Quand l`adjudicataire d`un immeuble s`empare d`un fonds de

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Quand l`adjudicataire d`un immeuble s`empare d`un fonds de
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Quand l’adjudicataire d’un immeuble s’empare d’un
fonds de commerce (presque) sans bourse délier
le 16 avril 2009
AFFAIRES | Fonds de commerce et commerçants
L’adjudicataire d’un immeuble comportant un fonds de commerce, s’il n’a pas droit à la jouissance
de ce fonds dès la date d’adjudication et n’en acquiert pas la propriété, entre cependant en
jouissance de l’immeuble et peut donc l’exploiter à cette date, en sorte que les sommes perçues
depuis lors par l’ancien propriétaire qui occupait encore les locaux lui étaient dues.
Com. 31 mars 2009, FS-P+B+R, n° 08-14.180
Le propriétaire d’un fonds de commerce d’hôtellerie et de l’immeuble dans lequel est exploité cet
hôtel fait l’objet d’une saisie immobilière. L’adjudicataire de l’ensemble immobilier assigne alors
l’ancien exploitant-propriétaire, débiteur saisi, en paiement des acomptes sur les réservations
effectuées postérieurement à l’adjudication. Il est fait droit à cette demande… ce que contestait, en
l’espèce, l’ancien titulaire du fonds de commerce.
Force est de constater que l’hypothèse selon laquelle l’immeuble et le fonds de commerce
appartiennent à un même propriétaire n’a pas été envisagée par le législateur, de telle sorte qu’en
cas de dissociation des deux éléments, la loi ne fournit aucune solution (R. Hérondelle, Un fonds de
commerce peut-il être exploité sans inconvénient dans un immeuble appartenant au commerçant
ou au conjoint de celui-ci ? Gaz. Pal. 1964. 2. Doctr. 1 ; Savary et Dubuisson, Le fonds et l’immeuble
d’exploitation, JCP N 2009, n° 15-16, p. 31). Pour la doctrine, c’est alors le régime de l’immeuble qui
doit l’emporter sur celui du fonds de commerce ; ainsi, « l’immeuble reste soumis exclusivement à
son statut particulier au détriment, si besoin, de la stabilité du fonds de commerce » (Blaise, Les
rapports entre le fonds de commerce et l’immeuble dans lequel il est exploité, RTD com. 1966.
827).
Dans la lignée de cette opinion, la jurisprudence avait pu estimer que l’adjudicataire d’un immeuble
comportant un fonds, et qui n’a contracté aucune obligation particulière sur l’exploitation de ce
fonds, ne peut voir sa responsabilité mise en œuvre par l’exploitant du seul fait de la privation
imposée de la jouissance des lieux où s’exerce le commerce (Limoges, 26 nov. 1990, D. 1992. Jur.
452, note Prévault ; RDI 1993. 113, obs. Delebecque et Simler ). La solution est justifiée :
l’adjudicataire ne contracte au profit du débiteur saisi aucune obligation, notamment pas celle de
laisser le débiteur exploiter le fonds de commerce dans les locaux dont il est devenu propriétaire ;
la seule possibilité qui s’offre alors à ce dernier est d’obtenir de l’adjudicataire qu’il lui consente un
bail, qu’il n’est, bien entendu, pas obligé d’accorder (V. Jauffret, note ss. Rouen, 31 janv. 1958, RTD
com. 1958. 517)… et qui sera d’autant plus difficile à obtenir que, par hypothèse, le débiteur n’a
plus de garanties à offrir (V. Delebecque et Simler, préc. ).
Cette solution est confortée par l’arrêt du 31 mars 2009. D’abord, s’agissant du sort du fonds de
commerce, lequel est un ensemble de biens mobiliers corporels et incorporels, les hauts magistrats
font jouer l’article 524 du code civil concernant l’immobilisation par destination : l’ensemble des
meubles affectés à l’exploitation commerciale de l’hôtel et placés dans l’immeuble par l’exploitant
lorsqu’il en était propriétaire pour le service du fonds de commerce, constitue des immeubles par
destination (pour l’immobilisation du mobilier et du matériel d’un hôtel, V. Civ. 3e, 29 oct. 1984,
Bull. civ. III, n° 177 ; RTD civ. 1985. 739, obs. Giverdon et Salvage-Gerest). Ensuite, sans retenir que
l’adjudicataire avait droit à la jouissance du fonds de commerce dès la date d’adjudication ni que le
fonds lui avait été cédé – l’immeuble n’étant pas un élément du fonds de commerce (Civ., 21 juill.
1937, DP 1940. 1. 17, note Voirin ; S. 1938. 1. 337, note Lagarde ; Limoges, 26 nov. 1990, préc. ) –
la cour régulatrice estime qu’il était entré en jouissance de l’immeuble et pouvait donc l’exploiter à
cette date, ce qui lui donnait droit, depuis l’adjudication, aux sommes perçues au titre des
réservations hôtelières faites par le débiteur qui occupait encore les locaux.
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Cette position correspond parfaitement à la jurisprudence de la cour d’appel de Limoges. Pour être
conforme à la solution précédente, l’arrêt du 31 mars 2009 ne donne guère satisfaction. La décision
conduit à permettre à l’adjudicataire de faire main basse sur les derniers fruits du travail de
l’exploitant à un moment où, justement, contraint de céder son immeuble, il en aurait le plus
besoin. Seul le législateur pourrait alors remédier à cette situation à laquelle il n’avait à l’origine
pas songé (Sillard, Le commerçant propriétaire de l’immeuble où il exploite son fonds de
commerce, Thèse, Rennes, 1933, p. 108), la jurisprudence aboutissant parfois à des solutions
insatisfaisantes… mais qu’il convient d’avoir bien à l’esprit, comme en témoigne le fait que la
présente décision est destinée à figurer au Rapport annuel de la haute juridiction.
par E. Chevrier
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