Charles Bruno Dogbe Promoteur sans frontières
Transcription
Charles Bruno Dogbe Promoteur sans frontières
FORBES AFRIQUE IMMOBILIER ACTEURS Charles Bruno Dogbe Promoteur sans frontières A la tête de Tecnodis International, la société de développement immobilier qu’il a fondée en France, ce SénégaloTogolais cherche à faire bouger les lignes et les frontières du business en montrant par l’exemple qu’un Africain peut brillamment réussir en tant que chef d’entreprise ailleurs que dans son pays. PAR GASTON KELMAN I 34 | FORBES AFRIQUE DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 de rien à la fin des années 1990. On apprécie le chemin parcouru», raconte-t-il. Le globetrotter repart ensuite pour Dakar, où il vend des usines clés en main pour Transglobal International, société de droit espagnol. VAINCRE LES PRÉJUGÉS L’aventure française de Charles Bruno Dogbe commence en 2004. «Je voulais prouver que des études et une première expérience professionnelle africaines pouvaient permettre l’intégration dans une grande société française», explique-t-il. Ce sera International Buyers, filiale de la BNP. Il a en charge le dossier du crédit immobilier pour Français non résidents investissant en France. Après un peu plus d’un an, il s’installe à son compte. Le sourire malicieux toujours aux lèvres, l’homme d’affaires est fier de mettre en pratique ses convictions et d’être un exemple de réussite. © JEAN-MARIE HEIDINGER l a déboulé comme un météore dans les locaux parisiens de Forbes Afrique avec une bonne humeur contagieuse. Il rentre d’un périple de six jours : Bénin, les deux Congos, puis Togo et France. L’homme a 45 ans et il est le propriétaire de la société de développement immobilier Tecnodis International, basée dans la capitale française. Charles Bruno Dogbe est né au Sénégal d’un père venu en aventurier du Togo, qui finira instituteur, et d’une mère sénégalaise. Après des études à Dakar – un troisième cycle en sciences économiques option gestion de projets en 1995 –, il dirige pendant deux ans entre sa Casamance natale et Dakar une entreprise de transformation de jus de fruits créée par un Sénégalais de la diaspora. Suit un contrat d’un an à Conakry pour une société italienne de matériaux de construction. En 1996, il rejoint en Guinée équatoriale l’agence d’architecture de Pierre Goudiaby Atepa, porteuse d’un gros projet d’immobilier public. «J’ai vu ce pays partir L’intérêt pour de potentiels investisseurs africains lui vient au moment où explose le dossier dit «des biens mal acquis», ces fortunes que certains se donnent le droit de reprocher aux leaders africains d’avoir construites sur le dos de leur pauvre population. Pour avoir travaillé dans la finance, il sait qu’il n’y a pas que cela; que beaucoup d’Africains ont des comptes dormants dans les banques à l’étranger. Il va leur conseiller d’investir dans la pierre, en prévision d’un toit pour les études de leurs enfants ou simplement pour posséder un patrimoine. «Je faisais l’interface entre les promoteurs immobiliers et les banques pour le compte de mes clients. Au départ, personne n’y croyait.» Sauf lui. Les difficultés ne s’arrêtent pas là. «C’est seulement en mars 2013 que j’ai ajouté “manager” sur ma carte de visite», se souvientil. L’Africain étant encore peu crédible aux yeux des Africains eux-mêmes comme chef d’entreprise au pays des Blancs, il était obligé de se présenter comme collaborateur d’un patron français. «C’est la preuve qu’avec de l’acharnement, on vient à bout des complexes les plus solides.» Aujourd’hui, il est installé dans le quartier d’affaires parisien, la Défense, avec une succursale à Dakar – CCI Patrimoine Afrique –, une à Lomé – CCI Patrimoine Personal Finance – et un total de dix collaborateurs. Son aventure, Charles Bruno Dogbe la vit comme un parcours pédagogique pour la jeunesse africaine désireuse d’investir la mondialisation sans complexe, de s’installer où elle veut. «Internet permet d’être dans un village et de vendre de la pierre à Dubai, Denver, Dakar.» UNE DÉMARCHE SOCIOLOGIQUE Deuxième phase de son projet, se positionner dans tous les domaines de l’immobilier, la finance, l’ingénierie, le marketing et la sociologie. «On est surpris que j’introduise la notion sociologique et culturelle dans ma démarche. Mais elle est peut-être la plus importante. Il ne s’agit ni plus ni moins que de changer les mentalités au Nord et au Sud, de faire accepter qu’avec les mêmes compétences on puisse avoir les mêmes ambitions partout», détaille Charles Bruno Dogbe. Il parle des structures et des hommes qui ont été ses modèles : Shelter Afrique, géant continental de l’immobilier social, installé à Nairobi, au Kenya, et avec lequel il collabore; son compatriote sénégalais Pierre Goudiaby Atepa, cet architecte qui lui a mis le pied à l’étrier et dont on ne compte plus les réalisations pharaoniques. Aujourd’hui, Charles Bruno Dogbe est partenaire de nombreux programmes immobiliers en Afrique, notamment en Côte d’Ivoire, au Tchad, au Congo-Brazzaville, au Togo. Au fil du temps, il a développé un savoir-faire unique dans le montage de projets d’envergure. Il peut ainsi convaincre les fonds d’investissement. Les notions de pédagogie et de dynamique de groupe ne sont jamais loin. Avec des partenaires de la diaspora, il va lancer en 2014 le fonds AREF, pour l’accompagnement des promoteurs privés en Afrique. S’il reconnaît volontiers qu’il y a encore des écueils à éviter, il jure qu’il a décroché ţ,/6Þ$*,7'(&+$1*(5/(6 0(17$/,76$8125'(7$868''( )$,5($&&(37(548Þ$9(&/(600(6 &2037(1&(62138,66($92,5/(6 00(6$0%,7,2163$57287ť plusieurs opérations sans le moindre pot-devin. Pour lui, on est loin de la caricature des biens mal acquis. Hérault de la renaissance du continent, il a amené nombre d’Africains à comprendre que l’on peut investir dans la pierre dans un autre pays africain que le sien et pas nécessairement en Europe. «L’Afrique avance, répète-t-il comme un leitmotiv. Je ne me mêle pas de politique, mais quand un de mes clients devient ministre, je lui dis qu’on l’attend au tournant de la compétence.» Seule certitude, il ne se fera jamais l’écho de cette critique facile et méprisante envers les leaders africains, dont beaucoup prennent de plus en plus rendez-vous avec le développement. Il cite les exemples du Congo-Brazzaville, du Tchad ou encore de la Guinée équatoriale. Il dit qu’au Sénégal l’administration ne se contente plus des militants politiques, mais embauche beaucoup de personnes ayant les compétences qui ont fait leurs preuves sur le marché. L’homme est indubitablement atypique, l’un des rares entrepreneurs français venus d’Afrique. DÉCEMBRE 2013 // JANVIER 2014 FORBES AFRIQUE | 35