie psychique des malades présentant
un coma neuro-chirurgical 7
par le or Hélène Oppenheim-Gluckman . . . . . . . . . . . . . . . . . .
10
• États végétatifs
par le or François Tasseau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
15
• Comas, états végétatifs, mort cérébrale, de A à Z
par le pr François Blin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
18
Centre Catholique des
Médecins Français
5, avenue de !'Observatoire
75006 Paris
Tél. : 46.34.59.15
Fax: 43.54.10.07
• Mort cérébrale et relation avec les familles
par le or Solange Grosbuis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
23
ABONNEMENTS
• Le juriste et la définition médicale de la mort
par Véronique Rachet-Oarfeuille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
27
Un an: 330 F
Étranger : 350 F
Le numéro franco : 60 F
C.C.P. : C.C.M.F. 5635-34 T Paris
• La définition légale de la mort dans la pensée judaïque
par le pr Henri Atlan...................................
33
COMITÉ DE RÉDACTION
M. ABIVEN - F. BLIN - M. BOST
M. BOUREL - J.M. BOUVIER
P. CHARBONNEAU - P. CHARDEAU
F. GOUST - M.J. IMBAULT-HUART
J.M. JAMES - P. LAMBERT
J.M. MORETII - H. MOUROT
ADMINISTRATION
RÉDACTION
PUBLICITÉ
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la ffiOn
comme d'un processus, qui continue d'ailleurs après la signature de l'acte de décès.
Le juriste et le moraliste ne s'expriment pas de la même manière. Ils se posent la question
de la permanence ou de la disparition d'un être humain : à partir de quand peut-on affirmer la
fin de l'existence terrestre de M. X ou de Mme Y? Pour eux la mort n'est pas un processus, mais
un seuil.
Ces deux perspectives sont en fait conciliables; mais il faudrait l'exprimer de manière
claire et cohérente. Et pour cela, ne pas employer indifféremment le terme de mort.
Si l'on veut sortir de la confusion, ce terme de mort ne devrait être appliqué qu'aux êtres
biologiques considérés dans leur totalité, et non pas à des organes, à des tissus ou à des cellules.
Ces derniers peuvent être lésés au point de ne plus pouvoir remplir aucune de leurs fonctions,
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
3
Entre ,vie et mort,
des " Etats Frontières ,, ?
par Patrick VERSPIEREN s.j. (*)
Les articles qui suivent portent
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coma, état végétatif, mort cérébrale, qui
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ou même être totalement détruits. La personne, elle, reste vivante ou doit être considérée
comme morte, selon la nature de ces lésions, les circonstances, et les organes atteints.
Choisir un tel langage conduit à regretter qu'on ait forgé l'expression de «mort cérébrale». Cela ne conduit aucunement à récuser ce qui est dit plus loin de cet état et de son
constat, mais invite à prendre conscience du désarroi que l'on crée, en cas de perspective de
prélèvements d'organes, lorsqu'on annonce à une famille que le cerveau de son proche parent
est « mort», mais que ses autres organes sont «vivants». Comment ne pas conclure, dans
cette situation dramatique où les sentiments s'entrechoquent, à une mort partielle, et donc
aussi à une vie partielle du patient ?
La position exprimée dans les articles qui suivent est claire et nette. Il n'y a de mort de la
personne que totale ; sinon la personne est encore vivante.
Mais, de fait, cette mort est aujourd'hui constatée selon deux critères, l'un cardiorespiratoire, l'autre neurologique. C'est le critère neurologique qui fera plus loin l'objet de plusieurs contributions.
Pour ma part je pense important de bien distinguer critère et signes de la mort. Le
Dr S. Grosbuis précise ce sur quoi s'appuie le médecin, en service de réanimation, pour affirmer
la mort de la personne: la destruction de l'ensemble du cerveau, la cessation définitive des fonctions du tronc et des hémisphères cérébraux. Tel est le critère neurologique aujourd'hui admis.
Un tel état ne peut être reconnu directement, mais seulement par la médiation du recueil
d'un faisceau de signes concordants. Comme il est dit plus loin, la liste de ces signes diffère
légèrement d'un pays à l'autre. Cela ne porte pas nécessairement atteinte à l'unicité du critère.
Un même critère neurologique est donc admis dans la plupart des pays médicalement
développés, et accepté par une grande majorité des médecins, des jusristes, des philosophes,
des théologiens et des moralistes. Cet accord est cependant fragile.
Une chose est en effet surprenante. Nous sommes d'accord pour accepter ce critère. Mais
pourquoi le sommes-nous ? Paradoxalement, cette question est rarement posée. Au nom de
quelle représentation de la vie et de la mort acceptons-nous le critère neurologique ?
Je pense personnellement que ce critère peut être légitimé à l'intérieur de systèmes philosophiques ou théologiques différents. Il serait important de le faire apparaître. L'insuffisance
actuelle de la réflexion laisse le champ libre à deux tentatives opposées : la remise en cause de
critère neurologique actuel (ce qui est le fait notamment de certains milieux catholiques), et le
plaidoyer en faveur d'un élargissement du critère, de manière à y inclure« l'inconscience irréversible» ou «la perte définitive de toutes les fonctions mentales ou supérieures» (4).
Dès 1966, comme il a été dit, était proposé le concept « d'États Frontières ». Resurgit
aujourd'hui une manière analogue de considérer l'ensemble des cas d'incommunicabilité qui
sont la rançon des succès de la réanimation. Mais si en 1966 ces « États Frontières » étaient
placés du côté de la vie, certains proposent aujourd'hui de les considérer comme étant au-delà
du seuil que constitue la mort.
Le présent numéro de Médecine de fHomme traite simultanément de ces diverses situations. Non pas pour opérer un amalgame, mais au contraire pour inviter chaque lecteur à s'interroger à propos de chacun de ces états et, si nécessaire, à critiquer des représentations courantes dont une approche attentive des patients permet de contester la validité. Cela
apparaîtra sans doute nettement à la lecture des articles qui suivent.
•
BIBLIOGRAPHIE
1. PLUM (F.), POSNER (J.B.). - Dia,gnostic de la stupeur et des comas, 2e édition, Masson, 1983.
2. COHADON (F.), RICHER (E.). - Etats végétatifs post-traumatiques, Rev. Franç. Dommage Corp., 19, n° 3, 1993, p.
229-243.
3. VIGOUROUX (R.P.). - Les États Frontières entre la vie et la mort, Marseille Chirurgical, 18, n° 1, 1966, p. 6-11.
4. VEATCH (R.M.). - Brain Death and slippery slopes, The Journal of Clinical Ethics, 3, n° 3, 1992, p. 181-187.
4
MÉDECINE DE L'HOMME N° 209
LA DÉCISION
D'ARRÊT
THÉRAPEUTIQUE
EN RÉANIMATION
La décision d'arrêt thérapeutique représente probablement le problème d'éthique médicale le plus
important en réanimation. Il nous interpelle quotidiennement. Il y aura bientôt 40 ans que naissait en France
le concept de réanimation. Depuis la réanimation a
permis de sauver d'innombrables vies humaines. Elle
s'est imposée comme une des clés de voûte de l'hôpital moderne. Ses succès ont fait que des malades de
plus en plus nombreux, de plus en plus graves, de plus
en plus jeunes (nouveau-nés, prématurés) mais également de plus en plus âgés ont été confiés aux réanimateurs.
Très rapidement les réanimateurs ont pris conscience qu'ils avaient la possibilité de faire survivre artificiellement, pendant des durées plus ou moins longues,
des patients sans aucune chance de récupération, dans
un état souvent pitoyable ou encore, présentant une
altération profonde et définitive de la conscience (1).
La crainte de voir les médecins poursuivre la réanimation au-delà du raisonnable a fait naître une réaction
bien compréhensible de lopinion publique contre ce qui
a été dénommé en France «l'acharnement thérapeutique». Tout le monde, les réanimateurs les premiers
s'accordent à condamner, sans appel, un tel acharnement thérapeutique (2).
Il est bien admis de nos jours que : « le respect de
la vie ne doit pas être poussé à l'absurde»; «le
médecin n'est pas chargé de prolonger l'agonie et n'a
pas davantage l'obligation de faire durer une vie sans
espoir». Tout le monde s'accorde également pour
affirmer que « le recours à la réanimation et sa poursuite
ne sont licites que s'il y a des chances raisonnables de
succès».
COMMENT ÉVITER LE PIÈGE
DE L'ACHARNEMENT THÉRAPEUTIQUE?
« Le réanimateur ne doit : ni laisser échapper une
chance de guérison, ni engager son malade dans
l'épreuve de l'acharnement thérapeutique. Il doit fonder
sa décision sur une stratégie réfléchie et des critères
objectifs» (1).
Un préalable est de ne pas admettre en réanimation les malades pour lesquels la réanimation n'est
pas raisonnable et sans bénéfice, malades pour lespar le pr Jean-Daniel TEMPÉ (*)
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
(•) Service de Réanimation Médicale, Hôpital de Hautepierre,
67098 Strasbourg Cedex.
5
La décision
d'arrêt thérapeutique
quels la réanimation ne permet pas d'espérer le retour à
un état antérieur (malades en phase terminale de leur
maladie ou de leur vie) et constitue une entrave à I' évolution naturelle et terminale de leur maladie.
Une deuxième catégorie de patients à ne pas
admettre en réanimation sont ceux qui ont exprimé clairement et sans ambiguïté le souhait de ne pas bénéficier de la réanimation.
En pratique, la situation est plus complexe ; le
réanimateur ignore le plus souvent les données
diagnostiques et pronostiques de son malade. C'est
pour cela qu'en condition d'urgence, en présence d'un
malade dont les informations sont incomplètes, il doit
entreprendre la réanimation sans délais et sans demimesures. Cette attitude a pour corollaire l'arrêt de toute
thérapeutique autre que palliative de confort dès que
l'évolution laisse entrevoir une issu défavorable (1, 3).
La décision du désengagement thérapeutique est
une décision grave, elle doit reposer sur une démarche
d'une extrême rigueur et être élaborée sans précipitation. Bien qu'il soit admis tant sur le plan éthique que
juridique qu'il n'y a pas de différence entre l'abstention
thérapeutique et l'arrêt thérapeutique, la décision
d'arrêt thérapeutique reste pour certains soignants,
plus difficile a mettre en œuvre que l'abstention thérapeutique.
QUELLES SONT LES CONDITIONS
DE L'ARRÊT THÉRAPEUTIQUE
EN RÉANIMATION?
Il faut tout d'abord que le diagnostic sur lequel
repose le pronostic soit fait avec le plus de précision
possible, mais ceci peut nécessiter parfois plusieurs
jours:
« - il faut s'assurer que toutes les possibilités thérapeutiques ont été utilisées,
- il faut ensuite apprécier le pronostic,
- reconnaître l'incurabilité du patient,
- et s'assurer de l'irréversibilité des fonctions étudiéeS» (1 ).
PEUT-ON PRÉDIRE LA MORT
EN RÉANIMATION 7
Telle est la question sur laquelle se sont penchées
de nombreuses équipes qui ont élaboré des outils sta-
6
tistiques. Quelle est la performance de ces outils statistiques par rapport au jugement clinique du médecin ?
Deux variétés de scores ont été élaborées, ce sont
les scores de gravité statiques, polyvalents, établis le
premier jour d'hospitalisation et les scores de gravité
dynamiques, prenant en compte plusieurs jours d' évolution (4).
Les scores de gravité statiques polyvalents permettent de définir les malades les plus graves au
premier jour. Le Saps de Legall et I' Apache Il de Knaus
sont les scores les plus utilisés (5, 6). Ils sont construits
empiriquement. Ils reposent sur des données cliniques
et biologiques simples recueillies au cours des 24 premières heures. Ces scores ont en commun de classer
les malades en groupe de probabilité de mortalité sans
tenir compte du diagnostic. En réalité les relations existantes entre les indices polyvalents et la mortalité
dépendent du diagnostic.
Fagon vient de proposer un nouveau modèle prédictif, l'Odin. Il est basé sur l'existence de six défaillances viscérales et d'un état infectieux. La mortalité est
liée au nombre de défaillances viscérales observées le
premier jour.
Au-delà du premier jour d'hospitalisation, la seule
échelle actuellement validée est l'échelle O.S.F. de
Knaus qui repose sur la définition de 5 défaillances viscérales: cardiovasculaire, respiratoire, rénale, hématologique et neurologique.
L'étude 0.S.F. réalisée en France et aux États-Unis,
portant sur 5 248 patients admis dans 40 services, a
montré que pour des malades ayant 3 défaillances viscérales au-delà du 2 8 jour, la mortalité se situait entre
95 % et 97 % (7).
Quel est le pouvoir prédicitif du jugement médical 7
Diverses études ont tenté de dégager la valeur prédictive du jugement clinique du médecin énoncé le
premier jour d'hospitalisation. Assez performants dans
leurs prévisions de survie, les médecins le sont
beaucoup moins dans leurs prévisions de décès.
Quelle est la valeur respective du jugement médical
et des scores de gravité le premier jour 7
Branen, comparant le jugement clinique à
I' Apache Il a constaté que le sens clinique des
médecins est au moins sinon plus performant que
I' Apache Il (8). Lemeshow, comparant dans une même
série de 2 000 malades, les 3 scores polyvalents
(Apache, Saps, M.P.S.) a montré que ces scores
avaient une bonne valeur prédictive de survie. Par
contre leur valeur prédictive de décès est médiocre
puisque le taux d'erreur se situe entre 8 et 14 % ce qui
est inacceptable pour prendre une décision d'arrêt de
réanimation (9).
Au total les scores statiques ou polyvalents, ne
peuvent être utilisés pour l'établissement d'un pronostic individuel. Il ne faut pas les utiliser pour des décisions d'arrêt thérapeutique. En revanche l'évaluation en
cours d'hospitalisation du nombre et de la gravité des
défaillances viscérales, associée à létude des facteurs
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
pronostics validés dans des groupes de diagnostic bien
défini, permet non pas de prédire la mort mais d' envisager une probabilité de décès très élevée. Finalement,
il faut reconnaître que dans l'état actuel de nos connaissances, le médecin ne dispose pas le plus souvent de
critères de certitude. Il est amené à se prononcer sur
des données scientifiques probabilistes et sur son
expérience personnelle.
QUALITÉ DE VIE
La décision doit également tenir compte de la
qualité de vie que l'on offre au malade. Le concept de
qualité de vie est difficile à apprécier : seul doit être pris
en compte la manière dont elle est ressentie par le
patient lui-même : « le médecin ne peut substituer sa
propre conception de la qualité de vie à celle de son
patient».
A QUI APPARTIENT
LA DÉCISION D'ARRÊT THÉRAPEUTIQUE 7
Deux situations de difficulté inégale peuvent se présenter selon que le malade se trouve ou non en état
d'exprimer sa volonté.
Lorsque le patient est en état de prendre une
décision et d'exprimer sa volonté, la solution est théoriquement simple puisque la volonté du malade doit toujours être respectée dans toute la mesure du possible.
C'est l'application de la règle du consentement
éclairé.
En fait certaines situations peuvent poser de difficiles problèmes : ce sont les demandes d'arrêt thérapeutique formulées par des patients qui ne se trouvent
pas en situation terminale ou qui a fortiori ont une
chance raisonnable de guérison. Ces situations nécessitent des négociations répétées, impliquant la participation de la famille, parfois de proches, d'un psychologue, d'un représentant du culte de son choix et bien
entendu de l'équipe soignante. L'expérience nous a
appris qu'après une période de réflexion, le patient
acceptait le plus souvent de revenir sur sa demande de
refus de soins, qu'il y aura lieu de distinguer d'une
demande d'euthanasie.
En réalité il s'avère qu'en réanimation on se trouve
le, plu~ souvent devant ,un patient dans l'incapacité
d exprimer sa volonté, c est également la situation la
plus diffi~ile. Faut-il chez un malade qui a perdu son
autonomie, sa capacité de décision, faire porter le poids
de I~ déc_ï~io~ par la famille, un proche, un tuteur, un
Comité d Ethique, un homme de loi, le médecin 7
Aux États-Unis les recommandations du rapport de
la .commission du Président sont de désigner un « substitut » ou «tuteur » chargé de décider à la place du
patient hors d'état d'exprimer sa volonté. Ce substitut
doit prendre sa décision en se référant à deux règles : la
règle du jugement de substitution, ou la règle du
meilleur intérêt pour le patient (10, 11).
Cette attitude Nord-Américaine qui tend à dégager
la reSJ?~nsabilité du médecin et à faire porter le poids de
la déc1s1on sur un substitut, est loin d'être unanimement
acceptée. Hackler a récemment rapporté les inconvéMÉDECINE DE L'HOMME N° 210
nients des règles hospitalières et les risques d'acharnement thérapeutique encourus par le patient lorsque le
substitut s'oppose à la décision raisonnable d'arrêt thérapeutique ( 12).
Notre attitude en France en ce qui concerne l'arrêt
de la réanimation et l'implication de la famille diffère en
bien des points des recommandations Nord-Américaines. Tout d'abord contrairement aux États NordAméricains, il n'existe, et cela nous paraît souhaitable,
aucune recommandation ni règle hospitalière administrative en matière de poursuite ou d'arrêt des soins.
Sauf pour les mineurs ou incapables majeurs, le recours
au substitut n'est pas demandé.
Impliquer la famille dans la responsabilité directe de
la décision ne nous paraît pas, sauf exception, une
solution pertinente. Ceci avait à plusieurs reprises été
souligné par l'.llaurice Rapin et c'est également l'analyse
du Comité d'Ethique de la Société de Réanimation de
Langue Française.
En effet, la notion de « proche » est mal définie sur
le plan juridique. La famille a rarement un jugement
objectif. Elle est, et ceci est bien compréhensible, le
plus souvent sous l'emprise de réactions affectives,
émotionnelles et parfois même passionnelles. Les
intérêts des divers membres d'une même famille sont
souvent divergeants et les avis hésitants ou contradictoires. Certaines familles demandent l'arrêt des soins,
alors que rien n'est joué; à l'inverse, d'autres ne
peuvent accepter le verdict de l'incurabilité et exigent
que tout et l'impossible soit fait, sans bénéfice pour le
patient, voire même au prix d'une souffrance inutile. De
plus l'implication directe de la famille dans la responsabilité d'une telle décision, peut être source d'angoisse
et déterminer ultérieurement des remords ou des
conflits au sein des familles.
En revanche il nous paraît indispensable d'engager
avec la famille un dialogue répété aussi souvent que
néce~saire. Il faut lui ~ppo~er les informations les plus
précises et comprehens1ves sur le patient, son
diagnostic, son pronostic. Il faut l'écouter et tenir le
plus grand compte de la connaissance qu'elle peut avoir
de l'opinion qu'exprimerait le malade s'il pouvait être
interrogé. Au dialogue impossible entre le médecin et
son malade, doit se substituer un indispensable «dialogue médecin-famille ». Ce dialogue obtient dans la
très grande majorité des cas l'adhésion de la famille à la
décision médicale. Bien des difficultés et des malentendus sont évités lorsque le réanimateur se donne le
temps d'écouter, d'informer et d'assister la famille (13).
Finalement, il s'avère qu'en réanimation le poids de
la décision ne peut que rarement être partagé entre le
médecin et son malade du fait d'un dialogue impossible
et que la responsabilité directe de la décision ne saurait
reposer sur la famille ou un proche. Elle repose le plus
souvent en totalité sur le médecin. Pour autant elle ne
saurait être individuelle mais collégiale. Elle doit être le
résultat d'un consensus pris par l'ensemble de l'équipe
soignante sans précipitation et avec réflexion en tenant
le plus grand compte des données médicales et de ce
que l'on a appris des souhaits du malade et de l'avis de
la famille. li est souhaitable que cette décision soit prise
à l'unanimité des personnes impliquées même si in fine,
la responsabilité de cette décision appartient au responsable de l'équipe médicale.
7
La décision
d'arrêt thérapeutique
LA DÉCISION PEUT-ELLE ÊTRE PRISE
À PARTIR D'UN TESTAMENT DE VIE?
Théoriquement cette situation représente la
volonté du malade a un moment donné. Doit-elle être
suivie ? Le testamE!nt de vie qui est vivement encouragé
et reconnu aux Etats-Unis, n'est généralement pas
reconnu dans d'autres pays notamment en France et il
semble difficile lorsque lon est en bonne santé de
pouvoir anticiper toutes les éventualités qui peuvent se
présenter. Ce testament de vie exprime en général le
refus du patient de se trouver dans un état comportant
des troubles de la conscience et demande à ce qu'il soit
mis fin à sa vie. Sur le plan juridique en France, un tel
testament de vie, ne préserverait aucunement le
médecin contre des poursuites et ne le délivre pas de sa
responsabilité.
COMMENT APPLIQUER
LE RENONCEMENT THÉRAPEUTIQUE?
La décision d'arrêt de la réanimation n'est pas un
abandon de malade, « c'est une limitation des soins qui
repose sur la détermination d'objectifs différents» (14).
Lorsque la décision du renoncement thérapeutique est
prise, une désescalade thérapeutique est effectuée
visant à interrompre les traitements étiologiques et les
mesures de réanimation en leur substituant un traitement palliatif de confort.
Ainsi seront prises les décisions : de ne plus réanimer un arrêt cardia-respiratoire; d'arrêter tout traitement actif qui ne soit pas incompatible avec le confort
du malade ; de maintenir un traitement palliatif de
confort.
Le retrait des moyens de réanimation constitue une
étape difficile. Elle nécessite de la part du médecin,
expérience, compétence, compassion. Cette étape ne
peut être abordée que dans le respect de la personne,
le bien du malade et sa dignité.
La décision d'arrêt thérapeutique doit être adaptée
à chaque cas particulier. Ainsi chez un malade non totalement comateux, le respirateur ne peut être débranché
ni les apports hydriques supprimés sans entraîner
asphyxie et sensation de soif. Ils doivent être maintenus et associés aux autres mesures de traitement palliatif. Si sur cette stratégie de désescalade il n'existe en
général pas de grande différence de pratique entre les
équipes médicales Nord-Américaines et Européennes, il
8
faut signaler que l'arrêt de la nutrition entérale et de
1'.hydratation font partie des mesures d'arrêt thérapeutique par de nombreux médecins Nord-Américains,
alors qu'en France elles restent parties intégrantes des
soins palliatifs de confort. Ceci est tout particulièrement
le cas lorsque l'on se trouve en présence d'un état non
immédiatement terminal tel qu'un coma prolongé ou un
état végétatif. Les soignants et les médecins n'acceptent pas en général d'interrompre la vie d'un patient
en lui supprimant sa nutrition et son hydratation élémentaire.
Si la décision d'arrêt de réanimation, qui nous
l'avons déjà dit, ne constitue pas un abandon, peut
accélérer le décès du malade ou plus exactement
réduire sa survie, elle ne peut et ne doit être confondue
ni assimilée à l'euthanasie. L'euthanasie ne constitue
pas une réponse au risque d'acharnement thérapeutique, elle traduit une misère médicale et une misère de
la société. Le réanimateur ne tue pas son patient à la
demande du patient, de ses proches, de la société. Il
s'oppose uniquement à un acharnement thérapeutique
contraire à la dignité de l'homme.
Les pratiques de la limitation des soins semblent à
un tournant et un dérapage est rapidement possible.
Une enquête sur les attitudes des médecins européens
publiée en 1990 par Jean-Louis Vincent a montré que
63 % des réanimateurs européens reconnaissaient
arrêter la réanimation et que 36 % admettaient le
principe de l'euthanasie. Sprung en 1991 a solennellement attiré lattention sur la dérive actuelle de certains
médecins Nord-Américains qui admettent l'aide au
suicide d'un malade en phase terminale et que des décisions d'arrêt de réanimation soient faites sur la pression
des familles ou des institutions. Il craint la résurgence
de pratiques médicales, telles qu'elles ont été utilisées
par les médecins nazis. Des programmes d'euthanasie
active lui paraissent vraisemblables dans un proche
futur (15).
Ces craintes ne sont pas totalement injustifiées
quand on connaît les dérives qui se sont produites
depuis 1984 en Hollande, à la suite du procès
d'Alkmaar et de l'autorisation accordée aux médecins
de pratiquer sous certaines conditions leuthanasie. Dix
à douze milles personnes sont euthanasiées chaque
année dans ce pays dont une proportion importante à la
demande des familles et sans le consentement des
intéressés. Tout récemment, des juges hollandais n'ont
pas condamné un médecin s'étant prêté à l'aide au
suicide d'un malade.
CONCLUSION
L'histoire de la réanimation nous a appris:
- Que le pouvoir qu'ont les médecins de faire survivre
par leurs techniques des patients au-delà du raisonnable, est contraire aux règles morales et unanimement dénoncé.
- Que pour prévenir ce risque les médecins ont dO
apprendre le renoncement thérapeutique et à
passer des soins actifs de suppléances des fonctions vitales aux soins palliatifs de confort.
- Que bien des nuances existent dans les comportements des médecins des différents pays qui trouvent
leur explication dans des références morales, des
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
sensibilités culturelles ou encore des contingences
économiques différentes.
- Que dans certains pays la crainte d'exposer des
malades aux abus thérapeutiques, mais également le
souci de protéger les médecins contre les poursuites
éventuelles ont abouti à la proclamation de lois et à
rétablissement de réglementation définissant les conditions du renoncement et de l'arrêt de la réanimation.
4. LE GALL (J.-R.). - Définitions et critères objectifs des décisions d'arrêt de traitement actif en réanimation d'adultes.
Annales Médicales de Nancy et de l'Est, 1992 ; 31 :
Quelles propositions pouvons-nous formuler pour
progresser dans ce difficile problème 7 Faut-il comme
dans certains pays légiférer ou réglementer la conduite
médicale de la limitation de soins. Rappelons que pour
le pr J. Bernard, ancien Président du C.C.N.E., « l'éthique ne se décrète pas » et que « la rapidité des progrès
biologiques font que la loi à peine promulguée est déjà
dépassée». Légiférer dans le domaine de l'arrêt des
soins ne nous paraît ni urgent, ni souhaitable.
1981; 9: 591-597.
7. KNAUS (W.A.), RAUSS (A.), ALPEROVITCH (A.), LE GALL (J.R.),
En revanche certaines propositions nous paraissent
prioritaires :
- accroître nos connaissances dans le domaine du
diagnostic et de r évaluation des pronostics, c'est un
axe privilégié de la recherche en réanimation ; développer la formation des médecins et tout particulièrement des étudiants et des soignants dans le
domaine de l'éthique médicale et des soins palliatifs;
multiplier les groupes de réflexion au niveau de nos
hôpitaux, universités et de notre société ; enfin ouvrir
le débat au grand public puisque les problèmes
d'éthique médicale sont des problèmes de société. •
9. LEMESHOW (S.), TERES (0.), AVRUNIN (S.), PASTIDES (H.). A comparison of methods to predict mortality of intensive
care unit patients. Crit. Care. Med., 1987; 15:
295-299.
5. LE GALL (J.-R.), LOIRAT (P.), ALPEROVITCH (A.). - Simplified
Acute physiologie Score for intensive care patients. Lancet
1985; Il: 741.
6. KNAUS (W.A.), ZIMMERMAN (J.E.), WAGNER (D.R.) et coll. Apache: Acute Physiology and Chronic Health Evaluation: a
physiological/y based classification system. Crit. Care Med.
LOIRAT (P.), PATOIS (E.), MARCUS (S.E.), and the French
Multicentric Group of ICU Research. - Do Objective Estimates of Chances for Survival Influence Decisions to
Withhold or Withdraw Treatment7 Medical Decision
Making, 1990; 10: 163-171.
8. BRANNEN (LA.), GODFREY (l.J.), GOETTER (W.E.). -Prediction
of Outcome from Critical lllness. A Comparison of Clinical
Judgment with a Prediction Rule. Arch. lntern. Med. 1989 ;
149: 1083-1086.
715-722.
1O. A Report on the Ethical, Medical and Legal Issues in
Treatment Decisions: Deciding to Forego Life-Sustaining
Treatment. Washington, OC: President's Commission for
the Study of Ethical Problems in Medicine and Biomedical
and Behavioral Research, 1983.
11. Ethical and Moral Guidelines for the Initiation, Continuation, and withdrawal of Intensive Care (ACCP /SCCM
Consensus panel). Chast, 1990 ; 97 : 949-958.
12. HACKLER (J.C.), H!LLER (F.C.). - Family Consent to orders not
to resuscitate. Reconsidering Hospital Policy. JAMA, 1990 ;
264: 1281-1283.
13. TEMPé (J.-0.). - R61e de la famille dans la décision d'arrêt
thérapeutique en réanimation. Joumée d'Éthique Maurice
Rapin, Pont-à-Mousson 21-22 juin 1992. Réan. Soins
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32-33.
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confort en réanimation. Bull. Acad. Nat. Med., 1979 ; 163 :
566-571.
lntens. Med. Urg., 1991; 7: 417-418.
14. MATRAY (B.). - Dimension spirituelle des personnes et
éthique des décisions d'arrêt de traitement en réanimation,
pp. 115-121. ln: Enseignement Infirmier Supérieur de
Réanimation, éd. Medialogues, volume 4, 1992.
15. SPRUNG (C.L.). - Changing attitudes and practices in forgoing
life-sustaining treatments. JAMA, 1990 ; 263 : 22112215.
VIENT DE PARAÎTRE
INSTITUTO SCIENTIFICO OSPEDALE
SANS RAFFAELE
Aids. Etica, giustizia e politica sanitaria
a cura di Paolo Cattaroni Edizioni Paoline,
Milano, 1993
Il s'agit des Actes d'un Colloque tenu en
octobre 1991 à Milan sur le thème
annoncé. Les communications s'organisent autour de quatre thèmes : après
une introduction montrant la prospective
concernant le Sida, sont abordées les
questions, les liens et conflits éventuels
entre les droits individuels et la collectivité à propos de cette maladie, des
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
dilemmes éthiques, des questions
posées par l'allocation des ressources et
des politiques sanitaires envisageables.
L'axe commun à ces contributions est de
mettre en lien la notion de justice (et sa
dimension collective) avec le souci
éthique dans le soin des personnes.
COMITATO NAZIONALE PERLA BIOETICA
la legislazione straniera sui/a procreazione
assistita, la sperimentazione dei farmaci
Coll. « Societa è istituzioni »
Presidenza del Consiglio dei Ministri
Dipartimento per l'lnformazione e l'Edi-
toria Dipartimento per gli Affari Sociali,
Roma, 1992
Il s'agit pour le premier d'un recueil des
différentes législations étrangères à
l'Italie portant sur l'assistance à la procréation: Australie, Autriche, France,
Allemagne, Norvège, Royaume-Uni,
Espagne, États-Unis, Suisse, et pour le
second d'une série de rapports du Comité
sur les différents aspects de I' expérimentation des médicaments, avec les conclusions et les recommandations du Comité
national pour la bioéthique.
pr Jacques LIEFOOGHE.
9
QUE DIRE DE LA VIE
PSYCHIQUE
DES MALADES
PRÉSENTANT
UN COMA NEUROCHIRURGICAL ? (*)
Le développement de la psychologie cognitive, la
description de représentations mentales inconsciente
(Jeannerod, 1990) a relancé le débat sur les rapports
entre processus conscients et inconscients et a mis fin
au dogme qui dominait le plus souvent la psychologie et
la neurologie, la conception d'une activité psychique
élaborée totalement par définition consciente.
L'existence de l'lnconscient, la description de sa
structure et de ses formes constituent par ailleurs les
fondements de la psychanalyse (Freud, 1915). Il nous a
semblé important d'étudier la vie psychique des sujets
lors des réveils de coma en neurochirurgie afin de
répondre à plusieurs questions : Quels sont dans un tel
contexte le devenir des processus inconscients et les
rapports entre processus conscients et inconscients ?
La conscience étant abolie, le coma s'accompagne-t-il
d'une libération de l'lnconscient, et sous quelle forme,
ou bien celui-ci, au même titre que la conscience se
trouve-t-il destructuré par le dysfonctionnement
cérébral? Il est évident qu'il n'est pas possible d'apporter une réponse directe à ces questions car, pendant
le coma, la communication est très réduite. Toutefois,
l'observation de la période frontière entre le coma et
l'éveil permet de tenter de répondre à ces questions.
Pendant cette période, la conscience est encore partielle ; mais une communication élémentaire peut être
établie entre le patient et son entourage.
L'intérêt de ces questions est double: une meilleure compréhension de la vie psychique des patients
lors de la sortie du coma devrait permettre de mieux
orienter laide que nous pouvons leur apporter dans
cette période. D'autre part, les retombées éthiques de
cette question nous semblent importantes.
ÉTUDE DES RÉVEILS DE COMA
EN PHASE AIGUË
Les descriptions bien connues des états de stupeur
et de confusion (Plum et Posner, 1983) qui préludent ou
suivent un coma ne nous semblaient pas pouvoir rendre
compte d'un point de vue psychodynamique de la vie
psychique des patients lors des réveils de coma. Nous
par le
10
or H. OPPENHEIM-GLUCKMAN (**)
(9) Article issu d'une recherche sur« vie psychique et réveils de
coma, retombées thérapeutiques» (C.N.E.P. l.N.S.E.R.M. 89 CN 23 et
subvention Conseil Scientifique du C.H.U. Pitié-Salpêtrière, Paris).
(..) Psychiatre et Psychanalyste, service du pr Philippon et du
pr Oerouesne, Hôpital de la Salpêtrière, Paris et Laboratoire de Psychopathologie Fondamentale, Paris-VII.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
avons donc défini létat frontière entre le coma et
l'éveil.
Nous appelons état frontière entre le coma et l'éveil,
la période située entre les premiers signes d'éveil du
coma et la période où la communication habituelle redevient possible et s'accompagne de la récupération d'un
minimum d'autonomie corporelle (alimentation
autonome, maîtrise sphinctérienne, ablation de la trachéotomie, récupération de l'alternance jour nuit et des
cycles veille-sommeil). Nous l'avons divisé en deux
phases.
Dans la période d'apparente incommunicabilité,
le malade ouvre les yeux spontanément, réagit aux stimulations, exécute parfois un ordre simple. Il a retrouvé
sa vigilance, mais il n'apparaît pas« conscient» à l'observateur: le regard demeure vide, difficile à accrocher,
le malade ne parle pas et ne semble pas reconnaître son
entourage, aucune émotion n'est apparente. On ne peut
comprendre cette période, on ne peut l'aborder qu'en
considérant comme «un seul bloc», comme dans les
thérapies familiales, ou dans les études sur les interactions nourrisson-environnement, les inter-relations
sujet malade, famille, soignants. Toute observation
extérieure et comportementale du sujet ne peut rien
apporter, sinon des gestes sans significations, qualifiés
le plus souvent de «réflexe». L'observation des
malades dans cette phase, et des inter-relations
malade, famille, soignants nous a permis de montrer
que malgré «l'apparente incommunicabilité», il existe
une inter-relation entre le sujet, sa famille et les soignants. Le sujet est pris dans un réseau de communication dont il subit les effets et auquel il réagit de façon
non verbale.
Du côté du malade, il nous a semblé possible de différencier trois types de gestes ou de comportements :
- des «comportements liens», qui s'inscrivent dans
une continuité de sens, d'action, de but. Ils apparaissent comme des comportements fondamentaux
qui rattachent le sujet à son histoire personnelle et
familiale inconsciente. Ils traduisent la continuité des
processus inconscients. Ni réflexes, ni actes conscients, ils correspondent à une mise en acte de l'lnconscient dans le corps, à un « comportement signifiant», équivalent aux mouvements ou comportements représentés dans le rêve (Widlocher, 1991),
mouvements agis comme dans le somnambulisme.
Ainsi, lorsque M. M, jeune adulte qui n'arrive pas à
sortir d'une logique d'accidents à répétition et à
trouver les voies de son autonomie, «passe par
dessus la barrière » de son lit en sortant du coma, il
s'agit d'un« comportement lien» que nous pourrons
relier ultérieurement à ses conduites transgressives,
aux circonstances de son accident (il s'est encastré
sous un camion à l'arrêt sans freiner), elles-mêmes
liées à ses difficultés à se confronter à quelque chose
qui fasse limite dans sa famille ;
- des gestes à visée de communication, intentionnels,
conscients ;
- des gestes élémentaires que nous avons appelé,
faute de mieux, « moindres gestes ». Ces gestes, par
exemple un mouvement de lépaule, tendre un index,
ne s'inscrivent a priori dans aucune continuité cinétique ou dynamique, dans aucune image du corps. Ils
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
introduisent la plus petite différence temporelle entre
l'avant et l'après de ce mouvement, la plus petite différence dans le corps par sa mobilisation. Ils constituent les premières bornes d'une chronologie pour le
malade et le soignant, ils ouvrent la voie au premier
espace psychique relationnel entre le sujet malade et
son entourage. Ils permettent aussi de charger de
présence un corps considéré comme inanimé,
donnent au sujet une chance de rester sujet y
compris par rapport au regard porté par les autres
sur lui. Dans le repérage de ces« moindres gestes»,
nous nous inscrivons dans la continuité des travaux
de K. Goldstein et de Merleau-Ponty et dans la continuité des travaux psychanalytiques sur lautisme (K.
Goldstein, 1951 ; Merleau-Ponty, 1945 ; F. Tustin,
1990).
Dans la phase d'« éveil dans /'étrangeté», des
indices francs de communication et de relation
deviennent progressivement manifestes.
Les patients s'expriment par des manifestations qui
semblent en apparence peu adaptées à la réalité :
- des comportements régressifs (demandes incessantes de caresses, comportements enfantins, utilisation du drap ou de certains objets comme objets
transitionnels ( 1) ;
- des vécus hallucinatoires ou oniroides (autour de
thèmes de guerre, d'accidents, de bris corporels
etc.);
- des états de dépersonnalisation (le malade ne semble
avoir conscience ni de lui-même, ni de son corps).
Nous avons pu repérer une logique inconsciente
rigoureuse derrière ces manifestations. Nous avons
constaté qu'il y avait pour les patients à la fois risque de
perte de l'identité subjective et tentatives de lutte
contre la perte de celle-ci, maintien, malgré la rupture
introduite par le coma, d'une continuité psychique
inconsciente entre l'avant et l'après-coma.
La perte de l'identité subjective se manifeste
par:
Un vécu « d'inquiétante étrangeté » (Freud, 1919)
qui se traduit par le sentiment de «bizarre», de
«magique», un vécu de corps éclaté.
Il existe, chez les hommes, et non chez les
femmes, un trouble concernant leur identité sexuelle. À
cause du coma qui diminue les refoulements et qui,
avec les soins, induit la passivité, il y a expression d'une
position féminine refoulée qui existe chez tout homme.
M. L prend la psychologue femme pour un homme,
M. D dit au kinésithérapeute homme qui s'occupe de
lui: «tiens vous n'avez pas de soutien-gorge».
Il peut aussi exister un sentiment, même fugace, de
perte de l'identité humaine. M. M, à propos des
attaches utilisées en réanimation pour que les patients
ne s'extubent pas raconte dans l'après-coup des
« rêves hallucinants » : « J'étais un chien, dit-il ». Il
traduit ainsi sa difficulté à préserver son identité
humaine.
( 1) Terme utilisé par Winnicott pour désigner le « doudou » des
bébés, représentation de la mère (Winnicott, 1975).
11
Vie psychique
et coma
La tentative de lutte contre le risque de perte de
l'identité peut être perçue à travers :
- Les tentatives du sujet de traduire la réalité des
soins, des paroles de lentourage à travers le contenu
des vécus hallucinatoires, oniroïdes, délirants. M. M
raconte six mois après son coma le contenu de l'un
de ses vécus oniroïdes: «je passais à la Radio,
c'était pour le débarquement ... l'émission de De
Gaulle ... mais c'est moi qui parlais, j'étais De Gaulle,
en Angleterre ... » Ce rêve est à relier à la polysémie
du mot Radio (l'image radiologique ou l'émission
radiophonique).
- Des « mots liens », des «comportements liens »
c'est-à-dire des mots ou des comportements qui rattachent le sujet à son histoire personnelle ou familiale. Ils traduisent les tentatives inconscientes du
sujet de préserver sa continuité psychique entre
l'avant et l'après-coma, de faire lien entre son histoire antérieure et la situation actuelle. Ces « motsliens », ces «comportements-liens», qui existent
chez tous les malades, font référence à la biographie
du sujet, à sa manière d'être, aux circonstances du
coma. Ainsi, M. T qui présente de graves atteintes
cognitives lors de son réveil de coma griffonne sur
une ardoise un « M » qui est la première lettre de son
prénom. Ils peuvent être en inter-relation étroite avec
les atteintes cognitives à la sortie du coma. L'amnésie post-traumatique de M. D, qui répète sans arrêt
«je suis métallurgiste», effaçant ainsi la période de
chômage et de reconversion professionnelle ultérieure, devient un «comportement lien».
Nous avons aussi observé dans le discours en
apparence délirant des patients l'introduction d'éléments biographiques traumatiques (guerres, deuils)
auxquels pouvaient renvoyer la situation vécue en réanimation, l'appui sur les racines de l'identité (signifiant du
nom, langue maternelle, pays d'origine). Il existe des
tentatives d'inverser la passivité liée au coma et à la
réanimation en activité en s'appuyant sur l'identité professionnelle ou les processus créatifs antérieurs. Dans
l'exemple que j'ai cité précédemment. M. D s'appuie
sur l'activité professionnelle qui fut pour lui créative et
investie. De même, lorsque M. M se prend pour De
Gaulle, il inverse la passivité qui est la sienne en activité.
- La création imaginaire d'un autre, un double protecteur, dans le fantasme, permet au malade de
transformer la passivité extrême et les contraintes de
la réanimation en position active. Ainsi, M. M,
12
attaché et incapable de marcher, hallucine un personnage qui lui permet de se détacher et d'être libre.
- La position potentiellement paranoïaque de certains
malades («on fait des expériences sur moi», «on
m'espionne») permet d'introduire dans la confusion
qu'ils vivent un ordre inconscient.
- Les éléments d'allure régressive que nous avons
souvent notés chez les adolescents et les jeunes
adultes présentant un traumatisme crânien représentent une réactualisation des premiers rapports
entre l'enfant et la mère, rapports encore en souffrance chez ces malades. L'utilisation d'un «objet
transitionnel» déjà utilisé dans l'enfance apparaît
comme la tentative du sujet de s'appuyer sur ses
racines (le maternel et le familier de la petite
enfance).
Le réveil du coma est aussi un moment où les
mécanismes habituels de contrôle conscients du sujet
disparaissent. D'où les vécus hallucinatoires, oniroïdes,
dont nous avons déjà parlé. D'où l'expression «crue»
des conflits psychiques fondamentaux du sujet,
refoulés en grande partie jusque-là (conflits œdipiens de
l'enfance en particulier, rapports familiaux non réglés,
premiers rapports en souffrance entre l'enfant et sa
mère). Cet« inconscient délié» permet que les questions inconscientes fondamentales du sujet s'expriment
avec force. Ceci est parfois difficilement supporté par
l'entourage, en particulier quand celles-ci peuvent être
reliées aux circonstances de l'accident, comme c'est
souvent le cas chez les adolescents et les jeunes
adultes qui ont eu un traumatisme crânien et pour qui
l'accident intervient au moment d'une prise d'autonomie impossible par rapport au milieu familial. Ainsi,
lorsque M. M, en sortant de son coma, déclare devant
les soignants et sa mère «je n'ai pas de père», il
exprime non la réalité, mais son sentiment profond : le
père, dans sa fonction paternelle, ne fait pas limite pour
lui, il est confronté à un rapport trop direct à sa mère
dont il cherche à échapper à travers des accidents à
répétition.
Les divers éléments dont nous venons de faire état
se retrouvent quels que soient les paramètres neurologiques et cognitifs à la sortie du coma.
ENTRETIENS DANS L'APRÈS-COUP
La clarté des souvenirs concernant les vécus oniroîdes et hallucinatoires contraste avec la rareté des
souvenirs explicites du coma et du séjour en réanimation et même du séjour dans le service. Pourtant le
discours des patients nous a permis de mieux comprendre ce qui avait été vécu à la sortie du coma et les
effets de cette expérience. En particulier, c'est grâce à
ces entretiens que nous avons pu comprendre le sens
inconscient de certains gestes ou comportements
observés en phase aiguë, en particulier dans la phase
d'apparente incommunicabilité, et leur inscription dans
les inter-relations patient-famille, mises à nu et caricaturales, à cause du coma et de ses effets. Nous avons
constaté que l'expérience subjective du coma joue un
grand rôle dans les troubles psychiques ultérieurs que
présentent les malades. Elle peut, si elle devient un
épisode figé et indépassable entraver les processus de
récupération du sujet.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
a) Entretiens six mois après la sortie du service
Les traces de /'atteinte de /'identité subjective vécue
lors du réveil du coma se manifestent à travers le trouble
de la conscience de soi, avec sensation de perte d'une
partie de soi-même, de ne pas se retrouver, de ne pas
se reconnaître, d'être absent à soi-même, d'être absent
au monde. Ce trouble peut être en interaction, dans le
discours des patients, avec les atteintes cognitives
séquellaires (amnésie), les atteintes corporelles séquellaires (hémiplégie). Mais il existe qu'il y ait ou non des
séquelles déficitaires motrices ou cognitives. Ainsi,
Mme G déclare : « il y a des trucs dont je ne me rappelle
pas (l'examen neuropsychologique ne montre pas d'atteinte amnésique, mais un trouble de l'attention). Ma
tête, je ne la sens pas nette ... j'ai du Tal, à di~e qu~)~
suis sOre que je traverse la route et qu 11 n y a nen ... J a1
du mal à me sentir bien là».
Chez les hommes et non chez les femmes, nous
avons retrouvé un questionnement insistant sur leur
identité sexuelle et leur position féminine que nous
avons pu relier au trouble de l'identité sexuelle vécu lors
du réveil du coma. Ainsi, M. L déclare: «mon côté
gauche est mort, heureusement que ma.femme es~ là».
Ce faisant, il donne à sa femme la fonction de venir à la
place de son côté mort ; il intègre dans sa personnali~é
et son image corporelle, à travers sa femme, une partie
féminine.
Au-delà des traces de l'atteinte de l'identité subjective, nous avons repéré que les préoccupations
inconscientes de tous les malades que nous avons pu
revoir étaient en continuité avec celles exprimées lors
du réveil du coma. Cette continuité apparaissait à
travers la permanence des mots, des expressions, des
thèmes inconscients et des signifiants.
Nous avons en particulier noté, chez les malades
chez lesquels nous avions pu repérer les manifestations
d'un« Inconscient délié», la reprise des mêmes conflits
inconscients ; que certains patients cherchaient à
résoudre et vis-à-vis desquels d'autres se trouvaient en
impasse.
Les traces des tentatives de lutte contre la pene de
/'identité subjective lors du réveil du coma se manifestent
à travers l'appui sur les marqueurs de l'identité (langue
maternelle, pays d'origine, moments créatifs) retrouvés
chez tous les malades revus ; les tentatives d'inverser
en position active la position passive et de dépendance
actuelle liée aux séquelles neurologiques et cognitives,
qui fait écho à celle vécue lors du réveil du coma; enfin,
une note persécutive que l'on peut relier à la position
potentiellement paranoïaque repérée lors du réveil du
coma.
L'ensemble de ces éléments se retrouvent quels
que soient les paramètres neurologiques et cognitifs initiaux et séquellaires.
b) Entretiens un an après la sortie du service
Nous avons observé l'évolution des patients depuis
le dernier entretien, dans le cadre de notre travail de
recherche. Dans le cadre de notre travail clinique quotidien, les éléments que nous décrivons ici peuvent
apparaître beaucoup plus tardivement.
Les traces de l'expérience vécue lors du réveil du
coma sont intégrées dans la personnalité actuelle du
sujet. Que les malades semblent, à cette occasion,
sortir de la répétition symptomatique dans laquelle ils
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
se trouvaient (accidents à répétition par exemple), qu'ils
soient en plein questionnement ou en impasse, le
conflit psychique exprimé à l'occasion de lexpérience
du coma est vécue par le sujet comme son propre
confit psychique, un processus qu'il reconnaît comme
étant le sien, la vérité de son discours. Ainsi, M. L,
faisant allusion à sa sortie de coma fort tumultueuse
dit:« Ça m'étonne pas de moi, c'est bien de ma race».
Par ailleurs, l'expérience subjective du coma est perçue
inconsciemment pour certains comme fondamentale,
reconnue et revendiqué. D'où l'absence d'éléments
persécutifs et de doute sur l'identité de soi. Ainsi, M. K,
après son coma, perçoit soudain la différence entre
« musiciens » et « violonistes » et commence des
recherches sur cette question. Il utilisa ainsi de façon
créative le sentiment d'avoir été divisé en deux lors de
son réveil de coma. En même temps, il transforme le
sentiment de perte de l'identité humaine, de « monstrueux » vécu à la sortie du coma en élément merveilleux et créatif, prenant appui pour ce faire sur l'histoire de Paganini à la main «monstrueuse», mais oh·
combien puissante et inimitable.
L'expérience de I'« Inconscient délié» vécue à la
sortie du coma apparaît centrale et le retour sur les
«lieux du coma» pour certains, derrière la raison consciente qui est de « remplir les trous » de s!ln histoi~e est
aussi la tentative de comprendre les conflits psychiques
inconscients qui avaient alors émergé. Ainsi Mme G rêve
de façon répétitive qu'elle n'arrive pas « à trouver la
moitié de l'unité». Elle relie au cours de l'entretien ce
rêve à ce qui s'est passé pour elle lors de son réveil de
coma : face à une photo la représentant, elle se
confondait avec sa nièce qui porte le même nom et le
même prénom qu'elle. Avant l'entretien avec moi, elle
parcourt les salles du service pour voir, dit-elle,« d'où
je viens», en fait pour élucider ce rêve et tenter de comprendre ce qu'il en est de ses origines, question réactualisée pour elle lors du réveil du coma et qui apparaît
ensuite dans son rêve.
CONCLUSION
Un des éléments majeurs de «l'expérience du
coma » pour le sujet est la confrontation sans détour à
son inconscient. En même temps, le coma représente
un «trou » majeur dans l'existence du sujet. Ainsi,
jamais le sujet n'aura été à la fois aussi loin et aussi proche
de lui-m§me.
Malgré la rupture de la conscience introduite par le
coma, il y a continuité de la vie psychique inconsciente
du sujet entre l'avant-coma et les phases très précoces
de réveil de coma, entre le réveil du coma et l'aprèscoup. Cette continuité s'exprime lors du réveil du coma
à travers ce que nous avons appelé des « comportements liens» et des «mots liens». Les entretiens
effectués six mois et un an après la sortie du coma,
nous ont montré la continuité des préoccupations
inconscientes du sujet entre la phase de réveil du coma
et l'après-coup, voire même l'impact de l'expérience
alors vécue. Cette continuité a été observée quels que
soient le siège des lésions cérébrales, les atteintes neurologiques et cognitives initiales et séquellaires et alors
même que le sujet n'avait pas d'autres souvenirs conscients du réveil du coma que ceux des vécus oniroïdes
et hallucinatoires. Les processus inconscients dans la
phase «d'apparente incommunicabilité» peuvent être
reliés aux mécanismes du rêve (Freud, 1900), et dans la
13
Vie psychique
et coma
phase « d'éveil dans l'étrangeté » aux mécanismes du
rêve et de« l'inquiétante étrangeté». L'inconscient que
nous décrivons donc ici n'est pas seulement un inconscient réduit à ses activités élémentaires, quasi-biologique (proche de l'inconscient «neurologique»), mais
un inconscient psychique, dont les formes et les structures essentielles ne sont pas modifiées par rapport à
ce qui est décrit habituellement de l'inconscient psychanalytique. La vie psychique inconsciente du sujet ne serait
donc pas interrompue comme la vie psychique consciente
par les lésions cérébrales responsables du coma, et ses
formes et ses structures ne seraient pas modifiées.
RETOMBÉES THÉRAPEUTIQUES
ET ÉTHIQUES
La période de coma et de réanimation est une
période de grave fragilité psychique pour le sujet et sa
famille confrontés à l'état de détresse physiologique
majeur que constitue le coma et ses suites. Le coma et
la période de réveil introduisent au premier abord une
discontinuité majeure dans l'histoire du sujet et de sa
famille. Pourtant, il est possible de s'appuyer sur la
continuité de la vie psychique inconsciente du sujet
pour maintenir une relation avec lui, lui apporter, ainsi
qu'à sa famille, un soutien psychologique nécessaire,
commencer une rééducation précoce (kinésithérapie,
mais aussi ergothérapie et orthophonie).
La disparition de la conscience est encore majoritairement assimilée par les médecins à la disparition de
toute vie psychique, à la notion de disparition du sujet.
En témoignent l'architecture et l'organisation des services de réanimation : salles communes, nudité des
malades, mélange de malades de sexes différents dans
les mêmes salles, fermeture quasi totale des services
de réanimation aux proches des malades. Ces positions
sont reprises dans la société. Ainsi, plusieurs jugements (2) de réparation des dommages corporels dont
la gravité prive les victimes de conscience affirment
qu'il convient de ne pas réparer les dommages que l'on
pense non ressentis par la victime du fait de son état
d'inconscience. Il y a quelques années, Milhaud, à
propos des expérimentations sur les malades en état
végétatif, affirmait que ceux-ci étaient à mi-chemin
entre l'animal et l'homme (3). Plus récemment, aux
U.S.A. et en Angleterre, les décisions d'arrêt de trai(2) Par exemple Jugement de la Cour de Bordeaux du 18-4-91, in
Recueil Dalloz Sirey, 1992, 2 8 cahier jurisprudence.
(3) «Les comas de laboratoire», «Le Monde» du 20-11-1985.
14
tement pour des malades en état végéatif chronique par
suspension de l'alimentation et de l'hydratation ont été
justifiées par l'absence présumée de sujet pensant,
désirant, capable de ressentir la douleur et la faim (4).
Ce qui se joue au niveau de !'intersubjectivité
malade-famille-soignants, tel que j'en ai parlé dans cet
article, n'a certes de valeur et de sens que dans une
logique strictement individuelle et devient ininterprétable dans une logique collective, anonyme et impersonnelle. Mon travail ne peut fournir argument dans un
sens ou dans l'autre dans ce que pourrait être un débat
collectif sur les limites du sujet car il ne peut se situer à
ce niveau d'un point de vue épistémologique.
Sans vouloir clore un débat difficile, contradictoire,
voire impossible, je voudrais simplement ici indiquer
deux éléments :
- Ce n'est pas au sujet de faire la preuve de son existence. Le silence du sujet ne décharge pas les autres
(soignants, familles) de la responsabilité de leur prise
de position par rapport à lui, de façon différenciée
d'ailleurs: la famille de son désir et le soignant de
son savoir.
- Aucune société ne peut légiférer sur la limite entre
humain et non humain et en tirer des conséquences
médicales et sociales.
Nous rendons hommage à M. le pr Signoret qui a
soutenu cette recherche jusqu'à son décès. Nous
remercions MM. les prs Derouesne et Farmanian pour
leur soutien constant à nos travaux. Nous remercions
l'ensemble de l'équipe qui a participé à cette recherche :
or Dagréou (anesthésiste, service du pr Viars),
V. Vichard (psychologue, service du pr Widlocher),
N. Benoît {psychologue, service du pr Chain), MM. et
Mmes Huet, ltier, Guillot, kinésithérapeutes, Durand,
ergothérapeute (service du pr Pierrot-Desseiligny), Van
Eeckhout, orthophoniste (service du pr Chain). Nous
remercions M. le pr Fedida pour son aide et ses
conseils, ainsi que le or D. Oppenheim pour ses critiques et ses suggestions. Nous remercions M. le
pr Philippon d'avoir accueilli et facilité cette recherche
•
dans son service.
RÉFÉRENCES
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- FREUD (5.), 1915. - L'inconscient in Métapsychologie, Paris,
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(4) Cf. par exemple à propos de T. Bland « The Times » du 5 février
1993.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
ÉTATS
VÉGÉTATIFS
L'expression État végétatif a été introduite en 1972
par Jennet et Plum (5) pour désigner une des évolutions
possibles du coma, quelle qu'en soit l'étiologie: traumatique, anoxique, vasculaire, infectieuse ou toxique.
Malgré la pluralité des causes et des méca')ismes ce qui
semble commun à tous les malades en Etat végétatif
est leur comportement identique. Pour Jennet et Plum
« tout se passe comme si, chez ces patients, le cortex
ne fonctionnait pas, que la lésion siège sur le cortex luimême, dans les régions sous-corticales ou dan~ la
partie haute du tronc cérébral». En pratique, l'Etat
végétatif se caractérise par l'impossibilité de communiquer avec lenvironnement. Le malade ne parle pas, il
n'exécute pas les ordres, il ne répond jamais de
manière adaptée aux diverses sollicitations, il n'a aucun
geste finalisé. La dépendance de ces patients est
extrême; seules les fonctions du tronc cérébral semblent être autonomes. Aujourd'hui encore de nombreuses incertitudes subsistent à propos de ce
concept.
- Persiste-t-il une activité intrapsychique qui ne
peut s'exprimer 7
- Le malade en État végétatif ressent-il la douleur,
la faim, la soif 7
- Quelle est la signification des pleurs que lon
observe parfois ou de certaines mimiques laissant
l'examinateur, même le plus averti, perplexe 7
Ces questions, actuellement sans réponse, incitent
à une grande prudence dans lélaboration des conduites
pratiques concernant ces malades ayant perdu toute
capacité d'expression et d'action.
UN CONCEPT RÉCENT
Progressivement, l'expression État végétatif s'est
répandue à la fois dans le langage médical, grâce au
dynamisme de l'école de Glasgow, mais aussi dans
l'opinion publique à l'occasion de débats juridiques et
médiatiques (le plus célèbre et le plus ancien étant le
cas de Karen Ann Quinlan, une jeune américaine dont
les parents avaient demandé l'arrêt de la ventilation artificielle). Aujourd'hui cette expression est passée dans
le langage courant. Cependant, il ne faut pas oublier que
de nombreux autres termes ont été et sont encore
par le
or
F. TASSEAU (*)
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
(9) Médecin-Réanimateur. Coordonateur des programmes de
rééducation neurologique. Centre Médical de I' Argentière, 69610
Aveize, France.
15
États
végétatifs
parfois utilisés pour désigner la même réalité clinique.
En réanimation, on a longtemps parlé de coma chronique, coma irréversible, coma vigile, coma neurovégétatif, coma prolongé. Dans les milieux de neurologie, certaines expressions ont été proposées comme
état apallique, stupeur hypertonique post-comateuse
ou mutisme akinétique (9). En 1971, Brierley a appelé
« Neocortical Death » l'état de deux malades ayant
survécu cinq mois à un arrêt cardiaque (3).
Aucune de ces expressions n'est satisfaisante.
Elles sont toutes critiquables en particulier l'expression
« Neocortical Death » qui ne doit pas être confondue
avec le terme français « mort cérébrale ». En effet, le
concept de mort cérébrale, décrit en 1959 par Mollaret
et Goulon (7) sous le nom de coma dépassé correspond
à la destruction irréversible de l'ensemble du contenu
de la boîte crânienne: il n'y a plus aucune activité encéphalique et toutes les fonctions du tronc cérébral sont
abolies; la personne est décédée. Ce sont les techniques de réanimation qui permettent d'assurer,
pendant quelques heures seulement, la perfusion des
organes dans l'attente d'un éventuel prélèvement.
L'expression elle-même « état végétatif» a donné
lieu à des controverses. Le terme exact, proposé par
Jennett et Plum, est «Persistent Vegetative State » or
le mot «Persistent» est ambigu. S'agit-il d'un état qui
se prolonge un certain temps ou bien d'un état déjà irréversible ? Pour lever cette ambiguïté, un groupe de
recherche pluridisciplinaire se réunissant dans le cadre
du Centre de Sèvres à Paris de 1988 à 1990 a émis les
recommandations suivantes (9) :
- réserver le terme État végétatif sans y ajouter de qualificatif pour désigner le syndrome clinique décrit par
Jennett et Plum,
- utiliser l'expression État végétatif« chronique» - et
non «persistant» dans les seuls cas où l'irréversibilité peut être affirmée. Chronique signifie alors irréversible.
Tout récemment, le Comité d'Éthique de I' Association Américaine de Neurologie s'est également
exprimé sur ces questions de vocabulaire (1).
son environnement. On ne peut affirmer une telle
condition qu'après un délai suffisamment long d'observation et après avoir cherché à établir un code de communication à partir de sollicitations diverses. Tous les
intervenants auprès du malade sont impliqués dans
cette recherche. Chaque manifestation neuro-végétative et compromettante doit être soigneusement
notée, analysée et critiquée en fonction des circonstances de survenue: spontanée, lors des soins, ou
pendant les exercices de sollicitations d'une activité
consciente. L'observation doit être d'autant plus rigoureuse que de nombreux facteurs contribuent à diminuer
les réponses du malade aux sollicitations de I' examinateur: fièvre, trouble hémodynamique, dénutrition
sévère, agents myorelaxant ou anticonvulsivant,
déficits sensoriels divers, limitations orthopédiques ou
encore limitations neuropsychologiques les plus difficiles à repérer dans ce contexte. Comment analyser
chez de tels malades la mémoire, les capacités d'attention, d'apprentissage ou encore l'initiative?
Les remarques de la famille doivent être prises en
compte car l'expérience montre que certains malades
gardent une véritable « mémoire affective » s'exprimant
par des signes que l'on observe uniquement en présence des proches.
En pratique, malgré toutes ces limites, l'observation vise à étudier un ensemble de signes cliniques
qu'il est commode de regrouper en cinq rubriques:
- la sphère oculaire: activité palpébrale, orientation du
regard, possibilité de fixer un objet ou encore de
suivre une cible en mouvement dans le champ visuel ;
- le visage : ouverture/fermeture de la bouche,
ébauches labiales, mimiques à type de rire, de grimaces ou de pleurs ;
- les productions sonores en distinguant les bruits
pharyngés et les vocalisations ;
- la motricité du tronc et des membres ;
- enfin, les manifestations végétatives : hypertension
artérielle, tachycardie, tachypnée, hyperventilation,
sueurs, horripilation, mydriase ...
Tous ceux qui s'occupent quotidiennement de ces
malades savent combien l'interprétation des manifestations obtenues est délicate. En effet, il faut savoir distinguer les réponses aléatoires, stéréotypées, adaptées
- automatiqyes ou volontaires - et les réponses sur
consignes. Evidemment dans les cas de réponses
adaptées ou de réponses survenues après un ordre
- même très simple - le malade n'est pas en état végétatif.
Malheureusement, il n'est pas toujours possible de
qualifier exactement la réponses obtenue et une incertitude peut subsister. Dans ces cas là, les examens
complémentaires ne permettent pas de lever l'incertitude. Néanmoins, ils peuvent aider à renforcer une
impression clinique.
EXAMENS COMPLÉMENTAIRES
DIAGNOSTIC
En labsence d'examen pomplémentaire pathognomonique, le diagnostic d'Etat végétatif repose uniquement sur lobservation. L'objectif est de vérifier que
le patient a perdu toute aptitude à communiquer avec
16
La tomodensitométrie céphalique montre habituellement des lésions diffuses non systématisées s'accompagnant constamment d'une grande atrophie corticosous-corticale avec dilatation ventriculaire généralement passive.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
L'électroencéphalogramme, lui, révèle un ralentissement diffus du rythme de base associée à l'absence
de toute réactivité lors des stimulations extérieures et à
une destruction de l'organisation cyclique veille/
sommeil. Ces examens classiques ne font que
confirmer la présence d'une souffrance encéphalique
importante. En revanche, l'étude des potentiels
évoqués est plus intéressante. Elle précise par I' enregistrement des potentiels auditifs précoces l'intégrité
ou non du tronc cérébral et par celui des potentiels
somesthésiques l'existence ou non d'une activité électrique corticale repérable.
Par ailleurs, des recherches sont actuellement en
cours pour enregistrer des tracés de potentiels dits
cognitifs qui témoigneraient d'une activité attentive du
cortex cérébral.
Parmi les techniques modernes d'imagerie médicale, l'l.R.M. permet de mettre en évidence des lésions
axonales focalisées ou diffuses pouvant passer inaperçues au scanner. Le P.E.T.-Scan a l'intérêt d'enregistrer une activité métabolique de lencéphale grâce à
l'émission de positrons par les zones cérébrales
activées mais cet examen, très coOteux, n'est pas pratiqué de manière courante.
PRONOSTIC
Le pronostic de l'État végétatif est globalement
péjoratif. La majorité des malades ont une survie
limitée, 50 à 70 % des décès survenant pendant la première année d'évolution. La fréquence des décès précoces est plus importante lorsque l'accident initial est
une anoxie cérébrale.
L'État végétatif peut être un état transitoire
observé en cours de l'éveil d'un coma; plus la phase
végétative est brève, meilleures sont les possibilités de
récupérations.
Des auteurs ont observé chez plusieurs malades
une suspension transitoire de l'état végétatif. Ainsi,
F. Danze, étudiant dix malades, a noté à trois reprises
cette modalité évolutive particulière. Dans tous les cas,
après une anJélioration passagère, les patients sont
retombés en Etat végétatif et le sont restés définitivement (4).
Quelques publications font état de récupérations
tardives. En 1985, Arts (2) a rapporté le cas d'une
jeune fille de 18 ans ayant récupéré une activité consciente après être restée 16 mois en état végétatif à la
suite d'un traumatisme crânien grave. De telles observations sont rares et, dans tous les cas, le niveau de
récupération n'a jamais permis l'acquisition d'une autonomie fonctionnelle.
Le pa~sage à la chronicité, c'est-à-dire à l'irréversibilité de l'Etat végétatif, est toujours difficile à affirmer.
L'argument principal est le délai évolutif. Il est diversement apprécié dans la littérature, de un à dix-huit
mois.
Par prudence, il est raisonnable de retenir la durée
de un an. Cela signifie qu'après une année de traitements, de sollicitations diverses, d'observation
attentive, si l'état du malade n'a pas évolyé il est alors
licite de parler de chronicité. La survie en Etat végétatif
chronique peut être longue : elle est en moyenne cornMÉDECINE DE L'HOMME N° 210
prise entre trois et cinq ans. Cependant Crandford
a rapporté l'obseryation d'un malade ayant survécu
trente-sept ans en Etat végétatif après une anoxie cérébrale survenue après une intervention chirurgicale pratiquée à l'âge de six ans (9) 1
ÉTATS FRONTIÈRES
DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL
Le concept d'État végétatif a permis d'attirer l'attention sur une population de malades bien particulière.
En fait, il n'est pas sOr que tous les patien1s classés
sous cette appellation soient réellement en Etat végétatif. Aujourd'hui, ce sont sans doute des sous-populations de malades qu'il conviendrait d'individualiser à
partir de ce concept. Dans notre expériençe, une étude
approfondie de 20 malades étiquetés en Etat végétatif
nous a permis de distinguer 3 groupes :
- un groupe où aucune réponse à l'ordre simple et
aucune manifestation adaptée n'ont été observées ;
- un groupe où des réponses plus ou moins reproductibles ont été repérées lors des sollicitations sans
qu'il ait été possible cependant d'établir un code
communication ;
- un dernier groupe enfin où les malades répondaient
aux ordres et avec lesquels on pouvait communiquer.
, Le premier groupe correspond à la définition de
l'Etat végétatif, le second est un état «intermédiaire»
appelé par certains hyporelationnel, le troisième correspond au handicap sévère tel qu'il a été défini dans
l'échelle du devenir des comas de Glasgow (Gos) (6).
Il semble donc exister un véritable continuum entre
ces états. Cette idée est également confortée par les
travaux de Rappaport qui a proposé, en 1992, une
échelle appelée - improprement - « coma - near
scale » destinée à repérer des modifications comportementales minimes chez des malades ayant présenté
des
lésions
encéphaliques
particulièrement
sévères (8).
Un syndrome neurologique grave, le locked-in syndrome, ne doit pas être confondu avec l'état végétatif.
Le locked-in syndrome, encore appelé « syndrome de
verrouillage», correspond à une atteinte organique, (le
plus souvent d'origine vasculaire), du tronc cérébral
dans sa partie haute. Les malades ont une paralysie des
quatre membres et des dernièr~s paires crâniennes. A
la différence des malades en Etat végétatif, l'examen
neurologique montre que les fonctions supérieures sont
partiellement ou totalement conservées. Il est possible
de communiquer avec le patient en établissant un code
à partir de certains mouvements ·oculaires.
CONCLUSION
Au terme de cette analyse, il apparajt que le praticien est encore bien démuni face à l'Etat végétatif
surtout dans sa forme chronique. D'un côté, les progrès
de la médecine permettent le maintien de la vie, de
l'autre, la même médecine ne parvient pas à sortir du
silence ces malheureux malades.
Ce qui semble le plus urgent maintenant, c'est de
cerner exactement les critères permettant la reconnais-
17
des personnels soignants qui, aujourd'hui, s'avèrent
insuffisants.
•
BIBLIOGRAPHIE
,
Etats
végétatifs
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(3) BRIERLEY (J.), GRAHAM (0.), ADAMS et al. - Neocorticol death
sance précoce de cet état afin d'éviter les risques
d'erreur de diagnostic.
Mais pour les malades qui aujourd'hui se trouvent
dans cette situation, il est tout aussi important de disposer de lieux d'accueil adaptés. Peu d'établissements,
publics ou privés, acceptent de prendre en charge de
tels malades. Les motifs de refus les plus souvent
invoqués concernent l'équipement et les moyens
humains estimés insuffisants pour répondre aux
besoins du malade. Il s'y ajoute aussi, de manière plus
ou moins clairement exprimée, une crainte vis-à-vis de
cette pathologie neurologique peu connue et déroutante. Cet obstacle, tout à fait compréhensible, pose le
problème de la formation et du soutien psychologique
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Aspects médicaux, juridiques et éthiques. E.N.S.P. Éd.
Rennes, 1991.
COMAS,
ÉTATS VÉGÉTATIFS,
MORT CÉRÉBRALE,
DE A À Z
par D' François BLIN (*)
Coma: du Grec 1<:roµa: sommeil profond. État morbide
caractérisé par la perte des fonctions de la vie de
relation, avec conservation relative des fonctions végétatives (Larousse). Absence de, connaissance de
soi-même et de lenvironnement. Etat de non-réponse
dans lequel le sujet repose les yeux fermés et ne peut
être réveillé [21 ). Abolition de la concience et de l'éveil,
non réversible sous l'influence des stimulations [23).
Jusqu'en 1959 on ne distinguait que 3 types de
comas : le coma « léger» ou «vigil», le coma «type»,
et le coma « carus » ou « profond ». Cf. : « Stades
du coma».
Coma chronique, coma prolong~ : « persistance
au-delà de 2 à 4 semaines d'une altération permanente
et chronique de la conscience et de la vie de rela-
18
tion » [ 18). Cette définition qui inclut également I' « état
végétatif» est source de confusion. En fait la phase de
coma prend fin lorsque réapparaissent les cycles veillesommeil, ce qui correspond, en pratique, à la réouverture des yeux, spontanément ou après stimulation [28).
Coma dépassé (initialement traduit aux U.S.A. par « ir
reversible coma» [7]) : ainsi appelé parce qu'il se situe
«au-delà du coma le plus profond». La publication initiale de 1959 [4] décrit l'absence totale de réactivité,
c'est-à-dire la mort totale du névraxe, moëlle épinière
comprise. La circulaire Jeanneney de 1968, s'appliquant au «constat de décès d'un sujet soumis à une
(9) Chef de service, réanimation polyvalente. Centre hospitalier,
95500 Gonesse.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
réanimation prolongée » reprend cette description :
« caractère destructeur et irrémédiable des lésions du
système nerveux dans son ensemble ... abolition totale
de tout réflexe ... l'absence d'un seul de ces signes ne
permettant pas de déclarer le sujet mort».
La description de 1971 plus complète [9], s'applique seulement à la mort du cerveau dans son
ensemble (tronc cérébral + hémisphères) : le constat de
la mort du tronc cérébral est clinique : perte de toute
activité spontanée, aréactivité totale des nerfs crâniens,
absence de respiration spontanée ; celui de la mort des
hémisphères entraîne un silence E.E.G. La persistance
de réflexes d'automatisme médullaire n'infirme pas le
diagnostic. C'est sur ces critères que s'appuie aujourd'hui le diagnostic de« mort cérébrale», terme qui tend
à remplacer celui de « coma dépassé ».
Malgré la notion que le maintien d'un état de coma
dépassé est impossible au-delà de deux semaines, trois
publications au moins font état de réanimation prolongée après constatation des critères de mort cérébrale: l'une de 68 jours chez un malade de 49 ans
après arrêt circulatoire [20], une autre de 63 jours chez
une femme enceinte de 27 ans après arrêt circulatoire
[25], et une troisième de 107 jours chez une femme
enceinte de 30 ans après coma traumatique [26]. Les
deux dernières observations, qui relatent également le
sauvetage du fœtus, paraissent bien documentées.
Coma « végétatif » : mauvais terme pour désigner un
« état végétatif ».
Conscience : connaissance de soi-même et de lenvironnement [21 ]. Ensemble des activités cognitives permettant d'attribuer une signification et de répondre de
façon appropriée aux stimulations sensitives et sensorielles (notamment verbales) [23]. On peut également
distinguer entre le « niveau de conscience » (état de
veille ou vigilance : fonction de la substance réticulée
activatrice du tronc cérébral), et le« contenu de conscience » (état de connaissance : fonction cognitive
relevant du cortex cérébral) [24].
Démence : déclin durable ou permanent des fonctions
intellectuelles en relation avec un processus organique,
non accompagné par une réduction de l'éveil, avec
atteinte diffuse ou disséminée des fonctions cognitives
[21 ].
Électroencéphalogramme plat : il est exigé en France
et dans de nombreux autres pays, pendant une « durée
jugée suffisante», pour affirmer le diagnostic de mort
cérébrale dont il est à lui seul un signe insuffisant. Il peut
se voir également dans les intoxications barbituriques
massives, les intoxications sévères par d'autres
dépresseurs du système nerveux central, les troubles
métaboliques graves, les hypothermies profondes, et
certains états végétatifs.
État végétatif (autrefois, et parfois encore maintenant
appelé «coma prolongé», il est dès 1966 appelé «état de
vie végétative» par Vigouroux [6]. Le terme anglais
« vegetative state » est universellement attribuée à Jennett
[11, 21]) : état succédant en général à 2 à 4 semaines
de coma, caractérisé par un retour des cycles veillesommeil avec ouverture spontanée des yeux, normalité
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
des fonctions du tronc cérébral (ventilation spontanée
normale), et absence de récupération des fonctions
cognitives. Les réponses motrices précisément
orientées sont absentes, aucun mot compréhensible ne
peut être émis, ni aucun ordre simple exécuté. L'électroencéphalogramme est en général lent et peu réactif,
parfois totalement plat, de façon provisoire, ou même
définitive (une trentaine de cas recensés en 1991).
A l'examen anatomopathologique le tronc cérébral
est quasi-intact (à la différence de la« mort cérébrale»),
alors qu'il existe des lésions constantes des deux hémisphères cérébraux (nécrose laminaire corticale, occipitale et hippocampique, gliose des noyaux gris centraux, parfois décortication totale).
État végétatif chronique (décrit initialement sous les
termes de « apallic syndrome» [1 ], «stupeur hypertonique
post-comateuse » [5], « neocortical death » [1 OJ, puis
«persistent vegetative state » [11]) : état végétatif persistant au-delà d'une durée permettant d'espérer un
retour des fonctions cognitives. Cette durée est différemment appréciée selon l'âge (pronostic meilleur chez
les moins de 40 ans), l'étiologie (1 an en cas d'atteinte
traumatique, 3 mois ou moins en cas d'anoxie cérébrale), et les auteurs (15 jours à 2 ans). Moins de 5 récupérations au-delà d'un an, toutes au prix de séquelles
majeures et d'une absence totale d'autonomie, sont
citées dans la littérature mondiale. Le délai d'irréversibilité le plus communément admis est donc d'un an. Il y
a en France environ 1 000 états végétatifs dont la
survie moyenne est de 2 ans. Les états végétatifs chroniques dont l'accident initial remonte à un an au moins
en représentent un peu moins de la moitié. Leur espérance moyenne de vie à ce stade est d'environ 4 ans
(survie maximale en France : 26 ans, et dans le monde :
37 ans). La moitié des états végétatifs meurent de
surinfection respiratoire [29]. On peut penser que leur
durée de survie est en grande partie liée à leurs conditions de traitement (structures d'accueil, pression économique, motivations de l'équipe soignante).
Glasgow Outcome Scale [ 13] : échelle de classification évolutive des traumatisés crâniens :
1. Mort
2. État végétatif chronique
3. Handicap sévère (patient conscient mais handicapé)
4. Handicap modéré (patient handicapé mais
autonome)
5. Bonne récupération
Glasgow Coma Score [12]: a été proposé en 1974
pour la classification des troubles de conscience et du
coma chez les traumatisés du crâne. On obtient un
score de 3 à 15 points à partir de l'étude de l'ouverture
des yeux (1 à 4), de la meilleure réponse verbale (1 à 5),
et de la meilleure réponse motrice ( 1 à 6). Le coma se
définit comme l'association de l'absence d'ouverture
des yeux, de l'absence d'émission verbale, et de l'absence de réponse aux ordres (~ 7) [14]. Ce score est
aujourd'hui universellement utilisé et tend à remplacer la
classification en 4 stades.
19
Hypersomnie : somnolence excessive [21 ], diffère des
altérations pathologiques de la conscience par une
réversibilité rapide [23].
Locked-in syndrome: syndrome de« verrouillage», ou
de déafférentation motrice [21 ]. Lésion des fibres
motrices au niveau de la partie antérieure de la protubérance, le plus souvent due à une obstruction vasculaire
dans le territoire du tronc basilaire, entraînant une tétraplégie haute avec atteinte de tous les nerfs moteurs
somatiques et crâniens au-dessous du noyau du Ill (nerf
moteur oculaire commun). Seuls les mouvements oculaires de verticalité et le clignement palpébral sont
encore possibles, mais la conscience est intacte.
Dans le Comte de Monte-Cristo, d'Alexandre
Dumas, M. Noirtier de Villefort, vieux bonapartiste totalement paralysé, père d'un procureur indigne, ne communiquait avec sa petite fille que par un code oculaire.
Mort cérébrale(« mort du système nerveux» [3], « brain
death » [7], « whole brain death » [19]: le terme
« Cerebral death » [8] qui désignait initialement la mort
cérébrale, a désigné ultérieurement la destruction
exclusive des hémisphères [15]): Cf. «coma dépassé».
Mort corticale (« neocortical death » [1 OJ, «cognitive
death » [16], «cortical death >> [17]). N'est pas synonyme
de «mort cérébrale». Cf. «état végétatif chronique».
Mort du tronc cérébral (« Brainstem death ») : L'intérêt
de cette notion est de souligner l'importance d'un
examen attentif des fonctions du tronc cérébral avant
d'affirmer la mort cérébrale [19]. Elle n'entraîne ni la
nullité de l'E.E.G., ni celle des examens artériographiques [ 15]. Bien que les seuls critères de mort du
tronc cérébral suffisent au Royaume-Uni et dans certains états américains comme critères de décès, on ne
peut pas la considérer comme synonyme de mort cérébrale [27].
Mutisme akinétique [2] : Trouble de conscience avec
maintien des cycles veille-sommeil, mouvements oculaires plus ou moins orientés, peu ou pas de vocalisation, absence d'activité motrice spontanée, et
motricité très rudimentaire après stimulation nociceptive. Les lésions les plus typiques sont frontales
bilatérales (ramollissement dans le territoire des deux
artères cérébrales antérieures), ou rélèvent d'une
hydrocéphalie aiguë (retentissant probablement sur les
lobes frontaux) [23].
Obnubilation : Réduction légère ou modérée de la
vivacité intellectuelle associée à un moindre intérêt pour
l'environnement [21]. Il est encore possible d'obtenir
des réponses verbales simples et imprécises [23].
Réflexes d'automatisme médullaire [9] (Spinal
reflexes [15]) : Réponses à des stimuli nociceptifs dans
le territoire des nerfs rachidiens, y compris celui de la
racine médullaire du spinal (XI), pouvant survenir après
affirmation de la mort cérébrale (un ou plusieurs
réflexes ostéotendineux, signe de Babinski uni ou bilatéral, triple retrait ... ). Allan Ropper [22] a décrit en
1984, à propos de 5 cas, le « signe de Lazare » survenant 4 à 8 minutes après le débranchement du respirateur : après une flexion rapide des coudes (parfois à la
20
façon d'un robot), les mains se portent sur le sternum,
puis (après quelques trémulations) s'élèvent vers le cou
ou le menton ou au-dessus du corps ; enfin elles se
croisent ou se touchent, puis redescendent le long du
corps en quelques secondes.
Stades du coma : décrits par Fischgold et Mathis en
1959 [5, 23], la Classification Internationale des
Maladies de l'O.M.S. (C.l.M. 9 de 1975) les mentionne
encore:
- Stade I: coma «léger» ou «vigile », obnubilation,
contact verbal encore possible.
E.E.G.: alpha ralenti, peu ample, surchargé de théta
et de delta monomorphe, réactivité nette aux
stimuli.
- Stade Il: coma «type», contact verbal impossible,
réactivité adaptée aux stimulations nociceptives.
E.E.G. : disparition de l'alpha remplacé par du delta,
réactivité aux stimulations fortes.
- Stade Ill: coma « carus » ou «profond», réactivité
absente ou inadaptée aux stimulations fortes, apparition de troubles du tonus (hypotonie ou hypertonie)
et de troubles végétatifs (troubles du rythme respiratoire, variations thermiques et tensionnelles).
E.E.G. : delta diffus monomorphe, absence de réactivité.
- Stade IV: coma totalement aréactif, hypotonique,
avec troubles végétatifs majeurs (arrêt respiratoire
avec dépendance du respirateur, collapsus, hypothermie, parfois diabète insipide). Il est soit réversible
(« coma avec sidération végétative » : intoxication
sévère par les barbituriques ou les autres dépresseurs du système nerveux central, hypothermie profonde, trouble métabolique profond ... ), soit irréversible («coma dépassé»).
E.E.G.: silence électrique total, même en amplification maximale.
Stupeur : état de « non réponse » dont le sujet peut
être tiré seulement par des stimulations vigoureuses et
répétées [21 ].
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humaines; aspects médicaux, juridiques, et éthiques»,
E.N.S.P. éditeur, Rennes 1991, p. 13-21.
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(F.) et coll.:« États végétatifs chroniques: Répercussions
humaines; aspects médicaux, juridiques et éthiques»,
E.N.S.P. éditeur, Rennes 1991, p. 45-58.
SOUFFLES - Présence et perspectives
en santé mentale - Janvier 94 N°132
VIE DES MOUVEMENTS
MÉDICO-SOCIAUX CHRÉTIENS
LAENNEC - Décembre 1993 - N° 2
Ce numéro de Laennec nous donne trois
témoignages fort intéressants :
- Celui d'une infirmière en maternité,
Sœur Marie Benoît, qui nous fait
connnaître son attitude auprès des
femmes hospitalisées pour grossesse à
risque et devant les réactions des mères
et des pères après la naissance.
Cet article témoigne de ce que vit une
équipe d'infirmière en maternité.
- Le deuxième est celui de trois étudiants
en médecine qui, sur proposition du
Centre Laênnec, ont accompli un stage
d'été volontaire dans l'infirmerie d'une
prison. Leurs témoignages sont très intéressants.
- Le dernier est le témoignage d'une
femme qui a subi une greffe du poumon.
Des informations nous sont données sur
les rites à (re)trouver dans les unités de
soins palliatifs quand la mort vient, quand
la mort passe. Et puis ce numéro contient
la déclaration du Conseil permanent de
la Conférence des évêques de France du
12 octobre 1993 sur un sujet d'une
grande actualité : « la solidarité et le
respect des personnes dans les greffes
de tissus et d'organes ... Documents très
•
intéressants à lire.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
par le
or Pierre CHARBONNEAU
A.H. - Aumôneries des hôpitaux, cliniques, maisons de retraite et de cure
- Janvier 1994 - N° 141
Le titre de ce numéro est: tr Avancez au
large». L'équipe d'aumônerie au cœur de la
modernité».
Le but poursuivi dans ce numéro est de faire
prendre conscience des situations nouvelles
devant lesquelles se trouvent les équipes
d'aumônerie en dégageant tout d'abord les
traits caractéristiques de ce monde de la
modernité.
Quelques extraits brefs de la Constitution
sur tr l'Église dans le monde de ce temps»
propose une introduction stimulante à cette
réflexion.
Puis après deux exposés sur la modernité,
faits à /'occasion de sessions régionales,
nous est présenté par Jean-Claude Badenhauser s.j. un tableau d'ensemble des nouveautés qui affectent à la fois le système de
soins et les attentes des malades et de leur
entourage. Les idées émises dans cet
exposé pourront être utilisées comme outil
de travail par les équipes.
Dans ce numéro est bien posé le problème
de /'adaptation de l'activité des équipes pastorales, compte tenu de /'évolution de la
médecine et des idées actuelles.
•
Ce numéro consacré à « la violence » est
très intéressant. Il débute par une
approche sociologique. L'évaluation de la
violence: il n'est pas aisé d'en cerner les
contours. Face à l'État, elle peut être
légitime ou illégitime. Les modalités et
ses intensités peuvent varier beaucoup
lorsqu'elle vise l'ordre social en place ou
lordre public, ou lorsqu'elle concerne des
groupes sociaux antagonistes. Elle est
parfois liée à la crise économique.
Après cet exposé liminaire d'un sociologue Pierre Mathiot, un psychologue clinicien, nous fait un exposé sur « le
passage à l'acte», et une « pédo-psychiatre nous parle de « la violence à
enfant», une violence impensable qui
provoque l'indignation.
Puis nous est décrit le fonctionnement
d'une U.M.D. (Unités pour malades difficiles). Il en existe quatre en France.
L'auteur nous expose le paradoxe de ces
établissements: celui d'une contrainte
qui, à certaines conditions, se révèle libératrice. Enfin nous sont donnés deux
exemples fort intéressants :
- celui d'éducateurs qui nous donnent
les conditions d'émergence et les
réponses tentées pour répondre à la violence dans les quartiers défavorisés ;
- celui d'un aumônier de C.H.S. qui a
ouvert une fois par semaine la table d'un
presbytère paroissial à des malades hospitalisés dans un hôpital psychiatrique. •
21
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MORT CÉRÉBRALE
ET RELATION
AVEC LES FAMILLES
par le 0' Solange GROSBUIS (*)
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
CONCEPT DE MORT CÉRÉBRALE
La mort cérébrale a été décrite sous le nom de
« coma dépassé » par P. Mollaret et M. Goulon en 1959
lors de la XXlll 8 Réunion Neurologique Internationale, à
partir de 23 observations colligées depuis 1954, date
des débuts de la Réanimation Respiratoire à !'Hôpital
Claude-Bernard (1). En 1959 également, P. Wertheimer
et ses collaborateurs ont publié sur la « mort du
système nerveux dans les comas avec insuffisance respiratoire, traités par respiration artificielle» (2). Les premiers travaux publiés en langue anglaise sont plus
tardifs et datent de 1968 (Rapport du Ad Hoc Committee of the Harvard Medical School (3). Il est
important de souligner, que la description de l'état de
mort cérébrale est bien antérieure à la date des premiers prélèvements d'organe sur cadavre en vue de
greffe et que la description de la mort cérébrale précéda
son utilisation à des fins thérapeutiques.
Nous devons à notre maître M. Goulon de nombreuses autres publications sur le coma dépassé ou la
mort cérébrale (4). Pour lui, «l'appellation de coma
dépassé a pour elle l'originalité de la première description et son utilisation dans le langage médical
français ». Le terme de coma faisait référence aux
troubles de la conscience, à l'inconscience, et le terme
de dépassé séparait cet état, irréversible et absolu, des
comas plus ou moins profonds. Le terme de mort cérébrale a été choisi pour éviter toute confusion avec les
différents degrés de coma ce qui poserait un problème
quant aux dons d'organe. C'est le terme admis à l'heure
actuelle par tous. On peut cependant regretter lappellation de coma dépassé qui avait l'avantage de représenter plus un état installé progressivement (où certains
organes vivent encore) qu'une évolution brutale.
Quoi qu'il en soit, la définition de la mort cérébrale
est la destruction de l'ensemble du cerveau et toutes
les fonctions dévolues aux hémisphères et au tronc
cérébral sont supprimées de façon définitive, y compris les
fonctions végétatives.
L'arrêt cardiaque a cessé d'être une définition adéquate de la mort. Jusqu'à l'apparition des techniques de
réanimation le diagnostic de la mort reposait sur la
constatation d'un arrêt cardia-respiratoire irréversible,
d'un arrêt respiratoire, de l'abolition de toute conscience et de toute sensibilité associée à une hypotonie,
(*) Praticien Hospitalier - Chef de Service - Urgences - Réanimation Médicale - Centre Hospitalier de Versailles.
23
nière ne recevant plus aucun inhibiteur des structures
supra-spinales ; on peut constater aussi des réactions
idio-musculaires.
Mort cérébrale
et relations avec
les familles
une aréflexie y compris pupillaire ; il existait une pâleur
cadavérique avec ou sans cyanose. Des critères d'authentification de la mort avaient été définis par des
textes légaux : Circulaires du 3 février 1948 et du
19 septembre 1955 introduisant la notion de signes
paracliniques pour confirmer l'arrêt cardiaque irréversible : artériotomie, épreuve à la fluoresceine d'lcart et
signe de l'éther. Mais grâce aux techniques de réanimation certains patients peuvent être sauvés alors
qu'ils présentaient, un instant auparavant, tous les
signes cliniques de mort.
A l'inverse, le recours aux techniques et aux appareils, de respiration artificielle en particulier, a montré
que des lésions sévères peuvent abolir complètement
la fonction du cerveau et ses capacités de récupération
alors que d'autres parties de l'organisme, en particulier
le cœur, vivent encore. L'on sait que lorsque le cerveau
est totalement détruit, cette vie des organes n'est
qu'artificiellement entretenue par les machines et les
médicaments et que toute vie cesse si l'on arrête
ceux-ci.
C'est à partir de cette constatation que s'est développé le concept de mort cérébrale et la Circulaire Jeanneney de 1968 admet la mort cérébrale comme mort
réelle:« le constat de décès ... sera basé sur l'existence
de preuves concordantes de l'irréversibilité des lésions
incompatibles avec la vie, le caractère destructeur et
irrémédiable des altérations du système nerveux central
dans son ensemble ... ». Le constat de décès doit être
effectué par deux médecins en s'appuyant sur la
concordance de signes cliniques et paracliniques.
Cet état de mort cérébrale permet les prélèvements
d'organe à « cœur battant » en vue de greffe et lui seul
le permet. Il est donc fondamental d'avoir des critères
solides de diagnostic de la mort cérébrale. Ces critères
varient quelque peu suivant les pays, mais ils ont tous
pour but de mettre en évidence la destruction définitive
de tout le cerveau.
En France, les signes fondamentaux sont au
nombre de quatre :
1 . La perte totale de la conscience et de toute
activité spontanée (absence de fonction hémisphérique). Aucune réponse ne doit être obtenue par une
quelconque stimulation en un point quelconque du
corps, ni volontaire, ni réflexe. En fait, des réponses
réflexes à différents stimuli au niveau des muscles du
tronc ou des membres peuvent persister ou réapparaître signant un automatisme médullaire, la moelle épi-
24
2. L'abolition de toute activité dans le domaine des
nerfs crâniens (absence de fonction du tronc cérébral) :
mydriase aréactive, abolition du clignement à la
menace, du réflexe cornéen, immobilité des globes oculaires spontanée ou réflexe (réflexes oculocéphalogynes
ou oculo-vestibulaires abolis) ; abolition des réflexes de
toux et de déglutition, des réflexes cilio-spinal et masseterin ; absence de contraction des muscles de la face
lors de l'épreuve de Pierre-Marie et Foix ; abolition du
réflexe oculo-cardiaque.
3. L'abolition de la respiration spontanée (également signe d'absence de fonction du tronc cérébral).
Il est fondamental de vérifier la disparition de cette
fonction chez ces sujets sous ventilation mécanique, le
plus souvent hyperventilés donc hypocapniques. Il faut
s'assurer que l'absence de respiration spontanée n'est
pas la seule conséquence de l'hypocapnie. Une des
techniques proposées pour acquérir la certitude de
cette abolition consiste à ventiler le sujet en air ambiant
(Fi02 = 21 %), puis à le débrancher du respirateur et à
l'observer pendant au moins 3 minutes en vérifiant l'absence de tout mouvement respiratoire et en vérifiant
que la PaC02 est alors au moins à 40 Torr. Pour éviter
l'hypoxémie qui peut créer de nouvelles lésions cérébrales on a proposé lépreuve de « débrancher en
oxygène ». De toute façon, le rythme cardiaque doit
être surveillé pendant toute épreuve de débranchement.
4. La nullité de l'électroencéphalogramme (EEG) :
le silence électro-cortical est un critère fiable de mort
cérébrale si les conditions techniques sont rigoureuses ; chaque enregistrement doit durer au moins
20 minutes ( 10 mn en amplitude normale, 10 mn
en amplitude maximale) ; il faut utiliser des montages
à grandes distances et des résistances de 1OO à
10 000 ohms; il faut enregistrer simultanément l'électrocardiogramme ; pour éliminer un myogramme il peut
être utile d'injecter un curare tel que le bromure de Pancuronium. Pour affirmer la mort cérébrale le tracé doit
être nul. Dans la législation française, l'EEG est un
document médico-légal indispensable. Il ne figure pas
parmi les critères britanniques ni dans ceux du Minnesota.
La constatation de ces 4 signes fondamentaux est
à elle seule insuffisante pour porter le diagnostic de
mort cérébrale. Deux conditions sont encore
exigées:
1 . Il faut éliminer des affections qui peuvent
simuler la mort cérébrale et qui peuvent être réversibles
grâce à un traitement bien conduit. Certaines intoxications médicamenteuses majeures, en particulier barbituriques, et les hypothermies accidentelles sévères
peuvent donner un tableau clinique identique à celui de
la mort cérébrale et un EEG transitoirement nul. Le
terme de coma avec sidération végétative pour ces
situations gravissimes, mais réversibles a été proposé
par M. Goulon et ses collaborateurs (5). C'est insister
sur l'importance, devant un tel tableau et en l'absence
d'anamnèse de toujours donner sa chance au patient en
poursuivant la réanimation tout en faisant des
recherches étiologiques. Il est encore plus important de
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
savoir quand combattre pour la vie que de diagnostiquer la mort cérébrale.
2. Il faut un délai «suffisant» d'observation. Ce
délai doit avant tout permettre d'éliminer une autre
cause devant la symptomatologie constatée. En
France, la loi laisse le médecin seul juge de la durée du
délai pendant lequel les signes de mort cérébrale
doivent être constants. Pour M. Goulon, une durée de
6 heures est le minimum indispensable. Ce délai peut
être prolongé suivant le contexte clinique ou étiologique. Pendant la période d'observation il est nécessaire d'assurer une réanimation soigneuse et, si des
prélèvements d'organe sont envisagés de faire les
examens complémentaires nécessaires à ceux-ci.
Il est important d'insister sur le fait que même en
assurant une réanimation la durée d'un état de mort
cérébrale n'excède pas, sauf exceptions, quelques
jours au bout duquel l'activité cardiaque s'arrête spontanément sans qu'il y ait lieu de « débrancher » le
patient.
Lorsque se pose la question d'un prélèvement
d'organe et que le diagnostic de mort cérébrale est discutable (par exemple devant la persistance de réflexes
ostéo-tendineux asymétriques) on peut étayer le diagnostic en recherchant l'abolition de la circulation cérébrale par une angiographie cérébrale. Mais il s'agit chez
ce type de patient, d'une technique lourde qui ne peut
être qu' exceptionnelle.
En citant M. Goulon (4) nous pouvons dire que « le
diagnostic de mort cérébrale repose donc sur un
ensemble de signes qui doivent être tous présents et
constants; à cette condition, aucune erreur n'est possible et il n'a jamais été rapporté de cas authentiques
qui mettent en doute cette affirmation». Au plan
anatomo-pathologique les lésions sont connues depuis
les descriptions originales de 1. Bertrand et collaborateurs et de P. Mollaret en 1959. Elles ont ensuite été
étudiées par de nombreux auteurs dont R. Nedey,
S. Brion et collaborateurs en 1974 qui font une revue
des études précédentes et étudient 18 cas personnels
(6). L'état clinique et électroencéphalographique décrit
sous le nom de mort cérébrale correspond à une
nécrose massive de toute la substance grise du cerveau
et du tronc cérébral avec destruction neuronale et
absence tout à fait caractéristique de toute réaction cellulaire envers ce processus nécrotique. On a montré
leffet prédominant de I' œdème qui entraîne un arrêt circulatoire encéphalique puis une liquéfaction secondaire.
Cependant, A. Halevy (7), remarque qu'il persiste
parfois, dans des tableaux cliniques correspondant aux
critères de mort cérébrale, des signes authentifiant la
persistance d'une fonction cérébrale: le diabète
insipide en particulier ne fait pas partie des critères et sa
régulation hormonale dépend de l'hypophyse ; si il est
présent parfois chez des patients présumés en mort
cérébrale, il est loin d'être constant. Faudrait-il
admettre alors l'irréversibilité de lésions cérébrales
majeures sans destruction totale du cerveau pour autoriser un prélèvement d'organe? Faudrait-il encore parler
de mort cérébrale? Pour A. Halevy il n'existe pas de
séparation nette entre vie et mort et cette séparation
est biologiquement artificielle parce que la mort est un
processus plutôt qu'un événement.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
RELATION AVEC LES FAMILLES
L'entretien avec les membres d'une famille dont
l'un des leurs est en état de mort cérébrale va prendre
une orientation différente suivant que le patient peut ou
non être« donneur d'organes». De plus, bien souvent,
il faudra faire comprendre que le patient qu'ils pensent
mort, est dans un état gravissime, mais vivant. En effet,
il faut remarquer l'influence parfois néfaste des informations des médias sur des questions aussi complexes et
aussi la création de mots un peu mythiques tels
qu' «électroencéphalogramme plat» ou « débranchement». Il est très délicat et long de faire comprendre à une famille la différence entre un état végétatif persistant et un état de mort cérébrale. Lorsque
l'on explique que le malade ne communique absolument
pas avec l'entourage et qu'il est inconscient, des questions émergent souvent du type de « alors vous allez le
débrancher ? » ou « pourquoi ne le débranchez-vous
pas ? » ou, si lon annonce, dans un service de réanimation, le décès d'un patient (par asystolie) au terme de
l'évolution spontanée d'une affection grave, on peut
entendre la phrase accusatrice «pourquoi l'avez-vous
débranché?». Le public donne au médecin un pouvoir
démesuré de vie ou de mort sur le malade et l'exprime
souvent dans le symbole du débranchement. Lors d'un
état végétatif, les proches eux-mêmes se donnent
parfois ce pouvoir et sont souvent très étonnés quand,
à leur demande de débranchement, ils reçoivent la
réponse que le patient est capable de respirer seul.
L'EEG est un élément très connu du public et
« l'EEG plat » a également valeur de symbole de mort.
Parmi les questions posées sur un malade inconscient
celles des résultats de son EEG revient très souvent. Si
l'on annonce qu'il est nul mais que le patient n'est pas
en état de mort cérébrale car il est capable de respirer
(état végétatif avec EEG nul) et qu'il «vit» grâce à la
conservation des fonctions de son tronc cérébral, il est
parfois bien difficile de faire comprendre qu'on ne peut,
dans ce cas prélever des organes.
Lorsque la mort cérébrale est dOment constatée ou
que les signes fondamentaux sont présents, sans qu'il
y ait encore le délai suffisant, deux situations sont possibles:
- La première est celle du patient qui ne peut faire
l'objet de prélèvements d'organe, soit du fait de son
âge, soit du fait d'une maladie transmissible ou des
antécédents. Il est alors possible, une fois le délai respecté et la mort cérébrale affirmée de poursuivre la ventilation mécanique en arrêtant les médicaments et d'attendre l'arrêt cardiaque« naturel». Ceci permet d'éviter
de traumatiser les familles en leur expliquant ce qu'est
la mort cérébrale et le débranchement, la mort par arrêt
cardiaque étant le terme habituel d'une affection grave.
Mais l'on est en droit, en raison de la solidité des critères de mort cérébrale, de débrancher le patient, passé
le délai et en particulier après un deuxième EEG nul à, au
moins, 6 heures d'intervalle. Nous pensons personnellement que ce débranchement doit se faire après en
avoir prévenu le personnel soignant et avec les explications nécessaires ; il doit être fait par un médecin ayant
une expérience suffisante, afin d'éviter tout dérapage.
Nous pensons également qu'il n'est pas utile et, qu'il
peut être nuisible de prévenir la famille du débranchement: il suffit de lui annoncer l'arrêt cardiaque terminal. Dans certains rares cas, on peut cependant être
25
Mort cérébrale
et relations avec
la famille
amené à informer la famille si elle est très au fait du problème (famille médicale) et qu'elle pose la question de
l'abus thérapeutique (terme que nous préférons à
l'acharnement thérapeutique).
- La deuxième situation est celle d'organes prélevables. Jusqu'à la mise en application de la nouvelle Loi
Bioéthique les prélèvements d'organes sont réglementés par la Loi Caillavet (22 décembre 1976 Décrets d'application : 31 mars 1978). La loi Caillavet
repose sur le principe du consentement présumé sauf
pour les mineurs et les incapables. La personne qui
entend s'opposer à un prélèvement d'organe peut de
son vivant, exprimer le refus de prélèvement sur son
cadavre, par tout moyen. Lors d'une hospitalisation
tout patient peut exprimer ce refus sur un registre ; sur
ce registre sont consignées également les preuves du
refus qu'il s'agisse de documents trouvés dans ses
effets et d'un témoignage de ses proches. L'existence
de ce registre est malheureusement mal connue du
public. Si le défunt est mineur ou incapable, un prélèvement ne peut se faire sans l'autorisation de son
représentant légal. Pour les militaires, le consentement
présumé est remis en cause puisqu'une instruction
n° 102/DEF/DCSSA/ETG du 21 janvier 1981, du
ministère de la Défense, prévoit une autorisation de la
famille pour tout prélèvement chez un appelé. Pour les
militaires de carrière, la loi Caillavet s'applique intégralement.
Pour cette notion de consentement présumé le
décret du 31-3-1978 et la Circulaire du 3-4-1978
insistent sur le rôle du témoignage des proches, sur
l'importance de ne pas placer la famille devant le fait
accompli, mais laisse ... toute liberté au médecin. Dans
la pratique, l'obligation de recueillir le témoignage des
proches conduit à prévenir la famille de léventualité de
prélèvements d'organe, ce qui paraît éthique et ce que
fait la plupart des médecins. La situation peut être
simple si le sujet en état de mort cérébrale avait clairement exprimé une acceptation ou un refus et que son
avis est clairement rapporté par une famille unanime.
Elle peut être beaucoup plus complexe lorsque le sujet
n'avait jamais été abordé du vivant du patient; bien vite
la situation se transforme et la famille en arrive à donner
ou non une autorisation de prélèvement, alors que légalement elle n'est pas propriétaire du corps du sujet
décédé et ne peut donc, en tant que famille s'opposer à
un prélèvement. On peut alors soit expliquer le principe
du consentement présumé et se contenter de prévenir
que les prélèvements seront faits sans laccord de la
famille. On peut aussi et, nous préférons de beaucoup
26
cette solution, demander l'autorisation de la famille en
parvenant à la persuader de la nécessité d'un acte
généreux et de l'utilité des dons d'organes. La situation
est souvent rendue difficile du fait de témoignages et
d'avis contradictoires au sein de la famille. Il faut alors
savoir convaincre, patienter, conseiller une réunion en
dehors du médecin en donnant un nouveau rendez-vous
proche ; c'est souvent une longue marche commune qui
peut aboutir à un refus (et il faut savoir déculpabiliser)
mais souvent à une acceptation active de la part de la
famille.
Une meilleure éducation de la population sur l'importance des dons d'organes, le port d'un document ou
chacun de son vivant exprimerait son acceptation ou
son refus faciliterait certainement les dons d'organes.
C'est pendant ces entretiens avec les proches que
seront faits les examens complémentaires nécessaires
aux prélèvements afin qu'il n'y ait pas de temps perdu.
Une fois le délai respecté et la constatation faite de la
persistance de tous les signes cliniques et paracliniques
le certificat de mort cérébrale sera signé par deux
médecins dont un chef de service. Le certificat de
décès est signé au moment où le sujet sort du service
pour aller au bloc opératoire où se trouve léquipe de
prélèvement. Il faut prévenir la famille, qu'après les prélèvements, leur proche sera transféré à la morgue. Il
paraît très important de pouvoir lui promettre de la renseigner sur la destination des organes (sans mention du
nom des receveurs) ce que fait volontiers FranceTransplant.
En conclusion, qu'il y ait ou non perspective de
prélèvements d'organe, l'entretien avec les familles se
doit, dans tous les cas d'être chaleureux, avec des gens
installés confortablement dans un bureau et non debout
dans un couloir de service ; il faut savoir écouter, susciter des questions, ne se choquer d'aucune question,
•
patienter et expliquer, expliquer et ré ... expliquer.
BIBLIOGRAPHIE
(1) MOLLARET (P.), GOULON (M.). - Le coma dépassé. Rev.
Neurol., 1959, 101, 3.15.
(2) WEIRTHEIMER (P.), JOUVET (M.), DESCROTES (J.). - A propos du
diagnostic de la mort du système nerveux dans les comas
avec insuffisance respiratoire traités par respiration artificielle.
Presse Méd., 1959, 67, 87 .88.
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(4) GOULON (M.), GOULON, GOEAU (C.). - Coma et mort cérébrale.
Rev. Prat., 1989, 39, 2428.2433.
(5) GOULON (M.), NOUHAILHAT (F.), Uvv-ALCOVER (M.A.), DORDAIN
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favorable. Rev. Neurol., 1967, 116, 297.
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pathologie du coma dépassé. Ann. Anesth. Franç., 1974,
Special Ill, 3.11.
(7) HALL.EVV (A.), BRODY (8). - Brain Death: Reconciling Definitions, Criteria and Tests. Annals of Internai Medicine, 1993,
119, 519-525.
MÉDECINE DE L'HOMME N°
210
LE JURISTE
ET LA DÉFINITION
MÉDICALE
DE LA MORT
par Véronique RACHET-DARFEUILLE
avec le concours de C. LABRUSSE-RIOU (*)
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
En droit, la mort est un fait, doté de si considérables effets juridiques, que le juriste ne peut se désintéresser du phénomène qui les déclenche. Pourtant, la
question de la définition de la mort ne hante la doctrine
et la jurisprudence que depuis peu car les progrès de la
médecine, qui ont reculé la mort dans le temps, jeté le
flou sur le moment de sa survenance et posé de nouvelles questions sur le sort du corps mort, sont récents.
Les critères de la mort ont été ignorés tant qu'elle ne
constituait qu'un événement éprouvé par le sens
commun, comme la cessation irréversible de toutes les
fonctions vitales. Les préoccupations des juristes principalement gouvernées, dans ce domaine, par des
questions d'hygiène et de salubrité publiques, par le
souci d'éviter les enterrements précipités et par la
question des libertés en matière de funérailles, concernaient, en réalité, surtout le sort du cadavre.
Cependant, si la question de la mort proprement dite a
été si longtemps absente de notre droit positif, cela
vient aussi de la moindre place que le corps a pu tenir
jusqu'à présent dans la pensée juridique, qui l'aurait
abandonné à la médecine et à la religion. Pour mieux
comprendre l'enjeu juridique posé par la définition
médicale de la mort et le sort du cadavre il convient de
situer les problèmes dans le contexte du droit romain
tel qu'il résulte de l'histoire récente des x1xe et au début
du xxe siècles.
Le droit civil et le droit pénal ont toujours considéré
implicitement que la personne et le corps formaient un
tout, le corps constituant le substrat de la personne ;
cette fonction existentielle commandait que toute
atteinte à son intégrité soit sanctionnée et que le corps
ne soit ni un bien ni même une chose.
L'extinction du sujet de droit est la principale
conséquence juridique de la mort. Le sujet de droit est
identifié à la notion de personnalité juridique : titulaire
de droits et assujetti à certaines obligations, la personne possède aussi toutes les qualités pour agir sur la
scène juridique.
Le sujet de droit est donc une abstraction correspondant à une vision désincarnée de la personne
humaine : « Il est vrai que la philosophie spiritualiste, qui
a été celle du Code Napoléon et des juristes libéraux du
x1xe siècle, mettait l'essence de la personnalité dans la
volonté plutôt que dans le corps» (1 ). Celui-ci n'était
considéré qu'en tant que support, ou vecteur de la per-
(•) Université de Paris 1.
(1) J. Carbonnier: Les personnes, Éd. P.U.F., Col. Thémis 1990.
27
Le juriste
et la définition
de la mort
sonne humaine. Il n'avait pas de place en soi. La mort
physique de l'individu n'était, alors, que l'un des modes
d'extinction de la personnalité juridique.
Pourtant la mort juridique de l'individu, quant à elle,
peut ne pas toujours correspondre avec la réalité biologique. En effet, puisque les juristes avaient créé une
personne, ils pouvaient de la même façon envisager des
hypothèses dans lesquelles l'individu vivant était juridiquement mort ou juridiquement vivant alors qu'il n'était
pas encore né. Le Code civil de 1804 prévoyait la mort
civile à titre de sanction des crimes d'une particulière
gravité (2). De même, le jugement déclaratif d'absence,
prononcé par le Tribunal de Grande Instance en cas
d'absence d'une personne depuis au moins dix ans,
s'inspire aujourd'hui des mêmes mécanismes, mais
cependant à d'autres fins, que ceux de la mort civile
puisque l'absent voit son patrimoine transmis à ses
héritiers et les liens du mariage dissous.
Enfin, le droit romain nous a légué une autre fiction
qui permet à un nouveau-né d'exister juridiquement en
tant que titulaire de droits, dès sa conception. Cette
règle est issue du fameux adage infans conceptus pro
nato habetur quoties de commodis ejus agitur (3) dont les
tribunaux font une application de plus en plus fréquente
et de plus en plus étendue (successions, acquisition de
nationalité, allocation de dommages et intérêts).
Ces trois exemples permettent d'illustrer à quel
point la fiction juridique peut nier la réalité et choisir de
faire naître ou mourir les sujets de droit plus tôt que ne
le ferait le processus naturel. Mais il y a des limites aux
fictions.
La mort naturelle est longtemps apparue comme un
événement irréversible et instantané qui n'avait d'importance juridique que dans la mesure où il marquait la
fin de la personnalité juridique. Les éléments constitutifs de la mort n'avaient donc aucun intérêt en euxmêmes pour le juriste. En revanche, la gravité des
conséquences juridiques de la mort de la personne justifie qu'aucun doute ne subsiste quant à la réalité de
celle-ci. Ainsi, dès la mort du défunt, son patrimoine se
transmet immédiatement à ses héritiers et le mariage
est rompu. Plus encore le cadavre entre dans un régime
de protection spécifique ; de support de la personne, il
devient une chose assimilée à la sépulture et protégée
en tant que telle (il est incessible et inviolable sous
réserve des dispositions concernant les prélèvem~nts
post-mortem et les autopsies qui depuis le Moyen Age
suscitent tant de difficultés).
Si la mort reste aujourd'hui la seule forme de perte
de la personnalité, le droit n'ignore pas certains méca-
28
nismes qui, à travers le corps, protègent la personne
décédée. Ceux-ci s'attachent à protéger l'intégrité du
corps et à respecter le souvenir du disparu. Ainsi, l'article 34 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la
presse réprime les injures ou diffamations dirigées
contre la mémoire des morts. Les membres de la
famille, blessés dans le souvenir qu'ils conservaient de
celui qu'ils aimaient, seront indemnisés (4). Depuis un
arrêt de 1858, l'image du défunt sur son lit de mort est
protégée contre les prises de vues indiscrètes constituant une atteinte à la vie privée. Plus récemment, la
famille de l'acteur Jean Gabin avait demandé que soient
retirés de la vente les exemplaires du journal ParisMatch qui publiait sans son consentement une photographie de la dépouille mortelle de l'acteur. Le juge avait
accédé à sa demande en ces termes : « le droit au
respect de la vie privée s'étend par-delà la mort à celui
de la dépouille mortelle ; nul ne peut sans le consentement de la famille, reproduire et livrer à la publicité les
traits d'une personne sur son lit de mort qu'elle qu'ait
été la célébrité du défunt » (5).
En outre, la volonté du défunt en ce qui concerne le
lieu et la forme religieuse ou civile de sa sépulture
s'impose aux vivants. S'il n'a pas fait connaître de
souhait particulier, la loi prévoit qu'il appartient aux
membres de la famille les plus proches, à commencer
par le conjoint, d'interpréter sa volonté tacite. Mais ce
n'est que si les ayants droit du défunt font part de
l'existence d'une« absolue nécessité» qu'une demande
d'exhumation sera accueillie par les tribunaux. Ceux-ci
se fondent sur le respect de la paix des morts pour
s'opposer à une exhumation qui ne leur paraît pas justifiée : « lorsque le lieu de la sépulture a été décidé, avec
l'accord de tous les intéressés, il ne doit pas être
changé sans raisons graves pour les vivants» (6). Cette
décision a été rendue dans une affaire où la concubine
avait choisi le lieu alors que le concubinage n'avait duré
qu'un mois. Ultérieurement la famille avait demandé le
transfert.
L'ensemble de ces positions jurisprudentielles
révèle la particularité du statut du cadavre et la protection dont il fait l'objet au-delà de la mort. Mis à
l'écart des vivants, le corps mort n'est pas à l'écart des
humains.
La médecine contemporaine transforme cette
vision juridique: la mort d'une part s'est en fait médicalisée. Le corps mort, d'autre part, n'est plus indisponible et peut-être mis en pièces à des fins scientifiques
ou thérapeutiques.
LE CONSTAT DE LA MORT:
DE L'EXPÉRIENCE À LA TECHNIQUE
S'assurer de la réalité de la mort est donc la préoccupation essentielle du juriste. Ce ne sont pas seu(2) Ses effets étaient les mêmes que ceux de la mort biologique
puisqu'ils privaient l'individu de lexercice de ses droits. Il était donc
juridiquement mort alors que pourtant il était bien physiquement vivant.
Cette sanction a été abolie en 1854.
(3) «L'enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu'il y va
de son intérêt. »
(4) G. Goubeaux : Traité de droit civil, Les personnes, p. 75,
L.G.D.J.
(5) T.G.I .• 11 janvier 1977: J.C.P., 1977, Il, n° 18711 et Cass.
crim. 21 octobre 1980 : D. 1981, p. 72.
(6) Cass. Civ., 1re, 8 juillet 1986: D 1986, l.R., p. 312.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
lament des préoccupations d'ordre juridique qui ont
motivé cet objectif mais aussi la crainte légitime d'être
enterré vivant. Cette crainte est profondément ancrée
dans la conscience collective comme en témoigne une
littérature abondante consacrée aux risques d'inhumations de personnes vivantes (7). Le Code civil ne
chercha pas à vaincre cette peur en établissant des critères médicaux de la mort mais par l'interdiction d'inhumer ou de mettre en bière avant un délai de
24 heures suivant le décès. Cette disposition, toujours
en vigueur aujourd'hui, ne souffre d'exception qu'en cas
d'autopsie (dans l'intérêt de conservation de la preuve)
ou de prélèvement d'organe post-mortem (intérêt de
santé publique).
L'ancien article 77 du Code civil exigeait l'établissement d'un constat effectué par l'officier de l'état civil.
Sa fonction était surtout de s'assurer de l'identité du
défunt auprès de deux témoins. Quand à la réalité de la
mort du défunt, il se bornait à la constater, le délai de
24 heures étant certainement plus efficace pour s'assurer de la mort de la personne que son avis. Le décret
du 28 mars 1960 abrogea l'article 77 du Code civil et
exigea que l'autorisation inhumer ne soit délivrée qu'au
vu d'un certificat efficace pour s'assurer de la mort de la
personne que son avis. Le décret du 28 mars 1960
abrogea l'article 77 du Code civil et exigea que l'autorisation d'inhumer ne soit délivrée qu'au vu d'un certificat
médical attestant de la réalité et des causes naturelles
du décès. Il ne s'agit pas encore de donner en droit une
définition médicale de la mort mais de prendre les précautions nécessaires pour déceler les cas de mort
apparente ou suspecte.
Le délai de 24 heures n'est pourtant pas supprimé.
Si l'avis médical est certainement une protection de la
personne décédée, il ne donne pas pour autant une plus
grande force probante à l'acte de décès dressé par
l'officier de l'état civil. Il n'y est même pas mentionné
et, comme tout acte de létat civil, il peut faire lobjet
d'une inscription de faux. Cette hypothèse relève d'un
cas d'école mais si le législateur considère que la
preuve contraire d'un acte de décès peut être rapportée
il reconnaît implicitement les limites de la force probante d'un constat reposant sur la seule expérience
empirique de la mort, expérience dont le seul témoin
digne de confiance est devenu le médecin.
Depuis 1· entrée du médecin dans 1· établissement de
la réalité de la mort, les progrès des techniques de réanimation ont été considérables. La mort a changé de
visage. D'un côté, elle ne s'inscrit plus dans l'instant
mais résulte d'un long processus: «un processus qui
affecte successivement les diverses fonctions des
organes, pour s'étendre finalement à toutes les cellules
de l'organisme» (8). Elle n'est plus, dès lors, irréversible. Elle devient dans certains cas maîtrisable, en ce
sens que les médecins peuvent enrayer le processus
mortel et faire revenir le patient à la vie. Mais, parfois,
l'avancée de la mort n'est que suspendue et le patient
reste inconscient. Les « états frontières » entre la vie et
la mort ont alors été mis en évidence.
(7) or N. Léry : La mort : quelle réalité médicale 7 Revue Éthique,
n°5 6/7, 1992.
(8) J. Hamburger: Progrès de la médecine et responsabilité du
médecin, 118 Congrès international de médecine médicale, Paris 1966.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
D'un autre côté, la mort est devenue« cérébrale»
c'est-à-dire abstraite et constatée par les moyens de la
technique. Pour favoriser les greffes d'organes le critère
de la mort cérébrale s·est imposé tout en maintenant
les critères biologiques déjà existant car les cadavres
ont pris pour le monde médical une valeur inestimable.
Alors quand décider que la vie a définitivement quitté le
corps 7 Il a donc fallu soumettre la mort, l'encadrer, lui
donner une réalité mesurable. L'enjeu de la définition de
la mort n'est plus seulement familial et patrimonial car il
serait alors relativement facile pour le droit d'en
décider.
L'embarras du législateur est visible à travers la
nature des textes. La circulaire n° 32 du 3 février 1948
recommandait le recours à deux techniques pour établir
le diagnostic de mort : l'artériotomie et l'épreuve à la
fluorescéine d'lcard. Elle fut complétée par une seconde
circulaire du 19 septembre 1958 proposant une troisième méthode dite «signe de l'éther».
Il convient de souligner que de législatives qu'elles
étaient (article 77 ancien du Code civil), les dispositions
concernant la mort sont aujourd'hui issues d'une simple
circulaire qui n'a qu'une place inférieure dans la hiérarchie des normes juridiques et n'a, en effet, qu'une
force obligatoire relative puisqu'elle « ne contient normalement (que) des instructions, recommandations,
explications données par les chefs de service et
notamment par les ministres (... ), aux personnels dont
ils ont à diriger l'action» (9).
Cette circulaire définissait la mort par l'arrêt du
cœur et de la circulation sanguine. La fiabilité de ce
double critère fut rapidement remise en cause par les
progrès des techniques de réanimation. Le 24 avril
1968 la circulaire Jeanneney, sans se substituer à celle
qui l'avait précédée, préconise que le constat de la mort
«s'appuiera notamment sur le caractère destructeur et
irrémédiable des altérations du système nerveux central
dans son ensemble ». Cette fois-ci, ainsi que de nombreux juristes et médecins le remarquent, cette circulaire, n'a même pas été publiée au Journal Officiel. En
recherchant une plus grande fiabilité dans la détermination des critères de la mort, les juristes ont délégué
aux scientifiques le pouvoir de définir les critères permettant de déclarer une personne morte.
Ces procédés recommandés par les textes réglementaires ne concernent que le décès de la personne
en milieu hospitalier et plus particulièrement les cas de
prélèvement d'organe. Ce constat spécifique de la mort
constitue une protection qui se substitue à celle mise en
œuvre par l'interdiction d'inhumer pendant le délai de
24 heures. Certains ont pu y voir l'émergence d'un
régime d'exception ( 10) par rapport à celui de la mort
ordinaire qui, elle, ne connaîtra pas la mise en œuvre de
ces investigations spécifiques.
Cette circulaire du 24 avril 1968 constitue le
dernier état de la réglementation française sur ce point.
Pourtant, depuis 1968, de nouveaux textes sont entrés
en vigueur (dont la loi Caillavet) qui appelaient du
pouvoir réglementaire une définition de la mort. Plus
récemment les projets de lois sur la bioéthique, dans la
(9) R. Chapus : Droit administratif général, tome 1, p. 338, Éd.
Montchrétien.
( 10) P. de Goustine : La détermination de la mort en droit positif,
Revue de Droit Sanitaire et Social, octobre-décembre 1990, p. 595.
29
Le juriste
et la définition
de la mort
section consacrée aux prélèvements d'organes sur les
personnes décédées et aux termes d'un article L. 667-7
du Code de la santé publique, renvoient aux principes
de la loi Caillavet qui renvoient à leur tour à la circulaire
Jeanneney. En effet, celle du 3 avril 1978 prise en application de la loi sur les prélèvements d'organes, ne
donnait pas de nouveaux critères.
Cependant cette délégation est aussi une
démission du pouvoir législatif devant le savoir et le
pouvoir médical. Celle-ci est souvent dénoncée et
s'explique par l'existence d'une certaine confusion non
seulement dans les termes employés pour désigner la
mort cérébrale (coma dépassé, mort absolue ... ) mais
aussi dans l'apparition de pratiques relevant d'une
vision utilitariste de lêtre humain qui ont été rendues
possibles par l'introduction d'une définition mécanisée
de la mort qui réduit le corps mort à une machine dont
chaque pièce peut être enlevée. Dès lors, il est effectivement difficile pour le législateur qui s'est laissé
dépasser par la pratique de prendre position de peur de
reprendre ce qu'il n'a cependant pas donné et de rendre
impossibles des techniques dont la validité ne saurait
être remise en cause ou d'emprunter la voie trop
souvent choisie de la permissivité.
Le juriste qui ne connaît, comme on l'a vu, qu'une
seule mort, celle de la personnalité juridique, est parfois
décontenancé lorsqu'il entend dire qu'il existerait plusieurs morts: la mort apparente, relative, absolue ou
celle de l'individu ( 11 ), les équipes médicales intervenant, à ces différents stades, dans un intérêt thérapeutique ou scientifique.
INSTRUMENTALISATION DU CORPS
ET ÉTATS FRONTIÈRES:
LA MORT INCERTAINE
Le concept de mort cérébrale recèle des risques
compte tenu de l'ambiguïté intrinsèque qu'il recèle: la
personne est morte, tous les appareils sont là pour le
prouver, .. . et son corps continue à vivre. Le sang
circule, les poumons se soulèvent au rythme de la respiration, le corps est chaud, mais il faut pourtant ne pas
se fier aux apparences. Cette contradiction fondamentale entre l'expérience sensible et la réalité scientifique engendre des situations difficiles illustrées
notamment par l'affaire d'Amiens.
(11) Intervention du pr Proust, C.H.U. de Rouen, au Colloque« Le
corps et le droit», C.R.F.P.P. de Rouen, novembre 1993.
30
Un médecin a cru pouvoir mener des expérimentations médico-légales sur une personne en état de mort
cérébrale. Saisie du dossier, la section disciplinaire du
Conseil national de l'Ordre des médecins lui infligea un
blâme, dans la mesure où de telles expériences sont
incompatibles avec le respect des articles 2, 7 et 19 du
Code de déontologie médicale.
Le Conseil d'État, devant lequel a été déférée cette
sanction, le 2 juillet 1993 ( 12), a confirmé la décision de
l'instance disciplinaire en ce qu'elle avait condamné les
agissements d'un médecin contraire à son devoir de
respect de la personne humaine. Cette position opère
un revirement heureux de sa jurisprudence. En effet, le
17 février 1988, à propos de prélèvements d'organes
effectués à des fins scientifiques sur le corps d'une
enfant mineure décédée à l'hôpital et sans que le
consentement des parents ait été préalablement
recueilli, le Conseil d'Etat avait consacré une interprétation pour le moins contestable de l'article 2 de la loi
du 22 décembre 1976 sur les prélèvements d'organe (13). Il avait considéré qu'aucune faute n'avait été
commise par le médecin de l'hôpital susceptible d'engager la responsabilité de l'administration dans la
mesure où, la loi de 1976 n'exigerait le consentement
exprès du représentant légal du mineur qu'en cas de
prélèvement en vue d'une greffe. A contrario,« lorsque
le prélèvement est opéré (... ) à des fins scientifiques, et
que par conséquent il a pour objet de déterminer les
causes du décès, il peut être effectué sans consentement exprès, à condition qu'aucune opposition n'ait
été consignée sur le registre de l'établissement ou
porté à la connaissance du service hospitalier». Ce raisonnement entraîna le rejet d'une indemnisation supplémentaire des parents de la petite fille décédée. Cette
interprétation de la loi Caillavet revient à nier le principe
d'inviolabilité du corps humain, le consentement dit
présumé ne constituant qu'une exception à ce principe
qui, comme toute exception, doit être interprétée au
sens strict.
C'est donc avec un certain soulagement qu'est
saluée la récente décision de juillet 1993 réinstituant le
corps mort dans toute sa dignité. Néanmoins le Conseil
d'État reproche au Conseil de l'Ordre des médecins
d'avoir entaché sa décision d'une erreur de droit, les
articles du Code de déontologie invoqués ne pouvant
s'appliquer qu'à des personnes vivantes. En effet, ces
textes rappellent que le médecin exerce sa mission
dans le respect de la vie et de la personne humaine,
que la volonté du malade doit toujours être respectée
dans toute la mesure du possible et, enfin, qu'une thérapeutique nouvelle ne peut être appliquée que sous
surveillance et que si elle présente un intérêt direct pour
le malade. Adoptant un autre raisonnement, le Conseil
d'État relève que «les procédés reconnus valables par
le Ministre chargé de la santé (... ) constituent des
modes de preuve dont les résultats concordants permettaient de conclure à la mort de l'intéressé». Or
malgré lexistence de l'ensemble des critères permettant de poser le diagnostic irréversible de la mort
cérébrale, la section disciplinaire du Conseil de l'Ordre,
a répugné malgré t,out à considérer le patient comme
mort. Le Conseil d'Etat a décidé, pour sa part, que« les
(12) J.C.P., 13 octobre 1993, Il, n° 22133, note P. Genod.
(13) C.E., 17 février 1988, J.C.P., 1990, Il, n° 21421, note de
E. Fort-Cardon.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
principes déontologiques fondamentaux relatifs au
respect de la personne humaine, qui s'imposent au
médecin dans ses rapports avec son patient ne cessent
pas de s'appliquer avec la mort de celui-ci».
Cette décision permet de mettre en évidence l'absence de toute protection législative du cadavre
pendant la période précédant l'inhumation. Ce n'est
plus un être humain, mais ce n'est pas encore une
dépouille mortelle protégée en tant que telle par les dispositions sanctionnant les violations de sépulture
(article 360 du Code pénal prévoyant une amende de
500 à 15 000 francs et une peine d'emprisonnement
de 3 mois à 1 an). Seul le délai de 24 heures le protège
de toute inhumation hâtive sauf en cas de prélèvements
d'organe à des fins thérapeutiques ou scientifiques. La
protection de l'individu se dissout alors dans l'intérêt
général de santé publique qui nécessite que le prélèvement soit effectué le plus rapidement possible. En
faisant appel aux « principes déont9logiques fondamentaux», la décision du Conseil d'Etat condamne la
vision purement utilitariste du corps et impose que son
intégrité soit respectée même après la mort.
Cependant des expérimentations sur personnes en
état de mort cérébrale seraient menées de façon plus
ou moins publiques un peu partout dans le monde (14),
la prolongation de la survie artificielle somatique
pouvant aller jusqu'à deux mois et constituant alors un
champ de richesses inestimables. Il est regrettable que
les projets de lois actuellement en discussion
n'abordent pas le problème et se contentent de renvoyer aux dispositions de la loi Caillavet. Ces « cadavres
chauds», puisqu'ils existent, doivent pourtant trouver
une place dans notre droit.
Quant aux « états-frontières » et notamment à la
notion d'état végétatif chronique, ils ont créé des situations juridiques inédites.
L'une des questions qui s'est posée aux tribunaux
était de savoir quelle pouvait être l'incidence du degré
de conscience d'une personne plongée dans un état
végétatif à la suite d'un accident sur la réparation qui
devait lui être allouée, c'est-à-dire sur le maintien de ses
droits en tant que personne juridique.
Deux théories ont vu le jour soutenues en la jurisprudence (15). La chambre criminelle de la Cour
suprême défendait la théorie dite « objective » qui exigeait la réparation intégrale du préjudice, celle-ci rétablissant, autant que faire se peut, la situation antérieure
à laccident, sans tenir compte de l'état d'inconscience
de la victime.
A l'inverse, les juridictions civiles soutenaient la
théorie « subjective » qui subordonnait la réparation à
l'état de conscience de la victime : « si, pour un blessé
ayant conservé son autonomie, l'attribution d'une
somme d'argent lui ouvre de multiples possibilités de
compensation, en revanche pour un handicapé graba(14) A. Milhaud: Expérimentation sur mort cérébrale, Journal de
médecine légale, Droit médical, p. 71, 1993.
(15) S. Gromb: Note sous Cour d"appel de Bordeaux, 18 avril
1991, Dalloz, 1992, Jurisprudence, p. 14.
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
taire et inconscient, cette même attribution ne lui
apporterait ni consolation ni apaisement» (16).
Le conflit aurait été tranché (sous réserve d'un
nouveau pourvoi devant la Cour de cassation) par la
Cour d'appel de Bordeaux après renvoi de la deuxième
chambre civile de la Cour de cassation ( 17). Le passager d'un véhicule, victime d'un grave accident de la
circulation, fut grièvement blessé et atteint« d'un polytraumatisme crânien avec coma d'emblée, avec œdème
cérébral majeur, et d'une atteinte thoracique avec pneumopathie, inhalation et hypoxie( ... ) toute conscience et
motricité étaient supprimées, la vie n'étant plus que
végétative». Sa famille demandait qu'il soit indemnisé
du préjudice qu'il avait subi du fait de l'accident
notamment du préjudice moral.
La Cour a pris fermement parti pour la thèse
objective : « à moins de considérer la personne comme
morte civilement et devenue simple objet de soins
assurant son maintien en une vie devenue artificielle, la
victime d'atteintes gravissimes et maximales à la conscience doit être respectée dans sa dignité humaine et
protégée dans lensemble de ses droits en tant que
personne( ..• ). Comme tout autre sujet de droit, une
personne en état végétatif a un patrimoine qui, à l'ouverture de sa succession, sera accueilli selon les dispositions légales». Cette décision a le double mérite, nonobstant toutes remarques d'ordre moral, de réaffirmer
avec vigueur le principe de réparation intégrale du préjudice singulièrement malmené par les tribunaux civils,
mais aussi de réfuter une dangereuse tendance visant à
discriminer les victimes selon leur niveau de conscience (18). L'objectif de l'indemnisation pécuniaire,
aussi imparfaite et artificielle soit elle à certains égards,
est de replacer la victime dans la situation qui était la
sienne avant la survenance de l'événement dommageable et il n'entre pas dans le rôle du juge d'apprécier,
en fonction de l'état de la victime, si elle profitera ou
non des sommes versées et, en conséquence, d'en
réduire ou d'en augmenter le montant. Le raisonnement
inverse et adopté par le Tribunal de Grande Instance de
Paris le 6 juillet 1983 conduit à dénier la qualité d'être
humain et de sujet de droit que la notion juridique de
personne identifie par rapport à la jouissance des
droits,
L'exploitation des corps morts a nécessité que soit
mis en place un « constat précoce » de la mort, ménageant tant bien que mal les intérêts du défunt et ceux du
progrès scientifique. Le droit par l'introduction d'une
définition médicale de la mort a intégré une vérité scientifique censée établir une frontière incontestable entre
la vie et la mort. Pourtant, les scientifiques, eux-mêmes,
admettent que la mort n'est plus un instant mais un processus, ce qui a contribué à jeter le flou sur un événement qui requiert cependant une définition nette de la
fin du processus. Cette confusion illustre d'une certaine
façon les ambiguïtés de la société occidentale contemporaine envers la mort et les difficultés de respecter les
rites mortuaires si la mort n'est plus que« cérébrale».
(16) T.G.I. Paris, 6 juillet 1983, Dalloz 1984, p. 10 et Cass 28 Ch.
Civ., 21 juin 1989, Bull. Civ. Il, n° 133, cités par S. Gromb dans la note
pré-citée.
(17) Voir supra note n° 16.
(18) J.L. Aubert: Note sous Arrêt pré-cité, Dalloz 1992, Som.
Com., p. 274.
31
Cette disparition du rite autour de la survenance de la
mort paraît encore plus sensible et difficile à vivre en
cas de prélèvements ou d'autopsie aussi bien par les
médecins qui opèrent dans l'urgence et la précipitation
que par les familles qui ne peuvent accompagner le
mort dans cette ultime épreuve. L'affaire de la jeune
Amina ( 19) dont les organes avaient été prélevés sans
le consentement de ses parents illustre le déni de la
liberté religieuse au profit de la science. L'enfant étant
musulmane, l'imam n'avait pu accomplir les rites mortuaires en raison des mutilations qu'elle avait subie.
Cependant on ne saurait remettre en cause la validité
des greffes et des autopsies ; permettre que cette
épreuve soit mieux acceptée par les familles et mieux
vécue par les équipes médicales suppose, non seulement de lever l'ambiguïté des critères médicaux de la
mort, mais aussi des modifications substantielles des pratiques relationnelles lesquelles échappent bien entendu
aux compétences des seuls juristes. On constate
cependant que le droit, par les tribunaux surtout, commence à appréhender la personne humaine réelle par
lobligation du respect de son corps au moment même
où la médecine technologique et la redistribution des
corps instrumentalisés introduisent une idée abstraite et
fictive de la personne en son corps. Curieux mais significatif retournement des points de vue 1
•
(19) Cf. supra note n° 12.
VIE DES RÉGIONS
BLOIS
UNE RÉUNION DE MÉDECINS
Répondant à un désir profond de Monseigneur Cuminal, François Cordier, prêtremédecin, avait invité une trentaine de personnes, médecins et conjoints, à se
réunir le 7 décembre en soirée pour
évoquer ensemble le bien-fondé d'une
«pastorale de santé» dans le diocèse.
Une dizaine de participal)tS se sont
retrouvés autour de notre Evêque et de
François Cordier ainsi que les deux
vicaires épiscopaux et de M. l'abbé
P. Boulmier, responsable de la Maison
diocésaine qui nous accueillait.
La discussion ouverte qui s'est engagée,
et prolongée devant un buffet fort
convivial, a abouti à la notion qu'il faut
étendre cette concertation à un plus
grand nombre de médecins. On souhaite
les réunir - cela donnera lieu à des précisions ultérieures dans ce bulletin - et les
laisser choisir les thèmes prioritaires de
discussion sur les grands sujets qui
agitent le monde de la santé.
Mais l'un des participants a fait remarquer
que le Centre catholique des médecins de
France était un organisme de réflexion
approfondie. Le C.C.M.F. a pris en 1961
la suite de la Société médicale Saint-Luc,
fondée en 1884 ; il organise des colloques annuels sur un thème précis,
anime des groupes régionaux et surtout
édite un journal à parution bimestrielle
«Médecin de l'Homme» (C.C.M.F., 5,
avenue de !'Observatoire, 75006 Paris).
On peut ainsi s'appuyer sur l'importante
documentation fournie par la parution de
sa revue ainsi que de la revue du Centre
Laennec, un centre regroupant des étudiants et des anciens étudiants ayant fréquenté les Conférences Laennec, organisées sous l'égide de la Compagnie de
Jésus.
32
Les sujets abordés sont multiples,
essayant d'apporter un éclairage humaniste et chrétien sur les grands problèmes
d'éthique et tout ce qui touche principalement le début et la fin de la vie.
Quelques titres au hasard sont cités : « La
vérité aux malades», «L'euthanasie»,
«Dignité de l'homme souffrant»,« Génétique: espoirs et limites», «La contraception vingt ans après», etc., sans
compter les articles sur la responsabilité
médicale, la relation médecin-malade, le
secret professionnel, le parent alcoolique,
le dément sénile, etc. La plupart de ces
numéros sont disponibles chez le signataire de cet article, lequel se fera un plaisir
de les prêter à qui lui en fera la
demande.
•
La Vie Diocésaine de Blois
24-12-93, n° 24.
or E. de
PUNVAL.
•
LE CENTRE CATHOLIQUE
DES MÉDECINS FRANÇAIS
AUBE ET HAUTE-MARNE
Invite les médecins et les professionnels
de la santé, quelles que soient leurs
convictions, à réfléchir en commun aux
problèmes de bic-éthique qui se posent
journellement à eux.
Le père Pierre Lambert, aumônier national
du C.C.M.F., introduira notre réflexion par
le thème suivant :
« A partir de quels fondements
la tradition biblique
nous propose-t-elle de structurer
notre éthique aujourd'hui,
en tenant compte
de lévolution scientifique
et de notre engagement
de soignant 1 »
Nous vous proposons de nous retrouver
le samedi 12 mars 1994
au cours d'un après-midi très convivial
à Bar-sur-Aube, à mi-chemin entre
Troyes et Chaumont.
L'heure, le lieu et les renseignements pratiques vous seront communiqués en
février.
N'hésitez pas à transmettre cette invitation à d'autres confrères et, bien sOr, à
d'autres professionnels de santé avec
lesquels vous collaborez et que nous
n'aurions pu joindre.
Votm réponse est à adresser à :
Jean SIROT,
52000 Choignes
ou Nadine LEROUX,
2, rue Abbé-Riel, 10200 Bar-sur-Aube
ou Bernard MASSON,
10310 Clairvaux
•
•
LOT-ET-GARONNE
Le docteur Bonis-Charancle de Villeneuve-sur-Lot, nous fait part de quelques réunions organisées par le groupe des
médecins du Lot-et-Garonne et nous
communique la date et le thème de leur
réunion prochaine du 17 mars avec le
Père Quillici, Prieur des Dominicains de
Toulouse sur « I'Apocalypse», faisant
suite à la conférence donnée le 4 février
dernier.
Dernièrement, les médecins de ce groupe
s'étaient réunis le:
- 9 novembre 1993 avec le Père Ouillici
pour « Le témoignage, que signifie être
témoin aujourd'hui», et le
- 2 février 1994 avec le Père Maldame,
professeur de philosophie à l'Institut Catholique de Toulouse «Science et Foi » •
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
LA DÉFINITION
LÉGALE DE LA MORT
DANS LA PENSÉE
JUDAÏQUE
par le pr Henri ATLAN (*)
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
De même que la naissance d'un être humain n'est
pas une discontinuité absolue, apparition à partir de rien
d'une personne accomplie mais au contraire s'inscrit
dans un processus continu qui commence pendant sa
gestation et se continue pendant l'enfance et la maturation, de même la fin de l'existence peut être vue
comme une disparition progressive où ce qu'on appelle
la mort proprement dite n'est qu'un moment certes
déterminant mais qui s'inscrit lui aussi dans un processus continu.
Chaque être humain étant considéré comme une
union indissociable que nous dissocions pourtant à
travers nos expériences de ce que nous appelons le
corps et l'esprit, son apparition dans l'existence et sa
disparition ne concernent que cette union et non celles,
séparément, du corps et de l'esprit. c· est pourquoi on
considérera qu'un individu n'est totalement une personne, sur le plan de sa responsabilité morale et juridique, qu'à la fin de sa maturation, notamment sexuelle.
Cela ne veut pas dire évidemment qu'elle n'a pas droit,
bien avant, à lamour, à la protection et au respect dus à
une personne en devenir. Mais tout comme les devoirs,
les droits ne sont pas les mêmes aux différentes étapes
du développement. Les étapes sont définies non pas
sur la base de conceptions à priori, toujours contestables, sur ce qu'est la vie en général, ou la conscience,
mais sur nos expériences concrètes de rencontre d'individus que nous percevons d'emblée et au premier
regard comme des êtres humains, nos semblables, nos
prochains. C'est ainsi par exemple, que pour la tradition
talmudique, la première forme de ce qui sera un enfant
n'est reconnue que lorsqu'on peut y voir, sans contestation possible, une forme humaine celle du visage en
particulier, à l'exclusion d'autres formes, végétales ou
animales, notamment. c· est cela qui est à lorigine de la
législation talmudique sur 1· avortement qui change de
nature et n'est considéré comme un meurtre qu'après
40 jours de gestation.
Plus tôt, l'avortement n'est pas systématiquement
permis pour autant mais il ne concerne que le rapport
de la mère à son futur enfant, encore non existant
comme tel.
De même ce n'est qu'à la naissance que le droit à la
vie de l'enfant devient égal à celui de la mère, au cas où
ces deux droits seraient en conflit. D'où la possibilité de
sacrifier le fœtus si la mère est en danger, alors qu'il est
(•) Service de Biophysique et Médecine nucléaire. Hôpital de
!'Hôtel-Dieu.
33
La décision
d'arrêt thérapeutique
toujours interdit de tuer une personne pour en sauver
une autre. D'où aussi, la possibilité d'admettre en certains cas, quand l'existence de la mère est menacée, un
avortement après 40 jours dont la légitimité est alors
assimilée par certains législateurs à celle de la légitime
défense. Dans un tel cas, le meurtre du fœtus peut être
accepté comme moindre mal, alors que l'infanticide ne
l'est pas, parce que la séparation d'avec la mère que
constitue la naissance et la première respiration est
l'élément déterminant, la reconnaissance d'un enfant
déjà venu au monde et ayant par là un droit à la vie égal
à celui de l'adulte. Mais on sait que ce sera bien plus
tard, après sa maturation, que la totalité de ses droits et
de sa responsabilité deviendra égale à celle d'un adulte,
personne accomplie tant sur le plan moral que juridique,
membre à part entière de la communauté.
Autrement dit, c'est à partir de notre perception du
corps humain dans sa totalité, d'abord à travers sa
forme puis dans ses capacités physiques, linguistiques
et psychiques, que nous portons des jugements sur les
différentes étapes du développement d'une personne
vivante dans la réalité de son existence, et sur les droits
et devoirs que la société lui reconnaît.
C'est dans ce contexte que peuvent être comprises
les nombreuses discussions (et les décisions du droit
juif traditionnel) sur la définition du moment de la mort
qu'on trouve dans une littérature rabbinique évolutive
ininterrompue depuis environ deux mille ans.
La disparition définitive ne survient qu'avec celle de
la forme du corps, qu'il faut bien se garder de hâter
d'ailleurs, d'où l'interdiction de l'incinération. Entre l'enterrement et cette disparition s'écoule une période
intermédiaire, caractérisée par les différents rituels du
deuil où la disparition progressive de la forme du corps
réduit «en poussière», est accompagnée par l'atténuation progressive de l'existence de cette personne
dans le souvenir de ses proches et de ceux qui l'ont
connue.
Par ailleurs, la mort est déjà présente dans la vie,
avec la vieillesse et la maladie, de façon singulière pour
chacun, en sorte qu'il ne saurait exister de définition
abstraite et générale d'un moment déterminé qui signifierait la mort d'un être humain dans toutes ses dimensions concernant son corps et son esprit de façon
indivise. Tout ce à quoi nous pouvons, et devons, nous
attacher est de définir des critères d'appréciation de
certaines étapes de ce processus qui impliquent des
modifications progressives dans le statut social, moral
et juridique d'un individu dont l'existence se termine.
34
C'est évidemment dans ce contexte que le don d'organes vitaux, normalement interdit même si c'est pour
sauver une autre vie humaine, sera pourtant justifié à
partir d'une certaine étape dans le processus irréversible de la mort. Cette étape coïncide avec le moment
où l'individu est déclaré socialement et légalement
mort, sans préjuger encore une fois de toute
conception possible sur l'immortalité de l'âme ou sur
une survie éventuelle, plus ou moins prolongée de
quelque nature que ce soit, « après la mort ».
Et ce moment, ne pouvant être défini de façon
intrinsèque, est apprécié sur la base d'une association
de plusieurs critères fonctionnels, dont chacun isolément serait insuffisant car c'est de l'individu dans sa
totalité qu'il s'agit, même si, dans la pratique, ils sont
indépendants et coexistent le plus souvent.
Ces critères, comme pour la gestation, la naissance
et la maturation, sont définis à partir de la disparition de
certaines capacités fonctionnelles de l'individu, corps et
esprit indivis, sans préjuger d'une définition métaphysique de la mort qui serait attachée plus particulièrement au fonctionnement de tel ou tel organe. C'est
dans ce contexte qu'il faut comprendre la signification
des critères anciens tels que arrêt de la respiration et du
cœur, et la possibilité de leur associer le critère
moderne de mort cérébrale.
La question ne se pose, bien évidemment, que
lorsque les propriétés les plus visibles de la vie animale
et humaine ont disparu, à savoir le mouvement et la
parole. Le corps est immobile, sans réaction comme
une « pierre muette » : est-il mort ou a-t-il seulement
perdu connaissance ? A ce propos, pourtant, certains
discutent la possibilité de mouvements après la mort
comme chez les canards reconnus comme morts bien
qu'ils continuent à bouger après qu'on leur ait coupé la
tête. Et ce rôle privilégié de la tête, ainsi reconnu traditionnellement par rapport à d'autres parties du corps a
été utilisé récemment pour tenter de rattacher à la tradition la notion moderne de mort cérébrale.
Mais le critère classique de la mort, depuis l'époque
talmudique (premier siècle) est avant tout l'arrêt de la
respiration (qu'on vérifiait en plaçant un miroir devant la
bouche et les narines), auquel était associé l'arrêt du
cœur (Talmud de Babylone, Traité Yoma, p. 85 a; Maimonide, Michnei Tora, Hilchot Avel, ive. ve. xue siècle;
Choulhan Aroukh Orakh Haïm, 329,4, xv1e siècle).
Devant labsence de sensibilité de la technique du miroir
et la survenue d'accidents dramatiques de réveils d'enterrés vivants, c'est l'association des trois critères,
absence de réaction à toute stimulation (coma), arrêt de
la respiration spontanée et arrêt du cœur qui est exigée
depuis une décision de Rabbi Moshe Sofer (Hatam
Sofer, fin du xvme - début du x1xe siècle) pour déclarer la
mort et entreprendre des funérailles.
Toutefois, il était toujours recommandé de répéter
les vérifications à intervalles réguliers pendant un délai
de plusieurs heures pour s'assurer du caractère irréversible de l'état du sujet qu'indique la présence de ces
signes, afin d'éviter qu'il ne s'agisse que d'un évanouissement ou d'une syncope (Maimonide).
C'est cette exigence d'irréversibilité des signes de
la mort qui est utilisée aujourd'hui par certains rabbins
législateurs pour justifier, de façon pragmatique, l'utilisation du critère de mort cérébrale (voir par exemple A.
Steinberg, « Détermination du moment de la mort et
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
greffes de cœur » (en hébreu), Assia, vol. 11, n° 4,
Publ. The Schlesinger lnstitute for Medical-Halachic
Research at Shaare Zedek Medical Canter, Jerusalem,
Israël, 1988, p. 56-57).
Très schématiquement résumé, l'argument est le
suivant. Les signes permettant de déclarer la mort
restent ce qu'ils étaient, à savoir et avant tout comme
nous l'avons vu, l'arrêt de la respiration spontanée et
du cœur, et l'absence de réactions à toutes stimulations. Mais le caractère irréversible de l'arrêt de la respiration spontanée, qui ne pouvait autrefois être affirmé
qu'en laissant passer un certain délai, peut être établi
aujourd'hui sür la base de la constatation de mort cérébrale - ainsi d'ailleurs que d'irréversibilité du coma et,
dans une certaine mesure, de l'arrêt cardiaque. Dans la
logique de cette argumentation, la mort cérébrale ne
devient pas un signe direct de la mort d'un individu
grâce à une vertu particulière qui serait attribuée au
cerveau quant à la définition de la vie et de la mort.
L'arrêt des fonctions de l'encéphale, y compris, bien
sOr, celles des centres bulbaires dont dépend la vie
végétative et le fonctionnement du système cardiorespiratoire, ne sert que d'indicateur du caractère irréversible de l'impossibilité de respirer de façon
autonome, associée au coma et à l'arrêt du cœur. C'est
cela qui permet, devant un coma, d'affirmer la mort sur
la base des signes traditionnellement acceptés, même
si la respiration et les battements cardiaques sont maintenus de façon artificielle. Alors, la mort cérébrale est le
signe de ce que l'arrêt de ces fonction est irréversible
en l'absence d'assistance extérieure, ainsi que le coma
qui l'accompagne. Elle constitue donc un signe sur les
signes.
Outre qu'elle rend possible de déclarer mort un
sujet en état de mort cérébrale dont le fonctionnement
cardia-respiratoire est maintenu artificiellement, permettant ainsi un prélèvement éventuel d'organe vital,
cette position a plusieurs conséquences.
Sur le plan théorique, elle exprime le caractère
pragmatique de la définition d'un seuil à partir duquel la
mort de l'individu est affirmée, même si ses tissus et
ses cellules continuent de vivre, et si, d'un point de vue
strictement biologique, tout seuil serait arbitraire. En
effet, ni le poumon, ni le cœur, ni le cerveau, ne peut
être investi d'un statut ontologique particulier dans la
définition de la vie et de la mort d'un sujet, si l'on
considère que la fin de la vie, comme son début, n'est
pas un instant mais un continuum. Certes, les narines
jouissent d'un statut particulier dans le Talmud, et c'est
en fait elles qu'il faut examiner afin de détecter le
moindre mouvement d'air pouvant témoigner de larespiration. Ce statut des narines est explicitement rattaché au récit de la formation d'Adam (Genèse 2, 7) :
elles sont le lieu par où fut insufflée une « âme de vie »
afin d'animer le corps du premier homme. Mais il s'agit
là d'un niveau de signification tout à fait différent de
celui de l'analyse halachique, c'est-à-dire du droit talmudique. La signification symbolique du récit des origines n'est pas ignorée par l'analyse juridique, puisqu'elle est invoquée au départ du raisonnement
talmudique. Mais elle ne peut que se superposer à la
construction juridique, et s'y intégrer éventuellement,
sans avoir de fonction opérationnelle dans le jugement
sur la vie ou la mort de sujets concrets dans telle ou
telle circonstance de leur existence. C'est pourquoi la
littérature halachique ne se préoccupe pas d'expliciter
MÉDECINE DE L'HOMME N° 210
XVIII' CONGRÈS
DE LA F.l.A.M.C.
(Fédération Internationale
des Associations
de Médecins Catholiques)
PORTO 8-12 septembre 1994
MÉDECIN
ET NOUVELLE
ÉVANGÉLISATION
•
Droits d'inscription
U.S. Dollars :
- Participants ...
-Accompagnants..
- Étudiants . . . . .
Avant
le 15-6-94
Après
le 15-6-94
220
110
130
260
130
150
35
comment une signification symbolique de ce type peut
être intégrée au droit. Ceci est laissé à lexpérience intérieure de chacun et à l'interprétation des paraboles du
mythe d'origine. Dans le processus continu qui aboutira
plus tard à la décomposition de la forme du corps,
l'arrêt de l'activité intégrée de ces trois fonctions, respiratoire, cardiaque, cérébrale, dépendante chacune des
deux autres, sert d'indicateur d'un changement irréversible dans l'état de ce corps et de ses relations aux
autres. Ce changement porte sur 1· état du corps et de
1· esprit indissolublement liés du point de vue du sujet et
du droit, même si les méthedes d'observation objective
du biologiste et du psychologue nous forcent pratiquement à en dissocier les manifestations, au moins
pour le moment. Indépendamment de considérations
métaphysiques sur une vie possible qui continuerait
d'une façon ou d'une autre, ce changement irréversible
impose des mesures socialement et culturellement
définies, telles que sépulture et rites mortuaires,
tranfert de responsabilité juridique, rupture de liens
sociaux, etc.
La position que nous avons exposée ici, a aussi une
conséquence pratique qu'il est important de souligner.
Contrairement à une opinion qui s'exprime de plus en
plus, cette position exclut que des sujets en état végétatif chronique soient considérés comme morts, puisqu'ils respirent et que leur cœur bat sans besoin d'assistance extérieure. Il en résulte en outre que la mort
cérébrale dont il s'agit ici est celle de l'encéphale tout
entier, et pas seulement du cortex, en tant qu'elle
implique l'arrêt définitif de la respiration et du cœur,
associé au coma. Ceci s'oppose à l'opinion qui veut distinguer l'activité corticale de celle des centres neurovégétatifs de l'encéphale, et tend à réduire la mort d'un
sujet à la seule perte de conscience, autant qu'on peut
en juger à partir de l'état de coma et de l'absence prolongée d'activité cérébrale limitée au cortex. Dans la
position qui s'exprime ici, ce n'est pas l'absence d'activité du cerveau en tant que telle qui définit la mort du
sujet (de même qu'on aurait du mal, inversement, à
considérer un cerveau isolé maintenu en vie comme une
personne vivante 1).
•
VIENT DE PARAÎTRE
LE SUPPLÉMENT
Revue d'éthique et théologie morale
le numéro 185 de cette revue semestrielle est intitulée « Soigner et
guérir?». Il nous donne le compte rendu
du Congrès des institutions hospitalières
de Wallonie (25-26 mars 1993) dont le
thème était : « L'Hôpital au carrefour des
questions éthiques ». Ainsi que ceci est
souligné dans le discours inaugural, l'hôpital aujourd'hui n'a plus qu'un lointain
rapport avec ce qu'il fut à l'origine, d'où
l'intérêt des exposés publiés dans ce
numéro, notamment ceux concernant la
nature du débat éthique à l'hôpital. le
consentement du médecin aux choix prioritaires des malades, les difficultés parfois
de se comprendre entre médecins, autres
soignants et soignés. Les problèmes
éthiques soulevés par la maladie mentale
tiennent une place importante dans ce
numéro, notamment en pédopsychiatrie
et psychogériatrie. Des questions
d'éthique hospitalière sont également
posées aux gestionnaires.
Le numéro met bien en évidence que l'hôpital aussi est au carrefour des questions
éthiques.
le numéro 186 de septembre-octobre
1993 a pour titre : « Le compromis en
morale. Ce numéro montre à la fois le
nécessaire apprentissage d'un vivre
ensemble dans une société pluraliste et la
toute aussi nécessaire recherehe des ressources d'humanité à propos desquelles
il est difficile d'accepter un compromis:
Directeur de la Publication
or Claude LAROCHE
34, rue de Bassano. Paris-88
•
Gii
!____!__ !_
21
en effet. tout peut-il être objet de compromis?
Ce numéro comprend 3 dossiers.
Le dossier 1 traite du compromis en
morale.
Le dossier-2 expose-les problèmes qui se
posent face aux états de vie très fragilisés: par exemple, l'accueil du nouveau-né porteur d'une anomalie dans un
service de réanimation ou les positions
face aux pratiques « médicalisées » visant
à procurer la mort.
Le dossier 3 concerne les rapports de
léthique et la médecine. au· est-ce
qu'être responsable pour un médecin
aujourd'hui 7 Questions et réflexions sur
la stérilité et la demande des couples.
Les deux numéros. très denses. sont
très intéressants et d'une grande actua-
.
~~
sociale considérable: c'est la conception
même de la personne, de son statut, de
ses droits qui est en jeu.
Élaboré par un groupe de chrétiens à la
suite d'un appel à la réflexion lancé très
au large, ce texte a été discuté, amendé,
travaillé et enfin signé par de nombreux
mouvements, groupes, services d'Église
et personnes. Cette prise de parole
commune représente, en ce domaine
incertain, un véritable événement social
et ecclésial. Bien sQr, ce texte ne prétend
pas avoir le dernier mot, sa démarche
vise davantage à éclairer les enjeWLqll.JL
permettre ou interdire. Il n'hésite
cependant pas, sur certain nombre de
points, à prendre clairement parti.
•
Liste
des annonceurs
or Pierre CHARBONNEAU.
LABORATOIRES LAFON .
•
DÉSIRER UN ENFANT : Des chrétiens
s'expriment
lditions du centurion - 190 pages - 59 F
- Décembre 93
Les procréations médicalement assistées
font l'objet d'opinions contrastées, et
souvent passionnées, tant dans l'Église
que dans la société. Le débat à leur sujet
revêt en effet une portée symbolique et
ISSN 0543-2243
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NO 54216
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