La télévision « Tamazight »

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La télévision « Tamazight »
La télévision « Tamazight »
Chafik Laâbi
L’Année marocaine 2010-2011
Rabat (Maroc)
L’Année marocaine 2010-2011
La télévision « Tamazight »
La télévision « Tamazight »
Chafik Laâbi
Responsable de l’unité pluralisme de l’information à la HACA
(Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle)
[email protected]
Installée dans des locaux neufs sis rue
Brihi à Rabat, dotée d’un budget de 500
millions de dirhams pour la période 20102013, employant 25 journalistes et 70
techniciens et disposant d’un équipement de
dernier cri, la huitième chaîne de télévision
publique, appelée Tamazight, a soufflé sa
première bougie le 1er mars 2011. Sa naissance
est loin d’avoir été un long fleuve tranquille.
Elle a été le fruit d’une longue gestation
remontant à 1938 et a connu des moments
d’accélération dus à la rencontre de la
mobilisation du mouvement culturel amazigh
et de la volonté étatique de reconnaissance de
la langue et de la culture amazighes.
TV Tamazight : une longue gestation
La télévision amazighe fut précédée
par son aînée, la Radio Amazighe, dont le
lancement remonte à l’époque du Protectorat,
et plus précisément à 1938, où la durée totale
de diffusion ne dépassait pas les dix minutes.
Aujourd’hui, la Radio Amazighe a une durée
quotidienne de diffusion de seize heures (5
heures en rifain, 5 heures en tamazight, 5
heures en tachelhit et une heure en langue
amazighe unifiée promue par l’IRCAM), sans
oublier les programmes en amazigh sur les
stations régionales de la SNRT (société
nationale de radiodiffusion et de télévision qui
a remplacé la RTM), telles celles d’Agadir ou
d’Al Hoceima.
La première demande formelle de
création d’une télévision amazighe est due à
la principale organisation culturelle amazighe,
l’AMREC (Association marocaine de la
recherche et de l’échange culturel) en 1966.
Mais il faudra attendre 1994 pour voir les
toutes premières mesures effectives dans ce
domaine. En effet, lors de son discours du 20
août 1994, le souverain défunt Hassan II avait
appelé à accorder l’intérêt que mérite « les
dialectes marocains ». Après ce discours, la
RTM avait intégré dans sa grille des
programmes Nachratou Al Lahajat un « JT des
dialectes ». On était encore loin de la
reconnaissance de la langue et de la culture
amazighes comme composantes à part entière
de la culture marocaine.
Le moment fondateur de cette
reconnaissance fut le discours d’Ajdir
(Khénifra) du 17 octobre 2001 du Roi
Mohammed VI où il a annoncé la création de
l’IRCAM (Institut royal de la culture
amazighe), l’introduction de la langue
amazighe dans l’enseignement et le
renforcement
de
sa
présence
dans
l’audiovisuel public.
La revendication de la création d’une
télévision publique amazighe n’a surgi sur le
devant de la scène qu’à partir de la fin 2006
après une polémique entre les associations
culturelles amazighes et l’IRCAM d’une part,
et le pôle public de l’audiovisuel sur le non
respect
par
ce
dernier
de
ses
engagements (essentiellement l’article 19 pour
TV 2M et l’article 32 pour TV Al Oula,
portant sur la diversité linguistique et
culturelle - voir le site web de la Haca :
www.haca.ma); des engagements portant sur
l’information (JT et magazines d’information)
et la fiction (diffusion de téléfilms, de films et
de représentations théâtrales en langue
amazighe). Cette polémique a été portée
devant le Parlement où le ministre de la
communication de l’époque, Mohamed Nabil
Benabdellah, avait annoncé le projet de
création d’une télévision amazighe.
Les partisans de ce projet estimaient
que les chaînes publiques de télévision
n’ayant pas tenu leurs engagements, le seul
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La télévision « Tamazight »
moyen de promouvoir réellement la langue et
la culture amazighes passait par la création
d’une télévision amazighe. De plus, elle serait
destinée à tous les Marocains, puisque ses
programmes produits en amazigh seront soustitrés en arabe. Seulement, tous les Marocains
ne savent pas encore, hélas, lire et écrire.
Ses adversaires craignaient qu’une
télévision amazighe ne conduise à la
ghettoïsation de la culture et du public
amazighs et à la disparition des programmes
amazighs de l’audiovisuel public sous le
prétexte justement de l’existence d’une
télévision amazighe.
Après moult tergiversations et de
multiples reports, la chaîne de télévision
publique Tamazight a vu le jour le 1er mars
2010, sous la conduite de Mohamed Mamad,
ancien directeur des programmes de 2M.
Caractéristiques générales de la
programmation
Le cahier des charges de cette
télévision a été élaboré en concertation entre
la Haca, l’IRCAM et la Primature, avant
d’être adopté définitivement par la Haca.
Selon ce cahier des charges, TV Tamazight a
une durée quotidienne de diffusion de six
heures en semaine (du lundi au vendredi de
18h à 0h) et de dix heures le samedi et le
dimanche (de 14h à 0h). Son mode de
diffusion est actuellement triple : en TNT
(télévision numérique terrestre), en ADSL et
en satellitaire. Elle ne bénéficie pas de la
diffusion analogique (par antenne classique à
branches). Or, comme le taux d’équipement
des foyers marocains en TNT et en ADSL est
très faible, le mode satellitaire reste donc, la
voie privilégiée pour capter TV Tamazight.
Le cahier des charges de la télévision
amazighe qualifie sa programmation de
« généraliste de proximité » et son objectif
affiché est de contribuer à la promotion de la
langue et de la culture amazighes. L’article
97 dispose que les programmes diffusés en
amazigh représentent au moins 70% de son
volume horaire quotidien de diffusion en
moyenne annuelle, dont 20% maximum de
programmes doublés en amazigh durant la
première année de diffusion et 15% maximum
à compter de l’année suivante. On entend par
« programmes diffusés en amazigh » les
programmes conçus et produits entièrement,
doublés ou sous-titrés en amazigh (article 83).
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Par ailleurs, toujours dans le registre des
langues utilisées, les programmes conçus et
produits entièrement en amazigh doivent être
sous-titrés en langue arabe.
Dans sa programmation, la chaîne
Tamazight doit respecter un certain nombre
d’obligations énoncées dans son cahier des
charges. Ainsi, pour les magazines de société,
elle doit diffuser au moins trois fois par
semaine des émissions de reportages,
d’entretiens ou de débats consacrés aux faits
de société et d’intérêt général, aux
préoccupations citoyennes ou aux questions
politiques, économiques et sociales. Elle
diffuse, aussi, au moins deux fois par mois,
une émission destinée à promouvoir l’image,
le rôle et les droits de la femme marocaine. Il
s’agit, ici, du programme Ntane (Elle), diffusé
chaque vendredi entre 20h et 20h15.
L’ensemble de ces magazines doit représenter
chaque année un minimum de 204 heures en
première diffusion durant la première année
de diffusion (article 88).
Pour ce qui est des émissions de
culture et de connaissance, la chaîne
Tamazight doit diffuser, au moins une fois par
semaine, entre 21h et 22h30, une émission
dédiée à l’art et à la culture, valorisant
l’amazighité dans toute son étendue. Elle peut
être consacrée à l’expression littéraire, au
cinéma, à la musique, au théâtre ou au
spectacle vivant, aux arts plastiques, à la
découverte du monde, des civilisations et des
modes de vie, à l’histoire, aux sciences
humaines, à la nature ou à la vie animale, aux
sciences ou aux techniques.
Elle diffuse également une émission
mensuelle dédiée aux marocains résidants à
l’étranger (article 90), une émission religieuse,
une fois par semaine (article 89) et une fois
par jour, du lundi au vendredi, une émission
d’apprentissage de la langue amazighe en
Tifinagh, destinée aux enfants et une émission
hebdomadaire, chaque vendredi, dont le
concept vise l’apprentissage de l’amazigh en
faveur des différentes catégories d’âges (article
91).
En ce qui concerne la fiction, la
chaîne Tamazight diffuse, au moins deux fois
par mois, parmi ses programmes de soirée
(entre 21h et 22h30), des œuvres de fiction,
des œuvres
cinématographiques ou des
représentations théâtrales, en amazigh (article
95).
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La télévision « Tamazight »
Enfin,
d’autres
dispositions
concernent les émissions sportives (article 92),
les émissions destinées aux enfants, au jeune
public et à la jeunesse (article 93) ou les
émissions de variétés musicales, de jeu et de
divertissement (article 94).
Journal télévisé et magazines d’information
politiques
La chaîne Tamazight compte un seul
journal télévisé (d’une durée de 15 minutes),
produit par la chaîne et quotidiennement
diffusé à 19h30 et rediffusé à 22h30. Elle
compte également trois magazines politiques
et un magazine économique.
Amrara (débat) : magazine hebdomadaire
diffusé tous les mardis à 21h. Il reçoit, à
chaque édition, deux hommes politiques de
bords opposés.
Achaane Al Mahalli (la chose publique
locale) : diffusé un dimanche sur deux, de 18h
à 19h. Il reçoit surtout des élus locaux.
Amsawad (communication) : diffusé tous les
mardis et vendredis de 20h à 20h15.
Iktissad Biladi, (l’économie de notre pays) :
diffusé tous les lundis de 21h à 22h30. Il reçoit
surtout des syndicalistes et des dirigeants de
chambres professionnelles.
Du respect du pluralisme dans les journaux
d’information de TV Tamazight
Les résultats du suivi des interventions
des personnalités publiques 1 au cours du
deuxième trimestre 2 2010 (du 1er avril au 30
1
Les personnalités publiques dont le suivi est assuré
sont : les membres du gouvernement ; les membres des
partis politiques de la majorité parlementaire, de
l’opposition parlementaire et des partis non représentés
au Parlement ; les membres des syndicats ; les membres
des organisations professionnelles et des chambres
professionnelles ; et les acteurs institutionnels : le
Premier ministre, le président de la Chambre des
Représentants et le président de la Chambre des
Conseillers.
2
Le rythme d’appréciation du pluralisme pour les
journaux d’information est trimestriel. Il est semestriel
pour les magazines d’information. Voir « Décision du
CSCA N°46-06 du 4 Ramadan 1422 (27 septembre
2006) relative aux règles de garantie du pluralisme
d’expression des courants de pensée et d’opinion dans
les services de communication audiovisuelle en dehors
juin) dans les journaux d’information de TV
Tamazight (il s’agit du premier exercice pour
cette télévision) permettent de tirer deux
conclusions.
Premièrement, le gouvernement et la
majorité ont été fortement sur-représentés par
rapport à l’opposition parlementaire 3 . En
effet, alors que l’article 6 de la Décision du
CSCA n°46-06 dispose que le temps cumulé
des interventions du gouvernement et des
partis de la majorité ne doit pas dépasser le
double de celui des partis de l’opposition, la
part du gouvernement et des partis de la
majorité a représenté plus de cinq fois celle
des partis de l’opposition parlementaire.
Deuxièmement, les partis non
représentés au Parlement ont été totalement
absents des journaux d’information de cette
nouvelle télévision publique pendant le
deuxième trimestre 2010.
Ce déséquilibre entre le gouvernement
et la majorité parlementaire d’une part et
l’opposition d’autre part est dû à
des périodes électorales » in site web de la Haca
(www.haca.ma)-Textes de référence-Décisions du
CSCA.
3
L’accès du gouvernement, des partis de la majorité
parlementaire, des partis de l’opposition parlementaire
et des partis non représentés au Parlement, aux médias
audiovisuels est fondé sur le principe de l’équité dont la
mise en œuvre est encadrée par les articles 6 et 7 de la
Décision du CSCA n°46-06 relative aux règles de la
garantie du pluralisme d’expression des courants de
pensée et d’opinion dans les services de la
communication audiovisuelle en dehors des périodes
électorales (B.O. n°5480 du 7 septembre 2006).
Ainsi, pour les trois premières catégories, l’article 6
dispose : « Les opérateurs de la communication
audiovisuelle veillent à ce que le temps cumulé des
interventions des membres du gouvernement et des
partis de la majorité parlementaire ne dépasse pas le
double du temps consacré aux partis appartenant à
l’opposition parlementaire au sein de la Chambre des
Représentants, tout en respectant des conditions de
programmation comparables et similaires. »
Pour les partis non représentés au Parlement, l’article 7
dispose : « Les opérateurs de la communication
audiovisuelle sont tenus d’accorder à l’ensemble des
partis non représentés au Parlement un temps pour
exprimer leurs positions vis-à-vis des événements et des
questions d’intérêt public, de l’ordre de 10% du temps
global consacré au gouvernement et aux partis de la
majorité et de l’opposition parlementaire. »
3
La télévision « Tamazight »
L’Année marocaine 2010-2011
l’omniprésence du gouvernement dans les
journaux d’information. Une tendance lourde
constatée sur l’ensemble des médias
audiovisuels aussi bien publics que privés 4 , à
quelques exceptions près (Radio Amazighe
par exemple) et ce, depuis le début du suivi du
pluralisme à la Haca le 1er janvier 2007.
Ce déséquilibre est l’une des
manifestations de la difficile transition de
médias audiovisuels étatiques à des médias
audiovisuels publics. C’est juridiquement
chose faite. Mais dans la réalité, il faut du
temps pour que la culture du pluralisme
imprègne les mentalités et s’enracine dans les
pratiques.
A contrario, l’équilibre entre le
gouvernement et la majorité d’une part et
l’opposition d’autre part constitue une autre
tendance lourde pour les magazines
d’information, cette fois-ci, sur l’ensemble des
médias audiovisuels, à quelques exceptions
près.
4
Voir le site web de la Haca www.haca.ma
(Publications-Rapports).
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