Production alimentaire - situation actuelle et évolution

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Production alimentaire - situation actuelle et évolution
Article no 2 de la série
"Que peut attendre l'homme des radioisotopes?"
Production alimentaire situation actuelle et évolution
par Cari G. Lamm
Cette année la Division mixte FAO/AIEA de l'énergie atomique dans l'alimentation et
l'agriculture célèbre son dixième anniversaire. L'objet de cette division est d'assurer que
les services techniques de la FAO et de l'Agence sont entièrement coordonnés et que
leurs programmes visent à aider les Etats Membres en voie de développement à
appliquer les radioisotopes et les rayonnements à la solution des problèmes de l'alimentation et de l'agriculture. Plus exactement, les objectifs à moyen terme de la Division mixte
sont d'exploiter le potentiel offert par les méthodes nucléaires dans la recherche et les
études en vue d'augmenter et de stabiliser la production agricole, d'améliorer la qualité
des aliments, de prévenir la détérioration des produits agricoles et les pertes et de réduire
la pollution des aliments et de l'environnement agricole. Cet exposé de ce que l'homme
peut attendre des radioisotopes dans le domaine de l'agriculture est donc dans une
large mesure un compte rendu des activités présentes de la Division mixte et une
prévision de ses activités futures, étant donné notamment que la crise alimentaire actuelle
est de longue durrée et de portée mondiale.
La technologie nucléaire offre des moyens irremplaçables d'étudier et de résoudre les
problèmes d'agronomie. Parfois l'emploi des isotopes et des rayonnements constitue la
seule solution aux problèmes et souvent leur utilisation accélère les progrès.
Le programme de la Division mixte insiste particulièrement sur la coordination des recherches visant à résoudre des problèmes particuliers ayant une importance pratique pour
la croissance économique des pays en voie de développement et sur l'aide à ces recherches. A l'heure actuelle, la Division mixte assure l'exécution de 20 programmes de
recherche coordonnés comprenant quelque 200 contrats financés par l'Agence et
accords "à titre gratuit". Les objectifs de chaque programme de recherche coordonné
sont étudiés et mis au point par des groupes d'experts spécialement réunis à cette fin.
La Division mixte entre alors en contact avec des établissements de recherche compétents
et les invite à participer aux programmes, dont la durée est normalement de trois à cinq
ans.
Les établissements des pays en voie de développement reçoivent normalement des
contrats de recherche accompagnés d'une aide financière nominale, tandis que les
établissements des pays avancés participent généralement au programme en signant des
accords de recherche "à titre gratuit". Les participants à un programme de recherche
coordonné se réunissent périodiquement pour passer en revue les résultats obtenus,
discuter des travaux futurs et prendre une décision à leur sujet.
Le programme de la Division mixte comporte un enseignement sous forme de cours
internationaux et de bourses, ainsi que diverses réunions scientifiques. Depuis 1964,
ces activités ont donné lieu 3 quelque 80 publications.
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La Section d'agriculture du Laboratoire de l'AlEA 3 Seibersdorf assure le dosage des
isotopes stables et radioactifs contenus dans des échantillons de plantes et de sols envoyés
par les contractants; elle soumet des graines envoyées par les différents participants à
l'irradiation et à des traitements chimiques. Cette section élève et stérilise certains insectes destinés à différents laboratoires de recherche et à des opérations sur le terrain. Le
Laboratoire est de plus en plus sollicité pour la fourniture de matières et de procédés
normalisés et on le presse de diffuser par écrit des méthodes simples et normalisées
d'analyse.
L'application de la technologie nucléaire dans l'agriculture est concentrée dans six grands
secteurs, dont les principaux aspects sont indiqués ci-après:
Fertilité des sols, irrigation et production agricole
Le marquage d'un élément nutritif contenu dans un engrais à l'aide d'un isotope stable
ou d'un radioisotope permet de déterminer quantitativement son sort dans le sol et sa
fixation dans la plante après application. Cette méthode permet notamment de déterminer directement au cours d'expériences au champ l'efficacité des diverses modes
d'application des engrais et d'évaluer la quantité d'éléments nutritifs du sol à la disposition des plantes. Les programmes de coordination des recherches se sont limités à des
études sur l'efficacité de l'application d'engrais et d'eau à diverses cultures vivrières comme
le riz, le blé, le ma"s et les légumineuses 3 grains, ainsi qu'aux bananier, agrumes, cacaoyer,
caféier, cocotier et palmier à huile. L'azote et le phosphore ont été les principaux éléments nutritifs étudiés, mais un nouveau programme portera également sur des oligoéléments comme le zinc, qui deviennent économiquement importants avec l'emploi de
variétés à rendement élevé et le recours à l'agriculture intensive.
Pour les essais de marquage d'engrais azotés, il est nécessaire d'utiliser comme indicateur
l'isotope stable 1 S N, d'un prix élevé. Toutefois, on a récemment entrepris en Californie
et au Nebraska des essais en plein champ de marquage de l'azote des engrais appliqués au
mais hybride. Ici, l'azote est marqué avec 14 N, c'est-à-dire de l'azote qui a été privé de
sa teneur normale en l s N, ce qui réduit sensiblement le coût du marquage. C'est pourquoi les parcelles expérimentales ont une superficie d'environ 300 m 2 , ce qui augmente
la fiabilité des résultats.
Une grande partie des travaux de la prochaine décennie devrait porter sur la conservation
du sol et des ressources rares en eau et en engrais sans effet défavorable sur la production
agricole. Par exemple, il faudrait limiter l'extension des sols salins ou les mettre en
valeur. Les recherches visant à améliorer l'efficacité de l'utilisation de l'eau et des engrais par les plantes cultivées doivent néanmoins conserver une grande importance. Dans
ce contexte, on intensifiera l'étude du processus de fixation symbiotique et non-symbiotique de l'azote et son rôle dans l'apport d'azote au système sol-plante. On a récemment découvert que certains micro-organismes libres, cultivés avec des herbes tropicales,
peuvent fixer des quantités importantes d'azote, ce qui a manifestement une grande importance pratique étant donné surtout la pénurie actuelle d'engrais azotés. Enfin, on
prévoit une intensification des recherches sur les cultures dérobées ou intercalaires, ainsi
que sur leur rapport avec la lutte contre les maladies et les insectes.
Dans le cadre d'un programme de lutte contre la mouche tsé-tsé en Afrique. Des échantillons d'écorce
et de sol sont prélevés dans une région ou des pulvérisations d'un insecticide marqué au carbone 14
ont été effectuées. Photo: A I E A .
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Amélioration des plantes et phyto-génétique
L'homme dépendra de plus en plus des plantes pour obtenir des aliments, des fibres et
du combustible, à mesure que d'autres ressources deviendront plus rares et que la population du globe augmentera. Toute amélioration des plantes cultivées quant au rendement, 3 la qualité, à la résistance à la maladie et autres caractéristiques dépend de
combinaisons génétiques nouvelles.
Un certain nombre de programmes de recherche coordonnés portent essentiellement sur
la production et l'utilisation de mutations radioinduites pour améliorer diverses plantes
importantes, notamment les plantes à reproduction par multiplication végétative et les
arbres de rapport. L'amélioration des plantes par mutations induites complète l'amélioration classique sans la concurrencer, car les mutations induites peuvent compenser
les pertes de gènes et peuvent fournir des gènes qui n'ont pas été favorisés au cours de
l'évolution de la plante mais répondent aux besoins actuels de l'homme.
Pour tous les travaux d'amélioration génétique, il est nécessaire de sélectionner les
caractéristiques d'un grand nombre de plantes, qu'elles soient visuelles ou non visuelles,
telles la quantité ou la qualité des protéines. La Section d'agriculture du Laboratoire de
Seibersdorf peut maintenant assurer cette sélection chimique à un rythme d'environ
1 000 échantillons par jour pour le compte des chercheurs.
Non seulement les rayonnements et les produits chimiques peuvent induire des mutations, mais plusieurs techniques nouvelles offrent de grandes possibilités de développement des ressources génétiques. Il s'agit notamment de l'utilisation de cultures de
cellules et de tissus végétaux, des souches haploïdes et de nombreux croisements qui
permettent de manipuler des matériaux génétiques comme il n'a jamais été possible de
le faire auparavant. On prévoit que le nouveau matériel génétique provenant de ces
travaux sera bientôt mis à la disposition des spécialistes de l'amélioration des plantes et
s'ajoutera à celui des centres de ressources génétiques (banques de gènes). Parmi les
avantages de ces progrès technologiques figure la production de variétés de plantes
améliorées et à rendement plus élevé et à caractéristiques nutritionnelles supérieures ou
ayant une meilleure adaptabilité à des environnements qui n'avaient jamais auparavant
permis la production agricole. Parmi les autres avantages éventuels on peut citer la
capacité de fixer l'azote donnée à des plantes qui ne l'avaient pas auparavant, ou
l'amélioration de l'utilisation des engrais par la plante, de son pouvoir de photosynthèse
ou de sa résistance 3 la sécheresse, aux insectes et animaux nuisibles et 3 la maladie.
Production et santé animales
Les techniques isotopiques sont utilisées dans différents domaines de la production et de
la santé animales ainsi que dans l'application de l'irradiation pour la mise au point de
vaccins contre les parasites des animaux. Les programmes FAO/AIEA visent principalement à répondre aux besoins des pays en voie de développement où il est tellement
nécessaire d'améliorer d'urgence la productivité et de prendre des mesures préventives
afin de protéger la santé. Les études à l'aide d'isotopes visant à améliorer la productivité
au maximum donnent une grande importance au métabolisme du calcium, du phosphore,
du magnésium et de différents sels minéraux à l'état de traces chez le gros bétail, le mouton, le porc et la volaille, ainsi qu'au rôle des composés azotés non protéiques (par
exemple, l'urée) en tant que complément de protéines dans le régime alimentaire des
ruminants. Un autre programme vise à évaluer le degré suivant lequel différentes espèces
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herbivores peuvent produire de la viande et du lait en milieu tropical humide ou sec en
fonction de leur métabolisme de l'eau et de leurs besoins en eau. On utilisera de l'eau
tritiée pour ces études. Enfin, un programme régional doit étudier la production du lait
chez le buffle afin d'atteindre des niveaux de productivité élevés en utilisant les denrées
alimentaires disponibles localement.
Les méthodes nucléaires continuent à être utilisées dans les programmes de santé animale,
qui comportent notamment la production de vaccins radioatténués à partir des stades
virulents des parasites pathogènes, des études à l'aide d'indicateurs de l'interaction hôteparasite et le diagnostic des maladies parasitaires par radioimmunodosage. Les programmes
de recherche coordonnés ont mis en évidence l'importance de ces méthodes dans les
efforts visant à lutter contre les grandes maladies parasitaires, et on trouve maintenant
dans le commerce des vaccins contre la bronchite parasitique du boeuf, la strongylose
pulmonaire du mouton et l'ankylostomiase du chien. D'autres vaccins radioatténués ont
été produits en laboratoire et on s'attaquera bientôt à d'autres grandes maladies parasitaires dont la trypanosomiase, la schistosomiase, la fascioliase, l'helminthiase, la
giroplasmose et la cysticercose.
Lutte contre les insectes et les animaux nuisibles
Pour augmenter la productions des aliments, il est également nécessaire de réduire au
minimum les pertes de cultures et d'animaux domestiques dues aux insectes et autres
ravageurs. De grandes modifications devront être apportées à la lutte contre les ravageurs
au cours de la prochaine décennie en raison des prix élevés des pesticides et des insecticides et de leur pénurie, ainsi que de l'inquiétude générale suscitée par la pollution de
l'environnement due aux risques que présente la persistance de ces produits.
Au lieu d'utiliser les pulvérisations d'insecticides pour lutter contre les insectes, on peut
recourir à la lutte biologique, et la Division mixte s'intéresse à l'application pratique de
la méthode du lâcher de mâles stérilisés. Cette méthode consiste essentiellement à
produire, stériliser par irradiation gamma et lâcher des insectes mâles stérilisés en assez
grand nombre pour qu'une femelle de la population naturelle ait de fortes chances de
s'accoupler avec un mâle stérile de la même espèce. Ces travaux comprennent également
des recherches à l'aide d'indicateurs sur l'écologie et la physiologie des insectes, ainsi que
la solution de problèmes liés à l'élevage en masse, dans des conditions économiques, de
diverses espèces d'insectes sur des denrées alimentaires disponibles localement.
Cette méthode a déjà fait la preuve de son intérêt pratique et de sa compétitivité économique dans la lutte contre la lucilie bouchère, la mouche mexicaine des fruits et le ver
du coton et pourrait être utilisée immédiatement contre plusieurs espèces de mouches
des fruits, de moustiques, de carpocapses, etc. Les programmes actuels de recherche
coordonnés, portent surtout sur différentes mouches des fruits et sur la mouche tsé-tsé.
Les travaux continueront dans ce sens et viseront notamment à surmonter les obstacles
qui s'opposent actuellement à l'élevage en masse de la mouche tsé-tsé, l'un des plus
dangereux insectes d'Afrique. Un important progrès a été récemment accompli au
Laboratoire de Seibersdorf avec la mise au point de l'alimentation sur membrane qui
permettra un jour de se passer complètement des animaux hôtes et de réduire ainsi considérablement le coût de l'élevage de la mouche tsé-tsé.
Il faut que la législation future prescrive aux agriculteurs de lutter contre certains insectes
nuisibles pour les empêcher de contaminer d'autres hôtes de la même région. La pollu19
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tion par les pesticides sera considérée de la même manière que la pollution industrielle
et, pour les raisons données plus haut, la lutte biologique adaptée à l'insecte parait être la
méthode la plus viable lorsqu'elle est applicable. L'un des objectifs des études visant à
produire des agents de lutte contre des populations, tels les insectes stériles, les agents
pathogènes, les parasites, les prédateurs, les phérormones et les hormones, est de faire en
sorte qu'ils soient suffisamment rentables pour être intéressants sur le plan commercial.
Résidus chimiques et pollution
Les programmes comparatifs portant sur l'origine, le sort et les effets des résidus chimiques et radioactifs dans les aliments et l'environnement sont un domaine dans lequel
différentes techniques nucléaires comme le marquage à l'aide de radioindicateurs ou
l'analyse par activation se sont également révélées indispensables.
Ces programmes généraux sont maintenant remplacés par des programmes plus particuliers, comme le programme sur les résidus azotés dans l'agriculture qui donne une grande
importance à la conservation de ces résidus sous forme d'engrais et à leur comportement
en tant qu'agents de pollution éventuels. Un autre programme porte sur l'étude à l'aide
d'indicateurs isotopiques des effets biologiques secondaires de résidus chimiques
étrangers dans l'alimentation et l'agriculture et on prévoit un programme d'étude à l'aide
d'indicateurs des résidus chimiques dans les différents produits de la culture du coton.
Ce programme portera sur les pesticides et autres résidus chimiques, par exemple les
solvants provenant des procédés d'extraction qui peuvent apparaître dans l'huile de
coton et autres huiles importantes du régime alimentaire dans de nombreux pays en voie
de développement. La production en masse de l'isotope stable 13C à un prix très
raisonnable permet de prévoir différentes applications à l'environnement, par exemple
des études sur la persistance des composés organiques dans la nature. Ainsi, l'herbicide
marqué 2,4,5 T a été récemment synthétisé au Laboratoire scientifique de Los Alamos
avec 13 C en dix positions et 1 8 0 en trois positions, parce qu'il est généralement possible
d'identifier facilement, par spectroscopic de résonance magnétique nucléaire, le 13C
contenu dans les metabolites ou les produits de décomposition sans la dégradation et
l'isolement qui demandent du temps et sont nécessaires avec la méthode de marquage
avec 14 C.
Conservation des aliments
Une fois récoltés, les aliments risquent de se détériorer par germination et d'être endommagés par des insectes et des micro-organismes pendant le stockage et la commercialisation.
Ce problème est particulièrement grave dans de nombreux pays en voie de développement où le climat est chaud et les installations de stockage et de conservation limitées.
Pour résoudre les problèmes de l'alimentation mondiale il est donc important de prévenir les pertes d'aliments en appliquant les techniques de conservation.
En dehors des méthodes traditionnelles de conservation des aliments comme la cuisson,
la mise en conserve, la réfrigération, la congélation, le séchage au soleil, la déshydratation.
^ Vue aérienne du Centre de radioagronomie de Piracicaba, au Brésil, qui fait partie d'un grand projet
PNUD/AIEA visant 3 développer l'application des techniques nucléaires en agriculture.
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Des cours internationaux sur les méthodes radioisotopiques de recherche sur l'agriculture, la
sylviculture, la pSche et la nutrition sont organisés régulièrement. Photo: Nations Unies
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le marinage, la fermentation, le fumage ou encore l'addition d'antiseptiques chimiques,
le traitement des aliments par exposition aux rayonnements ionisants est une méthode
nouvelle sur laquelle on fonde de grands espoirs.
Cette méthode est apparue il y a 25 ans environ; à présent 17 pays autorisent, parfois
avec certaines restrictions, la vente de 19 aliments irradiés.
L'utilisation de l'énergie nucléaire pour la conservation des aliments et produits agricoles
offre l'avantage d'économiser l'énergie classique et de réduire les problèmes de pollution
en éliminant partiellement les antiseptiques chimiques. Les recherches futures viseront
à évaluer la factibilité technique et économique de l'irradiation des aliments en vue
d'augmenter la durée de conservation d'aliments importants. L'acceptation générale de
l'irradiation des aliments par les autorités de santé publique est actuellement étudiée en
collaboration étroite avec l'OMS et d'autres organisations internationales, et l'élimination des organismes nuisibles contenus dans les aliments fera l'objet d'une attention
toute particulière.
Ainsi qu'il ressort de ce qui précède, l'objectif actuel de toutes les applications de la
technologie nucléaire en agriculture est d'aider les pays en voie de développement à
parvenir à l'autonomie agricole par une collaboration internationale à des recherches sur
les problèmes de production en vue d'une action future. A cette fin, une étroite coordination est établie non seulement entre les différentes sections de la Division mixte,
mais avec d'autres organismes des Nations Unies et des gouvernements des différents
Etats.
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