droits d`auteur et piratage sur internet : quelles réponses à la
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droits d`auteur et piratage sur internet : quelles réponses à la
Direction Générale du Trésor et de la Politique Économique DROITS D’AUTEUR ET PIRATAGE SUR INTERNET : QUELLES RÉPONSES À LA QUESTION DU CONTOURNEMENT DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE ? Hélène DURAND Document de travail Mai 2005 DROITS D'AUTEUR ET PIRATAGE SUR INTERNET : QUELLES REPONSES A LA QUESTION DU CONTOURNEMENT DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE ? Hélène DURAND Document de travail Mai 2005 Ce document de travail n’engage que son auteur. L’objet de sa diffusion est de stimuler le débat et d’appeler commentaires et critiques. MINISTERE DE L’ECONOMIE DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique 139, rue de Bercy - 75572 - PARIS Cedex 12 Sommaire Résumé 3 Abstract 4 Introduction 5 I- Le contexte juridique actuel est clair : le téléchargement, depuis des réseaux de « peer to peer », de contenus protégés par le droit d’auteur constitue un délit de contrefaçon 7 I.1 - 7 I.2 I.3 I.4 I.5 - II - 8 8 9 10 Le P2P n’en est pas moins un phénomène d’une ampleur inégalée qui remet en cause non seulement les modèles économiques des industries culturelles mais aussi notre conception du droit d’auteur et des droits voisins 11 II.1 II.2 - 11 12 II.3 - III - Les concepts de droit d’auteur et de droit voisin et leurs justifications économiques Le droit international Le droit européen Le droit français La copie privée comme exception au droit d’auteur et le délit de contrefaçon L’ampleur du phénomène : quelques faits stylisés L’impact sur le droit de la propriété intellectuelle : une nouvelle culture de la gratuité L’impact du P2P sur l’économie diffère selon les acteurs 12 Dans ces conditions, comment rémunérer les artistes ? Avantages et inconvénients, techniques et économiques, des solutions envisageables 17 III.1 - 18 III.2 III.3 III.4 - Laisser se développer le P2P et considérer les biens culturels en ligne comme des biens publics Disparition du P2P illégal et développement d’une offre légale en ligne Réguler les réseaux de P2P et rétribuer les ayants-droit grâce à la publicité sur Internet Adopter une nouvelle exception our copie privée et taxer l’accès ou les flux sur Internet 18 23 24 Conclusion 25 Annexe 27 Résumé Ces dernières années, l’industrie du disque connaît une crise que de nombreux professionnels imputent au développement de l’usage des réseaux de « peer to peer » (P2P). De même, la filière du cinéma s’inquiète de la croissance très rapide des téléchargements de films numérisés. Ces réseaux permettent l’échange de fichiers sur Internet selon une procédure de poste à poste, qu'il s'agisse de musique, de films, de logiciels, de jeux, ou encore de fichiers non protégés par le droit de la propriété intellectuelle. A ce jour, le P2P compte environ 250 millions d’utilisateurs dans le monde, s’échangeant 150 milliards de fichiers, et utilisant plus de 50% de la bande passante. Pourtant, le droit français (droit d’auteur et droits voisins), mais aussi le « copyright » américain ou le droit européen, assimilent sans ambiguïté à un délit de contrefaçon le téléchargement gratuit de fichiers protégés via des systèmes de P2P. En l'absence d'intervention publique, l’usage des réseaux de P2P viendrait à perdurer et à se développer, entamant sans doute de manière sensible les revenus des créateurs et des industries culturelles. Il convient donc de réfléchir aux moyens de préserver la rémunération de la création artistique dans le contexte nouveau créé par la numérisation de certains biens culturels. L'analyse économique peut être utile à cet égard. Quatre types de solutions sont envisageables a priori : (i) laisser se développer le P2P et considérer les biens culturels en ligne comme des biens publics ; (ii) éradiquer ou faire reculer le P2P illégal au profit d’une offre légale en ligne ; (iii) réguler les réseaux de P2P et rétribuer les ayants-droit grâce à la publicité sur Internet ; (iv) adopter le téléchargement comme une nouvelle exception pour copie privée et taxer l’accès à Internet ou les flux remontants (« upload »). Les deux dernières solutions posent la question de la rémunération équitable des artistes. D'un strict point de vue économique, ce sont néanmoins ces solutions qui préservent à la fois les gains de bien-être social engendrés par le P2P et le système des droits d’auteur et droits voisins classiques. Mots-clé : droit d'auteur, peer to peer, industries culturelles, économie numérique. Classification JEL : L14 – L82 – L86 – O34 – I39 3 Abstract In recent years, the music industry has faced a crisis which many professionals attribute to the extensive use of peer to peer (P2P) networks. Similarly, the film industry is concerned about the increasing number of movie downloads. P2P networks allow file transfer from one Internet host to another. The files may be audio or video files, software, computer games, or non-copyrighted files. Today, some 250 million P2P users worldwide exchange over 150 billion files and use over 50% of the Internet bandwidth. Yet, French, American and European copyrights consider P2P illegal, and free copyrighted file downloads a counterfeiting crime. If the status quo endures, P2P applications will last and expand, and probably seriously affect profits of artists and of the media industry as a whole. Therefore, some solutions should be proposed in order to protect artistic creation in this new cultural goods digital environment. An economic analysis can be useful at this point. Four different kinds of solutions may be considered: (i) let P2P grow and treat online cultural goods as public goods; (ii) eradicate illegal P2P or place under tight control while pushing forward a legal alternative; (iii) regulate P2P networks and pay royalties to artists by taxing advertising revenues on the Internet; (iv) turn downloading into a new exception to copyright for private copy use and tax access to the Internet or impose a tax on file uploads. The two last solutions face the problem of designing a fair retribution system for artists. From a strict economic point of view, these solutions nevertheless allow the newly created social welfare gains of P2P to endure and do not impose a reform of standard copyrights. Hence, they probably should be favoured as long run and durable solutions even if they could challenge the actual balanced allocation of revenues within the media industry. Keywords : copyright, peer to peer, cultural industries, digital economics. JEL classification : L14 – L82 – L86 – O34 – I39 4 Introduction Les « industries exploitant les droits d’auteur »(1) et les droits voisins (« copyright industries ») au sens large – c’est-à-dire à la fois les activités de création, distribution et vente de produits et services protégés par le droit d’auteur et les droit voisins et les industries connexes des biens d’équipement (téléviseurs, lecteurs de DVD, ordinateurs) – produisent une valeur ajoutée de 450 milliards d’euros(2), soit 5,3% du PIB communautaire. Mais leur importance dépasse leur valeur ajoutée, dans la mesure où leur utilité sociale, évaluée par exemple par le temps passé par les consommateurs à écouter de la musique ou à visionner des films, excède la mesure par les échanges marchands. communautaire, 2% de l’emploi dans l’Union et un chiffre d’affaires de près de 800 milliards d’euros. L’industrie musicale, en particulier, correspond à 0,06% du PIB communautaire. L’industrie du disque connaît un fort ralentissement ces dernières années, en France comme ailleurs, notamment en terme d’unités vendues. Ventes mondiales(3) de disques en milliards d’unités 1999 3,8 2000 3,5 2001 3,3 2002 3,0 Si on n’en considère que le noyau (hors ventes de biens d’équipement), ces industries « culturelles » représentent 4% du PIB 2003 2,7 Source : IFPI Chiffre d'affaires des producteurs* depuis 1996 1400 1247 1300 1200 1100 1133 1166 1136 1125 1302 1112 1048 1000 900 800 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 Ces chiffres comprennent les ventes d’albums (environ 80% du CA), de singles et vidéomusicales. ______________________________ ______________________________ (1) Il n’est pas tenu compte ici des flux de rémunération pour droits d’auteur mais de la valeur ajoutée créée par le secteur. (2) Source : “The contribution of copyright and related rights to the European economy” , Commission Européenne, 20 octobre 2003. Les chiffres sont ceux de 2000 et sous-estiment probablement la situation actuelle. La France présente des caractéristiques très légèrement en dessous de la moyenne européenne. (3) Pour un chiffre d’affaires de 32 Mds USD en 2003. * La fonction de producteur regroupe les activités d’enregistrement (studio, musiciens, matériel), l’organisation des tournées, le tournage des clips vidéo, le marketing promotionnel, l’exploitation sur d’autres médias… La fonction d’éditeur (parfois intégrée à celle de producteur) se situe plus en amont, au niveau du façonnage de la maquette ; l’éditeur est également en charge de trouver la maison de disque qui fera sortir l’album. L’auteur écrit la chanson, le compositeur compose sa musique. Les interprètes regroupent chanteurs et musiciens. 5 (millions d’unités vendues) Source : SNEP (ventes en France) Les professionnels imputent cette baisse au développement des réseaux de « pair à pair » (« peer to peer », P2P) . Il s’agit de l’échange de fichiers(4) entre individus sur Internet selon une procédure de poste à poste qui se fait désormais via des systèmes non centralisés(5). Ces systèmes (Kazaa, Gnutella ou Freenet…) proposent à l’internaute de télécharger un logiciel permettant de se connecter à un réseau virtuel, qui fait partie d’Internet et qui le met en contact avec des centaines de milliers d’autres individus. Ces fichiers peuvent être de la musique, mais aussi des films, des logiciels, des jeux, ou encore des fichiers non protégés par le droit de la propriété intellectuelle. Une société comme Kazaa se contente donc de distribuer un logiciel gratuitement en se rémunérant sur la publicité, mais n’exerce aucun contrôle sur l’échange des fichiers et ne peut donc être tenue pour responsable du contournement de la propriété intellectuelle qui en découlerait. Ce sont les individus eux-mêmes qui pratiquent les copies (légales ou non) à un niveau totalement décentralisé et, en retour, mettent en partage leurs dossiers contenant des fichiers musicaux par exemple, au profit des autres utilisateurs du P2P. ______________________________ (4) Les fichiers audio sont pour la plupart comprimés au format MP3 et préservent une qualité proche du CD. (5) Contrairement au système original de Napster, lancé en 1999 mais condamné par la justice américaine suite à une plaine pour piratage de la RIAA (Recording Industry Association of America). 6 En permettant le téléchargement de fichiers musicaux gratuits, pourtant a priori protégés par le droit d’auteur, le « piratage » en ligne au moyen des systèmes de P2P pose la question de la rémunération des artistes dans un monde numérique et globalisé. Ces fichiers culturels numériques ont la particularité d’être des copies parfaites des contenus originaux (contrairement aux anciennes copies analogiques qui dégradaient l’information artistique) et d’être disponibles gratuitement sur Internet. Le contenu artistique devient ainsi un bien non rival et, techniquement, difficilement excluable. De plus, ils possèdent les trois caractéristiques majeures suivantes(6), qui ont des conséquences sur l’exercice du droit de la propriété intellectuelle. • • Ils engendrent une externalité positive de club dans la mesure où les utilisateurs du P2P tirent une utilité à partager ces biens sur le réseau et dans leurs conversations. Cela conduit à un niveau socialement optimal de protection des droits d’auteur peu élevé. Ce sont des biens d’apprentissage : une copie numérique permet d’apprendre à connaître le bien, afin de l’acheter, le télécharger ou le graver plus tard. Ainsi, la copie numérique permet à la fois aux détenteurs de droit de réduire leurs coûts de communication, de publicité et de ______________________________ (6) M.Peitz et P.Waelbroeck : Piracy of digital products : a critical review of the economics literature. CESifo working paper n°1071, novembre 2003. distribution auprès des consommateurs (grâce à Internet) mais réduit par ailleurs leurs profits tirés de l’exercice de leurs droits d’auteur de par l’impossibilité (actuelle, du moins) de contrôler les flux numériques. • Ces fichiers numériques demeurent imparfaitement substituables aux biens originaux puisqu’ils sont virtuels, dépourvus de livret et de coffret, ce qui devrait permettre de concevoir un modèle économique où téléchargement en ligne et marché à supports matériels coexisteraient. Ce document de travail fait en premier lieu le point sur l’état du droit concernant le droit d’auteur et les droits voisins ainsi que le téléchargement en ligne et le piratage (I). Il propose ensuite une analyse du piratage et de ses conséquences, à la fois économiques et juridiques sur les industries culturelles (II). Enfin, il étudie les différentes réponses à la question du contournement du droit de la propriété intellectuelle que pose le P2P aujourd’hui (III). I - Le contexte juridique actuel est clair : le téléchargement, depuis des réseaux de « peer to peer », de contenus protégés par le droit d’auteur constitue un délit de contrefaçon Les nombreux procès menés actuellement contre les utilisateurs de P2P ainsi que le grand nombre de textes de lois nouvellement adoptés montrent que le P2P interroge aujourd’hui le droit d’auteur avec insistance. I.1 - Les concepts de droit d’auteur et de droit voisin et leurs justifications économiques La notion de droit d’auteur est véritablement née au XVIIIème siècle avec la Révolution française et l'indépendance américaine, sur la base de deux principes fondamentaux. D'une part, un droit de propriété intellectuelle monnayable a été accordé pour la première fois par la Constitution américaine de 1787. D'autre part, la France et l'Allemagne ont développé l'idée de la personnalité unique de l'auteur. Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit, créations littéraires et artistiques. Pour qu’une œuvre soit protégée, il suffit qu’elle soit une création originale, c’est-à-dire qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur. La liste des types d’œuvres protégées est donc ouverte et s’étend avec le progrès technique. Le droit d’auteur couvre en réalité deux concepts : l’exercice du droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction, représentation, adaptation, traduction (droits patrimoniaux), concrétisé par l’autorisation d’utiliser une œuvre, et la contrepartie morale et financière. S’ajoutent à cela les droits moraux, variables d’un pays à l’autre : pour le droit d’inspiration européenne il s’agit du droit de revendiquer la paternité, de s’opposer à toute modification qui puisse être préjudiciable à la réputation ou à l’honneur de l’auteur, du droit de retrait (mettre un terme à la diffusion commerciale). Dans le cadre du « copyright » américain, les droits moraux sont réduits au minimum, les biens de l’esprit s’apparentant davantage à des biens ordinaires. Les droits « voisins » correspondent pour leur part aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle(7). La première raison d’être du droit d’auteur est la protection contre le piratage, c’est-à-dire la reproduction à l’identique, sans contrepartie, d’une œuvre par un tiers. Le droit d’auteur est donc fondé sur la notion d’information privée par opposition à celle de bien public. Par construction, le droit d’auteur a donc cet effet négatif qu’il octroie des rentes de monopole aux auteurs des œuvres protégées, qu’il freine la diffusion d’œuvres existantes et les nouvelles créations dans la mesure où la création artistique implique souvent une innovation cumulative. L’aspect incitatif est en réalité plus important pour le producteur que pour l’auteur, qui peut être motivé par d’autres considérations (besoin de création, propagation de ses idées et de ses œuvres, désir de reconnaissance…), ou plus facilement financé par d’autres moyens (exploitation financière de sa notoriété dans les médias ou par la publicité, mécénat public ou privé, droit social, subvention, fiscalité…). ______________________________ (7) Par la suite, on assimilera les droits voisins aux droits d’auteur. 7 Bien que les lois et conventions sur le droit d’auteur soient nées au gré de l’Histoire et résultent notamment des jeux d’influence, le droit actuel cherche ainsi à résoudre le problème classique d’optimisation sociale intertemporelle entre une diffusion au coût marginal faible (approche statique) et l’incitation à l’innovation artistique (approche dynamique). Le droit d’auteur répond donc à la problématique d’arbitrage entre création et diffusion. L’objectif du droit d’auteur consiste bien à protéger le créateur et le producteur originels des copies réalisées par des passagers clandestins (« free riders ») qui distribuent l’œuvre une fois que celle-ci a rencontré le succès par exemple (d’où le terme de « copyright » anglosaxon). En l’absence d’une telle protection, l’œuvre risque de ne pas être produite, dans la mesure où le créateur et/ou le producteur ne pourra amortir ses coûts fixes. Le problème est particulièrement aigu dans l’industrie cinématographique, où les coûts de création sont très élevés, beaucoup plus que les coûts de copie. Les droits patrimoniaux correspondent donc à la volonté d’assurer un retour sur investissement à ceux qui prennent les risques de la création et de la production. Le droit d’auteur permet ainsi de se rapprocher du "niveau socialement optimal" de la création artistique alors que les comportements de « free riding » conduiraient à une sous-production – pour autant que le droit ne freine pas non plus exagérément la diffusion de ces biens, ce qui est normalement aussi un souci des producteurs et auteurs eux-mêmes. I.2 - Le droit international En 1886, les auteurs se sont vus accorder la protection internationale de leur travail grâce à la signature de la Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques. A ce jour, 155 pays adhèrent à ce traité. Selon la convention de Berne, le droit d’auteur s’applique à l’expression des œuvres sur tous les modes et sous toutes les formes. Il confère ainsi à l’auteur un droit exclusif sur la reproduction, la représentation, l’adaptation et la traduction de son œuvre (droits patrimoniaux). S’ajoutent à cela les droits moraux, variables d’un pays à l’autre. La convention de Berne garantit aux auteurs le droit de revendiquer la paternité de leurs travaux et celui de s’opposer à toute modification de leur travail qui puisse être préjudiciable à leur réputation ou à leur honneur. La durée de protection couvrait à l’époque les 50 années suivant la mort de l’auteur. Désormais, elle 8 s’étend à 70 ans en Europe et aux Etats-Unis(8). Il est à noter qu’en France la durée de protection ne concerne que les droits patrimoniaux tandis que les droits moraux sont illimités dans le temps, sous la responsabilité des héritiers(9). Pour ce qui concerne les droits voisins, la Convention de Rome, signée en 1961, protège « les artistes interprètes ou exécutants, les producteurs de phonogramme et les organismes de radiodiffusion ». Les deux traités signés en décembre 1996 dans le cadre de l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) concernent le droit d’auteur d’une part, les interprétations et exécutions et les phonogrammes d’autre part. Ils reprennent les Conventions de Berne et de Rome et considèrent les problèmes liés à l’économie numérique. Ces traités ont notamment accordé la protection juridique aux mesures techniques auxquelles ont recours les titulaires de droits pour protéger techniquement les versions numériques de leurs œuvres (article 11 du traité sur le droit d’auteur et article 18 du traité sur les droits voisins). Il s’agit de dispositifs anti-copie pour la protection des moyens d’enregistrement numérique (quantité et qualité des copies privées). I.3 - Le droit européen Le droit communautaire encadre les questions de droit d’auteur depuis 1991. La directive 2001/29/CE, du 22 mai 2001, non encore transposée en France, concerne le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information. Elle correspond à un durcissement des droits de la propriété intellectuelle, de même qu’aux EtatsUnis avec le Digital Millenium Act de 1998. Elle transpose en fait dans le droit communautaire les accords de l’OMPI de décembre 1996 et harmonise ______________________________ (8) Aux Etats-Unis, le copyright met davantage l’accent sur la libre circulation des idées en réduisant le droit moral à son minimum. Toutefois, fixé initialement à 14 ans, le terme du copyright a été étendu progressivement jusqu’à atteindre 70 ans (comme en Europe), sous l’influence des groupes de pression (cf. la dernière réforme du 27 octobre 1999 avec le Sony Bono Copyright Extension Act). (9) En France, le 31 mars 2004, la Cour d'Appel de Paris a condamné les éditions Plon pour atteinte au droit moral de Victor Hugo. En effet, cette maison d'édition avait publié une suite des Misérables, de François Cérésa, intitulée Cosette. Les personnages de Javert et de Cosette étaient repris pour vivre de nouvelles aventures... "Aucune suite ne saurait être donnée à une œuvre telle que Les Misérables à jamais achevée", dit la Cour dans son arrêt. En Allemagne, tous les droits s’éteignent en même temps. les droits de reproduction, de distribution, de communication au public, les systèmes de gestion des droits, ainsi que la protection juridique des dispositifs anti-copie. Elle légalise les mesures techniques de protection des œuvres en affirmant les droits des titulaires à mettre en place des dispositifs anti-copie. Leur contournement devient passible de sanctions pénales. De plus, la directive prévoit « la compensation équitable » pour copie privée ; le mode de compensation lui-même reste au choix des Etats membres. Il peut prendre la forme, par exemple, d’une taxe sur les supports vierges, sur les services commerciaux de copies ou sur les appareils d’enregistrement. La directive européenne 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle harmonise les législations nationales sur les moyens de faire respecter les droits de propriété intellectuelle et définit un cadre permettant les échanges d’informations entre les autorités nationales compétentes. La transposition de cette directive en droit français ne devrait pas entraîner de grands bouleversements, le droit français étant déjà bien doté en matière de lutte contre la contrefaçon. I.4 - Le droit français La principale loi française concernant le droit d’auteur (droit de la propriété littéraire et artistique) date du 11 mars 1957. Elle a été complétée par la loi du 3 juillet 1985 relative aux droits d’auteur et aux droits des artistes interprètes, des producteurs de phonogrammes et de vidéogrammes et des entreprises de communication audiovisuelle (ce sont les « droits voisins » du droit d’auteur). La première loi de 1957 protège l’auteur d’une œuvre lorsque celle-ci est originale dans sa forme d’expression. Elle protège donc l’expression originale d’une idée et non l’idée originale elle-même (comme le fait le brevet). La durée de la protection a été harmonisée par la directive européenne du 29 octobre 1993 et portée à 70 ans après la mort pour les auteurs et 50 ans pour les interprètes. Une fois ces délais passés, l’œuvre tombe dans le domaine public. La loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004 transpose la directive européenne 2000/31/CE de juin 2000 sur le commerce électronique. Elle modernise les règles du commerce électronique, durcit les sanctions contre la cybercriminalité, renforce la protection des cyberclients et précise la responsabilité des hébergeurs et des fournisseurs d’accès à Internet (FAI). La loi exclut la responsabilité civile et pénale des hébergeurs dans deux hypothèses (absence de connaissance des contenus contestés et retrait de ceux-ci). D’après le Conseil Constitutionnel, saisi à ce sujet, ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d'engager la responsabilité de l'hébergeur « au seul motif qu'il n'aurait pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers ». Pour que cette responsabilité soit engagée, il faudra de plus que le caractère illicite de l'information dénoncée soit manifeste ou qu'un juge en ait ordonné le retrait. Enfin, un projet de loi sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information transposant la directive européenne 2001/29/CE a été présenté le 13 novembre 2003 en Conseil des Ministres et devrait être prochainement examiné par le Parlement. Il vise à protéger les auteurs et créateurs contre les risques accrus de la contrefaçon. Il consiste essentiellement en : • l’affirmation du délit de contrefaçon consistant à contourner les « mesures techniques » ou à mettre à disposition des moyens permettant de les contourner, même si le but commercial est limité ; • l’introduction des sanctions en cas de contournement des « mesures techniques efficaces » de protection ; • l’adoption des exceptions au droit d’auteur pour copies techniques effectuées lors des transmissions de contenus sur les réseaux numériques et conservées dans la mémoire « cache »(10). Le droit français protège déjà d’un point de vue juridique les mesures de protections techniques (cf. conventions internationales) mais on a assisté à quelques décisions récentes limitant le champ des mesures auxquelles peuvent avoir recours les titulaires des droits. En effet, le Tribunal de grande instance de Nanterre a condamné le 2 septembre 2003 une maison de disque (EMI) à rembourser à une consommatrice le prix d’un CD au motif qu’il était affecté d’un vice caché, ledit support contenant des protections anti-copie entraînant des restrictions d’utilisation (impossibilité de lire ce CD sur certains autoradios ______________________________ (10) Il s’agit des fichiers de l'ordinateur de l'utilisateur dans lesquels le navigateur Web emmagasine les pages, les sons, les adresses URL, etc., afin de faciliter l’accès et le retour à l’information. 9 ou lecteurs). Dans un jugement du 24 juin 2003, le même tribunal avait considéré, pour des faits identiques, que les agissements de la même maison de disque constituaient une tromperie (au sens de l’article L. 213-1 du Code de la consommation), la condamnant à faire figurer au verso de l’emballage du CD la formule suivante en caractère 2,5mm « Attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou autoradio ». I.5 - La copie privée comme exception au droit d’auteur et le délit de contrefaçon Deux exceptions au droit d’auteur(11) permettent l’utilisation de copies privées : le Code la Propriété Intellectuelle(12) (CPI) admet la légalité des « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste » et « les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans un cercle de famille ». Cette exception pour copie privée, qui empêche les ayants droit de s’opposer à certaines exploitations de leurs œuvres, fait l’objet d’une rémunération forfaitaire obligatoire compensatoire, une « licence légale ». Dans le cas de la musique, elle couvre les exceptions pour copie privée et les diffusions de disques par les radios, télévisions, discothèques et lieux publics sonorisés. La licence légale a été instituée par la loi du 3 juillet 1985 et consiste en une taxation sur les supports vierges prélevée au profit de tous les ayants droit (phonogrammes et vidéogrammes). Cette redevance représente aujourd’hui environ 150 millions d’euros qui sont répartis sur la base de ______________________________ (11) En sus, comme dans le copyright anglo-saxon (« fair use »), il existe en droit français d’autres exceptions : la parodie, le pastiche et la caricature (compte tenu des lois du genre) ; les actes nécessaires à l'accès au contenu d'une base de données électronique pour les besoins et dans les limites de l'utilisation prévue par contrat ; et, sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source : a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ; b) Les revues de presse ; c) La diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de télédiffusion, à titre d'information d'actualité, des discours destinés au public prononcés dans les assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies officielles ; d) Les reproductions, intégrales ou partielles d’œuvres d'art graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue d'une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires mis à la disposition du public avant la vente dans le seul but de décrire les oeuvres d'art mises en vente. (Un décret en Conseil d'Etat fixe les caractéristiques des documents et les conditions de leur distribution.) (12) articles L-122-5, L-211-3 et L-311-1 10 relevés de diffusion pour un panel de radios et télévisions, et selon les déclarations de ventes et le listing des phonogrammes les plus récemment publiés. Les sommes perçues au titre de la copie privée sonore sont en forte hausse ces dernières années. En dehors de la copie privée, l’article L-335-3 du CPI stipule que constitue « un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur, tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ». Les contrevenants encourent jusqu’à trois ans de prison et 300 000 euros d’amende (voire jusqu’à 5 ans et 500 000 euros dans le cadre d’une bande organisée). Depuis l’arrêt du TGI de Paris(13) de 1996, il est acquis que la diffusion sans autorisation d’une œuvre protégée au sein d’un site web est une contrefaçon. S’agissant des serveurs de P2P, seul Napster a été condamné pour piratage dans la mesure où il s’agissait d’un véritable serveur centralisé diffusant des fichiers protégés sans l’autorisation des ayants-droit. En revanche, à ce jour, Kazaa n’a jamais été reconnu coupable du délit de contrefaçon malgré les nombreux procès intentés par les sociétés de production. Le logiciel n’est en effet pas exclusivement utilisé, par définition, pour échanger des fichiers illégaux: il est conçu pour les échanges de fichiers de quelque type que ce soit. De plus Kazaa n’a pas les moyens techniques de contrôler ces échanges dans la mesure où le système est par essence, non centralisé. S’agissant des internautes, la doctrine est devenue jurisprudence depuis la décision du Tribunal correctionnel de Vannes du 29 avril 2004, condamnant six personnes à des peines de prison avec sursis et à des amendes pour avoir échangé entre eux des films téléchargés gratuitement sur Internet. D’une part, le téléchargement et l’échange de fichiers sur lesquels l’internaute ne dispose pas d’une autorisation des auteurs et titulaires des droits voisins sont une contrefaçon. D’autre part, il est possible d’identifier le contrefacteur (pirate Internet). La notion de cercle de famille prévalant pour l’exception au titre de la copie privée ne saurait donc s’étendre à la communauté des « pairs ». ______________________________ (13) Ordonnance de référé n° 60.138/96 et 60.139/96 du 14 août 1996. Enfin, pour ce qui est de la preuve du délit de contrefaçon, la révision, le 15 juillet 2004, de la loi de 1978 sur l’informatique et les libertés, autorise désormais les personnes morales agissant pour la défense des droits d’auteurs ou voisins, sous réserve d’un contrôle au cas par cas par la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), à procéder à des traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnation et mesures de sûreté conservant la trace des atteintes à ces droits. Les ayants droits ou leurs représentants pourront donc solliciter les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), dans un cadre judiciaire, pour obtenir l’identification d’un utilisateur de P2P qu’ils auraient repéré sur un réseau ainsi que le relevé des fichiers qu’il aura échangés(14). II - Le P2P n’en est pas moins un phénomène d’une ampleur inégalée qui remet en cause non seulement les modèles économiques des industries culturelles mais aussi notre conception du droit d’auteur et des droits voisins II.1 - L’ampleur du phénomène : quelques faits stylisés On estime à 250 millions(15) le nombre d’utilisateurs du P2P dans le monde. Aux EtatsUnis, ils seraient 80 millions d’utilisateurs occasionnels et 30 millions de réguliers(16). En France, on compterait 8 millions d’occasionnels(17) et 750 000 réguliers(18). Selon l’IFPI (International Federation of Phonographic Industry), entre 1999 et 2003, le nombre de fichiers musicaux téléchargés illégalement a progressé dans le monde de 2 à 150 milliards (tandis que, dans le même temps, les ventes de disques ont chuté de 38,7 à 20 milliards de dollars). Bien qu’Internet offre une grande diversité de biens culturels numériques, on observe que les téléchargements restent très concentrés sur ______________________________ (14) C’est la démarche qu’ont utilisée récemment les maisons de disque après avoir repéré, « à la main » sur les sites de P2P, les internautes téléchargeant illégalement une grande quantité de fichiers protégés. Cf. III-B-1. (15) cf. Adami (16) cf. Nielsen (17) cf. Credoc (18) cf. P2PTrack un nombre relativement réduit de fichiers. Toutefois, ils menacent plus les profits des producteurs que la diversité culturelle des investissements de ces derniers(19). Fin 2003, FastTrack/KaZaA (le plus grand réseau de P2P) rassemblait 3,5 millions d’utilisateurs simultanés pour 500 millions de fichiers (soit 5 Petabytes disponibles à tout moment). Le deuxième réseau de P2P est WinMX et comptait à cette époque 1,5 millions d’utilisateurs simultanés. Plusieurs enquêtes ou sondages tentent de mieux comprendre les comportements et les nouveaux usages des internautes, en particulier en terme de piratage ou de téléchargement. Télécharger correspond aujourd’hui au 3ème usage d’Internet, haut et bas débit confondus, (ou 5ème selon une étude de Club Internet(20)), après la messagerie électronique et la navigation sur les sites web(21). Le P2P est beaucoup plus fréquent chez les utilisateurs bénéficiant d’une connexion haut débit. Les utilisateurs ont aujourd’hui tendance à moins déclarer qu’auparavant (dans ces sondages) leur utilisation du P2P, la peur du gendarme faisant peut-être désormais effet (cf. la multiplication des actions en justice). On estime que les activités de P2P consomment plus de 50% de la bande passante, et même plus de 80% du trafic haut débit la nuit(22), tandis qu’elles représentent 10% des utilisateurs. En terme d’encombrement du réseau, le P2P correspond donc, d’une certaine manière, au premier usage. Pour ce qui concerne plus particulièrement le téléchargement de films sur Internet en France, on peut citer les deux enquêtes du CNC de mai 2004. D’une part, l’enquête de Médiamétrie réalisée auprès de plus de 3000 internautes français permet d’avoir une idée plus précise de la population des pirates de films et de leurs comportements. Seuls 4% des internautes ont déjà payé pour télécharger un film ; en revanche 19% (15% seulement selon les FAI) des internautes à domicile ont déjà téléchargé gratuitement des films. Il s’échange environ 1 million de films par jour en France (seulement 400 000 à 600 000 dans le monde d’après la MPAA, Motion Picture Association of America). Les films téléchargés sont d’une grande diversité avec cependant une nette préférence pour ______________________________ (19) Pierre-Noël Giraud: “Un spectre hante le capitalisme: la gratuité”, CERNA, 6 mai 2004. (20) réalisée en juillet 2004 auprès de 1000 abonnés haut débit (21) Enquête pour Wanadoo, premier trimestre 2004 (22) Jérôme Roger, DG de la SPPF 11 les films récents. Le téléchargement a majoritairement lieu entre la sortie en salle et la sortie en DVD, ce qui confirme la thèse du vol des copies en provenance des studios ou des « screeners » (l’écran est filmé au moyen d’une caméra digitale)(23). Le dernier mode de piratage, plus en aval et assez aisé aujourd’hui, consiste dans le « rippage » du DVD (contournement du système technique anti-copie). D’autre part, le CNC a commandé une étude portant sur un petit groupe de téléchargeurs dans le but de mieux comprendre leurs motivations. Il en ressort que : • Le téléchargement de films est une pratique moins répandue et plus récente que celui de musique ; il requiert plus de connaissances techniques et plus de temps. • La différenciation entre DVD et DivX (fichier vidéo compressé) reste assez marquée : la qualité d’image du DivX est nettement moins bonne que le master original (alors que la qualité des MP3 est très proche de celle du CD), le visionnage du film piraté s’effectue encore souvent sur l’écran d’ordinateur, le choix des langues n’est pas toujours possible, les bonus sont inexistants. • La consommation de DivX se distingue de celle des films en DVD ou VHS par son usage unique, immédiat, en avance sur les sorties vidéo. II.2 - L’impact sur le droit de la propriété intellectuelle : une nouvelle culture de la gratuité Le téléchargement de fichiers culturels sur les réseaux de P2P présente l’avantage d’offrir un choix quasiment exhaustif à l’internaute en terme de création artistique, sans qu’il lui soit nécessaire de se déplacer, et pour un prix proche de zéro. Par ailleurs, si le téléchargement de films s’apparente beaucoup au visionnage sur VHS (avec, souvent, une qualité d’image, voire de son, moins bonne), le téléchargement de musique correspond, en comparaison, à une innovation supplémentaire puisque les internautes peuvent télécharger tous les titres à l’unité, sans pour autant avoir à acheter les albums entiers (le CD apparaît comme de la vente liée depuis la quasi-disparition des singles(24)), et se construire une audiothèque bien plus personnalisée. On est donc confronté à deux marchés, l’un en ligne, l’autre en magasins, vendant presque le même bien (à quelques nuances près), à des prix radicalement différents : l’un est nul et l’autre de l’ordre de 20 euros. D’un point de vue économique, cette dichotomie pose un problème. D’un point de vue juridique, le P2P pose la question du droit d’auteur. Internet, et avec lui le P2P, ont en effet fait naître une nouvelle culture, celle du partage et de la gratuité. Le P2P présuppose donc l’idée de la création artistique comme bien public pur. Ceci découle directement du fait que les fichiers culturels numériques sont par essence non rivaux (copie parfaite) et difficilement excluables (contrôle des flux d’Internet impossible à ce jour ou trop coûteux). Il faut rappeler que c’est la mise en commun d’un savoir collectif, voire universel, qui a fait la force d’Internet et qu’aujourd’hui, il existe un grand nombre de contenus libres ou du domaine public qui circulent sur les réseaux P2P. Il semblerait en effet que les ¾ des flux de données correspondent à un bien informationnel commun (recherche, éducation, santé, débat démocratique…) non protégé par le droit de la propriété intellectuelle. Dans le secteur des industries culturelles, ceci va pourtant totalement à l’encontre de notre conception du droit d’auteur qui prévoit un droit patrimonial et un droit moral inaliénables des auteurs sur leurs œuvres. Le premier est bafoué au moment de la mise sur le réseau de son œuvre en l’absence de tout accord (au delà même du problème de la rémunération). Le deuxième l’est dans la mesure où les fichiers sont manipulables par tout internaute et diffusable sous une forme transformée. De plus le droit de retrait ne peut plus s’exercer dans la mesure où il y a autant de sources de diffusion que d’ordinateurs connectés. L’œuvre échappe à son auteur et tombe dans le domaine public de la toile sans contrepartie aucune ni contrôle. II.3 - L’impact du P2P sur l’économie diffère selon les acteurs Au delà de ces implications en termes juridiques, le P2P semble avoir un véritable impact sur les industries culturelles qu’il convient d’évaluer selon les acteurs concernés (auteurs, producteurs, interprètes). ______________________________ ______________________________ (23) Selon la Motion Picture Association of America, 90% des films piratés le sont au moment de la projection en salle. 12 (24) Tous les titres ne sont pas édités en single. Les singles, proposés à un prix proportionnellement élevé, sont retirés de la vente peu de temps après la sortie de l’album. A. La théorie économique et les études empiriques testent le lien entre piratage et ventes Selon la théorie économique, l’effet global du piratage sur les ventes de contenu légal est ambigu. D’une part, deux mécanismes pèsent à la baisse sur les ventes d’album : le téléchargement peut être vu comme un substitut à l’achat d’originaux ou même de copies légales, et son coût marginal minime réduit le consentement à payer des utilisateurs. D’autre part, d’autres mécanismes tendent à stimuler les ventes : le piratage peut être considéré comme un moyen de diffusion et d’exposition des œuvres culturelles (il aide à leur découverte par le consommateur qui peut ensuite prendre la décision d’acheter) ; il stimule la consommation de biens culturels ; les externalités de réseau qu’il génère conduisent à augmenter l’utilité du partage de tels biens ; la concurrence qu’il exerce sur le marché de la musique conduit à moyen terme à une baisse du prix qui permet à des consommateurs dont le consentement à payer était trop faible de l’acheter et donc à une augmentation de la demande. D’un point de vue qualitatif, on peut toutefois s’attendre à ce que l’effet négatif du téléchargement qui passe par l’effet de substitution l’emporte sur l’effet positif d’apprentissage. La substitution n’est pour autant pas parfaite puisque les utilisateurs du P2P continuent à acheter des albums. Une étude récente(25) cherche à tester l’existence d’un effet global du piratage sur les ventes d’albums. Les auteurs étudient les ventes d’album hebdomadaires et le P2P sur le territoire américain entre septembre et décembre 2002. Ils ont observé sur 17 semaines d’une part le réseau OpenNap qui regroupe 25 000 utilisateurs (qui sont pour la plupart également connectés à KaZaA) pour 10 millions de fichiers (essentiellement musicaux), d’autre part les ventes (environ 100 millions d’albums) de 680 albums (nouveautés, catalogue, tous styles musicaux confondus, soit un tiers des albums achetés) dans des points de vente aux Etats-Unis (magasins traditionnels et boutiques en ligne). Ils observent que les téléchargements sont très concentrés sur un nombre réduit d’artistes et dénombrent 70 téléchargements par album en moyenne pour une médiane de 6 seulement. Les téléchargements sont plus concentrés sur quelques ______________________________ (25) Il s’agit de l’article de Oberholzer et Strumpf de mars 2004 pour la Harvard Business School & l’UNC Chapel Hill intitulé « The effect of file sharing on record sales : an empirical analysis ». titres que les ventes d’album. Et, comme pour les ventes, il existe une prime à la nouveauté : les albums sortis le plus récemment sont les plus achetés et les plus téléchargés. Leurs conclusions économétriques sont que le P2P a un effet limité sur les ventes de disques. En fait, en moyenne, le P2P n’a pas d’effet (statistiquement) significatif sur les ventes d’album. On peut à la limite identifier(26) un effet positif du P2P sur les ventes d’album à succès et un effet négatif pour les albums moins populaires. Dans le cadre d’une interprétation large et pessimiste des résultats, il faudrait 5000 téléchargements pour réduire d’une unité les ventes d’un album d’un artiste peu reconnu. On pourrait alors extrapoler ce résultat à des pertes de l’ordre de quelques millions sur une année alors que les ventes ont chuté de 140 millions entre 2000 et 2002 aux Etats-Unis(27). D'autres études, plus nombreuses, tendent à prouver, au contraire qu’il existe bel et bien un effet négatif du P2P sur les ventes. Hui et Png (2003)(28) mettent en évidence un lien négatif entre le piratage traditionnel, « off-line », (i.e. copies physiques illégales et non piratage en ligne) et les ventes de CD (leur étude porte sur la période 19941998 pour 28 pays). Les pertes en terme de ventes de disques seraient de 0,1 unité par tête, soit 42% de moins que les chiffres avancés par l’IFPI. De même, les estimations de Peitz et Waelbroeck(29) portent sur les téléchargements de musique dans 16 pays sur 2000-2001 ; ils trouvent que les téléchargements ont un effet significativement négatif sur les ventes d’albums. Ainsi, 11% de la chute des ventes mondiales s’expliqueraient par les téléchargements. Les auteurs évoquent pour finir une autre cause de la baisse des ventes d’albums de musique de ces dernières années (sans pour autant la tester d’un point de vue économétrique) tenant à Internet : ils voient dans celui-ci un nouveau loisir (messagerie, radio en ligne, jeux, recherche d’informations, etc.) qui se substitue aux anciennes formes (cinéma, musique…), en terme de temps passé et de budget consacré aux biens culturels et loisirs. Il n’en reste pas moins que ce sont surtout les ventes d’albums qui pâtissent de cet effet de ______________________________ (26) En évaluant séparément l’effet du caractère « populaire » ou non d’un album sur le nombre de téléchargements. (27) Le marché américain correspond à 803 millions d’albums vendus en 2002. (28) Piracy and the legitimate demand for recorded music, Contributions to Economic Analysis & Policy, Vol 2, N°1 (29) “The effect of internet piracy on CD sales, cross section evidence”. CESifo Working Paper n°1122, janvier 2004. Leurs sources proviennent de Ipsos Reid. 13 substitution et non la fréquentation des salles de cinéma, des concerts ou le temps passé à regarder la télévision… Liebowitz (2003)(30) teste l’impact du piratage en ligne sur les ventes de disques à travers l’étude de la série longue des ventes américaines de 1972 à 2002. Son travail consiste à étudier les ventes américaines(31) d’albums sur une longue période et à approfondir l’étude sur les dernières années afin de voir si les déterminants des évolutions passées peuvent aussi expliquer les récentes baisses, dans l’hypothèse où les mécanismes à l’œuvre hier sont encore valables aujourd’hui. Il prouve que seul un autre phénomène, nouveau, peut expliquer ces dernières, phénomène qu’il identifie au développement du P2P. Les déterminants des ventes annuelles d’albums identifiés par Liebowitz sont : • • Le prix : le niveau des prix en terme réel est resté largement invariant sur la période, malgré la récente hausse, ce qui ne permet pas de tester l’élasticité de la demande au prix. Le revenu (la consommation de musique est considérée comme un bien normal) : la légère inflexion des dernières années ne peut en aucun cas expliquer la chute observée des ventes d’albums. • Les changements de format d’enregistrement (vinyles, cassettes, CD…) et l’apparition d’appareils permettant d’enregistrer sur des supports vierges. Il est remarquable que l’apparition des magnétophones enregistreurs n’a pas coïncidé avec une baisse mais avec une hausse des ventes d’albums. Il semble donc qu’à ce moment-là, la possibilité de copier a permis d’atteindre de nouveaux consommateurs et donc d’augmenter les ventes. • La portabilité de la musique (i.e. développement des usages itinérants avec baladeurs) : cela a permis d’augmenter nombre d’heures passées à écouter de le les le la ______________________________ (30) “Will MP3 downloads annihilate the record industry ? The evidence so far”. In Advances in the study of entrepreneurship, innovation, and economic growth (JAI press). (31) Il est à noter que les données en volume diffèrent substantiellement des données en valeur car les prix ont plutôt eu tendance à augmenter ces dernières années. Une analyse en terme de volume apparaîtra donc comme plus alarmiste ; c’est souvent celle choisie par les industriels. 14 musique et donc de stimuler la demande, d’autant plus que les autoradios n’acceptaient que les cassettes alors que les foyers s’équipaient en CD. La récente inflexion à la baisse (légère) du taux de pénétration des équipements portables ne peut expliquer la chute des ventes. • La qualité de l’innovation musicale (difficile à observer et à mesurer) ; elle est approchée par les recettes des concerts. Ces dernières ont augmentées en 2000 et 2001 ce qui ne va pas dans le sens d’une baisse des ventes. • Les prix des substituts ou des compléments à la consommation de musique (télévision, cinéma, radio…) : Liebowitz observe une corrélation positive entre les revenus de ces industries sur la période 1972-1999, ce qui ne lui permet pas de conclure à une substituabilité entre DVD et CD. Selon Liebowitz, un certain nombre d’évolutions récentes vont plutôt dans le sens d’une baisse des ventes mais ne peuvent suffire à expliquer leur forte chute. L’ampleur du phénomène de P2P (initié en 1999) pourrait ainsi permettre d’expliquer en partie cette chute des ventes. Liebowitz écarte cependant deux phénomènes importants. D’une part, le DVD s’est surtout développé très récemment et entame nécessairement le budget des ménages, de manière significative à présent. D’autre part, les formats d’enregistrement ont évolué à un rythme soutenu sur les trente années de son étude alors que depuis quelques années, le CD ne semble pas trouver de successeur (le DVD musical, bien qu’en forte progression, occupe une place encore marginale sur le marché et ne constitue pas un véritable substitut au CD), ce qui explique aussi probablement le manque de dynamisme de la filière musicale. Le MP3, qui constitue un substitut plus proche que le DVD, prend en quelque sorte la suite du CD, mais sur les réseaux P2P qui échappent à l’industrie musicale. Il semble, pour Liebowitz, que le taux de substituabilité entre MP3 et CD soit de 5 ou 6 pour 1. D’après lui, l’impact dû aux MP3 pourra s’accentuer avec le développement de l’Internet à haut débit et du taux de pénétration des graveurs de CD (nécessaires pour le confort et les usages itinérants). A l’opposé, les forces de rappel semblent plus minces : pression sociale qui pourrait jouer un rôle si l’opinion publique juge le P2P comme un acte illégal répréhensible, campagnes de communication et poursuites judiciaires des industriels. Citons pour finir la toute récente étude de Zentner(32) qui estime l’effet causé par le partage de fichiers en ligne sur les ventes de musique. Il utilise 15 000 données individuelles, tirées d’un sondage d’octobre 2001 pour 6 pays européens. Il résulte de cette étude économétrique que le P2P pourrait réduire la probabilité d’acheter de la musique de 30% : un consommateur d’albums qui devient utilisateur de P2P achètera 30% de moins d’albums qu’avant. Au niveau global, compte tenu de la diffusion de l’usage du P2P, il en résulterait une réduction des ventes d’albums de 7,8%. En outre, l’auteur souligne le fait que la musique téléchargée peut ensuite être partagée avec des consommateurs n’utilisant pas le P2P, ce qui signifie que ce chiffre est potentiellement sousestimé ; à cela s’ajoute le fait qu’il s’agit d’un sondage déclaratif, d’où une source de biais supplémentaire dans la mesure où le P2P est illégal. La distinction entre utilisateurs de P2P équipés d’un haut débit ou d’un bas débit conduit à révéler un effet encore plus important pour le premier groupe. B. On observe en effet d’importantes baisses, qui touchent davantage les producteurs que les auteurs (et moins encore les interprètes) Les ventes de disques en France ont chuté de 14,6% en 2003(33). Dans le même temps, 4 titres sur 5 téléchargés sur Internet l’étaient illégalement. Les industriels de la musique, et maintenant ceux du cinéma, jugent le piratage sur Internet responsable des baisses de ventes récentes (avérées dans l’industrie musicale, esquissées pour le cinéma avec le ralentissement des ventes de DVD). Les deux phénomènes de développement du P2P et d’effondrement généralisé du marché du disque coïncident presque parfaitement, ce qui motive l’hypothèse de causalité sans pour autant la démontrer. ______________________________ ______________________________ (32) “Measuring the effect of music downloads on music purchases”. Working paper, University of Chicago, avril 2004. (33) Elles représentent un chiffre d’affaires de 1,112 Mds euros. 15 Les FAI sont souvent accusés par les producteurs d’encourager le P2P car le téléchargement (illégal et gratuit) peut constituer un argument de vente, surtout pour le haut débit, comme cherche à le montrer le graphique ci-dessus. Les différents acteurs de la filière musicale ne seraient pas tous touchés de manière identique, dans la mesure où les recettes tirées de l’exploitation du droit de la propriété intellectuelle sont réparties différemment entre auteurscompositeurs, producteurs et artistes-interprètes. Selon les producteurs (notamment le SNEP), le risque du P2P est un déclin des industries culturelles (ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui), entraînant des pertes d’emplois, déjà observées en France notamment, une réduction de l’investissement dans les productions les plus risquées et donc une moins grande diversité culturelle. Il faudrait ainsi préserver les profits des producteurs pour leur permettre de financer de nouvelles créations. En pratique, on observe aujourd’hui une grande concentration des dépenses marketing sur quelques vedettes et une autoproduction de certains artistes notamment grâce aux nouvelles technologies numériques de production et de diffusion. Au surplus, on pourrait considérer que le P2P, en écrémant les rentes des producteurs en particulier sur les titres les plus téléchargés, réduit le taux de rendement des investissements sur les vedettes, diminuant l’incitation à investir en marketing sur elles et facilitant la découverte de nouveaux artistes. 16 Les industriels fondent leur argument sur l’idée que le téléchargement constitue un substitut à l’achat d’albums ou de DVD/VHS. Pourtant, selon l’enquête du CNC, plus de 65% des utilisateurs du P2P déclarent acheter des DVD et des VHS et aller au cinéma autant, voire davantage, depuis qu’ils pratiquent le téléchargement de films sur Internet. Certains parlent même du téléchargement comme substitut au ticket de cinéma ce qui est tout à fait discutable, dans la mesure où les concerts pour la musique, ou les projections en salle pour le cinéma, n’apportent pas le même service que des fichiers numériques. Cependant, pour le cinéma, les recettes de l’industrie sont en grande partie tirées de la vente de vidéos (1,2 Md euros en 2003, pour 1 Md par les entrées en salle, 770 Mns par la télévision, 240 Mns par les revenus de l’étranger)(34). Il en résulte effectivement que les téléchargements massifs réduiraient significativement les revenus des producteurs via les ventes de VHS et DVD. La MPAA estime ainsi les pertes liées au P2P à 3,5 Mds USD par an. Pour ce qui concerne l’industrie musicale, les rémunérations(35) varient beaucoup d’un acteur à l’autre : les auteurs-compositeurs ne perçoivent pas les mêmes rémunérations que les producteurs ou les artistes-interprètes. Le tableau suivant(36) résume les montants perçus par ces trois catégories d’acteurs pour l’année 2002 : ______________________________ (34) Source : CNC (35) cf. annexe sur la structure du marché des droits en France. (36) Source : Etude de Tariq Krim pour l’ADAMI, juin 2004. Source Montants (en millions d’euros) AuteursProducteurs Artistescompositeurs interprètes Cinéma 11,8 Télévision 181,6 Radio 38,7 26(38) 26(39) Vente de supports 119,4 < 1302 ?(40) >0 Copie privée 39 17,6 41 Spectacles vivants (concerts…) 105,6 Lieux publics sonorisés 79,8 Audiotel, bornes d’écoute, édition en ligne, vidéomusiques 2,8(37) 25,4 Droits reversés par l’étranger 96,5 Total 672,4 < 1371 > 69,8 NB : Certaines données manquent pour des raisons de confidentialité (par exemple le montant des rémunérations perçues par les producteurs-éditeurs via la SACEM). On constate donc que la vente de supports représente l’essentiel des revenus des producteurs mais qu’elle ne constitue que 18% des revenus des auteurs-compositeurs. Outre leurs revenus issus des ventes d’albums, les artistes-interprètes sont largement rémunérés par la licence légale (copie privée et diffusion radio et lieux publics). L’impact du P2P, s’il consiste majoritairement en une baisse des volumes de vente de supports, sera donc surtout sensible sur le revenu des producteurs, un peu moins pour les auteurs et pour les interprètes. Au niveau de l’industrie, si les producteurs sont les plus touchés, ce seront peut-être les dépenses de marketing qui représentent autour de 20% du prix du CD aujourd’hui et qui semblent constituer une barrière à l’entrée, inefficace d’un point de vue économique, qu’Internet réduira. On peut imaginer que seuls les producteurs les plus efficaces demeureront en tendant probablement à exercer une activité proche de la labellisation. ______________________________ (37) Et autres accords conventionnels III - Dans ces conditions, comment rémunérer les artistes ? Avantages et inconvénients, techniques et économiques, des solutions envisageables Dans l’hypothèse probable (vu ce qu’on observe aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe) où l’usage des réseaux de P2P venait à perdurer, voire à se développer, et où les effets sur les revenus des industries culturelles venaient à entamer véritablement les ressources de la création, des solutions pourraient être envisagées afin de remonter à la source du problème et tenter de trouver un moyen de rémunérer la création artistique malgré la nouvelle nature des biens culturels, du fait de leur numérisation (non rivaux, difficilement excluables). ______________________________ (38) Vaut pour toutes les rémunérations « équitables » provenant des radios, télés, discothèques, etc. (39) Idem. (40) Outre la part réservée aux auteurs (fixée par la SACEM au minimum de 9%), 1302 Mns d’euros de revenus des ventes de supports sont partagés entre producteurs et interprètes, selon les contrats, très variables, établis avec les producteurs. Ces derniers en perçoivent la part principale puisque le produits de ces ventes doit couvrir un ensemble de frais à leur charge (distribution, enregistrement, gravage…). 17 III.1 - Laisser se développer le P2P et considérer les biens culturels en ligne comme des biens publics Pour beaucoup, les solutions qui consistent à s’opposer aux libertés nouvelles et aux gains d’efficacité qu’offre la technique, sont des contresens et sont vouées à être inefficaces car rapidement détournées par les internautes. Par construction, Internet est un lieu d’échange et de mise en partage ; le haut débit a pour vocation de faciliter encore davantage cet usage et notamment de véhiculer de la vidéo, ce qui induira probablement des téléchargements de films de plus en plus fréquents. Le laisser-faire impliquerait toutefois la remise à plat du droit de la propriété intellectuelle. Dans la mesure où les réseaux de P2P tendent à faire des biens culturels en ligne des biens de consommation gratuits, accessibles à tous, non rivaux, considérer ces biens comme des biens publics conduit en effet les régulateurs à revoir intégralement le droit de la propriété intellectuelle. Dans ce schéma, il s’agit de trouver un moyen de financer l’industrie culturelle qui perdrait sans doute une source importante de ses revenus. Soit les industries culturelles parviennent à se financer par l’exploitation de « l’amont et du latéral »(41) des fichiers numériques : spectacles vivants, concerts et projections en salle, produits dérivés, exploitation médiatique, etc. Il est remarquable que le chiffre d’affaires français des tournées est déjà en très forte progression depuis quelques années (+155% en 4 ans en terme de droits perçus par la SACEM) grâce à la construction des nouvelles salles (Zéniths), au développement de nombreux nouveaux points de vente de billets et au nombre grandissant d’artistes. Soit l’Etat prend à sa charge la production des biens. Il dispose alors des outils classiques : subvention, taxation… Dans ces conditions, les réseaux de P2P continueraient à se développer largement. Le droit d’auteur serait revu à la baisse voire à néant ce qui pose un véritable problème, non pas seulement d’incitation économique, si l’on considère que les auteurs créent sous l’effet d’autres motivations et disposent parfois d’autres sources de revenus, mais juridique, sinon philosophique, puisque seraient remis en cause des droits de propriété largement reconnus dans le monde et vieux de plus de deux siècles. ______________________________ (40) Pierre-Noël Giraud: “Un spectre hante le capitalisme: la gratuité”, CERNA, 6 mai 2004. 18 III.2 - Disparition du P2P illégal et développement d’une offre légale en ligne Internet a permis le développement des réseaux de P2P illégaux mais on peut imaginer que des échanges légaux de fichiers pourraient tirer profit des nouvelles technologies offertes dans le respect des ayants-droit. De nombreux acteurs de la filière (les producteurs) ainsi que la plupart des Etats ont donc pour objectif affiché de faire disparaître les réseaux P2P illégaux, ou au moins de le marginaliser, (puisque avec le P2P, chaque ordinateur devient une « audiothèque » universelle en puissance) et de développer l’offre légale en ligne. Ces plates-formes légales permettraient à la fois aux usagers de continuer à télécharger des biens culturels en ligne avec tous les avantages que cela confère, tout en rémunérant les acteurs de la filière au titre de la création artistique. A. Supprimer les réseaux P2P illégaux : les difficultés techniques sont grandes bien que le droit actuel l’autorise Empêcher les échanges sur les réseaux P2P n’est pas chose aisée, tant d’un point de vue technique que stratégique : il s’agit avant tout de traquer les internautes qui téléchargent des fichiers culturels, alors même que ce sont aussi des consommateurs légaux dans le plus grand nombre de cas. Le droit actuel donne raison aux producteurs qui poursuivent les internautes ayant mis à disposition, transmis ou seulement téléchargé des fichiers protégés pour piratage. Il est cependant encore difficile de les identifier (nécessité d’une décision de justice pour saisir le FAI et obtenir l’identité de l’internaute). Cela n’empêchera toutefois pas de nouveaux systèmes de P2P de se développer, comme c’est le cas actuellement avec des logiciels comme FolderShare, Mute ou Waste qui permettent de créer des réseaux plus restreints et plus discrets. De plus, il peut sembler délicat de poursuivre en justice le public même des artistes. Les associations de producteurs américains ont été les premiers à engager des actions de répression, notamment la RIAA (Recording Industry Association of America) avec plus de 2000 poursuites, essentiellement contre les utilisateurs de KaZaA, DirectConnect, WinMX, Emule et iMesh. 437 cas ont finalement été réglés à l’amiable, contre le versement de 3000 USD. Le 20 avril 2004, la RIAA a mis fin à son programme d’amnistie qui protégeait des poursuites les internautes acceptant de supprimer les fichiers illégaux et d’inscrire leurs noms dans une base de données. A la suite de la RIAA, la MPAA a lancé et poursuivre leurs efforts pour lutter contre le piratage, en incluant des clauses de résiliation ou suspension dans leur contrat (43) d’abonnement . une campagne de communication destinée à lutter contre le piratage des films sur Internet et engagé des centaines de poursuites en novembre 2004 contre des pirates de films encore à l’affiche. Elle a également engagé une société technologique pour traquer les adresses IP des internautes pirates de manière systématique, mais ces derniers commencent déjà à délocaliser leur machine dans des pays n’ayant pas conclu d’accords légaux avec les Etats-Unis. • Les ayants-droit s’engagent à mener des actions civiles et pénales ciblées à l’encontre d’utilisateurs de P2P, et à faciliter la création de plates-formes légales. • En France, le SNEP a engagé une campagne d’information début mai 2004 (avec la SACEM notamment) pour rappeler aux internautes qui pratiquent l'échange de musique sur Internet qu'ils doivent cesser de le faire, sous peine de risquer dans les semaines et les mois à venir des poursuites judiciaires : il a finalement déposé 25 plaintes au pénal depuis juin 2004 tandis que les maisons de disques en ont déposé 25 au civil en demandant la suspension de l’accès ou la résiliation de l’abonnement des pirates. Les producteurs et les plates-formes de distribution de musique en ligne s’engagent à développer l‘offre légale (catalogue, tarifs, promotion, publicité) afin de proposer 600 000 titres en ligne d’ici la fin 2004 au lieu des 300 000 actuels. • Enfin l’ensemble des acteurs signataires et des pouvoirs publics représentés par les trois ministres (Economie, Culture, Industrie), s’engagent à étudier la mise en place d’instruments de mesures de la contrefaçon et de catalogues en ligne, organiser des campagnes de sensibilisation des jeunes, poursuivre l’action menée à Bruxelles pour la baisse de la TVA sur le disque (et les services de distribution en ligne d’enregistrements et œuvres protégés), étudier avec les platesformes de distribution les modalités de distribution et de facturation, développer la compatibilité des formats numériques de fichiers musicaux protégés... Le gouvernement français a lancé un plan de lutte contre la piraterie à l’initiative du ministre de la culture et de la communication en mai 2004. Il s’agit de « faire évoluer les mentalités, sensibiliser les élèves des collèges et lycées ». En parallèle, le ministre délégué au commerce extérieur a présenté le 15 juin 2004 son plan d’action international de lutte contre la piraterie audiovisuelle et musicale qui vise à promouvoir la diversité culturelle, échanger les bonnes pratiques de lutte avec la MPAA, engager des démarches de coopération avec les autorités chinoises et russes (surtout au sujet de la piraterie industrielle)… Récemment, le gouvernement a pris l’initiative de réunir les fournisseurs d’accès à Internet et les professionnels de la musique pour trouver une solution au problème du piratage et du contournement des droits de la propriété intellectuelle. Il en a résulté la signature, le 28 juillet 2004, d’une charte d’engagements « pour le développement de l’offre légale de musique en ligne et le respect des droits de la propriété intellectuelle ». • Elle engage les FAI à communiquer auprès de leurs abonnés pour les informer du caractère illicite du piratage, avertir les contrevenants individuellement dans le respect de la loi informatique et liberté,, mettre en œuvre rapidement les décisions de justice (identification, suspension ou résiliation d’abonnement(42)) en coopération avec les ayants droit, ne référencer que les offres légales de musique en ligne sur leurs portails De plus, d’ici la fin 2004, des expérimentations pour filtrer et bloquer l’accès aux réseaux de P2P, dans le cas exclusif d’une demande des abonnés eux-mêmes, vont être menées par deux experts, suite à une commande du gouvernement et à l’étude réalisée par CapGemini pour le SNEP(44). Le but serait qu’à terme, les FAI proposent et assurent le fonctionnement de ce filtrage auprès des internautes qui le désireraient, car ce n’est envisageable que sur une base volontaire, étant donné que le P2P est légal pour les fichiers non protégés. ______________________________ (42) La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique prévoit en effet que les FAI pourront mettre un terme, sur décision de justice et après des avertissements individuels, aux abonnements des internautes se livrant aux téléchargements illicites. (43) qui ne pourraient toutefois être envisageables qu’à l’initiative de l’abonné lui-même (cf. les limites de la loi sur l’informatique et les libertés de 1978 révisée le 15 juillet 2004). (44) qui évoquait la possibilité de mettre en œuvre de tels filtres. 19 Il est notable que les associations de consommateurs n’ont pas signé la charte(45). Il en va de même pour les associations d’artistes-interprètes. Les résultats de telles campagnes sont mitigés : la campagne américaine de communication et de poursuites contre les pirates de musique semble avoir effectivement eu un impact sur le piratage(46). Un tiers des anciens téléchargeurs de musique déclarent avoir réduit leur activité à cause des poursuites légales de la RIAA contre des utilisateurs. De plus, 60% des internautes n’ayant encore jamais téléchargé de fichier déclarent que ces poursuites les découragent de passer à l’action. Ainsi, selon l’IFPI, les campagnes de communication dénonçant le piratage associées aux poursuites légales auraient fait baisser le nombre de fichiers musicaux illégaux disponibles sur les services P2P qui serait passé de 1 milliard en avril 2003 à 800 millions en janvier 2004. Mais le nombre d’Américains téléchargeurs (ou partageant des fichiers) a augmenté de 18 millions en décembre 2003 à 23 millions en février 2004. Pour l’instant, la majorité des internautes paraissent ne pas avoir conscience du problème des droits d’auteur puisque 58% des pirates de musique se disent indifférents entre des fichiers protégés ou non. Il ressort de l’enquête du CNC que les pirates français sont dans le même état d’esprit. Outres les poursuites légales, les systèmes technologiques de gestion numérique des droits (digital rights management systems ou DRM) permettent l’exploitation et l’utilisation d’œuvres sous forme numérique dans des conditions propres à assurer le respect des droits de propriété littéraire et artistique. La directive 2001/29/CE reconnaît en effet que les développements technologiques faciliteront la distribution du contenu protégé, ______________________________ (45) Les signataires sont, outre les trois ministres, le Syndicat National de l’Edition Phonographique (SNEP), l’Union des Producteurs Phonographiques Français Indépendants (UPFI), la Société Civile des Producteurs Phonographiques (SCPP), la Société Civile des Producteurs de Phonogramme en France (SPPF), la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de Musique (SACEM), la Chambre Syndicale des Editeurs de Musique (CSDEM), la Chambre syndicale des Editeurs de Musique de France (CEMF), l’Union Nationale des Auteurs et Compositeurs (UNAC), le Syndicat Nationale des Auteurs et Compositeurs (SNAC), la Société des Editeurs et des Auteurs de Musique (SEAM), le Syndicat des Détaillants Spécialisés du Disque (SDSD), la Fédération des Entreprises de Vente à Distance (FEVAD), Tiscali, Club Internet et l’Association des Fournisseurs d’Accès (AFA), Wanadoo, Noos, Free, SFRCegetel, l’Agence pour la Protection des Programmes. (46) Source : Pew Internet Project (sondage effectué sur 1371 internautes entre février et mars 2004) 20 notamment sur les réseaux, et elle autorise l’utilisation de ces DRM. Une communication a d’ailleurs récemment été publiée par la Commission européenne (19 avril 2004) au sujet du piratage et des armes légales pour le contrer. Elle affirme que les systèmes DRM jouent un rôle crucial pour le développement de nouveaux modèles commerciaux de volume important et de faible valeur transactionnelle. Les systèmes de DRM devraient permettent de développer de nouveaux usages et de nouveaux services tels que ceux révélés par le P2P. Cependant, comme c'est le cas pour tous les systèmes et techniques de protection, des doutes sur la viabilité de la technologie disponible demeurent et ont pu décourager l'utilisation de systèmes DRM : le risque que les DRM soient contournés ne peut être complètement éliminé. Par ailleurs, la Commission reconnaît aussi que les différences entre les mesures techniques pourraient entraîner une incompatibilité des systèmes au sein de l’Union. L’émergence des DRM nécessite donc au préalable leur interopérabilité ainsi que leur acceptation par l’ensemble des parties prenantes, y compris les consommateurs. Enfin, la décision quant au choix du système de gestion des droits devrait en principe être laissée à l'appréciation des parties intéressées et du marché et, le cas échéant, être basée sur la politique du droit d'auteur. La difficulté de la mise en œuvre de systèmes DRM provient de la nécessité de crypter (ou verrouiller) l’intégralité du stock de biens culturels déjà en circulation… L’enjeu est en effet de taille : on voit mal comment récupérer les copies illégales pour les soumettre à un verrou technologique. Pour la musique, ce problème est capital ; en revanche pour le cinéma, puisque les films piratés sont surtout des films récents, les DRM pourraient s’avérer suffisants. Pour le moment, le marché des DRM représente 200 Mns USD soit 1,6% du marché physique(47) ; il n’y a pas de standards, pas de marché de masse, pas d’adoption rapide et pas de revenus importants. En comparaison, certains estiment à 3,5 Mds d’euros(48) le marché des sonneries téléchargeables qui est en pleine croissance. Ces mesures techniques de gestion des droits numériques, utilisées pour décourager les téléchargements, sont complexes, nombreuses et encore à inventer. ______________________________ (47) Source : Forrester (48) Source : Universal Music Group, qui déclare un chiffre d’affaires de 30 Mns d’euros pour cette activité en 2003. Les producteurs ont par exemple inondé les réseaux P2P de fichiers « leurres » qui ressemblent en tout point à des MP3 usuels mais qui n’offrent que quelques secondes de musique audible. Ces fichiers leurres sont désormais vite repérés par les logiciels de P2P. De même, des CD et DVD ont été équipés de systèmes anti-copie empêchant le transfert sur disque dur mais ils ont rapidement été contournés pour la plupart. Le « contrôle d’accès » peut constituer une autre forme de réponse en protégeant et contrôlant les contenants, et non les contenus, et en ne délivrant les informations ou programmes qu’aux abonnés ayant payé pour les droits. Il repose sur une très forte contrainte de terminaux finals totalement fermés, afin qu’une diffusion numérique ne puisse pas être initiée par le consommateur individuel en bout de chaîne, ce qui permettrait un piratage par la suite. Dès lors qu’il est cassé (cf. le cas du premier décodeur Canal+), le piratage peut être massif. Il requiert donc des investissements lourds en équipement. Le filtrage des flux paraît être une solution idéale pour limiter les flux aux seuls contenus licites mais techniquement, sa mise en œuvre n’est pas encore au point, et pourrait même ne jamais l’être. Cela requiert en effet une coordination et une coopération internationales pour limiter la mise sur Internet de fichiers sans l’autorisation des ayantsdroit. La difficulté provient de l’étendue du réseau Internet qui permet à tout internaute de télécharger un fichier mis à disposition à l’autre bout du monde. Selon une étude de CapGemini réalisée en juillet 2004 pour le compte du SNEP, pour plus de 80% de abonnés haut débit, le coût matériel de mise en œuvre d’une solution de filtrage est évalué à 2,82 euros hors taxes par abonné pour un filtrage définitif. La technique de « watermarking » (tatouage électronique) pourrait aussi permettre de résoudre en partie la question du piratage dans la mesure où elle permet d’identifier (traçabilité) le pirate. Elle pourrait donc être utile au niveau de la répression et jouer le rôle de garde-fou en responsabilisant le pirate qui ne pourrait plus agir dans l’anonymat. Toutefois, elle est pour le moment très coûteuse et les industriels ne semblent pas en mesure d’équiper l’intégralité de la production (cinématographique notamment) d’un tel tatouage électronique. B. L’offre légale a du mal à se développer, surtout en Europe du fait de la diversité des systèmes de gestion des droits L’offre légale se développe timidement. Elle constitue une bonne réponse au P2P illégal, selon les producteurs et les gouvernements, dans la mesure où elle respecte le droit de la propriété intellectuelle et permet une rémunération de la filière culturelle par le paiement des téléchargements. Elle présuppose une véritable différenciation par la qualité de service (diversité de l’offre, facilité d’usage, sécurité juridique…) avec les réseaux de P2P illégaux car, dans le cas contraire, les réseaux gratuits resteraient plus intéressants. La plate-forme iTunes d’Apple est actuellement la première plate-forme électronique de téléchargement payant et légal de musique avec 100 millions de titres téléchargés en un an. Elle est désormais disponible, outre aux Etats-Unis, en France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Espagne, en Italie, en Finlande, en Grèce, au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Portugal. Les fichiers sont protégés par le système d’Apple « FairPlay » qui permet une écoute libre exclusivement sur l’appareil iPod(49) d’Apple (ou sur celui d’HP) mais empêche toute diffusion sur les réseaux de P2P. Pour la plateforme dédiée à la France, le prix d’un titre à l’unité est en dessous du prix d’un single (0,99 euro contre environ 5 euros en magasin) ; de même, le prix d’un album est plus faible sur la plate-forme en ligne (9,99 euros) que dans un magasin classique (autour de 17 euros pour les nouveautés)(50). iTunes propose 700 000 titres issus des catalogues des 4 « majors » (Universal Music, Sony-BMG, EMI et Warner Music) et de quelque 300 labels indépendants. Parmi les autres plates-formes en place aujourd’hui on peut citer OD2 (1 million de titres échangés pour le premier trimestre 2004 sur l’Europe), Napster(51) (5 millions de titres échangés ______________________________ (49) Il semble qu’Apple ne fasse que très peu de bénéfices sur les ventes de titres mais qu’elle tire massivement profit des ventes de ses baladeurs iPod. (50) Les autres plates-formes électroniques n’ont pas toutes une stratégie tarifaire aussi simple et même si le titre à l’unité est toujours moins cher en ligne qu’un single en magasin (souvent dans un rapport de 1 à 5), certains albums à télécharger en ligne s’achètent in fine au même prix, voire plus cher, qu’en magasin. (51) Désormais plate-forme légale payante 21 depuis octobre 2003), RealPlayer Music Store (de RealNetworks) lancé en janvier 2004 et doté d’une stratégie de prix agressive avec des titres à 0,49 USD à l’été 2004, Music Download (de Wal-Mart, lancé en mars 2004) et BuyMusic lancé en juillet 2003… Il est à noter que les plates-formes qui ont du succès ne sont pas nécessairement des professionnels de la musique (Coca Cola, WalMart, Apple…). Pour autant le marché américain n’est pas arrivé à maturité dans la mesure où les sites de téléchargement payant proposent encore des formats (compression et DRM) de musique incompatibles entre eux (même si le DRM de Microsoft occupe une position dominante) : les chansons téléchargées sont pour la plupart vouées à être écoutées sur un seul type de baladeur numérique(52). On peut toutefois signaler la naissance d’un consortium technologique visant à harmoniser les différents DRM. « Coral » regroupe Panasonic, Sony, Samsung, Philips, HP, News Corp., InterTrust Technologies, mais n’a pas réussi à convaincre Apple ni Microsoft, ce qui limitera probablement la portée de l’initiative. L’Europe semble à la traîne en raison des retards pris dans les négociations avec les majors européennes. Il en résulte des prix plus élevés pour le moment en Europe qu’aux Etats-Unis, et plus variables. L’hétérogénéité des systèmes de droits d’auteur et des sociétés de gestion collective les oblige en effet à négocier au cas par cas et risque de rendre impossible les stratégies de prix unique qui semblent fonctionner outre-Atlantique. Virginmega.fr, par exemple, a lancé le 18 mai 2004 la nouvelle version de son kiosque payant qui repose sur le principe du téléchargement à la carte (contrairement à ses concurrents qui utilisent le système du forfait ou de l’abonnement). Il propose un catalogue de 400 000 titres alimenté par des labels indépendants et les quatre majors du disque et devrait bientôt passer à 600 000 titres suite aux engagements de la charte (de même que la plateforme de la FNAC). Le prix d’un titre est de 0,99 ou 1,19 euros TTC et pour les albums de 9,99 ou 11,99 euros TTC. L’achat donne, pour le moment, ______________________________ (52) Cependant, RealNetworks a mis sur le marché en juillet 2004, un logiciel « Harmony » rendant compatible les fichiers musicaux avec tous les types de baladeurs, y compris l’iPod. Apple a déclaré qu’il étudiait la possibilité de saisir les tribunaux. En France, le Conseil de la Concurrence a jugé dans sa décision n°04-D-54 du 9 novembre 2004 qu’Apple n’abusait pas d’une position dominante sur le marché des baladeurs numériques sécurisés à disques durs et que son DRM Fairplay ne pouvait être considéré comme ressource essentielle dans la mesure où il existait de nombreuses solutions techniques de contournement par la gravure et d’autres usages que le baladeur numérique. 22 le droit à trois gravures et à trois transferts vers des baladeurs. Pour lutter contre la concurrence en prix des téléchargements payants, Universal Music a entrepris de baisser le prix conseillé du single en octobre 2004 de 25% ; le titre simple vaut donc 3,99 euros en magasin désormais, ce qui reste bien supérieur au prix en ligne. Pour ce qui concerne le téléchargement légal de films, les sites de « video on demand » (VoD) ne connaissent pas encore de grand succès en France, notamment en raison de la maigreur des catalogues proposés. Pourtant, les FAI auraient tout intérêt à permettre le développement de la VoD dans la mesure où ils recherchent aujourd’hui un nouveau modèle financier leur permettant d’augmenter le revenu par abonné : si le P2P pour la musique leur a probablement permis d’amener les internautes au haut débit, ils cherchent à présent à organiser des sites de téléchargement légal de vidéo, ou même de musique, qui pourraient leur fournir des revenus importants dans un contexte très concurrentiel sur le prix de l’abonnement et d’encombrement du réseau. Les majors, quant à elles, sont réticentes car la VoD concurrence directement leurs ventes de DVD. Le frein principal au développement de la VoD réside en effet dans la problématique de la chronologie des médias : l’introduction d’un nouveau canal de diffusion des films doit trouver sa place entre la sortie en salle, le DVD (6 mois après), les chaînes de télévision payantes et les chaînes de télévision gratuites. Pour le moment, les professionnels ne sont pas tombés d’accord. Le marché des plates-formes légales pesait en 2003 seulement 100 millions USD (soit 2% du chiffre d’affaires de l’industrie musicale américaine et environ 0,1% de l’industrie française). Pour que l’offre se développe, il semble que cela requiert une volonté plus affirmée des producteurs (cf. la charte signée en France) qui freinent encore beaucoup les négociations sur les droits avec les nouveaux distributeurs en ligne. Toutefois, on peut signaler la démarche de 800 producteurs indépendants, rassemblés au sein de la Société Civile des Producteurs de Phonogrammes de France (SPPF), qui ont établi une base de données numérisées de leurs enregistrements pour accélérer la disponibilité des catalogues sur les services de musique en ligne. Certains vont même jusqu’à préconiser de considérer les catalogues comme une facilité essentielle et à condamner les majors qui auraient des réticences à les négocier pour abus de position dominante. Les producteurs, et notamment les majors, adoptent encore une attitude assez défensive, car ils craignent une remise en cause de leur modèle économique, voire de leur fonction même au sein de la filière, et au final une baisse de leurs profits en raison de l’intensification de la concurrence due à Internet, qui exige des investissements initiaux beaucoup moins lourds. Afin de faciliter, notamment le développement de l’offre légale, mais aussi les autres solutions remédiant au problème du P2P illégal (cf. infra), il semble donc aujourd’hui nécessaire de simplifier les processus de gestion collective et les SPRD (société de perception et de répartition des droits) en France, mais aussi en Europe. Il n’y a pas de gestion collective organisée pour les producteurs. Cela signifie que toute entreprise qui souhaite lancer un service de vente en ligne doit passer des accords avec chacun des producteurs pour avoir le droit d’exploiter les différents catalogues. Cependant on peut signaler que la SPPF(53) a démarré des accords-cadres avec les principales plates-formes (de téléchargement et de vente de sonneries téléphoniques). En effet, dans la signature de contrats de musique en ligne, seule la SACEM, avec quatre sociétés de gestion collectives françaises, dispose à ce jour d’un mandat collectif (appelé SESAM) pour les auteurs permettant une négociation simplifiée avec les plates-formes de musique en ligne. Les pouvoirs publics pourraient avoir un rôle à jouer à ce niveau en encourageant un mécanisme de gestion collective pour les producteurs afin qu’ils accordent rapidement des licences à l’ensemble des services de musique en ligne et notamment les services légaux d’échanges P2P. III.3 - Réguler les réseaux de P2P et rétribuer les ayants-droit grâce à la publicité sur Internet Contrairement à la solution présentée ci-dessus (le tout répressif), si l’on accepte l’idée que l’économie numérique bouleverse les modèles économiques – la rareté, source de valeur économique, se déplace du bien informationnel vers la construction d’un lien entre ce bien et ses consommateurs potentiels – il s’agit de passer, pour l’industrie culturelle et ses régulateurs, d’une logique de diffusion à une logique d’appariement. • Pour le consommateur : trouver l’œuvre désirée (efficacité statique), en harmonie avec son processus d’acculturation (efficacité dynamique) ; ______________________________ (53) Société Civile des Producteurs de Phonogramme en France • Pour l’auteur : entrer en relation avec son public (efficacité statique), et créer pour lui, voire avec lui, ce qui lui convient le mieux (efficacité dynamique). Les modèles économiques viables et socialement optimaux ne doivent donc pas chercher à rétablir artificiellement le modèle centralisé et unidirectionnel des médias de masse fondé sur la distribution de supports rivaux (il ne s’agit pas d’étendre les principes du droit d’auteur et des droits voisins, à la gestion des droits numérique en recréant artificiellement de l’excluabilité). Les nouveaux modèles devraient au contraire s’attacher à valoriser les nouvelles raretés émergées(54) : l’appariement (couplage offre-demande), l’acculturation (formation dynamique des goûts), la coproduction (participation active des consommateurs à la construction de l’offre). Une solution consisterait donc, non pas à lutter contre les réseaux de P2P ou à les concurrencer, mais à utiliser cette nouvelle forme de diffusion des biens culturels en instituant parallèlement, une rémunération des ayants-droit. Aujourd’hui on estime à 250 Mns USD(55) les revenus générés par le P2P, via la publicité, dont 20% sont localisés en Europe. Ces revenus ne servent aucunement à la rétribution des ayants droit. On pourrait imaginer que Kazaa (ou un autre réseau P2P) redistribue une partie de ses revenus aux ayants-droit. Il s’agirait bien entendu d’une décision politique puisqu’à ce jour aucun tribunal n’a établi la culpabilité de Kazaa dans un délit de contrefaçon. Le modèle économique pourrait être identique à celui des radios avec un financement par la publicité sur Internet – cela permettrait de rétablir un lien moral et économique entre le téléchargement et les ayants-droit (la question de la répartition se pose ici comme dans le schéma suivant). Si pour le moment on estime à 334 millions d’euros(56) les revenus de la publicité sur le web pour le premier semestre 2004 en France, une étude prévoit des recettes de 13,3 Mds d’euros au niveau mondial en 2009, ce qui permet d’envisager effectivement un financement, même réduit, par la publicité. La difficulté d’une telle solution (comme des suivantes) résiderait notamment dans la répartition des droits perçus : le modèle de la radio pourrait encore s’appliquer mais dans la mesure où les téléchargements se substitueraient en grande partie ______________________________ (54) Nicolas Curien au colloque anti-piraterie du 11 mai 2004, Cannes. (55) Source : L8Rmedia (56) TNS Media Intelligence, août 2004. 23 aux achats de disques et où il demeurerait techniquement difficile d’observer les flux en détail, se poserait le problème de la proportionnalité des rémunérations aux ventes réelles. III.4 - Adopter une nouvelle exception our copie privée et taxer l’accès ou les flux sur Internet Face au problème du piratage, certains considèrent qu’il serait opportun de repenser la copie privée et d’adopter une nouvelle exception au droit d’auteur : le téléchargement comme copie privée (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui cf. I.E.) Il ne s’agirait plus de lutter contre le piratage mais d’indemniser les ayants-droit au titre de la copie. On créerait une nouvelle licence légale, ce qui demanderait une adaptation du CPI (L 311-5) (en plus de la taxation des supports vierges pour l’exception au titre de la copie privée). A ce stade, deux solutions sont envisageables : la taxation de l’upload(57) ou la taxation de l’abonnement à Internet. La taxation de l’upload légitimerait la mise à disposition d’œuvres protégées, ce que la plupart des associations d’ayants-droit refusent. En tout état de cause, une telle solution permettrait aux internautes de sortir de l’insécurité juridique. Cette position est celle proposée par l’ADAMI et la SPEDIDAM en France, et par la SACEM canadienne (SOCAN). C’est aussi la position, en France, du Conseil économique et social, qui propose d’étendre aussi la redevance pour copie privée aux disques durs d’ordinateurs. Certains économistes prônent également la légalisation de la copie accompagnée de sa taxation. Selon Chen et Png (2002)(58), le producteur dispose de deux stratégies en réaction au piratage : s’il baisse les prix, il améliore directement le bien-être social, au moins à court terme, et s’il augmente ses dépenses de détection de piratage (poursuites légales, DRM), les pertes sociales proviennent non seulement de ces dépenses mais aussi de la baisse du surplus des ______________________________ (57) Un internaute importe des données du réseau vers son ordinateur, c’est la voie descendante ou download et exporte parfois en retour d’autres informations, c’est l’upload ou voie remontante (diffusion par l’internaute). La simple consultation de sites ne serait pas taxée. L’envoi de messages électroniques ne pourraient probablement pas être taxé car il est particulièrement difficile de légaliser le contrôle des pièces jointes aux messages. Le « streaming » pose également des problèmes de droit dans la mesure où il s’agit parfois de l’écoute ou du visionnage en flux continu de contenus protégés. (58) Information goods pricing and copyright enforcement : welfare analysis. In Information Systems Research, 2002. 24 pirates. En conclusion, ils montrent que le niveau optimal de protection des droits d’auteur consiste en des taxes sur les copies et sur les équipements utilisés par les pirates, des subventions aux originaux et des sanctions en cas de violation des droits. A. Taxer l’upload Il s’agirait de faire payer le diffuseur de contenu (le pirate), i.e. de réintroduire de la rivalité sur les biens dont l’utilisateur n’est pas propriétaire. Cela nécessite de pouvoir identifier si un internaute est propriétaire des droits du fichier qu’il transmet et donc d’imposer un identifiant unique aux œuvres, ainsi qu’une concentration et une harmonisation des systèmes de régulation européens notamment. Les prérequis techniques à une telle régulation sont donc lourds. La taxation de l’upload jouerait donc un rôle dissuasif dans la mesure où le téléchargement implique l’échange puisque la plupart des réseaux de P2P activent automatiquement un canal de retour. Les recettes de cette taxation iraient bien sûr aux ayants-droit et seraient réparties par les SPRD sur le même mode que les autres rémunérations actuelles (licence légale, diffusion dans les lieux publics), c’est-à-dire par sondage et, plus directement, proportionnellement au nombre de téléchargements effectués dans l’hypothèse où l’on pourrait identifier les œuvres transmises(59). Des estimations par sondage ou par watermarking pourraient aussi être mises en œuvre. La répartition entre producteurs, auteurs et interprètes feraient toutefois l’objet de nouvelles négociations importantes, les producteurs pouvant redouter de n’obtenir qu’une part limitée de ces droits, comme dans le cas de la radio. Le problème vient bien sûr de la difficulté technique actuelle à discerner les contenus échangés sur le réseau puisque bien d’autres contenus sont échangés, notamment des données privées. On peut toutefois citer le cas d’une société (adVetsigo) qui propose ses services pour la surveillance et le contrôle de la diffusion de contenus au moyen d’un mécanisme d’empreinte(60) et d’un service de fouille ______________________________ (59) Le risque toutefois que ces données sur le nombre de téléchargements soient manipulées, par les ayants-droit par exemple, n’est pas négligeable. (60) Les détenteurs de droits confient leur document numérique à protéger, la société calcule l’empreinte puis traque les copies pirates ou les plagiats. Les sociétés clientes peuvent aussi confier uniquement l’empreinte. automatisée. Un tel système poussera les industriels à mettre en place de véritables systèmes de marquage afin de pouvoir mieux identifier les contenus protégés. Taxer l’upload n’empêchera cependant pas le téléchargement à partir d’un autre endroit du monde ; ceci pose la question d’une harmonisation à un niveau mondial qui paraît difficile à ce jour. niveau de cette redevance. Les mécanismes de marché permettraient – certes indirectement car les FAI jouent le rôle d’intermédiaires entre les internautes et les ayants-droit – de converger plus sûrement vers le prix (et la rémunération des droits) d’équilibre. Toutefois, il serait sans doute préférable que la mise en place de cette taxe n'intervienne qu'une fois achevé le déploiement de l'Internet haut débit. B. Taxer la connexion à Internet Il peut sembler plus opportun et socialement plus efficace de lever toutes les contraintes sur le P2P (liberté de transfert, de copie, de stockage) et de financer la création-production en jouant sur le tarif d’accès à Internet(61) (et non l’usage(62)). On pourrait taxer l’accès à Internet au niveau des forfaits mensuels. Relever de 15 à 30 euros le forfait mensuel suffirait, selon N.Curien, à financer l’ensemble de la production musicale et cinématographique. Cependant, une telle taxe pèserait sur l’ensemble de la population internaute et non sur les seuls consommateurs de biens culturels(63). La répartition des revenus pourrait se faire selon des sondages ou proportionnellement aux revenus perçus par les artistes via les autres médias. Ainsi, la notion même de propriété intellectuelle évoluerait dans le sens d’une moindre protection en raison de l’utilité sociale liée à la diffusion, au réemploi et à la création collective des contenus. Il s’agirait par là de passer d’un droit de propriété absolu (notion actuelle de droit d’auteur) à un droit à rémunération (du type de la licence légale). Liebowitz (2003)(64) souligne le danger d’une telle solution qui laisserait au régulateur le soin de calculer le niveau optimal de la redevance : celle-ci doit être à la hauteur du préjudice subi, qui n’en demeure pas moins difficile à évaluer. Mais on peut également imaginer que le régulateur exigerait des FAI qu’ils s’entendent avec les détenteurs de droit sur le Conclusion Le piratage révolutionne la façon de penser les industries culturelles et leurs financements parce qu’il fait de la copie un phénomène d’une ampleur actuellement non maîtrisée. Ses conséquences sur les industries seront d’une part une baisse des revenus (inéluctable avec la numérisation qui diminue les coûts), d’autre part une nécessaire restructuration du système, tant du rôle des acteurs que des concepts mêmes de propriété intellectuelle. De nombreuses solutions peuvent être envisagées pour encadrer ce passage à un nouveau modèle économique des industries culturelles. Elles n’ont pas toutes les mêmes implications techniques ni économiques, et leurs effets varient selon les acteurs concernés (acteurs, producteurs, interprètes). Certaines préservent les gains de bienêtre social engendrés par le P2P ; ce sont probablement les solutions préférables et viables sur le long terme, même si elles demanderont une forte volonté politique dans la mesure où elles pourraient modifier en profondeur l’industrie et/ou la conception du droit d’auteur. Le tableau ci-après résume les schémas envisagés pour la structuration des industries culturelles dans l’univers numérique actuel. ______________________________ (61) Conférence pour le colloque anti-piraterie du 11 mai 2004, Cannes, Nicolas Curien. (62) Ce système permettrait d’ailleurs de se rapprocher de l’efficacité économique puisque les réseaux eux-mêmes sont à coût fixe élevé et à coût marginal faible. (63) On peut signaler à cet égard qu’aujourd’hui déjà, la taxe sur les supports vierges pèse sur des consommateurs qui pourtant ne s’en servent pas pour copier de la musique mais pour stocker des données privées par exemple. (64) "Alternative copyright systems : the problems with a compulsory license”. Août 2003 25 Laisser-faire Objectif Outils Faisabilité technique Développement de l'offre légale en P2P régulé, financé Licence légale pour ligne et éradication par la publicité sur le téléchargement (ou marginalisation) Internet du P2P Décourager le Liberté des nouveaux téléchargement usages engendrés illégal et développer par Internet le téléchargement payant et légal Aucun, pas même juridique ++ Faisabilité juridique - (revoir la production (compatibilité avec le culturelle comme droit actuel) bien public) Conserver les gains Conserver les gains engendrés par le engendrés par le P2P tout en P2P tout en respectant la respectant la propriété propriété intellectuelle intellectuelle Financement par la Avertissements ; publicité ; Poursuites légales ; Confiscation d’une Campagnes de partie des revenus de communication ; Kazaa ou autre P2P Développement des se rémunérant par la plates-formes légales publicité Licence légale : le téléchargement comme exception pour copie privée difficile ++ ++ (ou difficile dans le cas de la taxation de l’upload) + + - (étendre le champ de la copie privée) Faisabilité de la régulation + (absence de régulation) difficile difficile + Impact sur les réseaux de P2P existants ++ -- 0 0 Impact sur les utilisateurs de P2P ++ -- 0 - (taxe) Impact sur les auteurscompositeurs -- ++ ++ ++ - + + + --- +++ + - ? selon l’issue des négociations + ? selon l’issue des négociations - - ++ - 0 (sauf si on opte pour la taxation de l'upload) 0 Unitaire Indirecte Indirecte Impact sur les artistes-interprètes Impact sur les producteurs Impact sur les FAI Impact sur les entreprises de technologies numériques (tatouage, DRM…) Répartition des revenus de la création 26 Annexe La structure du marché des droits en France La multiplicité des modes de diffusion de la musique fait qu’aujourd’hui, le marché de la musique apparaît comme l’imbrication de plusieurs circuits de rémunération correspondant aux deux principaux modes de rémunération de la création artistique : unitaire et indirect. consommateur paie alors plus ou moins directement par forfait (rémunération équitable pour la diffusion dans les lieux publics) ou par la publicité (radio, télévision) pour avoir l’accès aux œuvres. Les sociétés de gestion collectives sont alors en charge de répartir les recettes sur la base de statistiques de diffusion et de sondages. Le modèle unitaire rémunère les créateurs proportionnellement au nombre d’exemplaires vendus (albums ou places de concerts). La condition de sa faisabilité réside dans la possibilité d’identifier les actes de consommation individuelle. L’importance relative des différents modèles de rémunération varie avec les évolutions technologiques. On peut représenter (cf. Etude de Tariq Krim pour l’ADAMI, juin 2004) le marché de la musique français par l’ensemble des flux de rémunérations qui le composent actuellement : Dans le cas contraire, c’est le modèle de rémunération indirecte qui prime : le avec SPRE Société pour la Perception de la Rémunération Equitable SCPA Société Civile des Producteurs Associés ADAMI Société civile pour l’Administration des Droits des SPEDIDAM Artistes et Musiciens Interprètes Société de Perception et de Répartition des Droits des ArtistesInterprètes de la Musique et de la Danse SORECOP Société pour la Rémunération de la Copie privée Copie sonore France Société pour la Rémunération de la Copie privée audiovisuelle SCPP Société Civile pour l'Exercice des Droits des SPPF Producteurs Phonographiques Société civile des Producteurs de Phonogrammes en France SACEM Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de SDRM Musique Société pour l'administration du Droit de Reproduction Mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs 27