Viens, Esprit Saint, père des pauvres

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Viens, Esprit Saint, père des pauvres
Viens, Esprit Saint, ... père des pauvres
« Viens, Esprit Saint, … père des pauvres (Veni, Sancte Spiritus ... pater pauperum) », tel est le texte de la
« séquence dorée » médiévale de Pentecôte. « Père des pauvres » est ici le premier titre du Saint Esprit.
La « théologie des pauvres » est une caractéristique essentielle du « programme messianique » de Jésus dans la
synagogue de Nazareth (cf. Lc 4,18 s), dont les chrétiens doivent rendre témoignage. Dans l'Encyclique Dives in
Misericordia 8, le Pape Jean Paul II († 2005) écrivait : « Ce programme consistait – comme l’avait prophétisé Isaïe
– dans la révélation de l'amour miséricordieux des pauvres, des souffrants et des prisonniers, des aveugles, des
opprimés et des pécheurs. » Dominique Barthélemy († 2002), l'un des très grands professeurs de notre faculté,
l’a traduit ainsi : « C’est uniquement pour les pauvres que le message de Jésus est une bonne nouvelle. »
Relevons parmi d'autres témoignages en faveur de la théologie des pauvres : des Pères de l'Église comme Basile
et Ambroise ; la redécouverte de « sœur pauvreté » par François d’Assise au début de l'époque du
mercantilisme ; l’appellation des évêques comme « père des pauvres » ; la prescription du droit canon médiéval à
l’adresse des clercs pour qu’ils s’occupent du cas des pauvres jusqu’au tribunal, ceux-ci ne pouvant faire valoir
eux-mêmes leur droit ; le souci des théologiens scolastiques pour « la justice et le droit », en particulier envers les
pauvres et les faibles ; la culture de la miséricorde qui conduisit à la fondation d’hôpitaux et d’hospices ainsi qu’à
une spiritualité de la rencontre du Christ dans les pauvres ; la lutte de Bartolomé de Las Casas pour une vision –
« du point de vue des pauvres » – de la Passion au temps de la fusion entre conquête et mission, et sa
compréhension de l'Eglise comme « gardienne de la justice »... ainsi que la redécouverte de la théologie des
pauvres par le Concile Vatican II et la théologie de la libération.
Parlant d’elle-même, l'Eglise a dit dans Lumen Gentium 8, qu’elle reconnaît « dans les pauvres et les
souffrants … l'image de son fondateur pauvre et souffrant, elle s’efforce de soulager leur misère, et en eux c’est
le Christ qu’elle veut servir. » Et dans Gaudium et Spes 1 l’Eglise professe sa solidarité avec la famille humaine et
son histoire, en particulier avec les « pauvres et tous ceux qui souffrent ». Ces déclarations sont surtout dues aux
efforts d’un groupe d'évêques d’Europe, d’Afrique et d’Amérique latine, qui se sont constitués comme «Eglise
des pauvres ». Pour que les déclarations du Concile ne restent pas un aveu du bout des lèvres, 40 évêques ont
signé le 16 novembre 1965, quelques jours avant la clôture du concile, dans les catacombes de Domitille, le
« Pacte des catacombes » pour un renouveau de l'Église dans l'esprit du christianisme primitif. Entre autres
choses, ils se sont engagés « à vivre en accord avec le niveau moyen de vie commun de nos peuples » et de
renoncer « à la richesse et à ses apparences ». Ils ont déclaré renoncer aux titres « qui signifient grandeur et
pouvoir (« votre Eminence », « votre Excellence », etc.) » et ils se sont prononcés pour un « ordre social
différent », respectant la dignité de l’homme.
La théologie de la libération, ce mouvement novateur à la suite du Concile, que nous devrions réinventer
aujourd'hui si elle n'existait pas – tout en admettant les critiques légitimes concernant certaines de ses approches
–, nous a rendu de nouveau attentifs à la double dimension propre à la théologie des pauvres, celle de la
spiritualité et celle de la lutte pour la justice et le droit. Deux évêques en sont l’exemple :
Dom Helder Camara († 1999) a exprimé dans un beau poème (prière), la spiritualité de la rencontre de Jésus
dans les pauvres :
Est-ce que je me trompe, Seigneur ?
Est-ce une tentation de penser
que tu me presses toujours davantage
d’aller et d’annoncer ce qui est nécessaire,
urgent,
de passer du Saint-Sacrement à ton autre Présence,
tout aussi réelle, dans l’Eucharistie du pauvre ?
Les théologiens discuteront.
Mille distinctions seront avancées…
Mais malheur à celui qui se nourrit de Toi
et qui, ensuite,
n’a pas les yeux ouverts
pour te découvrir cherchant ta nourriture dans les ordures,
expulsé de partout,
vivant dans des conditions sous-humaines
sous le signe d’une totale insécurité…
Et Oscar Romero († 1980), l'évêque martyr, qui a été abattu à l'autel parce qu'il a exigé – comme Las Casas – la
justice et le droit pour les pauvres, a déclaré: « Une église qui ne fait pas sienne la cause des pauvres pour
dénoncer, du point de vue des pauvres, l’injustice faite aux pauvres, n’est pas la véritable Église de Jésus-Christ. »
Cela reflète la tradition prophétique de l'Eglise qui a trouvé dans la « séquence dorée » médiévale de Pentecôte
un bel écho doxologique : « Viens, Esprit-Saint, ... père des pauvres (Veni, Sancte Spiritus ... pater pauperum) »,
... accorde nous tes dons pour que nous contribuons avec notre théologie à ce que les pauvres aujourd’hui
vivent le message de Jésus dans la synagogue de Nazareth comme une « bonne nouvelle ».
Mariano Delgado, Doyen