Izis site - Esprits Nomades

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Izis
Le rêveur des rêves captifs
« On me dit souvent que mes photos ne sont pas réalistes. Elles ne sont
peut-être pas réalistes, mais c’est ma réalité ».
Izis aura fait une longue traversée de pays, lui le juif lituanien en
« émigré de profession », aura aussi effectué une traversée du désert,
un purgatoire photographique. Longtemps, au moins jusqu’en l’an 2000,
son œuvre fut considérée comme mineure, voire anecdotique.
On ne pouvait pas être un grand reporter à Paris-Match et un créateur
photographique pour tous les puristes et intégristes de l’art
photographique. Aussi malgré les amitiés de Willy Ronis, de Jacques
Prévert, de Marc Chagall, il s’estompa peu à peu dans les mémoires.
Jacques Prévert l’avait fort justement nommé « le colporteur d’images »,
et c’est bien ainsi que l’on perçoit le doux capteur des instants, le tendre
témoin des émotions fugitives.
On peut percevoir, pour peu que l’on sache entendre les murmures du
temps qui passe, ce côté rémouleur qui aiguise nos imaginations parfois
égarées, il y a un aspect aussi vitrier comme dans les petits métiers de
jadis, qui vient au milieu des rues, avec son appareil photo, réparer les
lézardes des jours fendus.
Poète il l’était, homme tendre aussi, ayant survécu aux persécutions
antisémites, aux tortures des nazis, il saura survivre au temps, mais
toute sa famille elle sera décimée.
Il devait être peintre, il sera photographe pour se créer un monde à lui,
hors du monde féroce. Dans son monde règne la fraternité, les regards
échangés. C’est une oasis, une tanière contre la violence et la bêtise.
On y trouve bien sûr les villes de ses rêves, Paris, Londres, mais aussi
bien des enfants qui vivent leurs enfances, mais aussi des exilés comme
lui, des miséreux, des exclus.
Il se croyait comme d’autres « heureux comme un juif en France »,, ce
ne fut pas si longtemps vrai et sans la Résistance qui le sauvera, il aurait
comme tant d’autres terminé en fumée dans les nuages, là où il y a tant
de place pour les juifs.
Mais il a survécu aux pogroms, au mal, et il semble nous vendre en
cachette dans un parapluie de petit vendeur à la sauvette, ses images
trempées de nostalgie, parfois de tristesse, mais toujours pleines
d’amour pour les autres. Il avait laissé derrière lui le viatique de l’humour
noir et du désespoir inhérent au monde juif d’Europe Centrale. Seule une
certaine gravité émouvante nimbe ses images. Une sorte de brume se
pose comme toiles d’araignée protectrice contre la pluie froide de
l’inhumain.
Izis était, comme son grand ami Chagall lui natif de Biélorussie, et son
complice Prévert, un humaniste ou plutôt un ami des hommes, un rêveur
d’absolu sur terre.
Il ne fait pas vraiment de photos, il fait des bulles de savon en noir et
blanc qui s’envolent et vont éclater de l’autre côté de l’horizon.
Même quand il portraiture les gens célèbres à juste titre ou non, comme,
Bardot, Breton, Léautaud, Tristan Tzara, Orson Welles, Michel Simon et
sa guenon, Cocteau et son nombrilisme, Jean Renoir et tant d’autres, il
le fait avec autant de respect et d’attention que quand il met en image un
ramoneur ou des réfugiés.
L’émigré des rêves J'aurais aimé être clochard, ne pas avoir de responsabilités et passer
mon temps à rêver.
Izis était un homme discret et timide qui n’aura pas voulu porter en
écharpe ses tragédies, ni se faire de force une place dans le panthéon
des photographes de son époque. Il voulait, puisqu’il était un survivant,
simplement prendre le temps de rêver, de respirer une beauté qui passe
entre les choses et les êtres, malgré la misère parfois, malgré la
disparition des lieux tant aimés et détruits par le modernisme.
Mon père Izis était inconsolable, mais gai. (Manuel Bidermanas). En
effet il semblait appliquer inconsciemment un proverbe yiddish qui fut la
devise de bien d’entre nous, issus de ces contrées dont la rosée fut
principalement le sang et la haine : il est parfaitement inutile de céder au
désespoir, car il est totalement incapable de tenir ses promesses.
Et son fils parle de lui ainsi : «Homme angoissé, hanté par son passé,
sans doute désespéré, mais pas amer, capable de voir ce qui est beau,
d'avoir l'humour d'un pitre.»
De tout cela les photos d’Izis n’en parlent qu’en filigrane, et jamais sa
judaïté ne s’exprime, malgré son éducation dans les écoles hébraïques
en Lituanie.
À sa naissance à Marijampolé en Lituanie, le 17 janvier 1911, dans la
Lituanie sous domination russe, il est déclaré sous le nom d'« Izraël
Biderman », transformé en « Israëlis Bidermanas » à la suite de
l'indépendance en 1918. Sa famille était fort pauvre et son père tenait
une échoppe de porcelaine. Déjà pendant ses études juives, il semblait
s’évader vers l’ailleurs et il était surnommé « le rêveur ». Fuyant à 13
ans le métier imposé de menuisier, il se fait l’assistant-photographe des
quelques artisans de son village. DE 1927 à 1930 il apprend sur le tas
toute la cuisine de la photo, tirages, développements, les retouches.
Déjà fasciné par les portraits il va parcourir la Lituanie pour fixer la vie de
ses habitants. Les menaces de guerre, celles des pogroms, et
l’antisémitisme virulent, le font émigrer sans un sou, sans papiers, sans
contacts, sans un seul mot de français, à Paris en 1930, où il arrive en
1931. Il avait 20 ans !
Il sera donc un clandestin, vivant souvent dans la rue, faisant de petits
boulots des laboratoires photographiques., et sans jamais réaliser son
rêve ultime : devenir peintre. La misère il saura donc en parler.
Mais la peste nazie envahit la France et il doit se réfugier à Ambazac
dans le Limousin en 1940. Sous le nom d’Izis il devient retoucheur, bien
sûr clandestin, pour des photographes locaux.
Ses parents assassinés en 1941 parce que l’on appelle maintenant la
Shoah par balles dont tant de Lituaniens furent spectateurs, voire
complices. Son frère David mourra dans le ghetto de Kaunas en 1944.
Sa soif de vivre et de survivre provoque de petits miracles et à partir de
1933, il est responsable d'un studio de photographie traditionnelle dans
le 13e arrondissement, et s’enchaîne les photos de mariage et de
communions, des portraits.
Arrêté et torturé par les nazis en 1944, il ne livrera aucun nom, puis
libéré par la Résistance, il entre dans le maquis (FFI) et photographie
ses compagnons de lutte, les maquisards. Ses amis de lutte Robert
Giraud, René Rougerie, lui rendront hommage et le feront enfin un peu
connaître.
Il retourne à Paris en 1945 et peut rencontrer des gens comme Brassaï
qui va l’aider. En 1946 il obtient la naturalisation française et une
deuxième épouse. Il entre en 1949 à Paris Match pour le premier
numéro du journal. La collaboration va dure 20ans avec des reportages
qui auront sans doute étonné ses patrons, car ce ne sont pas les
événements qu’il photographie, mais les détails de la vie. Ses confrères
se moquent de lui en le surnommant « le spécialiste de l'endroit où il ne
se passe rien ». Qu’importe cette époque le fait vivre et lui permet de
réaliser des portraits soit d’amis intimes comme Prévert et Chagall, soit
de personnalités dont il gagne la confiance : Camus, Calder, Cocteau,
Colette, Piaf, Éluard,...
Son livre « Paris des rêves », de 1950 le rend célèbre.
Puis pour conclure deux événements. Sa rencontre avec Jacques
Prévert en 1951, sa mort à Paris le 16 mai 1980.
Sa vie aura finalement et heureusement plus tournoyé dans les fêtes
foraines, les cirques, les rues et les petites gens qui les habitent. Dans
sa tête trôner la foire du Trône de la vie. Cela nous laisse une bien belle
musique d’orgue de barbarie, ce sont ses photos.
Le merveilleux du quotidien « La caméra d’Izis est une boîte magique » Prévert.
Izis est un photographe-poète, sensible aux vibrations de la vie humble,
des battements du temps, des bulles de savon de chaque instant.
Il lui a fallu bien des années pour pouvoir et savoir s’approcher des gens
avec son appareil photo, sans déranger, sans même être remarqué.
Cette longue patience s’appelle le respect. Il laissait sans faire de bruit
les gens ne le voyaient pas car ils marchaient dans leurs rêves intérieurs,
leur monde intérieur. Lui n’était en sorte qu’un nuage qui passe. Il est là
non par hasard, mais déjà dans le décor, là où il ne se passe rien, si ce
n’est une âme qui s’ouvre. Il ne procède pas par intuition, ni par
construction. Il attend juste un moment qui arrive ou pas, où un rêve
s’envole, fuit.
« À la différence des autres photographes de cette époque,..., Izis était
un poète, un rêveur complètement »(Manuel Bidermanas son fils).
Izis en effet n’est pas le capteur des instants volés, des émotions
immédiates, non lui attend avec la patience du pêcheur le long des
fleuves de la vie que passe une sorte de magie fugitive.
Izis a projeté dans ses photographies les multiples fragments de sa vie,
et comme Marc Chagall, il aura cru faire s’envoler les amoureux et les
vaches dans un monde tout bleu de tendresse. Il n’a pas voulu
retranscrire le tragique vécu et celui entrevu. S’il est parfois grave, il
laisse percer la plupart du temps un sourire tendre. Ses douloureux
souvenirs glissent sur son optimiste croyance en la bonté des hommes
et de la vie. Izis restera un enfant candide et émerveillé suivant des yeux
le ballon rouge de la vie qui s’envole dans le ciel, le vertige des tours de
manège, les amoureux seuls au monde, la femme abandonnée perdant
ses souliers comme cendrillon. Il sait seulement que tout rêve est rempli
des larmes des hommes.
il avait fait de ses photos, pas celles bien sûr commandées par son
journal qui voulait surtout des portraits, un théâtre non pas d’ombres,
mais de douces lumières. Avec son copain Prévert, il célébrait le Grand
Bal du Printemps, le Cirque, les rues de Londres, les quais de la Seine.
En osmose parfaite ils ont chanté ce Paris populaire qu’ils ont tant aimé :
celui des quartiers populaires, des musiques et des saltimbanques de
rue, des fêtes foraines et de la misère de chaque jour, des enfants en
guenilles ou pas, mais en liberté et des « étranges étrangers », dont
parlait Prévert.
Le quotidien des jours avec ses petits bonheurs ravaudés, ses petits
malheurs ravalés, est sans doute la petite grandeur d’une ville, mais
aussi la grandeur immense de l’humanité. Il suffit de les voir sur des
bandes d’époque, Jacques Prévert le mégot aux lèvres, chapeau contre
le gris et les péniches chargées de la méchanceté humaine, et Izis
appareil photo en mains, tournant autour de lui. Ce qui est appelé à
disparaître les émeut, et ils veulent le retenir encore un instant.
Plus de 20 ans d’amitié fervente nouée dès 1950 les mèneront ensemble,
de projet en projet. Izis tirait le portrait des mots de Prévert, et Prévert
lançait la balle des mots que l’appareil photo devait attraper en vol.
L’imagination de chacun fécondait la création de l’autre. Souvent l’image
suscite le texte. Et le Rolleiflex d’Izis est le déclencheur d’une réponse
de Prévert.
Mais la photographie fait aussi le contrepoint du poème et le poème le
grain de la photo. Ce genre de miracle s’appelle l’émotion. Il ne se
conquiert qu’en marchant pas à pas dans le réel et sa brume, sa grisaille,
et derrière sa beauté. Ces deux tendres savaient débusquer rêves et
secrets, ses échappées de bonheur fugace. Tous les deux sont les
grands tourneurs de ritournelle des petits bonheurs, des tristesses qui
affleurent. Comme le dit Prévert, ils étaient tous deux des « émigrants de
l’enfance ».
Rarement une telle fusion entre un poète et un photographe a pu
s’établir (Saint-John Perse et Clergue sans doute). Il fallait la même
vision poétique pour qu’une telle osmose se fasse. Et aussi une même
empathie envers les gens, les objets, la vie tout simplement, celle qui
passe dans les rues au bras des pauvres, des musiciens, des amoureux,
et des enfants.
Ce croisement entre les vies imaginaires et les vies humbles est un
grand moment affectif. Le banal devient comme une vie menacée et
donc à sauver. Et le rayonnement d’Izis, comme de douces vagues,
finira par nous recouvrir tendrement. Ainsi Bernard Plossu avoue tout ce
qu’il y doit.
Les images d’Izis sont tout un univers où niche la poésie. Lui à jamais
« l’émigré de l’enfance »
Ces choses et ces êtres
ont été touchés aussi
Et malgré sa misère
ce petit monde
avec toute sa lumière
s’est fait une beauté pour lui. (Jacques Prévert pour Izis)
Gil Pressnitzer
Bibliographie
En français
IZIS, Paris des rêves, catalogue de l'exposition à l'Hôtel de Ville de Paris,
janvier-mai 2010, Flammarion.
Paris des poètes. Paris, Nathan, 1977.
Izis, Toulouse, Galerie municipale du Château d'eau, 1978.
Le Monde de Chagall, Paris, Gallimard, 1969.
Les Amoureux du temps retrouvé, Treville, 1989
Les Enfants du temps perdu, Treville, 1989.
Le Cirque d'Izis, André Sauret, 1965. Texte de Jacques Prévert ;
illustrations de Marc Chagall.
Grand bal du printemps de Jacques Prévert et Izis Bidermanas, Le
Cherche Midi 2008
Charmes de Londres : Collages inédits de Jacques Prévert, Monza 1999

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