JE SUIS FASSBINDER

Transcription

JE SUIS FASSBINDER
LITTÉRATURE ET CINÉMA,
CINÉMA AU THÉÂTRE
ATELIER DE RECHERCHE À PARTIR DU TEXTE DE
FALK RICHTER
JE SUIS FASSBINDER
(Ich bin Fassbinder, 2016)
traduit de l’allemand par Anne Monfort © L’Arche Editeur, 2016
JUDITH. […] ILS VONT NOUS FORCER UN JOUR À EXPLIQUER TOUT ÇA et aucun d’entre nous
ne réussira à expliquer comment nous avons pu à ce point nous foutre de tous les autres pays de ce monde, de
tous ces gens qui y vivent et qui mènent des guerres avec nos armes, pourquoi on croyait pouvoir rester ici à
boire du champagne en terrasse pendant que le reste du monde est bombardé, n’est plus que cendres ou
meurt de faim ou n’a pas d’eau potable. ILS NOUS DÉTESTENT, ILS NOUS DÉTESTENT, ET ILS SONT
TOUJOURS PLUS NOMBREUX, ET ILS VEULENT NOUS DÉTRUIRE je le sens, c’est quelque chose qui
arrive […]
1
En 2017, le cinéma sera célébré au festival Littérature Au Centre. En prévision de cette
édition, il serait judicieux de proposer aux étudiants de Clermont-Ferrand un atelier théâtre en
correspondance avec le thème du cinéma dès le premier semestre.
L’atelier théâtre autour de Je suis Fassbinder de Falk Richter sera l’occasion de poser la
question du cinéma au théâtre, et plus précisément de convoquer le théâtre et le cinéma d’hier pour
questionner le théâtre d’aujourd’hui. Deux pays d’Europe occidentale à quarante ans d’intervalle.
La pièce de Falk Richter est construite sur une dramaturgie complexe mettant en scène les
acteurs dans leur propre rôle en train de répéter des extraits de pièces ou de films de Rainer Werner
Fassbinder. Ce qui justifie cette construction en mille-feuilles est le lien étroit entre l’œuvre de
Fassbinder et le constat que dresse Falk Richter sur l’Europe d’aujourd’hui.
UNE DRAMATURGIE RÉFÉRENCÉE
L’Allemagne en automne (1977), l’automne en France (2015)
Falk Richter prend comme point de départ une référence à un court métrage de 26 minutes
réalisé par Fassbinder et recueilli dans le film L’Allemagne en automne, réunissant les travaux d’un
collectif de cinéastes allemands.2 Le film est une réaction aux événements d’octobre 1977 en RFA,
où ont eu lieu en même temps l’assassinat du représentant du patronat Hanns-Martin Schleyer par
des membres de l’organisation terroriste allemande Fraction Armée Rouge (RAF), et le suicide
d’Andreas Baader, chef de la RAF, suite à l’échec du détournement d’un Boeing de la Lufthansa par
le Front populaire de libération de la Palestine. Fassbinder se met lui-même en scène dans le tableau
d’une Allemagne en désarroi.
Dès les premières répliques, Falk Richter se penche sur la fin du film, où Fassbinder
entretient une conversation avec sa mère qui livre son sentiment face à la peur du terrorisme
grandissant. Le point de vue de la mère est celui de beaucoup d’Allemands de l’époque : le souhait
d’un retour à l’autorité à la tête du pays.
1
FalkRichter,JesuisFassbinder,p.45.
L’Allemagneenautomne(DeutschlandimHerbst)deAlfBrustellin,RainerWernerFassbinder,AlexanderKluge,Beate
Mainka-Jellinghaus,MaximilianeMainka,PeterSchubert,BernhardSinkel,HansPeterCloos,EdgarReitz,KatjaRupé
etVolkerSchlöndorff,Allemagne,1978,123’.
2
Falk Richter met habilement en parallèle ce sentiment de l’Allemagne de 1977 avec l’état
d’urgence et le sentiment d’insécurité grandissant en France depuis les attentats de janvier et
novembre 2015. Il y montre les acteurs Stanislas Nordey et Laurent Sauvage jouant respectivement
Fassbinder et la mère, en pleine confusion entre comédien et personnage, en pleine confusion entre
hier et aujourd’hui : de quoi parle-t-on ? quels terroristes ? La bande à Baader ? Etat Islamique ? La
peur sème le trouble et durcit le débat sur les événements du 1 janvier 2016 à la gare de Cologne :
qui est le plus « au Moyen-Age » en fait ? Les réfugiés qui ne savent pas s’adapter à la culture
occidentale qui se dit ouverte d’esprit et féministe ? ou bien l’église catholique et la « Dynastie Le
Pen » qui gagne du terrain dans l’estime de certains Français abrutis par la terreur ?
Après cette première scène intitulée “Allemagne en automne (2016) – Première partie”,
vient une deuxième scène “Je suis l’Europe” qui fait écho à la précédente. Le point de vue s’élargit,
le sentiment de terreur n’est pas lié à quelques événements isolés en France ou en Allemagne, mais
il est le tissu d’un climat délétère généralisé dans toutes les couches de nos sociétés. La pensée
humaine et altruiste se teinte de crainte et de haine, non sans une vaine culpabilité, envers
l’inconnu.
er
LAURENT. Je ne suis pas Charlie
Je ne suis pas en terrasse
ÉLOÏSE et JUDITH. Je suis Charlie
Je suis en terrasse
JUDITH. mais quand j’y suis et que soudain quatre jeunes arabes à l’air un peu dangereux passent, j’ai
peur et ça me dégoûte je ne veux pas de ça je ne veux pas avoir peur je ne veux pas avoir peur
mais parfois j’ai peur.
3
Je suis Fassbinder est une œuvre déroutante qui convoque le passé pour mettre en lumière
l’état actuel de nos sociétés terrorisées, radicalisées. Les événements passés n’ont jamais connu de
résolution, tout est resté là, comme une plaie ouverte, dans une douleur à laquelle l’humanité s’est
habituée jusqu’à l’infection.
Elvira, Petra von Kant et pierres brûlantes
La référence au film L’Allemagne en automne est un fil continu tout au long du texte. Elle
ouvre, traverse et ferme la pièce. A celle-ci s’ajoutent des entretiens de R.W. Fassbinder et d’autres
références à son cinéma et son théâtre. Les acteurs citent, jouent, réécrivent des passages de pièces et
de films, dont L’Année des 13 lunes4, ainsi que Gouttes d’eau sur pierres brûlantes5 et Les Larmes amères
de Petra von Kant6, deux pièces du dramaturge allemand qui ont fait l’objet d’adaptations au
cinéma7.
La pièce devient ainsi un objet pluridisciplinaire où théâtre et cinéma se croisent, se citent,
s’alimentent. Le point de vue de l’acteur devient essentiel : est-il sur une scène de théâtre ou sur
un plateau de tournage ? Quelle différence pour l’acteur ? S’agit-il du même métier ?
Il ne s’agit plus seulement d’un parallèle entre l’Allemagne de 1977 et la France
d’aujourd’hui, mais également d’un parallèle entre les deux artistes dans leur rapport à la sphère
intime.
3
FalkRichter,JesuisFassbinder,p.24.
4
L’Annéedes13lunes(IneinemJahrmit13Monden)deR.W.Fassbinder,Allemagne,1978,124’.
R.W.Fassbinder,Gouttesd’eausurpierresbrûlantes(TropfenaufheißeSteine),1965,L’Arche,2016pourlatraduction
française.
6
R.W. Fassbinder, Les Larmes amères de Petra von Kant (Die bitteren Tränen der Petra von Kant), L’Arche, 1977,
nouvelleédition2012.
7
LesLarmesamèresdePetravonKantdeR.W.Fassbinder,Allemagne,1972,124’.Gouttesd’eausurpierresbrûlantes
deFrançoisOzon,France,2000,90’.
5
Dans la scène “Elvira”, Falk Richter réécrit un passage de L’Année des 13 lunes où l’héroïne
Elvira subit les humiliations de son amant Christoph. La peur et la violence ressenties et vécues
dans la rue ont glissé jusqu’au sein du couple. L’écriture de Falk Richter navigue constamment
entre politique et privé. Il n’y a pas de frontière. La terreur n’est plus seulement l’œuvre de ceux
qui détruisent nos sociétés occidentales, le violeur n’est plus seulement l’inconnu croisé le 1 janvier
à Cologne :
er
LAURENT/ELVIRA. J’ai peur.
JUDITH/CHRISTOPH. Tu as peur de quoi ? Peur de quoi ?
LAURENT. De toi ! Aujourd’hui tu es…
JUDITH. Tu sais de quoi tu as peur ? C’est de ta gueule détruite que tu as peur. Regarde-toi dans le
miroir. Allez !
LAURENT. Aïe ! Christoph, s’il te plait… !
JUDITH. Ouvre les yeux !
LAURENT. Christoph, s’il te plait !
JUDITH. Regarde-toi maintenant, Elvira ! Regarde-toi, ou je te casse les dents. Regarde-toi.
Alors ? Tu vois pourquoi je ne rentre plus à la maison ? Tu vois ?
8
LAURENT. Je vois que je t’aime.
Ce que Falk Richter questionne avec Je suis Fassbinder, au-delà de la radicalisation de nos
sociétés, c’est notre rapport à la sécurité. La sécurité que doivent représenter les forces de l’ordre
pour nous protéger et celle que représenterait le couple pour les mêmes raisons. La figure de l’être
aimé serait alors réduite à celle du CRS ? Et le couple est-il une sécurité fiable ? N’est-ce pas lui qui
nous déresponsabilise ?
L’écriture de Falk Richter joue sur les états passionnés, enflammés, trop spontanés pour être
raisonnables. C’est une parole brute, maladroite, idiote : c’est l’expression dangereuse de la pensée
qui n’a pas eu le temps de mûrir, de disserter… La pensée réduite à un tweet, où n’importe quel
propos de bas étage – aussi violent soit-il – est élevé à l’état d’aphorisme.
STAN. […] C’EST DANS LES RELATIONS QUE LE FASCISME RÉSIDE ENCORE/DANS LES
RELATIONS AMOUREUSES QUE RÉSIDE CE SYSTÈME D’EXPLOITATION
CAPITALISTE ET IL FAUT QUE ÇA SORTE QUE ÇA SORTE DE NOS RELATIONS/IL
FAUT QUE LA PEUR SORTE/c’est pourtant ça notre travail et pas une pièce de merde
quelconque PUTAIN
9
UN ATELIER DRAMATURGIE
Les ateliers théâtre sont parfois réduits à des exercices d’efficacité où les objectifs ne tiennent
pas compte du nombre d’heures. Et ce qui est le plus souvent sacrifié dans cette efficacité, c’est le
travail de dramaturgie, de documentation à partir de l’œuvre afin de mettre une connaissance au
service du plateau.
L’intérêt de travailler sur un texte jouant sur les références est précisément l’aspect
incontournable de l’épreuve de la dramaturgie. Il est impossible d’en faire l’économie.
Cet atelier de pratique sera organisé sous forme de travail à la table. Au centre du plateau,
en pleine lumière : une grande table carrée avec des chaises tout autour. Au fond, un écran blanc en
guise de support vidéo.
La table sera tout à la fois le bureau, la cuisine de la mère de Fassbinder, le plateau de
tournage (ce que l’on choisit de montrer) avec l’équipe technique autour (ce qui est nécessaire à la
réalisation du film mais qu’il faut cacher).
8
9
FalkRichter,JesuisFassbinder,p.37.
Ibid.,p.63
L’atelier se déroulera sur 40 heures réparties en 5 sessions de 8 heures. Chaque session aura
lieu une fois par mois (à l’exception des deux dernières). Entre chaque session, les étudiants répartis
en 4 groupes de 3 à 5 personnes devront préparer plusieurs travaux : des exposés ludiques (travaux
de recherche, de documentation et d’analyse filmique à transmettre aux autres groupes sous forme
théâtralisée, pouvant être restituée devant un public comme une scène de théâtre), préparation
d’une scène extraite de la pièce de Falk Richter, préparation d’extraits d’ouvrages de Fassbinder
(pièces et films).
Les travaux seront présentés au reste du groupe le vendredi soir et retravaillés le samedi.
La dernière heure de chaque session sera ouverte au public, afin de renforcer le principe de va-etvient entre recherche et restitution, entre répétition et représentation.
La dernière session sera l’occasion de réunir toute la matière fournie précédemment afin
d’en tirer un objet de restitution publique.
Les objectifs de l’atelier seront les suivants :
- Sensibiliser les étudiants au travail de dramaturgie. La pratique du théâtre ne peut faire
l’économie d’une réflexion sur le texte et ses enjeux : pourquoi une telle parole, que dit-elle, à qui
elle s’adresse, où mène le texte…
- Interroger le travail de l’acteur en naviguant entre jeu sur scène et jeu face à la caméra :
qu’est-ce qui change ? Qu’est-ce qui est convoqué ?
− Penser le théâtre dans sa relation et son regard sur le monde contemporain. Être artiste,
c’est regarder le monde et le réinterroger sans cesse.
PROGRAMME PRÉVISIONNEL DE L’ATELIER
(les dates et contenus des travaux sont à titre indicatif et pourront être modifiés)
SESSION 1 :
Vendredi 07/10/2016 (19h-22h) : Présentation du projet – Exercices de prise de contact et
mise en confiance – Lecture arrêtée du texte.
Samedi 08/10/2016 (14h-19h) : Lecture arrêtée du texte (suite) – Commentaires / réactions –
définition des axes de travail – répartition des groupes et des travaux à préparer.
SESSION 2 :
Vendredi 04/11/2016 (19h-22h) : Groupe A : Exposé ludique : L’Allemagne de 1977 et la
Bande à Baader / Groupe B : Analyse ludique du film de RWF L’Allemagne en automne / Groupe C :
présentation d’un extrait de la scène “Allemagne en automne (2016) 1 partie”, p.11 à 16 / Groupe
D : présentation d’un extrait de la scène “Allemagne en automne (2016) 4 partie”, p.53-60.
Samedi 05/11/2016 (14h-19h) : Visionnage du film de RWF L’Allemagne en automne – Mise en
scène de “Je suis l’Europe ” p.20 à 28 – Reprise et mise en commun des travaux de la veille dans une
version scénique – 18h : ouverture du travail en cours au public.
re
e
SESSION 3 :
Vendredi 02/12/2016 (19h-22h) : Groupe A : Analyse ludique d’un extrait du film de RWF
L’Année des 13 lunes / Groupe B : présentation de la scène “Elvira” p.37-38 / Groupe C :
présentation de la scène “Gouttes d’eau sur pierres brûlantes” p.30-32 / Groupe D : présentation
d’un extrait de la pièce de RWF Gouttes d’eau sur pierres brûlantes.
Samedi 03/12/2016 (14-19h) : Mise en scène de “Amour et violence” p.38-40, “Fausse
sécurité” p.43-46, “Etranger” p.49-51 – Reprise et mise en commun des travaux de la veille dans une
version scénique – Reprise du travail effectué à la session précédente – 18h : ouverture du travail en
cours au public.
SESSION 4 :
Vendredi 20/01/2017 (19h-22h) : Groupe A : présentation de la scène “Petra von Kant –
Re-enactment 1” p.40-41 / Groupe B : présentation d’un extrait de la pièce de RWF Les Larmes
amères de Petra Von Kant / Groupe C : analyse ludique du film de RWF Les Larmes amères de Petra
Von Kant / Groupe D : Présentation de la scène “J’ai peur” p.51-53.
Samedi 21/01/2017 (14h-19h) : Mise en scène de “L’Europe en état d’urgence” p.68-75 –
Reprise et mise en commun des travaux de la veille dans une version scénique – Reprise du travail
effectué aux sessions précédentes – 18h : ouverture du travail en cours au public.
SESSION 5 :
Vendredi 27/01/2017 (19h-22h) et samedi 28/01/2017 (14h-19h) : Reprise du travail effectué
aux sessions précédentes en vue de la restitution publique du 28/01 au soir.
Samedi 28/01/2017 à 20h30 : Restitution publique.
REPRISE – programmation annonces LAC (période du 13 au 24/03, à définir selon calendrier) Salle
Georges Guillot