l __ J - Fragments d`Histoire de la gauche radicale

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l __ J - Fragments d`Histoire de la gauche radicale
ÉCHANGES
N° i 07 -- Hive r 2003 -2004 -
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bulletin du réseau
<< Echanges et mou ve1nent »
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GREVES SAUVAGES
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dans les postes, p. 1H (Les sal ai res
d 'un pcstier, p. 26)
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da ns les se rv ices pub lics, p . i 9 . Des rats e t des grèves, p . 22. Le té moignage
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D ans les pub licat ions , p. 49
COR RES PO NDANCE.
Qu el le h is toire '1 A p ropos des g rou pes P IC et Vo lon té
commun is te (su it e e t fin), p. 53
1
Théorie .
TRAVAILLER PO U R LA PAIE ,
lV : La g uerre da ns le travai l, p. 58
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ct Ltne nuits), p . 66 + Paroles d 'o uvri ers: treize vies de lab eur. d'Ala in
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T(, ndeur (éd . L uc Rne) . p. 6 8 + Les grèves en F rance en mai-juin /968.
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Metaleurnp . Paroles ouvrières. de Frédéric H . Fajard ie (M i ile 1
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NOTE S DE LECTURE :
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de B run o Astar;an (Echanges ct Mouvement), p . 69
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ÉCHANGES
Bulletin du réseau« Echanges et mouvem ent»
BROCHURES DISPONIBLES
Présentation du réseau« Echanges et mouvement H
(E cha ng es ct mouvement, septe mbr e 2003, 1,50 euro)
pour abonnement , informat ions et corr es po nd a nc e :
B P 24 L 75866 Paris Cedex 18, Fran c e
Les grèves en France en mai-juin 1968, Bruno Ast ar ian
(Echange s e t mouvement, m ai 2003, 3,50 euros)
Su r Inte rn et : http: //w ww.m o nd ial is me.org
Humanisme et socialisme/ llurnanism and socialism, Pa ul Mattick
(Ec h<mgcs ct mo uvement, mai 20 03 , 2 euros)
Abon ne ment: 15 euros pour qua tr e numé ros
co mpren ant les brochur es publiées d ans l'ann ée .
PRÉSENTATION
P résentons nos excuses aux lecteurs po ur reven ir sur une po lém iq ue - à propos
du PIC -poursuiv ie su r plusieurs nu méros qui n'apporte pas grand chose; mais nous
nous ét io ns engagés à pub lie r ce de rn ie r tex te plus c lair e t dist inct des déb o rdem ents
antérieurs . Comme nous le soulignons, cette polé mique est close pou r nous, même si
d' autres pensent d evoir la poursuivre ai lleurs.
Nous no us sommes é te ndus dans c e numéro sur la grève récente des pos tiers brita nn iques. Il nous a paru nécessaire de rappe ler les termes de la lute de classe dans les
cinquante dernières an nées, termes qu i éclairent les lu tt es actuelles. No u s pens ons
que d e tel le s luttes montrent comment la lutte de class e finit p a r balay er to us les obstacl es d re ssé s pour l'empêche r de s 'o ppos er aux impératifs du capital. Au moment
où en Fr ance, le présent go uv erne m ent tente par la ba nde de rég le menter le« d roit de
grève)), cet exemple montre que le se ul « droit de grève )) est celui que les trav a il leurs
im p osent. Dans le pr och a in b ullet in, nous évoqu e rons un conflit du même g enre qui
v ie n t de se dérou ler da ns les transports loc a ux ital iens.
Deux textes p lu s géné raux s ' offrent à la discuss ion e n essayant de tracer d es pist es
de ré flexi o n pour les événemen ts que nous connaissons à l'éc hell e du monde. L ' un traite
p lus specia lement de la tra nsformati o n de l'E urope en un Eta t unifié et est e n qu elqu e
sorte une int roduct ion à un e b ro chure à pa raît re, cen tré e s ur la fo rmat ion d 'une o rga n isa tio n de dé fense eu rop éenne un i fi ée, in s trument nécessaire à la domi n a ti o n d'un
capi tal dans une ent ité territor iale poli tiq ue et économique. L 'aut re ess aie d'aborder
s ucc inctement les te rmes de la cr ise économique et fin ancière des Etats-Un is.
N ous pub liero ns prochainement Milit antism e et Responsabilité, 1'auto b iog r aphie
d' Hen r i Chazé ( 1904 -1 984) , accompagnée de nombreuses notes et de te xtes di vers
q u'il a écrit après la dern ière guerre m ondia le.
L'Argentine d e la paupérisation à la révolte. Une avancée
vers l' autonom ie ( Ec hang es e t mouvement, juin 2002,2,50 euros)
Correspondance 1953- 1954,
Pierre Chaulieu (Cornélius Castoriadis)-Anton Pannekoek, présenta tion
et commentaires d'Henr i Simon
(Echanges ct mouvement, septembre 2001, 2 euros)
Pour une histoire de la résistance ouvrière au travail. Paris
et Barcelone, 1936-1938, Michael Seid m an
(Echanges et m ouvement, mai 2001, 1,50 euro)
Fragile prospérité, fragile paix sociale. Notes
sur les Etats- Unis, Curt is Priee (Ec han ges et mouveme nt, février 2001, 1, 80 e ur o)
La Sphère de circulation du capital, G. Bad
(Ec hanges et mouvement, octobre 2000, 1,50 e uro )
Les Droits de l'homme bombardent la Serbie. G. Bad (E ch an ges
ct mouvement. oc tob re 1999, 1,50 euro )
Entretien avec Paul Mattick Jr. , réalisé par Hannu Rc imc en novembre 19 91 .
Ed. bilingue ( Ech an g es et mouvement , se ptembre 1999 , 1,50 eur o)
Pourquoi les mouv e ments r évo lutionnaires du passé
ont fait faillit e. - Grèves. - Parti ct classe. T r ois textes d ' Anto n Pannckock,
précédés de: Le Groupe des communistes internationalis tes
d e Hollande, par C ajo Brendel (Echanges et mouvement, avri l 1999, 1,50 euro)
Enquête sur le capitalisme dit triomphant, Claude B ito t (Ec han ges
et mouvement, ja nv ie r 1999, 1,50 euro)
La Lutte de classe en France, novembre-décembre 1995. ( Ec ha ng es
e t mouvcmen t, mars 1996, 1,5 0 euro)
Les Internationalistes du« troisième camp» en France
pendant la seconde guerre mondiale, Pie rr e Lannerct (éd . Aera tic)
Mais alors, et comment? Ré flex ions s ur une soci ét é socia li ste
(Ec hang es ct mouvement, 1,50 euro)
Bilan d'une adhésion au PCF. Un témo ignage ouvrie r en ma i 6~ (!CO, 1,50 euro)
t:Joua avo ns pu b li é réc emment une broc hu re de présentation d'Echanges
et un ind ex de s articl es parus dans les n"' 1 (1975) à 106 ( 2003)
2 - ÉCHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
La Grève généralisée en France, mai-juin 1968. (!CO, juillet 1968, 2 ,20 eu ro s.)
ÉCHANGES 107 ·HIVER 2003·2004 -- 7 1
pos te - qui comptaient parmi les princi pa les revend ications des OS.
As t arian décrit un e c la sse ouvrière
maj oritairement passive, des usines quasi ment vides à part quelques syndicalistes
qui ent reti ennent Je matériel. .. Des ouvr iers absentéistes qui rentrent chez eux
aussitôt la grève votée - l orsque les syndicats n'ont pas fermé les portes pour les
emp êcher de s'enfuir! Des paradoxes,
donc : entre la Jourde affirmation de la
classe dans la grève et son manque d'initiati ve ; entre la force de la grève, souvent Je caractère spontané de son démarrage, et la large dé légation que la classe
ou vrière a accordée aux syndicats (pour
les résultats que l'on vient de voir); entre
sa fa ible militance au cours du conflit et
la violence extrême de sa réaction au moment de la reprise.
La seconde partie, plus brève et plus
class ique que la prem ière dans sa dé marche, propose une analyse des grèves par
rapport à l'h istoire des cycles longs d'accumulation du capital français et apporte
des éléments qui permettent de dégager
certains traits de leu r modernité par rap-
ET LE MARDI SUIVANT. ••
70- ~CHANGES 107 · HIVER 2003-2004
port à la période actuelle. Astarian termine enfin son travai l par une réflexion
sur les conditions d ' une grève générale
non-insurrectionnelle - un autre thème
d ' actualité après les grèves de décembre
1995 et de mai-ju in 2003 - , notamment
en rapport avec les différentes phases des
c ycles longs de l'accumulat ion cap italiste, pour conclure : « Le travail n'est
plus la base de l ' identité de classe, les
usines et les bureaux ne sont que des lieux
où l'on gagne de l'argent. C'est un message très massif que font passer les grévistes
de mai-juin 1968, et il n ' a été que peu relevé» (p. 83). C'est désormais chose fai te
et bien faite avec ce livre; il ne reste qu'à
s'en saisir.
Dès l'instant où ils défendent le système
de retraite existant et refusent les effets de
la décentralisat ion sur leurs cond itions
de travail en ne s'ouvrant à aucune réforme et a fortiori en en proposant aucune, les enseignants grévistes de maijuin 2003 considèrent-ils leur salle de
classe comme autre chose qu'un lieu où
1'on gagne sa vie ?
Ch. C.
ILS M'ONT ORIENTE VERS
UN SEMINAIRE POUR
RESPONSABLES SYNDICAUX
- C'ETAIT INUTILE 1ET
SURTOUT REMPLI DE
BUREAUCRATES 1
MAIS LE SYNDICAT
S'EST BIEN ASSURE
QUE JE NE PUISSE
PLUS INTERVENIR
SUR MON LIEU DE
1
ÉTATS-UNIS
UNE PAUSE DANS LA CRISE OU L'AMORCE
D'UN NOUVEAU BOOM ÉCONOMIQUE?
Deux choses paraissent pouvoir menacer l'hégémonie du dollar:
la résistance des capitalismes concurrents (Europe et Chine)
et la classe ouvrière américaine, dont la baisse du niveau de vie
pourrait avoir atteint un point de non-retour
L
E 30 OCTOBRE, le département américain du commerce a annoncé que
l' économie des Etats-Unis avait
connu un taux annuel de croissance du PIB
(1) de 7,2% au cours du troisième trimestre
2003 . Le 25 novembre, ce chiffre a été corrigé vers le haut, à 8,2 %. Du fait que ces statistiques sont constamment révisées, on
peut se demander ce que cela signifie vraiment (la« productivité miracle »de la seconde moitié des années 1990 a presque
disparu lors des révisions rétrospectives à
la baisse après le crash de mars 2000).
Quelle que soit la si tuation , il est clair
que l'administration Bush (2) pousse à tout
stopper, dans sa stratégie électorale pour novembre 2004. On n'a pas besoin de croire
en un« cycle commerc ial politique »pour
reconnaître que le gouvernement américain dispose de suffisamment d'outils pour
(1 ) PIB (produit intérieur brut) [GDP (gross dornestic product) en anglais] est une sorte de fourre-tout où
en trent un tas d'éléments, don t certains n ' ont rien à
voir avec la production de marchandises, et qui peuvent
être manipulés à lo isir . Bien que cet indice serve toujours de référence pour l'activité économique, les variations de, par exemple, l' indice de la production industrielle donnent une bien meilleure indication de
cette activité .
(2) Il s'agit évidemment ici de Busb Junior, l ' actuel
présiden t des Etats-V ni s.
regonfler l'économie jusqu'à l'année électorale. Le plus connu dans l'histoire de ce
type de stratagème fut la reflation (3) initiée par Nixon en 1971- 1972, reflation
basée sur le contrôle des prix et des salaires, sur la réforme du« système de Bretton Woods» (voir page 4) (signifiant une
surcharge de 32 %sur les importations
étrangères et une augmentation importante
- pour cette période - des dépenses de
l'Etat fédéral et du déficit public), ceci
pour assurer sa réélection en 1972. Après
quoi, l'inflation s ' envola, le système de
Bretton Woods s'écroula et les Etats-Unis
et le monde pl ongèrent de 1973 à 1975
dans la récession économique la plus profonde depuis les années 1930.
Naturellement, Nixon se préoccupait
des tendances à long terme qui pouvaient
s'annoncer bien au-delà de sa stratégie
électorale, mais le but de ce« cycle commercial politique » était de reporter la crise
après les élections entraînant le max imum
de souplesse pour« faire quelque chose »
après avoir consolidé le pouvoir politique.
Ce qui ne peut être contesté, c'est qu'il y
(3) Le terme « reflation » désigne un accroissement
de l'activité économique engendrée essentiellement
par l' injection de monnaie et de crédits.
~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004-
3
eut trois années (2000-2003) de dégringolade des cours de bourse aux Etat s-Unis
et sur le march é bours ier mond i a l ; des
milliers de mi ll iards d e dollars s'évaporèr en t et on ass is ta à une « récession
douce >>, de nou veau basée sur ces statisti ques douteuses qui sont constamment manipulées à des fins politiques.
Le système de Bretton Woods
Les accords signés à Bretton Woods
(N ew-Hampshire) en 1944 par quarantequat re pays tentaient d'organiser un système monétaire international e n réglementant les relations de change entre les
monnaies natio nales. Le Fonds monéta ire international (FMI) créé à cette occasion devait, par un mécan isme comp li q ué, interveni r pour empêcher des
fl uctuations trop importantes des principales
monnaies mondia les, qui devaient res ter
définies en relation à l'or ou au dolla r luimême basé aussi sur l'or (et seule monnaie convertible en or) .
Le déséquilibre des échanges internationaux et l'accumulation de dollars ho rs
des Etats-Unis entraîna la ch ute de ce
système et l'abandon par Nixon en 1971
de la convertibilité or du doll a r, ce qu i
rompait en même temps la relation du dollar avec le s autres devises e t entraîna
une déva luation de la monna ie américa ine. Ce fu rent dès lors et jusqu'à aujourd'hui uniquement les marchés qui réglèrent les cours respectifs des monnaies
(ce qui se définit par flottement, mais n'est
pas exclusif de manipulations monétaires
pou r te nter de fre in er les mouvements
trop brutaux préjudiciables aux équilibres
financi~Hs) .
4 -ECHANGES 107 · HIVER 2003-2004
Le taux de chômage officiel de 6% (4)
dans la période 2001-2003 n'inclut pas le
1 %de la population américaine en prison,
pas plus que tous ceux qui ont enti èrement
abandonné Je marché du travail ou ceux qui
travaillent à temps partiel (aussi peu que
quel ques heures par semaine) et qui voudraient bien travailler à temps complet. Si
l ' on inclut ces fract ions de la population
exclue des statistiques, le taux de chômage
réel peut être estimé à environ 11 %. En 1
réalité, 2 700 000 emplois ont disparu dans
l'économie américaine depuis l'an 2000 et
il n ' y a eu depuis que très peu de modification dans les chiffres de l'emploi.
Il est tout auss i clair que depuis janvier
2001, Alan Greenspan (5) et la Réserve fédérale (la banque centrale des Etats-Unis)
craignent la possibilité d'un crash déflationniste de grande ampleur suite à la fin
du boom high-tech (dans lequel il fut découvert par exemple que 98 % des câbles
en fibre optique posés au cours des années
précédentes ne seraient jamais été utilisés).
Le taux de la Banque fédérale (celui auquel
cette banque prête aux établissements bancaires) est tombé en juin de 6 % à 1 %et
(4) C'est un fait bien connu que le taux de chômage
aux Etats- Unis est peu fiable car, ca lc ulé comme
ailleurs sur la base de sondages, il élimine systématiquement le travailleur à tem ps partiel, même n'ayant
travaillé qu ' une heure dans la semaine. De plus, dans
la péri ode récente, outre les précisions apportées dans
ce texte, la guerre d'Irak, mobilisant no n seulement
1' armée de métier mais également les réservistes de
la Garde nationale (plus de 200 000 hommes encore
sous les drapeaux et dont l'activité économique doit être
assumée par des embauches, d'où la réduc tipn présente du nombre de chômeurs).
(5) Alan Greenspan est le directeur actuel de la Federal Reserve Bank.
(6) Nous n'avons pas donné l' équivalent euro des
sommes en dollars; en gros, il y a peu encore on pouvait considérer que 1 dollar valait 1 euro, ce qui reste
pratique pour de tel s calcu ls, même à considérer la
baisse présente du dollar.
« ... Quand je t ravaillais à l'usine,
qu'est- c e que tu cro is qu'on faisait? On
produisait quelque chose pour un patron ...
Les femmes de ménage qui do ivent aller
ramasser des cras ses, elles vendent auss i
leur corps. D' une autre façon, d'accord,
mais elles le vendent aus si. Dans tous les
boulots , de toute façon, on donne une partie d e soi-même . Une fo is qu'on travaille
pour un patron, on donne une part i e de
soi -même . Il n 'y a pas de mystère. >>
H. S.
Les grèves en France
en mai-juin 1968
Bruno Astarian
(Echanges et Mouvement.
3,50 euros)
Il est possible que, par suite de pro blèmes matériels. cette brochure com prise dans l'abonnement n'ai t pas été
adressée à certains abonnés. Nous nous en
excusons et leur demandons de nous le signaler pour que nous puiss ions répa rer
cette erreur. Nous donn ons ci-après une
présentation de cette brochure adressée par
un des abonnés d 'Echanges.
ALGRÉ son faible volume et la
!M
___
modestie affich.ée par l 'aut~ur
. dans son avertis sement prealable, le livre de Bruno Astarian sur les
grèves ouvrières de mai-juin 1968 est sans
1
doute l ' un des ouvrages consacrés à la
lutte de classes parmi les plus import ants
de ces dernières années. S 'agissant des «
événements », il comble un manque criant
sur le sujet et ceci de la manière la plus
pertinente dans sa démarche, et la plus «
décoiffant e >> dans ses résultats par rapport aux idées reçues et à la mythification
de« Mai 68 ». Il faut donc inviter tout le
monde à lire ce peti t livre, les « anciens
de Mai >> comme les autres, et peut-être
les premiers plu s que les seconds !
Le livre se compose de deux parties.
La première rapporte les conditions et
les moda li tés du déclenchement des
grèves et de leur g énéralisati on: HispanoSuiza, Renault-Billancourt, Thoms on ,
Rhône-Poulenc, Peugeot à Sochaux, Rhodiaceta à L yon, etc. Puis Ast arian auscu lte le fameux « mouvement des occupations» d 'usines et ses pratiques
effectives, pour terminer par une analyse
des accords de Grenelle et des conditions
de la repr ise.
Au t otal , il res sort de cette plongée
dans le cambouis des grèves, à mille
lieues du romantisme festif ou du
« conseill isme », que celles-ci ont été l 'un
des arrêts de travai l les plus massifs de
l ' histoire de la F rance industrielle qui
s'est soldé par de maigres résultats quant
aux revendications des ouvr iers.
Du point de vue des augmentations de
salaires, compte t enu du glissement nature l des salaires de l'époque et du fait
que l a mo itié seulement des heures de
grève sera payée, l'opération est négative
(en 1936, on considère que la totalité des
acquis obtenus équivalait à une augmentation de 35 %à 49 %). En outre la hausse
est hi érarchisée (comme le souhaite la
CGT ) et il n'est question dans les accords
ni du salaire aux pièces ni du s alaire au
ECHANGES 107 -HIVER 2003·2004- 69
riv ière qui longe l'usine, et y auraient précip ité des engins de manutention . Le leader synd ical livre les clés de ce qu i n'a
été, comme il le dit lu i-même, qu'une habile man ip ulat ion pour« envoyer un s ignal fort »,ce qu i mon tre que les synd icat s ont bien intégré la leçon des
mouvements sauvages et retou rnent à leur
profit les manifestations de l'autonomie ,
précisément pour tenter de barrer un développement autonome éventuel. Balancer du sodium dans la r iv ière ne fut que
l' occasion d ' un beau feu d'artifice ; les
bulldozers jetés dans la flotte n 'étaient
que des machines au rebut, bonnes pour
la ferraille . Et le« leader» de regretter
que ceux qu i étaien t chargé par l'intersyndicale pour ce boulot en aient balancé
par erreur« un qui marchait enco re ».
Par contre, des zones d'ombre subsisten t su r ce qui étaient peut être des actions hors de ces rou tines syndicales. Il
est question dans différents entretiens
d'un pil lage de matériel informatique et de
sabotage; les uns parlen t d'éléments in contrô l és, d'autres ins inuent même que
c'étaient peut-être des agents de la direction qui a ur a i ent agi . De même, le
« vol »de quatorze tonnes de lingots d ' argent dans un camion qui venait de sortir de
l' usine est couvert par des suppositions ...
il s'agissait, selon les interv iewés, d'une
récupération de produits par la d irection.
Mais éta it-ce bien cela ? En tout cas, et
cela person ne ne le demande, pourquoi
avoir lai ssé partir un tel trésor de guèrre?
Finalement, l'or ientation générale du
li vre reste po lit i que, ce qui cadre bien
avec l'ensemb le, autant pour les trava illeurs que pour l'ex-mao écrivain (y
compris toute une polémique so igneusement entrl:tenue sur une intervention intempestive des Verts) . Comme nous
68- ~CHANGES 107 • HIVER 2003·2004
l'avons dit, rien pratiquement sur la lutte
réelle . Sauf, en conclusion , une phrase
glorifiant« des hommes qui savent dire
non et n ' hésitent pas à se battre» .
H. S.
Paroles d'ouvriers
Treize vies de labeur
Alain Tondeur
Editions Luc Rire
ous ne nous étendrons pas trop sur
cet ouvrage qui est seulement fait
._ _ d'entretiens distincts de travailleurs belges en l'an 2000 . Il est parfois question de lutte dans ce travail de
sociologue, mais beaucoup plus de la vie
dans et hors du travail dans le quotidien.
L'un des intérêts du recueil est de montrer que l'aspiration d'une bonne partie
d'entre eux est de sortir de la condition
ouvrière, mais que bien peu y réussissent,
et que parmi ces derniers plusieurs sont
contraints d 'y retourner après que lque
temps .
Sans prétention . Comme l'écrit simp lement Alain Tondeur dans sa p réface:
« Le trava il est pénible et les salaires sont
bas. En fait, exclusion et exploitation sont
deux souffrances qui s'alimentent mutuellement. »
La conclusion, c'est une ex-ouvrière
deven ue prostituée indépendante qui la
formule:
'N
tout le monde a emboîté le pas.
Malgré tout
A cela se son t ajoutées les réle battage sur
ductions d 'i mpôt de Bush pour
la nouvelle économie
les riches (envi ron 200 mil et la • révolution ,.
liards par an) et l'augmentation
rapide du déficit fédéral (estimé high-tech, il semble
à 375 milliards de do llars (6)
que la santé
pour 2003) depuis le budget en
de l'économie
équ ilibre obtenu (avec quelques américaine dépende
astuces comptables) dans les
encore de la bonne
dernières années du précédent
volonté et de la
prés iden t, Clinton (i l est
capacité des
quelque peu comiq ue de voir
les Démocrates attaquer main- Américains à acheter
tenant les Républicains pour ce des maisons et des
déficit budgéta ire énorme).
voitures à crédit,
Finalement le déclin du dolexactement comme il
lar après 2002 (40% contre
y a quarante ans.
l'euro, 10 % contre le yen) (7)
vise à rendre les produits américains moins chers outre-mer,
ce qui n'a pas encore rédu it les 500 milcouramment prendre 40 % de l'épargne
liards de déficit de la balance américaine
mondiale (8).
des paiements, mais a accru le coût des proL'estimation minimale de 2 000 mildu its importés, ce qui devra it à brève
liards de dollars de dette ( 10 000 milliards
échéance entraîner une inflation aux Etatsdétenus par les étrangers compensés par les
Unis En même temps , les Etats-Unis doi8 000 milliards investis par les Etats-Unis
vent emprunter quot idiennement 1,5 mi là l'étranger) signifie que le total de la dette
liard de dol lars pour couvrir ce déficit et
étrangère américaine est déjà de 20 % du
PIB , un niveau typiquement équivalent à
(7) L'euro, d'abord unité de compte puis unité monécelui d'un pays du tiers monde. Déjà, 1 %
taire commune à différents pays de l'Un ion euro·
du PIB est consacré au paiement des intérêts
péenne. Lancée le 1~ janvier 1999, elle était alors pradus
au titre de la dette extérieure. L'eutiquement en parité avec le dollar (1 euro pour 1 do llar)
mais ce taux a décliné peu à peu pour atteindre celui de
phorie actuelle du marché qui te nd à faire
0,80 euro pour 1 dollar, puis a remonté jusqu 'à avoi·
croire que la dégringolade des dernières ansiner aujourd'hu i ce lui de 1,20 euro pour 1 dollar.
nées
est révolue est basée sur ces indices
(8) Ce la représente approximalivement 45 milliards
de dollars par mois. La mesure de la crise aux Etats-Unis
(parmi d'autres) d'une expansion sur le papeut être donnée par les derniers chiffres d' entrée de
pier, qui n'a encore modifié aucune des tence type de capitaux aujourd'hui. Les achats de titres amédances fondamentales d'une crise mais est
ricains di vers avaient atteint 76 milliards en moyenne
dans les six premiers mois de 2003 et 50 milliards en
plutôt basée surtout sur l'expansion des liaoût. En septembre, ils n'o nt atteint que 4,2 mill iards
qu idités que nous venons de mentionner.
de dollars, un incroyable retournement de tendance
Malgré tout le battage de la fin des anqui coïncide avec la dépréêiation du dollar sur les mar·
chés financiers.
nées 1990 sur la nouvelle économie et la
-
tCHANGES 107 ·HIVER 2003-2004- 5
« révolution » high-tech , il semble que la
santé de l' économie américaine dépende
encore de la bonne volonté et de la capacité des Américains à acheter des maisons
et des voitures à crédit, exactement comme
il y a quarante ans . Les trois quarts des profits des entreprises aux Etats-Unis généralement « paraissent bons » mais, comme
les commentateurs de 1'« école autrichienne» tels que Richebacher (9) l' ont
soul igné, ces rés ultats sont généralement
acquis par le succès des licenciements et
des réduct ions d'activ ité dans les firmes
amér icaines.
La stratégie de base consistant à ouvrir
le crédit a réussi à amener la dette des
« consommateurs » américains au plus haut
de tous les temps, à commencer par des mécanismes ing énieux de refinancement des
emprunts hypothécaires, mettant des centaines de mi lliards de dollars de pouvoir
d'achat aux mains de la classe moyenne,
basé sur le développement d' une bulle de
l' immobi li er dans tout le pays (mais actuellement en train de plafonner). Cette
bulle, comme la bulle du dollar, suivra le
destin de la bulle high-tech plus tôt.
L'espoir de Greenspan et de Bush était
que 1'accro issement des dépenses de
consommation maintiendrait l'économie en
vie jusqu' à ce que les dépenses des firmes
en capital fi xe redémarrent, le schéma classique des précédents redémarrages après
le s récessions depuis la seco nde guerre
mondiale. Pourtant, avec les fi rmes améri(9 ) L' école autrichienne dont il est question ic i re présente une fraction des théories néo-libérales dont 1' intention était de fournir des recommandations sur les politiques économi ques à suivre pour enrayer le chômage
et 1' inflation des an nées 1970. Ces théories ont inspiré et inspiren t encore les poli tiques économiques de
la plupart des pays occidentaux depuis les années 1980.
On peut j uier, à la mesure de la crise actuelle, les résultats de telles orie ntations.
6 -
tCHANGES 107 · HIVER 2003-2004
caines tournant à 75 % de leurs capacités
et luttant encore pour sortir de leur endettement des années du boom, ces dépenses en
capital fixe ne se sont pas encore vraiment
manifestées . Un des meilleurs indices du
manque de confiance des capitalistes dans
la récente repri se est l'augmentation rapide
du prix de quelques denrées de base (10)
- un autre parall èle avec la reflation des
années 1971-1973-, aug ment ation emmenée par 1' or, qui a augmenté de 20 %en
2003.
Les répercussions
internationales
Il est maintenant important de se tourner vers les dim ensions internationales de
la « reprise >> amér icaine qu i sont encore
perçues comme primordi ales ici même aux
Etats-Unis. Il y a quinze ans, le principal
déséqui libre de 1'économie internat ionale
appara issai t entre les Etats-Unis et Je
Japon. Les marchandises j apona ises
conquéraient le marché intéri eur américain
et les dollars améri cains s'ac cumulaient à
la Banque du Japon. Aujourd'h ui, tout se focalise de plus en plus sur le déséqui libre
de la balance commerciale entre les EtatsUnis et la Chine, alors que 1'act ivité de ce
pays remodèle la division internat ionale
du travai l. Le moteur de base de la prospérité a été pendant des années les exportati ons de l'Asie vers les Et ats-Unis en
échange de réserves de dollars. On est ime
( 10) Toul récemment, les cours des matières premières
essen tielles ont atteint des niveaux records (par
exemple pour des produits aussi dive rs que le nickel
(20 %), l'huile de palme (48 %), le coton ( 15 %), le
soja (35 %) et le reste à l'avenant ). Comme d' habitude,
les commentateurs ch erchen t d' a utres raisons que
celles venant des problèmes posés par l' évolution du
capitalism e mondi al ; par exemple, selon Le Monde
du 13 novembre 2003, ce serai t que « la Ch ine fait
flamber les prix des matières premières >>.
des interviewés se retrouve (évidemment)
dans la longueur et le contenu de ce que
chac un di t de sa vie. Les ingén ieur s et
cadres sont beaucoup plus prolixes (il fallait s ' y attendre); outre leur revendic ation q-u elque peu abusive d '« apparten ir
à la cla sse ouv r ière», ils s'étendent, en
bon gest ionnaires du capital, sur des« solutions>> pour maintenir l'usine en activité
(le maire , en bon politi que, ira beaucoup
p lu s lo in dans ces solutions) . Les ouvriers, dont Je d iscours est deux fois plus
court que celui des autres, ne parlent que
de ce qu 'était leu r travail et de ce qui se
tis sait au tour, dans et hors de 1'u sine. Ils
sont bien conscients que 1' usine a ru iné
leur santé et du fait qu·' au prix de leu r vie,
ils ont cons ti tué des richesses qui leur
étaient confisquées quoti diennement ; et
cette ruine leu r est encore plus présente
quand ils voient que l'usine ne produira plus
et même sera vraisembl ablement détruite .
Pour ces derniers rescapés de la grande
saga industrielle et min ière du Nord de la
France, le lyrisme de l'auteur, sans peutêtre qu'il s' en rende bien compte, s'applique bien à un pro létar iat balayé aujourd 'hui ici par 1' invasion des techniques
mod ernes de product ion et les déloca li sations . Les travailleurs, sinon qu'ils ressentent encore plus amèrement l'injustice
de se retrouver à la rue après tant d'années d'une dure exploi tation sécurisée,
ne comprennent pas ce que le capital fi nancier fait d'eux . L'auteur partici pe de
cette ambiguïté, lu i qui trouve que les patro ns ont pris des leçons c hez Marx et
Mao (comme si les de ux avaient qu elque
point en commun, ce qui montre qu'il n'a
pas compris grand-chose de son passé ni
de cette lutte) ; il reprend même c e que
cert ains vi eu x ouvriers et les cadres développent, reprenant une l it anie des po-
liti ques des «patrons voyous >> d'a ujourd'hui, regrettant la « correction >> des
anc iens patrons Pennaroya-Roth schil d.
Le caractère même de la lutt e, menée apparemment de bout en bout par 1'i ntersynd icale, s'accord e parfaitement avec
cette référence au vieux mouvement ouvrier.
L' insistance de bien des interv iewés sur le
travail du « leade r», tout comme la ré fl exi on de celui-ci est i mant qu ' il s'est
trouvé presque nature llement à ce poste
parce qu ' il ava it commencé des études
supérieures (sans les mener à leur terme)
fait aussi bien ress ortir ce caractère.
On aurait pu penser, d'aprè s ce que la
presse avait pu raconter de cette lutte qu e
pa r certains traits , elle s'apparen tait à
cel le de Ce li a tex deux ans auparavant
(voir Echanges n° 94, été 2000, p . 3). Les
trav aill eurs auraient commencé à balancer
des produ its chimiques dans la Deule, la
I'M So
lM~
MTH ïliE CIIPASILIT1ES
CF Mit' NfLAJ ~ IC oeQ'!NlSER.
I'VE C(M;N IT
~ .])6
«J'ai dté tellement épaté par les
performances de mon nouvel "organizer"
électronique que je lui ai donné votre boulot ...
tCHANGES 107 • HIVER 2003-2004 - 6 7
NOTES DE LECTURE
Metale urop. Paroles ouvrières, de Frédéric H . Fajardie (Mille
et une nui t s), p. 66 • Paro les d 'ouvriers : treize vies de labeur, d'A lain
Tondeur (éd. Luc Rire) , p . 68 • Les grèves en Franc e en mai-juin 1968,
de Bruno Astarian (Echange s et Mouvement), p. 69
Metaleurop. Paroles ouvrières
Frédé r ic H. Fajardie
Mille et une nuits,
coll. « Témoignages », 10 euros
N AURAIT PU aussi bien inti tuler
'
cette brève critique« Quand un ex mao recyc lé dans le polar se
penche sur la condit ion ouvrière» (c'est
Frédéric Fajardie lui -même qu i rappelle
dans sa préface son ancienne appartenance). Chacun a pu entendre parler fin
2002 de Meta leurop, une des nième• boîtes
fermées où se dérou la une 1utte visant à
tenter d'arracher un« programme social »
plus substantiel- lutte d'ailleurs quelque
peu éclipsée par l e déferlement des images
guerrières de 1'Irak (une petite guerre providentielle pour masquer la crise économique et sociale).
D ' après 1' au t eur, Metaleurop, usine
d e métal lu rgie (p lomb et z inc) situé e à
Noyelles-Godault dans le Pas-de Cal ai s,
près de Lens, ne comptait, lors de sa mise
en liquidation en mars 2003, pas moins
de 83 0 sa lar iés ; Fr édér ic Faja rdie y
aj oute t rès justement les oubliés des
« plans sociaux », soit q uelque 1 200 intérim aires ou travailleurs de la sous ~ trai ­
tance, ce qui porte le total aux environs
de 2 000 t ravailleurs . C'est d ire que ce
petit livre qu i porte en sous-titre« Entre t iens avec des ouvrier s de Metaleu rop », nous laisse que lque peu sur notre
faim avee ses vingt et un« entretiens ».
Bien sûr, il fallait faire un choix pour une
0
66 -ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
simple question de dimension, mais si le
choix effectué par Frédéric Fajardie est
révélateur, ce n'es t pas dans le sens promis par le sous-titre : effet, sur les vingt
et une personnes interrogées, six seulement sont effectivement des ouvriers,
quatre sont des employés, neuf sont des
ingénieurs ou cadres, une est un édile municipal n ' appartenant pas à l'usine, et le
dernier un délégué syndical CGT, devenu
secrétaire de l ' intersyndicale qui, apparemment, sera 1' organe ~irigeant de toutes
les actions(« apparemment» , car tout au
long des témoignages, nous apprendrons
pas mal de choses sur les conditions de
travail des uns et des autres mais bien peu
sur la grève elle-même, sur la façon dont
elle a été conduite- et notamment, ce qui
nous aurait intéressé, sur la manière dont
les quelque 800 travailleurs ont participé
à l eur lutte). Nous n'épiloguerons pas ici,
sur la sorte d'interrogatoire standard qui
apparaît en filigrane et fait penser à une
sorte de questionnaire dont chacun sa it
qu'il est forcément orienté.
Le déséqu ilibre relevé dans le choix
que la Ch ine , le Japon, Taïwan et la Corée
du Sud p ossèdent à eux seu ls 1 000 mi lliards de do llars ; la plus grande part ie de
cet argen t est recyclée vers le marché des
capitaux améri cains (par exemple la dette
du gouvernement), ce qui rend possible un
accr oissement enc ore plus important du
crédit et par suite de la consommation intérieure aux Etats-Un is .
Comme 1'Europe dans les années 1950
et 1960, les puissances industrielles asiatiques
permettent aux Etats-Unis de financer leurs
défic its avec leur propre endettement extérieur (l OU). Des tendances similaires,
mais pas à la même échell e sont toujours
visibles aujourd'hui avec l'Europe et les
détenteurs de dollars de 1'OPEP (Il).
Cette centralité du doll ar dans 1'éco nomie mondiale est la principale énigme
qu i doit être éluc idée si 1'on veut tracer la
voie d'une compréhension des futures possibilités d'accumu lation. Le dollar a été en
crise à partir de 1968, quand le système de
Bretton Woods commença à s'effondrer,
et il a survécu à cet e ffondreme nt (19711973 ) pend ant trois décennies d'un pur et
simple« dollar standard)) (en contraste
avec le précédent« gold exchange )) (12)
standard de 1944-1971 ). Pendant cette période, 1'industr ie américaine fut amenuisée, externalisée et vidée de son contenu.
Avec l'émergence de la Chine, même les
usines de la Maquiladora à la frontière du
(Il) L' Opep (Organ isalion des pays exportateurs de
pé tro le) [en anglais Opec (Organ isation of Petroleum
Ex porting Countries)] est une sorte de carte l des prin·
cipaux producteurs mondiaux , la pl upar t des pays
arabes, ceux d'Amérique latine, d'Afrique et l'Indonés ie, dont le but est de tenter une régulation des prix
par un certain contingentement de la production.
(12) <<Dollar standard»,« gold exchange standard»,
voir encadré page 4 sur les accords de Bretton Woods.
Ces termes définissaient les références pour la fixation du cours des monnaies nationales.
Mexique et des Etats-Unis sont délocalisées
à Shenzhen (voir ci-dessous).
Les pays étrangers ont compensé les déficits américains pendant quarante-cinq ans,
le prix de leur accession au marché inté-
De la Maquiladora
IJ Shenzhen
Maqui/adora est le nom donné à la zone
fron talière du Mexique et des Etats-Unis,
où nombre d'industries américaines furent délocalisées au cours des dernières
décenn ies pour garantir des taux sans
précédent d'exploitation des travailleurs
émig rants de tout le Mexique et de toute
l'Amérique centrale. Non seulement ces travailleurs ne bénéficiaient d'aucune protection sociale mais, à ces conditions de
travail maintenues par une semi-dictature
et la corruption, s'ajoutait la vie dans des
bidonvilles insalubres. Pourtant, ces dernières années, des luttes avaient rendu
moins rentable pour le capital américain
l'exploitation de cette masse de maind'œuvre proche des marchés des EtatsUnis, ce qui a entraîné l'exode des industries
vers
des
pays
plus
.. accueillants " • dont la Chine.
Shenzhen fut en Chine la première " zone
économique spéciale , destinée à per. mettre aux firmes occidentales d'exploiter l'inépuisable main-d'œuvre chinoise à
des conditions sans équivalent dans le
monde capitaliste. Limitrophe de Hong
Kong, la ville est devenue une mégapole
industrielle de plusieurs millions d'habitants dont le développement s'étend dans
toute cette partie côtière du pays, drainant
les esclaves salariés de toutes les campagnes du sud de la Chine.
ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004- 7
rieur amencain. Les contre-tenUSA
dan ces à une chute brutale du dolJar incluent les in vestissements di NOWORK
rects étrangers aux Etats-Unis (en
partie pour contourner le choc en retour protectionniste prôné par
quelques secteurs de l'industrie
américaine tout comme par quelques
organ isations syndicales) et par le
rapatriement des profits des investissement encore considérables des
Dessin publié dans • News and Letters • (juillet 1996).
Etats-Unis à 1' étranger. Mais aucun
Tobin pour le cap it al fixe américain est
commentaire pour qualifier 1' étendue du
monté jusqu ' au niveau vertigineux de 2,11.
décl in économique depuis les années 1950
Le crédit rendant cela possible était large·
ne peut dissimuler le caractère de plus en
ment développé par l'apport des étrangers.
pl us fictif de l'économie américaine dans
Une telle augmentation coexiste avec une augsa globalité et que les étrangers jugent
mentation similaire du dollar au cours des
comme « trop grande pour échouer ». Un
mêmes années, à la suite des années 1985indice montre cette tendance vers une éco1995 de faible dollar. Les investissements
nomie de plus en pl us fi ctive mieux que tout
étrangers dans des actifs en dollars après
autre : l'i ndice<< q »de Tobin (13), le
1995 furent un« cercle vertueux »dans le·
concept bourgeois s'exprimant dans le taux
quel des profits considérables (par exemple
de la valeur totale en capital fixe par rap1'engouement pour le marché des actions)
port à son coût de remplacement.
étaient alimentés par une croissance
Une étude montre que ce taux a fluctué
constante du dollar. Débutant en l'an 2000,
autour de 1 pour tout le xx' siècle jusqu'à
le« cercle vertueux >> se mua en cercle vi1995, avec des déviations évidentes en descieux, l'effondrement du marché boursier
sous (la période de crise et de défl ation des
se conjuguant avec la chute du dollar, de
années 1930) et au-dessus (la période in·
sorte que les invest isseurs étrangers perflationniste des années du boom des années
daient par les deux bouts. En 2002, les in1960 et 1970). De 1995 à 2002, 1'indice q de
vestissements directs aux Etats-Unis étaient
devenus négat ifs et le chef de la Banque
(13) Du nom de James Tobin, économiste néo-libéral
centrale européenne, Wim Duisenberg, se deaméricain qu i a cherché des solutio ns pour réduire la
pauvreté par la croissance et le plein-emploi et, ce fai mandait ouvertement si le déc lin« inésant, a forgé une thèse de l'i nvestissemen t produc ti f
vi
table >> du dollar serait une retraite pro·
concentrée sur les actifs productifs. L'indice« q »exgressive ou une panique brutale.
pri me Je coût de remplacement du capital invesli.
Tobin est devenu célèbre pour sa proposition de financer mondialem ent les in vestissements en question
par la taxation des transactions de change, dite« taxe
Tobin », destinée soi-disant à décourager les spéculations et à renflouer les économies des pays pauvres,
cé lébrée par les mondialistes de tout poil enthousiasmés par cettè nouvelle mouture de réfo rmisme keynésien .
M
tourne r ou cachant le stock de pièces de
sorte que la mac hi ne devai t être arrêtée, ou
demandant à aller voir l' infirmière (78). >>
Le mê me ouvrier déc r ivait une tech niq ue util isée pour ralentir le travail dans
les différents département de peinture de
l ' usine. Ils deva ient accrocher les pièces
sur le convoye ur d'ap pro visi onnement,
lai ssant des crochets vides toutes les fois
qu 'i ls le pouvaient. Il y avait un conflit permanent entre contremaître et ouvriers, pour
·savoir qui déterminerait 1'espacement entre
les pièces . Une variante du ralentissement,
décrivait -il, était la rupture d'approvisionnement et 1'arrêt des machines et des
chaînes par manque de matériel. « Les
contremaîtres étaient souvent si occupés
qu'i ls n'avaient pas le temps d'avo ir une
idée sur le stock de chaque ouvrier, et il ne
pouvait rien faire contre un ouvrier qui arrêtait la chaîne parce qu' il était à court de
pièces . Etre à court de pièces demandait
h ab ituellement la coopération des pour·
voyeurs de pièces et des conducteurs de
Fenwicks qui devaient s'arranger pour être ·
opportunément occupés ailleurs quand 1' ap·
(78) Baxter et al., Out of the Driver 's Seat (Hors du siège
du conducteur), p. 31.
DES POTES ET MOl, ON
TRAVAILLAIT EN INTERIM
SUR LE CHANTIER D'UN
COMMISSARIAT IL '( A
QUELQUES ANNEES ...
prov isionnement en pièces n'était plus assuré en un point de la chaîne. De plus un
ouvrier engageait souvent une conversation avec le contremaître pendant que les
au tres dissimul aien t les pièce s ou ép uisaient ce qui leur restait, si bien que la produc tion s'arrêtait, ce qui donnait à chacun
une pause dans le travail (79) . >>
Nous n'avons pas assez de place dans
ce chapitre pour discuter toutes les façons
variées de limiter la production. Il suffi t de
noter que c'est une caracté r ist ique universelle du travail salarié . Cela implique,
quel le qu'en soit la forme, que l'on cache
au management, de façon très importante,
les conditions et les possibilités réelles
d'un at el ier. Plus on monte dans la hiérare des managers, mo ins la réalité de la production est connue. Il y a toutes sortes de
tactiques utilisées par le management pour
empêcher les travailleurs de limiter la production . La plus récente, appelée tech nique japonaise, consiste à former des
équipes de travail et des cercles de qualité . Ses succès tendent à être l imités et
temp oraires.
M.G .etS .F.
(79) Ibid., p. 3!.
ON A OU VRAIMENT
ETRE TRES ETOURDIS ...
... PARCE QUE TROIS MOIS
APRES, LEUR FOUTU TOIT
S'EST EFFONDRE 1
on ne comprend plus rien alors
au seul problème de 1' économie et
il est essentiel de regarder la « politique>> dans la critique de l'économie politique, pour tenter de voir jusqu'à quand les
AIS
~CHANGES 107 • HIVER 2003·2004- 65
8 - tCHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
dans d'autres régions, d'autres pays même.
Loin d'être exp liqué par des déterminations purement intérieures à l'entreprise,
ce phénomène met en cause la condition
économ ique et sociale du travailleur salarié de l' industrie dans l'ensemble de lasociété dont il est membre (75). »
De telles actions ne sont pas entièrement ho rs du contrô le du management,
mais ce que le management peut faire a ses
limites. Avant 1953, dans le département
des vilebrequins de l'us ine Buick de General Motors à Flint (Michigan), il était accepté une limite à la production, que les
travailleurs avaient imposée à travers 1'organisation syndicale. Cela laissait aux ouvriers entre une à quatre heures de liberté
sur leurs huit heures de travail, pour autant
que le stock fusse correctement alimenté
et qu'aucun prob lème ne surgît dans l'utilisation des machines. Cela changea en
1953 quand 1'entreprise modifia le moteur
de la Buick d'un huit-cylindres alignés à
huit bâtis en V et construisit une nouvelle
usine de moteurs dans laquelle tous les
postes de travail furent redéfinis. Le temps
libre fut réduit après ce changement, mais
pas éliminé. De plus, dans l'ancienne usine,
on tro uvai t même une autre réduction de
production résultant d'une fausse comptabi lisation. Les vil ebrequins travers aient le
département sur des casiers poussés à la
main, chaque casier portant cinq vilebrequins. Parfois le matin et de nouveau dans
(75) Geo rges Friedmann, lndustrial Society (lasocié té industrielle) (Free Press, Glencoe, 1964 ), 322.
Texte origina l : Machine et humanisme. t. Il : Problèmes humains ifu machinisme industriel (Gal limard,
1946), p. 320. L' auteur rend compte dans ce chapitre
d'une enquête menée pend ant douze ans (de 1927 à
1939) par des sociologues, sur une commande de la
direction, auprès des 29 000 ouvriers des ateliers Hawthorne de la soc iété Western Electric, à Chicago.
64- ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
1' après-midi, on se passait le mot sur toute
la chaîne : « Take one. »Cela signifiait que
chacun des ouvriers marquerait un cas ier
- 5 vilebrequins- comme ayant été usiné
alors qu'il ne l'avait pas été. Certains j ours,
au moins une fois par semaine, le mot
d'ordre était : « Take two. » Le faux décompte qutidien était de dix, le maximum
de vingt. La perte pour le département était
encore plus grande car chaque travailleur
pouvait faire cette déduction , sans s'occuper du nombre de travailleurs pouvant effec tuer la même opération (76).
Donald Roy, étudiant, sur le mode de
1'« observation participante », un atel ier
d'usine de conditionnement de 1'acier, raconte une fraude généralisée et régul ière :
les ouvriers, non seulement traînaient pour
maintenir un taux réduit de production,
mais tentaient consciemment d'abaisser le
rythme de travail. Il indiquait qu'il s'agissait vraisemblablement den 'en « donner
que pour ce qu'on recevait (de la société)
tout en ayant 1'air de faire tourner normalement la machine (77). »
Un travailleur de l'automobi le déclarait que le ralentissement était la forme la
plus commune de lutte à laquelle lestravailleurs participaient. Il décrivait les différentes formes prises par le ralentissement
et les ruses utilisées par les ouvriers pour se
ti rer du travail, même temporairement :
« "Allant dans le trou" (prenant du retard dans
leur tâche) déli bérément, faisant des mouvement inutiles, discutant avec le contremaître alors que la chaîne continuait de
(76) Rapporté dans une discussion avec Martin Giaherman.
(77) Donald Roy, « Quota Restriction and Goldbricking
in a Machine Shop » (Restrict ion des quotas et restrictions de product ion dans un ate lier), American
Journal of Sociology, 5, n•I, mars 1952, p. 437.
Etats-Unis réussiront à faire payer au reste du
monde leur décl in et leur cri se. Le succès ou
l'échec en cela déterminera la durée de la
reprise américaine présente« dans une croissance avec perte d'emplois ». Le problème
fondamental pour le capitalisme américain est
globalement dans la circulation de la masse
de capital fictif (dans 1' immédiat représenté
par les 2 000 milliards de dette extérieure) qui
s'est développée pendant plus de quarantecinq années d'hégémonie du dollar ainsi subventionnée, rendant possible cette valorisation du capital en extrayant un montant
adéquat de plus-value (nous ne considérons
même pas ici les l 000 milliards inconnus
rattachés au marché global des dérivatifs
(14) et à celui des hedgefunds) (15). C'est la
clé de la politique étrangère américaine dont
le but est de briser toutes les barrières subsistant à une tell e extraction de la plus-value.
Elle s'est accomplie à travers les politiques
néo- libérales du FMI et de la Banque mondiale, saignant à mort des milliards de gens
dans quatre-vingts pays du tiers monde.
Cela s' est poursuivi par l'ouverture de
l'ex -bloc soviétique et par un pillage extraordinaire de ses vastes ressources naturelles
(dans le cas de la Russie seule), la plus
grande chute démographique dans l' histoire
moderne en temps de paix . Puis par l'ou-
verture de la Chine dont l'économie, après
vingt années d'une croissance annuelle de 8 %
à l 0 %, est maintenant en danger de« surchauffe »par son absorption de tant de surplus en dollars . Cela s'est poursuivi par
l'A lena (16), la zone de libre-échange avec
le Canada et le Mexique, qui a maintenant
l'intention de s'étendre à toute l'Amérique
latine.
La politique américaine frappe maintenant à la porte de ce qui reste des blocs commerciaux, l'Europe et les puissances industrielles asiatiques, qui opposent des
obstacles à l'espèce de pillage néo-libéral
des actifs par un« gouvernement du monde
des affaires» qui, aux Etats-Unis, a produit
lemeltdown (17) de la période postérieure à
l'an 2000.
Les Etats-Unis ont pris un avantage important suite à la crise asiatique de 19971998 , contraignant la Corée du Sud et
d'autres pays à s'ouvrir pour des «réformes>> (les études courantes estiment que
3,3 millions d'emplois dans le secteur des services émigreront des Etats-Unis vers l'Inde
d'ici 2015, faisant de ce pays, concurremment
à la Chine, une nouvelle source de pillage).
Ils ont établi de fortes bases en Eurasie, avec
des troupes installées de la Géorgie à l'Ouzbekistan (et la Pologne et la Roumanie
(14) <<Dérivatifs» - ou<< produits dérivés»- désigne
un marché boursier qui spécule non sur les titres mais
sur des élémen ts de ces titres : les taux d' intérêts, les
risques de change ou toute autre fo r me de risque
con cernant ces va leurs mobilières. C' est une sorte de
marché libre parallèle peu réglementé où circulent des
capitaux énormes.
( 15) << Hedge Funds »c'est une autre forme de spéculation financière basée sur une sorte d'arbitrage entre
capitaux engagés notamment dans les opérations sur les
monnaies (on peut avoir une idée de l'ensemble des
capitaux engagés dans toutes ces opérations boursières
lorsqu ' on constate que les seules opérations sur ces
monnaies à 1'échelle du monde atteignent plus de
50 fois la valeur du commerce des biens et des ser·
vices dans une période donnée).
( 16) Al ena (accord de libre-échange nord-américain)
[en anglais NAFT A (North American Free Trade
Agreement)] conclu entre les Etats-Unis, le Canada
et le Mexique pour la libre circulation des marchandises
(pas des habitants) dont les Etats-Unis ont tiré le plus
grand profil et qui a, par exemple, ruiné l'agriculture
mexicaine. Les Etats-Unis exercent actuellement de
fortes pressions sur les pays d'Amérique latine pour
étendre ce<< marché commun »à tout le con tinent américain, une sorte de réponse à la montée de 1' Union
européenne.
( 17) << Meltdown » : nous avons conservé ce mot anglais
qui exprime la désintégration (notamment du cœur
d'un réacteur alomique, où l'arrêt du système de refroidissement entraîne la fusion des éléments de ce
cœur).
ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 9
concédant des bases américaines) et une politique visant à conserver les défic its commerciaux: avec I'Europe, la Russie, l'Inde, la
Chi ne et le Japon qui doivent rester soumis
aux: besoins de « la seule superpuiss ance
restante )) du monde. A moins que, ou
j usqu'à ce que, l'Union européenne puisse
développer une puissance politique et milita ire correspondant à sa dimension économ ique, le plus g rand obstacle à cette stratégie américaine de contraindre le reste du
monde à subventionner son déci in est 1'Asie
et, finalement, la Chine ( 18).
Depuis la crise de 1997-1998, les puissances as iatiques ont tenté de bâtir un bloc
commercial similaire à celui de l'Union européenne et de l' A lena qu i impliquerait finalement une union douanière, une monnaie asiatique et q uelque chose ressemblant
à un Fonds monétaire asiatique indépendant du FMI (les Japonais ont fait des propositions à ce sujet, seulement pour être
rembarrés par les Etats-Unis). Il est évident
à chacun que les enjeux: ult imes de cette
stratégie sont de briser la dépendance de
1'acc ès au marché américain et de l'accum ulat ion de dollars en échange de marchandises qui en résulte. En cons équence
( comme le fit le s ec rétaire américain du
Trésor Robert Rubin lors du meltdown asiatique) les Etats-Unis ont ridiculisé de telles
tentatives, tout juste comme ils ont pu
constamment (à travers la Grande-Bretagne,
l'OTAN et , plus récemment, dans les
guerres d 'Afghanistan et d ' Irak) agir pour
entraver l' unification européenne.
Cette brève analyse n'a, jusqu'à pré( 18) Ce problème sem ble prendre une grande dimensi on avec le développement récen t d 'un rapide développement des échanges entre la Chine et l'I nde dont
les économies complémentaires pourraient effectivement être lts éléments cen traux de ce pôle asiatique
redo uté par les Etats -Unis .
10- tCHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
sent, rien dit de 1'autre obstac le potentiel à
la gestion de la crise capitaliste améri caine:
la classe ouvrière américaine. C'est en partie parce que, depuis 1973, le capital amér ica in a poussé à la d iminuti on du niveau
de vie de 80 % de la population américaine,
sans rencontrer beaucoup de résistance. Un
reflet de ce succès est la chute du taux de
grève, tombé presque à zéro. Mais il est
possible justement que cette attaque contre
la classe o uvrière ait attei nt un point qu'il
ne pu isse dépasser.
Les énormes pertes supportées par les
fonds mutuels (fonds de retraite ou autres)
des travai lleurs ordinaires lors de l'effondrement des marchés boursiers, la dispari tion accé lérée des retrai tes pour des millions de personnes, le coût exponentiel des
soins de santé privés, les scandales financ iers
des firmes dans les années récentes (Enron,
WorldCom, Tyco, etc.), l'écœurement
croissant devant les indemnités payées à
leurs hauts dirigeants par les entreprises
mises au pillage (ou les 139 m illions de dollars payés à Richard Grasso, ancien dirigeant du New York Stock Exchange) ont
quelque peu érodé la base populiste de
droite soutenant la po litique néo-libérale
d'austérité des trente dernières années . Les
grèves des supermarchés et des transports de
Los Angeles ont connu un mouvement de
large sympathie populaire et un soutien que
1'on n'avait pas vu depuis longtemps.
Pour ramener le salaire minimum a ux
Etats-Unis (6,50 dollars de l 'he ure) à son
pouvoir d'achat d'il y a tren te ans, i l faudrait le porter à 18 dollars ; même une offensive modérée de la classe ouvrière pour
regagner le terrain perdu dans ces trois décennies pourra it marquer la fin de l'empire
du dollar.
L. G .
septembre 2003
ses plans. Ce faisant, ils affirmaient leurs
propres buts de production contre ceux du
management et œuvrai ent pour un certain
contrôle de la production (74) . Le but de
ce sabotage n'était pas d 'avoi r moins de
trava il mais d'améliorer la qualité du
produ it.
Virtuellement, il n ' existe pas de travail
qui ne puisse être saboté. La secrétaire qui
cache son travail de sorte qu'elle seule
puisse le trouve r; la caissière qui délibérément falsifie la facture tota le, ce ne sont
que deux exemples parmi tant d ' autres que
l'on peut trouver dans les serv ices et les
emplois de bureau.
La résistance ouvrière associe souvent
le sabotage avec d'autres activ ités de
base.On a pu observer ce la à la nouvelle
usine de Cadillac Poletown à Detroit/Hamtramck - une usine automatisée modèle
qui s'avéra incapable de produire des voitures sans défaut pendant une très longue période à cause du sabotage des ouvriers . Un
autre exemple fut celui du chaos monstre à
1'aéroport de Detroit après la fusion des
compagnies Northwest et Republic Airtines, opération qui ignorai t les droits des
travailleurs et des syndicats. Fausses routes
pour les bagages, sabotage, grèves perlées
et bien d'autres choses, furent 1'apanage
du hub de Northwest pendant des mois .
Restrictions de production
Les sociologues et les psychologues indust riels ont étudié intensivement les res-
((74) Bill Watson, Couterplanning on the Shop F/oor
(Contre-planning dans l" a telier}, Bos ton, New England Press, 1971.
Ce tex te, traduit d ans !CO n• 115-1 16 (mars-avril
1972). a fait l"objet de débats passionnés au sei n du
groupe ICO , autour d"un texte critique« Contre-in·
terprétation du '"Contre-planning dans l'atelier.. >> (voir
!CO n• 11 8. juin 1972 ).
trictions de production et autres grèves perlées. Parmi le s études les plus récentes figurent les célèbres expériences Hawth orne
des années 1920 et du début des année s
1930; ces expériences et bien d 'autres sont
parvenues à la c-onclu sion qu ' uni v ersell~ ­
ment, les travailleurs tentent de réduire la
produ cti on et q u' i ls y parviennent a vec
quelque succès. Georges Friedmann en tire
d'intéressantes conclusion s :
« Les enquêteurs, en observant méthodiquement un groupe d'ouvriers, pris au
hasard, ont donc été conduits à reconnaître
que le ressort essentiel de leur organisation intérieure, spontanée, secrète, de leurs
interrelations personnelles, de leur comportement à l'intérieur de l'usine- est la
défense de leur condition économique collective: ce à quoi ils estiment contribuer
le plus efficacement - sur la base d' un
système de salaires aux pièces et de
primes - en restreignant Je rendement.
Une telle att itude implique évidemment
une solidarité entre ouvriers, par dessus les
distinctions psychologiques individuelles,
les antipathies, les appartenances à t 1ou tel
groupe ou " clique" et même, souvent, par
delà leur intérêt financier immédiat : la pratique de la restriction du rendement, la reconnaissance d'une certaine durée de travail
comme "norme de conduite" les unissent
plus ou moins consciemment dans une collectivité dépassant les différenciations intérieures et les limites d ' une entreprise,
fût-elle aussi vaste que la Western Electric. Les enquêteurs ont saisi 1' importance
intrinsèque de la restriction de rendement,
mais n'ont pas vu que là, ils se heurtaienbt
à un fait économico-social qui dépasse l'horizon de la Compagnie et rattache l' attitude des ouvriers à celle d'autres ouvriers,
dans d'autres usines, d'autres industriesECHANGES 107 · HIVER 2003·2004- 63
une pause d'une heure à une heure et
demie (72). >>
Deux éboueurs racontaient que quand ils
voulaient avoir une pause, ils conduisaient
leur camion près d'un coin de terre meuble,
se mettaient en marche arrière jusqu'à ce
que le camion s'en lise. Ce qui, ajoutaientils, leur donnait habituellement une pause
pou r le reste de 1'après- midi , le temps que
le camion sorte de l'ornière (73).
Nous possédons une série de lett res
écrites par la direction locale d'une grande
société automobile au syndicat et décrivant pas mal de tels actes supposés de sabo tage dans une période de six mois. On
y trouve:
1. 27 mars- équipe de jour à 6 h 55 un
arrêt de 15 minutes dans le département
X, un boulon est trouvé immobi lisant
la chaîne. Production perdue : 3,5 unités- Sabotage extrêmement vraisemblable.
2. Equi pe de jour - 8 h 02- 19 mi nutes
d'arrêt au Département X - des bleus
de travail bloquent la chaîne. Production perdue : 4 uni tés. Sabotage extrê·
mement vraisemblable.
3. Equip e de l'après-midi - 20h429 minutes d'arrêt au département XProducti on perdue : 9 unités. Sabotage
extrêmement vraisemblable.
4. Equipe de l'après-midi-18h04 Il minutes d'arrêt aux départements X
et Y - une plaque de métal trouvée
dans le mécanisme d'entraînement de
la chaîne. La chaîne était aussi bloquée
par des boulons et des écrous. Production perdue : I l uni tés. Sabotage extrêmement vraisemblable.
(72 ) lntervi~w. Windso r, Onlario, 20 novembe 1969.
(73) Inte rview , Windsor, Ontario, 23 novembre 1969.
62- ECHANGES 107 · HIVER 2003-2004
Ce qui est significatif dans cet exemple
n'est pas seulement le rapport détaillé des
ac tes de sabotage mais aussi le fait que le
management essayait de garder secrètes
ces plaintes adressées au président de la
section syndical e local e. Quoique les actes
de sabotage soient habituellement individuels, nous connaissons deux exemples de
sabotages de groupes organisés, qui sont
décrits par le sociologue Bill Watson alors
qu'il œuvrait dans une usin e automobile
du Michigan. Il constata que les travailleurs essayaient d'opposer leu rs
propres standards de production à ceux du
m anagement, qui exerça it une press ion
pour garder le contrôle du travail. Dans la
plupart des cas, notait Watson, cela se déroule dans les zones de production. Il en
concluait que les travailleurs mettaient en
panne une machine ou la chaîne de production pour avoir un peu de temps libre,
raccourcir leur journée de travail et fai re tom~
ber les quotas de production. Il avait trouvé
deux cas dans cette usine où des ca mpagnes avaient été organisées par les travailleurs dans 1' usine avec des engagements spécifiques pour mettre en œuvre
ce qui avait été ainsi planifi é.
Ces campagnes avaient été lancées
parce que ces travailleurs pensaient qu'ils
construisaient des moteurs de mauvaise
qualité. Dans le premier cas, ils estimaient
que les moteurs avaient été mal usinés ; la
seconde fo is, ils avaient été contraints par
le management d'utili ser des pièces défec tueuses qui avaient déjà été rejetées.
Dans ces deux cas, ils ne soudèrent pas certains points, ne posèrent pas de joints ce
qui réduisait la compression du moteur,
placèrent des mauvais bouchons ou des
bouchons inadaptés, laissèrent les boulons
non serrés, etc. Tout cela avec l' intention
de contraindre la direct ion à abandonner
EUROPE
CAPITALISME ET PLURALISME
L~ rol_e des Etats-Unis comme superpuissance s'inscrit dans la longue
htstotre des luttes entre divers capitalismes nationaux pour
l'hégémonie, et en laison avec la tentative de constitution d'une
Europe unie. Au sein de celle·ci, l'unification par le bas des conditions
d'exploitation aboutira·t·elle ~une unification des luttes ?
L
A GUERRE d'Irak a fait
surgir ou a réacdes débats sur le rôle des EtatsV ms, sur la suprématie d'un des capitalismes nationaux, sur son impérialisme .
Les affirmations idéologiques, dans un sens
ou dans l'autre, masquent- mal-les enjeux de cette domination impérialiste et les réactions qu'elle entraîne. Il importe de replacer la situation présente dans 1' évolution
historique du capitalisme et les affrontements qui ont résulté des inégalités de développement du capital dan s des cadres nationaux.
Une bonne compréhension demande le
dépas sement de la considération des circonstances, de l'actualité ou des événements
d'une mémoire d'homme, pour tenter de replacer l' ensemble de ce qui se passe sous
nos yeux dans un large cadre historique, en
le reliant particulièrement aux grands courants
historiques qui ont marqué la période dans laquelle nous vivons, celle du capitalisme.
L'histoire des trois ou quatre dern iers
siècles a toujours été marquée par des affrontements économiques et militaires entre
un capitalisme dominant (d'abord un continent puis mondialement) et un ou des capitalismes naissants, la suprématie du premier
et l'ascension du ou des deuxièmes s'ancrant
dans le cadre d'un Etat national.
Face à la dominante d'un Etat-nation catua~ isé
pitaliste (le terme« impérialisme» n'étant
apparu que récemment, il y a un peu plus
d'un siècle), les Etats-nations en développement ont toujours revendiqué la place et l'expansion d'un capitalisme national ; cela a
souvent pris le canal d'une unification, volontaire ou forcée, pouvant se faire d'abord
sous la forme de coalitions politiques et militaires contre le capitalisme dominant, plus
récemment sous la forme d'une unification
économique, politique et militaire.
Sans remonter à l'unification du royaume
de France corrélative au développement progressif du capitalisme dans ce pays, réalisée
pour une bonne part aux dépens d'un capitalisme anglais lui aussi en développement
mais déjà plus avancé, on peut remarquer
que l'affrontement premier entre ces deux
capitalismes a été essentiellement celui de
coalitions, visant du côté français à limiter la
présence anglaise en Europe et de 1'autre
côté à limiter l'expansion du capital français ; chacun cherchant à briser les coalitions formées pa l'autre. Depuis un siècle,
on parle de préférence de« zones d'i nfluence », dans lesquelles la dominante économique est primordiale alors qu'auparavant les liens apparaissaient plus politiques .
Dans les deux derniers siècles, l'ensemble
a évolué vers la conquête de territoires coloniaux sources de matières premières, de
ECHANGES 107 · HIVER 2003-2004 - 11
marchés et de positions stratégiques. Bien
qu ' ayant pris la forme de « décolonisation s », on a assisté plus récemment à un retour des affrontements antérieur s dans des
« zones d' influence>>.
La première grande tentative de sortir de
la situation d'affrontements de coalitions
(alors que les affrontements coloniaux
avaient déjà débuté mais n' avaient pas encore pris la dimension qu'ils auront au cours
du XIX' siècle) apparaît avec la révolution
française et la période napoléonienne, en
tout vingt-six années ( 1789-18 15) marquées
d'abord par le développement d'une idéolog ie mieux adaptée à ce stade du développement capitaliste (balayer les vestiges du
pouvoir féodal et de la monarch ie absolue)
et corrélativement par la première tentative
d' une unification économique et politique, partant d'une domination militaire.
La Grande-Bretagne fut ind irectement
l'agent de cette première tentative d'Europe
unifiée. On peut constater qu'à peu près à la
même époq ue, son aveuglement en quelque
sorte entraîna l'affranchissement de ses coloni es américaines- ce qui alla it donner
naissance à la puiss ance impérialiste qui,
bien pl us tard, l'assujettira à sa pol itique.On
peut dans un autre sens souligner que Napoléon, dans sa tentative d'hégémonie européenne, essaya également de contester à
1'Angleterre ses conquêtes coloniales lors
de l'expédition d ' Egypte. D' une certaine
façon, cet abaissement du capitalisme français et la poursuite de la politique de division des nations européennes (vo ir le
Congrès de Vienne de 1815) conduisirent à
la neutralité britannique affichée lors du
confl it franco-allemand de 1870 :le Second
Empire avait vu un essor du capital en France
et il n'était pas mal qu'une autre puissance
freine cet essor. Mais paradoxalement et normalement, cette guerre favorisa l' unifica12- ~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
ti on de l'Allemagne et le développement
d'un nouvel Etat capitali ste en pleine expansion.
On assiste alors, dans les quarante années qui séparent la guerre franco-allemande
de 1870- 1871 de la première guerre mondiale, à la constitution autour de l' Allemagne
d'un nouveau bloc capitaliste qui, du centre
de l' Europe, essaie des 'étendre vers les débris de l'Emp ire turc. Ce bloc- la Triplice - cherche à prendre sa place dans la
conquête colonialiste du monde, théâtre habituel des rivalités franco-anglaises .. Contre
cet expansionnisme, l'Angleterre reprend sa
vieille tactique des coalitions, entraînant
contre la tendance hégémonique du bloc germanique, la France, l'Italie, la Russie et
même le Japon .
,·
L
AGUERREDE 1914devaitmarquerl'entrée sur ~a s~ène m~ndi~le du capital
- d'un capttailsme qut avatt pu se développer hors de la zone traditionnelle des affrontements économiques et militaires antérieurs. Ce nouveau capitalisme national
-celui des Etats-Unis- s'était constitué
une sorte de chasse gardée avec les deux
cont inents américains, pratiquait un isolationnisme théorisé avec la doctrine de Monroe en 1823 mais avait pourtant, au nom de sa
protection, étendu son influence au-delà du
Pacifique, en annexant les Phi lippines, en
1898, après une guerre avec l'Espagne. Un
autre capitalisme à progression ultra-rapide,
le Japon, commençait aussi à manifester un
expansionnisme dans sa zone, aux dépens de
la Russie, de la Chine et de la Corée ; mais cela
ne débordait pas la zone asiatique et ne troublait pas alors l'ordre colonial imposé par
les puissances occidentales. La guerre de
1914 bouleversa ces données et révéla le caractère impérial iste dees Etats-Unis et du
Japon. L' intervention salvatrice dans la
mettre de travailler seulement trois jours.
Le taux d'absentéisme n' est pas constant.
li varie avec l' i ndust rie , l'âge du trava illeur et bien d ' autres facteurs . Mais il
est assez réguli er pour créer des problèmes
au management dans la planification de
la production . E n re fusant tou.t simplement d ' être dispon ible à tout moment et
en toute circonstance, les travailleurs forcent les employeurs à accroît re leurs coûts
et, plus important, rejettent l'idée qu'ils
seraient de .simples instruments de production.
Sabotage
Deux exemples de sabotage décrits dans
le bulletin mensuel de la Canadian Bank
étaient des cas d' actes indi viduels de colère de travailleurs frustrés et hostiles. Ils
étaient dus à des travailleurs réagissant
contre un système qui ne leur permettait
pas de faire« ce qu ' ils désiraient le plus,
comme plus de cent études l'ont montré au
cours des vingt demi ères années, d' être les
maîtres de leur env ironnement immédiat
et de ressentir que leur trava il et eu xmêmes étaient importants -les deux composants de l'estime de soi (71) ».
ET CE SERA PIRE SI
TU TE FAIS CHOPER
EN TRAIN DE BOUFFER 1
Les deux exemples cités par la banque
étaient ceux. d'un travailleur de l'automobiie qui avait rayé tout du long la carrosserie d'une voiture et celle d ' un travailleur
d'une usine d ' al iments pour an imaux de
compagnie qui avait gâché la production
de toute une journée en déversant de la teinture verte dans un réservoir de stockage.
On peut trouver bien des exemples de ce
type de comportement.
Une autre forme de sabotage ne dérive
pas de la frustration et de l'hostilité ; c'est
tout simplement que les travai lleurs veulent prendre une pause dans leur travail.
Ils peuvent alors j eter un objet dans le dispositif d'entraînement de la chaîne ou faire
tourner leu r machine à une telle vitesse
qu'un des éléments se brise, gagnant ainsi
un quart d'heure ou une demi-heure de
repos . Un travailleur d'une usine de plastiques racontait :
« Nous stockions les pièces sur Je
côté, de sorte que lorsque la machine
tombait en panne nous pouvions avoi r
(7 1) Mon thly Bulletin. Bank Canadian National, Montréal, 5 j anvier 1974, 2.
RELAX; PERSONNE NE REGARDE.
ET ALORS, J'ME TUE
A LA TACHE POUR
CETIE MAIGRE
PITANCE 1
~CHANGES 107 ·HIVER 2003 ·2004 - 61
nous 1'avons achetée (la fourgonnette),
alo rs même qu'i ls l 'ut il isent pour a ll er se
balad er . >>
Le travail de cette société consistait à nettoyer les vitres et les murs et à entretenir
les meubles et les p lancher s. Trè s peu d e
can didats fi nissaient le urs deux j our s de
formation. Au cours des cinq années de son
existence, la société avait co nnu un turnover constant. De 75 à 10 0 personnes y
ava ient transité . Culpepper admettait
q u'elle pouvait avoir contraint lestrava ille urs à trav a iller p lutô t durem ent
« Nous assurions le nettoy age à la mode
ancienne. Maman( ... ) ne bal ayait pas sous
le tapis, ne déplaçait pas le li t et n'essuyait
pas la poussière (69). »
Andrew Levison racontait qu' un des
emp lo is q u'il avait occupé dans u ne fosse
d ' entretien connaissait un turnover permanent. B ie n des hommes n'y restaient
guère p lus d'une semaine.
« Il y avait un compagnon plus âgé, un
homme fort d'environ trente ans, qui vint un
j our et commença de travailler. Le matin
suivant, vers 10 heures, quand chacun commençait à s' énerver et à lorgner vers le déj euner, le gars en question soudainement
jeta son marteau et déclara à haute voix,
d'une façon bien réfléchie, " Vous savez,
j' en ai marre de cette merde." Et il se retourna et sortit.
Le contremaître arriva pour demander
ce qui était arrivé et sortit pour rattraper le
gars. Mais avan t de partir, il s' arrêta et dit
à un jeune près de moi de faire de telle sorte
que chacun puisse continuer à travailler.
69) Betty de Ramus, « A Small Maintenance Company's Owners'Problems wi th Labor Turnover>> (Les
probl èmes des dirigeants d'une petite société d'entret ien a vec'Ie turnover} , Detroit News . 2 1 septembre
19 89 .
60- ECHANGES 107 · HIVER 2003-2004
Lej eune le dévisagea pendant un moment,
sourit et dit "Vous savez, j'en ai marre de
cette merde."
Tous les autres devinrent alors plus ou
moins hystériques et le contremaître nous
regarda comme si le monde entier était devenu fou. Il finit pourtant par trouver
quelqu ' un d'autre pour occuper le poste
abandonné et le travail ne fut pas stoppé.
Le lendemain, après avoir acheté un
hamburger à la bout ique ambulante, je
m' assis sur un bidon pour manger. Dans
une petite usine comme celle-là, nous
n' avions pas de réfec toire et encore moins
des tables et des chaises. Je regardais le soleil en pensant qu'i l faisait vraiment beau
aujourd' hui.
Le sifflet retentit et chacun s'achemina
pour reprendre le travail. Je regardai le
jeune près de moi et je pouvais voir que
nous avions tous deux la même idée. Nous
nous précipitâmes vers nos voitures et nous
partîmes à toute vitesse. C'était un sentiment subit, le même lorsque nous faisions
des paris à l'école, seulement plus fort. Je
devais avoir une drôle de gueule parce que
j'étais couvert d' huile de la tête aux pieds,
mais à ce moment j'avais trop de plaisir
pour m' en soucier. (70) »
Absentéisme
L'absentéisme inquiète les managers
et les leaders syndicaux tout autant que le
turnover . Une his toire classique sur les
attitudes ouvrières a été formulée par un
jeune travailleur de Lordstown (General
Motors) à qui l'o n demandait pourquoi il
ne travaill ait que quatre jours par semaine,
et qui répondit qu ' il ne pouvait pas se per(70) Andrew Levison, The Working Class Majority
(La majorité ouvrière) (New York Coward, Mc Cann,
et Geogbegan, 1974), pp. 67-68.
guerre notamment des Etats-Unis imposait
la présence d'un nou veau capitalisme qui ,
apparemment, n'était plus antagonique mais
allié. D'une certaine façon, la faiblesse des capitalismes européens exsangues allai t permettre l'essor d'une nouvelle dynamique capitaliste dans la Russ ie soviétique et
permettre au capitalisme japonais de continuer
son expansion, cette fo is aux dépens de la
Chine.
Le remodelage de 1'Europe par le traité
de Versailles en un grand nombre de petits
Etats ou de fédérations d ' Etats semblait créer
une zone sous le contrôle des capitalismes
occidentaux en isolant le capitalisme allemand. Ce remodelage n'atteignit guère ses objectifs : en l'espace d'à peine une quinzaine
d ' années , l ' Allemagne nazie reprenait le
flambeau de l'uni fica tion de l' Europe avec
le vi eux rêve pangermaniq ue, face à une alliance des cap italismes d ominée par les
Etats-Unis. L'alliance de l'Allemagne avec
l'Italie et le Japon, puis avec l'URSS étaient
autant de tentatives de formation d'une ou
plu sieurs ent ité s capables d ' affronter le
« bloc occidental », au sein duquel les EtatsUnis prenaient de plus en plus une place prééminente. Un nouveau partage du monde po-
li ti que, militaire, et économiqu e parai ssait s'esquisser entre l'Europe,
l'URSS eurasienne, le Japon dominant tout le Sud-Est asiati que y compris la Chine, et les Etats-Unis cantonnés aux Amériques.
On p eut bien sûr épiloguer sur
la fragilité et l 'échec de ces tentati ves, mai s leurs caractéristiqu es
communes était l'avènement et la
consolidation dans ces pays en développement capitaliste d e forces
suffisamment puissantes pour entrer
en concurrence avec des blocs économiques plus puissants. On peut observer que ces tentatives se faisaient presque
toujours par le canal de dictatures capables
de dominer un prolétariat et une population
chargés d'assumer soit les termes d'une
concurrence impitoyable, soit les termes de
l'accumulation primitive.
A SECONDE GUERRE MONDIALE de vait,
une nouvelle fois , sonner le glas de
cette convergence capital iste contre
la puissance dominante- qui, de plus en
plus était celle des Etats-Unis. L'anci en impérialisme hégémonique, celui de la GrandeBretagne et de ce qui était devenu son al liée fidèle - la France - devait en effet
s'effacer devant les Etats-Unis . Sou s leur
égide, une nouvelle« alliance », 1'Alliance
atlantique, prenait en quelque sor te Je
relais de la domination et des intérêts impériali stes britanniques. Les deux guerres
mondiales avaient sonné le glas de la doctrine isolationniste, qui s'est développée en
un nouvel impérialisme économique et
militaire .
Le seul obstacle à cet impérialisme paraissait être, à l'issue de la dernière guerre mondiale, l'Union soviétique, bien qu'ell e ne fût
économiquement pas en mesure de concurECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004.-13
rencer la puissance américaine, encore moins
celle du bloc économique constitué par l'Alliance atlantique. A la faveur de la défaite
du Japon et des affrontements Etats-Un isURSS , un nouveau candidat au« cercle des
grands »,la Chine, se manifestait, de même
que d ' autres outsiders comme l'Inde ou le
Brési l. Alors que la décolonisation , si elle
modifiait la carte géographique, faisait reprendre les luttes d'influence comme on
avait pu les connaître dans le passé ... Les
nouvelles puissances en formation ne pouvaient
pourtant pas, vu leur retard de développement, concurrencer sérieusement, pour le
moment, l'impérialism e américai n, même
si elles pouvaient profiter de la guerre froide
entre les Etats-Unis et l'URSS pour accélérer leur développement . Dans ces Etats,
comme auparavant dans le développement
des autres puissances capitali stes dans les
cadres nationaux, la phase d 'accumulation
primiti ve s'accompagnait de la nécessité de
garder main-forte sur le prolétariat par d'impitoyables dictatures.
Le conflit Etats-Unis-URS S, essentiellement m ili tai re autour d 'une diplomatie
stratégique, masquait la montée rapide
d'économies capitalistes capables de concurrencer la puissance économique américaine
(alors même paradoxalement que ces pays
étaient dominés militairement et devaient
supporter la présence sur leur sol de forces
d' oc cupat ion), l'Europe d 'une part, l'Extrême-Orient d l'autre autour du Japon. Les
règlements terri toriaux après la seconde
guerre mondiale se firent entre l'impérialisme américain et l'URSS. Ce que certains
baptisaient alors« conflits entre impériali smes » masquait la montée économique
(encouragée par les Etats-Unis mais devenant rapidement concurrentes) des nations
ou groupes de nations supposés sous tutelle
américaine.
14- ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
Pour nous cantonner à l' Europe, le partage de l'Europe en zones d'influence partait,
tant povr l'URSS que pour les Etats-Unis,
du souci d'empêcher la naissance d'une entité économique capable de contester leur
domination économique. La cro is ade
«guerre froide» et les organisations politiques et militaires supposées contrebalancer
la puissance soviétique n ' étaient finalement
que la façade idéologique de cette hégémonie impérialiste. On peut observer que le partage de Yalta conférait à l'URSS le même
rôle dans ce qui allait devenir l'Europe de
l'Est, maintenant avec des organismes parallèles les divisions entre Etats soumis économiquement et militairement.
U
(Chris Lapu) pouvait écrire dans le Financial Times
(le 13 août 2003) : (( c· est une donnée
bien connue que l'OTAN fut créée pour garder la Russie en dehors, les Allemands en
dessous et les Américains dedans. »Il ajoutait qu ' il« serait plus proche de la vérité de
dire que l' Alliance atlantique fut créée pour
maintenir les Européens divisés» (ce qui
n'était pas évident en 1950 mais J'est deplus
en plus aujourd'hui). Quand, en 1945, les
Etats-Unis ont aidé la reconstruction de l' Europe occidentale (plan Marshall), ils ont en
même temps tout fait, en connaissance de
cause, pour prévenir la formation d'une entité économique et géopolitique européenne,
de peur qu'elle ne devienne un rival potentiel
des Etats-Uni s. Le secrétaire d'Etat Dean
Acheson déclarait alors que les Américains
souhaitaient prévenir la format ion en Europe
de l' Ouest d'une troisième force ou d'une
force d'opposition. S'i ls ont pu paraître soutenir à certains moment 1'intégration européenne, ce fut toujours pour affirmer qu'ell e
devait se faire dans un cadre politique dominé par les Etats-Unis, sous 1'étiquette de la
N COMMENTATEUR
souvent on ne comprend pas, c ' est qu'il
s'agit là d'une forme élémentaire de résistance au travail. Les porte-parole du management et les leaders syndicaux en sont
bien conscients et cela est reflét é par leurs
sérieuses préoccupations concernant le turnover au tràva il. Un rapport du Secrétariat
américain à la Santé, à l'Education et aux
Problèmes sociaux a classé le taux croissant de turnove r au même titre que l' ab s entéisme et le sabotage comme un d es
« signes les plus néfastes» dans le changement des attitudes envers le travail (68).
C'est simplement le reflet de cette réalité
socia le que lestra vaille urs ne sont pas supposés être des citoyens libres ; ils sont supposés se rendre toujours disponibles pour
le urs employeu rs. Dans ce con t exte, se
comporter en citoyen libre est une forme
de résistan ce.
Le turnover dans le travai l a toujours
été un pro blème important pour les managers et est vu par les psychologues industriels comme un symptome des problèmes
(68) Work in America : Report of a Special Task Fo rce
to the Secretary ofHealth, Educat ion and Wei fare (Le
travail aux Etats-Un is: Rapport d 'une équ ipe spéciale
au Secrétaire pour la San té, l ' Educati on et le Welfare)
(Cambridge, Mass . MIT Press, 1972), p. Il.
latents sur le lieu de travail. Une des premières fo is que le célèbre psychologue industriel Elton Mayo fut appelé pour aider
une industrie ce fut, dans les années 1920 ,
pour régler un problème de turnover dans
une us ine textile . Même auparavant, un e
des premières tentatives pour régler le turnover au travail fut l'int roduct ion par
Henry Ford de la journée à cinq dollars.
Son but, et ill' atteignit, était de réduire le
turnover et cela donna à Ford un e avance
considérable dans la concurrence avec les
autres sociétés automobil es .
Le taux de turnover à un moment donné
est influencé par nom bre de facteurs. Parmi
eux , le nombre d'emplois disponibles serait probablement le plus important, déterminant la possibilité pour un travailleur
de changer de travail. Le Detroit News du
2 1 septembre 1989 évoquait une petite société d'entretien ; tous les travailleurs s' en
allèrent quand l ' entreprise acheta une
deuxième fourgonnette . Margaret Culpepper, présidente de la société, se demandait pourquoi il était si diffic ile de
trouver des gens pour accepter de travailler
à 5 dollars de l'heure sans assur ance-maladie . « Ils pensent qu ' on s'enrichit sur
leur dos . Ils se préoccupent du fait que
ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 59
THÉORIE
TRAVAILLER POUR LA PAIE
4: LA GUERRE DANS LE TRAVAIL
Suite de l'ouvrage de Martin Glaberman et Seymour Faber*
L
de (a technologie moderne et des prat iques du management ont pour but de contrôler ou
d'éliminer les travai ll eurs. Qu'une machine
réduise le temps de trava il ou qu'elle réduise la liberté de choix du trava il leur dans
sa tâche, que les pratiques du management
posent des limites autoritaires pour letravailleur ou qu'elles cherchent à éliminer la
qual ification ou l'habileté des travailleurs,
tout cela s'ajoute à une totalité dont la finalité
est de discipliner les travailleurs, de les
amener à se discipliner eux-mêmes et d' accroître la productivité ouvrière.
Depuis les tout débuts du capitalisme
industriel, les tr ava illeurs on t résisté au
contrôle du management et du machinisme.
Notre but, dans ce chapi tre et dans le suivant, est de montrer les différentes formes
de l'a ctivité ouvri ère dép loyée pour déroger aux structures et aux prati ques de
contrôle par le management
Un jeune travailleur de l'automobile,
en fin observateur, décrit comme suit son expérience au travail :«Personne n'a besoin
de me dire qu'une guerre se déroule dans
l'ate lier. Mais quant à savoir exactement
comment elle est menée, quels sont ses buts
et ses fo rmes de lutte, on doit reconnaître
La réal ité du trava il est plus complexe
que n'importe quel mot simple pouvant
1'englober. La plupart des travailleurs n' aiment pas travailler dans cette société. Une
des manières de résister à un travail est tout
simplement de le quitter. Cel a peut se faire
en ess ayant en même temps de quitter la
classe ouvrière en se lançant dans une petite affaire comme une station-service ou
un bistrot. Cela peut aussi se faire en quittant un travail pour un autre. Ou (ce qui est
de plus en plus fréquent chez les jeunes travailleurs) en quittant son emploi dès qu' on
a mis de côté suffisamment d'argent et de
ne pas travai ller tant qu'on peut tenir avec
ces économies. Ou encore en se retranchant
complètement du marché du travai l et en
vivant marginalement.
Le fait que les travailleurs quittent leur
emploi n'est, bien sûr, pas inconnu. Ce que
• Voir Echanges n" 102 (chap . 1 : «Qu'est-ce que la
classe ouvric!te? »), 103 (chap. 2: <<Une histoire de la
lu lle » ), 104 et 106 (chap. 3 : << La vie au travail ») .
(67) Ron Bax ter et al., Out of the Driver 's Seat (Hors
du siège du conducteur) (Windsor, Ontario, Mile One
Publication s, 1974), p. 31.
A PLUS GRANDE PARTIE
58 -~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
qu'elles sont si subtiles que je me suis battu
pendant un bon bout de temps avant d'être
vraiment conscient de ce contre quoi je me
battais (67). »Nous pouvons discuter des
di ffé rentes formes de lutte en décrivant
comment elles s'expriment dans l'usine et
dans la société.
Le turnover au travail
Communauté at lantique, association d'Etats
distincts, en aucun cas sous celle d'une fusion unitaire.
Dans la mesure où s'est développée, dans
une inexorable logique économique, une entité économique puis politique qui entend se
doter progressivement de tous les instruments d'un Etat supra-européen, notamment
une capacité militaire indépendante de
1'OTAN, les Etats-Unis font tout ce qu'ils
peuvent pour entraver, voire faire dérailler,
la format ion de ce qu'ils auraient voulu éviter à tout prix il y a cinquante ans, notamment en reprenant la vieille antienne« diviser pour régner ».
Lorsque de Ga ulle inaugure sa politique
nucléaire, il cherche déjà à bâtir un pôle Europe de l' Ouest autour d 'un axe franco-allemand. Les Etats-Unis, par la voix de Kennedy, étaient parfaitement conscients du
danger d'une telle coalition pour l'impérialisme américain : « Si la France et d' autres
puissances européennes se dotent d'une capacit é nucléaire, ils seront dans la position
d' être entièrement indépendants et nous pouvons être rejetés à l'extérieur, en simples
specta teurs. »
JI serait fas ti dieux d 'énumérer 1es batailles aussi secrètes que récu rrentes sur des
faits en apparence relativement anodins, circonstanciés et éphémères qui jalonnent ces
affrontements. Mis dans une perspective historique, ils prennent tout leur sens, surtout à
la lumière des événements beaucoup plus
précis et révélateurs de la période récente.
L
A GUERRE D'IRAK semble avoir
convaincu la plus grande partie des
'Etats européens de parfai re les fondamentaux de l'économie capitaliste et de 1'exploitation du travail (la libre circulation des
marchandises et de la force de travail) dans
une entité européenne en les traduisant en
termes de pouvoir politique (la constitution
européenne et un véritable gouvernement européen central) et militaire- instrument
d'une politique intérieure et extérieure. C'est
ainsi que 1'Europe se dote par différents canaux de mesures convergentes bien que paraissant souvent parcellaires, controversées
et freinées (on peut y voir souvent la main
des Etats-Unis soit directement, soit par
d'autres Etats européens interposés} , qui apparaissent comme autant d'éléments d'un
puzzle. Se dessine ainsi, avec le temps, un
super-Etat capable d'affirmer sa force et son
influence face à l'impérialisme américain.
On peut en voir les différents éléments dans
la course aux matières premières essentielles
comme le pétrole et dans la constitution d'alli ances vers, de nouveau, un monde multipolaire (un vocabulaire apparu récemment
dans le discours politique).Un monde différent sans aucun doute du monde d'il y a cinquante ans, mais pas si différent de ce que
l'on a pu voir au cours des deux ou trois
siècles du développement capitaliste mondial, par exemple de celui qui prévalait en
1939.
La mise en place prog ressive des éléments du puzzle, qui finalement constitueront
une puissance capitaliste européenne, s'accompagne d'un mouvement parallèle pour
la formation d'une idéologie nationaliste européenne, d'un patriotisme européen. Dans
la même perspective historique, on peut se demander si l'anti -américanisme développé
dans le cadre de la guerre froide par les partis communistes européens (lesquels s'accommodaient fort bien des mesures gaullistes d'indépendance nationale servant les
intérêts russes), ne traduisaient pas déjà un
développement idéologique lié notamment à
1'indépendance nucléaire (le civil travaillant
pour le militaire). Une même confusion paraît se développer aujourd'hui autour de
~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004 -15
1'anti-mondialisme, 1'ant i-g lobalisation,
vo ire l'an ticapi ta lisme en passant par la
« mal bouffe » symbolisée par 1'entreprise
américaine Mac Donald. Le capitalisme est
bien aisément identifié à 1'impérialisme étatsu ni en ; ces « anti >> prennent le relais de
1'anti-américanism e d'autrefois, masquant
plus ou moins le développement de ce patriotisme européen. La confusion politique s'accroît encore plus lorsque des acteurs po litiques (souvent les mêmes) entendent
préserver 1es « valeurs » et les intérêts des
capital ismes nationaux : leur débat se situe
inévitablement au niveau européen; dans ce
super-Etat dont ils critiquent les formes et
non les fondamentaux en essayant d'y instiller
précisément ce même patriotisme national,
en le plaçant sur le plan idéologique et politique
européen global.
L
Ja seule qui nous
intéresse, qui est et reste essentielle,
est ce que devient la lutte de classe dans
ces tendances histo riques, ces décompositions et recompositions des entités nationales
ou internationales capitalistes. Partis et syndicats, notamment les partis qui jouaient la carte
de la représentation des intérê ts des travailleurs ou les syndicats qui tous œuvraient
pour la gestion de la force de travail sous le
cap ital, ont suivi ce mouvement de construction économique et politique européenne en
se fédé rant dans des organisations supranationales. Elles joueront au niveau européen le
même rôle que celui qu' ils jouaient dans un
cadre national. Il sont souvent pris dans la
contradiction de la défense d'intérêts nationaux (leur place dépendant de leur fonction
dans un cadre national) et la participation à
des instances européennes car c'est là, de
plus en plus,que se joue dorénavant les relations qui tissent les conditions d'exploitation du t~avail. Même« souverainistes »et
A QUESTION CENTRALE,
16- ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
s'opposant aux interférences des décisions
politiques européennes sur les statuts nationaux. ils ne peuvent faire autrement que participer de cette « européanisation »,car leur
fonction fondamentale d'intermédiaire sur
le marché du travail le leur impose.
Une confusion identique règne dans les
organisations politiques ou syndicales qui
se veulent plus radicales ou « ré volutionnaires »(encore plus dans celles qui tentaient de s'imposer comme interlocuteurs
radicaux dans le cadre national). Il ne
manque pas de « progressistes »pour considérer que 1'unification de 1'Europe constitue un dépassement des particularismes nationaux et des fragmentations qu'ils
apportent dans la lutte de classe.
Après tout, ils ne font que reprendre la
vieille argumentation qui pouvait voir un
«progrès» dans la formation d'Etats nationaux dans les luttes d'indépendance contre
les puissances coloniales, comme si ce changement de structure pol iti que pouvait signifier une transformation fondamentale
dans le régime capitaliste basé sur 1'exploi-
NOUS NOUS SOMMES MIS
D'ACCORD POUR ECOUTER
fT DISCUTER DE TOUTES
VOS REVENDICATIONS.
ti on di sparaissan t de fait. Chacun de son
côté faisait ce qu'il avait envie de faire ...
sans revendiquer l'héritage : les ex-FA au
travers du bulletin Guerre de classe et les
ex-majorité du PIC avec L'Insécurité sociale.
L'après «Jeune Taupe »
Par la suite, l' évolut ion deL 'Insécu rité sociale conduira à sa tra nsformation
en Interrogations. Ces différents changements de nom correspondaient à chaque
fois à des remises en cause de pos iti ons
passées qu' il est diffici le de résumer en
quelques phrases. Ceci nous conduisait
entre autres à nous rapprocher des
groupes/publications du continent améri cain comme The Fifth Estate, Anarchy,
Demolition Derby ... (cf. la publication en
français de textes de Fredy Perlman, Bob
Black, Ferai Faun ... ). A partir d'Interrogations, les textes sont signés individuellement, ce qu i sous-tend que le groupe ne
s'octroie pas de rôles ou tâc hes« historiques >>.A la fin des années 1980, la composition du groupe était stabilisée et son
ac ti vi té (essentiellement de pub! ication)
allait se restreignant. Les échanges avec
des compagnons extérieurs au groupe au
travers de discussions, collabo rations autour de traductions (échanges riches dans
les années précédentes) ... avaient quasiment disparu . En 1991 (de mémoire) pens an t qu'un fonctionnement de groupe
(c'est-à-dire le fait de se voir de façon hebdomadaire) ne recouvrait plus rien, je proposais d'arrêter .
Après la fin d'Interrogations, le Point
d'Interrogations a contin ué à pub! ier des
textes sans que ceci ne soit sous-tendu par
une activité de groupe . Certain~ textes qui
ne portent pas de signature déjà rencontrées dans la publi cation précédente provenaient de j eunes copains issus du « mi lieu alternatif>>. Le dern ier numéro date
de 1996.
Hème
août2003
Comme nous l'avons indiqué précédemment et répété au début de ce texte,
nous ne poursuivrons pas dans les colonnes d'Echanges une polémique dont
nous laissons le jugement à ceux qui croiraient devoir accorder un intérêt à ce qui
est publié ici ou là (par exemple dans Le Prolétariat universel n° 82), polémique à laquelle nous refusons absolument de nous associer quitte à exciter encore plus l 'ire de
ces contempteurs patentés . Nous transmettrons seulement sans commentaires aux
intervenants dans ce « débat» (?) toute
requête de documents ou renseignements
émanant des lecteurs d'Echanges . Ajoutons que, parmi ces documents figurent les
courrielss échangés en cette occasion, et
dont nous adresserons copie sur demande.
Cette illustration et les suivantes sont
d'adresse), traduction de • Breaking
ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 57
années 1970 (de mémoire), ses membres
se retrouvant dans des groupes/publications comme Le Mouvement communiste.
P. G. a repr is bien plus tard ce sigle
pour ses activités d 'éditeur . C'est un secret de polichinelle de constater qu'il fut à
J' origine de« l'affaire» en question, mais
de là à dire que des groupes gravitaient autour ... il y a un monde. Cela dit, la ressemblance des sigles (Jeune et Vieille
Taupe) permit par la suite une série
d'amalgames de plus ou moins bonne foi (orchestrés en particulier par les gauchistes
qui nous avaient depuis longtemps dans le
collimateur, à J'exception de Lutte ouvrière qui devait se rappeler qu'il n'y avait
pas si longtemps que les militants du
groupe Barta étaient pourchassés comme
« hitléro-trotskistes »). Quant à 1' abandon
«sur la pointe des pieds » que tu signales,
il n'y avait pas Je choix dans 1'atmosphère
d'alors.
Tendances et scission
Le lien que tu fais entre la période précédente (qui ne constitue qu'une petite partie de 1'existence et de 1' ac ti vi té du PIC) et
1'éclatement du groupe me paraît fondé.
En fait, il serait p lus juste de dire que tout
ceci avait le même fondement: une fuite devant la réalité de la situation conduisant à
un vo lon~risme idéologique. Il n'y avait
que deux solutions : fuir encore plus vite ou
56- tCHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
« se poser » et remettre une part de notre
passé en cause. Ces deux tendances sont
bien définies dans la l ettre d'Echanges.
Par contre, la façon dont ceci s'est passé est
légèrement différente. Lors de la réu n ion
nationale du groupe, la tendance« volontaire » mi t ses posit ions et propositions
aux voix. Celles-ci s'avérant minoritaires,
il s quittèrent le groupe (cf. Volonté communiste). En fait, numériquement, il n'y
avait pas grand chose de changé, d'autres
copains ayant adhéré durant la même réunion (particulièrement le groupe de Nanterre de la Fédération anarchiste qui comprenait alors deux personnes). Nous avons
donc continué le PIC et la publication de
Jeune Taupe dans une ambiance plus détendue. Contrairement à ce qui est dit dans
Echanges, Jeune Taupe a donc cont inué
sa parution (sans changement de périodicité jusqu'au numéro 88) après son numéro
86. Les informations utilisées proviennent
d'ailleurs probablement d'un supplément
au numéro 86, paru postérieurement.
Cela dit, no us av ions conscience que
sur le fond nous étions, bien que majoritaires, beaucoup moins « dans la c ontinuité »que les minoritaires scissionnistes.
Au bout de quelque temps, il s'est avéré
qu' entre les copains déjà au PIC avant la
scission et ceux qui venaient de la FA, il n'y
avait pas vraiment concordance de vue, ni
dés ir de continuer ensemble . Nous
n'avions par contre aucune envie de recommencer à nouveau tout le cirque des
confrontations de positions, mise à voix
de motions ... Considérant que nous avions
décidé ensemble de nous lancer dans cette
dernière étape du PIC/Jeune Taupe et qu'il
n 'y avait donc pas de légitimité pour que certains continuent alors que d'autres s'en
trouvent écartés, nous décidions de nous
« quitter bons amis », groupe et publica-
tation du travail et l'extraction de la plusvalue par le capital.
Il est rien moins que sûr que cette« unification» européenne, comme toutes les
autres unifications ou« indépendances »nationales, favo rise une quelconque poussée
d'internationalisme ou une unification des
luttes, tout au moins dans l'immédiat. L'Europe nouvel Etat est et restera une Europe
capi taliste. Ellen' a été conçùe qu'en fonction d'intérêts capitalistes pour créer un marché à la mesure du développement du capi talisme européen, et celui-ci voit dans cette
unification non seulement un marché unique
protégé, mais aussi un marché du travail
avantageux, dans lequel les conditions d' exploitation seront unifiées sur celles prévalant dans les pays les moins évolués intégrés
dans 1'Union européenne. Cette Union européenne ne restera pas pourtant à 1' abri des
tentatives américaines de l'empêcher de devenir une force capable de la contester. Cela
présage le surgissement à plus ou moins
longue échéance de nouvelles alliances, de
nouveaux conflits.
DES QUE VOUS AUREZ REPRIS
LE TRAVAIL, NOUS POURRONS
ENTAMER LES NEGOCIATIONS
AVEC MR JONES, VOTRE
REPRESENTANT SYNDICAL
Le prolétariat européen, passée la période où, comme nous venons de le dire, on
opposera les plu s exploités aux autres, se
trouvera acculé, soit à défendre le capi talisme exploiteur menacé dans son existence
soit à s ' unir pour combattre cet exploiteur.
L'unification par le bas des conditions d'exploitation exigée par la concurrence capitaliste peut aboutir à cette unification des
luttes . On peut penser, que, malgré la confusion extrême des manifestations et actions
diverses qui accompagne la montée en puissance de l'Union européenne, les résistances
qu'elles expriment portent aussi ce sens
d'une montée européenne de la lutte de
classe et, finalement, d'une contestation plus
globale du capital. Cette contestation peut
prendre ultérieurement des canaux bien différents de ceux que 1' on voit se développer
actuellement, échappant aux formes classiques de la répression sociale qui elle aussi
se constitue à l'échelle européenne.
H. S.
novembre 2003
PAS QUESTION 1RETOURNEZ
A VOTRE TELEPHONE ET
DITES A lA DIRECTION
D'ALLER S'FAIRE VOIR 1
ON PARTIRA PAS D'ICI TANT
QU'ON AURA PAS C'QU'ON
DEMANDE 1
extraites des« Aventures de Tintin. Vive la rdvolution », publide par Attack (pas
Free » (Attack International, Po Box BM 6577, London WC1N 3XX, 1996).
tCHANGES 107 ·HIVER 2003·2004 -17
ROYAUME-UNI
SÉRIE DE GRÈVES SAUVAGES
DANS LES POSTES
« Les grèves sauvages reviennent avec fracas» : c'est Je titre
d'un article du « Financial Times » commentant une st!rie de
mouvements incontr6Ms qui ont éclaté entre septembre et novembre
L
ES GREVES sauvages reviennent
avec_fr~cas» : ce titre n'est pas
cel u1 d une quelconque feuil le
gauch iste en mal d'événement, mais provient du res pectable quotidien britann ique
du capital, The Financial Times, du 6 novemb re. Un tel titre montre d'une part que
le cap it al britannique est hanté par l'ère
d'avant Thatcher et d'autre part l' ignorance
(feinte?) d'une si tuat ion latente depuis des
années mais qui n'a pas encore enfanté
d'affrontements directs globaux dignes
d'avoir les honneurs médiatiques.
Avant de parler en détail de la grève
des postes qui, après celle du personnel au
sol d'Heathrow ( 1), a fait ainsi irruption
dans le quotidien des dirigeants, nous pensons qu'il est nécessaire, pour la compréhension de cet épisode de la lutte de classe
dans le Royaume-Uni, de remonter à plus de
cinquante ans en arrière, dans l'i mmédiat
après-guerre. Comme partout, ce sont les
circonstances historiques qui modèlent le
contenu et les formes des luttes d'aujourd'hui.
((
*
( 1) Heathrow : voir le récit de cette grève sauvage aux
services a~ sol de British Airways dans cet aéroport
londonien dans Echanges n• 106, p. 3.
18- ~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
Au lendemain de la dern ière guerre
mondiale, au Royaume-Uni comme
ailleurs, le cap ital parut répondre aux aspirations des travailleurs, contribuant en
fait au sauvetage du système capitaliste et
impérialiste. Une série de mesures furent
prises, destinées à la fois à prévenir tout
mouvement social de grande ampleur en
créant l'illusion d'un monde meilleur· ce
faisant le capit al assurait la préservat,ion
et la restauration de sa domination dans un
cadre national.
Pour 1' impérialisme britannique, puissamment relayé par l'impérialisme américain, cela se fit en laissant les réformistes
sociaux-démocrates du Labour Party (parti
travailliste) mettre en œuvre tout un cocktail d e mesures prése nt ées comme la
« marche vers Je social isme» . D'un côté,
le« Wei fare)) (système de protection sociale)
installait une certaine sécurité pour lestravailleurs, assurant en réalité pour le capital les nécessités de la reproduc tion de la
force de travail. D'un aut re côté, les nationalisations, entretenant l'illusion que la
propriété de l'Etat était la propriété des travailleurs, ne fais aient que préserver les industries nationales contre les prédateurs
de l'internationale capitaliste - tout en
projetant de les rationaliser et de les moderniser. Ceci étai t d'autant plus néces-
Parmi les facteurs importants de cette
période, j e pense qu' il faut prendre en
compte une certaine tendance unitaire au sein
de l'ultra-gauche dans un sens très large
(et qu i était somme toute plutôt sympath iq ue en face de courants fonctio nnant
sur la po lémique et l'insulte). Si les
groupes constitués étaient pl utôt stagnants
(compte tenu en part icul ier du contexte social) des pans entiers du gauchisme influencés par ces groupes s'en étaient séparés, souvent sur des po si ti ons peu
stabilisés. D'autre part, une partie des courants anarchistes (OCL .. .) s'étaient également rapprochés de l'ultra-gauche (entre
autres sur la critique des syndicats). Tout
ceci avait amené à la constitution d'un milieu plus ou moins flou, don t on peut voir
une illustration dans les journées organisées
dans la même période par le Cojra (Collec tif pour l'organisation de journées de
réflexions antiautoritaires ... de mémoi re)
et qui réunissait un nombre conséquent de
participants (dont le PIC) . Ce climat était
propice d'une part au tissage de liens de
copinage au-delà des groupes constitués
et d'autre part à un désir de « faire des
choses ensemble )). Cela était encore une fois
sym pathique (surtout dans un milieu composé pour une bonne part d'individus
jeunes), mais pouvait concourir à un fléchissement de l'esprit critique face à ces propositions provenant des composantes de
ce milieu, pour ne pas parler de suivisme.
Dans J'espèce de fui te en avant qui
about ira à l' écl atement du PIC (cf. infra),
le risque était réel d'oublier pourquoi nous
nous intéressions aux analyses hétérodoxes
de la deuxième guerre mondiale (critique
parallèle des idé ologies fasciste et antifasciste) et de tomber dans une défense en
soi d'une vérité historique alternative (qui
plus est relayée par les médias). Je ne me
souviens plus qui (la revue Négation ?)
avait al ors parlé de tempête dans un verre
d'eau de Vichy. Il s'agissait sur le fond
plus d'un symptôme que d' un ch angemen t
de terrain ou d'orientation comme le laisse
supposer le sous-titre d'Echanges. Tout
ceci n'a occupé au total que quel ques pages
de trois numéros de Jeune Taupe sur 38.
Et encore s'agit-i l pour l'essent iel de la
reproduction de documents dont le PIC
n'était pas J'auteur (y compris les tracts
cosignés par le PIC). A postéri ori, je pense
que nous étions bien loin d'une quelconque
théorisat ion et a fortiori de la structuration d'une idéologie (ce qui se produira
effe ctivement.. . ma is plus t ard et sans
no us).
Au passage, le PIC n'a jamais appartenu aux cc groupes ultra- gauches gravitant autour de la Vieille Taupe>) (c'est-àdire en fait de Pierre Guillaume en tant
qu'éditeur), si tant est qu'aucun groupe
d'a lors puisse êt re défini de la sorte.
D' ailleurs ceci risq ue d'entretenir une
confusion auprès des jeunes copains avec
la librai rie de la Vieille Taupe, tenue par le
même P. G. et dans laquelle passaient tous
ceux qui se reconnaissai ent dans l'ultragauche, Je communisme de conseils, le
luxembourgisme, etc. et qui eut entre autre
un rôle majeur pour relancer les Cahiers
Spartacus après 1968. Le noyau gravitant
autour de cette librairie (et la librairie ellemême) avaient cessé d'exister au début des
~CHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 55
nouveau groupe, le PIC. Cherchant un nom
de publicat ion, celui -ci me proposa de reprendre le ti tre de La Jeune Taup e ou , pl us
précisément , Jeune Taupe . Cet embryon
était vi te rejoint par deux jeunes copains,
préalablement« inorganisés» (qui parti ciperont plus ta rd à la formation de Volonté commun iste). Puis, su ite à d es
contac ts décevants avec G . Munis et son
groupe FOR, les trois« j eunes» du FOR (les
autres étant des anc i ens rescapés de la
guerre d ' Espagne) rejoignaient également
le PIC . A ce stade, le noyau initial du
groupe était vraiment constitué . D'autres
viendront s'y joindre par la sui t e ... mais
c ' est une autre histoire
moment de l'éclatement du groupe. Ces
positions s 'i nspiraient largement des critiques ébauchées par la gauche allemande
(KAPD ... ) sans concessions pour les tentatives de justifications du léninisme style
bordiguisme.
Quant à la période de format ion du
groupe, même si alors le patronat faisait
le « ménage», nous étions tout de même loin
de l' apparente« paix sociale» qui a suivi.
Le développement de groupes comme le
PIC, s'il est un produit direct de 68, reposait également sur la persistance d'un niveau conséquent de lutte sociale. Il est probable que sans cela ce groupe et d'autres ne
seraient jamais apparus. Je ne vois dans
tout cela aucun paradoxe. Ceci indépendamment de la théorisat ion d'une perpétuelle« montée des luttes »coupée de toute
réalité.
De la révolution
au révisionnisme
L'intervention communiste
Certes le concept« d'organisation des
révolutionnaires »recouvrait un vieux dilemme du milieu ultra-gauche marxiste ,
mais cette constatation ne résout ri en
concernant sa validité (même si on peut
rejeter sa t héorisation à outrance et hors
d e tout contexte historique). Ce fut
d'ailleurs un des points qui fut le plus évolutif dans le PIC, entraînant des remises
en cause success ives de ses positions initiales . Ainsi le livre publié ult érieurement
par Révolution sociale en 1982 sous le
pseudonyme Collectif Junius et nommé
Au-delà d'u parti (Cahiers Spartacus ll6B)
donne-t-i 1 une image de no tre position au
S4- ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
L ' évolution de l'ultra-gauche que tu
présentes sous ce ti tre reste aujourd'hui
impossible à traiter dans le détail de façon
critique (si tant est que cela présente un
intérêt).
Ta lettre contient une analyse globale de
cette évolution, que je peux partager dans
ses grandes lignes. La critique des tentations
populistes au sein de l'u ltra-gauche (et
p lus généralement des courants radicaux
du marxisme el de 1'anarchisme) reste à
faire, les exemples ne manquant pas. On
y retrouve généralement un même point
de départ: la recherche d'un levier qui va
permettre de faire basculer l'histoire. La
critique du stalinisme et des pays de l'Est
avait suscité de telles espérances dans la
période précédente ... on pourrait aussi retrouver dans ce domaine d'étranges compagnonnages.
saire que les mouvements d'émancipation
nationaux outre-mer désagrégeaient l'Empire, laissant moins de champ à l'extorsion
de la plus-value coloniale qui, jusqu'alors,
avait a limenté en partie le « bien-être})
tout relatif des travailleurs britanniques.
L ' espoir était que dans ce« package », le
relais dans cette extors ion de la plus-value
serai t pris par les travailleurs britanniques
qui contr ibueraient a insi, moyennant
quelques concessions, au redressement et à
la modernisat ion de l'appareil product if
national.
Cet espoir devait être particulièrement
déçu. Laissons à d'autres réflexions le soin
de déterminer si les résistances des travail leurs britanniques étaient la défense,
d'une part d'un certain niveau de vie acquis dans la période antérieure et d'autre
part de pratiques acquises depuis la première guerre mondiale. Ces prat iques faisaient que les travailleurs étaient parvenus
à intervenir dans les processus du travai l
et à fixer ainsi , à la base, des limites dans
les conditions d'exploitation (2). Rapidement, ces mêmes travai lleurs se rendirent
compte que les nationalisations ne signifiaient nullement qu'ils ne pouvaient avoir
une influence quelconque, même dans le
cadre minimum d'une trompeuse« autogestion)} de l'entreprise (sauf à constater
que les bureaucrates syndicaux ou pol itiques du Labour s'y installaient dans des
(2) Le mouvement des shop-stewards n ' a jamais eu
d'ex istence léga le. Il est né au cours de la guerre de
1914 en Ecosse lorsque les rés istances à la surexploitation dans les industr ies de gue rre ont
contraint à des concessions dans l' organisation du
travail qui donnaient aux travailleurs de base et à
leurs délégués élus et révocables un certain pouvoir dans la fixation notamment des rythmes de
travail. Cette situat ion a duré j usque dans une période récente et a été au cœur des luttes dans lapériode pré -Thatcher.
fonctions d'administration lucratives).
D'autre part, les tentatives de concentration d'entreprises dispersées (notamment
dans l'automobile ou les mines) et de modernisation par 1' introduction de techniques
modernes se heurtèrent à une résis tance
p ied à pied, car ell es signifiaient non seulement une transformation radicale des
Les salaires
dans les services publics
Sala ires annuels de base dans les services publics à Londres (temps de travail
moyen mentionné pour chacun) :
- infirmière (40 heures) :
15 455 livres sterling (21 450 euros)
-enseignant du primaire (32,5 heures) :
21 522 livres sterling (30 000 euros)
-policier (40 heures) :
25 953 livres sterling (37 000 euros)
- éboueur (36 heures) :
23 265 livres sterling (33 000 euros)
-pompier (48 heures) :
21 193 livres sterl ing (30 000 euros)
- postier (42 heures) :
13 5721ivres sterling (20 000 euros)
Salaires auxquels s'ajoute la prime spéciale pour Londres :
-policier :
6 165 livres sterling (8 700 euros)
-enseignant :
3.927 livres sterling (5 700 euros)
-postier :
3 282 livres sterling (inner London, centre
de Londres), 2 038 livres sterling (outer
London, banlieue) (respectivement 4 700
et 2 860 euros).
La revendication de 4 000 livres repré·
senterait 5 600 euros.
ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004-19
condit ions de travail, mais auss i l'éli mi nation du peu de pouvoir qu'i ls avai ent acquis au cours des décenn ies précédentes
dan s le contrôle du processus de 1'exploitat ion (3).
Jusqu'à l'interven tion de la tendance
dure des conservateu rs avec Thatcher
( 1979), le confli t de classe- travail contre
ca pital- prit la fo rme typiquement britannique d'un « jeu à trois» :
-le gouvernement (représentant les
intérêts du cap it al, mais souvent lors d' un
gouvernement Labour ét roitement mêlé
égal emen t au Trade Union, syndicat
unique;
- les syndica ts, to us regroupés donc
dans le Trade Un ion mais avec des différen ci at ions énormes (entre les plus-queré fo rm istes et les moins-que-radic aux,
entre les syndicats « généraux » et les syndicats professionn els, entre la base plus ou
rno ins indépendante des shop-stewards),
l'ensemble reposant essentiellement sur
de s coutumes et des sit uat ion s inscrites
dans un rapport de forces et pratiquement
pas dans la législation ;
- la classe ouvrière nantie d'une vieille
tradition prolétarienne (4) de lutte pour la
p réservat ion des acquis et po ur un statu
quo att aqué de toutes parts, et de forme s
d'organisation de base et d'habitudes d'autonomie assez dis tante de l'i nfluence des
appareils, même si elle restait inscrite au
syndicat.
Toutes les« solutions », politiques ou
syndicales, négociées ou répressives, venant du Labour ou des conservateurs, pour
surmonter ces résistances de base échouèrent les unes après les autres (5). Un mouvement autonome complexe se développa
pendant pl us de trente ans, une sorte d 'hybride qui combin ait le système de délégués
de base élus et responsables (les shop-stewards) et l'utilisation des structures de base
syndicales (souvent renforcées par une
large utili sation du« closed shop », 1'obligation de syndicalisation dans une entreprise- autrement dit la gest ion de l'emba uche par le syndicat). On vit alors un
développement de« grèves sauvages » (6)
(3) Deux des règles essentielles du contrôle des rythmes
de travail par la b~se, règles que nous voyons réapparaitre
dans les résistances à la restructuration des postes, ont
été d' une part la« mu tuali té», qui permettait à un
groupe de travailleurs affectés à une tâche de décider du
rythme de cette tâche, et d' autre part la'' démarcation »,
qui interdisait à un travailleur affecté à un poste de travail avec une tache dé fi nie de se voir confier d' autres
tàches, ce qu 'il pouvait re fu ser tout en restant dans son
droi t. Il ne fait aucun doute que la moderne« flexibil ité »
va totalement à l'encontre de ces règles.
(4) On peut tenter de comprendre pourquoi, par exemple
en France, il n'y eut pas de résistances notables de la part
du prol étariat aux restructurations et modernisation de
l'après-guerre (le même mélange de« wei fare »et de national isations dans la mêm e perspecti ve). L'énorme
mutation prolétaire dans les années 1950 en France, déversant dans l'industrie un prolétariat agricole suite à la
mécanisation et à la concentration de l' agriculture, peut
expliquer com ment ce« nouveau »prolétariat a pu accepter des conditions de travail qui, dans une certaine
mesure, était meill eures que celle s qu ' ils pouvaient
connaltre dans le travail de la terre. Au contraire , la
Grande-Bretagne avait connu de longue date la prolétarisation industrielle et c ' est une classe ancienne, habituée à certaines conditions et à la lutte, qui se trouvait
attaquée dans ses œuvres vives.
(5) On pourra trouver un récit détaillé de ces luttes et des
« poi nts forts« dans 1'ouvrage de Cajo Brendel Lutte de
classe autonome en Grande-Bretagne. /945-1977, disponible à Echanges (pho tocopies).
(6) Un Premier ministre conservateur modéré, Edward
Heath, après avoir ten té de réglementer les grèves, avait
dt1 capituler en 1972 alors que les dockers faisaient le
s iège de la prison de Pen ton ville à Londres, où des délé gués dockers avaient été emprisonnés pour avoir enfreint cette législation. Le gouvernement travailliste
qui lui avai t succMé n'avait guère mieux réussi dans
la négociation avec les syndicats de sortes de pactes
s ociaux, qui aboutirent à ce « winter of discontent »
(hiver 1978- 1979), puis à l'élection en 1979 des conservateurs« durs » repré sentés par Margaret Thatcher.
Jeu à trois
20 - ECHANGES 107- HIVER 2003·2004
CORRESPONDANCE
QUELLE HISTOIRE ?
(A PROPOS DES GROUPES PIC
ET VOLONTÉ COMMUNISTE)
Suite et (en ce qui nous concerne) fin .
(voir précédents numéros d 'Ech anges 105
p 25 et 106. p. 37). Comme nous l'avons
annoncé dans le précédent numéro à /afin
de cette polémique, nous donnons ci-après
le texte envoyé pa r un autre membre du
PIC et qui se réfère à la lettre parue dans
le n° 105. (Les intertitres sont de l'auteur
de la lettre.)
-r
OUT COMM <
i' • uteuc de 1• Jettce ce·
produ ite d ans Echanges (n° 105,
pp. 25 -30), cette correspondance
[me] ramène une trenta ine d'années en arrière . Il ne s'agit pa s dans cette « réponse»
de départager qui alors avait raison et qui s'est
trompé (sur le fond, je ne pense pas que ce
soit si simple). Plus simplement, le ra ppel
« hi storique» fait que la lettre de quelqu'un
qui n'a pas vécu les faits rapportés de l'intérieur contien t nécessairement quelques
erreurs ou imprécisions (je ne parle pas des
divergences que peuven t avoir les uns ct
les autres sur l'appréciation des faits ... c'est
un autre problème). Je m'en tiendrais à ce
qui est écrit dans Echanges ... l' histoire de
cette période reste éventuellement à écrire.
Introduction
L ' auteur de 1a lettre s'attache à ancrer
les rac ines(!) du PI C dans les débats de
l'après-68 au sein d'ICO. Certes to ut est
da ns tout, mais la réali té est plus compl exe. Pour clarifier ce point, j e préciserai comment s'est consti tué le noyau à
l'o rigine d u PIC . De celui-ci, seul G. S.
(c ité dans la lettre) avait pu fréquenter le
« milieu ICO » vi a l ' Organisation
conseillis te de Clermont -Ferrand. Pour
ma part, j'avais participé très peu de temps
à Révolution internati on ale (Par is) (RI)
après le départ [de s membres de ce
groupe] d'ICO et avant la fusion avec les
groupes de Clermont-Ferrand et de Marseille. Je les avais quitté sur des bases
certes confuses, mais dans lesq ue lles la
nature profo ndément léniniste du groupe
- beaucoup plus perceptib le de 1' int érieur que de 1'extérieur - tenai t une part
importante. C'est à RI que j'avais fai t la
connaissance de G. C. Dans la période sui vante, je publiais avec un copain une petite revue conseilliste, Pour le p ouvoir des
conseils ouvriers (PP/CO). Le dernier numéro tenta it de regrouper quelques info rmation s sur les groupes qui représentaient
pour nous le passé comme 1'IS, S ou B
(comme beaucoup de ceux qui s'in téressaient alors à ce courant, nous étions très
j eune s et sans contact avec des particip ants aux groupes passés) . Ce texte qu i
fut très diffusé à l'époque avait été nommé
La Jeune Tau pe, en référence à la cit ation
bien connue de Marx sur la vieille taupe et
avec une idée de renouveau .
Peu de temps après, le contact étai t établ i avec G. S. qui venait de quitter R. I.,
suite à quoi nous décidions de constituer un
~CHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 53
bien que critiquant l'acte individuel, que Van der Lubbe
éta it un combattant du proléta riat. Voir à ce sujet les
textes de Pannekoek publiés dans Echanges no 90,
1999, " L'acte personnel » et
" La destruction comme
moyen de lutte "·
Georges Navet
• A contretemps consacre
son no 14-15 à Georges
Nave l (1904- 1993), ouvrier
deve nu écrivain et qui entretint des rapports contradicto ires avec anarchistes
et commun istes. A signaler
un ent retien avec Navel sur
son (bref) pasage en Espagne en 1936
Catalogues
• Editions Agona : catalogue 1990-2003 de cette
maiso n d'édition marseillaise, qui est aussi une
rev ue d'obédience bourdieus ienne : col lections
" Mé " Contre-feux "•
moires.sociales " • cc MargiAmé" Des
nales ",
riques ", " Dossiers noirs ••
et " Bancs d'essais "· BP
70072 , 13192 Marseil le
Cedex 20.
Internet : //www.agone.org
• La Casbah, cata logue
n° 1' été 2003 : librairie et bibliothèque associatives,
" struct()re indépendante
autogérée " ·
en anglais (po Box 50217,
c/o Planète Verte, BP 22,
Baltimore, md 21211, Etats54002 Nancy Cedex
Unis.
• Reslnostrest, distribution lectures et musique :
Nicolas Rotière, 1 rue
La Commune,
Lefebvre et I'IS
Edgar-Quinet, 38000 Gre• Zanzara Athée (distribunoble (les_ nains_ aussi@lition autonome de lectures
bertysurf.fr)
• Atelie r de création liber- subvers ives), n° 15, printaire : La Lettre n° 18, no- temps 2003. Catalogue et
une réédi tion d'un texte
vembre 2003. Nouveautés
et liste d'ouvrages dispo" Sur la Commune», extrait
du n° 12 de la revue Internibles (www.ateli erdecreanationale situationniste (rétion libertal re.com).
• Kata Sharplay Llbrary, édition du tract de 1963
cc Aux poubelles de l'hisbulletin n° 36, octobre 2003
(en anglais) : contient une to ire »,démontrant que les
thèses d'Henri Lefebvre puliste de publications dont
deux brochures, l'une (en
bliées da ns la revue Arguanglais) d'Emile Pouget Diments (et développées dans
rect Action, l'autre A Day
son livre La Proclamation
Moumful and Overcast par un
de la Commune [Gallimard,
1965] n'était qu'un plagiat
"incontrôlé »de la Colonne
des thèses de I'IS - rappede fer. (traduction du texte fameux publié en mars 1937 en lons les plus fameuses :
" Les succès apparents de
Espagne dans le quotidien de
la Colonne de fer, Nosotros, ce mouvement {le mouvement ouvrier] sont ses
et qu'on trouve traduit en
échecs fondamentaux (le
français chez Champ libre,
réformisme ou l'installation au
traduction reprise dans le
livre d'AbeiPaz La Colonne pouvoir d'une bureaucratie
étatique) et ses échecs (la
de fer, éd. Libe rtad-C NTrp, 1997).
Commune ou la révolte des
Asturies) sont jusqu'ici ses
• CHS X><- siècle, bulletin du
Centre d'histoire sociale : succès ouverts, pour nous et
pour l'h is toire , et : " La
liste et résumé de thèses
Commune a été la plus
sur divers sujets touchant,
grande fête du xtx• siècle.
pour pa rtie aux luttes et orOn y trouve, à la base, l'imganisations syndicales.
pression des insurgés d'être
• Flrestsrter. Presse et
catalogue devenus les maîtres de leur
distribution :
propre histoire ...
d'ouvrages et périod iques
52 -ECHANGES 107 · HIVER 2003·2004
qui, à plusieurs reprises mirent en danger des
gouvernements décidés à « passer en
force )). Le résul t at fut que pendant toute
cette période, l'ensemble de 1' appare il industriel et des superstructures s ' enfoncèrent dans le sous-équipement et 1'obsolescence par rapport aux concurrents
internationaux. La crise que cet ensemble
recel ait cu lm ina dans 1'hiver 1978- 1979
- « The winter ofdiscontent » - , au cours
duquel le pays fut plongé dans un chaos
total sans autre perspective que 1'immobilisme de ce bloc de rési stance (7).
Le capital britannique put alors saisir,
pour la première fo is, une chance de sortir de cette impasse dramatique pour lui,
parce que la situat ion nationale et internationale avait modifié les données de base
de ce problème spécifiquement britannique
et lui apportait de nouveaux atouts :d'une
part la découverte et l ' exploitation dupétrole et du gaz de la Mer du Nord, d'autre
part les contrecoups de la crise mondiale
baptisée« choc pétrolier)). Le capital et
l'Etat britanniques pouvaient survivre non
du développement indust riel mai s de la
rente pétrolière et de ce que lui procuraient
ce qui lui restait de ses intérêts dans l'exemp ire (8).
(7) Nous n'épiloguerons pas ic i sur une certaine similitude avec mai 1968 en France : dan s les deux cas
(Grande-Bretagne 1978-79 et France 1968) une crise
sociale de grande am pleur secoue ces deu x pays mais
sans qu 'un dépassement pol itique radical se précise, ce
qui entraîne l' arrivée au pouvoir des éléments politiques les plus conse rvateurs, un raz de marée gau llis te en France et Thatcher en Grande- Bretagne.
(8) Pour autant que les bases de la survie du RoyaumeUni dépendaient du pétrole et d'intérê ts financiers
dans les ex-colonie s, le parapluie américain devenai t
abso lument indispensable ce qui, jusqu'à aujourd'hui,
définit encore les options et incertitudes et hésilations
par rapport à un engagement franc européen, alors
même que les liens économ iques avec l'Europe se sont
ren forcés.
L'avènement de la tendance« dure »
des conservateurs et la montée de Thatcher
n'étaient pas dus à la personnalité pol iti que
de cette dernière . Au contraire, la situation
offrait au capital la possibilité de« faire
le ménage )) après trente années de stagnati on imposée par les résistances de
c lasse . En d'autres termes , le royaume
n' avait plus besoin, pour assurer sa pérennité, de l'exploitation du travail industriel
comme cela avait été le cas au cours des
derniers siècles (ce qui avait assuré la supériorité de l'impérialisme britannique),
puisqu'il disposait dorénavant de ressources indépendantes des industries traditionnelles.
Les ravages de l 'ouverture
au marché mondial
Les nouveaux piliers de la puissance
britannique (toute relative, car elle devait
s'appuyer de p lus en plus sur celle des
Etats-Unis) imposaient l'ouverture au marché mondial, c'est-à-dire l ' abandon de
toutes barrières financières et écono miques. Calculée ou pas, cette ouverture
faisait des ravages dans un appareil de production totalement obsolète et dans 1'i ncapacité de concurrencer l'irruption de produits meilleur marché du monde entier ;
l'ouverture au cap ital financier international permettait de transférer au secteur
privé l'ensemble du secteur nationalisé, et
d'introduire dans tout l'appareil économique des« impératifs de rentabilité))
donc de productivité qui n'avaientjamais
pu auparavant s'y installer durablement.
Les ravages furent importants. Il en résulta une explosion du chômage qui désorienta complètement les résistances de
base. Cela se fit concomitamment à toute une
série de mesures légis latives qu i interdi-
ECHANGES 107 · HIVER 2003·2004- 21
sa ient pratiquement les g t'èves sauvages
se lon le schéma qu ' elles avaient utilisé
jusqu'alors, et ceci sous menace de sanctions
sévères, financières et pénales, pour les dirigeants syndicaux qui enfreindraient ces
mesures (9). Le rapport de force qui avait
sous-tendu le mouvement auto nome éta it
ébranlé ; mais il ne put être ( prov isoirement) renversé qu'après de durs combats
dans des secteu rs clés de l'autonomie ou-
vrière : les dockers, la sidérurgie, l'automobile, la presse et, surtout, les mines.
Chacun se sou vie nt qu'il fallut près
d' une année de grève des mineurs pour réduire la« forte resse min ière», mettre hors
circuit le syndicat des mineurs NUM et
amorcer une privatisation du National Coal
Board, ce qui devait aboutir pratiquement
à la dispariti on de l'industrie minière britannique . Pendant près de vingt années , il
(9) La législation des gouvernements conservateurs
successi fs était destinée à interdire au mouvement de
base tou te utilisat ion des structures synd icales. Les
deu 11 a11es centrau11 de ces mesures étaient d'une part
l' in terdiction de toute grève qui ne concernerait pas
les strictes relations de travail avec son employeur (ce
qui proscrivai t toute grève de solidarité et au torisait le
capital à procéder à des constructions juridiques ac-
centuant encore les effets d'une te lle interdic tion),
d'autre part la régi ementation des grèves contraignant
à des procédures lourdes e11cluant toute spontanéité
et autorisant toutes les manipulations des appareils .
Contrairement à ce qui continue d'être affirmé, l'ensemble de ces mesures n'a pas affaibli les syndicats
mais leur a donné plus de possibilités d'intervention dans
les relations de travail et de règlements des con fl its
avant qu ' ils n' éclatent.
Des rats et des grèves
Comment deux rats morts
ont plongé Royal Mail dans
le ch ao s » : ce titre acc rocheur de l'hebdomadaire britannique The Observer du
2 novembre 2003 ne donne
certes pas une vision exact e
de la grève des postes, mais
il est quand même proche
d' une réa lité dans le sens
que la situation et la tension
à la base (déjà en temps norma l mais enco re plus après
le vote de la « restructuration " par seulement 30 %de
l'ensemble des salar iés de
Royal Mai l, encad re ment
compris) dans les cen tres
pos taux est tel le que le
moindre incident peut dégénérer d'un incident purement
local en une grève généralisée.
«
Cela se passe début octobre
2003 dans une banlieue lointa ine de l'est de Londre s,
dans le centre de distribution
de Leytonstone. Depuis plusieurs jours, dans les toilettes
des hommes , se dégage une
ode ur pestilentielle telle que
personne ne les utilise plus .
Différentes protestations auprès de la direction du centre
n'y on t rien fait. De guerre
las se, dans la dern ière semaine d'octobre , plus de cent
travailleurs du centre se mettent en grève - sauvage ,
c'est-à-dire sans tenir compte
des obligations légales de
préavis.
C'est seulement à ce moment
que les managers se bougent. Une descente des ser-
22- ~CHANGES 107 · HIVER 2003-2004
vices d'hygiène et des re cherches poussées permetten t de découvrir dans un
coin deux rats crevés en dé composi tion.
Comme d'habitude, les managers tentent de dérouter le
courrier laissé en instance
par la grève sauvage vers
d'autres cent res proc hes.
Mais ces autres centres sont
déjà troublés par des conflits
du même genre, bien que
pa rtis sur d' autres motifs.
Dans un autre dépô t de la
banlieue de Londres , à SouthaU, les postiers se sont mis
en grève lorsqu' un des managers du centre a ordonné
aux chauffeurs de distribuer les
lettres ; comme auc un d'eux
n'a voulu le faire, il a décidé
Syndicats
et syndicalisme
+ La réédition de l'ouvrage
de Larry Portis IWW, le syndicalisme révolutionnaire
aux Etats-Unis (éd. Sparta·
eus) s' accompagne d'un
nouveau chap itre final sur
" L'actualité des IWW , qui
appellera it bien des observations. Alors que l'auteur
reconnaît que « l'intégration
des syndicats est connue " •
que " la lutte syndicale
passe par l'Etat ... Il peut
écrire dans la page su ivante
que " seul un mouvement
animé pa r les classe ouvrière et la base syndicale serait en mesure de se dresser
( ... ) pour un changement de
rapports sociaux ., et,
quelques pages plus loin :
" autogestion , autonomie
de la classe auvière, termes
qui traduisent ce qui est le
plus essentiel dans l'action
syndicale " · Une autre
contradiction nous semble
contenue dans les idées développées à propos de
" l'exemple des IWW dans le
combat contre la mondialisation" ·
En particulier, une assimilation de l'action de classe
des IWW (qu i étaie nt des
travailleurs parmi le s plus
exploités et les plus méprisés
- on parle aujourd'hui de
précaires et d'exclus , ce
qu'étaient les membres des
IWW) aux grand me sses
des altermondialistes, où la
confusion idéologiq ue dispute la palme à un conglomérat néo-réformiste, méri tera it une cr itiq ue plus
approfondie
que
ces
quelques lignes. (Voir sur
ce dernier poin t Courant alternatif no 133 (novembre
2003) : " An ti mon dialisation, aire de recomposition de
la social-démocratie " • traduit
Bordiga . Au lieu de polémiquer, laissons à chacun le
soin d'en ju ger avec deux
doc uments de base d'une '
ana lyse bea ucoup plus
co mplète : La Classe ouvrière d'Allemagne orientale, de Be nno Sare! (que
Présen ce marxiste cl asse
scand aleusement dans le
clan pro-américian) et L'lnsurrection ouvrière en Allemagne de J'Est, juin 1953,
lutte de classe contre Je bolchevisme, de Cajo Brendel
(copies de ces textes à
Echa nges).
A propos de
Marinus Van Lubbe
+
de l' itali en et déjà publ ié
dans Cette Semaine).
+ " Syndicats et lutte politique .. , dans La Lettre du
Mouvement communiste,
n° 11 (octobre 2003) .
Allemagne de l'Est
1953
+ Dans Présence marxiste
no• 31 (ju illet 2003) et 32
(octo bre 2003) , deux articles. " A la mémoire des
combattants prolétariens
est-a llemands de ju in
1953 .. est particulièrement
tendancieux dans son souci
de reprendre les textes de
La publication des Carnets de route de J'incendiaire du Reichstag, de Van
der Lubbe (textes choisis et
anotés par Charles Reeves
et Yve s Pagès, éd . Verti cales) soulève enco re des
polémiques dont on trouve
des échos dans Présence
marxiste no 32 (octobre
2003) , qui en profite pour
faire l'apolo gie du bolchevisme et du parti sty le léniniste, et dans Le Prolé ta ire
n° 468 (août-septembre
2003), dont l'article : " Incendie du Reichstag : Lutte
ouvrière persiste et signe .,
démonte les biais hypocrites des trotskystes de LO
reprenant les calomnies staliniennes tout en soulignant,
~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004-
51
2' partie cc La "guerre au terror ism e" ") : un texte qui
te nte d'ana lyser les déviances dans la société capital iste et leurs rép res sions , dans leurs formes
dist in ctes mais convergen es dans les différents
Etats . (En anglais. TPTG PO Box 76149 , N. Smirni,
17110, Athens, Grèce).
+ cc The Latest War " (La
dernière guerre) , supplément à lnternationa/ist Pa pers (juin 2003) (éd. IPC ,
BP 211 , 75865 Pa ris Cedex
18) : cc Derrière la fausse
optio n gue rre ou paix , ;
cc Le pacifisme sous toutes
ses formes ouvre la voie à la
guerre impérialisme" ; "Le
défaitisme révol utionnai re
est la seule réponse " (en anglais ).
+ " Lutte de classes , darwinisme et évolution "dans
L'Universaliste n• 68, septembre 2003.
Le parti,
l'organisation
+ " Sur la nécessité d'organisations révolutionnaires
de travai lleurs, économiques, politiques, de milices, etc. mais pas sous la
forme ou avec le conte nu
d' un parti " : tract de Chi-
re vnet (Chicago Revolutionary Network) de juin 2003 ;
le même groupe publie :
« Quelques leçons importantes de la classe ouvrière
internationale dans la lutte de
classe révolutionnaire pour
le socialisme et le communisme ,., En anglais (copie à
Echanges).
+ " How Len inism distorts
Marxism » (Comment le lé le
a dévié
ni nisme
marxisme) dans The New
lnternationalist, automne
2003. Ce même numéro
contient un débat avec le
groupe de Chicago Chirevnet
sur l'éte.rnelle question du
pa rti.
RECTIFICATIFS
+ La citation de Karl Marx dans la dernière page du
texte cc L'Idéologie de " l'écologie politique" et du
"cltoyennlsme" »(Echanges n• 106, p. 66), est
Incomplète. La phrase doit être rétablie ainsi :
" ... La production capitaliste ne développe donc la
technique et la combinaison du procès de production
sociale qu'en épuisant en même temps les deux
sources d'où jaillit toute richesse : la terre et le
travailleur. "
Cette phrase est la conclusion du chapitre XV du
Capital (Livre 1, quatrième section : " La production de
la plus-value relative "• chap. XV: " Le machinisme et
la grande Industrie "• partie X : " La grande Industrie
et l'agriculture " ·
Editions sociales en trois volumes (1976), p. 360;
Marx, Œuvres, éd. Gallimard, « Bibliothèque de la
Pléiade "• t. 1, p. 998).
+ L'adresse du site Internet du Pro,léta/re banlieusard
(LPB) dalt être rectifiée:
www.fr.groups.yahoo.com/group/leproletalrebanlleusard
50 - tCHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
Ivan Illich
distributiste
+
Dans Prosper (distributism e, éco logie, usage)
n• 11 , rentrée 2003 : différents articles sur Ivan Illich ;
le reste sur la monnaie, le
marché et des débats sur le
distributisme (www.prosperdis.org).
Mondialisations
+
Les Mondialisations, de
Tom Thomas ( éd. L'Harmattan, collection " Contradictions»): un e analyse
marxiste de la mondialisation.
Il ne peut y avo ir de lutte
anti-mondialisation sérieuse
qui ne soit en même temps
une lutte anticapitaliste.
y eut encore des conflits importants dans
des secteurs jusqu 'alors protégés . I l ne fut
plus possibl e à la lutte de classe de dépasser émiettement et parcell isation, d 'autant
que privatisations et sous-traitance créaient
d'inextric ables situations jur i diques où la
législation répressi ve des luttes pouvait
s'exercer pleinement.
Gouvernement et capitalistes pouvai ent
pavo is er devan t un effondrement du
nombre et de la durée des grèves, comme si
l a 1ut te de classe ne pouvait exister que
dans les conflits ouverts sur le modèle de 1'ère
pré-Thatcher et pas sous d'autres formes. Ils
ét ai ent tous prêts à proclamer que l a lutte
de classe était terminée : les dirigeants syndi caux s' accommodaient fort bien de cette
situation qui leur donnait une autre forme
leur mise à pied et leur a ordo nn é de sortir. Il a essayé
de faire to urner le centre
avec des jaunes, des intérimaires et des cadres . Les
" mis à pied "• en costume
de ville , se miren t en faction
autour du dépôt et confisquèrent les sacs postaux. Un
piquet de grève fut installé
au}! entrées du dépôt.
Un autre conflit du même
gen re éc late au même moment dans le centre voisin de
Dartford.
Devant le chaos de la situation,
le courrier de ces centres est
détourné vers un autre
centre, celui de Greenford ;
dans tout ce courrier se trouvait déjà celui venant de Leytonstone. A Greenford, la réponse de la première postière
de pouvoir, et on vit même des dirigeants syndicaux jou er l es briseurs de grève ou participer au" congrès du CBI (Confederation
of British Industry), le syndicat patronal.
L'apparent succès de cette stratégie capitaliste n'amél iorai t pourtant pas sensiblement l a situation de l' ensemble des supers tructures, dont la modernisation
nécessitait des i njections de capitaux considérables. En l'absence de financement public, le capi tal privé était particulièrement
réticent à s'engager, vu l'improbabilité
d'un rendement financier proche. Même si
les rentes pétrolière et financière permettaient
(tout juste) d' assurer le fonctionnement de
l'appareil d'Etat, les servi ces publ i cs étatiques ou locaux (notamment transports,
santé, éducation) sombraient dans le sous-
à être priée par un cadre de se
mettre à trier ce " nouveau ,
courrier fut immédiate : " Ce
n'est pa s mon boulot, je ne le
ferai pas, je débrai e. ,. En
quelques minutes ses camarades de travail suivent son
exemple et, à la fin de la journée, 800 des 950 travailleurs
du centre sont en grève.
La grève sauvage ainsi enclenchée dans diffé rents
centres se télescope ave c la
seconde grève officielle et légale, celle-ci de 24 heures,
lancée à Londres par le CWU
qui revendique une augmentation de la prime spéciale de
vie chère accordée aux postiers de la région de Londres
(" London Weighing "),afin
de la porter à 4 000 livres
sterling (5 600 euros) .
Comme la direction de toute
la zone tente d'o bte nir pour
le retour au travai l après
cette journée de grève légale
to ute une série de réfo rmes
rejetées par la base au cours
des mois précédents et que,
dans les faits, ce retour s'accompagne de tenta tives de
les mettre to ut de suite en
pratique (encore la conséquence du vote du 17 se pte mbre), la grève s'étend.
Elle cesse d'être une simpl e
grève de solidarité comme à
Southall et Gre enford pour
deveni r un mouvement d'en semble de rejet de tout changement dans l'organ isation
du travail. Le vend redi 31 octobre au soir, 35 000 postiers
de la région de Londres sont
•
en grève sauvage .
~CHANGES 107 · HIVER 2003·2004 -23
J'EN Al MARRE DE VOUS
ARROSER AlAN, SURTOUT
QUAND VOUS N'ARRIVEZ
PAS A CONTROLER VOS·
HOMMES
MAIS GEORGE, VOYONS ...
LA POUCE M'~ DEJA PROMIS
SQNENTIERE COLLABORATION '
POUR GARAIITIR.UN TRAVAIL
NORMAL .
équipement et dans un marasme que privatisation et sous-traitance ne résolvaient
nullement.
Un nouveau mécontentement
L'ensemble de cette situation fit qu'il se
développa rapidement, après une brève embellie spéculative, un mécontentement diffus qui s'ajoutait au refoulement aigri des
luttes. Ce mécontentement, faute de pouvoir s'exprimer dans des luttes ouvertes
dans ces mêmes secteurs touchés par les
privatisati ons et la sous-traitance (comme
cela fut le cas dans le mouvement contre
la pol/ tax [ 10]), se traduisit par le retour au
pouvoir du Labour, après quelque vingt ans
d'éclipse pol itique . Mais, comme cela se
produit toujours avec les gouvernements
« socialistes »,leur venue au pouvoir (en-
(1 0) L' instauration en 1990 d'un impôt local particulièremen t injuste (un iforme par tête d'habitant, quel
que soit le statut social) se substituant aux impôts locaux
basés sur la nature de l'habitation donna lieu à une sorte
de refus national, caractérisé à la fois par des actions
locales de base d'une forte solidari té et par des manifestations monstres, à la limite de l'émeute. Cette réaction entraîna d'abord le retrait de cette réforme puis,
à terme, la.chute du gouvernement Thatcher (voir
Echanges no 63, janvier-mars 1990).
24- ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
DANS LES PUBLICATIONS
ALORS VOUS ETES
ABSOLUMENT
DETERMINES
A BRISER
CETTE GREVE 1
couragée par une bonne partie des médias
et du capital bri tannique) signifiai t seulement une consolidation des mesures impopulaires des gouvernements précédents.
Alors que beaucoup espéraient, sinon
1'abrogation, du moins la réforme de la législation encadrant strictement l'activité
syndicale et le mouvement autonome, rien
ne fut changé. Il y eut des modific ations
mineures, comme par exemple l'annonce
d'une indemnisation pour les travailleurs
licenciés pour fait de grève légale (pas pour
les grèves sauvages bien sûr). Une disposition
récente adoptant le système américain de
« rep résentativité» est beaucoup plus importante ; elle vise à éliminer en fait ce qu i
pouvait rester de base syndicale combative : dans une entreprise, un vote majoritaire des travailleurs garantissait à un seul
syndicat la représentation de ces travailleurs ; mais - et c'était encore plus
dangereux - cette représentativité exclusive pouvait être acquise par un accord direct entre l'entreprise et un seul syndicat,
sans que les travailleurs concernés soient
consultés (11).
( Il) Cette nouvelle notion de représentativité a déjà donné
lieu, à notre connaissance, à deux conflits lorsque la pos-
Refus de parvenir
• Le no 2 -a utomne 2003 de la revue Marginales (filiale
d'Agone comme la collections du même nom) est un
recueil de textes sur « Le
Refus de Parven ir «. Misère
de l'école, utopies éducati ves ...
• Les Editio ns Turbu lentes
(cio Maloka, BP 536 , 21014
Dijon Cedex) publient un
texte du collectif Aufheben :
Le Contexte d'un soulèvement prolétarien, sur les
émeutes de Los Angeles de
1992.
celui d'un bulletin de liaison
et de discussion anti-industrielle - quat re pages d'histor ique et de perspectives
(l n extremis, c/o JeanPierre Courty, BP 8, 48250,
La Bastide) .
• A trop courber l'échin e
no 11 (novemb re 2003),
sou lign e ses « contrad ictions obligatoires » (ce ll es
de to ut un chacun d'ailleurs
mais que bien peu admettent) et reproche à certains
ana rchi stes leur idéologie
du « progrès tech nique «
Primitivistes
et anti-industriels
• En attendant, (5, rue du
Four, 54000 Nancy) a réimprimé le texte John Zerzan et
la confusion primitiviste
do nt nous di sposons de
quelques
exempla ires
(envoi contre timbre à :
0, 58 euro). [Nous avons publié : " Future Primitive and
ot her Essays .. , note de
lecture sur l'édition américaine de c e livre de John
Ze rzan (Echanges n• 79,
1995, p. 66) ; puis, après la
publi cation de la traduction
fra nçaise (Futur primitif, éd.
L'Insomniaque, 1998) (voir
Echanges no• 92 , p. 68, et
95, p. 51). ]
•
«
Retour sur un projet "•
Antinucléaires
• " Energie, les vrais enjeux .. dans Sortir du nucléaire n° 23 {décembre
2003) qui parle aussi du fameux arrêté récent qui
classe " secret défense »
to ute info sur le nucléaire
en France. Un catalogue du
matériel d'information et de
soutien peut être obtenu
9 rue Dumenge, 69317
Lyon Cedex 04 (www.sortirdu n ucleai re.org).
Paysans
• Feuille paysanne (bulletin
de liaison du Mo uvem ent
droit paysan) et Feuilles
paysannes, recueil illustré
(M ichel Ols, 42830 SaintPriest-la-Prugne) .
« Ultra-gauche » :
un inclassable tissu
d'erreurs
et de demi-vérités
• La prétention de l'ou vrage publié par Christophe
Bourseiller sous le tit re
Histoire générale de l'ultragauche
(éd.
Denoël)
contient tant d'erreurs et de
demi-vérités (pour les parties
dont on peut juger pour les
avoir vécues) qu'on ne peut
que douter de l'ensemble et
en déconseiller la lect ure
(sauf à qui vo udrait, pour
25 euros, se pavaner en société avec le ve rnis d'une
conna issa nce usurpée d'un
milieu dont il ne connaîtra
rien) .
De la guerre
• War, Peace and the crisis
of reproduction of human
capital, 2' partie : " The
"War on terror" (La guerre, la
paix et la crise de rep roduction du capital humain ,
ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 49
ra cket, organisation de départs illégaux
vers l'étranger, etc ., avec plus de 150 prévenus dont 32 membres du Parti communiste, qui depuis unt été exclus, 15 pol iciers, 4 membres du ministère de la Justice,
3 journa listes ... est ouvert le 25 février
2003 à Saigon. Parm i les accusés figuraient
l'ex-vice-min istre de la Sécurité B~ù i quôc
Quy , 1'ex-procureu r-adjo int du Parquet du
tri bunal populaire suprême de Saigon Pham
si Ch iên et l ' ex-directeur général de l a
Radio nationale Trân mai Hanh.
Nam Cam et cinq de ses complices ont
été condamnés à mort, les trois ex-membres
du Comité central du parti, Trân mai Hanh,
Pham si Chiên et Bùi quôc Quy ont écopé
respectivement de dix, six et quatre ans de
détention ( 1).
Ngô Van
Appétit et charme
Passé le cap de la Libération
Le bateau de la Révolution
Fait son entrée en Terre promise
Par le port de la Corruption.
Les appa ratchik! mandarins
Se rviteurs du peuple asse rmentés
Exigent des pots-de-vin
D'abord au menu fretin
Ensuite au peuple tout entier.
L'appétit vient en mangeant
Le charme en se maq uill a nt .
( l ) Cf. Camets drt Viêtnam, nMl et 2, Lyon, 2003 .
«Les Bons Juges •, gravure de lames Ensor, 1894.
48- ~CHANGES 107 · HIVER 2003-2004. .
va Cân,
Hanoi,
mars 1995.
(Poème inédit)
Par ai lleu rs, 1'ensemble des di spos itions antérieures restent en vigueur, ce que
le gouvernement social-démoc rate ne
manque pas d'ut iliser à l' occasion. Sauf à
faire la démonstration de son impu issance
et de celle de la rég lementat ion lorsque,
dans des grèves sauvages, la solidarité des
trav ai lleurs fait échouer toute tentat ive de
répression.
Les synd icats peinent dans 1'ac compl issement de leur fonct ion pour endi guer
la montée des revendications dans bien des
secteurs. Dans tout le secteur public ou
privé assumant les tâches de service public , sec teurs particu lièrement massacrés
dans les deux décennies antérieures , l'action des syndicats, sous couverture légale,
a servi essentiellement à prévenir des
grèves sauvages ou leur extension (12).
La situation sociale s'est ainsi caractérisée ces dernières années par un mélange
inédit : réc urrence de vote s pour des
grèves, scrutins suivis d'accords, de grèves
limitées dans le temps ou très local isées
mais répétées et relayées par d ' autres dans
des secteurs voisins . Le tout ponctué de
grèves sauvages tout autant limitées et localisées : dans certains secteurs comme les
sibi lité d'impose r un seul syndicat par accord direct
syndicat-emp loyeu r a été utilisée pour f:lim iner un
syndicat trop combatif et trop proche de sa base. Chez
les agen ts de conduite anglais d' Eurostar et chez ceux
de la li gne privée de Londres à l'aéroport d' Heathrow
(octobre 200 3).
( 12 ) Un ex emple peu t être donné avec la vi ngtaine de
compagnies privées qui ont pris en charge 1'exploitation des li gnes ferrov iaires après le démantèlement de
Brit ish Rail. On a vu au fil des années une succession
de grève s localisées dans des catégories diverses
(agents de conduite ou contrôleurs) qui rejaillissent
les unes sur les autres, créant une sorte de pert urbation continue qui ne peut pas plus être coordonnée que
contrôlée, et qui est finalement beaucoup plus chaotique
qu'une grève générale. ll en est de même dans d' autres
secteurs comme les hôpitaux ou les travailleurs municipaux.
chemins de fer, divisés lors de la privatisa tion en une vingtaine de sociétés di stinctes, les transports routiers locaux, les
postes , la santé, 1' enseignement, les travailleurs municipaux .. .
Cela confinait à une sorte de chaos que
ne po uvaient résoudre des d is cussions paritaires , en raison précisément de 1'émiettement des entreprises, vou! u pour briser
la combativité ouvrière mai s qui ne réussissait qu'à fa ire resurgir cette combativité
sous une autre forme .
E CAS de la dernière grève des postes
britanniques (Royal Mail) ill ustre bien
cette situation.
Il serait compliqué de recenser et de retracer les affrontements dans les postes britanniques depuis une bonne décennie- de
multiples grèves sauvages, le plus souvent
très localisées, quelques grèves« légales»
contrôlées par le seul syndicat CWU (Communication Workers Union). Un des derniers services publics à n'être pas démantelé, mais soumis à une press ion constante
en vue d'en accroître la productivité (restructurations liées à la mise en a:uvre de
techniques modernes, introduction de la
polyvalence et de la flexibilité, restauration de la discipline ... ) le tout dans la perspective d'une mise en concurrence dictée par
les règles de l'Union e uropéenne et d'une
future privatisation .
Les grèves sauvages se déroulaient la
plupart du temps selon un schéma devenu
class ique. Pour ne pas avoir sur le dos une
grève générale qui risquerait d 'avoir des
répercussions dans d ' autres secteurs (13),
(suite page 28)
L
( 13) Par contre le syndicat FBU a dû faire des efforts
constants pour prévenir une grève générale des pompiers dans tout le Royaume-Un i et ce malgré plusieurs
votes favorables à une telle action.
ECHANGES 107 • HIVER 2003·2004- 25
VIETNAM
Le témoignage d'un postier de Londres :
« Maintenant il est clair qu'ils doivent discuter avec nous »
( ... )Le management paraissait mieux préparé que lors de
la dernière grève sauvage
en 2001. La grève avait
quelque peu une allure de
Jock-out venant de la direction
dans l' espoir de mettre en
œuvre localement l'accord
na tional.
D' un côté, il y avait moins de
conflit entre les leaders syndicaux et la base que lors de
la dernière grève, parce que
depuis lo rs une direction
syndica le " plus radicale »
ava it été élue. C'était les
shop-stewards qui faisaient
les communications et faisaient circu ler l' information
entre les différents centres
en grève. Les publi cations
synd ica les étaient pires
qu'inutiles ... Meilleure est la
feuille d'informations émanant du groupe de base
" Postwo rker "• influencé
par le SWP (Socialist Workers Party , de tenda nce
trotskiste).
Là où nous travaillons, nous
sûmes que les grèves sau vages avaient comme ncé
par un représentant syndica l, notre shop-steward. Il
convoqua un meeting pour
nous dire ce qu'il en était
se tiennent ha(les meetings
,
bituellement à la cantine ou
sur le parking). Tout le
monde éta it là . Et la première chose que l'on vit , ce
fut que le principal manager
présent voulait prendre la
paro le pour nous expl ique r
ce qui se passait ; il essaya
de nous lire la déclaration du
CWU, mais on ne lui a laissé
aucune chance. La direction
restait en contact dans ses
bureaux avec le gars du syndicat, en conformité avec les
instructions offic iel les, lui
dictant ce qu'il devait faire
dans une tell e situation : le
laisser prendre la parole,
mais auparavant essayer de
le persuader de se tenir en
dehors de la grève.
Rester à la maison
Le délégué syndical essaya
de s'en tirer en nous disant
simplement ce qui se passait avec cette grève et en
déclarant que c'était à nous
de décider comment réagir.
Quand un des pos tiers qui
n'était même pas syndiqué
lança un appel à la grève, le
ga rs du syndicat nous dit :
" C'est une suggestion,
alors votons. » C'était seulement une formalité car tous
votèrent la grève à main
levée. Il y en avait bien dans
le lot qui auraient so uha ité
ne pas commencer la grève
immédiatement, ma is seulem ent refuse r de trier le
courrier venant des autres
centres en grève. Tôt ou
tard, c'est ce qui serait arrivé et alors ce travail supplémentaire aurait dû être
pris en charge par les
cadres, qui auraient tenté de
nous l'impose r. Et alors,
nous aurions refusé et nous
aurions débrayé ...
Le choix qui était devant
nous était soit d'attendre
jusqu'au moment où on nous
demanderait de faire ce travail de jaunes , so it, moins
passivement, de dire : " Ils
ont suspendu des postiers
dans d'autres centres qui ont
débrayé, alors débrayons en
solidarité. » C'était cette dernière et plus agress ive solution de riposte immédiate
que le gars de la base non
syndiqué proposait.
Pour la plupart de ceux tra vaillant dans le centre, être en
grève sign ifia it rester à la
maison . Il n' y ava it réellement pas besoin de piquet
de grève de masse, parce
qu' il était clair que tout le
monde était en grève. Pour
MAFIA ET NOMENKLATURA
FONT BON MÉNAGE
Deux proc~s à grand spectacle viennent d'étaler au grand jour
la corruptton de membres haut placés de l'administration
et du Parti communiste
A
HANO I, le 17 novembre, s'est ouvert
le procès de membres haut placés
de la nomenklatura poursuivis pour
corrupti on, parmi lesquels on trouve deux
anci ens vice-ministres, celui de l' Agriculture Nguyên thiên L uân et cel ui du Développement rural Nguuên quang Ha. La complaisance de ces derniers ont permis à La
th i Kim Oanh , ex-directri ce d'une entreprise publ i que d'invest issement et de marketing, de détourner 6,9 mi llions de dollars
entre 1995 et 2001 . Autres accusés : deux anciens directeurs de département du ministère
ainsi que troi s respon sables des soc i étés
d'Etat. Plus de deux cents personnes, en
majorité des fonctionnaires, ont été appe lées
à témoigner à la barre.
...
C'est dans les années 1990, avec l'économie de marché et l'arri vée des investisseurs étranger s, que l a cup i di té des nouveaux. parvenus au sein de la nomenklatura,
rampante à partir de 1986, au cours de la
période D ôi Moi dite de~~ Rénovation»,
s'étale au grand jour : accapar ement s, népoti sme, corruption, concussion ... à tous
les échelons du pouvoir, sur un fond de dégradation sociale inconnue jusqu 'alors. Les
mafias, la prostitution, le trafic de drogues
gangrènent la société tout entière.
A l ' intérieur de la caste règne une lutte
sans merci pour le pouvoir, et pour l 'enrichissement rap i de, par tous les moyens.
Sporadiquement éclatent des affaires scandaleuses, inavouées, inavouabl es. Sous
couvert de« moral ité publique», la mafia
officielle règle ses comptes, quelques têtes
tombent, quelques comparses sont j etés en
prison. Parmi eux., des membres du parti
plus ou moins bi en placés dans l'appareil
d'Etat, dans la finance, l'armée, la po l ice,
dénoncés par d'autres tout aussi corrompus, dans une lutte féroce entre r ivaux..
•
La récente affaire Nam Cam dévoile au
grandjour l ' i nterpénétration de la mafi a et
de la nomenklatura régnante. Trân van Cam
alias Nam Cam, natif du Quang nam, a été
soldat dans l'armée du Sud puis docker. Il
devint prince des bas-fonds de Saigon à
partir du Dôi Moi à la fin des années 1980.
Il parvint - avec la compl i ci té de la pol ice et l'appui des hauts cadres du pouvoir
- par des trafics, rackets ct organisations
de tripots clandesti ns, à réal i ser une f or tune colossale. A rrêté une première f ois en
1995 et déporté en camp de rééducation, i l
./
fut r elâché avant terme.
Le procès spectacle - toujours pour l)i
«moralité publique» - où com parut devant ses juges Nam Cam, 56 ans- pour
meurtres, organisat ion de jeux, corrupti on,
ECHANGES 107 · HIVER 2003-2004-4 7
26- ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
rakumin dans les grandes entreprises du
pays et q ue certains patrons n'hési tent pas,
dans le doute, à faire appel aux services
d'un dé tective privé pour enquêter sur les
origines fam ili ales d'un candidat à un poste
stratégique .
Les art isans qui, en Europe, ont
concou ru à la formation des classes laborieuses modernes, ne sont, au Japon, pas ,
ou seulement très peu, devenus des prolétai res . Les capitali smes européens on t réduit les artisans à la prolétari sat io n en détruisant 1'art isanat traditionnel grâce à la
production de masse d'objets de piètre qualité à bas coût. Mais, au Japon, l' industrie
moderne n'entra pas en concurrence avec
l' artisanat tradi tionnel et la rapidité du bouleversement social et économique jet a sur
le marché une main-d'œuvre peu chère et aisément malléable qui rendait superflu, ou
impossible, le recours à des compétences
surannées. Si l'industrial isation du filage et
du tissage de la soie, par exemple, profita
d'aptitudes anciennes, ce fut l' Etat qui créa
de toutes pièces les filatures de coton. Nous
avons vu plus haut qu'il avait confisqué en
1872 la manufacture de cotonnades de
Sakai pour en faire une usine pilote. En
1879, après que les filateurs de coton eurent
tenu une conférence l' année précéden te,
au cours de laquell e ils avaient exprimé
leurs doléances : manque de capitaux, prix
élevé du charbon, transport intérieur et vers
l' étranger trop onéreux , concurrence des
fi lés su rtou t britanniques et inefficacité
des ouvriers, le gouvernemen t lançait un
emprunt nat ional afin d'acheter à l'Angleterre vingt mille broches à filer le coton,
qu' il revendit en grande partie à crédit à
des entrepreneurs privés. De même, la fabrication du verre était quasiment inconnue du JapOn féodal; fenê tres et portes coulissantes des maisons étaient couvertes par
46- ~CHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
du papier, et la poterie fournissait les récipients domesti ques . J'ai ici auss i n oté
plus haut que 1'Etat fut 1'instigateur de 1'industrie du verre en fondant une verrerie à
Shinagawa, un qu artier de Tôkyô, en 1876.
Par contre, dès le débu t de la restauration impériale, les artisan s servirent au
Japon d'intermédiaires entre employeurs
et travailleurs, car il fallait quelqu'un entre
l'encadrement, presque quasim ent entièrement issu de l'ancienne noblesse, et les ouvriers séparés des premiers par un immense
fossé social. Ces intermédiaires jouaient
le rôle de recru teurs et de contremaîtres.
Selon les industries où ils exerçaient on les
appelait oyakata ( « patron » ), oyabun
(autre terme désignant un « patron ») ( 13 ),
koshu (« chefrecruteur »), hanbagashira
( « maître du gîte et du couvert ») au Nord
du Japon ou bien nayagashira ( « maître
d'une grange») à l 'Ouest de l' île de Honshû et dans 1'île de Kyûshû, et étaient parfois organisés en véritables agences de recrutement (kuchiireya) qui pouvaient avoir
sous leur au torité jusqu'à une centaine
d'ouvriers; ces agen ces de recrutement
servant en sorte de sous-traitants (14).
J.-P . V.
(à suivre)
(13) « Patron» a la même origine en japonais qu'en
français : le père, pater en latin, pour le français et les
parents, aya en japonais. Il indique la relation paternaliste, protectrice, établie entre le chef ct ses subordo nnés. Seuls ces termes d'oyakata ct d'oyabrm son t
restés pour désigner de nos jours les patrons d'une entreprise, quoique désormais les jeunes ouvriers et em ployés ne les utilisent presque plus.
(14) Voir Bernard Thomann, « L'entreprisejaponaise
comme "lieu de solidarité sociale" ? », in Cipango .
Cahiers d'éllldesjaponaises . n• 9, automne 2000; et
du même auteur,« La réception des savoirs occidentaux et la naissance de relations professionnelles "à
la j aponaise"», in Dantma. Rev11e d 'ét11des japonaises.
n• 10/1 1, automne 2001, éd. Philippe Picquier, 2002 .
ON EST PLUS DANS LES
ANNEES 70 AlAN -IL FAUT
S'ADAPTER ET MAINTENANT
JE VAIS ECRASER CES
GREVISTES 1
170 postie rs du centre au
plus , 20 à 30 forma ient le piquet. Il y avait aussi dans le
centre des travailleurs tempo raires , mais ils ne traversèrent pas le piquet (ces
trava il leurs étaient des intérimaires qui venaient selon
les besoins du centre). Il y a
une séparation bien défi nie
entre eux et nous. Il y a aussi
des postiers avec un contrat
à d urée déterminée, mais
eux travail lent en permanence à nos côtés et sont
traités par les autres postiers
et par le management
comme les postiers sous
contrat indéterminé (la plupart de ceux-là finissent par
obtenir des contrats permanents) .
Les seuls qui traversaient le
piquet étaient le manager et
les préposés au nettoyage,
avec lesquels nous n'avions
guère de contacts.
IL YADEJA t>ES GENS
QUI FONT LA QUEUE
POUR BOSSER, ET JE
TIENS AVOUS DIRE •••
L'atmosphère autou r de la
grève allait des soirées barbecue à : " On va le ur apprendre à se rendre compte
que la grève pourrait durer
longtemps."
« On a gagnt! »
Après les négociations, le
CWU et le management lancèrent un appe l à une reprise du travail , alors qu'ils
étaien t parvenus à un accord. Le lendemain matin ,
parce que nous ne savions
rien au sujet de cet accord,
nous avons continué la
grève. Un jour plus tard, il
apparut cla irement qu'il n'y
aurait aucune sanct ion
contre les grévistes et pas
de retou r sur le plan local
aux tentatives de réorganisation que nous n'avions pas
acceptées. Le sentiment général était" On a gagné " ·
La cause fondamenta le de
... QUE JE NE VAIS
PLUS EMBAUCHER
DE MEMBRES DE
VOTRE PUTAIN DE
SYNDICAT 1
la grève était une tentative
de " mater " le synd icat et
de mettre en place les changements que nous n'avions
nullement votés.
Maintenant il est clair qu'ils
doivent " discuter avec
nous "· Si le management
avait tenté de briser la grève,
les choses seraient bien
pires pour lui aujourd'hui.
C'était une grève défens ive
mais victorieuse. Il était évident que nous avions brisé
la législation anti-grève .
Dans cette situation, les bureaucrates nationaux n'avaient pas vraiment essayé
d'imposer le respect de la loi
et les représentants syndicaux de base avaient activement œuvré contre ces
lois. Nous avions aussi brisé
la politique anti-grève de ces
bureaucrates et nous avions
réussi comme nous l'avions
fa it. "
a;cHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 27
(suite de la page 2 5)
les différents ingréd ients supposés augmenter la rentabi lité des services n 'éta it
pas mis en œuvre d' une manière globale,
mais au coup par coup, localement (on peut
supposer qu ' une stratégie vise à tester les
réactions dans les secteurs les plus faibles,
à voir si elles resteron t localisées ou risquent de s' étendre géographiquement) . La
direction d'un cen tre de tri ou de distribution (facteurs) essaie unilatéralement (peutêtre parfois avec 1' accord des bureaucraties synd ica le s locales) de réorganiser le
travail.à la base. Par exemple, comme on
l' a vu récemment, en demandant aux chauffeurs de voiture postal e de faire du tri, ou
en modifiant les tournées des facteurs , etc.
(14). Un ou plusieurs des travailleurs
concernés refusent d'exécuter ces ordres
et sont immédiatement mis à pied. Les
autres postiers du centre concerné débraient
tout aussi immédiatement.
Le courrier bloqué par cette grève sauvage est alors acheminé vers d'autres
centres proches. Mais les postiers de ce
centre refusent de fai re ce travail ou se
mettent en grève à leur tour. Généralement,
devant cette menace d'ex tension et
d'autres menaces plus sérieuses si la di rection veut poursuivre 1'épreuve de force,
tout est annulé, le statu quo maintenu et
les sanctions levées. La plupart du temps,
la base du syndicat (les délégués) est directemen t impliquée dans ce type de
conflit, bien que les instances hiérarchiques du syndicat CWU préfèrent 1'ignorer ou tentent de trouver un compromis
avec les directions. Dans le passé, de tels
conflits ont pu parfois s' étendre à la dimension de l'agglomération de Londres et
le syndicat CWU s'est vu menacé de poursuites pour ne pas avoir « disc ipliné »
« ses » délégués de base.
Cette guérilla s'est développée ces derniers temps, à la fois à la mesure d'un mécontentement global (15) et à celle de tentatives plus précises pour accélérer la
restructuration de Royal Mail. Pour tenter
de l'endiguer, le syndicat a lancé en août
un appel à une grève générale dans le s
postes pour une augmentation de 8 %des salaires sans autres conditions .
La direction des postes fit des contrepropositions globales, comportant une
augmentation de salaires de 14,5 % étalée sur dix -huit mois (seulement 3 % en
2004), augmentation en partie liée à la
« performance », la pos sibilité de changer de poste de travai 1 et des restructurations.aboutissant à la perte des heures supplémentaires et à la suppression de 30 000
emplois (sur 160 000). En particulier, des
discussions ultérieures avec le CWU devaient préciser l'étendue de ces restructurations , à savoir :
- distribution du courrier seulement
une fois par jour (l'essentiel des
30 000 emplois supprimés viendrait de là) ;
- fermeture de 3 000 à 9 000 bureaux
de postes« improductifs» ;
- flexi bilité totale, n'importe quel postier pouvant se voir assigner au pied levé
n'importe quel travail ;
- présence plus tôt et plus tard, en de-
{14) voir note (3) ci-dessus. Il semble certain que, malgré les attaques de pl us de vingt années sur les pratiques de travail, celles -ci ont subsisté et sont à la base
des affrontements dans les tentatives de restructuration
des servi cel>, postaux dans laque lle la flexibilité joue ua
rôle central.
{15) S'il est ua Etat où la manipulatioo des statistiques
économ iques masque la réalité sociale, c'est bieo le
Royaume-Uni : la médiat isatioo d'uoe << prospérité
britannique» n'évoque guère le fossé qui s'est coosidérablement élargi entre riches et pauvres depuis l'ère
Thatcher.
28- ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
Les travailleurs
Les classes laborieuses modernes, c'està-dire des êtres humains contraints collee·
tivement de vend re leur force de travai l, se
sont formées avec la grande industrie, à la
fois par elle et contre elle. E. P. Thompson
a montré, dans La Formation de la classe ouvrière anglaise ( I l) comment, en Angleterre (mais on pourrait ex trapoler son analyse à la France), les manufactures ont
bouleversé la vie quotidienne de milliers
de gens, les ont obligés, malgré leur résistance, à vivre dans la promiscuité et soumis au temps rythmé par les sirènes des
usines.
Au Japon, ce bouleversement s'est fait
brutalement entre 1868 et 18 90, pour ensuite se parfaire beaucoup plus lente ment
jusqu 'en 1945 . Après que le gouvernement
eut restauré en 1869 la liberté de choisir
son lieu de résidence et son métier, entravée par le shôgunat, aboli en 1872 l'ordonnance datant de 1643 qui interdisait
l'achat et la vente de terres agricoles (Tahata eitai baibai kinshi rei) et émis dans
la fou lée des mill ions de certificats de propriété, de nombreux paysans se retrouvèrent
soudainement soumis au métayage, constituant alors la réserve de main-d'œuvre bon
marché dont avait besoin 1'industrie.
Une deuxième classe devait participer
aux origines des classes laborieuses modernes : les eta ( « impurs » ), une frange de
la populat ion exclue de la société depuis
plusieurs siècles, à l'instar de la caste des
intouchables en Inde. Mais alors qu'en
Inde, le bouddhisme avait opposé sa doctrine
égal itaire de l'humanité au sytème des
castes de la religion hindouiste, introduit
{I l ) E. P. Thompson, TheMakingo(theEnglish Working Class ; traduction frança ise : La Formation de la
classe ouvrière anglaise. Gall imard/Le Seuil, 1988.
au Japon par 1'empereur Kinmei (509-571)
il allait justifie r dans ce pays l'exclusion
de tous ceux qui étaient en contact avec la
mort animal e : corroyeurs, équarisseurs,
tanneurs, écorcheurs, etc. Ces parias, volontaires dans un premier temps pour remplit des tâches que personne ne vou lait accomplir, se transmettaient leurs fonctions
au sein d'une même famille. Leur exclusion sociale semble avoir été recensée par
écrit pour la prem ière fois au XIW siècle
dans Je recueil Chiri bukuro (« Sac de
poussière») (12). Y appartenaient aussi
les artistes et déclassés de toutes sortes. Ils
reçurent différents noms tout au long des
siècles : eta ( « impurs ») ou hi nin ( « nonhumains »), no ms abolis en 1871 lorsque
le gouvernement décida de les inclure dans
la catégorie préalablement existante de heimin («peuple »); mais cette intégrat ion
décrétée d'en haut échoua et les anciens
parias furent longtemps appelés shin heimin,
c'est-à-dire Je« peuple nouveau ».Ils sont
surtout connus aujourd'hui sous le nom de
burakumin ( (( peuple des hameaux » ).
Quoique sanc tionnée par la loi, la discrimination à leur égard subsiste de nos jours,
quelquefois géographiquement (de nombreux fabricants et commerçants d'objets en
cuir sont concentrés dans le quartier de Hanakawado de 1'arrondissement de Tait ô ku
à Tôkyô, pour ne citer qu'un exemple),
mais surtout à différents niveaux de lasociété jappnaise: pour entrer dans des universités prest igieuses, à l'embauche, etc.
Il est de notoriété publique que circulent
en toute illégalité des listes de noms de personnes supposées avoir une ascendance bu-
{12) Takahashi Sadaki, Hisabetsu b11rakumin issennen shi (Mille ans d'histoire du peuple des hameaux spéciaux), éd. lwanami Shoten, 1993 ( 1~édition : 1924),
p. 85 .
ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004-45
par une vin gtaine de sp écialistes européen s ; des Japonais formé s par eux les
remp laceront en 1875, et en 1878 le cinquième de la soie était fi lé mécaniquement.
En 1871, le gouvemement ouvrait à Akabane,
dans la banl ieue de Tôkyô, la prem ière
usine de construct ion de machines . En
1872, il confisqu ait la manufacture de cotonnades de Sakai, qui avait été fondée en
1870 par le fief de Satsuma avec des machines importées d'Angleterre, pou r en
faire une usine pi lote sur le modèle de
l' usine de soieries de Tomioka. En 1875,
il créai t une cimenterie à Fukagawa, dans
la banlieue de Tôkyô, qu 'il privatisera en
18 83 au profit d ' Asano Sôichirô ( 18481930); cette même année 1875, le gouvernement fonda it un important élevage de
moutons dans la province de Shimôsa, préfecture de Chiba, ainsi qu'une usine de tissage et une filature à Senju, dans la banlieue de Tôkyô. En 1876, il établissait une
verrerie à Shinagawa, un quartier de Tôkyô.
Les exemp les abondent d'usines créées ou
soutenues par le gouvernement dans les années 1870.
Dans le même tem ps, 1'Etat japonais
intervenai t résolument dans la construction des bases nécessaires à la production
et à la circulation des marchandises : un e
monnai e national e, le yen, voit le jour en
1870 ; aux environs de cette même année
1870, le problème des transports dans la
nouvel le capitale est provisoiremen t réglé
par 1'apparition de petites voitures à deux
roues tirées par un coureur, lesjinrikisha
( « vo it ures mues par la force humaine >>);
en 1871, le système postal est étendu aux pays
étrangers ; une première ligne de chemin
de fer, reliant Tôkyô à Yokohama, est inaugurée en 1872 ; des écoles primaires publiques ot~vrent leurs portes à partir de
1873 ; en 18 80, toutes les granpes villes
44- ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
du Japon sont reliées par un réseau télégraph ique appartenan t à 1'Etat ; enfin , en
1883, les premiers tramway s parcourent
Tôkyô .
Pour ce faire , l'Etat japonais s'est de
tout temps énormément endetté. Ludovic
N audeau notai t en 1909 que la dette pubiique était en 1907 sept fois plus importante
qu ' avant la guerre sino-japonaise ( 18941895) et 3,8 fois plus qu'avant la guerre
russo-japonaise ( 1904-1 905) (8) . En 1992,
Brian Reading remarquait qu'entre 1973
et 1979 la dette publique globale avait triplé pour atteindre le tiers du produit intérieur brut (PIB) (9). Et le journal Le Monde
donnait pour 2002 une estimation de la
dette publique japonaise atteignant 141,9%
du PIB, presque deux fois et demie le taux
français (59%) et plus du double du taux des
Etats-Unis (estimé à 60,3 %) (10). Laquestion de la dette publique est un problème
récurrent au Japon et la tentative de la réduire entre 1880 et 1890 par la vente des
usines dont 1'Etat était propriétaire fut la
première d'une longue série.
C'est grâce à la planification du développement i ndustriel par l'Etat que les
clans seigneuriaux que j'ai nommés plus
haut ont tissé les liens entre la bureaucratie et les employeurs, entre les pouvoirs
économiques et politiques, qui allaient survivre jusqu'à auj ourd'hui, alors que
presque personne ne se souvient plus de
leurs noms.
(8) Ludovic Naudeau, Le Japon moderne. Son évolution. Ernest Flammarion éditeur, 1909, pp. 250-251.
(9) Brian Reading, Japan. The Coming Collapse
(Japon. L'Effondrement qui vient), Weidenfeld and
Nico lson Ltd, 1992, p. 142.
( 10) «Les indicateurs économiques internationaux Le
Monde/Eurostat »,Le Monde, 16 décembre 2003.
hor s de 1' horaire normal si la masse de
courrier le requérait ;
- ob ligation de« coopération » pour
les représentants syndicaux dont le temps
toléré j usqu'ici d ' activité synd icale était
réduit ;
- pour suite de la modernisation, notamment du tri, impliquant la suppression
des centres encore en activité (une idée de
l'ampleur de ce projet peut être donnée par
l'ouverture prochaine d'un centre de tri
proche de l'aéroport d'Heathrow, centre
ultra-automat isé et qui aboutirait à la suppress ion de neuf centres de tri existants).
Un premier vote contre la grève
Le syndicat CWU, dont les instances
supérieures ont certainement participé à
l'élaboration de ce projet monumental, accepta de su ivre la procédure légale habi tuelle de règlement des conflits et de le
soumettre au vote (au moins dans ses
grandes lignes, puisque le détail dépendait
de discussions ultérieures avec la direction, dont le résultat ne serait pas de nouveau soumis au vote mais présenté comme
une conséquence inévitable de l'accord précédent) . Le rej et des propositions patronale s signifierait la grève générale. Tout
en le préconisant mollement, la direction
du CWU déclar ait qu'elle ne lancerait
l'ordre de grève que le plus tard possible,
après avoi r épuisé les voies de la négociation. La direction de Royal Mail, relayée
par les médias, se livrai t en revanche à
toutes les pressions imaginables pour obtenir
un vote favorable : réunions sur le lieu de
travai l, lettres personnalisées adressées à
chaque postier.
Le 17 septembre, par 48 038 voix contre
46 391, les propositions patronales furent
déclarées« acceptées par la base». Sur les
160 000 postiers, 40% s'étaient abstenus,
sans compter tous ceux qui travaillai ent
pour la poste. Autrement dit, toute la hiérarchie et les employés de bureau avaient participé au vote mais non la partie la plus
«active» de Royal Mail, la plus concernée par les propositions patronales (à
Londres, où cette« partie active » de base
était plus importante, avec 30 000 postiers
desservant près de 4 millions de foyers , le
projet avait été rejeté à 72 %). Gouvernement, appareil hiérarchique, patronat et
médias dans leur ensemble pavoisaient devant ce résultat pourtant pas du tout significatif. Un dirigeant du CWU justifiait
l'inertie de son syndicat en cette circonstance en déclarant : «C'est très dur
d'amener les travailleurs britanniques à
faire grève (16). »
Les dirigeants de la poste, encouragés
par ce« succès »(et, certainement, par le
pouvoir) s'empressèrent de« marquer le
coup ». D'une part, ils présentèrent au
CWU les termes d'un« accord final» comportant la mise en œuvre des mesures énoncées ci-dessus, mai s rejetant en même
temps la revendication syndicale de porter
à 4 OOQ livres sterling 1'indemnité spéciale
de vie chère ( « London Weighing ») que
touchent les postiers de l'agglomération
de Londres ( 17). D'autre part, dans les
centres distincts, les petits potentats locaux prenaient les devants et commençaient
(16) On peut mesurer l'humour involontaire d' une telle
déclaration lorsqu ' on sait que le synd icat CWU a
constamment bloqué toute tentative de généralisation
des grèves sauvages, ce qui peut par ailleurs se comprendre vu les risques que cela comportait pour le syndicat en tant qu'organisation légale exposée alors à des
sanctions particulièrement sévères.
(17) Depuis l'ère Thatcher, une énorme différenciation
s'est établie entre les conditions de vie à Londres et dans
le reste du Royaume-Uni. Dans la capi tale le coût de la
vie, notamment du logement, est tel que les primes spéciales de vie chère dont il est question sont non seulement
nécessaires mais aussi largement insuffisantes .
ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004- 29
Comment la haute direction
de Royal Mail entend briser
une grève sauvage
Au début de la der nière sema ine d'oc tobre, a lors que des grèves sauvages local isées commençaient à poindre, le
centre de direction de Roya l Mail envoyait
à tous les centres postaux du Roya umeUni des ins truct ions sur la man iè re de
contrer les foute urs de merde.
Ces prétendus" leaders •• deva ient être
id entifiés , leu rs conversatio ns espionnées et tous leurs mouvements devaient
ê tre notés. Les mêmes instructions précisaient la manière dont les chefs deva ient se comporter devant une grève
sauvage. Ils devaient pour ce fa ire utiliser
tous les moye ns techniques possibles :
d'espionnage, dont des cameras vidéo,
se déguise r en postiers et circu ler dans
le quartie r dans des voitures postales
pour faire croire Que la grève était inefficace, questionner les délégués syndicaux
pour leur tirer les vers du nez et tenter de
savoir ce qui se préparait, agir pour imposer la présence d'un ma nager dans les
assemblées générales des centres postaux,
fil mer les piquets de grève, etc .
Un autre aspect est plus classique: essayer
de mou ill er le synd icat dans ces a ctions
sauvages , prop ag er dans les médias
l'existence d' un com ité clandestin de coordination influencé par les trotskistes du
SWP (Socialist Workers Party).
On peut penser à ce que de tels conse ils
couverts par la direction peuve nt donn er
dans l'im aginat ion de cadres retors ou
carriéristes ou les deux à la fo is .
30- ~CHANGES 107- HIVER 2003-2004
à imposer ce qui n'avait pu être mis en
pratique auparavant à cause des résistances
d e base. Mais, comme le dit un postier :
«Nous en avons ras le bol d 'être traités en
esc laves ... Faisons s'effacer le sourire
de tr iomphe sur les faces de rat des
managers. »
(Source : Laurent Schwab. le Japon .
Réussites et incertitudes économique s.
ed. Le Sycomore. 1984)
L'extension des
mouvements illégaux
Peu de temps après, des grèves éclatent
de nouveau :grèves sauvages le 4 octobre
à Oxford et Headl ington, dans l'ouest de
l' Angleterre, et grèves légales d'une journé e les 27 septembre et 16 octobre à
Londres , pour le« London Weighing ».
Tout Je long d'octobre et début novembre vont s'entremêler ces types de
grèves, dont l'extension res tera complètement incontrôlée dans la région de Londres
(qui traite une part importante du courrier
national) et atteindra le nord du pays, notamm ent l' Ec osse. Direction des postes,
gouvernement, dirigeants syndicaux et représentants des employeurs tinrent des réunions d'urgence. La direction des postes
essayait de ramener le conflit à la seule
question du« London Weighing »pour empêcher l'extension de la grève à tout l e
pays. Le 29 octobre, les dirigeants du CWU
envoyèrent dans tous les centres , y compris aux dirigeants, une lettre ouverte inti tulée« Comment résoudre le problème
des grèves sauvages ? » ; dans ce document, les di rigeant s syndicaux se désolidar isai ent des grèves en cours et dénonçaient le fait que le management les en
tenait pour responsables . Dans ces conditi ons, le CWU lançait un appel à la reprise
du travail sans aucune sanction.
Le management tenta de briser la grève
en envoyant d es jaunes (la plupart des
cadres) pour faire fonctionner les « ser-
.0 0
principal centre industriel
centre sidôrurgiqu~
~-.......
.........
,
~
...
~
'"
gisement de ttou ill e
;i1ement da pétrole et dot gaz
cuivre
~CHANGES 107 • HIVER 2003-2004 - 43
ennemie à la noblesse, sur laquelle le pouvoir royal s 'est parfois appuyé ou contre
laquelle il s'est battu en fonction de ses besoins.
Il y avait au Japon des métropoles surpeuplées qui étonnèrent les Européens à la
fin du XIX' siècle, à une époque où en Europe, hormis quelques excepti ons, les villes
restaient de gros bourgs par le nombre de
leurs habitants. Il faut dire que dans le
Japon du XIX' siè cle la superficie occupée
par une population atteignant 35 154 000 depersonnes en 1874 ( 6) se 1imitait à peu près
à l'île actuelle de Kyûshû et à la moitié sud
de celle de Honshû ; la carte ci-contre
(page 43) témoigne de la coupure géographique et industrielle du pays et de la tardive occupation du territoire national au
nord d'une ligne joignant Toyama à Tôkyô.
Mais malgré leur taille, ces villes n'étaient
jamais po litiquement que des centres administratifs et économiquement que d~s
bazars pour les paysans et les artisans alentour, en aucun cas des puissances politiques
et économiques.
Cette absence de force bourgeoise, dont
les villes ont été le foyer en Europe, et de
révoltes paysannes d'envergure explique
pourquoi la société des Tokugawa, minée par
ses con tr adictions , dut attendre une impu ls io n extérieure - la menace américa ine- pour imploser. Car malgré les
nombreuses famines qui ont frappé les campagnes, aucun document ne nous permet
aujourd'hui de nommer une jacquerie, tout
au plus quelques émeutes; ni, malgré le
contrôle tâtillon des seigneurs par le pouvoir shôgunal et la croissance de la puissance économique des commerçants, principalement de riz et de sake (alcool de riz),
de conc lure à une lutte idéologique et po(6) lapan A/manac 2003. Asahi Shinbun, 2002, p. 262.
42- ECHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
litique au Japon, comparable à ceJie menée
par la bourgeoisie et une partie de la noblesse avant 1789 en France.
La fin de l'époque shôgunale vit bien
naître quelques familles de commerçants
enrichis devenus banquiers pour des seigneurs qui, très souvent, ne pouvaient rembourser les avances d'argent faites à des
taux usuraires qu'en gageant chaque année
les récoltes de riz de l'année suivante. Mais
sous le règne des Tokugawa il était interdit
de vendre la terre et le passage d'une classe
à une autre ne pouvait se faire que par
l'adoption d'un enfant mâle. Si les commerçants possédaient de l'argent, le seul
usage qu'ils en avaient, par conséquent,
pour modifier leur situation était de payer
une famille noble afin qu'elle adopte un de
leurs enfants.
La restauration impériale devait balayer
ces rigidités, mais les commerçants, s'ils
étaient prêts à investir dans l'achat de terrain, n'étaient pas prêts à le faire dans l'industrie. Les grandes familles d'industriels,
issues des rangs de la noblesse ou du commerce, qui se sont retrouvées à la tête des
zaibatsu (7) après la première guerre mondiale,
ne prirent pas le contrôle des usines ; ce sont
les fonctionnaires qui le leur accordèrent.
La quasi-totalité des premières industries
furent instaurées par l'Etat.
Ainsi, lorsqu'en 1870,l'ancien seigneur
de Maebashi et la famille Ono (une grande
famille de commerçants enrichis à 1'époque
des Tokugawa) introduisent la filature mécanique de la soie à Tôkyô, l'Etat les soutient en créant sa propre filature à Tomioka,
dans 1'actuelle préfecture de Gunma, installée
vices prioritaires »; il dut rapidement abandonner cette tentative. La seule réponse
adressée par la base à la« déclarat ion »du
CWU fut le durcissement de la grève, qui regroupait dans 1a région de Londres pl us de
30 000 postiers et continuait de s ' étendre.
Nous donnons (p . 30) un aperçu de la
manière dont une grève sauvage sur une
ques tion apparemment de détail fait tache
d'hu ile pour se transformer en une grève
générale, réduisant à néant toute tentative de
restructuration et de mise au pas du mouvement de base. Nous donnons aussi le témoignage d'un post ier de Londres sur la
manière dont il a vécu la grève.
L'épilogue est bien dans la ligne des
grèves sauvages antérieures : une capitulation sans conditions de la direction, qui annu le toutes les velléités d'application des
propositions« adoptées » par le vote de
septembre et de sanctions contre les grévistes.
On doit bien comprendre que ce n'est
pas uniquement 1e souci de sauvegarder le
fonctionnement du service ou la crainte
d'une grève générale des postes qui motive cette capitulation. Mais la crainte, émanant des plus hautes sphères gouvernementales et capitalistes, que des conflits
ÇA M'RENDS VRAIMENT MAlAOE
DE BOSSER lA-D'DANS Ill
difficilement endigués par les syndicats et
le gouvernement dans de nombreux secteurs menacent, au moment de cette grève
des postes, de se transformer en une grève
générale : conflits d es pompiers , du secteur hospitalier, des employés territoriaux,
des chemins de fer ... et bien d'autres. Une
grève générale des postes risquerait de faire
éclater au grand jour une opposition de base
qui , jusqu'à présent n'a pas dépassé le niveau local fragmen té ou les manipulations
syndical es - comme ce fut le cas pour les
pompiers (18). L'accord conclu le lundi
3 novembre entre le CWU et la direction
centrale de Royal Mail stipule que des dé(1 8) Le mouvement des pompiers britanniques s'est développé pendant plusieurs années de grèves locales puis
dans des actions nationales limitées, le tout dans la
pleine légalité mais avec une grande cohérence, pour
les salaires et les conditions de travail . On peut y voir
une grande similitude avec le mouvement des postiers
en ce sens que le gouvernement entendait lier les augmentations de salaires à une restructuration conduisant
à des licenciements el à une augmentation de la« productivité )). La pression de la base était telle que le syndicat FBU 11. finalement dû, à l'autom ne 2002, organiser un vote sur la grève. Mais cette grève nationale.
décidée à une forte majorité, ne fut jamais décle11chée.
Les militaires devant jouer les jaunes en cas de grève des
pompiers, le sy11dicat joua la carte patriotique de la
guerre d'Irak pour surseoir à la grève ct le mouvement
s'enlisa dans une grande confusion. ·
CONSTRUIRE DES APPARTEMENTS DANS
LESQUELS J'HABITERAI JAMAIS ...
7) Zaibatsu est le terme japonais par lequel on désigne
les grands JrusJ n6s entre le début des années 1900 et
1920 (Mitsui, Mitsubishi, Sumitomo, etc.), avec pour
noyau une banque ou une société de commerce (sôgô
shôsha), que les Américains ont voulu briser en 1945.
~CHANGES 107 • HIVER 2003·2004 - 31
légués syndicaux vont aller partout en
Grande-Bretagne propager la bonne parole
pour une reprise immédiate du travail aux
conditions suivantes :
l. toutes les ten tat ives de réorganisation locales des services sont suspendues ;
2. aucune sanction ne sera prise contre
quiconque y compris celles qui avaient pu
être à l'origine des conflits locaux ;
3. aucune mesure concernant la distribution ne sera prise sans négociations à la
base;
4. aucune poursu it e ne sera engagée
contre le CWU, qui est reconnu« non responsable » de la grève.
Après, la grève cesse, bien que les postiers de Londres n'aient pas obtenu l'augmentation de leur prime (on peut voir ai nsi
que l' extension d'une grève et sa fin programmée peuvent permettre aux dirigeants
de bloquer une revendication première,
alors que la satisfaction de cette revendication
aura it eu des conséquences plus importantes ; par exemple, elle aurait amené
d'autres secteurs, géographiques ou professionnels, à demander la même prime ou
la même augmentation). Néanmoins cette fin
de grève est considérée par l 'ensemble des
postiers comme une victoire (voir le récit
du postier de Londres pages 26-27).
Elle ne préjuge aucunement du futur.
Si tant est que la lutte de classe ne cessera
qu'avec la fin du système capitaliste et de
1'exp loitation du travail, il ne fait aucun
doute que, dans ce secteur des postes, les impératifs du capital via les directives européennes et la pression du secteur privé des
messageries, imposera aux dirigeants de
Royal Mail de poursuivre tout Je programme de restructuration qui vient ainsi
d'être (temporairement) mis en échec. Nul
doute qu~ tous les organismes d'encadrement
du travail mettent au point les stratégies et
32- !:CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
tactiques pour tenter de répondre aux batailles qui s'annoncent.
Au moment où, en France, on parle de
limiter le droit de grève (limitat ion qui
existe déjà sous la forme des préavis de
grève dans certaines branches d'activité) en
introduisant par la petite porte un« service minimum » des transports, la manière
dont les postiers britanniques ont réduit à
néant une législation de la grève autrement
contraignante et sur monté les cadres syndicaux d'actions contrôlées peut être citée
comme un exemple. Toutefois, il faut
considérer que toute lutte de cette nature
s'inscrit dans un cadre historique différent
selon les pays et que , par suite, les méthodes utilis ées dans un Etat ne peuvent
pas forcément être copiées ailleurs.
« Mutualité » et « démarcation »
Les fondements de la lutte, s'ils marquent une rupture avec de la base avec les
directions syndicales, montrent aussi la
persistance de certaines notions dans les
relations de travail et dans l'utilisation des
structures de base syndicales, ces notions
mêmes que la« mise au pas» de l'autonom ie des luttes dans Je début des années
1980 avait tenté d'éradiquer, mais qui resurgissent. C'est ce que craignent de toute
évidence les commentateurs patentés que
nous citions au début de cet article.
Toutefois, il nous faut considérer que
les postes britanniques sont pratiquement,
pour d iverses raisons y compris l ' intervention de la lutte de classe, restées une
des seules entités nationales non démantelée (c'est un des principaux employeurs
britanniques, avec 160 000 travailleurs ,
nombre qui leur donne un pouvoir évident).
Aussi des pratiques de base dans les relations de travail, courantes autrefois dans
l'industrie mais éliminées dans les années
des étrangers pou r se ranger sous la bannière de l' empereur Kômei ( 1821-1867) et
se lancer en guerre à la fois contre le gouvernement d'Edo (2) et l'invasion étrangère.
La guerre c ivile entre les clans fidèles
aux Tokugawa et les c lans favora bl es à
l'empereur allait s'achever en 1868 avec
la victoire des seconds et la restauration de
la souvera ineté impériale (3). Le nouveau
pouvoir, instruit par les événements en
Chine consécutifs aux guerr es de
1' opium ( 4) et l'écrasement de ce pays par
les puissances européennes ains i que par
1'expansion coloniale de ces dernières en
Asie, décida de préserver l'i ntégrité de la
nation en ado pt ant les techniques occidentales tout en prétendant conserver des traditions de pensée féodales (5). C'est ainsi
que les clans les plus xénophobes ouvrirent le Japon aux influences européennes
pour mieux résister à l'Europe.
La fin de la féodalité fut de la sorte précipitée par un conflit entre clans au sein
des féodaux . Ce n'est pas la bourgeoisie
qui, se battant pour ses droits politiques,
ap lanit la voie au capitalisme au Jap on,
mais l' Etat. Le gouvernement de Meiji anticipait de quelque cinquante ans la piani ((2) Edo, qui prit le nom de Tôkyô («capitale de l' Est»)
lors du transfert du pouvoir impérial de Kyôto dans cette
ville en 1869, était le siège du gouvernement shôguna1 .3) Le règne de M utsuhi to ( 1852-19 12 ) est passé à
la postérité sous le nom d'ère Meiji ( 1868-1912). Meiji
signifie« gouvernement des Lumiè res>>.
(4) La prem ière ( 1840-1842) s'achève avec la signature du traité de Nanj ing le 29 août 1842, et la
deuxième ( 1858) se term ine par la signatu re des traités de Tianjin des 26 et2 7 j uin 1858.
(5) Le mot d'ord re de l'époque Meij i, wakon I'Ôsai
(«l'esprit japonais, le savoir-faire occidental»): avai t
été lanc é au temps des shôgun par un membre de
l' école Mito, Aizawa Yasushi (connu aussi sous le
nom d'A izawa Seish isai) ( 178 1- 1863). Milo est une
ville située dans l'actuelle préfectu re d'Jbaraki où résidait une branche des Tokugawa. Elle y ~ou tenait depuis le xvu• siècle une école de penseurs r/ui fournit des
idéologues au pouvoir shôgunal.
fication de type so viétique ; toutefois, la
bureaucratie japonaise, contrai rement à son
homologue russe, ne tentait pas de se rendre
maîtresse de l'économ ie à son seul profit
mais se mettait au service des employeurs
issus de ces mêmes clans qui détenaient le
pouvoir par empereur interposé. Dès les
premières années de 1'ère Meiji, l'Etat dirigera le développement industriel tout en
laissant aux féodaux la maîtrise de 1'agriculture et des pouvoirs locaux et national.
Cet interventio nnisme correctif de
l'Etat dans l'économie constitue un des
trai ts marquants du capital isme japonais
j usqu'à ces dernières années. La bureaucratie n'interfère toutefois avec le pouvoir
patronal que lorsque celui-c i p résente des
faiblesses dues à ses divisions internes ou
à des attaques externes. L'Etat japonais,
depuis les tout débuts de l'industrialisation au Japon, s'est toujours refusé à remplir les tâches sociales qu'il considère être
du ressort des entreprises elles-mêmes, et
s'oppose aux théories de l'Etat-providence
popularisé es par J ohn Maynard Keynes
(1863 - 1946) . La bureaucratie est simplement 1'élément conservateur qui, pour éviter les conflits d'intérêt s entre les deux
classes parties prenantes de l'industrialisation, les employeurs et les travailleurs,
maintient entre elles un équilibre à sa
façon.
Les employeurs
La séparation des villes et des campagnes éclaire toute l'hist oire économique
des sociétés. En Angleterre et en France,
par exemple, les villes constituèrent les
bases de l'offensive bourgeoise contre la
société féodale, et le citadin se distingue
très tôt du paysan par ses coutumes . La
croissance des villes dans ces pays aux
xv1• et XVII" s iècles a créé une puissance
!:CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004-41
1980, restent-elles ici bien vi vantes . Ces
prat iques, appelées « mutual ité >>et « démarcatio n )), font que les équipes règl ent
les conditions de leur activité e t que la direction ne peut assigner une tâche autre que
celle pour laquelle on a été embauché. Iii est
évident que ce manque de« flexibilité >>et
cette limite de l '« autorité>> gêne considérablement toute tentative de restru cturations. Ce que résume bien un d irigeant
de Royal Mail en déc laran t : « Il est nécessai re que chacun travai Ile d'une manière moderne », ajoutant que les structures actuelles permettent aux postiers de
« profiter >>d'une quantité impressionnante
d ' heures supplémentaires.
Ces pratiques s' appuient sur la structure de base du syndicat ( 19) c'est-à-dire
le délégué syndical, qui, selon le concept
du shop -steward élu directement, saris
-
~AA 'hf/~r_n.--
L'.:....(~c.-
et.:3!· -gu-...-• ............ ~
~~ -d.ut..
( 19) Si l' on c:ompare la position du shop-steward, par
exem ple avec celle du dtltgut tlu en France, on voit
qu' il n'a pas i etre accrMité par le syndicat et est ainsi
beaucoup pl us proche de 1a base.
.
.eu t:.lt,J'f....dt:é:. .. ••.
Tôkyô . Il revenai t en févr ier 1854 à la tête
d' un e petite fl otille d 'une hu itain e de na-·
vires et obtenait sans coup férir l' ouverture
des po rts de Shimoda et Hakodate au commerce améri cain par le traité proviso ire de
Kanagawa . Il relançait ainsi sans le savoir la
lutte entre clans que les shôgun ( 1) Toku-
gawa avaient réuss i à conten ir depuis leur
vi ctoire dans la batai lle de Sekigahara
(21 octobre 1600). Les clans de Sats uma,
C hôshû, Tosa et Hi zen (actuellement respectivement préfectures de Kagoshima, Yamaguchi, Kôc hi et Ôita), anciens vaincus,
prenaient prétexte des relations du shôgun avec
( 1) I.e titre de slrôgun (« général >>), précédé d 'une in di catio n hiérarchi que, était accordée par l' empereur
depuis le débu t du VIII' si ècle au x chefs des armées
envoyées contre les Ebi s u, un peupl e repo ussé to u jours pl us vers le Nord de l'archipel par les Japonais,
lors de di ver;es cam pagne s militaires. L' empere ur
Gotoba conféra pour la première fois héréditairement
le titre de Seii shi taishôglm («commandant en chef
contre les barbares>>) à Minamoto Yori tomo (11 47 1199) en 1192. Cette no mination ouvrait une période
de presque sept siècles durant laquell e les empereurs
durent se pli er au pouvoi r de di fférentes fam illes de
shôgun. La derni ère, cell e de s Toku gawa , gouverna
de 1603 à 1868.
40- tCHANGES 107 • HIVER Z003-Z004
.UHE REVOLUTION 1 ON PEUT
TOWOURS '(CROIRE, JIM 1
« mandatement >> syndical, représente plus
la b ase que l e syndicat. Cet « activisme
de base>> ouvre la porte à l'activisme politique, pour autant qu ' action syndicale,
action de classe et action politique se mêlent inextricablement, particulièrement
dans une structure para- étatique comme
le Royal Mail. C'est une des raisons pour
lesquelles une organi sation gauchiste
comme le SWP ( Sociali st W orkers P arty)
peut paraît re influencer tout le mouvement de base ; il serait pourtant erroné
d'attribuer à ces gauchistes (comme le font
facilement méd ias , di rection et gouvernement) la paternité de tels conflits, car
ils ne font que surfer sur le mouvement
autonome de base sans leque l ils ne seraient rien (20).
H. S.
décembre 2003
(20) Le SWP (Soci ali st Worker Party) est actuellement Je principal groupe trotskiste britannique. Ses
membres cherchent l se placer dans les appareils syndicaux f!d~rb dans la con f~d~rati on unique (Trade
Union) . Le journal Postwork~r (Le Pos tier) (dont il
est question dans le récit du postier page 26) est fortement i nfluenc~ par le SWP.
LE LUNDI SUIVANT...
BON, J'VAIS AU BAR, VOUS
VOULEZ UNE AUTRE BIERE 1
ECHANGES 107 - HIVER 2003·2004 - 33
DANS LES PUBLICATIONS
1
1
Etats-Unis
Bad Trip. La Californie
à l'heure de Schwarzenegger et Bush, par David Jacobs (Approximations, PO
Box 61036, Palo Alto , CA
94306 -1 036) (aproximacio nes@hotma il.com) (en
anglais) : considérations
sur les liens de la politique
et l'économique au niveau
de la Californie et à celui de
l'Etat américain
• Street Vo ice. Paroles
d'ombre (éditions Verticales) : nous avons souvent évoqué Street Voice,
feuille de rue publiée par
un de nos camarades à
•
Baltimore, consacrée aux
plus déshérités pa rmi les
plus déshérités du rêve
américain et qui, à travers
leurs tém oignages et leurs
récits directs, lève le voile
sur des vies laissées dans
l'o mb re. Ce petit livre en
donn e la traduction d'une
sélection.
• " Le complexe militaro-ln·
dustriel et le sion isme militant : une alliance pour
une guerre éternelle "· Ces
réflexions sur la guerre
tentent une approche poli·
tique de la situation au
Moyen-Orient. Against The
Current,
n• 107
(no-
vembre-décembre 2003).
Copie à Echanges.
• The Fortress Economy : ,
brochure sur le rôle économique du système des
prisons aux Etats-Unis, par
A.C.Lichtensten e t M.A.
Kroll (Ame rica n Friands
Service Committee).
(En anglais, copie à
Echanges).
Final Issue
• Discussion Bulletin
est mort avec son n• 120
(Juillet-août 2003), lronl·
quement titré • Final
Issue ,. et consacré pour
l'essentiel à la guerre
- celle d'Irak et la
guerre en général.
Les anciens numéros
peuvent toujours être
obtenus à D.B. p/o Box
1564, Grands Rapids, Ml
49501, Etats-Unis. Site
Internet : www.llberta·
rlan.soclallsm.4t.com
(tout est en anglais).
Vers l'Union
Européenne
Si noDs étions dans un pays où faire ça serait bien payé,
1
je ne le ferais pas.
34- tCHANGES 107 ·HIVER 2003·2004
• " Union européenne
serpent de mer ou réalité "
dans Présence marxiste
n• 32 (octobre 2003). Une
analyse toute relative bourrée de référe nces aux
" grands ancêtres •.
1
1
et une connaissance moins fantaisiste du
Japon ont changé la donne; il y a cepen·
dant encore peu d'études récentes sur les
classes laborieuses japonaises. Par contre,
de nomb reux auteurs, au Japon , comme
partout, ont étudié à satiété les mouvements
anarchiste, communiste ou syndical. Ces
écrits sont d'intérêt variable, et je ne m'y
intéresserai pas ici, sauf occasionnellement
dans un paragraphe sur le socialisme.
On entend beaucoup parler d'un mo·
dèle de« gestion à la japonaise», qui s'appuierait sur une totale passivité de la classe
ouvrière. L'hypothèse du confuciannisme,
censée expliquer cette passivité, est une de
ces hypo thèses complaisantes qui neveulent rien dire. Je veux montrer, au contraire,
que cette« gestion à la japonaise>> est le
résultat des luttes ouvrières depuis le début
du xx• siècle et des réponses que les employeurs et la bureaucratie ont apportées à
ces conflits; non d'une passivité supposée
de classes labor ieuses atones livrées à des
employeurs tout-puissants. mais d'un équilibre s ans cesse provisoire en tre trois
forces : bureaucratie, employeurs et travailleurs.
La bureaucratie
Le Japon s'était préservé, au x vu• siècle, de la première tentative d'européanisation
du monde, en promu! gant les édits contre les
catholiques de 1612 et 1614 suivis du départ des Anglais en 1623, puis de l'expulsion des Espagnols en 1624 et de celle des
Portugais en 1638. La fermeture r elative
du pays, qui consentait seulement à commercer avec les Chinois et les protestants
hollandais et interdisait à ses nationaux les
voyages à l'étranger, allait figer les relations féodales pendant plus de deux siècles
au Japon, alors qu'elles s'éteignaient en
Europe.
1
!l),.;_ .ftif' ter~tc
- .f.li4'.:..,.;t-C44fwda=
:-- ~__,.... ,..._ .;. ... -.,..llJ,......:
/\-)- .. ····-;&--;s'"'· .
11----···
Dessins de Georges Ferdinand Bigot
(1860·1927). Ce caricaturiste français
a vécu près de vingt ans au Japon,
jusqu'en 1899.
La deuxième tentative de forcer l'archipel à s'ouvrir au reste du monde vint des
Etats-Unis au milieu du x1x• siècle. La ruée
vers l'or en 1849 en Californie avait ouvert
l'océan Pacifique aux conquérants américains. Et, en juillet 1853, le commodore
Matthew Calbraith Perry (1794-1.858) se
présentait à Uraga, dans l'actuelle baie de
tCHANGES 107 · HIVER 2003·2004- 39
ci ens, mais des ind iv idus dont la place dans
l a soc iété organise tan t la soumission que
l' opposition collectives à cette so ciété .
Les sociologues français se sont peu intéressés, dep ui s 1945 jusqu'à récemment ,
au mouvement ouvrier japonais, contraire m ent à ce qu 'i l en était dans les années
antér i eures. Sans doute, à cause de la diff icul té de savoir c e qui se pas se dans ce
Note
sur la transcription
du japonais
C'est le système Hepburn qui a
été ici utilisé pour la transcription
des sons japonais. Il faut savoir
que toutes les lettres se prononcent ; les consonnes et les
voyelles doubles correspondent
à deux consonnes ou voyelles
identiques prononcées distinctement : le " e ,. se lit .. é " • le
.. ch " • .. teh" et le a sh "•
« ch .. ; le « r " s'apparente à
un " 1.. et le " h " est toujours aspi ré . Le .. u " correspond au
" ou .. ; mais, à l'instar du .. e ..
muet. il sert souvent simplement de faire-valoir à la
consonne qui le précède et se
prononce alors très légèrement.
Une voyelle longue .. a " • .. o"
ou .. u ·• est signalée par un trait
au-dessus de la voyelle concernée (pour des raisons de programme informatique, nous
avons dû remplacer les traits
par des accents circonflexes).
Un " i .. long est redoublé, et se
prononce comme deux .. i .. ,
lorsqu'i l s'agit de mots d'origine
pays, du manque de cont act entre les
classes laborieuses occidentales et japonais es, du secret entretenu et d es mensonges assenés par l es classes dirigeantes
de tous les pays, enfin de l ' impr essi on qu ' i l
n 'y av ait rien à en dire puisque 1' har mon ie
et la coopération des classes semblaient
être l a règle selon un préjugé fort répandu.
La cris e per durant depuis les anné es 1990
japonaise ; il est marqué d'un
trait (ici, un accent) lorsqu'il
s'agit de mots d'une autre origine. Enfin, un • e " long est indiqué par un trait supérieur (ici,
un accent) pour les mots d'origine japonaise et occidentale,
et par " ei " , qui se prononce
comme une diphtongue, pour
les mots d'origine sine-japonaise. J'al systématiquement
indiqué les voyelles longues,
contrairement à certaines habitudes, et écrit ainsi le nom de
la capitale TOkyO et non Tokyo.
La langue japonaise n'a qu'une
seule consonne isolée: ... n " ·
Toutes les autres sont suivies
d'une voyelle. Elle pose un problème particulier, car il existe
aussi des • n " suivis d'une
voyelle. Pour indiquer qu'il s'agit
d'un son" n "• je mets un point
entre le " n " et la voyelle qui
suit ; kln.lchi ne se lit pas
comme kin/chi.
La seule véritable difficulté réside
dans le découpage des mots,
puisque les langues occidentales pratiquent une séparation
spatiale d4 vocabulaire qui
n'existe pas en japonais. On ré-
38- ECHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
sout généralement cette difficulté en séparant les mots selon
une conception terminologique
occidentale du japonais relativement lâche. Certains auteurs
relient parfois deux termes formant une sorte d'unité par des
tirets; Ils écrivent ainsi " Tôkyôto " • par exemple, qui signifie
littéralement • TOkyô capitale"·
Je n'utilise jamais cette transcription à cause d'une absence
totale de règle. Enfin, Je ne mets
jamais le signe du pluriel aux
mots japonais afin d'éviter toute
confusion.
Les noms propres japonais ont
été écrits à la mode japonaise,
c'est-à-dire le nom de fam ille
en premier suivi du prénom,
sauf dans quelques citations
d'ouvrages où les auteurs ont
adopté la coutume occidentale ;
néanmoins, dans ce cas, j'ai
mis entre parenthèses l'écriture
correcte toutes les fois où je l'ai
pu . Dans les citations que j'ai
données, j'ai corrigé à chaque
fois une écriture défectueuse
sans le signaler, à de rares exceptions près , pour éviter de
surcharger le texte. J.-P . V.
Palestine
Argentine
• " L'expérience
politique des entre: '
prises
récupé rées , , dans Alternative
libertaire
no 123 (novembre
2003), sous l' an nonce alléchante,
en
couverture :
" Une idée toujo urs neuve,
l'a utogestion ». Avec des
Bolivie
perles du genre : " En Ar• Dans Courant alternatif
gentine, la population se
n° 133 (novembre 2003},
soulève et des travailleurs
deux textes sur les récents
reprennent des entreprises
événements de Bolivi e :
abandonnées par les pacc Quand le peuple vi re le
trons "• ce que contredit tochef .. et " Les erreu rs de
tal ement ce propos sur
la rébellion de I'Aitiplano » .
.. l'autogestion, yougoslave
• Dans Le Prolétaire no 469
selon lequel « l' expérience
(oct.-nov.2003) : cc De Bolivie,
yougoslave nous instruit sur
un appe l au prolétariat lal'incompatibilité de l' autolino-américain et mondial ».
gestion avec l'Etat et l'éco• .. La Bolivie à la croisée
nom ie de marché"· Ce à
des che mins » dans Le Coquoi ces thuriféraires de l'auquelicot no 39 (octobre
togestion fera ient bien de
2003) .
réfléch ir.
• cc Le mouveme nt popu• cc Les expériences autolaire chasse le prés ident "
gestionnaires , dans Le
dans La Forge, no 435 (noMonde libertaire, n• 1337 du
vembre 2003) .
20 novembre 2003.
• « La révol ution sur le
• Recueils de textes argengué " dans Alternative litins, 2001 -2003 (Mutines Sébertaire n° 124, dé cembre
ditions, BP 275, 54005
2003 .
Nancy Cedex) contient essentiellement des textes traUruguay
duits de publications argen• Aperçu du mouvement
tin es de la mouvance
ouvrier en Uruguay (compilibertai re , précédés d'une
lation de textes anarchistes
longu e notice explicative
traduits) . (SIA , BP 257,
dans laquelle l'auteur, qui a
14013 Caen Cedex.)
• Ni patrie ni frontières. Traductions et débats : te no 67 porte principalement sur
la Palestin e. Le no 8 doit
porter sur les Etats-Unis.
([email protected] ;
tél. : 01 45 87 82 11 ; te xte
sur le site : www .m ondialisme.org)
séjourné quelques mois en
Argentin e (fin 2002-début
2003) , donne de précieuses
précisions aidant à comprendre les événements des
deux dernières années.
• cc Aperçu du mouvement
anarchiste , dans Courant
alternatif n° 134 (décembre
2003) .
• .. Some Notes on the Argentine Anarchlst Movement
in the Emergency "• dans
Perspectives on Anarchist
Theory, automne 2003 (en
anglais).
Brésil
• cc Les espoirs du Brés il
dans la balance , (Le premier
semestre du gouvernement
Lula) dans Against The Current no 106 (sept-.oct 2003).
ECHANGES 107- HIVER 2003-2004- 35
FRANCE
«Harkis d'Indochine»
• Documents : dans CQFD
(Ce Qu 'il Faut Dire, Détruire, Découvrir) un artic le
sur les " hark is d'Indochine " rapatriés en 1956
et toujours parqués dans un
camp du Lot-et-Garonne.
Saint-Nazaire
• Dans Le Prolétaire no 469
(novembre 2003), suite de
l'article " Luttes ouvrières
aux chan tiers de Saint-Na zaire "· Texte très déta ill é
sur l'exploitation et les luttes
des travailleurs immigrés
tout au long de l'année.
• " Queen Mary Il: l'envers
du décor », dans La Forge
n°433 (septembre 2003).
LU
• " Avec les ouvriers de LU
au tribuna l , à Boulogne sur-Mer. Dans La Forge,
n° 435 (novembre 2003) .
• Dans Le Monde libertaire
du 2 octobre 2003, «P'tits
Lu "• en tretiens avec des
délégués de l' usine Lu de
Ca lais et avec l'aute ur de
l'ouvrage P'tits Lu en lutte,
combats ouvriers (éd.
Temps des Cerises).
Printemps 2003
•
" France, printemps
2003 , dans Bilan et Perspectivi!s, n° 5 , novembre
2003
• Dans Présence marxiste,
n° 32 (octobre 2003) , un
texte su r les mouvements
de mai-juin 2003, " Après la
lutte d u printemps 2003,
bilan et perspectives " • avec
la sempiternelle conclusion :
" La cond ition de la victoire
se trouve dans un pa rti
marxiste solide ... ,
• " Mai-juin 2003, une défaite
porteuse d'espoi r , : dans
Syndicaliste (Courant syndica liste révolutionnaire).
• " Retour sur mai -j uin
2003 , dans Courant alternatif no 132 (octobre 2003).
• " Retour sur la lutte pour
nos retra ites et la décentralisation dans l'éducation nationale , et " Les enjeux et
les leçons de la lutte perdue
contre la réforme des retra ites » dans la Lettre de
liaison no 5 (octobre 2003) du
Garas (Groupement [et non
groupe comme nous l'avons
écrit précédemment] d'action et de réflexion ana rchosyndicaliste, cc/o Sarthe libertaire,
Maison
des
associations 4, rue d'Arcole,
72000 Le Mans).
Université
• Dix thèses sur l'université
productive :texte anonyme
sur la réforme de l' université (copie à Echanges).
Démocratie
• La France n'est pas une
36 -~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004
•
démocratie, essai de Jean Pi-
gne ro, 77240 Seine Port
(pour la démocratie directe).
Garde à vue
• Guide du manifestant arrêté
édité par le Syndicat de la
magistrature (BP 155,
75523, Paris Cedex 11). Site
www. syn d ica t-magi strature.org (copie à Echanges).
Le
Mouton
fiévreux
consacre une partie de son
no 9 (sept.-oct.) aux tziganes.
Pub
• Dans Le Mouton fiévreux
no 10
(nov.déc .2003) :
« l'affic hage publicitaire ,
comment s'en débarrasser » y compris un " petit
dico de la pub " ·
Fascistes à Avignon
Traits noirs no 10 (novembre 2003), fanzine avignonnais , démonte l'altermondia lisme et le g rand
cirque de l'été au Larzac .
Dans le même numéro la
suite d'un dossier " Fascistes locaux , et poursuit, à
ce propos, une a utopsie de la
revue étudiante Renais sance. (cio Les chemins non
tracés, BP 259, 84011 Avignon cedex 01. Courrie l :
[email protected] ;
site : http :1/traitsnoirs.lautre.net
•
LA SITUATION
DES CLASSES LABORIEUSES (1)
L'article qu'on va lire est le premier d'une série couvrant
une période de cent cinquante ans - de 1853 /J nos jours
de capitalisme au Japon, qui se terminera par une analyse
de la crise économique actuelle
L
22 SEPTEMBRE 1985, les cinq pays
industrialisés considérés les plus importants à l'époque: les Etats-Unis,
la France, la Grande-Bretagne, le Japon et la
République fédérale allemande (le G5) signaient à New York l' accord du Plaza, qui
entérinait une dévaluation du dollar et amorçait un semblant de concertation sur le commerce mondial. Cet accord avait principalement pour but de réduire les déficits
commerciaux américain et européen avec
le Japon. Mai s ce but n'a jamais été atteint,
et ne l'est toujours pas; un autre le fut auq uel personne n'avait pensé : l'ouverture
du Japon à ses concurrents et les transformations sociales qui s'en sont suivies.
Le titre « La situation des classes laborieuses »peut paraître saugrenu, car les
stéréotypes donnent de la société japonaise
une image sinon d'une société sans classes,
du moins d'une société immune de conflits
de classes. Fonder une étude du Japon sur
l'existence de classes laborieuses relève
pour beaucoup de gens de l'impertinence.
Pourtant ce que l'on appelle la« puis sance» japonaise n'est-elle pas principalement vécue sous la forme d'une invasion
de tous les pays du monde par des voitures
et du matériel électronique made in Japan?
Un esprit logique se demandera comment ces
E
Tziganes
•
JAPON
symboles d'un Japon conquérant sont produits, si ce n'est par des ouvriers sous les
ordres de patrons.
Recenser 1a classe ouvrière est toutefois une tâche difficile, sinon impossible,
parce qu'ellen 'apparaît généralement pas
en tant que telle dans les statistiques . On
ne trouve ra nulle part un compte exact des
ouvriers dans 1e monde, 1es statisticiens
rangeant les ouvriers dans des catégories
aussi floues que « salariés » ou« population
active ».
Si j'insiste dans le titre sur le pluriel
« cl asses labori euses », ce n'est cependant
pas pour cette seule raison que les cols
b leus sont inc lus dans un magma statistique, mais pour d'autres encore . Ils ne
sont, primo, ni les seuls exp loi tés n i les
seuls créateurs de plus-value du système. Au
Japon comme ailleurs la prolétaris ation
touche de plus en plus de salariés qui ne
travaillent pas directement dans la production industrielle; il y a des pro létai res
dans le commerce, l'agriculture, et même
la fonct ion publique. Secundo, les travailleurs, pas plus que les autres classes ,
ne forment un bloc indifférencié ; le prolétariat n'est pas indemme de luttes en son
propre sein. Je ne parle pas ici du prolétariat abstrait des moralistes et des politi~CHANGES 107 ·HIVER 2003-2004-37

Documents pareils