Il existe un Dieu pour les pauvres

Transcription

Il existe un Dieu pour les pauvres
Il existe un Dieu pour les pauvres
Auteur
Joël Cora D. YALLOU
Cartographe, informaticien
Laboratoire d’Analyse
Régionale et d’expertise Sociale (LARES)
Premier prix du concours story telling
sur le thème : Egalité Hommes – Femmes
Avril 2007
Au cours d’une enquête de terrain sur le schéma directeur d’Aménagement du
Territoire, en octobre 2002, je me rendis dans la Commune de Pèrèrè.
Je venais d’un petit village appelé Ourarou, situé à trois kilomètres de Pèrèrè, avec
pour unique guimbarde … une vieille moto de vingt-cinq ans, appartenant à mon
oncle ; elle me facilitait sérieusement les déplacements. La « mate 50 » était tombée
en panne au cours du trajet Ourarou-Pèrèrè. Je traînais donc la moto, tandis
qu’Affoussath et sa mère me regardaient.
J’étais couvert de poussière ; elles me souhaitèrent le bonjour en revenant du champ
avec des bassines d’ignames sur la tête. La femme, une quinquagénaire, était vêtue
d’une vieille robe noire et la fatigue se lisait sur son visage. De culture Baatonu et
d’obédience islamique, elle était coiffée d’un voile usé noué serré sous le menton. A
sa gauche, Affoussath, une jeune fille d’une vingtaine d’années, portait un T-shirt
mauve et un pantalon bouffant de toile bleue ; elle gardait la tête légèrement inclinée
sur l’épaule, le regard levé vers sa mère ; Affoussath ne ressemblait en rien à une
paysanne.
J’allais dans la même direction, et j’ai donc emboîté le pas d’Affoussath et de sa
mère. Mon instinct, ma curiosité d’enquêteur de terrain me poussait à les aborder.
« S’il vous plaît maman, comment se fait-il que votre fille va au champ au lieu
d’aller à l’école en ce mois d’octobre ». La femme devint toute pâle comme si
ma question l’avait remuée.
« Mon fils », me dit-elle, « tu viens de me poser une question pertinente !
Affoussath que tu vois m’accompagner au champ est ma troisième fille. Je
suis veuve avec sept enfants, dont quatre garçons ; de tous mes enfants,
Affoussath est la seule qui ait fréquenté l’école jusqu’au baccalauréat ; elle a
obtenu son BEPC au CEG de Pèrèrè ; ensuite, elle a souhaité continuer ses
études. J’ai un cousin à Parakou nommé Salami ; c’est un cadre de la
SOBEBRA ; elle est restée auprès de lui de la seconde à la terminale, trois
ans. Elle a passé le bac avec mention bien. J’étais si contente de sa réussite !
Hélas, ma joie a été teintée d’amertume ; Salami a été victime d’un accident ;
il est mort sur le coup.
Je n’avais ni or, ni argent pour payer la suite des études de ma fille. J’avais
alors envoyé Affoussath auprès d’un autre cousin, Adamou, un jeune soudeur
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célibataire à Parakou, pour qu’il l’aide à poursuivre ses études ; elle voulait
s’inscrire en première année de géographie. Adamou a commencé à harceler
sexuellement sa nièce ; comme il n’a pas pu obtenir ce qu’il voulait, il l’a
renvoyée, sans l’avoir inscrite ; ma fille a dû faire du stop pour revenir à
Pèrèrè ; j’étais bouleversée, découragée et abattue. J’ai prié le bon Dieu de
m’aider à trouver une issue honorable au problème de ma fille ; pour le
moment, elle m’accompagne au champ ».
Le retour d’Affoussath à Pèrèrè est néfaste pour son évolution puisque la coutume
considère la fille comme la femme en devenir dont le rôle sera d’assurer tous les
travaux ménagers et champêtres. J’ai compris une fois de plus pourquoi l’on dit que
« l’argent est un mauvais maître, mais un bon serviteur ; qu’il n’a pas d’odeur ; qu’il
est le nerf de la guerre » ; je vois le visage d’Affoussath plein d’amertume ; elle est
au bord des larmes. C’est triste, c’est regrettable !
Que faire pour soulager cette femme et sa fille qui sont si malheureuses ?
« Connaissez-vous le programme RECADEL ? » lui dis-je.
« Non », me répondit-elle,
en ajoutant « pouvez-vous me dire de quoi il
s’agit et en quoi ce programme peut nous aider ? »
Je leur ai donc donné un bref descriptif du RECADEL, programme mis en œuvre par
le Laboratoire d’Analyse Régionale et d’Expertise Sociale (LARES) pour promouvoir
l’éducation des filles. Il est financé par la Direction du Développement et de la
Coopération (DDC-Suisse). Ses actions ont permis d’enregistrer des progrès
significatifs en ce qui concerne la scolarisation et la formation universitaire des filles.
Ainsi, il œuvre pour la réduction de la discrimination dans l’accès à l’éducation en
raison des attitudes coutumières, des mariages et grossesses précoces. Depuis sa
mise en œuvre en 2000, 224 filles ont bénéficié de ce programme et plus de 35 ont
soutenu leur mémoire de maîtrise.
Les deux femmes buvaient mes paroles ; une lueur d’espoir émergeait pour
Affoussath et sa mère. Celle-ci me demanda comment faire pour bénéficier de
l’appui de ce programme.
Sur mes indications et avec mon aide, elle a constitué un dossier et l’a déposé à
l’annexe de LARES-Parakou ; elle a ensuite inscrit sa fille à l’Université de Parakou
en première année de géographie. Affoussath a été retenue parmi les filles
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bénéficiaires de la bourse de cette année 2002 ; elle a fait de brillantes études ; elle
a soutenu son mémoire de maîtrise en Aménagement du Territoire en Octobre
2006 ; depuis quatre mois, elle est en stage dans ce programme de la DDC-Suisse,
comme facilitatrice.
Je sais qu’il n’est pas aisé de définir le bonheur et qu’il varie selon les personnes et
selon les époques de la vie. La DDC-Suisse a mis sur pied ses programmes
RECADEL et EQUI-FILLES pour promouvoir l’éducation des filles et réduire la
disparité de scolarisation entre filles et garçons dans les milieux déshérités. Le
programme enregistre des résultats intéressants.
En six ans d’existence, le
RECADEL a mis sur le marché de l’emploi, environ 35 filles diplômées et cadres
féminins aptes à servir pour le développement local et accompagner ainsi la
décentralisation dans notre pays.
La bourse du RECADEL a changé le désespoir en bonheur pour Affoussath. Elle est
désormais cadre, utile d’abord à sa famille, puis à sa communauté et à sa commune
et enfin au pays.
Pourtant, il y a peu de temps, qui aurait pu croire sérieusement à cet heureux destin
d’Affoussath ?
Alléluia
D’où « il existe un Dieu pour les pauvres ».
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