1 Choix résidentiels et différenciation des modes de vie
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1 Choix résidentiels et différenciation des modes de vie
Choix résidentiels et différenciation des modes de vie des familles de classes moyennes en Suisse Marie-Paule Thomas et Luca Pattaroni Laboratoire de Sociologie Urbaine, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne A paraître Espaces et Sociétés, L’espace des classes moyennes, 2012 [email protected] [email protected] EPFL ENAC INTER LASUR Laboratoire de Sociologie Urbaine BP 2241 Station 16 CH 1015 Lausanne, Suisse 1 Cet article approche la question de la différenciation des classes moyennes par la thématique des choix résidentiels. Basés sur une enquête auprès de ménages familiaux des agglomérations de Lausanne et Berne (Suisse), l’article propose une approche en termes de modes de vie – saisissant dans un même cadre d’analyse les dimensions sensibles, sociales et fonctionnelles du rapport à l’environnement construit. Les résultats permettent ainsi d’identifier sept modes de vie résidentiels contrastés au sein des classes moyennes qui permettent de lier aspirations résidentielles et manières de vivre. La diversité en jeu n’est ici pas simplement relative à une transformation des valeurs ou des modes de consommation mais elle renvoie à l’articulation complexe des différentes sphères du mode de vie révélant une sédimentation historique des différentes manières de se rapporter au logement et au territoire apparu au fil du siècle dernier. Mots clés : choix résidentiel, mode de vie, classe moyenne, différenciation, habitat Choix résidentiels et différenciation des modes de vie des familles de classes moyennes en Suisse Un des lieux où s’est noué l’intrigue d’une différenciation des classes moyennes est celui de la mobilité résidentielle et de l’évolution des formes de ségrégation urbaine. En effet, dès le milieu des années 1960, on s’est aperçu, au travers du phénomène de gentrification naissant, qu’une partie des classes moyennes ne suivait pas les modèles de trajectoire résidentielle avancés par la sociologie et l’économie, préférant s’installer dans des quartiers populaires du centre-ville plutôt qu’en banlieue résidentielle ou dans les quartiers « chics ». On a vu alors émergé toute une série de travaux portant sur l’hypothèse d’une réorientation des aspirations résidentielles et des pratiques territoriales d’une partie des classes moyennes (Savage, 1992). Le travail présenté ici s’inscrit dans la continuité de ces travaux et utilise le prisme de la mobilité résidentielle pour interroger plus largement l’évolution des classes moyennes. Cette diversification des classes moyennes apparaît comme le résultat des transformations profondes des modes d’organisation économiques et sociaux ayant pris place autour des années 1950 et 1960. Aux modèles d’ascension sociale classiques, fondés sur le travail et la réussite matérielle, répondent des modèles fondés sur l’épanouissement personnel et la critique des valeurs dites « bourgeoises ». Cette série de mutations socio-économiques engendre des rapports au territoire et à la ville renouvelés (Chauvel, 2006). Si l’on se penche plus attentivement sur les modes de vie des classes moyennes, on s’aperçoit toutefois qu’il ne s’agit pas d’une substitution d’un modèle à l’autre, mais plutôt d’une diversification des modes de vie. En nous basant sur les résultats d’une recherche de trois ans sur les choix résidentiels et les modes de vie1, nous rendons compte dans cet article de la forte diversité des modes de vie résidentiels que l’on peut observer à l’heure actuelle chez les familles2 de classes moyennes en Suisse. Pour lier les choix résidentiels et les modes de vie (d’où nous tirons le concept de mode de vie résidentiel), nous sommes partis d’une hypothèse principale selon laquelle les arbitrages de localisation résidentielle des familles de classes moyennes ne relèvent pas uniquement d’une comparaison en termes de prix et de taille de logement mais également de facteurs fonctionnels, sensibles et sociaux déterminant la qualité de vie dans un lieu donné. Il existe ainsi un lien essentiel entre les choix résidentiels, les modes de vie des 1 Recherche financée par le programme National de Recherche (PNR54) Développement durable de l’environnement construit du Fonds national Suisse de la Recherche Scientifique 2 Les familles sont des ménages ayant au moins un enfant de moins de 25 ans résidant à domicile. 2 familles et les caractéristiques de l’environnement construit. En explorant ce lien et les multiples formes qu’il prend, on arrive ainsi à donner une consistance sociologique à l’idée de diversification des classes moyennes. Dans cet article, nous présenterons successivement l’approche théorique, la méthodologie retenue, puis nous nous attarderons sur les résultats principaux de cette recherche mettant en évidence six axes de différenciation des préférences résidentielles et sept idéaux-types de mode de vie résidentiel. Dans une dernière partie, nous analyserons la répartition socio-spatiale de nos idéaux-types au sein des deux agglomérations, ce qui nous permettra de faire le lien entre des préférences résidentielles (déclarées) et la localisation effective (révélée). Modes de vie et choix résidentiels Une pluralité de logiques d’engagement Les analyses de la mobilité résidentielle reposent sur des présupposés épistémologiques et méthodologiques souvent opposés. Nous trouvons d’une part des approches économiques et démographiques fondées sur une théorie de l’acteur rationnel cherchant à optimiser sa localisation en fonction de caractéristiques économiques et fonctionnelles (prix, taille, distance au travail) et, d’autre part, des approches sociologiques et anthropologiques reposant sur des théories de l’action sociale où tout choix est « socialement » déterminé que ce soit par ses appartenances familiales, ses traditions, sa culture, son mode d’habiter ou encore sa position sociale (Authier & al., 2010). Pour comprendre le choix résidentiel dans toute son épaisseur et dépasser cette alternative entre une vision rationnelle ou sociale, il est nécessaire de prendre en considération dans un même cadre analytique une pluralité de critères comme, par exemple, le statut social du logement, les expériences passées des personnes, l’appréciation sensible des qualités morphologiques du logement et de son environnement, l’ancrage social des familles, l’accessibilité. Ces différents critères, dont la liste n’est ici pas exhaustive, renvoient à autant de manière de se rapporter à l’environnement construit et d’éprouver ses qualités. Nous considérons ainsi que les arbitrages résidentiels renvoient à trois principales logiques d’engagement3 qui sont un engagement sensible lié à l’expérience corporelle de l’environnement construit, un engagement social régulé par les conventions sociales et, enfin, un engagement fonctionnel guidé par un rapport rationnel et normé à l’environnement construit. Ces différentes logiques d’engagement et d’évaluation permettent de mieux spécifier l’idée de mode de vie et leur articulation avec les choix résidentiels. Vers une différenciation des modes de vie des classes moyennes Généralement, les théories actuelles visant à rendre compte des « modes de vie » oscillent entre une perspective mettant l’accent sur la conformité des manières de vivre de larges pans de la population (classes sociales) inspirée de la théorie de l’habitus et des champs de Bourdieu (1979) et une perspective plus soucieuse des variations individuelles à l’instar des théories inspirées par les travaux de Beck (1986). Dans une certaine mesure, ces deux positions théoriques ne seraient pas seulement deux manières contrastées de considérer un même phénomène mais elles capteraient aussi des phénomènes historiquement situés. En effet, les théories attentives aux mécanismes d’homogénéisation et de reproduction des modes de vie des classes sociales peuvent être vues comme décrivant de manière relativement ajustée une société « moderne » caractérisée par des mécanismes importants de standardisation des comportements et l’opposition massive entre classes bourgeoises et ouvrières4. A l’inverse, face au phénomène de diversification des pratiques au sein des 3 Elles s’inspirent des travaux de Laurent Thévenot sur les régimes d’engagement (Thévenot, 2006, Breviglieri & Pattaroni, 2005). 4 Sur cette question voir Wagner (1996) sur l’évolution concomitante des formes d’organisation sociétale et des théories sociologiques. 3 différentes classes sociales5, qui semble caractériser les sociétés dites « post industrielles », il semble intéressant d’aller chercher des outils théoriques permettant de décrire plus finement l’individualisation des modes de vie. A cet égard, plusieurs auteurs allemands proposent une conceptualisation qui fait figure de compromis entre ces deux positions antagonistes par un jeu de combinaison entre les formes classiques (verticales) et nouvelles (horizontales) d’inégalités sociales (Ohnmacht et al, 2009). Les inégalités sociales classiques concernent les distinctions en terme de statut, classe, prestige et sont déterminées par la formation, le revenu, le genre ou l’âge. Les nouvelles formes d’inégalité prennent en compte le processus d’individualisation et distinguent ainsi les individus en termes de vie quotidienne, de consommation ou encore d’identité. A un même niveau de statut peuvent alors correspondre des variations importantes en termes d’attitudes, d’opinions, de valeurs ou encore de pratiques. (Ohnmacht & al., 2009). Dans un même ordre d’idée, nous proposons une conceptualisation qui combinent les formes classiques (verticales : stratification) et nouvelles (horizontales : vie quotidienne) d’inégalités sociales. Pour remonter depuis nos trois logiques d’engagement vers une analyse des modes de vie fonctionnelle, sociale et sensible, nous lions chaque modalité d’action à une sphère d’activité de la vie quotidienne dont dépend une facette de la « qualité de vie » 1) Utiliser (qualité fonctionnelle) : la poursuite de projets et des activités quotidiennes (mobilité quotidienne, fréquentation du quartier) qui amène à éprouver la qualité fonctionnelle de notre environnement (accessibilités, services) 2) Rencontrer (qualité sociale) : le développement de relations familiales et amicales (ancrage social local, engagement associatif, relations de voisinage, envie de vivre en coopérative6, positionnement politique) qui amène à éprouver la qualité sociale de notre environnement 3) Habiter (qualité sensible) : l’expérience corporelle de l’environnement construit (préférences sensibles : moderne/ancien, nature/urbain ; pratiques culturelles) qui amène à éprouver la qualité sensible de notre environnement Un mode de vie peut être défini ainsi comme la composition - dans le temps et l’espace - des différentes activités et expériences qui donne sens à la vie d’une famille. Comme le suggère la figure suivante, chacune des facettes de la qualité de vie résulte de la rencontre entre les caractéristiques des modes de vie et les caractéristiques matérielles et sociales du contexte. Figure 1 – La qualité de vie : une rencontre entre modes de vie et environnement construit et social Il n’y a donc pas une « qualité de vie » valable pour tous mais autant de conceptions de la qualité(s) de vie qu’il y a de modes de vie. En fonction de la manière dont un ménage habite, 5 Le mouvement de mai 1968 et la naissance de la contre-culture sonnent la véritable éclosion de la société postindustrielle. 6 Forme d’habitat intermédiaire entre la location et la propriété géré par des membres coopérateurs dans un esprit de solidarité, de vivre-ensemble et un sens partagé des responsabilités. 4 du type de relations sociales qu’il entretient et de l’organisation pratique de son quotidien, il trouvera dans tel ou tel contexte les prises permettant de répondre ou non à son mode de vie. Les arbitrages de localisation résidentielle procèdent d’un processus d’exploration et d’évaluation des qualités de l’environnement construit au travers duquel les familles cherchent à faire correspondre au mieux leur lieu de vie et la manière dont elles désirent vivre. Un des enjeux de notre recherche est dès lors d’analyser le lien entre les préférences résidentielles, caractérisées par des idéaux-types et le lieu où les familles habitent effectivement. Compte tenu de toutes les contraintes structurelles inhérentes au marché immobilier, l’idéal-type correspond-il à une localisation réelle sur le territoire ? Nous définissons ainsi le choix résidentiel comme le résultat d’un arbitrage - découlant du mode de vie et des ressources économiques et sociales individuelles - entre différents critères fonctionnels, sociaux et sensibles, offerts ou non par le contexte territorial structurel et sociohistorique. Méthodologie Pour notre problématique, une approche comparative entre deux régions urbaines a été retenue. Le choix s’est porté sur les régions urbaines de Berne et Lausanne (définies à partir de l’agglomération statistique de l’Office Fédéral de la Statistique)7. Il est motivé par le fait qu’il s’agit de deux agglomérations urbaines de taille comparable au centre d’un grand canton qui sont fortement contrastées du point de vue socio-culturel et structurel (compacité de l’urbanisation, langues, histoire urbaine). La recherche s’est décomposée en deux phases principales. (1) Une phase qualitative : réalisation d’une quarantaine d’entretiens semi-directifs avec des familles réparties dans huit quartiers des deux agglomérations se distinguant par leur situation géographique (centrale, suburbaine et périurbaine). (2) Une phase quantitative : passation d’un questionnaire téléphonique d’une durée de 25 minutes administré à 500 ménages familiaux de chaque agglomération. Pour les sélectionner, nous avons effectué un tirage aléatoire par type de contexte géographique pour s’assurer de leur répartition homogène dans l’agglomération [ville-centre (30%), communes suburbaines (50%), communes périurbaines (20%)]. Nous avons introduit dans notre enquête toute une série de variables verticales (stratification) et horizontales (vie quotidienne) reprenant les trois grandes dimensions du mode de vie (habiter, rencontrer, utiliser) que nous avons combiné avec les critères de préférences résidentielles. Soucieux de rendre compte de la complexité des dynamiques réelles d’arbitrage de localisation résidentielle, nous avons opté pour une approche mixant les préférences résidentielles déclarées et la localisation résidentielle effective à travers la géolocalisation de nos ménages. Pour définir les classes moyennes, à l’instar de Chauvel (2006), nous proposons de retenir une définition englobante les situant autour du ménage moyen à la fois par leur position intermédiaire dans les hiérarchies sociales et professionnelles et d’autre part par un niveau de rétribution s'approchant de la moyenne8. Nos échantillons qualitatifs et quantitatifs présentent une nette sous-représentation des classes extrêmes. Deux tiers des ménages interrogés ont un revenu compris entre 4600 euros et 8800 euros ce qui constitue nos classes moyennes familiales. Les résultats présentés ici reflètent les pratiques de ces classes moyennes. 7 Les familles de classes moyennes résidant hors des périmètres de l’agglomération statistique n’entrent pas en compte dans la construction des idéaux-types. L’élargissement du périmètre d’enquête pourrait éventuellement faire émerger de nouveaux groupes. 8 Le revenu moyen net par ménage familial en 2008 est de 6200 euros. 5 Six axes de différenciation des préférences résidentielles Nous avons pu identifier six grands axes de différenciation des préférences résidentielles des familles de classes moyennes qui représentent six manières d’évaluer l’environnement où l’on souhaiterait vivre. En d’autres termes, ces axes indiquent les qualités recherchée par les familles dans leur environnement quotidien : est-ce qu’elles cherchent à vivre avant tout dans un environnement sûr, dense, convivial, traditionnel, calme ou élitiste ? Au-delà d’une simple différenciation des « préférences » résidentielles, ces axes nous sont apparus, comme désignant les grands pôles de structuration des différences entres les modes de vie des familles de classe moyenne. En effet, comme on le verra plus en détail dans l’analyse des modes de vie résidentiels, on trouve derrière ces axes les oppositions constitutives des contrastes entre les formes de vie caractéristiques de la société industrielle (« modernes ») et celles développées plus récemment dans le passage à une organisation économique et sociale dite « post-industrielle » (ou encore « post-moderne »). Nos six axes sont les suivants9 : 1. Sécurité : préférence pour un environnement sécurisé avec une bonne réputation. Cet axe distingue les familles en fonction de l’importance qu’elles accordent au fait de vivre dans un environnement sécurisé. Nos analyses ont montré qu’il permet de faire la différence entre des familles qui ont un rapport plutôt conservateur à leur environnement et d’autres moins attentives aux valeurs sécuritaires, plus « libérales »10. 2. Densité : cet axe met en évidence la préférence pour un environnement dense en aménités de proximité et connecté aux réseaux de transports publics. Cet axe traduit une préférence pour les environnements urbains présentant ces qualités sensibles et fonctionnelles. 3. Convivialité : préférence pour un environnement convivial avec une vie associative riche et diversifiée. Cet axe distingue les familles en fonction de l’importance qu’elles accordent à la vie publique d’un quartier. Il sépare ainsi des familles que l’on peut dire communautaristes11 (pour qui la convivialité de voisinage est centrale) et des familles plus individualistes (qui n’établissent pas de liens sociaux de proximité). 4. Ancrage social : préférence pour un environnement permettant une vie sociale localement ancrée. Cet axe mesure la préférence pour un lieu de vie qui permette le maintien à proximité des dimensions plus « domestiques » de la vie sociale : les amis, la famille et le travail. 5. Tranquillité : préférence pour un environnement vert et tranquille. Cet axe reflète l’aspiration des familles à vivre dans un environnement calme et vert indépendamment de leurs préférences sociales ou fonctionnelles. 6. Elitisme : préférence pour un environnement élitiste. Il nous semble que les trois critères que cet axe rassemble - accessibilité voiture, fiscalité, réputation du quartier - sont caractéristiques des environnements « hauts de gamme », favorisant un mode de vie individualiste et aisé financièrement. On peut penser que cet axe mesurerait ainsi la volonté de distinction sociale telle que Bourdieu l’a analysée. De plus amples analyses (que nous n’exposerons pas ici) permettent de supposer que cet axe serait révélateur d’une opposition entre valeurs matérialistes et postmatérialistes (Inglehardt, 1993). 9 Nous avons eu recours à une analyse en composantes principales (ACP) sur les 19 variables ordinales de choix du quartier (préférences déclarées). Les six axes factoriels expliquent 58% de la variance. Nous avons ensuite réalisé une classification ascendante hiérarchique qui a permis de retenir une partition en sept classes. 10 D’une certaine manière, cet axe révèle l’opposition souvent mise en avant dans les enquêtes européennes entre l’attachement à la tradition et le libéralisme des mœurs (Galland et Lemel, 2007). 11 Le terme communautariste est utilisé ici pour les ménages pour qui le groupe est un fort référent. Nous ne l’entendons pas dans le sens de repli ethnique. 6 Les modes de vie résidentiels Pour avancer dans l’analyse, il faut se demander comment chaque famille se positionne sur les différents axes pour dessiner son environnement idéal, c’est-à-dire l’ensemble des critères qu’elle a mis en avant ou négligé lors de son dernier déménagement. En effet, un choix résidentiel ne se fait jamais sur un seul des axes (on choisit un environnement plus ou moins sécurisé) mais au travers d’une combinaison et d’un arbitrage entre plusieurs axes. Pour identifier les manières dont les familles regroupent les critères de choix, nous avons réalisé une classification qui nous a permis d’isoler sept idéaux-types distincts de préférences résidentielles que nous avons ensuite mis en rapport, pour les profiler, avec les caractéristiques des modes de vie des familles12. La combinaison des préférences résidentielles et du mode de vie donne naissance au concept de mode de vie résidentiel. Les fortes corrélations apparues indiquent que ces types construits sur des critères de choix s’ancrent plus fondamentalement dans des manières de vivre contrastées. Nos analyses multivariées confirment que les variables horizontales (valeurs, opinions et pratiques urbaines), constitutives des différences en matière de modes de vie, ont souvent un plus grand pouvoir explicatif que les variables structurelles. Il est possible de classer en deux grands groupes les modes de vie résidentiels. D’un côté, on trouve des types se rapprochant des formes de vie de la société dite « moderne » caractérisées par une structuration familiale classique, des morales traditionnelles et des aspirations résidentielles empreintes de distinction sociale. D’un autre côté, on voit émerger des « idéauxtypes » que l’on peut appeler par contraste « post-modernes » composés de familles privilégiant l’autonomie et l’épanouissement personnel de leurs membres (bi-activité), affichant des valeurs plus « libérales » (Galland et Lemel, 2007) ou encore « postmatérialistes » (Inglehart, 1993) et des aspirations résidentielles « authentiques ». 12 Dans cet article, nous nous concentrerons sur les 6 groupes les plus intéressants pour notre propos. Le septième groupe est constitué de ménages relativement « indifférents » qui n’ont pas répondu de manière tranchée sur leurs préférences résidentielles. (Pattaroni & al., 2009 ; Thomas, 2011). 7 Citadins individualistes Champêtres ancrés Paisibles +++ +++ +++ --- ++ -- - +++ Variables significatives* Indifférents Bourgeois -- Communautaristes ++ Citadins engagés --- Caractéristiques des modes de vie des ménages UTILISER Type de mobilité quotidienne Auto/moto exclusif Tranport public exclusif Auto+ Transport public HABITER RENCONTRER Fréquentation du quartier (loisirs, achats et bars/ restaurants) Convivialité de Voisins proximité Coopérative Vie associative Politique** Préférences sensibles ++++ Urbain (pratiques culturelles + centre valorisés) Capital culturel*** -- ++ ++ - -- --- +++ ++ -- -- ++ ++ - Gauche Nature +++ +++ + CentreD. + ++ Form. III Droite Gauche ++ -- Form. II + Centre - ++ - -- Form. III + Form II. Préférences résidentielles (critères de choix du quartier) Sécurité ++ +++ ++ --- -- Densité +++ ++ + ++++ - -- --- Convivialité ++++ ++ ----- - ++ ---- ++ ++ + ---- ++ +++ +++ ++ ----- 13% 17% 21% 15% 13% 10% 10% Elitisme Taille du groupe ---- +++ Ancrage social Tranquillité ------ ---- ---- *Nous avons noté dans ce tableau récapitulatif que les variables statistiquement significatives. Plus il y a de sigles +, plus la variable est significative. Le signe «-» signifie que la variable est significative négativement. Si la case est vide, le groupe est dans la moyenne de l’échantillon (N=1060). ** CentreD. = Centre-droit *** Form. III = Formation tertiaire ; Form. II = Formation secondaire Figure 2, les modes de vie résidentiels 8 Les idéaux-types « modernes » Les deux groupes « modernes » principaux (les bourgeois et les communautaristes) sont fortement influencés par des idéaux que l’on peut associer à la société bourgeoise moderne. Se rapprochant des modèles d’ascension sociale mis en avant dans les enquêtes de Bourdieu (1979) ces deux groupes accordent une large place au « statut social » et à la distinction (positionnement fort sur l’axe « élitisme »). Ils se distinguent toutefois dans leur rapport au voisinage et, plus largement, dans leur conception des relations sociales. En effet, ils se positionnent à chaque bout de l’axe « convivialité » qui peut être vu comme dénotant l’opposition entre idéal communautaire et idéal individualiste. Voici plus en détail, la présentation de ces deux groupes. Le recours à un mode narratif, construit à partir des analyses factorielles et des corrélations avec les variables « mode de vie », permet de mieux dessiner leur cohérence interne sous forme à chaque fois d’un « idéal-type ». Les communautaristes Les familles communautaristes sont très exigeantes envers les qualités sensibles, sociales et fonctionnelles de leur cadre de vie. Elles valorisent avant tout la sécurité, la réputation du quartier, la présence d’un tissu social traditionnel (amis, famille à proximité) et la convivialité de voisinage. Elles sont ainsi plus attachées à une communauté de voisinage qu’à un environnement construit spécifique et privilégie ainsi les environnements connus et l’entresoi. Ces familles sont fortement sédentaires, ancrées fonctionnellement et socialement dans leur quartier qu’elles fréquentent de manière soutenue. Elles combinent mobilité douce, transports publics et usage de la voiture. Elles recherchent donc des environnements socialement riches et conviviaux, cumulant les formes d’accès et disposant de bonnes aménités de proximité. Ces familles ont une plus grande proportion de personnes ayant une formation professionnelle supérieure ainsi que de ménages où la femme reste au foyer. Elles tendent à voter plutôt au centre droit. Les bourgeois Les familles bourgeoises valorisent avant tout la sécurité et le statut social de leur quartier. Ces préférences indiquent ainsi une posture à la fois conservatrice et individualiste, typique des formes de relation à l’environnement construit, traditionnellement développées par la bourgeoisie. Leur volonté de distinction sociale apparaît clairement dans leur rejet des quartiers populaires et stigmatisés. Elles fréquentent très peu leur quartier. Leur lieu de vie doit être avant tout pratique et confortable dans un contexte social valorisé. Ainsi, ce sont les seules familles qui déclarent ouvertement préférer vivre dans un quartier chic et résidentiel plutôt que dans un quartier populaire et animé. D’un point de vue sensible, elles ont tendance à éviter les villes et déclarent préfèrent vivre en périphérie, dans un village proche de la ville, au calme, et de préférence dans une villa ou un logement neuf. Pour déployer leur mode de vie individualiste, ces familles ont deux voitures ou plus. Elles comptent une plus grande proportion de ménages propriétaires, où la femme reste au foyer et l’homme est cadre, qui votent clairement à droite. Les champêtres ancrés Un troisième type, celui des champêtres ancrés peut être ajouté aux deux groupes précédents dans la catégorie des formes de vie dites « modernes ». De fait, ils ne sont pas proprement le produit de la modernité sociale et territoriale mais seraient plutôt les héritiers des modes de vie ruraux traditionnellement opposés aux modes de vie urbains, tout en s’inscrivant désormais dans le territoire d’une agglomération fortement urbanisée. Dans ce groupe, les ménages sont affectivement attachés à un terroir « campagnard » à laquelle ils se sentent appartenir. Leurs réseaux sociaux (amis et famille) sont essentiellement centrés sur le village 9 et la commune où ils habitent. Ce type valorise avant tout un environnement calme et vert socialement ancré. Pour ces familles, l’usage de la voiture est central et le lieu de résidence idéal est une ferme rénovée dans un village de campagne. Nous comptons dans ce groupe une surreprésentation de ménages de formation secondaire (apprentissage, école professionnelle) qui ont plutôt tendance à voter au centre. Les idéaux-types « postmodernes » En contraste avec les groupes précédents, on trouve trois modes de vie résidentiels empreints d’usages, de valeurs et plus largement de rapport au territoire qui semblent caractériser les nouveaux segments des classes moyennes urbaine dite « post-industrielle », dénommée de manière courante bourgeoise-bohème (Bridge, 2006 ; Savage & al, 1992). D’un côté, on trouve les citadins engagés et les citadins individualistes qui rejettent assez clairement la dimension élitiste du choix résidentiel, où ils seraient réduits au seul marqueur d’une réussite sociale. Le mode de vie de cette nouvelle classe moyenne s’est construit à partir de la critique des modes de vie de la bourgeoisie issus de la révolution industrielle perçus comme monotones, ségrégatifs et peu créatifs. A l’inverse de la bourgeoisie qui jetait son dévolu sur les périphéries de la ville étalée et la maison individuelle, ces nouvelles classes moyennes sont mues par d’autres aspirations et valeurs : vie dans le centre, convivialité et mixité, immeuble ancien et densité, identité et mémoire du lieu répondant tant à un souci d’« authenticité » qu’à une volonté de participer à la vie sociale et politique. Néanmoins il existe aussi des différences importantes à l’intérieur de ce segment des nouvelles classes moyennes urbaines qui ne se font pas sur les dimensions fonctionnelles où l’on retrouve un même ancrage de proximité des activités quotidiennes et l’usage massif des modes de transport plus « écologiques » (transport public, vélo, marche). C’est autour des questions plus sociales comme la convivialité et la sécurité qu’on voit apparaître une différenciation. Les familles appartenant au type citadins engagés sont plus communautaires, intégrées socialement et voire même un peu conservatrices (lié à leur quête d’ « authenticité »). De leur côté, les familles appartenant au type citadin individualiste auront plus tendance à être progressistes dans leurs valeurs et peu intégrées socialement dans leur quartier. D’un autre côté, on trouve un troisième groupe « post-moderne » dont l’ancrage territorial est moins résolument urbain : les paisibles. Très mobiles et peu ancrés localement, ces familles s’éloignent aussi résolument des modèles issus de la modernité, par leur mobilité et leur ancrage réticulaire. Les citadins engagés Ce premier type regroupe les familles dont le mode de vie est le plus clairement attiré par les environnements urbains. Ces familles valorisent un contexte urbain communautaire à ambiance « villageoise » tout en recherchant un environnement sécurisé pour leurs enfants. La valorisation des formes de mobilité douce et l’ancrage de proximité de leurs activités, leur goût pour la diversité sociale et la vie associative ou encore leur aspiration à vivre au centreville dans des immeubles anciens, dessinent très nettement un environnement construit dense, bien desservi, aux aménités diversifiées et à la population mixte. Nous trouvons dans ce groupe une proportion significativement plus importante de familles universitaires, qui votent à gauche, dont les deux parents travaillent à temps partiel ou encore de familles monoparentales. Les citadins individualistes Ces familles relativement individualistes n’ont pas un ancrage social particulièrement fort là où elles vivent. Toutefois, au contraire des familles bourgeoises, elles n’accordent guère de crédit aux questions de réputation ou de sécurité et valorisent la vie en coopérative familiale. 10 Elles fréquentent au quotidien leur quartier pour leurs achats et aiment sortir le soir. Ainsi elles aspirent à vivre dans un lieu pratique et bien connecté par les transports publics, là où elles peuvent atteindre une bonne offre culturelle rapidement. Les familles de ce groupe ont tendance à être plus éduquées (universitaires), à voter à gauche et être bi-actives à temps partiel. Elles partagent ainsi avec le groupe citadins engagés certaines des caractéristiques des nouvelles classes moyennes avec néanmoins une dimension ici socialement plus individualiste et libérale. Les paisibles Ces ménages apparaissent comme les figures fortes (les « grands ») d’un monde « connexionniste » (Boltanski et Chiapello, 1999), disposant d’un fort capital de mobilité et de réseaux sociaux larges. Le modèle sociologique de ces ménages semble se trouver du côté des « classes moyennes globales », servant la nouvelle économie mondiale et alimentant les processus de métropolisation, décrits par Sassen (1996). En termes de choix résidentiel, le maître mot de ces familles est le calme. L’important pour elles est donc, avant tout, de trouver un logement calme et confortable, de préférence une villa, d’où elles pourront poursuivre leurs activités essentiellement en voiture. Ces familles « libérales » sont les plus désancrées socialement et fonctionnellement. Privilégiant la connexité, leur mode de vie est cosmopolite dans la mesure où il apparaît détaché du « lieu ». On est ici en présence de familles aux réseaux sociaux dispersés en Suisse et ailleurs qui ne cherchent pas particulièrement à s’engager là où elles vivent. Elles ont en général vécu un certain temps à l’étranger. On trouve dans ce groupe une légère surreprésentation d’industriels et de patrons d’entreprise. Modes de vie résidentiels et contexte La typologie des modes de vie résidentiels suggère que les éléments contextuels acquièrent une qualité dans la mesure où ils facilitent les activités quotidiennes et les expériences de vie des familles. A cet égard, les territoires présentent des différences tant en terme de distribution des caractéristiques fonctionnelles, sociales et sensibles qu’en terme structurel (offre de logement sur le marché immobilier) offrant dès lors un cadre de vie plus ou moins accueillant pour les différents modes de vie. Dès lors, on doit se demander si les modes de vie résidentiels se distribuent de manière uniforme dans les deux agglomérations ? Notons tout d’abord que tous les types sont représentés dans l’ensemble des contextes géographiques. Néanmoins, il existe de fortes disparités dans leur distribution spatiale. A l’échelle de l’agglomération, certains groupes sont plus prédominants dans les contextes bernois ou lausannois ce qui s’explique par un effet de contexte structurel qui se métisse d’un effet culturel. D’un point de vue structurel, le système de transports publics bernois est largement plus performant. Ce résultat s’interprète probablement par la plus grande diffusion dans la culture suisse-alémanique – et germanique en général - des valeurs écologiques et postmatérialistes qui favorisent l’abandon de la voiture (Walter, 1990). Allant dans le même sens, on peut signaler aussi une culture urbaine bernoise et germanique marquée par un sens civique plus prononcé. Ce terreau contextuel favoriserait ainsi l’adoption à Berne des modes vie des communautaristes (26% vs 7% à Lausanne) et citadins engagés (19% vs 5% à Lausanne). A Lausanne, les bourgeois (27% vs 16% à Berne) et les paisibles (17% vs 4% à Berne), figures d’un mode de vie plus individualiste et matérialiste pour les premiers se retrouvent sur-représentés. Cela peut être rattaché à une culture « suisse-romande » où les valeurs postmatérialistes, environnementales et la culture civique sont moins prégnantes. 11 (Galland et Lemel, 2007 ; Schuler & al., 2007) 13. A l’échelle des communes et des quartiers, nos résultats indiquent que le potentiel d’accueil d’un quartier dépend non seulement de ses caractéristiques morphologiques et fonctionnelles, mais également beaucoup de ses caractéristiques sociales. Certains quartiers pourront être attractifs pour certains modes de vie résidentiels et excluants pour d’autres. Sans entrer dans le détail pour tous les groupes, on peut prendre l’exemple des citadins engagés et individualistes. Les citadins engagés sont dans l’ensemble nettement plus présents dans les quartiers anciens centraux (près de 40% de ce groupe y résident contre 18% en moyenne). En général, ce type est nettement moins représenté dans les « beaux quartiers » et dans les communes suburbaines et périurbaines mal desservies par les transports publics (28% vs 51%). Les citadins individualistes sont également sur-représentés dans les quartiers anciens centraux mais dans une moindre mesure par rapport aux citadins engagés. Nous constatons cependant des variations plus marquées entre les deux agglomérations. Les citadins individualistes sont répartis de manière assez homogène à Berne mais sont sur-représentés dans les quartiers centraux à Lausanne. Cela s’expliquerait, comme on l’a suggéré, par la qualité du réseau de transport public bernois et la bonne distribution spatiale des aménités. Ainsi, l’aménagement du territoire à Berne permet aux familles qui recherchent une bonne proximité aux commerces et à la vie culturelle de s’installer de manière indifférente sur tout le territoire. De manière plus générale, il ressort de nos résultats que les quartiers anciens centraux sont très peu attractifs pour les champêtres ancrés, les bourgeois et les paisibles, mais ils ont par contre un fort potentiel pour les groupes postmodernes citadins, constituant leurs quartiers « idéaux-type ». Au contraire, les « beaux quartiers » des deux agglomérations comptent une sur-représentation du groupe bourgeois mais sont excluants pour les citadins engagés. Les quartiers «suburbains et périurbains villageois » (mal desservi par les transports publics) comprennent une nette sur-représentation de champêtres ancrés et de paisibles mais sont clairement des lieux « repoussoirs » pour les communautaristes et les citadins engagés privilégiant une vie de quartier. Finalement, les quartiers suburbains et périurbains bien desservis par les transports publics font office de «compromis». C’est dans ces quartiers que l’on retrouve la plus grande diversité de modes de vie résidentiels. Ces lieux ont ainsi le potentiel d’accueil le plus élevé de par l’hybridation de leurs caractéristiques : une morphologie variée (tissu villageois ancien, tissu suburbain, tissu pavillonnaire), un accès facilité à la nature, une bonne accessibilité en transports publics et en voiture, une convivialité de proximité tout comme la possibilité d’être anonyme, une certaine mixité sociale. En dehors de ces contextes relativement plus « hospitaliers », on constate ainsi que si chacun des modes de vie résidentiels est présent dans les différents quartiers étudiés, ils le sont à des degrés divers, et surtout, ils semblent tenus en échec dans certains cas. A l’inverse, même si nous constatons une sur-représentation de chaque groupe dans son quartier idéal-type, tous les citadins engagés n’habitent pas dans les quartiers anciens centraux et tous les paisibles n’habitent pas dans des quartiers villageois périurbains. Cette distance s’explique 13 Pour des analyses plus détaillées, cf Thomas, 2011. 12 probablement pour partie par des effets de contrainte du marché du logement et des ressources financières des ménages. Pour évaluer le rôle de ces contraintes, nous avons analysé les liens entre le revenu et les modes de vie résidentiels. Nous constatons tout d’abord que l’on retrouve dans chaque classe de revenu une gamme très large de modes de vie résidentiels. Ce n’est donc pas en raison de leur revenu que les familles adoptent tel ou tel mode de vie résidentiel. Par contre, nos résultats montrent que plus les ménages ont un revenu élevé, plus ils peuvent se permettre d’être propriétaires, d’avoir un logement spacieux au loyer plus élevé, et plus ils auront effectivement des chances d’habiter dans leur quartier «idéal-type». A l’inverse, les ménages à faible revenu sont plus fortement contraints par les mécanismes de filtrage du marché immobilier. L’augmentation du revenu élargit donc la marge de manoeuvre des familles et accroît leur chance de trouver une localisation et un logement qui leur conviennent parfaitement. Par exemple, les citadins engagés les plus aisés sont nettement surreprésentés dans les quartiers anciens hypercentraux (53% vs 18%) tandis que les ménages à plus faible revenu arbitrent pour des quartiers en frange de ville tels que les quartiers relégués. Cependant, dans toutes les classes de revenu de ce groupe, les « beaux quartiers » ainsi que les quartiers périphériques consituent des lieux « repoussoirs ». De la même manière, les ménages bourgeois et champêtres ancrés, quelque soit leur capital économique sont nettement sous-représentés dans les quartiers anciens hypercentraux. Les ménages arbitreront ainsi en faveur d’un lieu de vie présentant le meilleur compromis entre leurs aspirations résidentielles idéales et les contraintes structurelles du marché immobilier leur permettant de déployer leur mode de vie de prédilection. Conclusion Nos résultats montrent que les différences de revenu sont à la fois essentielles pour comprendre les inégalités en matière d’espace consommé et la capacité plus ou moins grande à faire coïncider idéal et réalité ; toutefois, elles ne permettent pas de comprendre la diversité observable dans les modes de vie résidentiels. Quel que soit leur capital économique, les ménages occulteront des pans entiers du territoire si les lieux sont considérés comme « repoussoirs » en terme de mode vie résidentiel. En enquêtant sur les arbitrages résidentiels des familles, nous avons ainsi pu mettre en évidence sept modes de vie résidentiels qui révèlent des liens étroits entre le lieu où l’on désire vivre, la manière dont on vit et le lieu où l’on habite effectivement. Les transformations relatives aux formes de mobilité, d’habitat et d’organisation de la famille ont permis – et parfois rendu nécessaire – l’émergence de nouveaux modes de vie résidentiels sans toutefois faire disparaître certains modes de vie plus traditionnels. La diversification des modes de vie au sein des classes moyennes s’effectue ainsi dans un répertoire limité, encadré à la fois par les modes de vie (donner sens et valoriser différentes manière de vivre, plus sédentaire ou plus mobile, ouverte à l’autre ou non, dans une structure familiale plus ou moins hiérarchique) et par les contraintes structurelles du territoire (morphologie urbaine, marché du travail, accessibilité voiture ou transport public, etc.). D’autres enquêtes sur l’ensemble des ménages nous ont permis de retrouver ces modalités fondamentales de différenciation des classes moyennes. Ces modes de vie résidentiels donnent ainsi une certaine consistance à l’idée d’une diversification des classes moyennes qui n’est pas simplement relative à une transformation des valeurs ou des modes de consommation mais qui renvoie à l’articulation complexe des différentes sphères du mode de vie. L’imbrication dynamique des six axes autour desquels s’articulent les modes de vie résidentiels donne à voir toute leur épaisseur où se mêlent les 13 sphères sensibles, sociales et fonctionnelles de notre quotidien. Ces types contrastés, faisant à chaque fois système, implique l’idée qu’on est en présence d’un pluralisme limité et non pas d’une infinité de modes de vie résidentiels. A cet égard, on peut avancer l’idée que la diversité des types observée relève d’une sédimentation historique des différentes manières de se rapporter à l’habitat apparu au fil du siècle dernier, dessinant ainsi les multiples territoires des classes moyennes. AUTHIER J-Y., BONVALET C., LEVY J-P., (sous la dir. de) 2010. Elire domicile. La construction sociale des choix résidentiels. Lyon, PUL. BECK, U., 1986, Risikogesellschaft : auf dem Weg in eine andere Moderne. Suhrkamp, Frankfurt. BREVIGLIERI M. and PATTARONI L., 2005. Le souci de propriété : vie privée et déclin du militantisme dans un squat genevois. Haumont B. et C. Morel (dir), La société des voisins, Paris, Maison des sciences de l'homme, coll. « Ethnologie de France », 275-289. BRIDGE, G., 2006. « Perspectives on Cultural Capital and the Neighbourhood », Urban Studies, 43, 4, 719–730. BOLTANSKI L. et CHIAPELLO, E., 1999. Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard. BOURDIEU, P., 1979. 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