Anorexie mentale et boulimie chez l`adolescente

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Anorexie mentale et boulimie chez l`adolescente
DOSSIER THÉMATIQUE
Gynécologie-obstétrique
et psy
Anorexie mentale et boulimie
chez l’adolescente
Eating disorders in adolescence
M. Corcos*, V. Cayol**, L. Alvarez***, I. Nicolas***, C. Lamas***
A
* Institut mutualiste Montsouris,
département de psychiatrie
adolescent jeune adulte, Paris.
** Gynécologue obstétricienne, Paris.
*** Assistant, institut mutualiste
Montsouris, Paris.
norexie et boulimie se déclenchent électivement à la puberté : le plus fréquemment
entre les âges de 13 et 14 ans ou de 16 et
17 ans pour l’anorexie, et plus tardivement, entre
les âges de 18 et 20 ans pour la boulimie (1). Ces
troubles seraient en augmentation de fréquence
dans les pays économiquement développés depuis
une vingtaine d’années, touchant de 1 à 3 % de
la population féminine ; environ 1 % des adolescentes sont concernées par l’anorexie et 3 à 12 %,
par la boulimie selon les critères retenus. Ainsi,
en Île-de-France, pour une population d’environ
12 millions d’habitants, on estime à 180 000 cas
le nombre d’anorexies mentales (AM) féminines,
contre 19 000 cas d’AM masculines. Mais si l’on
considère les formes subsyndromiques, c’est-àdire pauci­symptômatiques, les chiffres s’élèvent à
600 000 cas. La prédominance féminine est nette :
9 cas sur 10 pour l’AM, 7 sur 10 pour la boulimie. Les
formes boulimiques et mixtes sont en expansion.
La triade classique anorexie-amaigrissementaménorrhée reste d’actualité. La conduite anorexique
annonce le plus souvent le début des troubles : loin
d’une perte passive de l’appétit, il s’agit en fait d’une
conduite active de restriction alimentaire et de lutte
contre la faim, en accord avec la peur de grossir et
le désir de maigrir qui apparaissent, eux, comme les
signes les plus spécifiques, persistant malgré une
perte de poids déjà significative et reflétant ainsi
un trouble particulier de l’image du corps. Rarement
reconnue d’emblée, la restriction est constante à un
degré variable, comme en témoignent les conduites
de surveillance et de méfiance du sujet anorexique
à l’égard de la nourriture, ainsi que ses nombreux
rites alimentaires (décrits par l’entourage qu’ils
contribuent à tyranniser : refus de participer au
repas familial, saut systématique d’un repas, tri des
aliments, refus de prendre une autre nourriture que
celle que les malades ont elles-mêmes cuisinée). S’en
10 | La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 rapprochent la préoccupation concernant le fonctionnement intestinal, la prise abusive et souvent
importante de laxatifs ainsi que les vomissements
provoqués postprandiaux qui, avec l’hyperactivité,
représentent autant de moyens de contrôle du poids.
L’amaigrissement est provoqué, dû à la restriction
alimentaire : il dépasse rapidement 10 % du poids
normal et peut atteindre 30 à 50 % du poids initial.
La crainte permanente de grossir, le déni de leur maigreur, reflètent chez ces adolescentes l’importance
du trouble de la perception de l’image de leur corps ;
cette absence caractéristique de souci pour leur état
de santé va jusqu’à un sentiment de bien-être et
de force, croissant avec l’amaigrissement. Chiffre
impressionnant, le déni des troubles plus ou moins
partagé par l’entourage et le refus de soins font que
plus de 50 % des patientes souffrant de troubles des
comportements alimentaires (TCA) ne consulteront
jamais directement pour cette raison. L’aménorrhée,
parfois première en date (1/3 des cas), suit généralement de quelques mois la restriction alimentaire :
aménorrhée secondaire le plus souvent, mais qui
peut être primaire chez les jeunes filles chez lesquelles les troubles commencent avant l’apparition
de la puberté. L’absence de fatigue et l’hyperactivité
motrice s’associent souvent à la diminution de la
durée de sommeil et à des mesures d’ascétisme.
Mensonges et manipulations de l’entourage se surajoutent, en nombre et en combinaison variables ;
la cleptomanie est fréquente, notamment le vol
d’aliments. On constate aussi une absence notable
de désir sexuel, un rétrécissement progressif des
contacts sociaux, aboutissant à un agrippement de
plus en plus marqué aux parents, en particulier à
la mère. L’hyperinvestissement scolaire est habituel, le sujet anorexique montre, dans ce domaine
comme dans d’autres, un grand perfectionnisme
ainsi qu’une quête anxieuse et toujours insatisfaite
de performances irréprochables.
Résumé
Mots-clés
Le présent article propose une lecture synthétique des troubles des conduites alimentaires (TCA) à l’adolescence, abordant les aspects épidémiologiques, psychopathologiques et thérapeutiques, ainsi que les
comorbidités, les facteurs pronostiques et les évolutions possibles à l’âge adulte. Une attention particulière
est ainsi portée à l’hypofertilité et aux comorbidités psychiatriques, obstétricales et pédiatriques décrites
lors des grossesses liées aux TCA chez les femmes en âge de procréer. Enfin, ce survol de la littérature
permet d’affirmer que les TCA constituent un véritable enjeu de santé publique malheureusement mal
connu des cliniciens et des personnes qui en souffrent.
Troubles
des conduites
alimentaires
Adolescence
Comorbidités
Évolution
Fertilité
Grossesse
La forme clinique la plus caractéristique de la boulimie est la forme compulsive normopondérale
évoluant par crises avec vomissements, ce qui
correspond à une consommation exagérée d’aliments ingérés de façon impulsive et irrésistible avec
un sentiment de perte totale de contrôle. L’accès
boulimique se déroule suivant un scénario assez
stéréotypé ; son déclenchement brutal, son caractère impérieux, son déroulement d’un seul tenant
jusqu’au malaise physique ou au vomissement lui
confèrent un caractère de crise. Celle-ci consiste
en l’ingurgitation massive, quasi frénétique, d’une
grande quantité de nourriture ; rapide, sans aucune
discontinuité, elle s’accomplit en général en cachette
d’une façon totalement indépendante des repas. Elle
survient souvent en fin de journée et répond fréquemment à un sentiment de solitude. Les aliments
sont choisis en raison de leur richesse calorique et
surtout de leur caractère bourratif ; la quantité prime
toujours sur la qualité, le besoin de se remplir sur la
recherche du goût. L’accès est le plus souvent suivi
de vomissements toujours provoqués, mais qui, avec
le temps, deviennent presque automatiques. La fin
de l’accès peut être suivi d’un état de torpeur à la
limite d’un vécu de dépersonnalisation, s’accompagnant de douleurs physiques violentes, surtout
abdominales ; cet état entraîne le plus souvent un
sentiment de malaise, de honte, de dégoût de soi,
des remords et d’autoreproches. La peur de grossir
donne lieu à différentes stratégies de contrôle du
poids. Le vomissement provoqué, s’il est le plus
habituel, n’est pas le seul moyen utilisé. L’usage
de différents médicaments (laxatifs, diurétiques,
anorexigènes) peut donner lieu à des abus considérables et à des complications somatiques graves.
La comorbidité abus (voire dépendance) de drogue
et d’alcool et, à un moindre degré, de tranquillisants et d’amphétamines avec la boulimie n’est pas
négligeable. La consommation de psychotropes est
moindre chez la patiente anorexique. L’hyperactivité,
la pratique intensive du sport peuvent également
être utilisées comme un équivalent d’addiction.
Comme dans l’AM, l’image du corps fait l’objet de
préoccupations exagérées, souvent obsédantes. Mais
il n’y a pas de distorsion massive de la perception
de la réalité du corps. Le poids est le plus souvent
normal, un peu au-dessous des normes, critère exigé
pour définir une boulimie au sens strict. Cependant,
des conduites boulimiques se retrouvent chez des
personnes obèses ou chez des patients ayant une
surcharge pondérale modérée.
Comme dans l’AM, des modifications biologiques
et endocrinologiques fonctionnelles et réversibles
peuvent être observées : l’axe gonadotrope est moins
atteint, les anovulations et les aménorrhées secondaires sont moins fréquentes (2) ; en revanche, le
risque d’hypokaliémie existe, du fait des vomissements provoqués, avec ses conséquences cardiaques
éventuelles.
Approche psychopathologique
L’approche psychopathologique considère que la
survenue des TCA à l’adolescence témoigne du rôle
fondamental dans son déclenchement des transformations pubertaires, tant physiques que psychiques.
Plus qu’une structure psychopathologique avérée,
il convient plutôt d’évoquer une absence d’organisation psychique stable, ainsi que les difficultés à
mettre en place des modalités défensives efficaces
avec sa mère : certains auteurs postulent que les adolescentes souffrant de TCA auraient investi leur mère
depuis la petite enfance de façon excessivement
intense, avec corrélativement une crainte majeure
de perdre cet objet auquel elle est consubstantiellement liée. La conduite boulimique est considérée
par de nombreux auteurs comme une tentative de
résolution dans un acte des conflits centraux de l’AM.
La patiente boulimique est en perpétuelle quête d’un
objet à consommer ou sur lequel s’appuyer, avec,
pour corollaire, une excitation interne permanente
que la rencontre avec l’objet aggrave plus qu’elle ne
la calme, l’obligeant à le fuir dès qu’elle le trouve, ce
rejet pouvant aller jusqu’à rappeler le retrait autistique. La patiente anorexique tente de se délivrer de
cette quête par le surinvestissement de son refus,
mais le désir pour l’objet fait retour dans sa conviction d’être toujours trop grosse. Cela correspond à
une régression sévère, qui, à la fois, traduit, tente
de résoudre, mais en définitive aggrave l’insécurité
intérieure d’une jeune femme trop dépendante des
autres, et en particulier de la figure maternelle, pour
ce qui concerne ses besoins vitaux et affectifs.
Summary
This article proposes a synthetic
approach of Eating Disorders
(ED) during adolescence,
focusing on epidemiologic,
psychopathological and
therapeutic aspects, as well
as comorbidities, prognostic
factors and possible evolutions in adulthood. Also, a
particular attention is given to
hypofertility and to psychiatric,
obstetrical and pediatric comorbidities associated with ED in
conceiving women. At last, this
view of the scientific literature
allows to state that ED are a
public health stake, unfortunately unknown of clinicians
and of affected persons.
Keywords
Eating disorders
Adolescence
Comorbidities
Evolution
Fertility
Pregnancy
La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 | 11
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Anorexie mentale et boulimie chez l’adolescente
Le corps, parce qu’il a été soumis passivement à la
sexualisation pubertaire, parce qu’il est le lieu où
ont été ressenties des émotions nouvelles, parce
qu’il est le support de l’attention de la jeune fille
mais aussi de l’entourage élargi, et enfin parce qu’il
représente symboliquement l’union des 2 parents,
sera choisi préférentiellement pour figurer la
problématique.
Le recours à un comportement montre que la
patiente tente de maîtriser ainsi, activement, tout
ce qu’elle pressent en elle d’émotions et de désirs,
qui pourraient la déborder et où elle risquerait de
se perdre (3, 4).
Aux transformations pubertaires, qui la font devenir
sujet et objet de désirs érotiques, la jeune fille répond
en s’efforçant d’effacer, de gommer toute trace de
caractère sexuel. Manière de renoncer à s’identifier et surtout à concurrencer la mère, prendre
sa place étant inconsciemment vécu comme une
agression, voire une destruction ; manière aussi de
ne pas risquer de séduire le père, tout en écartant
le danger de le trahir en s’offrant à un étranger, et
en l’attirant à soi (sans le reconnaître) par le biais
du symptôme qui, tôt ou tard, le fera réagir... Cette
démarche ressemble parfois à une sorte de haine
pour ce corps sexué, vécu comme persécuteur parce
que source de conflits impossibles à résoudre, et
d’émotions nouvelles et incoercibles.
Aux plaisirs relationnels et aux émotions se substituent peu à peu une activité férocement et exclusivement cérébrale, une intellectualisation forcenée,
source de brillants résultats scolaires tant que cet
équilibre peut être maintenu. En fait, ce sont les
apprentissages répétitifs et imitatifs qui se trouvent
privilégiés, l’imagination, l’initiative personnelle, les
goûts authentiques étant généralement réprimés
de façon drastique (dangereux, car pouvant révéler
des désirs supposés inavouables). Cela se révélera
souvent plus tard, quand il sera fait appel aux véritables motivations : le désarroi apparaît alors dans
toute son évidence, la jeune fille s’étant toujours
efforcée de “bien” faire, de correspondre à ce qui
lui était demandé, en reléguant au second plan la
question de ses propres désirs...
Elle n’est plus que de 30 à 50 % si l’on fait intervenir des critères de personnalité tenant compte
de l’existence d’autres symptômes psychiatriques
et de la qualité de l’insertion sociale et affective (5).
La mort concerne environ 7 à 10 % (jusqu’à 15 %)
des cas, après l’âge de 20 ans (0,5 % de décès par
année d’évolution), ce qui en fait l’une des premières
causes de mortalité chez les filles âgées de 15 à
25 ans. La mortalité est ainsi 12 fois plus élevée
que la moyenne de la population du même âge. Les
causes de décès sont les troubles métaboliques le
plus souvent dus aux vomissements, le suicide (plus
tardivement), et les complications de la dénutrition
(plus précocement). Le risque suicidaire n’est pas
négligeable, surtout pour les formes qui évoluent
vers la boulimie.
Les rechutes sont fréquentes et semblent concerner
au moins 50 % des cas. Néanmoins, elles ne sont
pas en elles-mêmes un facteur de mauvais pronostic,
en revanche, le déni de l’anorexie l’est davantage,
notamment au-delà de 4 ans.
L’anorexie chronique est particulièrement sévère,
non seulement par son pronostic vital, mais aussi
en raison de ce qu’elle représente de restriction et
d’appauvrissement de la vie affective, relationnelle
et même professionnelle, la conduite anorexique
s’étendant progressivement, mais inéluctablement,
à l’ensemble des investissements (6). Les conséquences de la persistance de l’aménorrhée ne sont
pas négligeables. Une aménorrhée prolongée (supérieure à 6 mois) est associée, selon de nombreux
auteurs, à un risque d’ostéopénie non complètement réversible malgré la reprise pondérale, avec,
pour conséquence, une perte de densité osseuse et
un risque plus élevé de fractures pathologiques (7).
Concernant l’évolution des patientes boulimiques,
les études récentes montreraient que l’évolution
des formes mixtes ou des anorexies évoluant vers
la boulimie est le plus souvent chaotique, comprenant de nombreux épisodes de crises alimentaires
qui ponctuent des périodes variables de rémission.
La chronicisation paraît très importante, de même
que le risque ostéoporotique (8, 9).
Évolution
Troubles des conduites
alimentaires et fertilité
Les études longitudinales sur le devenir de l’anorexie
mentale en font ressortir la gravité potentielle. La
guérison concerne 60 à 80 % des cas si l’on prend en
compte les seuls paramètres symptomatiques de la
conduite : anorexie, amaigrissement, aménorrhée.
La prescription d’estroprogestatifs chez les patientes
anorexiques peut parfois être indiquée :
➤➤ attitude préventive vis-à-vis de l’ostéoporose
(pas de preuve actuellement de l’efficacité des estrogènes dans la réduction de la perte calcique [7] ;
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consensus sur un début de traitement éventuel après
au moins 1 an d’aménorrhée) ;
➤➤ souhait de maintenir une certaine trophicité
vaginale ;
➤➤ contraception (l’aménorrhée n’est pas synonyme
d’anovulation) ;
➤➤ visée psychologique (très discutable).
Le retour naturel des règles dans le cadre d’un travail
psychothérapeutique adapté se doit d’être privilégié,
mais il n’est pas toujours possible, laissant des effets
délétères somatiques évoluer à bas-bruit.
Les conséquences de l’AM sur la fertilité ont été étudiées par plusieurs auteurs (10-13). La restriction
alimentaire chronique et sa consécutive réduction
de la masse graisseuse corporelle produiraient une
diminution des niveaux de leptine en dessous d’un
certain seuil, situation qui pourrait entraîner une
cascade d’événements impliquant plusieurs médiateurs (ghréline, insuline, peptide YY, CRF, cortisol,
axe dopaminergique, opioïdes), et se solderait par
une inhibition de la sécrétion pulsatile de GnRH,
puis par un effondrement de la sécrétion de LH, de
FSH et d’estradiol (6, 9). L’anovulation, l’aménorrhée
et l’hypofertilité ainsi que l’inhibition du développement endométrial et de la croissance osseuse en
seraient les principales conséquences.
Bien évidemment, la dimension psychogène dans les
infertilités chez ces patientes est essentielle à considérer : la régression des désirs sexuels, l’ambivalence
autour de la maternité en fonction des problématiques intrafamiliales (problématique œdipienne,
évitement de la rivalité avec la mère, etc.).
Point important : bon nombre de patientes souffrant
ou ayant souffert de TCA consultent dans les centres
de procréation médicalement assistée (PMA) pour
infertilité psychogène et court-circuitent ainsi l’élaboration de ces différentes problématiques, ce qui
n’est pas sans conséquence sur le devenir de la mère
et de l’enfant. Nous préconisons la systématisation d’une consultation socialisée chez ces patientes
avant le recours opératoire à la PMA.
Une des études les plus complètes (12) [50 grossesses, 86 enfants, relevés chez 140 patientes anorexiques suivies en moyenne pendant 12,5 ans après
le premier contact] montre que le taux de fertilité
est environ le tiers de celui attendu. Les grossesses
non désirées ne sont pas plus fréquentes que dans
la population normale. Les périodes de grossesse et
de post-partum n’ont pas montré de décompensations nutritionnelles ou psychopathologiques chez
les mères. Le taux d’allaitement maternel est comparable à celui évalué dans la population générale et
l’allaitement s’est généralement bien passé. Les
patientes fertiles sont considérées comme mieux
stabilisées psychologiquement que celles n’ayant
pas eu d’enfant.
La grossesse est une période de remaniement des
TCA qui offre 2 voies de réorganisation des troubles,
soit dans le sens d’un assouplissement des conduites,
soit au contraire dans celui d’une majoration, voire
d’une réapparition des conduites défensives. C’est
donc une période de vulnérabilité pour les femmes
présentant ou ayant présenté des TCA, mais également l’opportunité d’une renégociation de la problématique sous-jacente (13, 14).
Les résultats des nombreuses études sur le sujet
confortent l’idée de l’intérêt d’une collaboration
entre psychiatres, obstétriciens et pédiatres pour
la prise en charge de ces femmes, dans la mesure
où cette population semble être particulièrement
vulnérable : persistance de préoccupations marquées autour de l’image du corps dans une période
où ce schéma corporel est fortement bouleversé ;
risque majeur de décompensation dépressive et de
rechutes des TCA dans la période du post-partum.
Les dépressions du post-partum chez ces patientes
apparaissent dans 33 % des cas (versus 10 à 15 %
dans la population générale). En cas de dépression
du post-partum maternelle, on sait que près de 1/4
des enfants présenteront des troubles du développement (15, 16), ce qui montre l’importance d’une
prévention en maternité.
Conclusion
L’évolution de chaque cas reste singulière et dépend
essentiellement du registre psychopathologique
sous-tendant la conduite.
Il est important, chez des patientes souffrant de TCA
et stabilisées du point de vue de leur comportement,
de faire un bilan des fonctions gonadotrope, thyroïdienne et hypothalamo-hypophyso-surrénalienne,
afin de prévenir des complications somatiques
dont la survenue dépend à la fois de la gravité, de
l’atteinte du corps, de la durée de la maladie et de
facteurs psychologiques. Ces derniers sont à l’origine
de la mauvaise perception des dangers encourus à
moyen et à long terme ; celle-ci n’est pas uniquement le fruit d’une dénégation ou d’un déni, elle
participe aussi insidieusement à un processus inconscient de substitution d’une invalidité physique à une
invalidité psychique (qui peut avoir un effet économique autocalmant) et à un processus pervers et
masochique, exprimant une agressivité directement
adressée aux parents par l’intermédiaire du corps.
La Lettre du Gynécologue • n° 378-379 - janvier-février 2013 | 13
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Les questions de plus en plus d’actualité (prévention
de l’ostéoporose par la prescription d’estroprogestatifs, traitement de l’infertilité) ne sont pas réductibles à une prescription efficace, mais mécanique.
En cas de prescription, il importe de bien différencier les cas et de promouvoir un travail d’explication
claire de l’attitude thérapeutique symptomatique
auprès de la patiente. Cette prescription éventuelle
se fera toujours à distance de l’épisode aigu.
Les mauvaises adhésion et compliance au traitement, comme l’acceptation sans élaboration d’une
problématique interne, constituent des facteurs de
risque non négligeables de décompensation psychologique.
n
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