droits d`auteur et piratage sur internet : quelles réponses à la

Transcription

droits d`auteur et piratage sur internet : quelles réponses à la
Direction Générale du Trésor
et de la Politique Économique
DROITS D’AUTEUR ET PIRATAGE
SUR INTERNET :
QUELLES RÉPONSES À LA QUESTION
DU CONTOURNEMENT DE LA PROPRIÉTÉ
INTELLECTUELLE ?
Hélène DURAND
Document de travail
Mai 2005
DROITS D'AUTEUR ET PIRATAGE SUR INTERNET :
QUELLES REPONSES A LA QUESTION DU CONTOURNEMENT
DE LA PROPRIETE INTELLECTUELLE ?
Hélène DURAND
Document de travail
Mai 2005
Ce document de travail n’engage que son auteur. L’objet de sa diffusion
est de stimuler le débat et d’appeler commentaires et critiques.
MINISTERE DE L’ECONOMIE
DES FINANCES ET DE L’INDUSTRIE
Direction Générale du Trésor et de la Politique Economique
139, rue de Bercy - 75572 - PARIS Cedex 12
Sommaire
Résumé
3
Abstract
4
Introduction
5
I-
Le contexte juridique actuel est clair : le téléchargement, depuis des
réseaux de « peer to peer », de contenus protégés par le droit
d’auteur constitue un délit de contrefaçon
7
I.1 -
7
I.2 I.3 I.4 I.5 -
II -
8
8
9
10
Le P2P n’en est pas moins un phénomène d’une ampleur inégalée
qui remet en cause non seulement les modèles économiques des
industries culturelles mais aussi notre conception du droit d’auteur
et des droits voisins
11
II.1 II.2 -
11
12
II.3 -
III -
Les concepts de droit d’auteur et de droit voisin et leurs justifications
économiques
Le droit international
Le droit européen
Le droit français
La copie privée comme exception au droit d’auteur et le délit de contrefaçon
L’ampleur du phénomène : quelques faits stylisés
L’impact sur le droit de la propriété intellectuelle : une nouvelle culture de la
gratuité
L’impact du P2P sur l’économie diffère selon les acteurs
12
Dans ces conditions, comment rémunérer les artistes ? Avantages
et inconvénients, techniques et économiques, des solutions envisageables
17
III.1 -
18
III.2 III.3 III.4 -
Laisser se développer le P2P et considérer les biens culturels en ligne comme
des biens publics
Disparition du P2P illégal et développement d’une offre légale en ligne
Réguler les réseaux de P2P et rétribuer les ayants-droit grâce à la publicité sur
Internet
Adopter une nouvelle exception our copie privée et taxer l’accès ou les flux
sur Internet
18
23
24
Conclusion
25
Annexe
27
Résumé
Ces dernières années, l’industrie du disque connaît une crise que de nombreux
professionnels imputent au développement de l’usage des réseaux de « peer to
peer » (P2P). De même, la filière du cinéma s’inquiète de la croissance très rapide
des téléchargements de films numérisés. Ces réseaux permettent l’échange de
fichiers sur Internet selon une procédure de poste à poste, qu'il s'agisse de musique,
de films, de logiciels, de jeux, ou encore de fichiers non protégés par le droit de la
propriété intellectuelle. A ce jour, le P2P compte environ 250 millions
d’utilisateurs dans le monde, s’échangeant 150 milliards de fichiers, et utilisant
plus de 50% de la bande passante. Pourtant, le droit français (droit d’auteur et
droits voisins), mais aussi le « copyright » américain ou le droit européen,
assimilent sans ambiguïté à un délit de contrefaçon le téléchargement gratuit de
fichiers protégés via des systèmes de P2P.
En l'absence d'intervention publique, l’usage des réseaux de P2P viendrait à
perdurer et à se développer, entamant sans doute de manière sensible les revenus
des créateurs et des industries culturelles. Il convient donc de réfléchir aux moyens
de préserver la rémunération de la création artistique dans le contexte nouveau créé
par la numérisation de certains biens culturels. L'analyse économique peut être utile
à cet égard. Quatre types de solutions sont envisageables a priori : (i) laisser se
développer le P2P et considérer les biens culturels en ligne comme des biens
publics ; (ii) éradiquer ou faire reculer le P2P illégal au profit d’une offre légale en
ligne ; (iii) réguler les réseaux de P2P et rétribuer les ayants-droit grâce à la
publicité sur Internet ; (iv) adopter le téléchargement comme une nouvelle
exception pour copie privée et taxer l’accès à Internet ou les flux remontants
(« upload »). Les deux dernières solutions posent la question de la rémunération
équitable des artistes. D'un strict point de vue économique, ce sont néanmoins ces
solutions qui préservent à la fois les gains de bien-être social engendrés par le P2P
et le système des droits d’auteur et droits voisins classiques.
Mots-clé : droit d'auteur, peer to peer, industries culturelles, économie numérique.
Classification JEL : L14 – L82 – L86 – O34 – I39
3
Abstract
In recent years, the music industry has faced a crisis which many professionals
attribute to the extensive use of peer to peer (P2P) networks. Similarly, the film
industry is concerned about the increasing number of movie downloads. P2P
networks allow file transfer from one Internet host to another. The files may be
audio or video files, software, computer games, or non-copyrighted files. Today,
some 250 million P2P users worldwide exchange over 150 billion files and use
over 50% of the Internet bandwidth. Yet, French, American and European
copyrights consider P2P illegal, and free copyrighted file downloads a
counterfeiting crime.
If the status quo endures, P2P applications will last and expand, and probably
seriously affect profits of artists and of the media industry as a whole. Therefore,
some solutions should be proposed in order to protect artistic creation in this new
cultural goods digital environment. An economic analysis can be useful at this
point. Four different kinds of solutions may be considered: (i) let P2P grow and
treat online cultural goods as public goods; (ii) eradicate illegal P2P or place under
tight control while pushing forward a legal alternative; (iii) regulate P2P networks
and pay royalties to artists by taxing advertising revenues on the Internet; (iv) turn
downloading into a new exception to copyright for private copy use and tax access
to the Internet or impose a tax on file uploads. The two last solutions face the
problem of designing a fair retribution system for artists. From a strict economic
point of view, these solutions nevertheless allow the newly created social welfare
gains of P2P to endure and do not impose a reform of standard copyrights. Hence,
they probably should be favoured as long run and durable solutions even if they
could challenge the actual balanced allocation of revenues within the media
industry.
Keywords : copyright, peer to peer, cultural industries, digital economics.
JEL classification : L14 – L82 – L86 – O34 – I39
4
Introduction
Les
« industries
exploitant
les
droits
d’auteur »(1) et les droits voisins (« copyright
industries ») au sens large – c’est-à-dire à la fois
les activités de création, distribution et vente de
produits et services protégés par le droit d’auteur et
les droit voisins et les industries connexes des
biens d’équipement (téléviseurs, lecteurs de DVD,
ordinateurs) – produisent une valeur ajoutée de 450
milliards d’euros(2), soit 5,3% du PIB
communautaire. Mais leur importance dépasse leur
valeur ajoutée, dans la mesure où leur utilité
sociale, évaluée par exemple par le temps passé par
les consommateurs à écouter de la musique ou à
visionner des films, excède la mesure par les
échanges marchands.
communautaire, 2% de l’emploi dans l’Union et un
chiffre d’affaires de près de 800 milliards d’euros.
L’industrie musicale, en particulier, correspond à
0,06% du PIB communautaire.
L’industrie du disque connaît un fort
ralentissement ces dernières années, en France
comme ailleurs, notamment en terme d’unités
vendues.
Ventes mondiales(3) de disques
en milliards d’unités
1999 3,8
2000 3,5
2001 3,3
2002 3,0
Si on n’en considère que le noyau (hors ventes de
biens
d’équipement),
ces
industries
« culturelles » représentent 4% du PIB
2003 2,7
Source : IFPI
Chiffre d'affaires des producteurs*
depuis 1996
1400
1247
1300
1200
1100
1133
1166 1136
1125
1302
1112
1048
1000
900
800
1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003
Ces chiffres comprennent les ventes d’albums (environ 80% du CA), de singles et vidéomusicales.
______________________________
______________________________
(1) Il n’est pas tenu compte ici des flux de rémunération pour
droits d’auteur mais de la valeur ajoutée créée par le secteur.
(2) Source : “The contribution of copyright and related rights
to the European economy” , Commission Européenne, 20
octobre 2003. Les chiffres sont ceux de 2000 et sous-estiment
probablement la situation actuelle. La France présente des
caractéristiques très légèrement en dessous de la moyenne
européenne.
(3) Pour un chiffre d’affaires de 32 Mds USD en 2003.
* La fonction de producteur regroupe les activités
d’enregistrement
(studio,
musiciens,
matériel),
l’organisation des tournées, le tournage des clips vidéo, le
marketing promotionnel, l’exploitation sur d’autres
médias… La fonction d’éditeur (parfois intégrée à celle de
producteur) se situe plus en amont, au niveau du façonnage
de la maquette ; l’éditeur est également en charge de trouver
la maison de disque qui fera sortir l’album. L’auteur écrit la
chanson, le compositeur compose sa musique. Les
interprètes regroupent chanteurs et musiciens.
5
(millions d’unités vendues)
Source : SNEP (ventes en France)
Les professionnels imputent cette baisse au
développement des réseaux de « pair à pair »
(« peer to peer », P2P) . Il s’agit de l’échange de
fichiers(4) entre individus sur Internet selon une
procédure de poste à poste qui se fait désormais via
des systèmes non centralisés(5). Ces systèmes
(Kazaa, Gnutella ou Freenet…) proposent à
l’internaute de télécharger un logiciel permettant
de se connecter à un réseau virtuel, qui fait partie
d’Internet et qui le met en contact avec des
centaines de milliers d’autres individus. Ces
fichiers peuvent être de la musique, mais aussi des
films, des logiciels, des jeux, ou encore des fichiers
non protégés par le droit de la propriété
intellectuelle. Une société comme Kazaa se
contente donc de distribuer un logiciel
gratuitement en se rémunérant sur la publicité,
mais n’exerce aucun contrôle sur l’échange des
fichiers et ne peut donc être tenue pour responsable
du contournement de la propriété intellectuelle qui
en découlerait. Ce sont les individus eux-mêmes
qui pratiquent les copies (légales ou non) à un
niveau totalement décentralisé et, en retour,
mettent en partage leurs dossiers contenant des
fichiers musicaux par exemple, au profit des autres
utilisateurs du P2P.
______________________________
(4) Les fichiers audio sont pour la plupart comprimés au
format MP3 et préservent une qualité proche du CD.
(5) Contrairement au système original de Napster, lancé en
1999 mais condamné par la justice américaine suite à une
plaine pour piratage de la RIAA (Recording Industry
Association of America).
6
En permettant le téléchargement de fichiers
musicaux gratuits, pourtant a priori protégés par
le droit d’auteur, le « piratage » en ligne au moyen
des systèmes de P2P pose la question de la
rémunération des artistes dans un monde
numérique et globalisé.
Ces fichiers culturels numériques ont la
particularité d’être des copies parfaites des
contenus originaux (contrairement aux anciennes
copies analogiques qui dégradaient l’information
artistique) et d’être disponibles gratuitement sur
Internet. Le contenu artistique devient ainsi un bien
non rival et, techniquement, difficilement
excluable. De plus, ils possèdent les trois
caractéristiques majeures suivantes(6), qui ont des
conséquences sur l’exercice du droit de la propriété
intellectuelle.
•
•
Ils engendrent une externalité positive de
club dans la mesure où les utilisateurs du P2P
tirent une utilité à partager ces biens sur le
réseau et dans leurs conversations. Cela
conduit à un niveau socialement optimal de
protection des droits d’auteur peu élevé.
Ce sont des biens d’apprentissage : une
copie numérique permet d’apprendre à
connaître le bien, afin de l’acheter, le
télécharger ou le graver plus tard. Ainsi, la
copie numérique permet à la fois aux
détenteurs de droit de réduire leurs coûts de
communication,
de
publicité
et
de
______________________________
(6) M.Peitz et P.Waelbroeck : Piracy of digital products : a
critical review of the economics literature. CESifo working
paper n°1071, novembre 2003.
distribution auprès des consommateurs (grâce
à Internet) mais réduit par ailleurs leurs profits
tirés de l’exercice de leurs droits d’auteur de
par l’impossibilité (actuelle, du moins) de
contrôler les flux numériques.
•
Ces
fichiers
numériques
demeurent
imparfaitement substituables aux biens
originaux puisqu’ils sont virtuels, dépourvus
de livret et de coffret, ce qui devrait permettre
de concevoir un modèle économique où
téléchargement en ligne et marché à supports
matériels coexisteraient.
Ce document de travail fait en premier lieu le point
sur l’état du droit concernant le droit d’auteur et les
droits voisins ainsi que le téléchargement en ligne
et le piratage (I). Il propose ensuite une analyse du
piratage et de ses conséquences, à la fois
économiques et juridiques sur les industries
culturelles (II). Enfin, il étudie les différentes
réponses à la question du contournement du droit
de la propriété intellectuelle que pose le P2P
aujourd’hui (III).
I - Le contexte juridique actuel est
clair : le téléchargement, depuis des
réseaux de « peer to peer », de
contenus protégés par le droit
d’auteur constitue un délit de
contrefaçon
Les nombreux procès menés actuellement contre
les utilisateurs de P2P ainsi que le grand nombre
de textes de lois nouvellement adoptés montrent
que le P2P interroge aujourd’hui le droit d’auteur
avec insistance.
I.1 - Les concepts de droit d’auteur et de
droit voisin et leurs justifications
économiques
La notion de droit d’auteur est véritablement née
au XVIIIème siècle avec la Révolution française et
l'indépendance américaine, sur la base de deux
principes fondamentaux. D'une part, un droit de
propriété intellectuelle monnayable a été accordé
pour la première fois par la Constitution
américaine de 1787. D'autre part, la France et
l'Allemagne ont développé l'idée de la personnalité
unique de l'auteur.
Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit,
créations littéraires et artistiques. Pour qu’une
œuvre soit protégée, il suffit qu’elle soit une
création originale, c’est-à-dire qu’elle porte
l’empreinte de la personnalité de l’auteur. La liste
des types d’œuvres protégées est donc ouverte et
s’étend avec le progrès technique.
Le droit d’auteur couvre en réalité deux concepts :
l’exercice du droit d’autoriser ou d’interdire la
reproduction, représentation, adaptation, traduction
(droits patrimoniaux), concrétisé par l’autorisation
d’utiliser une œuvre, et la contrepartie morale et
financière. S’ajoutent à cela les droits moraux,
variables d’un pays à l’autre : pour le droit
d’inspiration européenne il s’agit du droit de
revendiquer la paternité, de s’opposer à toute
modification qui puisse être préjudiciable à la
réputation ou à l’honneur de l’auteur, du droit de
retrait (mettre un terme à la diffusion
commerciale). Dans le cadre du « copyright »
américain, les droits moraux sont réduits au
minimum, les biens de l’esprit s’apparentant
davantage à des biens ordinaires.
Les droits « voisins » correspondent pour leur part
aux droits des artistes interprètes, des producteurs
de phonogrammes et de vidéogrammes et des
entreprises de communication audiovisuelle(7).
La première raison d’être du droit d’auteur est la
protection contre le piratage, c’est-à-dire la
reproduction à l’identique, sans contrepartie, d’une
œuvre par un tiers. Le droit d’auteur est donc fondé
sur la notion d’information privée par opposition à
celle de bien public.
Par construction, le droit d’auteur a donc cet effet
négatif qu’il octroie des rentes de monopole aux
auteurs des œuvres protégées, qu’il freine la
diffusion d’œuvres existantes et les nouvelles
créations dans la mesure où la création artistique
implique souvent une innovation cumulative.
L’aspect incitatif est en réalité plus important pour
le producteur que pour l’auteur, qui peut être
motivé par d’autres considérations (besoin de
création, propagation de ses idées et de ses œuvres,
désir de reconnaissance…), ou plus facilement
financé
par
d’autres
moyens (exploitation
financière de sa notoriété dans les médias ou par la
publicité, mécénat public ou privé, droit social,
subvention, fiscalité…).
______________________________
(7) Par la suite, on assimilera les droits voisins aux droits
d’auteur.
7
Bien que les lois et conventions sur le droit
d’auteur soient nées au gré de l’Histoire et
résultent notamment des jeux d’influence, le droit
actuel cherche ainsi à résoudre le problème
classique d’optimisation sociale intertemporelle
entre une diffusion au coût marginal faible
(approche statique) et l’incitation à l’innovation
artistique (approche dynamique). Le droit d’auteur
répond donc à la problématique d’arbitrage entre
création et diffusion.
L’objectif du droit d’auteur consiste bien à
protéger le créateur et le producteur originels
des copies réalisées par des passagers
clandestins (« free riders ») qui distribuent
l’œuvre une fois que celle-ci a rencontré le succès
par exemple (d’où le terme de « copyright » anglosaxon). En l’absence d’une telle protection,
l’œuvre risque de ne pas être produite, dans la
mesure où le créateur et/ou le producteur ne pourra
amortir ses coûts fixes. Le problème est
particulièrement
aigu
dans
l’industrie
cinématographique, où les coûts de création sont
très élevés, beaucoup plus que les coûts de copie.
Les droits patrimoniaux correspondent donc à la
volonté d’assurer un retour sur investissement à
ceux qui prennent les risques de la création et de la
production. Le droit d’auteur permet ainsi de se
rapprocher du "niveau socialement optimal" de la
création artistique alors que les comportements de
« free riding » conduiraient à une sous-production
– pour autant que le droit ne freine pas non plus
exagérément la diffusion de ces biens, ce qui est
normalement aussi un souci des producteurs et
auteurs eux-mêmes.
I.2 - Le droit international
En 1886, les auteurs se sont vus accorder la
protection internationale de leur travail grâce à la
signature de la Convention de Berne pour la
protection des œuvres littéraires et artistiques. A ce
jour, 155 pays adhèrent à ce traité. Selon la
convention de Berne, le droit d’auteur s’applique à
l’expression des œuvres sur tous les modes et sous
toutes les formes. Il confère ainsi à l’auteur un
droit exclusif sur la reproduction, la représentation,
l’adaptation et la traduction de son œuvre (droits
patrimoniaux). S’ajoutent à cela les droits moraux,
variables d’un pays à l’autre. La convention de
Berne garantit aux auteurs le droit de revendiquer
la paternité de leurs travaux et celui de s’opposer à
toute modification de leur travail qui puisse être
préjudiciable à leur réputation ou à leur honneur.
La durée de protection couvrait à l’époque les 50
années suivant la mort de l’auteur. Désormais, elle
8
s’étend à 70 ans en Europe et aux Etats-Unis(8). Il
est à noter qu’en France la durée de protection ne
concerne que les droits patrimoniaux tandis que les
droits moraux sont illimités dans le temps, sous la
responsabilité des héritiers(9).
Pour ce qui concerne les droits voisins, la
Convention de Rome, signée en 1961, protège
« les artistes interprètes ou exécutants, les
producteurs de phonogramme et les organismes de
radiodiffusion ».
Les deux traités signés en décembre 1996 dans le
cadre de l’OMPI (Organisation Mondiale de la
Propriété Intellectuelle) concernent le droit
d’auteur d’une part, les interprétations et
exécutions et les phonogrammes d’autre part. Ils
reprennent les Conventions de Berne et de Rome et
considèrent les problèmes liés à l’économie
numérique. Ces traités ont notamment accordé la
protection juridique aux mesures techniques
auxquelles ont recours les titulaires de droits pour
protéger techniquement les versions numériques de
leurs œuvres (article 11 du traité sur le droit
d’auteur et article 18 du traité sur les droits
voisins). Il s’agit de dispositifs anti-copie pour la
protection des moyens d’enregistrement numérique
(quantité et qualité des copies privées).
I.3 - Le droit européen
Le droit communautaire encadre les questions de
droit d’auteur depuis 1991. La directive
2001/29/CE, du 22 mai 2001, non encore
transposée en France, concerne le droit d’auteur et
les droits voisins dans la société de l’information.
Elle correspond à un durcissement des droits de la
propriété intellectuelle, de même qu’aux EtatsUnis avec le Digital Millenium Act de 1998. Elle
transpose en fait dans le droit communautaire les
accords de l’OMPI de décembre 1996 et harmonise
______________________________
(8) Aux Etats-Unis, le copyright met davantage l’accent sur la
libre circulation des idées en réduisant le droit moral à son
minimum. Toutefois, fixé initialement à 14 ans, le terme du
copyright a été étendu progressivement jusqu’à atteindre 70
ans (comme en Europe), sous l’influence des groupes de
pression (cf. la dernière réforme du 27 octobre 1999 avec le
Sony Bono Copyright Extension Act).
(9) En France, le 31 mars 2004, la Cour d'Appel de Paris a
condamné les éditions Plon pour atteinte au droit moral de
Victor Hugo. En effet, cette maison d'édition avait publié une
suite des Misérables, de François Cérésa, intitulée Cosette.
Les personnages de Javert et de Cosette étaient repris pour
vivre de nouvelles aventures... "Aucune suite ne saurait être
donnée à une œuvre telle que Les Misérables à jamais
achevée", dit la Cour dans son arrêt. En Allemagne, tous les
droits s’éteignent en même temps.
les droits de reproduction, de distribution, de
communication au public, les systèmes de gestion
des droits, ainsi que la protection juridique des
dispositifs anti-copie. Elle légalise les mesures
techniques de protection des œuvres en affirmant
les droits des titulaires à mettre en place des
dispositifs anti-copie. Leur contournement devient
passible de sanctions pénales. De plus, la directive
prévoit « la compensation équitable » pour copie
privée ; le mode de compensation lui-même reste
au choix des Etats membres. Il peut prendre la
forme, par exemple, d’une taxe sur les supports
vierges, sur les services commerciaux de copies ou
sur les appareils d’enregistrement.
La directive européenne 2004/48/CE du 29 avril
2004 relative au respect des droits de la propriété
intellectuelle harmonise les législations nationales
sur les moyens de faire respecter les droits de
propriété intellectuelle et définit un cadre
permettant les échanges d’informations entre les
autorités nationales compétentes. La transposition
de cette directive en droit français ne devrait pas
entraîner de grands bouleversements, le droit
français étant déjà bien doté en matière de lutte
contre la contrefaçon.
I.4 - Le droit français
La principale loi française concernant le droit
d’auteur (droit de la propriété littéraire et
artistique) date du 11 mars 1957. Elle a été
complétée par la loi du 3 juillet 1985 relative aux
droits d’auteur et aux droits des artistes interprètes,
des producteurs de phonogrammes et de
vidéogrammes
et
des
entreprises
de
communication audiovisuelle (ce sont les « droits
voisins » du droit d’auteur). La première loi de
1957 protège l’auteur d’une œuvre lorsque celle-ci
est originale dans sa forme d’expression. Elle
protège donc l’expression originale d’une idée et
non l’idée originale elle-même (comme le fait le
brevet).
La durée de la protection a été harmonisée par la
directive européenne du 29 octobre 1993 et portée
à 70 ans après la mort pour les auteurs et 50 ans
pour les interprètes. Une fois ces délais passés,
l’œuvre tombe dans le domaine public.
La loi pour la confiance dans l’économie
numérique du 21 juin 2004 transpose la directive
européenne 2000/31/CE de juin 2000 sur le
commerce électronique. Elle modernise les règles
du commerce électronique, durcit les sanctions
contre la cybercriminalité, renforce la protection
des cyberclients et précise la responsabilité des
hébergeurs et des fournisseurs d’accès à
Internet (FAI). La loi exclut la responsabilité
civile et pénale des hébergeurs dans deux
hypothèses (absence de connaissance des contenus
contestés et retrait de ceux-ci). D’après le Conseil
Constitutionnel, saisi à ce sujet, ces dispositions ne
sauraient avoir pour effet d'engager la
responsabilité de l'hébergeur « au seul motif qu'il
n'aurait pas retiré une information dénoncée
comme illicite par un tiers ». Pour que cette
responsabilité soit engagée, il faudra de plus que le
caractère illicite de l'information dénoncée soit
manifeste ou qu'un juge en ait ordonné le retrait.
Enfin, un projet de loi sur le droit d’auteur et les
droits voisins dans la société de l’information
transposant la directive européenne 2001/29/CE a
été présenté le 13 novembre 2003 en Conseil des
Ministres et devrait être prochainement examiné
par le Parlement. Il vise à protéger les auteurs et
créateurs contre les risques accrus de la
contrefaçon. Il consiste essentiellement en :
•
l’affirmation du délit de contrefaçon
consistant à contourner les « mesures
techniques » ou à mettre à disposition des
moyens permettant de les contourner, même si
le but commercial est limité ;
•
l’introduction des sanctions en cas de
contournement des « mesures techniques
efficaces » de protection ;
•
l’adoption des exceptions au droit d’auteur
pour copies techniques effectuées lors des
transmissions de contenus sur les réseaux
numériques et conservées dans la mémoire
« cache »(10).
Le droit français protège déjà d’un point de vue
juridique les mesures de protections techniques
(cf. conventions internationales) mais on a assisté à
quelques décisions récentes limitant le champ des
mesures auxquelles peuvent avoir recours les
titulaires des droits. En effet, le Tribunal de
grande instance de Nanterre a condamné le 2
septembre 2003 une maison de disque (EMI) à
rembourser à une consommatrice le prix d’un CD
au motif qu’il était affecté d’un vice caché, ledit
support contenant des protections anti-copie
entraînant
des
restrictions
d’utilisation
(impossibilité de lire ce CD sur certains autoradios
______________________________
(10) Il s’agit des fichiers de l'ordinateur de l'utilisateur dans
lesquels le navigateur Web emmagasine les pages, les sons, les
adresses URL, etc., afin de faciliter l’accès et le retour à
l’information.
9
ou lecteurs). Dans un jugement du 24 juin 2003, le
même tribunal avait considéré, pour des faits
identiques, que les agissements de la même maison
de disque constituaient une tromperie (au sens de
l’article L. 213-1 du Code de la consommation), la
condamnant à faire figurer au verso de l’emballage
du CD la formule suivante en caractère 2,5mm
« Attention, il ne peut être lu sur tout lecteur ou
autoradio ».
I.5 - La copie privée comme exception au
droit d’auteur et le délit de contrefaçon
Deux exceptions au droit d’auteur(11) permettent
l’utilisation de copies privées : le Code la
Propriété Intellectuelle(12) (CPI) admet la légalité
des « copies ou reproductions strictement réservées
à l’usage privé du copiste » et « les représentations
privées et gratuites effectuées exclusivement dans
un cercle de famille ».
Cette exception pour copie privée, qui empêche les
ayants droit de s’opposer à certaines exploitations
de leurs œuvres, fait l’objet d’une rémunération
forfaitaire obligatoire compensatoire, une
« licence légale ». Dans le cas de la musique, elle
couvre les exceptions pour copie privée et les
diffusions de disques par les radios, télévisions,
discothèques et lieux publics sonorisés. La licence
légale a été instituée par la loi du 3 juillet 1985 et
consiste en une taxation sur les supports vierges
prélevée au profit de tous les ayants droit
(phonogrammes
et
vidéogrammes).
Cette
redevance représente aujourd’hui environ 150
millions d’euros qui sont répartis sur la base de
______________________________
(11) En sus, comme dans le copyright anglo-saxon (« fair
use »), il existe en droit français d’autres exceptions : la
parodie, le pastiche et la caricature (compte tenu des lois du
genre) ; les actes nécessaires à l'accès au contenu d'une base
de données électronique pour les besoins et dans les limites de
l'utilisation prévue par contrat ; et, sous réserve que soient
indiqués clairement le nom de l'auteur et la source :
a) Les analyses et courtes citations justifiées par le caractère
critique,
polémique,
pédagogique,
scientifique
ou
d'information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ;
b) Les revues de presse ;
c) La diffusion, même intégrale, par la voie de presse ou de
télédiffusion, à titre d'information d'actualité, des discours
destinés au public prononcés dans les assemblées politiques,
administratives, judiciaires ou académiques, ainsi que dans les
réunions publiques d'ordre politique et les cérémonies
officielles ;
d) Les reproductions, intégrales ou partielles d’œuvres d'art
graphiques ou plastiques destinées à figurer dans le catalogue
d'une vente judiciaire effectuée en France pour les exemplaires
mis à la disposition du public avant la vente dans le seul but de
décrire les oeuvres d'art mises en vente. (Un décret en Conseil
d'Etat fixe les caractéristiques des documents et les conditions
de leur distribution.)
(12) articles L-122-5, L-211-3 et L-311-1
10
relevés de diffusion pour un panel de radios et
télévisions, et selon les déclarations de ventes et le
listing des phonogrammes les plus récemment
publiés. Les sommes perçues au titre de la copie
privée sonore sont en forte hausse ces dernières
années.
En dehors de la copie privée, l’article L-335-3 du
CPI stipule que constitue « un délit de
contrefaçon toute reproduction, représentation ou
diffusion, par quelque moyen que ce soit, d'une
œuvre de l'esprit en violation des droits de l'auteur,
tels qu'ils sont définis et réglementés par la loi ».
Les contrevenants encourent jusqu’à trois ans de
prison et 300 000 euros d’amende (voire jusqu’à 5
ans et 500 000 euros dans le cadre d’une bande
organisée).
Depuis l’arrêt du TGI de Paris(13) de 1996, il est
acquis que la diffusion sans autorisation d’une
œuvre protégée au sein d’un site web est une
contrefaçon.
S’agissant des serveurs de P2P, seul Napster a été
condamné pour piratage dans la mesure où il
s’agissait d’un véritable serveur centralisé
diffusant des fichiers protégés sans l’autorisation
des ayants-droit. En revanche, à ce jour, Kazaa n’a
jamais été reconnu coupable du délit de
contrefaçon malgré les nombreux procès intentés
par les sociétés de production. Le logiciel n’est en
effet pas exclusivement utilisé, par définition, pour
échanger des fichiers illégaux: il est conçu pour les
échanges de fichiers de quelque type que ce soit.
De plus Kazaa n’a pas les moyens techniques de
contrôler ces échanges dans la mesure où le
système est par essence, non centralisé.
S’agissant des internautes, la doctrine est devenue
jurisprudence depuis la décision du Tribunal
correctionnel de Vannes du 29 avril 2004,
condamnant six personnes à des peines de prison
avec sursis et à des amendes pour avoir échangé
entre eux des films téléchargés gratuitement sur
Internet. D’une part, le téléchargement et
l’échange de fichiers sur lesquels l’internaute ne
dispose pas d’une autorisation des auteurs et
titulaires des droits voisins sont une
contrefaçon. D’autre part, il est possible
d’identifier le contrefacteur (pirate Internet). La
notion de cercle de famille prévalant pour
l’exception au titre de la copie privée ne saurait
donc s’étendre à la communauté des « pairs ».
______________________________
(13) Ordonnance de référé n° 60.138/96 et 60.139/96 du
14 août 1996.
Enfin, pour ce qui est de la preuve du délit de
contrefaçon, la révision, le 15 juillet 2004, de la loi
de 1978 sur l’informatique et les libertés, autorise
désormais les personnes morales agissant pour la
défense des droits d’auteurs ou voisins, sous
réserve d’un contrôle au cas par cas par la CNIL
(Commission Nationale de l’Informatique et des
Libertés), à procéder à des traitements de
données à caractère personnel relatives aux
infractions, condamnation et mesures de sûreté
conservant la trace des atteintes à ces droits. Les
ayants droits ou leurs représentants pourront donc
solliciter les fournisseurs d’accès à Internet (FAI),
dans un cadre judiciaire, pour obtenir
l’identification d’un utilisateur de P2P qu’ils
auraient repéré sur un réseau ainsi que le relevé des
fichiers qu’il aura échangés(14).
II - Le P2P n’en est pas moins un
phénomène d’une ampleur inégalée
qui remet en cause non seulement
les modèles économiques des
industries culturelles mais aussi
notre conception du droit d’auteur
et des droits voisins
II.1 - L’ampleur du phénomène : quelques
faits stylisés
On estime à 250 millions(15) le nombre
d’utilisateurs du P2P dans le monde. Aux EtatsUnis, ils seraient 80 millions d’utilisateurs
occasionnels et 30 millions de réguliers(16). En
France, on compterait 8 millions d’occasionnels(17)
et 750 000 réguliers(18).
Selon l’IFPI (International Federation of
Phonographic Industry), entre 1999 et 2003, le
nombre de fichiers musicaux téléchargés
illégalement a progressé dans le monde de 2 à 150
milliards (tandis que, dans le même temps, les
ventes de disques ont chuté de 38,7 à 20 milliards
de dollars). Bien qu’Internet offre une grande
diversité de biens culturels numériques, on observe
que les téléchargements restent très concentrés sur
______________________________
(14) C’est la démarche qu’ont utilisée récemment les maisons
de disque après avoir repéré, « à la main » sur les sites de P2P,
les internautes téléchargeant illégalement une grande quantité
de fichiers protégés. Cf. III-B-1.
(15) cf. Adami
(16) cf. Nielsen
(17) cf. Credoc
(18) cf. P2PTrack
un nombre relativement réduit de fichiers.
Toutefois, ils menacent plus les profits des
producteurs que la diversité culturelle des
investissements de ces derniers(19).
Fin 2003, FastTrack/KaZaA (le plus grand réseau
de P2P) rassemblait 3,5 millions d’utilisateurs
simultanés pour 500 millions de fichiers (soit 5
Petabytes disponibles à tout moment). Le
deuxième réseau de P2P est WinMX et comptait à
cette époque 1,5 millions d’utilisateurs simultanés.
Plusieurs enquêtes ou sondages tentent de mieux
comprendre les comportements et les nouveaux
usages des internautes, en particulier en terme de
piratage ou de téléchargement. Télécharger
correspond aujourd’hui au 3ème usage d’Internet,
haut et bas débit confondus, (ou 5ème selon une
étude de Club Internet(20)), après la messagerie
électronique et la navigation sur les sites web(21).
Le P2P est beaucoup plus fréquent chez les
utilisateurs bénéficiant d’une connexion haut débit.
Les utilisateurs ont aujourd’hui tendance à moins
déclarer qu’auparavant (dans ces sondages) leur
utilisation du P2P, la peur du gendarme faisant
peut-être désormais effet (cf. la multiplication des
actions en justice). On estime que les activités de
P2P consomment plus de 50% de la bande
passante, et même plus de 80% du trafic haut débit
la nuit(22), tandis qu’elles représentent 10% des
utilisateurs. En terme d’encombrement du réseau,
le P2P correspond donc, d’une certaine manière, au
premier usage.
Pour ce qui concerne plus particulièrement le
téléchargement de films sur Internet en France,
on peut citer les deux enquêtes du CNC de mai
2004.
D’une part, l’enquête de Médiamétrie réalisée
auprès de plus de 3000 internautes français permet
d’avoir une idée plus précise de la population des
pirates de films et de leurs comportements. Seuls
4% des internautes ont déjà payé pour télécharger
un film ; en revanche 19% (15% seulement selon
les FAI) des internautes à domicile ont déjà
téléchargé gratuitement des films. Il s’échange
environ 1 million de films par jour en France
(seulement 400 000 à 600 000 dans le monde
d’après la MPAA, Motion Picture Association of
America). Les films téléchargés sont d’une grande
diversité avec cependant une nette préférence pour
______________________________
(19) Pierre-Noël Giraud: “Un spectre hante le capitalisme: la
gratuité”, CERNA, 6 mai 2004.
(20) réalisée en juillet 2004 auprès de 1000 abonnés haut débit
(21) Enquête pour Wanadoo, premier trimestre 2004
(22) Jérôme Roger, DG de la SPPF
11
les
films
récents. Le
téléchargement
a
majoritairement lieu entre la sortie en salle et la
sortie en DVD, ce qui confirme la thèse du vol des
copies en provenance des studios ou des
« screeners » (l’écran est filmé au moyen d’une
caméra digitale)(23). Le dernier mode de piratage,
plus en aval et assez aisé aujourd’hui, consiste
dans le « rippage » du DVD (contournement du
système technique anti-copie).
D’autre part, le CNC a commandé une étude
portant sur un petit groupe de téléchargeurs dans le
but de mieux comprendre leurs motivations. Il en
ressort que :
•
Le téléchargement de films est une pratique
moins répandue et plus récente que celui de
musique ; il requiert plus de connaissances
techniques et plus de temps.
•
La différenciation entre DVD et DivX
(fichier vidéo compressé) reste assez
marquée : la qualité d’image du DivX est
nettement moins bonne que le master original
(alors que la qualité des MP3 est très proche
de celle du CD), le visionnage du film piraté
s’effectue encore souvent sur l’écran
d’ordinateur, le choix des langues n’est pas
toujours possible, les bonus sont inexistants.
•
La consommation de DivX se distingue de
celle des films en DVD ou VHS par son
usage unique, immédiat, en avance sur les
sorties vidéo.
II.2 - L’impact sur le droit de la propriété
intellectuelle : une nouvelle culture de la
gratuité
Le téléchargement de fichiers culturels sur les
réseaux de P2P présente l’avantage d’offrir un
choix quasiment exhaustif à l’internaute en terme
de création artistique, sans qu’il lui soit nécessaire
de se déplacer, et pour un prix proche de zéro.
Par ailleurs, si le téléchargement de films
s’apparente beaucoup au visionnage sur VHS
(avec, souvent, une qualité d’image, voire de son,
moins bonne), le téléchargement de musique
correspond, en comparaison, à une innovation
supplémentaire puisque les internautes peuvent
télécharger tous les titres à l’unité, sans pour autant
avoir à acheter les albums entiers (le CD apparaît
comme de la vente liée depuis la quasi-disparition
des singles(24)), et se construire une audiothèque
bien plus personnalisée.
On est donc confronté à deux marchés, l’un en
ligne, l’autre en magasins, vendant presque le
même bien (à quelques nuances près), à des prix
radicalement différents : l’un est nul et l’autre de
l’ordre de 20 euros. D’un point de vue
économique, cette dichotomie pose un problème.
D’un point de vue juridique, le P2P pose la
question du droit d’auteur. Internet, et avec lui le
P2P, ont en effet fait naître une nouvelle culture,
celle du partage et de la gratuité. Le P2P
présuppose donc l’idée de la création artistique
comme bien public pur. Ceci découle directement
du fait que les fichiers culturels numériques sont
par essence non rivaux (copie parfaite) et
difficilement excluables (contrôle des flux
d’Internet impossible à ce jour ou trop coûteux). Il
faut rappeler que c’est la mise en commun d’un
savoir collectif, voire universel, qui a fait la force
d’Internet et qu’aujourd’hui, il existe un grand
nombre de contenus libres ou du domaine public
qui circulent sur les réseaux P2P. Il semblerait en
effet que les ¾ des flux de données correspondent
à un bien informationnel commun (recherche,
éducation, santé, débat démocratique…) non
protégé par le droit de la propriété intellectuelle.
Dans le secteur des industries culturelles, ceci va
pourtant totalement à l’encontre de notre
conception du droit d’auteur qui prévoit un
droit patrimonial et un droit moral inaliénables
des auteurs sur leurs œuvres. Le premier est
bafoué au moment de la mise sur le réseau de son
œuvre en l’absence de tout accord (au delà même
du problème de la rémunération). Le deuxième
l’est dans la mesure où les fichiers sont
manipulables par tout internaute et diffusable sous
une forme transformée. De plus le droit de retrait
ne peut plus s’exercer dans la mesure où il y a
autant de sources de diffusion que d’ordinateurs
connectés. L’œuvre échappe à son auteur et tombe
dans le domaine public de la toile sans contrepartie
aucune ni contrôle.
II.3 - L’impact du P2P sur l’économie
diffère selon les acteurs
Au delà de ces implications en termes juridiques,
le P2P semble avoir un véritable impact sur les
industries culturelles qu’il convient d’évaluer selon
les acteurs concernés (auteurs, producteurs,
interprètes).
______________________________
______________________________
(23) Selon la Motion Picture Association of America, 90% des
films piratés le sont au moment de la projection en salle.
12
(24) Tous les titres ne sont pas édités en single. Les singles,
proposés à un prix proportionnellement élevé, sont retirés de
la vente peu de temps après la sortie de l’album.
A. La théorie économique et les études
empiriques testent le lien entre piratage
et ventes
Selon la théorie économique, l’effet global du
piratage sur les ventes de contenu légal est
ambigu. D’une part, deux mécanismes pèsent à la
baisse sur les ventes d’album : le téléchargement
peut être vu comme un substitut à l’achat
d’originaux ou même de copies légales, et son coût
marginal minime réduit le consentement à payer
des utilisateurs. D’autre part, d’autres mécanismes
tendent à stimuler les ventes : le piratage peut être
considéré comme un moyen de diffusion et
d’exposition des œuvres culturelles (il aide à leur
découverte par le consommateur qui peut ensuite
prendre la décision d’acheter) ; il stimule la
consommation de biens culturels ; les externalités
de réseau qu’il génère conduisent à augmenter
l’utilité du partage de tels biens ; la concurrence
qu’il exerce sur le marché de la musique conduit à
moyen terme à une baisse du prix qui permet à des
consommateurs dont le consentement à payer était
trop faible de l’acheter et donc à une augmentation
de la demande. D’un point de vue qualitatif, on
peut toutefois s’attendre à ce que l’effet négatif
du téléchargement qui passe par l’effet de
substitution l’emporte sur l’effet positif
d’apprentissage. La substitution n’est pour autant
pas parfaite puisque les utilisateurs du P2P
continuent à acheter des albums.
Une étude récente(25) cherche à tester l’existence
d’un effet global du piratage sur les ventes
d’albums. Les auteurs étudient les ventes d’album
hebdomadaires et le P2P sur le territoire américain
entre septembre et décembre 2002. Ils ont observé
sur 17 semaines d’une part le réseau OpenNap qui
regroupe 25 000 utilisateurs (qui sont pour la
plupart également connectés à KaZaA) pour 10
millions de fichiers (essentiellement musicaux),
d’autre part les ventes (environ 100 millions
d’albums) de 680 albums (nouveautés, catalogue,
tous styles musicaux confondus, soit un tiers des
albums achetés) dans des points de vente aux
Etats-Unis (magasins traditionnels et boutiques en
ligne).
Ils observent que les téléchargements sont très
concentrés sur un nombre réduit d’artistes et
dénombrent 70 téléchargements par album en
moyenne pour une médiane de 6 seulement. Les
téléchargements sont plus concentrés sur quelques
______________________________
(25) Il s’agit de l’article de Oberholzer et Strumpf de mars
2004 pour la Harvard Business School & l’UNC Chapel Hill
intitulé « The effect of file sharing on record sales : an
empirical analysis ».
titres que les ventes d’album. Et, comme pour les
ventes, il existe une prime à la nouveauté : les
albums sortis le plus récemment sont les plus
achetés et les plus téléchargés. Leurs conclusions
économétriques sont que le P2P a un effet limité
sur les ventes de disques. En fait, en moyenne, le
P2P n’a pas d’effet (statistiquement) significatif
sur les ventes d’album. On peut à la limite
identifier(26) un effet positif du P2P sur les ventes
d’album à succès et un effet négatif pour les
albums moins populaires. Dans le cadre d’une
interprétation large et pessimiste des résultats, il
faudrait 5000 téléchargements pour réduire d’une
unité les ventes d’un album d’un artiste peu
reconnu. On pourrait alors extrapoler ce résultat à
des pertes de l’ordre de quelques millions sur une
année alors que les ventes ont chuté de 140
millions entre 2000 et 2002 aux Etats-Unis(27).
D'autres études, plus nombreuses, tendent à
prouver, au contraire qu’il existe bel et bien un
effet négatif du P2P sur les ventes. Hui et Png
(2003)(28) mettent en évidence un lien négatif entre
le piratage traditionnel, « off-line », (i.e. copies
physiques illégales et non piratage en ligne) et les
ventes de CD (leur étude porte sur la période 19941998 pour 28 pays). Les pertes en terme de ventes
de disques seraient de 0,1 unité par tête, soit 42%
de moins que les chiffres avancés par l’IFPI.
De même, les estimations de Peitz et
Waelbroeck(29) portent sur les téléchargements de
musique dans 16 pays sur 2000-2001 ; ils trouvent
que les téléchargements ont un effet
significativement négatif sur les ventes
d’albums. Ainsi, 11% de la chute des ventes
mondiales
s’expliqueraient
par
les
téléchargements. Les auteurs évoquent pour finir
une autre cause de la baisse des ventes d’albums de
musique de ces dernières années (sans pour autant
la tester d’un point de vue économétrique) tenant à
Internet : ils voient dans celui-ci un nouveau loisir
(messagerie, radio en ligne, jeux, recherche
d’informations, etc.) qui se substitue aux anciennes
formes (cinéma, musique…), en terme de temps
passé et de budget consacré aux biens culturels et
loisirs. Il n’en reste pas moins que ce sont surtout
les ventes d’albums qui pâtissent de cet effet de
______________________________
(26) En évaluant séparément l’effet du caractère « populaire »
ou non d’un album sur le nombre de téléchargements.
(27) Le marché américain correspond à 803 millions d’albums
vendus en 2002.
(28) Piracy and the legitimate demand for recorded music,
Contributions to Economic Analysis & Policy, Vol 2, N°1
(29) “The effect of internet piracy on CD sales, cross section
evidence”. CESifo Working Paper n°1122, janvier 2004.
Leurs sources proviennent de Ipsos Reid.
13
substitution et non la fréquentation des salles de
cinéma, des concerts ou le temps passé à regarder
la télévision…
Liebowitz (2003)(30) teste l’impact du piratage en
ligne sur les ventes de disques à travers l’étude de
la série longue des ventes américaines de 1972 à
2002. Son travail consiste à étudier les ventes
américaines(31) d’albums sur une longue période et
à approfondir l’étude sur les dernières années afin
de voir si les déterminants des évolutions passées
peuvent aussi expliquer les récentes baisses, dans
l’hypothèse où les mécanismes à l’œuvre hier sont
encore valables aujourd’hui. Il prouve que seul un
autre phénomène, nouveau, peut expliquer ces
dernières, phénomène qu’il identifie au
développement du P2P. Les déterminants des
ventes annuelles d’albums identifiés par Liebowitz
sont :
•
•
Le prix : le niveau des prix en terme réel est
resté largement invariant sur la période,
malgré la récente hausse, ce qui ne permet pas
de tester l’élasticité de la demande au prix.
Le revenu (la consommation de musique est
considérée comme un bien normal) : la légère
inflexion des dernières années ne peut en
aucun cas expliquer la chute observée des
ventes d’albums.
•
Les changements de format d’enregistrement
(vinyles, cassettes, CD…) et l’apparition
d’appareils permettant d’enregistrer sur des
supports vierges. Il est remarquable que
l’apparition des magnétophones enregistreurs
n’a pas coïncidé avec une baisse mais avec
une hausse des ventes d’albums. Il semble
donc qu’à ce moment-là, la possibilité de
copier a permis d’atteindre de nouveaux
consommateurs et donc d’augmenter les
ventes.
•
La portabilité de la musique (i.e.
développement des usages itinérants avec
baladeurs) : cela a permis d’augmenter
nombre d’heures passées à écouter de
le
les
le
la
______________________________
(30) “Will MP3 downloads annihilate the record industry ?
The evidence so far”. In Advances in the study of
entrepreneurship, innovation, and economic growth (JAI
press).
(31) Il est à noter que les données en volume diffèrent
substantiellement des données en valeur car les prix ont plutôt
eu tendance à augmenter ces dernières années. Une analyse en
terme de volume apparaîtra donc comme plus alarmiste ; c’est
souvent celle choisie par les industriels.
14
musique et donc de stimuler la demande,
d’autant plus que les autoradios n’acceptaient
que les cassettes alors que les foyers
s’équipaient en CD. La récente inflexion à la
baisse (légère) du taux de pénétration des
équipements portables ne peut expliquer la
chute des ventes.
•
La qualité de l’innovation musicale (difficile à
observer et à mesurer) ; elle est approchée par
les recettes des concerts. Ces dernières ont
augmentées en 2000 et 2001 ce qui ne va pas
dans le sens d’une baisse des ventes.
•
Les prix des substituts ou des compléments à
la consommation de musique (télévision,
cinéma, radio…) : Liebowitz observe une
corrélation positive entre les revenus de ces
industries sur la période 1972-1999, ce qui ne
lui permet pas de conclure à une
substituabilité entre DVD et CD.
Selon Liebowitz, un certain nombre d’évolutions
récentes vont plutôt dans le sens d’une baisse des
ventes mais ne peuvent suffire à expliquer leur
forte chute. L’ampleur du phénomène de P2P
(initié en 1999) pourrait ainsi permettre
d’expliquer en partie cette chute des ventes.
Liebowitz écarte cependant deux phénomènes
importants. D’une part, le DVD s’est surtout
développé
très
récemment
et
entame
nécessairement le budget des ménages, de manière
significative à présent. D’autre part, les formats
d’enregistrement ont évolué à un rythme soutenu
sur les trente années de son étude alors que depuis
quelques années, le CD ne semble pas trouver de
successeur (le DVD musical, bien qu’en forte
progression, occupe une place encore marginale
sur le marché et ne constitue pas un véritable
substitut au CD), ce qui explique aussi
probablement le manque de dynamisme de la
filière musicale. Le MP3, qui constitue un substitut
plus proche que le DVD, prend en quelque sorte la
suite du CD, mais sur les réseaux P2P qui
échappent à l’industrie musicale.
Il semble, pour Liebowitz, que le taux de
substituabilité entre MP3 et CD soit de 5 ou 6
pour 1. D’après lui, l’impact dû aux MP3 pourra
s’accentuer avec le développement de l’Internet à
haut débit et du taux de pénétration des graveurs de
CD (nécessaires pour le confort et les usages
itinérants). A l’opposé, les forces de rappel
semblent plus minces : pression sociale qui
pourrait jouer un rôle si l’opinion publique juge le
P2P comme un acte illégal répréhensible,
campagnes de communication et poursuites
judiciaires des industriels.
Citons pour finir la toute récente étude de
Zentner(32) qui estime l’effet causé par le partage de
fichiers en ligne sur les ventes de musique. Il
utilise 15 000 données individuelles, tirées d’un
sondage d’octobre 2001 pour 6 pays européens. Il
résulte de cette étude économétrique que le P2P
pourrait réduire la probabilité d’acheter de la
musique de 30% : un consommateur d’albums qui
devient utilisateur de P2P achètera 30% de moins
d’albums qu’avant. Au niveau global, compte tenu
de la diffusion de l’usage du P2P, il en résulterait
une réduction des ventes d’albums de 7,8%. En
outre, l’auteur souligne le fait que la musique
téléchargée peut ensuite être partagée avec des
consommateurs n’utilisant pas le P2P, ce qui
signifie que ce chiffre est potentiellement sousestimé ; à cela s’ajoute le fait qu’il s’agit d’un
sondage déclaratif, d’où une source de biais
supplémentaire dans la mesure où le P2P est
illégal. La distinction entre utilisateurs de P2P
équipés d’un haut débit ou d’un bas débit
conduit à révéler un effet encore plus important
pour le premier groupe.
B. On observe en effet d’importantes
baisses, qui touchent davantage les
producteurs que les auteurs (et moins
encore les interprètes)
Les ventes de disques en France ont chuté de
14,6% en 2003(33). Dans le même temps, 4 titres
sur 5 téléchargés sur Internet l’étaient illégalement.
Les industriels de la musique, et maintenant
ceux du cinéma, jugent le piratage sur Internet
responsable des baisses de ventes récentes
(avérées dans l’industrie musicale, esquissées pour
le cinéma avec le ralentissement des ventes de
DVD). Les deux phénomènes de développement
du P2P et d’effondrement généralisé du marché du
disque coïncident presque parfaitement, ce qui
motive l’hypothèse de causalité sans pour autant la
démontrer.
______________________________
______________________________
(32) “Measuring the effect of music downloads on music
purchases”. Working paper, University of Chicago, avril
2004.
(33) Elles représentent un chiffre d’affaires de 1,112 Mds
euros.
15
Les FAI sont souvent accusés par les producteurs
d’encourager le P2P car le téléchargement (illégal
et gratuit) peut constituer un argument de vente,
surtout pour le haut débit, comme cherche à le
montrer le graphique ci-dessus.
Les différents acteurs de la filière musicale ne
seraient pas tous touchés de manière identique,
dans la mesure où les recettes tirées de
l’exploitation du droit de la propriété intellectuelle
sont réparties différemment entre auteurscompositeurs, producteurs et artistes-interprètes.
Selon les producteurs (notamment le SNEP), le
risque du P2P est un déclin des industries
culturelles (ce qui n’est pas encore le cas
aujourd’hui), entraînant des pertes d’emplois, déjà
observées en France notamment, une réduction de
l’investissement dans les productions les plus
risquées et donc une moins grande diversité
culturelle. Il faudrait ainsi préserver les profits des
producteurs pour leur permettre de financer de
nouvelles créations. En pratique, on observe
aujourd’hui une grande concentration des dépenses
marketing sur quelques vedettes et une autoproduction de certains artistes notamment grâce
aux nouvelles technologies numériques de
production et de diffusion. Au surplus, on pourrait
considérer que le P2P, en écrémant les rentes des
producteurs en particulier sur les titres les plus
téléchargés, réduit le taux de rendement des
investissements sur les vedettes, diminuant
l’incitation à investir en marketing sur elles et
facilitant la découverte de nouveaux artistes.
16
Les industriels fondent leur argument sur l’idée
que le téléchargement constitue un substitut à
l’achat d’albums ou de DVD/VHS. Pourtant, selon
l’enquête du CNC, plus de 65% des utilisateurs du
P2P déclarent acheter des DVD et des VHS et aller
au cinéma autant, voire davantage, depuis qu’ils
pratiquent le téléchargement de films sur Internet.
Certains parlent même du téléchargement comme
substitut au ticket de cinéma ce qui est tout à fait
discutable, dans la mesure où les concerts pour la
musique, ou les projections en salle pour le
cinéma, n’apportent pas le même service que des
fichiers numériques. Cependant, pour le cinéma,
les recettes de l’industrie sont en grande partie
tirées de la vente de vidéos (1,2 Md euros en 2003,
pour 1 Md par les entrées en salle, 770 Mns par la
télévision, 240 Mns par les revenus de
l’étranger)(34). Il en résulte effectivement que les
téléchargements
massifs
réduiraient
significativement les revenus des producteurs via
les ventes de VHS et DVD. La MPAA estime ainsi
les pertes liées au P2P à 3,5 Mds USD par an.
Pour ce qui concerne l’industrie musicale, les
rémunérations(35) varient beaucoup d’un acteur à
l’autre : les auteurs-compositeurs ne perçoivent pas
les mêmes rémunérations que les producteurs ou
les artistes-interprètes. Le tableau suivant(36)
résume les montants perçus par ces trois catégories
d’acteurs pour l’année 2002 :
______________________________
(34) Source : CNC
(35) cf. annexe sur la structure du marché des droits en France.
(36) Source : Etude de Tariq Krim pour l’ADAMI, juin 2004.
Source
Montants (en millions d’euros)
AuteursProducteurs Artistescompositeurs
interprètes
Cinéma
11,8
Télévision
181,6
Radio
38,7
26(38)
26(39)
Vente de supports
119,4
< 1302
?(40) >0
Copie privée
39
17,6
41
Spectacles vivants
(concerts…)
105,6
Lieux publics sonorisés
79,8
Audiotel, bornes d’écoute,
édition en ligne,
vidéomusiques
2,8(37)
25,4
Droits reversés par
l’étranger
96,5
Total
672,4
< 1371
> 69,8
NB : Certaines données manquent pour des raisons de confidentialité (par exemple le montant des rémunérations
perçues par les producteurs-éditeurs via la SACEM).
On constate donc que la vente de supports
représente l’essentiel des revenus des
producteurs mais qu’elle ne constitue que
18% des revenus des auteurs-compositeurs.
Outre leurs revenus issus des ventes d’albums,
les
artistes-interprètes
sont
largement
rémunérés par la licence légale (copie privée et
diffusion radio et lieux publics). L’impact du
P2P, s’il consiste majoritairement en une
baisse des volumes de vente de supports, sera
donc surtout sensible sur le revenu des
producteurs, un peu moins pour les auteurs et
pour les interprètes.
Au niveau de l’industrie, si les producteurs
sont les plus touchés, ce seront peut-être les
dépenses de marketing qui représentent autour
de 20% du prix du CD aujourd’hui et qui
semblent constituer une barrière à l’entrée,
inefficace d’un point de vue économique,
qu’Internet réduira. On peut imaginer que
seuls les producteurs les plus efficaces
demeureront en tendant probablement à
exercer une activité proche de la labellisation.
______________________________
(37) Et autres accords conventionnels
III - Dans ces conditions, comment
rémunérer les artistes ? Avantages
et inconvénients, techniques et
économiques, des solutions envisageables
Dans l’hypothèse probable (vu ce qu’on observe
aujourd’hui aux Etats-Unis et en Europe) où
l’usage des réseaux de P2P venait à perdurer, voire
à se développer, et où les effets sur les revenus des
industries culturelles venaient à entamer
véritablement les ressources de la création, des
solutions pourraient être envisagées afin de
remonter à la source du problème et tenter de
trouver un moyen de rémunérer la création
artistique malgré la nouvelle nature des biens
culturels, du fait de leur numérisation (non rivaux,
difficilement excluables).
______________________________
(38) Vaut pour toutes les rémunérations « équitables »
provenant des radios, télés, discothèques, etc.
(39) Idem.
(40) Outre la part réservée aux auteurs (fixée par la SACEM
au minimum de 9%), 1302 Mns d’euros de revenus des ventes
de supports sont partagés entre producteurs et interprètes,
selon les contrats, très variables, établis avec les producteurs.
Ces derniers en perçoivent la part principale puisque le
produits de ces ventes doit couvrir un ensemble de frais à leur
charge (distribution, enregistrement, gravage…).
17
III.1 - Laisser se développer le P2P et
considérer les biens culturels en ligne
comme des biens publics
Pour beaucoup, les solutions qui consistent à
s’opposer aux libertés nouvelles et aux gains
d’efficacité qu’offre la technique, sont des contresens et sont vouées à être inefficaces car
rapidement détournées par les internautes. Par
construction, Internet est un lieu d’échange et de
mise en partage ; le haut débit a pour vocation de
faciliter encore davantage cet usage et notamment
de véhiculer de la vidéo, ce qui induira
probablement des téléchargements de films de plus
en plus fréquents. Le laisser-faire impliquerait
toutefois la remise à plat du droit de la propriété
intellectuelle. Dans la mesure où les réseaux de
P2P tendent à faire des biens culturels en ligne
des biens de consommation gratuits, accessibles
à tous, non rivaux, considérer ces biens comme
des biens publics conduit en effet les régulateurs à
revoir intégralement le droit de la propriété
intellectuelle. Dans ce schéma, il s’agit de trouver
un moyen de financer l’industrie culturelle qui
perdrait sans doute une source importante de ses
revenus. Soit les industries culturelles parviennent
à se financer par l’exploitation de « l’amont et
du latéral »(41) des fichiers numériques : spectacles
vivants, concerts et projections en salle, produits
dérivés, exploitation médiatique, etc. Il est
remarquable que le chiffre d’affaires français des
tournées est déjà en très forte progression depuis
quelques années (+155% en 4 ans en terme de
droits perçus par la SACEM) grâce à la
construction des nouvelles salles (Zéniths), au
développement de nombreux nouveaux points de
vente de billets et au nombre grandissant d’artistes.
Soit l’Etat prend à sa charge la production des
biens. Il dispose alors des outils classiques :
subvention, taxation…
Dans ces conditions, les réseaux de P2P
continueraient à se développer largement. Le droit
d’auteur serait revu à la baisse voire à néant ce
qui pose un véritable problème, non pas seulement
d’incitation économique, si l’on considère que les
auteurs créent sous l’effet d’autres motivations et
disposent parfois d’autres sources de revenus, mais
juridique, sinon philosophique, puisque seraient
remis en cause des droits de propriété largement
reconnus dans le monde et vieux de plus de deux
siècles.
______________________________
(40) Pierre-Noël Giraud: “Un spectre hante le capitalisme: la
gratuité”, CERNA, 6 mai 2004.
18
III.2 - Disparition du P2P illégal et
développement d’une offre légale en ligne
Internet a permis le développement des réseaux de
P2P illégaux mais on peut imaginer que des
échanges légaux de fichiers pourraient tirer profit
des nouvelles technologies offertes dans le respect
des ayants-droit. De nombreux acteurs de la filière
(les producteurs) ainsi que la plupart des Etats ont
donc pour objectif affiché de faire disparaître les
réseaux P2P illégaux, ou au moins de le
marginaliser, (puisque avec le P2P, chaque
ordinateur devient une « audiothèque » universelle
en puissance) et de développer l’offre légale en
ligne. Ces plates-formes légales permettraient à la
fois aux usagers de continuer à télécharger des
biens culturels en ligne avec tous les avantages que
cela confère, tout en rémunérant les acteurs de la
filière au titre de la création artistique.
A. Supprimer les réseaux P2P illégaux : les
difficultés techniques sont grandes bien
que le droit actuel l’autorise
Empêcher les échanges sur les réseaux P2P n’est
pas chose aisée, tant d’un point de vue technique
que stratégique : il s’agit avant tout de traquer les
internautes qui téléchargent des fichiers culturels,
alors même que ce sont aussi des consommateurs
légaux dans le plus grand nombre de cas.
Le droit actuel donne raison aux producteurs
qui poursuivent les internautes ayant mis à
disposition, transmis ou seulement téléchargé des
fichiers protégés pour piratage. Il est cependant
encore difficile de les identifier (nécessité d’une
décision de justice pour saisir le FAI et obtenir
l’identité de l’internaute). Cela n’empêchera
toutefois pas de nouveaux systèmes de P2P de se
développer, comme c’est le cas actuellement avec
des logiciels comme FolderShare, Mute ou Waste
qui permettent de créer des réseaux plus restreints
et plus discrets. De plus, il peut sembler délicat de
poursuivre en justice le public même des artistes.
Les associations de producteurs américains ont été
les premiers à engager des actions de répression,
notamment la RIAA (Recording Industry
Association of America) avec plus de 2000
poursuites, essentiellement contre les utilisateurs
de KaZaA, DirectConnect, WinMX, Emule et
iMesh. 437 cas ont finalement été réglés à
l’amiable, contre le versement de 3000 USD. Le 20
avril 2004, la RIAA a mis fin à son programme
d’amnistie qui protégeait des poursuites les
internautes acceptant de supprimer les fichiers
illégaux et d’inscrire leurs noms dans une base de
données. A la suite de la RIAA, la MPAA a lancé
et poursuivre leurs efforts pour lutter contre le
piratage, en incluant des clauses de résiliation
ou
suspension
dans
leur
contrat
(43)
d’abonnement .
une campagne de communication destinée à lutter
contre le piratage des films sur Internet et engagé
des centaines de poursuites en novembre 2004
contre des pirates de films encore à l’affiche. Elle a
également engagé une société technologique pour
traquer les adresses IP des internautes pirates de
manière systématique, mais ces derniers
commencent déjà à délocaliser leur machine dans
des pays n’ayant pas conclu d’accords légaux avec
les Etats-Unis.
•
Les ayants-droit s’engagent à mener des
actions civiles et pénales ciblées à l’encontre
d’utilisateurs de P2P, et à faciliter la création
de plates-formes légales.
•
En France, le SNEP a engagé une campagne
d’information début mai 2004 (avec la SACEM
notamment) pour rappeler aux internautes qui
pratiquent l'échange de musique sur Internet qu'ils
doivent cesser de le faire, sous peine de risquer
dans les semaines et les mois à venir des poursuites
judiciaires : il a finalement déposé 25 plaintes au
pénal depuis juin 2004 tandis que les maisons de
disques en ont déposé 25 au civil en demandant la
suspension de l’accès ou la résiliation de
l’abonnement des pirates.
Les producteurs et les plates-formes de
distribution de musique en ligne s’engagent à
développer l‘offre légale (catalogue, tarifs,
promotion, publicité) afin de proposer
600 000 titres en ligne d’ici la fin 2004 au lieu
des 300 000 actuels.
•
Enfin l’ensemble des acteurs signataires et des
pouvoirs publics représentés par les trois
ministres (Economie, Culture, Industrie),
s’engagent à étudier la mise en place
d’instruments de mesures de la contrefaçon et
de catalogues en ligne, organiser des
campagnes de sensibilisation des jeunes,
poursuivre l’action menée à Bruxelles pour la
baisse de la TVA sur le disque (et les services
de distribution en ligne d’enregistrements et
œuvres protégés), étudier avec les platesformes de distribution les modalités de
distribution et de facturation, développer la
compatibilité des formats numériques de
fichiers musicaux protégés...
Le gouvernement français a lancé un plan de lutte
contre la piraterie à l’initiative du ministre de la
culture et de la communication en mai 2004. Il
s’agit de « faire évoluer les mentalités, sensibiliser
les élèves des collèges et lycées ». En parallèle, le
ministre délégué au commerce extérieur a présenté
le 15 juin 2004 son plan d’action international de
lutte contre la piraterie audiovisuelle et musicale
qui vise à promouvoir la diversité culturelle,
échanger les bonnes pratiques de lutte avec la
MPAA, engager des démarches de coopération
avec les autorités chinoises et russes (surtout au
sujet de la piraterie industrielle)…
Récemment, le gouvernement a pris l’initiative de
réunir les fournisseurs d’accès à Internet et les
professionnels de la musique pour trouver une
solution au problème du piratage et du
contournement des droits de la propriété
intellectuelle. Il en a résulté la signature, le 28
juillet 2004, d’une charte d’engagements « pour
le développement de l’offre légale de musique
en ligne et le respect des droits de la propriété
intellectuelle ».
•
Elle engage les FAI à communiquer auprès de
leurs abonnés pour les informer du caractère
illicite du piratage, avertir les contrevenants
individuellement dans le respect de la loi
informatique et liberté,, mettre en œuvre
rapidement les décisions de justice
(identification, suspension ou résiliation
d’abonnement(42)) en coopération avec les
ayants droit, ne référencer que les offres
légales de musique en ligne sur leurs portails
De plus, d’ici la fin 2004, des expérimentations
pour filtrer et bloquer l’accès aux réseaux de
P2P, dans le cas exclusif d’une demande des
abonnés eux-mêmes, vont être menées par deux
experts, suite à une commande du gouvernement et
à l’étude réalisée par CapGemini pour le SNEP(44).
Le but serait qu’à terme, les FAI proposent et
assurent le fonctionnement de ce filtrage auprès
des internautes qui le désireraient, car ce n’est
envisageable que sur une base volontaire, étant
donné que le P2P est légal pour les fichiers non
protégés.
______________________________
(42) La loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie
numérique prévoit en effet que les FAI pourront mettre un
terme, sur décision de justice et après des avertissements
individuels, aux abonnements des internautes se livrant aux
téléchargements illicites.
(43) qui ne pourraient toutefois être envisageables qu’à
l’initiative de l’abonné lui-même (cf. les limites de la loi sur
l’informatique et les libertés de 1978 révisée le 15 juillet
2004).
(44) qui évoquait la possibilité de mettre en œuvre de tels
filtres.
19
Il est notable que les associations de consommateurs n’ont pas signé la charte(45). Il en va de
même pour les associations d’artistes-interprètes.
Les résultats de telles campagnes sont mitigés :
la campagne américaine de communication et de
poursuites contre les pirates de musique semble
avoir effectivement eu un impact sur le piratage(46).
Un tiers des anciens téléchargeurs de musique
déclarent avoir réduit leur activité à cause des
poursuites légales de la RIAA contre des
utilisateurs. De plus, 60% des internautes n’ayant
encore jamais téléchargé de fichier déclarent que
ces poursuites les découragent de passer à l’action.
Ainsi, selon l’IFPI,
les campagnes de
communication dénonçant le piratage associées
aux poursuites légales auraient fait baisser le
nombre de fichiers musicaux illégaux disponibles
sur les services P2P qui serait passé de 1 milliard
en avril 2003 à 800 millions en janvier 2004.
Mais le nombre d’Américains téléchargeurs (ou
partageant des fichiers) a augmenté de 18 millions
en décembre 2003 à 23 millions en février 2004.
Pour l’instant, la majorité des internautes
paraissent ne pas avoir conscience du problème des
droits d’auteur puisque 58% des pirates de
musique se disent indifférents entre des fichiers
protégés ou non. Il ressort de l’enquête du CNC
que les pirates français sont dans le même état
d’esprit.
Outres les poursuites légales, les systèmes
technologiques de gestion numérique des droits
(digital rights management systems ou DRM)
permettent l’exploitation et l’utilisation d’œuvres
sous forme numérique dans des conditions propres
à assurer le respect des droits de propriété littéraire
et artistique. La directive 2001/29/CE reconnaît en
effet que les développements technologiques
faciliteront la distribution du contenu protégé,
______________________________
(45) Les signataires sont, outre les trois ministres, le Syndicat
National de l’Edition Phonographique (SNEP), l’Union des
Producteurs Phonographiques Français Indépendants (UPFI),
la Société Civile des Producteurs Phonographiques (SCPP), la
Société Civile des Producteurs de Phonogramme en France
(SPPF), la Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de
Musique (SACEM), la Chambre Syndicale des Editeurs de
Musique (CSDEM), la Chambre syndicale des Editeurs de
Musique de France (CEMF), l’Union Nationale des Auteurs et
Compositeurs (UNAC), le Syndicat Nationale des Auteurs et
Compositeurs (SNAC), la Société des Editeurs et des Auteurs
de Musique (SEAM), le Syndicat des Détaillants Spécialisés
du Disque (SDSD), la Fédération des Entreprises de Vente à
Distance (FEVAD), Tiscali, Club Internet et l’Association des
Fournisseurs d’Accès (AFA), Wanadoo, Noos, Free, SFRCegetel, l’Agence pour la Protection des Programmes.
(46) Source : Pew Internet Project (sondage effectué sur 1371
internautes entre février et mars 2004)
20
notamment sur les réseaux, et elle autorise
l’utilisation de ces DRM. Une communication a
d’ailleurs récemment été publiée par la
Commission européenne (19 avril 2004) au sujet
du piratage et des armes légales pour le contrer.
Elle affirme que les systèmes DRM jouent un rôle
crucial pour le développement de nouveaux
modèles commerciaux de volume important et de
faible valeur transactionnelle. Les systèmes de
DRM devraient permettent de développer de
nouveaux usages et de nouveaux services tels que
ceux révélés par le P2P.
Cependant, comme c'est le cas pour tous les
systèmes et techniques de protection, des doutes
sur la viabilité de la technologie disponible
demeurent et ont pu décourager l'utilisation de
systèmes DRM : le risque que les DRM soient
contournés ne peut être complètement éliminé.
Par ailleurs, la Commission reconnaît aussi que les
différences entre les mesures techniques pourraient
entraîner une incompatibilité des systèmes au sein
de l’Union. L’émergence des DRM nécessite donc
au préalable leur interopérabilité ainsi que leur
acceptation par l’ensemble des parties prenantes, y
compris les consommateurs. Enfin, la décision
quant au choix du système de gestion des droits
devrait en principe être laissée à l'appréciation des
parties intéressées et du marché et, le cas échéant,
être basée sur la politique du droit d'auteur. La
difficulté de la mise en œuvre de systèmes DRM
provient de la nécessité de crypter (ou verrouiller)
l’intégralité du stock de biens culturels déjà en
circulation…
L’enjeu est en effet de taille : on voit mal comment
récupérer les copies illégales pour les soumettre à
un verrou technologique. Pour la musique, ce
problème est capital ; en revanche pour le cinéma,
puisque les films piratés sont surtout des films
récents, les DRM pourraient s’avérer suffisants.
Pour le moment, le marché des DRM représente
200 Mns USD soit 1,6% du marché physique(47) ; il
n’y a pas de standards, pas de marché de masse,
pas d’adoption rapide et pas de revenus importants.
En comparaison, certains estiment à 3,5 Mds
d’euros(48) le marché des sonneries téléchargeables
qui est en pleine croissance.
Ces mesures techniques de gestion des droits
numériques, utilisées pour décourager les
téléchargements, sont complexes, nombreuses et
encore à inventer.
______________________________
(47) Source : Forrester
(48) Source : Universal Music Group, qui déclare un chiffre
d’affaires de 30 Mns d’euros pour cette activité en 2003.
Les producteurs ont par exemple inondé les
réseaux P2P de fichiers « leurres » qui
ressemblent en tout point à des MP3 usuels mais
qui n’offrent que quelques secondes de musique
audible. Ces fichiers leurres sont désormais vite
repérés par les logiciels de P2P.
De même, des CD et DVD ont été équipés de
systèmes anti-copie empêchant le transfert sur
disque dur mais ils ont rapidement été contournés
pour la plupart.
Le « contrôle d’accès » peut constituer une autre
forme de réponse en protégeant et contrôlant les
contenants, et non les contenus, et en ne délivrant
les informations ou programmes qu’aux abonnés
ayant payé pour les droits. Il repose sur une très
forte contrainte de terminaux finals totalement
fermés, afin qu’une diffusion numérique ne puisse
pas être initiée par le consommateur individuel en
bout de chaîne, ce qui permettrait un piratage par la
suite. Dès lors qu’il est cassé (cf. le cas du premier
décodeur Canal+), le piratage peut être massif. Il
requiert donc des investissements lourds en
équipement.
Le filtrage des flux paraît être une solution idéale
pour limiter les flux aux seuls contenus licites mais
techniquement, sa mise en œuvre n’est pas encore
au point, et pourrait même ne jamais l’être. Cela
requiert en effet une coordination et une
coopération internationales pour limiter la mise sur
Internet de fichiers sans l’autorisation des ayantsdroit. La difficulté provient de l’étendue du réseau
Internet qui permet à tout internaute de télécharger
un fichier mis à disposition à l’autre bout du
monde. Selon une étude de CapGemini réalisée en
juillet 2004 pour le compte du SNEP, pour plus de
80% de abonnés haut débit, le coût matériel de
mise en œuvre d’une solution de filtrage est évalué
à 2,82 euros hors taxes par abonné pour un filtrage
définitif.
La technique de « watermarking » (tatouage
électronique) pourrait aussi permettre de résoudre
en partie la question du piratage dans la mesure où
elle permet d’identifier (traçabilité) le pirate. Elle
pourrait donc être utile au niveau de la répression
et jouer le rôle de garde-fou en responsabilisant le
pirate qui ne pourrait plus agir dans l’anonymat.
Toutefois, elle est pour le moment très coûteuse et
les industriels ne semblent pas en mesure d’équiper
l’intégralité de la production (cinématographique
notamment) d’un tel tatouage électronique.
B. L’offre légale a du mal à se développer,
surtout en Europe du fait de la diversité
des systèmes de gestion des droits
L’offre légale se développe timidement. Elle
constitue une bonne réponse au P2P illégal, selon
les producteurs et les gouvernements, dans la
mesure où elle respecte le droit de la propriété
intellectuelle et permet une rémunération de la
filière culturelle par le paiement des
téléchargements. Elle présuppose une véritable
différenciation par la qualité de service (diversité
de l’offre, facilité d’usage, sécurité juridique…)
avec les réseaux de P2P illégaux car, dans le cas
contraire, les réseaux gratuits resteraient plus
intéressants.
La plate-forme iTunes d’Apple est actuellement la
première
plate-forme
électronique
de
téléchargement payant et légal de musique avec
100 millions de titres téléchargés en un an. Elle est
désormais disponible, outre aux Etats-Unis, en
France, au Royaume-Uni, en Allemagne, en
Autriche, en Belgique, en Espagne, en Italie, en
Finlande, en Grèce, au Luxembourg, aux Pays-Bas
et au Portugal. Les fichiers sont protégés par le
système d’Apple « FairPlay » qui permet une
écoute libre exclusivement sur l’appareil iPod(49)
d’Apple (ou sur celui d’HP) mais empêche toute
diffusion sur les réseaux de P2P. Pour la plateforme dédiée à la France, le prix d’un titre à l’unité
est en dessous du prix d’un single (0,99 euro contre
environ 5 euros en magasin) ; de même, le prix
d’un album est plus faible sur la plate-forme en
ligne (9,99 euros) que dans un magasin classique
(autour de 17 euros pour les nouveautés)(50). iTunes
propose 700 000 titres issus des catalogues des 4
« majors » (Universal Music, Sony-BMG, EMI et
Warner Music) et de quelque 300 labels
indépendants. Parmi les autres plates-formes en
place aujourd’hui on peut citer OD2 (1 million de
titres échangés pour le premier trimestre 2004 sur
l’Europe), Napster(51) (5 millions de titres échangés
______________________________
(49) Il semble qu’Apple ne fasse que très peu de bénéfices sur
les ventes de titres mais qu’elle tire massivement profit des
ventes de ses baladeurs iPod.
(50) Les autres plates-formes électroniques n’ont pas toutes
une stratégie tarifaire aussi simple et même si le titre à l’unité
est toujours moins cher en ligne qu’un single en magasin
(souvent dans un rapport de 1 à 5), certains albums à
télécharger en ligne s’achètent in fine au même prix, voire plus
cher, qu’en magasin.
(51) Désormais plate-forme légale payante
21
depuis octobre 2003), RealPlayer Music Store (de
RealNetworks) lancé en janvier 2004 et doté d’une
stratégie de prix agressive avec des titres à 0,49
USD à l’été 2004, Music Download (de Wal-Mart,
lancé en mars 2004) et BuyMusic lancé en juillet
2003… Il est à noter que les plates-formes qui ont
du succès ne sont pas nécessairement des
professionnels de la musique (Coca Cola, WalMart, Apple…). Pour autant le marché américain
n’est pas arrivé à maturité dans la mesure où les
sites de téléchargement payant proposent encore
des formats (compression et DRM) de musique
incompatibles entre eux (même si le DRM de
Microsoft occupe une position dominante) : les
chansons téléchargées sont pour la plupart vouées
à être écoutées sur un seul type de baladeur
numérique(52). On peut toutefois signaler la
naissance d’un consortium technologique visant à
harmoniser les différents DRM. « Coral » regroupe
Panasonic, Sony, Samsung, Philips, HP, News
Corp., InterTrust Technologies, mais n’a pas réussi
à convaincre Apple ni Microsoft, ce qui limitera
probablement la portée de l’initiative.
L’Europe semble à la traîne en raison des retards
pris dans les négociations avec les majors
européennes. Il en résulte des prix plus élevés pour
le moment en Europe qu’aux Etats-Unis, et plus
variables. L’hétérogénéité des systèmes de droits
d’auteur et des sociétés de gestion collective les
oblige en effet à négocier au cas par cas et risque
de rendre impossible les stratégies de prix unique
qui semblent fonctionner outre-Atlantique.
Virginmega.fr, par exemple, a lancé le 18 mai
2004 la nouvelle version de son kiosque payant qui
repose sur le principe du téléchargement à la carte
(contrairement à ses concurrents qui utilisent le
système du forfait ou de l’abonnement). Il propose
un catalogue de 400 000 titres alimenté par des
labels indépendants et les quatre majors du disque
et devrait bientôt passer à 600 000 titres suite aux
engagements de la charte (de même que la plateforme de la FNAC). Le prix d’un titre est de 0,99
ou 1,19 euros TTC et pour les albums de 9,99 ou
11,99 euros TTC. L’achat donne, pour le moment,
______________________________
(52) Cependant, RealNetworks a mis sur le marché en juillet
2004, un logiciel « Harmony » rendant compatible les fichiers
musicaux avec tous les types de baladeurs, y compris l’iPod.
Apple a déclaré qu’il étudiait la possibilité de saisir les
tribunaux. En France, le Conseil de la Concurrence a jugé
dans sa décision n°04-D-54 du 9 novembre 2004 qu’Apple
n’abusait pas d’une position dominante sur le marché des
baladeurs numériques sécurisés à disques durs et que son
DRM Fairplay ne pouvait être considéré comme ressource
essentielle dans la mesure où il existait de nombreuses
solutions techniques de contournement par la gravure et
d’autres usages que le baladeur numérique.
22
le droit à trois gravures et à trois transferts vers des
baladeurs. Pour lutter contre la concurrence en prix
des téléchargements payants, Universal Music a
entrepris de baisser le prix conseillé du single en
octobre 2004 de 25% ; le titre simple vaut donc
3,99 euros en magasin désormais, ce qui reste bien
supérieur au prix en ligne.
Pour ce qui concerne le téléchargement légal de
films, les sites de « video on demand » (VoD) ne
connaissent pas encore de grand succès en France,
notamment en raison de la maigreur des catalogues
proposés. Pourtant, les FAI auraient tout intérêt à
permettre le développement de la VoD dans la
mesure où ils recherchent aujourd’hui un nouveau
modèle financier leur permettant d’augmenter le
revenu par abonné : si le P2P pour la musique leur
a probablement permis d’amener les internautes au
haut débit, ils cherchent à présent à organiser des
sites de téléchargement légal de vidéo, ou même de
musique, qui pourraient leur fournir des revenus
importants dans un contexte très concurrentiel sur
le prix de l’abonnement et d’encombrement du
réseau. Les majors, quant à elles, sont réticentes
car la VoD concurrence directement leurs ventes
de DVD. Le frein principal au développement de la
VoD réside en effet dans la problématique de la
chronologie des médias : l’introduction d’un
nouveau canal de diffusion des films doit trouver
sa place entre la sortie en salle, le DVD (6 mois
après), les chaînes de télévision payantes et les
chaînes de télévision gratuites. Pour le moment, les
professionnels ne sont pas tombés d’accord.
Le marché des plates-formes légales pesait en 2003
seulement 100 millions USD (soit 2% du chiffre
d’affaires de l’industrie musicale américaine et
environ 0,1% de l’industrie française). Pour que
l’offre se développe, il semble que cela requiert
une volonté plus affirmée des producteurs (cf. la
charte signée en France) qui freinent encore
beaucoup les négociations sur les droits avec les
nouveaux distributeurs en ligne. Toutefois, on peut
signaler la démarche de 800 producteurs
indépendants, rassemblés au sein de la Société
Civile des Producteurs de Phonogrammes de
France (SPPF), qui ont établi une base de données
numérisées de leurs enregistrements pour accélérer
la disponibilité des catalogues sur les services de
musique en ligne. Certains vont même jusqu’à
préconiser de considérer les catalogues comme une
facilité essentielle et à condamner les majors qui
auraient des réticences à les négocier pour abus de
position dominante. Les producteurs, et notamment
les majors, adoptent encore une attitude assez
défensive, car ils craignent une remise en cause de
leur modèle économique, voire de leur fonction
même au sein de la filière, et au final une baisse de
leurs profits en raison de l’intensification de la
concurrence due à Internet, qui exige des
investissements initiaux beaucoup moins lourds.
Afin de faciliter, notamment le développement de
l’offre légale, mais aussi les autres solutions
remédiant au problème du P2P illégal (cf. infra), il
semble donc aujourd’hui nécessaire de simplifier
les processus de gestion collective et les SPRD
(société de perception et de répartition des droits)
en France, mais aussi en Europe.
Il n’y a pas de gestion collective organisée pour les
producteurs. Cela signifie que toute entreprise qui
souhaite lancer un service de vente en ligne doit
passer des accords avec chacun des producteurs
pour avoir le droit d’exploiter les différents
catalogues. Cependant on peut signaler que la
SPPF(53) a démarré des accords-cadres avec les
principales plates-formes (de téléchargement et de
vente de sonneries téléphoniques). En effet, dans la
signature de contrats de musique en ligne, seule la
SACEM, avec quatre sociétés de gestion
collectives françaises, dispose à ce jour d’un
mandat collectif (appelé SESAM) pour les auteurs
permettant une négociation simplifiée avec les
plates-formes de musique en ligne. Les pouvoirs
publics pourraient avoir un rôle à jouer à ce niveau
en encourageant un mécanisme de gestion
collective pour les producteurs afin qu’ils
accordent rapidement des licences à l’ensemble des
services de musique en ligne et notamment les
services légaux d’échanges P2P.
III.3 - Réguler les réseaux de P2P et
rétribuer les ayants-droit grâce à la
publicité sur Internet
Contrairement à la solution présentée ci-dessus (le
tout répressif), si l’on accepte l’idée que
l’économie numérique bouleverse les modèles
économiques – la rareté, source de valeur
économique, se déplace du bien informationnel
vers la construction d’un lien entre ce bien et ses
consommateurs potentiels – il s’agit de passer,
pour l’industrie culturelle et ses régulateurs, d’une
logique
de
diffusion à
une
logique
d’appariement.
•
Pour le consommateur : trouver l’œuvre
désirée (efficacité statique), en harmonie avec
son processus d’acculturation (efficacité
dynamique) ;
______________________________
(53) Société Civile des Producteurs de Phonogramme en
France
•
Pour l’auteur : entrer en relation avec son
public (efficacité statique), et créer pour lui,
voire avec lui, ce qui lui convient le mieux
(efficacité dynamique).
Les modèles économiques viables et socialement
optimaux ne doivent donc pas chercher à rétablir
artificiellement
le
modèle
centralisé
et
unidirectionnel des médias de masse fondé sur la
distribution de supports rivaux (il ne s’agit pas
d’étendre les principes du droit d’auteur et des
droits voisins, à la gestion des droits numérique en
recréant artificiellement de l’excluabilité). Les
nouveaux modèles devraient au contraire s’attacher
à valoriser les nouvelles raretés émergées(54) :
l’appariement
(couplage
offre-demande),
l’acculturation (formation dynamique des goûts), la
coproduction
(participation
active
des
consommateurs à la construction de l’offre).
Une solution consisterait donc, non pas à lutter
contre les réseaux de P2P ou à les concurrencer,
mais à utiliser cette nouvelle forme de diffusion
des biens culturels en instituant parallèlement,
une rémunération des ayants-droit. Aujourd’hui
on estime à 250 Mns USD(55) les revenus générés
par le P2P, via la publicité, dont 20% sont localisés
en Europe. Ces revenus ne servent aucunement à la
rétribution des ayants droit. On pourrait imaginer
que Kazaa (ou un autre réseau P2P) redistribue une
partie de ses revenus aux ayants-droit. Il s’agirait
bien entendu d’une décision politique puisqu’à ce
jour aucun tribunal n’a établi la culpabilité de
Kazaa dans un délit de contrefaçon. Le modèle
économique pourrait être identique à celui des
radios avec un financement par la publicité sur
Internet – cela permettrait de rétablir un lien
moral et économique entre le téléchargement et les
ayants-droit (la question de la répartition se pose
ici comme dans le schéma suivant). Si pour le
moment on estime à 334 millions d’euros(56) les
revenus de la publicité sur le web pour le premier
semestre 2004 en France, une étude prévoit des
recettes de 13,3 Mds d’euros au niveau mondial en
2009, ce qui permet d’envisager effectivement un
financement, même réduit, par la publicité.
La difficulté d’une telle solution (comme des
suivantes) résiderait notamment dans la répartition
des droits perçus : le modèle de la radio pourrait
encore s’appliquer mais dans la mesure où les
téléchargements se substitueraient en grande partie
______________________________
(54) Nicolas Curien au colloque anti-piraterie du 11 mai 2004,
Cannes.
(55) Source : L8Rmedia
(56) TNS Media Intelligence, août 2004.
23
aux achats de disques et où il demeurerait
techniquement difficile d’observer les flux en
détail, se poserait le problème de la
proportionnalité des rémunérations aux ventes
réelles.
III.4 - Adopter une nouvelle exception our
copie privée et taxer l’accès ou les flux sur
Internet
Face au problème du piratage, certains considèrent
qu’il serait opportun de repenser la copie privée
et d’adopter une nouvelle exception au droit
d’auteur : le téléchargement comme copie privée
(ce qui n’est pas le cas aujourd’hui cf. I.E.) Il ne
s’agirait plus de lutter contre le piratage mais
d’indemniser les ayants-droit au titre de la copie.
On créerait une nouvelle licence légale, ce qui
demanderait une adaptation du CPI (L 311-5) (en
plus de la taxation des supports vierges pour
l’exception au titre de la copie privée). A ce stade,
deux solutions sont envisageables : la taxation de
l’upload(57) ou la taxation de l’abonnement à
Internet. La taxation de l’upload légitimerait la
mise à disposition d’œuvres protégées, ce que la
plupart des associations d’ayants-droit refusent. En
tout état de cause, une telle solution permettrait
aux internautes de sortir de l’insécurité juridique.
Cette position est celle proposée par l’ADAMI et
la SPEDIDAM en France, et par la SACEM
canadienne (SOCAN). C’est aussi la position, en
France, du Conseil économique et social, qui
propose d’étendre aussi la redevance pour copie
privée aux disques durs d’ordinateurs.
Certains économistes prônent également la
légalisation de la copie accompagnée de sa
taxation. Selon Chen et Png (2002)(58), le
producteur dispose de deux stratégies en réaction
au piratage : s’il baisse les prix, il améliore
directement le bien-être social, au moins à court
terme, et s’il augmente ses dépenses de détection
de piratage (poursuites légales, DRM), les pertes
sociales proviennent non seulement de ces
dépenses mais aussi de la baisse du surplus des
______________________________
(57) Un internaute importe des données du réseau vers son
ordinateur, c’est la voie descendante ou download et exporte
parfois en retour d’autres informations, c’est l’upload ou voie
remontante (diffusion par l’internaute). La simple consultation
de sites ne serait pas taxée. L’envoi de messages électroniques
ne pourraient probablement pas être taxé car il est
particulièrement difficile de légaliser le contrôle des pièces
jointes aux messages. Le « streaming » pose également des
problèmes de droit dans la mesure où il s’agit parfois de
l’écoute ou du visionnage en flux continu de contenus
protégés.
(58) Information goods pricing and copyright enforcement :
welfare analysis. In Information Systems Research, 2002.
24
pirates. En conclusion, ils montrent que le
niveau optimal de protection des droits
d’auteur consiste en des taxes sur les copies
et sur les équipements utilisés par les pirates,
des subventions aux originaux et des sanctions
en cas de violation des droits.
A. Taxer l’upload
Il s’agirait de faire payer le diffuseur de contenu
(le pirate), i.e. de réintroduire de la rivalité sur les
biens dont l’utilisateur n’est pas propriétaire. Cela
nécessite de pouvoir identifier si un internaute est
propriétaire des droits du fichier qu’il transmet et
donc d’imposer un identifiant unique aux œuvres,
ainsi qu’une concentration et une harmonisation
des systèmes de régulation européens notamment.
Les prérequis techniques à une telle régulation
sont donc lourds.
La taxation de l’upload jouerait donc un rôle
dissuasif dans la mesure où le téléchargement
implique l’échange puisque la plupart des réseaux
de P2P activent automatiquement un canal de
retour.
Les recettes de cette taxation iraient bien sûr aux
ayants-droit et seraient réparties par les SPRD sur
le même mode que les autres rémunérations
actuelles (licence légale, diffusion dans les lieux
publics), c’est-à-dire par sondage et, plus
directement, proportionnellement au nombre de
téléchargements effectués dans l’hypothèse où l’on
pourrait identifier les œuvres transmises(59). Des
estimations par sondage ou par watermarking
pourraient aussi être mises en œuvre. La répartition
entre producteurs, auteurs et interprètes feraient
toutefois l’objet de nouvelles négociations
importantes, les producteurs pouvant redouter de
n’obtenir qu’une part limitée de ces droits, comme
dans le cas de la radio.
Le problème vient bien sûr de la difficulté
technique actuelle à discerner les contenus
échangés sur le réseau puisque bien d’autres
contenus sont échangés, notamment des données
privées. On peut toutefois citer le cas d’une société
(adVetsigo) qui propose ses services pour la
surveillance et le contrôle de la diffusion de
contenus
au
moyen
d’un
mécanisme
d’empreinte(60) et d’un service de fouille
______________________________
(59) Le risque toutefois que ces données sur le nombre de
téléchargements soient manipulées, par les ayants-droit par
exemple, n’est pas négligeable.
(60) Les détenteurs de droits confient leur document
numérique à protéger, la société calcule l’empreinte puis
traque les copies pirates ou les plagiats. Les sociétés clientes
peuvent aussi confier uniquement l’empreinte.
automatisée. Un tel système poussera les
industriels à mettre en place de véritables systèmes
de marquage afin de pouvoir mieux identifier les
contenus protégés. Taxer l’upload n’empêchera
cependant pas le téléchargement à partir d’un autre
endroit du monde ; ceci pose la question d’une
harmonisation à un niveau mondial qui paraît
difficile à ce jour.
niveau de cette redevance. Les mécanismes de
marché permettraient – certes indirectement car les
FAI jouent le rôle d’intermédiaires entre les
internautes et les ayants-droit – de converger plus
sûrement vers le prix (et la rémunération des
droits) d’équilibre. Toutefois, il serait sans doute
préférable que la mise en place de cette taxe
n'intervienne qu'une fois achevé le déploiement de
l'Internet haut débit.
B. Taxer la connexion à Internet
Il peut sembler plus opportun et socialement plus
efficace de lever toutes les contraintes sur le P2P
(liberté de transfert, de copie, de stockage) et de
financer la création-production en jouant sur le
tarif d’accès à Internet(61) (et non l’usage(62)). On
pourrait taxer l’accès à Internet au niveau des
forfaits mensuels. Relever de 15 à 30 euros le
forfait mensuel suffirait, selon N.Curien, à financer
l’ensemble de la production musicale et
cinématographique. Cependant, une telle taxe
pèserait sur l’ensemble de la population internaute
et non sur les seuls consommateurs de biens
culturels(63). La répartition des revenus pourrait se
faire selon des sondages ou proportionnellement
aux revenus perçus par les artistes via les autres
médias. Ainsi, la notion même de propriété
intellectuelle évoluerait dans le sens d’une moindre
protection en raison de l’utilité sociale liée à la
diffusion, au réemploi et à la création collective
des contenus. Il s’agirait par là de passer d’un droit
de propriété absolu (notion actuelle de droit
d’auteur) à un droit à rémunération (du type de la
licence légale). Liebowitz (2003)(64) souligne le
danger d’une telle solution qui laisserait au
régulateur le soin de calculer le niveau optimal de
la redevance : celle-ci doit être à la hauteur du
préjudice subi, qui n’en demeure pas moins
difficile à évaluer. Mais on peut également
imaginer que le régulateur exigerait des FAI qu’ils
s’entendent avec les détenteurs de droit sur le
Conclusion
Le piratage révolutionne la façon de penser les
industries culturelles et leurs financements parce
qu’il fait de la copie un phénomène d’une ampleur
actuellement non maîtrisée. Ses conséquences sur
les industries seront d’une part une baisse des
revenus (inéluctable avec la numérisation qui
diminue les coûts), d’autre part une nécessaire
restructuration du système, tant du rôle des acteurs
que des concepts mêmes de propriété intellectuelle.
De nombreuses solutions peuvent être envisagées
pour encadrer ce passage à un nouveau modèle
économique des industries culturelles. Elles n’ont
pas toutes les mêmes implications techniques ni
économiques, et leurs effets varient selon les
acteurs
concernés
(acteurs,
producteurs,
interprètes). Certaines préservent les gains de bienêtre social engendrés par le P2P ; ce sont
probablement les solutions préférables et viables
sur le long terme, même si elles demanderont une
forte volonté politique dans la mesure où elles
pourraient modifier en profondeur l’industrie et/ou
la conception du droit d’auteur.
Le tableau ci-après résume les schémas envisagés
pour la structuration des industries culturelles dans
l’univers numérique actuel.
______________________________
(61) Conférence pour le colloque anti-piraterie du 11 mai
2004, Cannes, Nicolas Curien.
(62) Ce système permettrait d’ailleurs de se rapprocher de
l’efficacité économique puisque les réseaux eux-mêmes sont à
coût fixe élevé et à coût marginal faible.
(63) On peut signaler à cet égard qu’aujourd’hui déjà, la taxe
sur les supports vierges pèse sur des consommateurs qui
pourtant ne s’en servent pas pour copier de la musique mais
pour stocker des données privées par exemple.
(64) "Alternative copyright systems : the problems with a
compulsory license”. Août 2003
25
Laisser-faire
Objectif
Outils
Faisabilité technique
Développement de
l'offre légale en
P2P régulé, financé
Licence légale pour
ligne et éradication par la publicité sur
le téléchargement
(ou marginalisation)
Internet
du P2P
Décourager le
Liberté des nouveaux
téléchargement
usages engendrés illégal et développer
par Internet
le téléchargement
payant et légal
Aucun, pas même
juridique
++
Faisabilité juridique - (revoir la production
(compatibilité avec le culturelle comme
droit actuel)
bien public)
Conserver les gains Conserver les gains
engendrés par le
engendrés par le
P2P tout en
P2P tout en
respectant la
respectant la
propriété
propriété
intellectuelle
intellectuelle
Financement par la
Avertissements ;
publicité ;
Poursuites légales ;
Confiscation d’une
Campagnes de
partie des revenus de
communication ;
Kazaa ou autre P2P
Développement des
se rémunérant par la
plates-formes légales
publicité
Licence légale : le
téléchargement
comme exception
pour copie privée
difficile
++
++ (ou difficile dans
le cas de la taxation
de l’upload)
+
+
- (étendre le champ
de la copie privée)
Faisabilité de la
régulation
+ (absence de
régulation)
difficile
difficile
+
Impact sur les
réseaux de P2P
existants
++
--
0
0
Impact sur les
utilisateurs de P2P
++
--
0
- (taxe)
Impact sur les
auteurscompositeurs
--
++
++
++
-
+
+
+
---
+++
+
-
? selon l’issue des
négociations
+
? selon l’issue des
négociations
-
-
++
-
0 (sauf si on opte
pour la taxation de
l'upload)
0
Unitaire
Indirecte
Indirecte
Impact sur les
artistes-interprètes
Impact sur les
producteurs
Impact sur les FAI
Impact sur les
entreprises de
technologies
numériques
(tatouage, DRM…)
Répartition des
revenus de la
création
26
Annexe
La structure du marché des droits en France
La multiplicité des modes de diffusion de la
musique fait qu’aujourd’hui, le marché de la
musique apparaît comme l’imbrication de plusieurs
circuits de rémunération correspondant aux deux
principaux modes de rémunération de la création
artistique : unitaire et indirect.
consommateur paie alors plus ou moins
directement par forfait (rémunération équitable
pour la diffusion dans les lieux publics) ou par la
publicité (radio, télévision) pour avoir l’accès aux
œuvres. Les sociétés de gestion collectives sont
alors en charge de répartir les recettes sur la base
de statistiques de diffusion et de sondages.
Le modèle unitaire rémunère les créateurs
proportionnellement au nombre d’exemplaires
vendus (albums ou places de concerts). La
condition de sa faisabilité réside dans la possibilité
d’identifier
les
actes
de
consommation
individuelle.
L’importance relative des différents modèles de
rémunération
varie
avec
les
évolutions
technologiques. On peut représenter (cf. Etude de
Tariq Krim pour l’ADAMI, juin 2004) le marché
de la musique français par l’ensemble des flux de
rémunérations qui le composent actuellement :
Dans le cas contraire, c’est le modèle de
rémunération
indirecte
qui
prime :
le
avec
SPRE
Société pour la Perception de la Rémunération
Equitable
SCPA
Société Civile des Producteurs Associés
ADAMI
Société civile pour l’Administration des Droits des SPEDIDAM
Artistes et Musiciens Interprètes
Société de Perception et de Répartition des Droits des ArtistesInterprètes de la Musique et de la Danse
SORECOP
Société pour la Rémunération de la Copie privée Copie
sonore
France
Société pour la Rémunération de la Copie privée audiovisuelle
SCPP
Société Civile pour l'Exercice des Droits des SPPF
Producteurs Phonographiques
Société civile des Producteurs de Phonogrammes en France
SACEM
Société des Auteurs, Compositeurs et Editeurs de SDRM
Musique
Société pour l'administration du Droit de Reproduction
Mécanique des auteurs, compositeurs et éditeurs
27

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