Pouvoir, sexe et trahison à l`Hébertot

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Pouvoir, sexe et trahison à l`Hébertot
Pouvoir, sexe et trahison à
l’Hébertot
En mettant à l’affiche « Les Cartes du Pouvoir », le Théâtre
Hébertot surfe sur l’engouement provoqué par la série « House
of Cards ». La pièce est une adaptation de la pièce « Farragut
North » de Beau Willimon. Pour elle, la production met le
paquet : affiches dans Paris depuis le début de l’été et
bande-annonce dans les cinémas de la capitale. Fort
heureusement, toute cette stratégie médiatique sert un
spectacle réussi.
Le public est invité à suivre la stratégie d’un candidat
démocrate à la primaire de son parti depuis son cabinet de
campagne. Un cabinet qui, de prime abord, paraît être un banc
de requins squattant les hautes sphères du pouvoir, rassemblés
pour dévorer le camp adverse : le directeur de campagne,
l’attaché de presse, la stagiaire blogueuse, eux-mêmes
entourés de journalistes prêts à tout avec lesquels la
connivence est évidente. On assiste, au début, à un bal
d’autosatisfaction puant où les ressorts de la victoire sont
évoqués avec cynisme : le but n’est pas de convaincre les
électeurs, mais de faire sombrer le candidat adverse. Pour
cela, tous les moyens sont bons. Mais très vite, on comprend
que l’on suit le mauvais camp, puisque les personnages
principaux ont des idéaux et de la morale, et qu’ils croient
aussi en la force de leurs propositions politiques.
Steven Bellamy : « Les gens n’entendent que le scandale »
Les échanges entre les personnages sont trépidants, jouant du
champ lexical auquel nous, français profanes, sommes désormais
habitués, « sénateur », « sondages dans les états clés »,
« gouverneur » et « whisky » : tous sont égrainés. On est pris
dans le jeu comme dans un épisode de « House of Cards » ou
« Scandal ». Les personnages principaux, bien qu’affichant des
valeurs morales, ne manquent pas de cynisme, envers l’amour,
ou le peuple qu’ils se targuent de vouloir servir. La dualité
de propos rend les situations d’autant plus passionnante et ne
manque pas de nous rappeler ces pièces anglo-saxonnes modernes
qui traitent de problèmes actuels, comme « Race » de David
Mamet.
« Les Cartes du Pouvoir » ne suit pas le rythme linéaire d’une
campagne, se contentant de montrer comment un cabinet gère
quelques crasses de la part de l’équipe adverse. C’est une
vraie pièce, avec ses nombreux coups de théâtre. L’action se
resserre rapidement autour du personnage de l’attaché de
presse, Steven Bellamy (Raphaël Personnaz). Manipulateur
manipulé, dont la chute est orchestrée par le camps opposé, on
assiste finalement à sa descente aux enfers, le tout dans un
laps de temps très bref (trois jours environ), belle
démonstration de la vitesse à laquelle en politique
américaine, les hommes se font et se défont.
Le drame est servi par une équipe d’acteurs justes. Dans le
rôle de Paul Zara, Thierry Frémont est excellent, homme de
conviction, politique idéaliste, il est aussi brut de
décoffrage et très « américain » dans ses postures : parfois,
on s’attend à entendre un accent texan jaillir de sa bouche.
Aussi, Raphaël Personnaz se révèle comme un comédien de
théâtre très convaincant, rongé par ses démons et la peur de
n’être rien s’il est éloigné de l’adrénaline des campagnes.
Notons aussi la très bonne performance de Roxane Duran, alias
Molly, stagiaire espiègle, sensuelle et amatrice d’hommes
murs.
L’action se déroule dans un décor moderne et froid, composé
d’éléments amovibles glissant au gré des espaces comme des
pièces sur un plateau d’échec : allégorie de la situation qui
s’imbrique sous nos yeux. La mise en scène de Ladislas Chollat
est pleine d’idée et utilise bien ce dispositif.
Concrètement, « Les Cartes du Pouvoir » ne parle pas de
politique, mais des jeux qui l’entoure. Bien sur, cela
questionne aussi nos rapport avec nos gouvernants, sur
l’intérêt accru que chacun nourrit plus ou moins pour la forme
au détriment du fond. On s’amuse aussi de voir comment aux
USA, la moindre des « affaires » françaises ferait couler tout
le pan de l’appareil en place, quand dans l’Hexagone elles
passent chacune comme des faits divers.
« Les Cartes du Pouvoir » d’après « Farragut North » de Beau
Willimon , actuellement au Théâtre Hébertot, 78 bis boulevard
des Batignolles (17e arrondissement), du mardi au samedi à
21h. Samedi à 15h30 et dimanche à 18h. Durée : 1h55. Plus
d’informations sur http://theatrehebertot.com/