qualification en revenus immobiliers ou en revenus

Transcription

qualification en revenus immobiliers ou en revenus
27 octobre 2014
Impôt des personnes physiques Loyers : qualification en revenus
immobiliers ou en revenus
professionnels
Bernard Mariscal, Benefits Expert, Deloitte Belgium
Publié dans : Lettre d'Info Actualités Fiscales n° 37, 27.10.2014, Kluwer
L’activité d’exploitation habituelle de la débauche illégale à laquelle s’est livré un contribuable ne relève en
rien la gestion normale d’un patrimoine privé par un bon père de famille et comporte un ensemble
d’opérations suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continue et
habituelle dans son chef.
Tel a été le verdict de la Cour d’appel de Liège au moment de confirmer l’imposition en revenus
professionnels de revenus locatifs d’immeubles aménagés en salons de prostitution (Liège 2 avril 2014,
www.monKEY.be).
Par ailleurs, la Cour de cassation a décidé que les revenus générés par la location de biens immeubles ne
peuvent être qualifiés que de deux manières : à titre de revenus immobiliers ou à titre de revenus
professionnels.
Exit la qualification de revenus divers (Cassation 4 octobre 2013, www.monKEY.be).
Règle de base
Les revenus des biens immeubles (les loyers par exemple) sont considérés comme des revenus
professionnels lorsque ces biens sont utilisés pour l’exercice de leur activité professionnelle du bénéficiaire
de ces revenus (art. 37 CIR92).
L’utilisation professionnelle du bien par le locataire est sans influence pour cette qualification.
Une fois consacrée la qualification en revenus professionnels, les revenus locatifs constituent soit des
bénéfices, soit des profits.
Quels sont les éléments qui peuvent révéler l’exercice d’une activité professionnelle dans le chef du
bailleur?
Outre le nombre, la nature et la succession rapide des opérations réalisées, il faut également retenir le
rapport existant entre elles, leur importance, l’organisation qu’elles impliquent, le fait qu’elles ont été
réalisées à l’aide de fonds empruntés et en association avec deux ou plusieurs personnes, le fait qu’une
activité accessoire soit étroitement liée à l’activité principale du contribuable ou se situe dans le
prolongement de cette activité professionnelle (Q. et R. Parl. Chambre, session 2002-2003, n° 154, p.
19743 - Question n° 1162 de M. Bacquelaine du 10 décembre 2002).
Un récent arrêt de la Cour d’appel de Liège du 2 avril 2014 illustre l’application de ces critères.
La prostitution ne relève pas de la gestion du patrimoine privé en bon père de famille
En l’espèce, le contribuable a acquis en 1988 une maison en ruines pour un prix modique et le 28 avril
1989, treize maisons en mauvais état dans la même rue et dans la rue adjacente.
Ces immeubles furent rénovés et les jardins de ces maisons ont été aménagés pour former une zone
d’accès et de parking à l’arrière.
Il s’agissait en fait d’aménager les immeubles en salons de prostitution en vue de les donner en location à
des prostituées et de créer une infrastructure de nature à faciliter l’exercice de cette activité.
L’Administration décida de taxer les revenus perçus de la location de ces immeubles à titre de revenus
professionnels estimant que le contribuable se livrait à une véritable occupation lucrative.
Dans un jugement du 19 juin 2002 (inédit), le Tribunal de 1ère instance de Liège va confirmer la décision
directoriale.
La Cour constate tout d’abord que le contribuable a été poursuivi au pénal pour avoir habituellement
exploité la débauche ou la prostitution d’autrui en louant des immeubles à des personnes se livrant à la
débauche ou à la prostitution et condamné de ce chef par un arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles du 27
octobre 1995 (cet arrêt est définitif).
La Cour relève dans cet arrêt quelques éléments intéressants pour la résolution du litige fiscal :

au fur et à mesure de la restauration des immeubles, ces maisons furent occupées par des
prostituées, transformant progressivement le quartier en lieu de prostitution;

le contribuable a fait valoir qu’il s’était entouré de tous les renseignements utiles auprès des
autorités communales avant de procéder aux transformations et à la location des immeubles
acquis. Il précisa même que l’initiative de rénover les immeubles avait été accueillie avec succès
dès lors que l’autorité communale voulait justement regrouper les «maisons closes» dans un seul
et même quartier;

l’expert judiciaire a précisé que l’exploitation des immeubles par le contribuable dépassait
largement en moyenne 100 % par an par rapport à son investissement et que le profit retiré était
de dix fois supérieur à l’intérêt normal que l’on pourrait obtenir pour un même investissement.
La Cour relève également que l’obtention du paiement des «loyers» auprès de personnes en situation
précaire nécessitait une certaine organisation, le contribuable ayant précisé que soit elles le payait par
virement bancaire, soit il envoyait son fils pour encaisser les loyers.
En agissant de la sorte, le contribuable ne s’est pas limité à mettre en location des immeubles et à retirer
des revenus de la mise à disposition de ceux-ci mais a organisé et exploité la prostitution d’autrui en vue
d’obtention illicite de revenus liés à la prostitution.
Selon la Cour, cette activité d’exploitation habituelle de la débauche à laquelle s’est livré le contribuable ne
relève en rien de la gestion normale d’un patrimoine privé par un bon père de famille (à savoir les actes
qu’un bon père de famille accomplit, non seulement pour la gestion courante, mais aussi pour la mise à
fruit, la réalisation et le remploi des éléments de son patrimoine), et comporte un ensemble d’opérations
suffisamment fréquentes et liées entre elles pour constituer une occupation continue et habituelle dans son
chef.
Devant un tel faisceau de faits, il importe peu à la Cour que le contribuable ait ou non recouru à l’emprunt
pour acheter et rénover les immeuble (le contribuable conteste avoir eu recours à l’emprunt malgré
plusieurs éléments apportés par l’Administration allant en ce sens).
Elle en conclut que c’est à juste titre que l’Administration a requalifié les revenus immobiliers en revenus
professionnels pour les exercices en cause.
Le contribuable a, au sens de l’article 37 du CIR92, affecté les immeubles, productifs de revenus, à une
exploitation, c’est-à-dire les a utilisés comme facteur de production de cette exploitation.
Il semble difficile en l’espèce, au vu des faits et des déclarations du contribuable, de contester les
conclusions de la Cour.
Il faut noter la Cour d’appel de Liège s’était déjà prononcée de façon identique dans une affaire similaire.
Elle avait ainsi conclu à la qualification en revenus professionnels des loyers encaissés par plusieurs
contribuables propriétaires de six immeubles à usage de salons de prostitution, ce qui leur avait valu une
condamnation pénale définitive pour proxénétisme hôtelier (voir Liège, 26 mai 2000, FJF 2000/191).
Ici également, les contribuables avaient procédé à un ensemble d’opérations suffisamment fréquentes et
liées entre elles pour constituer une occupation continue et habituelle présentant un caractère
professionnel.
Et une qualification en revenus divers?
La loi range parmi les revenus divers, les bénéfices ou profits, quelle que soit leur qualification, qui
résultent même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, ou opérations quelconques ou de
services rendus à des tiers, en dehors de l’activité professionnelle, à l’exclusion des opérations de gestion
normale d’un patrimoine privé consistant en biens immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers
(art. 90, 1° CIR92).
Si l’Administration ne parvient pas à prouver l’existence d’une activité professionnelle, peut-elle se
retourner vers la qualification de revenus divers pour les revenus locatifs d’un immeuble?
L’Administration a déjà obtenu gain de cause auprès des Cours et tribunaux.
Ainsi le Tribunal de Hasselt, suivi par la Cour d’appel d’Anvers, a décidé que la location de chambres
d’étudiant ne s’inscrivait pas dans la gestion normale d’un patrimoine privé au regard des éléments de fait :
le nombre (33 chambres), l’emprunt pour l’acquisition du bâtiment, l’importance des activités et l’entretien
et le suivi administratif des contrats de bail.
Selon le tribunal, les revenus n’étaient pas imposables à titre de revenus immobiliers mais à titre de
revenu divers (Civ. Hasselt 3 septembre 2003 et Anvers, 13 janvier 2009, www.monKEY.be).
La Cour de cassation a toutefois décidé de mettre fin à cette possibilité en appliquant la théorie dite de «la
contrainte» ou théorie des «sources» (Cassation, 4 octobre 2013, www.monKEY.be).
Cette théorie implique que les revenus ne peuvent être imposés que dans la catégorie dont ils relèvent.
En plus de l’éventuelle qualification en revenus professionnels (art. 37 CIR92 – voir ci-dessus), les revenus
de biens mobiliers et immobiliers ne peuvent être imposés que comme revenus mobiliers ou immobiliers et
non comme revenus divers, sauf si la loi le prévoit expressément.
En l’espèce, en l’espace de vingt ans, un couple avait effectué diverses opérations immobilières (dont
l’achat d’une quinzaine de maisons).
L’objectif du couple dont le mari était ouvrier dans le secteur de la construction, semble avoir été d’acheter
des immeubles à bas prix, les restaurer lui-même et les donner ensuite en location à des particuliers.
Selon l’Administration, les revenus provenant de la location des immeubles en cause avait un caractère
professionnel et elle les taxa donc à titre de revenus professionnels.
Après réclamation, le directeur régional écarta l’existence d’une activité professionnelle mais estima que
les opérations effectuées dépassait le cadre de la gestion normale du patrimoine privé et procéda à la
taxation des revenus locatifs comme revenus divers.
Le couple de contribuables porta l’affaire en justice mais tant le Tribunal de 1ère instance (Civ. Mons, 24
septembre 2009, inédit) que la Cour d’appel de Mons (Mons, 3 juin 2011, www.monKEY.be) confirmèrent
la position administrative.
Loin de se décourager, le couple a porté l’affaire devant la Cour de cassation qui va leur donner raison.
La Cour de cassation analyse les différentes dispositions légales en présence.
L'article 6 du CIR92 dispose, en son aliéna 1er, que le revenu imposable est constitué de l'ensemble des
revenus nets, diminué des dépenses déductibles, et, en son alinéa 2, que l'ensemble des revenus nets est
égal à la somme des revenus nets des catégories suivantes :

les revenus des biens immobiliers;

les revenus des capitaux et biens mobiliers;

les revenus professionnels;

les revenus divers.
Suivant l'article 7, § 1er, 2° du CIR92, les revenus de la première catégorie comprennent notamment les
revenus des biens immobiliers qui sont donnés en location.
Sans préjudice de l'application du précompte immobilier, les revenus immobiliers sont considérés, en vertu
de l'article 37, alinéa 1er du CIR92, comme des revenus professionnels lorsque les biens immobiliers
concernés sont affectés à l'exercice de l'activité professionnelle du bénéficiaire desdits revenus.
En vertu de l'article 90, 1° du CIR92, les revenus divers comprennent les bénéfices ou profits, quelle que
soit leur qualification, qui résultent, même occasionnellement ou fortuitement, de prestations, opérations
ou spéculations quelconques ou de services rendus à des tiers, en dehors de l'exercice d'une activité
professionnelle, à l'exclusion des opérations de gestion normale d'un patrimoine privé consistant en biens
immobiliers, valeurs de portefeuille et objets mobiliers.
La Cour tire de ces différentes dispositions la conséquence suivante : les revenus de biens immobiliers qui
sont donnés en location entrent dans la catégorie des revenus immobiliers au sens des articles 6 et 7 du
CIR92 et sont soumis à ce titre, s'ils ne tombent dans le champ d'application de l'article 37, alinéa 1er du
CIR92, au régime ordinaire de taxation des revenus immobiliers à l'impôt des personnes physiques, sans
pouvoir être imposés à titre de revenus divers sur la base de l'article 90, 1° du CIR92.
Dès lors, pour la Cour de cassation, en considérant que :
«Même si l'article 7, § 1er, 2°, a), du CIR92 ne précise pas qu'il est applicable sans préjudice de l'article
90, 1°, des revenus de la location de biens immobiliers bâtis dépendant du patrimoine propre d'un
contribuable assujetti à l'impôt des personnes physiques peuvent être qualifiés de revenus divers […], dès
lors qu'ils proviennent d'activités dépassant le cadre de la gestion normale du patrimoine privé, mais sans
avoir le caractère d'activités professionnelles», et en en déduisant que :
«C'est à bon droit que l'Administration fiscale et, à sa suite, le premier juge ont estimé que les produits de
la location de ces biens immobiliers devaient être qualifiés de revenus divers», la Cour d’appel de Mons a
violé ces différentes dispositions légales.
Il faut noter que la décision de la Cour de cassation va à l’encontre des conclusions du procureur général.
Cette théorie de la contrainte (ou théorie des «sources») a déjà été consacrée à plusieurs reprises par la
Cour de cassation.
Elle a ainsi décidé que :

si les conditions sont remplies pour imposer un revenu (en l’espèce des plus-values sur actions ou
parts) à titre de revenu professionnel, le revenu ne peut être imposé comme revenu divers
(Cassation, 14 décembre 2007, www.monKEY.be);

un revenu de la location, de l’affermage, de l’usage ou de la concession d’un bien mobilier qui
constitue un revenu mobilier en vertu de l’article 17, § 1er, 3° du CIR92 ne peut être taxé comme
un revenu divers (Cassation 22 janvier 2010, www.monKEY.be).
La Cour a émis une réserve pour les revenus exonérés : ainsi les revenus qui sont expressément
exonérés d’impôt par la loi comme revenus mobiliers (en l’espèce des bonis de liquidation qui à l’époque
était exonérés en vertu de l’ancien article 21, 2° du CIR92) peuvent être imposés comme revenus divers
(Cassation, 6 mai 2011, www.monKEY.be).
Conclusion : en aucun cas, un revenu locatif ne peut être taxé au taux distinct de 33% (revenus divers).
En l’espèce, le couple sera taxé sur le revenu cadastral majoré de 40 % (location à des personnes
physiques n’affectant pas l’immeuble à des fins professionnelles).
Si l’Administration avait maintenu sa position initiale, elle aurait pu taxer le couple aux taux progressifs sur
le montant net des loyers, ces derniers étant considérés alors comme des revenus professionnels.