LE JOUR SE LEVE - La maison de l`image

Transcription

LE JOUR SE LEVE - La maison de l`image
2012
Cette compilation de textes a été réalisée par l’équipe
documentation de LA MAISON DE L’IMAGE à Aubenas
à l’occasion des RENCONTRES DES CINEMAS D’EUROPE 2012
LE JOUR SE LÈVE
Marcel Carné
•
Drame noir/blanc
•
Date de sortie : août
(Suède)
1939
• juin 1939(France)
DUREE :
1h33min
Pays de production : FRANCE
Scénaristes:
Jacques VIOT (original scénario)
Jacques PREVERT (dialogue)
ACTEURS: Jean
Gabin
Jules Berry , Arletty...
SYNOPSIS:
Alors que la nuit tombe, un coup de feu retentit dans
un immeuble de banlieue. François vient de tuer Valentin. Enfermé dans son appartement, il se souvient
des circonstances qui l'ont mené à ce drame. Pendant
ce temps, les forces de l'ordre s'organisent pour tenter de l'arrêter...
sentiments, Arletty parle sotto voce et s'avère touchante, belle, le profil
admirable, la plastique séduisante, le verbe distillant sa psychologie, son
amertume, sa déception et finalement sa passion pour François.
Du grand art de la part de Carné qui saupoudre son film de maquillages,
d'éclairage et de cadrages qui n'ont rien à envier à l'expressionnisme
allemand. Le jour se lève est avant tout un drame psychologique, un
concours de mauvaise entente, une fatalité tendue.
Point d'orgue émotionnel, cette déclaration de Clara, signée Jacques
Prévert, qui n'a l'air de rien mais qui révèle tout le sens poétique que
donne ce film à la douleur amoureuse. Lorsqu'elle apprend que François
est amoureux de Françoise, Clara, l'oeil rivé sur le pavé au bas de
l'immeuble, le coeur serré mais les lèvres douces : "Heureusement qu'on
s'aime pas. Tu vois ça, si on s'aimait pis qu'on s'quitte? J'aurais bien voulu
que ça continue, seulement moi j'habitais ici et toi en face... c'était trop
loin."
Posté par DISJECTA à 08:30
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Marcel Carné livre ici une fresque sociale dans la veine de l'époque. Dans
un monde ouvrier tout droit sorti de chez Emile Zola, deux univers
s'opposent: d'un côté celui de François, manoeuvre et père tranquille,
casquette vissée sur la tête, manières gentilles, cherchant l'amour comme
on cueille les pâquerettes, tantôt rêveur, tantôt les pieds solidement sur
terre... bref François est de ces garçons simples qui aiment l'amitié, les
filles jolies et les promenades à vélo en bord de Seine,
tout l'univers ouvrier des années 36-38 en
carte postale. De l'autre, celui de Valentin, le monde du spectacle, ou
plutôt le monde égoïste d'un homme de cirque blasé, sarcastique,
méprisant, cherchant partout la possession, celle des corps et celle des
esprits - le sexe y aidant, bien entendu - cherchant à séduire et plaire
pour collectionner les admirateurs et afficher sa réussite à travers sa
collection.
Au milieu de tout ça, deux femmes. Clara, d'un côté, l'ancienne partenaire
et maîtresse de Valentin, sortie de l'univers de paillettes et de mensonges
du cabaret et qui n'aspire qu'à l'amour gentillet et doux, aux petits
bouquets sur le bord de la table, à l'oiseau qui chantonne doucement à la
fenêtre, et qui tombe amoureuse de François. De l'autre, Françoise, petite
jeune fille employée à domicile, toute en douceur, d'aspect fragile et
charmant, qui se laisse séduire par François mais qui aime être possédée
par Valentin.
Forcément, les choses ne pouvaient être que fatales entre ces quatre là.
Pour ceux qui attendent - ou redoutent - la gouaille de Gabin et Arletty,
point dans ce film! Jean Gabin donne dans le masque pour livrer ses
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IL M'A EU AVEC DES MIMOSAS...
Le jour se lève - Marcel Carné
(1939), avec Jean Gabin (François), Arletty (Clara), Jules Berry (Valentin),
Jacqueline Laurent (Françoise), Bernard Blier (Gaston, un camarade de
François), Marcel Perès (Paulo, un camarade de François)...
Boulogne, banlieue de Paris, un soir tranquille. Dans l'imposant immeuble
où habite François, jeune ouvrier sableur, des cris retentissent dans
l'escalier. Soudain, un coup de feu... Valentin, dresseur de chiens dans un
cabaret ouvrier, s'échappe de chez François puis s'effrondre, mort.
Pendant toute une nuit, François va tenir le siège de la police et se
remémorer comment il en est venu à tuer Valentin.
Film culte du patrimoine français, Le jour se lève fait partie de ces films
que je découvre tardivement. Bien m'en a pris car il s'avère être un très
bon film, captivant et maîtrisé tant par son réalisateur que par son
quatuor de comédiens principaux. Ce film a été sélectionné en 1939 pour
la Coupe Mussolini du meilleur film étranger à la Mostra de Venise.
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détournés de leur effet et servent à nourrir l'idéal propre à Prévert d'une camaraderie franche
et conviviale ainsi que sa réflexion sur la société.
Paula PASQUET
Coraline CANTAT – MOLTRECHT
http://www.cinematheque-tours.fr/Le%20Jour%20se%20l%E8vedialogues%20Pr%E9vert.pdf
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http://www.cinemathequetours.fr/Le%20Jour%20se%20l%E8vedialogues%20Pr%E9vert.pdf
LE JOUR SE LEVE, DE MARCEL CARNE
Les dialogues de Prévert
Les dialogues de Prévert, de même que ceux de Jeanson dans l’Hôtel du Nord par
exemple, confèrent au réalisme de Carné un aspect profondément poétique.
Le style de Jacques Prévert se caractérise principalement par l’utilisation d’images, ce
qui peut parfois prêter à ses dialogues un aspect assez comique. On pense notamment au
célèbre « Lui, il boit du lait quand les vaches mangent du raisin » de François, dans l'usine au
début du film. Cette façon de traiter la parole associe la réalité vécue à une fantaisie qui en
adoucit les effets. Le travail de sableur a des effets graves sur la santé, mais la camaraderie et
la convivialité aident à surmonter cela. Ces formules agissent donc par complicité entre les
personnages et avec le spectateur.
Arletty est historiquement celle qui porta le plus nettement cette façon de parler. Dans
le film, son apparition remplit l'attente du spectateur. Clara explique sa relation avec Valentin
par des métaphores qui, malgré la gravité du sujet, font sourire le spectateur : « Vous
avouerez qu’il faut avoir de l’eau dans le gaz et des papillons dans le compteur pour avoir
passé trois ans avec un type pareil ! ». Le spectateur est invité à un déchiffrement ludique d'un
savant entremêlement d'expressions toutes faites.
On remarque aussi quelques phrases cinglantes et efficaces, comme le « T’as peut-être
les idées larges mais t’as la tête trop p’tite » de François, dont la parole moins abondante
exprime des sentiments qui se traduisent vite par des actes. Face à un langage savant et parfois
labyrinthique, François rappelle l'efficacité des paroles brèves et des discours clairs et concis.
Dans sa confrontation avec Valentin, c'est la seule arme pour deviner la vérité sous les
mensonges.
Une grande importance est attachée à l’origine des personnages : Prévert attribue à
chacun d’entre eux un parlé adapté à leur condition, en essayant toutefois de le rendre le plus
poétique possible. Ce contraste est bien visible lorsque Clara lance à François : « Des
souvenirs…des souvenirs…est-ce que j’ai une gueule à faire l’amour avec des souvenirs ? »,
qui n’est pas sans rappeler la fameuse réplique d’Hôtel du Nord, également dite par Arletty : «
Atmosphère, atmosphère ! Est-ce que j’ai une gueule d’atmosphère ? ». C'est un clin d'oeil de
Prévert à Jeanson.
Chaque personnage possède ainsi sa propre façon de s’exprimer. Cela permet notamment
d’appuyer l’opposition entre Valentin, qui parle abondamment, utilisant le langage comme
moyen de manipulation, et François, qui parle peu et de manière plus explicite. La fin du film
tend à inverser les rapports de langage entre Valentin et François. Sa longue diatribe au
peuple
fait éclater la colère et le désespoir. Elle est marquée par la négation : « il n'y a plus de
François! » En face, Valentin n'est jamais à cours d'identité, jouant par le langage à être celui
qui convient à la situation. Dans la dernière confrontation, le dialogue devient plus feutré, plus
murmuré. Donc plus inquiétant : Valentin semble s'être parfaitement adapté aux mots de son
adversaire, il en a pris le ton pour lui tendre son arme.
Le génie de Prévert se manifeste également dans un mélange de registres opposés.
Tandis qu'il est question de mort et de disparition dans la bouche de François : « Tous le
monde tue, seulement on tue en douceur, alors ça s’voit pas ! » Le peuple répond par des
formules comiques comme « il y en a d'autres qui ont tué, ils n'en sont pas morts » qui sont
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Affiches de films de Marcel Carné
http://www.musee-virtuel.com/
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Filmographie
1929 : Nogent, Eldorado du dimanche
1935 : Pension Mimosas de Jacques Feyder, assistant réalisateur
1936 : Jenny
1937 : Drôle de drame
1938 : Quai des brumes
1938 : Hôtel du Nord
1939 : Le jour se lève
1942 : Les Visiteurs du soir
1945 : Les Enfants du paradis
1946 : Les Portes de la nuit
1947 : La Fleur de l'âge, film inachevé
1950 : La Marie du port
1950 : Juliette ou la Clé des songes
1953 : Thérèse Raquin (d'après le roman Thérèse Raquin d'Émile Zola)
1954 : L'Air de Paris
1956 : Le Pays d'où je viens
1958 : Les Tricheurs
1960 : Terrain vague
1962 : Du mouron pour les petits oiseaux
1965 : Trois chambres à Manhattan
1968 : Les Jeunes Loups
1971 : Les Assassins de l'ordre
1974 : La Merveilleuse Visite
1977 : La Bible
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L'année 1938 verra un autre chef-d'oeuvre naître de la complicité
entre le cinéaste et le poète : Quai des brumes. Ce film renferme une des premières réplique
"culte" du cinéma, le fameux "T'as de beaux yeux tu sais" que Jean Gabin adresse à
Michelle Morgan. Ce film rencontrera un énorme succès auprès du public, et sera également
plusieurs fois récompensé. Pour ce film, Marcel Carné obtiendra par exemple le prix Louis
Delluc en 1939.
Suivront de nombreux films, aujourd'hui encore présents dans la mémoire du public. Hôtel du
Nord, avec Louis Jouvet et Arletty (mais sans Prévert), Le Jour se lève, avec Jean Gabin et
Jules Berry, Les Visiteurs du Soir...
Les Enfants du Paradis paraîtra sur les écrans en 1945. Ce film est pour beaucoup le chefd'oeuvre de Marcel Carné. Le film est l'occasion d'une mise en abyme du spectacle, et
s'inspire de personnages réels tels Debureau, Lemaître ou Lacenaire. La marque de Prévert est
sensible tout au long de ce film.
Les films suivant de Marcel Carné seront accueillis plus froidement par le public. Mais
surtout, Marcel Carné aura d'extrêmes difficultés à mener à leur terme beaucoup de ses
projets.
Signalons pourtant Thérèse Raquin (1953), qui connaîtra un relatif échec commercial, mais
aussi Les Tricheurs (1958) qui sera un grand succès, ainsi que Les Assassins de l'Ordre, avec
Jacques Brel.
Marcel Carné décède le 31 octobre 1996, à Clamart. Il est enterré à Montmartre.
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Marcel CARNE
Le réalisateur des Enfants du Paradis
Marcel Carné est né le 18 août 1909 et ses premiers contacts
avec le cinéma se feront dans le cadre de critiques qu'il écrira pour diverses revues (CinéMagazine par exemple).
Il réalisera au début de sa carrière quelques films publicitaires avant de se tourner vers le
documentaire. Ses premiers postes d'assistant metteur en scène le feront rencontrer des grands
du cinéma, comme René Clair (Sous les toits de Paris - 1930) et Jacques Feyder (Le Grand
Jeu - 1934, Pension Mimosas - 1935, La Kermesse héroïque - 1935).
Marcel Carné réalisera son tout premier film en 1936 : Jenny. Jacques Prévert en signera
l'adaptation et les dialogues. Leur rencontre marquera profondément les deux hommes qui par
la suite collaboreront étroitement.
Dès l'année suivante, le couple Prévert Carné proposera le célébrissime Drôle de Drame.
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après tant d'efforts pour créer un style véritablement visuel, le film parlant vient réduire à
néant les progrès accomplis. Pour la réalisation des talkies, la caméra est retenue prisonnière
dans une cabine dépourvue de résonance. Est-ce à dire que nous sommes revenus aux temps
héroïques du cinéma d'il y a une douzaine d'années ? Nous ne pouvons y croire. Nous aimons
trop les talkies, malgré le peu que nous en connaissons en France, où des exploitants
perplexes reculent devant une installation d'un prix relativement élevé. Mais il faut à nouveau
libérer l'appareil de prise de vues et faire vite.
Quelques esprits grincheux n'ont pas manqué de dire que le film parlant ne serait jamais que
du théâtre filmé. C'est à ceux-là qu'il faut opposer un démenti formel. Pour cela, la caméra ne
doit plus être retenue prisonnière. Il faut qu'elle retrouve son extrême mobilité de personnage
du drame. Je ne doute pas de la difficulté, mais puisque l'on trouve déjà plusieurs audaces
techniques dans une Broadway Melody, quelques mois seulement après l'invention des talkies,
un tel fait autorise tous les espoirs. L'avenir appartient aux créateurs.
Marcel Carné
http://www.universcine.com/
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Dans Le Dernier des Hommes, grâce à ce procédé, nous connaissions jusque dans ses
moindres coins le lugubre Hôtel Atlantic. De l'ascenseur, en plongée, le hall nous apparaissait
immense, dans un relief accusé par le mouvement, jusqu'au moment où, nous approchant de la
porte tournante, celle-ci nous rejetait sous le parapluie imposant que tenait Emil Jannings.
Puis ce fut Faust, du même réalisateur. Rappelez-vous le début de ce film où Méphistophélès
- Emil Jannings - nous emportait sur un tapis enchanté tandis que sous nos yeux émerveillés
défilaient monts et vallées. Rappelez-vous la panique à la foire et l'arrivée chez le duc, le
ballet féerique et son rythme étrange.
Quittant le travelling pour le portatif, c'est en France qu'un homme poussa la mobilité de la
caméra à son paroxysme. Cet homme s'appelait Gance et l'oeuvre Napoléon. Nous ne
reviendrons que rapidement sur ce film dont Ciné magazine a entretenu longuement ses
lecteurs. Jamais la caméra ne participa davantage à l'action, tour à tour attachée sur le dos d'un
cheval ou à l'avant d'une barque, projetée dans les airs ou lancée de très haut à la mer, glissant
sur des câbles ou oscillant à la manière d'un pendule, la caméra, suivant la phrase de Gance,
faisait du spectateur, jusque-là passif, un acteur. Il ne regarde plus, il participe à l'action.
Un peu plus tard, ce fut L'Aurore, encore de Murnau, qui, décidément, montrait une vive
affection pour sa découverte. Le début de L'Aurore nous promenait dans un étrange décor de
marécage brumeux, l'appareil mobile donnant l'impression qu'un deuxième personnage suivait
le héros du film à travers champs. Parfois, nous le perdions de vue un instant; puis il
apparaissait à nouveau derrière un bouquet d'arbres. Sautait-il une barrière, la caméra
s'engageait à sa suite. N'oublions pas également L'Ange de la Rue où certains travellings
étaient étonnamment complexes, ni la fameuse course de chars de Ben-Hur qui décida du
succès du film. Ce sont les principaux; mais combien d'autres ne faudrait-il pas citer ? Les
films de Dupont (Variétés), Feyder (Les Nouveaux Messieurs), L'Herbier (L'Argent), Epstein
(La Maison Usher), Dreyer (La Passion de Jeanne d'Arc). La majorité des films américains,
sans oublier Ombres blanches. Dans chaque film où la technique veut être impeccable, le
travelling, parfois même le portatif, trouvent leur application, apportant avec eux une
nouvelle perfection à l'art dont le but est de reproduire la vie.
Désormais l'objectif est partout. Il s'introduit parmi les hommes, s'empare de leur propre vie,
vole leurs manies, accapare leurs joies puériles ou les dévalise de leurs peines plus profondes.
Comme l'a fait remarquer Jean Arroy, "il est ce trou de serrure dont parle Francis Carco et cet
oeil doué de propriétés analytiques inhumaines cher à Jean Epstein ". Et voilà qu'aujourd'hui,
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Marcel Carné : " La caméra, personnage du drame"
Débutant comme journaliste à Ciné magazine, Marcel Carné, pas encore cinéaste, y signe un
article engagé où il s'enflamme pour cet art encore trop méprisé, en train de subir les assauts
d'une révolution : le cinéma parlant. Nous sommes alors dans le numéro du 12 juillet 1929 et
le futur cinéaste n'a qu'un seul cri : " l'avenir appartient aux créateurs" !
Article
Aucun sujet n'apparaît plus délicat que celui du film parlant.
L'avenir appartient aux créateurs, et ce qui est vrai aujourd'hui risque de ne plus l'être demain.
Alors que le cinéma muet entre, à peine, dans l'adolescence, l'industrie américaine - sa mère
adoptive - met au monde un enfant qui semble vouloir s'imposer : le film parlant. Sur cette
nouvelle invention, dont on ne peut prévoir les possibilités, chacun cherche à placer son mot.
Nous ignorons à peu près tout de cet art nouveau, qu'importe. Il n'est pas un journal, pas une
revue, qui ne lui consacre ses colonnes (bien souvent pour un éreintement féroce). Le fameux
contingentement lui-même, cette loi de et pour quelques-uns, n'occupe plus qu'une place de
second plan. Le talkie est la folie du jour, l'espoir en une saison meilleure que la précédente.
Loin de moi l'idée d'ajouter un article à ceux précédemment parus. Mais, tout de même, il est
un problème que soulève le film parlant et qu'on semble dédaigner. C'est en 1924, je crois,
qu'un metteur en scène allemand, F. W. Murnau, inventait un nouveau moyen d'expression
appelé à révolutionner l'art cinématographique. Le réalisateur d'un film passé sans grand
succès au défunt Ciné-Opéra, Nosferatu le Vampire, venait de découvrir un style visuel d'une
puissance insoupçonnable : c'était le travelling ou prise de vues avec l'appareil en mouvement.
Certains ont voulu contester à Murnau sa découverte. Pourtant, il semble bien que si le
portatif est une invention française (et encore est-ce le portatif à très court métrage), le
travelling n'ait fait son apparition que dans Le Dernier des Hommes. Placée sur un chariot, la
caméra glissait, s'élevait, planait ou se faufilait partout où l'intrigue le nécessitait. Elle n'était
plus figée conventionnellement sur un pied, mais participait à l'action, devenait personnage du
drame. Ce n'était plus des acteurs qu'on devinait placés devant l'objectif, mais celui-ci qui les
surprenait sans qu'ils s'en doutent.
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J'ai connu Marcel Carné en 1928 (..) il venait de remporter brillamment le premier d'un
concours de critique ouvert par Ciné magazine -avec, si mes souvenirs sont exacts, une étude
sur La Foule de King Vidor. Très vite, il devint un des collaborateurs attitrés de la revue dont
il fut bientôt secrétaire de rédaction. Naturellement, son ambition, comme la nôtre à tous, était
de faire des films.
Avec ceux qui appartinrent comme lui à la « nouvelle vague » de 1929 -Michel Gorel, Pierre
Chenal, Georges Lacombre, Jean Dréville, Eugène Deslaw, Jean Vigo, Jean Lods, nous nous
retrouvions au Dôme ou à la Coupole, ne nous tenant pas du tout pour une « nouvelle vague »
mais pour une « avant garde » (seuls les mots changent...) nous n'avions que sarcasmes pour
l'oeuvre des anciens, pour les films de Feuillade, Léonce Perret, Henri Fescourt, Luitz Morat,
que, fort curieusement, nous admirons aujourd'hui et que nous balancions alors aux vieilles
lunes.
Déjà Jean Vigo nous avait quittés pour s'installer à Nice. Il y tournait A propos de Nice et
nous envoyait des informations sur son travail. Deslaw ayant récolté quelques chutes de
pellicule vierge auprès d'amis opérateurs profitait de la Foire de Paris pour enregistrer La
Marche des machines (...) Carné assistait Jacques Feyder pour Les Nouveaux messieurs. Un
jour, il arriva parmi nous, encore tout ébloui de la bonne surprise qu'il comptait nous faire : «
Ça y est, dit-il en substance, grâce à Feyder et à Françoise Rosay, j'ai une caméra, de la
pellicule et quelques sous... J'ai l'intention de faire un documentaire sur Nogent ; je profiterai
de mes dimanches pour tourner là bas dans les guinguettes. Je veux faire un film sans histoire,
enregistrer la « vraie vie », du « réel authentique »... Six mois plus tard, il nous conviait aux
Ursulines. Nogent, Eldorado du Dimanche y faisait ses débuts devant un public attentif et
charmé. Un nouveau cinéaste était né...
Après avoir longtemps travaillé avec Feyder, avec René Clair, Marcel Carné évolua. Son
regard jeté sur le monde « vrai » devint de plus en plus subjectif, son « réalisme » de plus en
plus interprété. Influencé par l'expressionnisme, par une littérature toute entière orientée vers
ce qu'on gratifia « réalisme poétique » à la suite de Marcel Aymé et de Jacques Prévert, son
univers devint un monde théorique singulièrement riche en qualités plastiques, en images
savamment composées... "
Jean Mitry
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"Marcel Carné et l'âge d'or du cinéma français 1929-1945" d'Edward Baron Turk (Ed.
L'harmattan).
Enfin, Carné fut, on ne le dit peut être pas assez, un cinéaste qui sut transcender l'image des
acteurs qui passaient sous sa caméra : Gabin montre une fragilité inédite dans Le Quai des
brumes ; Arletty transformée en riche épouse dans Les Enfants du paradis est inoubliable et
n'offrira jamais un tel visage dans aucun autre film... et même si Carné a axé Thérèse Raquin
autour des figures masculines, c'est Simone Signoret qui est extraordinaire, comme Annie
Girardot qui arrive, in extremis, à se sortir d'un pesant dispositif et à instiller un peu de vie à 3
chambres dans Manhattan... Comme si Carné avait envie de filmer les femmes, et les
hommes lorsque, brusquement, ils se montraient plus féminins que prévus. C'est encore ce
Carné-là qui, presque seul contre tous, défendit Fassbinder alors qu'il était président du jury
du festival de Venise en 1982, afin de lui attribuer un prix pour Querelle. "L'avenir est aux
créateurs", écrivait-il, déjà, en 1929.
Philippe Piazzo
Un jeune cinéaste nommé Carné
Dans un témoignage paru dans la revue L'Avant Scène (n°81, mai 1968), l'historien du cinéma
Jean Mitry raconte ses souvenirs de jeune cinéphile auprès d'un Marcel Carné fougueux parmi
un groupe qui n'avait rien à envier, dit-il, à la Nouvelle Vague...
Article
" Il fut un temps où Marcel Carné appartenait à la « nouvelle vague » tant il est vrai que cette
vague n'a jamais été que celle des nouvelles générations, lesquelles tous les vingt ans
apportent avec leur jeunesse une vision nouvelle du monde et des choses, une façon nouvelle
de dire, et bouleversent les tabous, c'est-à-dire des méthodes dont à force d'habitude on a cru
faire des règles alors que ce ne sont que des scléroses.
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Eldorado du dimanche, tourné en amateur), Carné fut recommandé par le couple pour mettre
en scène Jenny (1936) interprété par Françoise Rosay.
Il n'a que 29 ans quand il rencontre très vite un immense succès, en 1938, avec Le Quai des
Brumes (Gabin, Morgan, Brasseur) alors que la plupart des cinéastes doivent alors attendre 40
ans pour entrer dans le système. Sa notoriété, son exigence technique et son goût pour les
grands comédiens lui valent rapidement de signer quelques un des films phares du cinéma
français des années 30 et 40, en particulier Les Visiteurs du soir, fable médiévale qui, tournée
sous l'occupation, prit valeur de symbolique d'un manifeste de résistance à l'ennemi ; ou
encore, au lendemain de la guerre, Les Portes de la nuit, sa dernière collaboration avec
Prévert, qui fut un échec et qu'on critiqua de tous côtés.
La carrière de Carné se déroula, dès lors, en dents de scie. Irrascible, réfugié derrière ses
succès passés, le cinéaste campa sur des positions qui dévitalisèrent peu à peu son cinéma. Sa
mise en scène est de plus en plus figée, pesamment technique et standardisée et ses efforts
d'originalité (l'envie marquée d'aborder le fantastique, via Juliette ou la clé des songes, La
Merveilleuse visite...) se soldent par des résultats peu convaincants. Son retour au box office,
avec Les Tricheurs est symbolisé par un film qui semble suivre une mode au lieu de la
précéder. Le Carné frondeur du Quai des brumes et du Jour se lève semble dilué dans la
préoccupation de préserver son statut de cinéaste honoré. Et lorsque Carné cherche à capter
l'air du temps (Terrain vague, Du mouron pour les petits oiseaux, Les Assassins de l'ordre
avec Jacques Brel), sa signature n'amène aucune nouvelle dimension à des oeuvres qui
auraient pu tout aussi bien être filmées par André Cayatte ou Georges Lautner.
Avec le temps, Carné retrouva de nombreux défenseurs. Mais avec une certaine cruauté, car il
fut constamment distingué dans les dernières années de sa vie alors qu'on lui refusait toute
aide pour financer de nouveaux projets. Son dernier film, Mouche (1993) avec Virginie
Ledoyen et Wadeck Stanczak, s'arrêta net après quelques jours de tournage.
Statufié de son vivant, Carné aura connu une fin de carrière malheureuse. Mais Claude Sautet
ne cessa de louer Le Jour se lève comme un de ses films fétiches ; Eric Rohmer racontait
volontiers que son amour de filmer Paris se nourrissait notamment de l'amour même que
Carné avait mis à mettre en scène la ville dans ses films. Le critique Michel Perez lui consacra
un livre-clé et de nouvelles études remettent le cinéaste au premier plan, tel l'indispensable
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http://www.universcine.com
C comme... Marcel Carné
On associe son nom au "réalisme poétique" à la française (dont se réclame, par exemple,
explicitement Jean-Pierre Jeunet) et à Jacques Prévert qui signa pour lui scénario et dialogues
de certains de ses films les plus fameux : Drôle de drame (Bizarre... bizarre...), Le Quai des
brumes (T'as de beaux yeux, tu sais...), Les Enfants du paradis (Vous êtes riche et voulez que
je vous aime comme un pauvre... et qu'est-ce qu'il leur resterait, alors, aux pauvres ?). C'est
oublier que Carné fut un excellent réalisateur en compagnie d'autres auteurs tels Charles
Spaak, Jean Aurenche, Henri Jeanson... Ainsi Hôtel du nord (avec Arletty et son fameux
"Atmosphère...").
Né à Paris le 18 août 1906 (il a longtemps préféré donner 1909 comme année de naissance) et
disparu le le 31 octobre 1996, il débuta très jeune grâce à Françoise Rosay qui lui présente son
mari, le réalisateur Jacques Feyder, auprès duquel Carné, dit-il, a "tout appris". Brièvement
critique cinématographique (pour Ciné-Magazine), assistant (Le Grand jeu-1933, La
Kermesse héroïque-1935, de Feyder), réalisateur d'un court métrage qui fit date (Nogent,
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http://www.allocine.fr/
Prévert-Carné, un tandem productif
Le Jour se lève marque la quatrième collaboration de Marcel Carné et Jacques
Prévert. Ils avaient en effet déjà travaillé ensemble sur Jenny (1936), Drôle de
drame (1937) et Quai des brumes (1938). Par la suite, ils coopérèrent également
sur Les Visiteurs du soir (1942), Les Enfants du paradis (1945) et Les Portes
de la nuit (1946).
Un lancement difficile
A sa sortie, le film de Marcel Carné ne fut autorisé qu'après la coupe d'une d'une
scène montrant Arletty nue. Mais la censure ne s'arrêta pas là : sous le régime de
Vichy,
Le
Jour
se
lève
fut
interdit,
car
jugé
trop
démoralisant.
La sortie fut également rendue difficile par l'incompréhension générale du public
devant la narration en flashbacks. De ce fait, un écriteau expliquait avant le début du
film qu'un homme se souvient, et que ce sont ces souvenirs que l'on voit à l'écran...
Lorsque Henry Fonda remplace Jean Gabin
Le Jour se lève fut l'objet d'un remake aux Etats-Unis : The Long night, où Henry
Fonda remplace Jean Gabin dans le rôle-titre.
http://www.allocine.fr/
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La mise en scène de la mémoire
Pour faciliter l’assimilation du procédé par le public, les producteurs imposèrent un nouveau
plan au réalisateur, à la 3e minute du film : le soir après le meurtre, François observe de sa
fenêtre la rue noire de monde et le déploiement des policiers, prêts à
assiéger l’immeuble.
1) Travelling avant sur les yeux. Voix off : « Et, cependant, hier encore, souviens-toi… ».
2) Lent fondu enchaîné sur la même rue, vidée de monde, tôt le matin.
3) Retour arrière (flash-back) : on voit François partir à vélo à l’usine. Moderne à l’époque, ce
procédé entouré d’une telle précaution oratoire, apparaît désuet et fort didactique au
spectateur d’aujourd’hui, habitué à des techniques narratives plus complexes.
Analyse de séquence
Voici l’analyse par André Bazin, de la scène où François, poussé à bout, se barricade dans
sa chambre (39’13’’).
« Plusieurs objets ont dans le récit une fonction dramatique assez évidente : le revolver,
comme cause du drame, les cigarettes (fumées bout à bout, elles font penser en boucle à la
« cigarette du condamné »), le réveil qui sonne à la fin du film…
Outre le miroir qui renvoie sans cesse François à lui-même, un objet contient une charge
symbolique plus importante que les autres : l’armoire normande que Gabin pousse devant la
porte et qui donne lieu à un savoureux dialogue dans la cage de l’escalier entre le
commissaire et le concierge. Nous n’y voyons naturellement qu’un détail de l’intrigue qui
nous captive surtout par son réalisme. Nous imaginons en effet assez bien cet épisode dans
un fait divers. En réalité, le réalisme implicite de cette armoire est aussi nécessaire et
rigoureux que celui d’un symbole freudien. Ce n’est pas la commode, la table ou le lit que
François choisit de mettre devant la porte. Il fallait que ce fût cette lourde armoire qu’il
pousse comme une énorme dalle sur un tombeau. Les gestes avec lesquels il fait glisser
l’armoire, la forme même du meuble font que Gabin ne se barricade pas dans sa chambre : il
s’y mure.
Même si le résultat matériel est le même et si nous n’y voyons consciemment aucune
différence, la tonalité dramatique est tout autre » (André Bazin, Peuple et culture, 1947).
www.lamediatheque.be/ext/thematiques/films_a_la.../VJ5572.pdf
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Ligne du temps historique
En France, les partis de gauche réunis gagnent les élections : c’est le Front populaire –
1936-1937
1er septembre, l’Allemagne envahit la Pologne, c’est le début de la Seconde Guerre mondiale
- 1939
Contexte artistique
Le réalisme poétique
Paradoxalement, c’est au moment où l’Europe et le monde vont dans une période de chaos
et de guerre que le cinéma français va vivre son âge d’or. Fuyant l’Allemagne nazie, les
meilleurs techniciens du cinéma (par exemple Jules Krüger pour la lumière, qui apportera à
des oeuvres comme La Bandera de Duvivier toute la force de l’expressionnisme allemand)
fuient le pays pour s’exiler aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en France.
La conjugaison de leurs talents et celle des plus grands metteurs en scène français comme
Renoir, Duvivier, Carné et des plus grands comédiens du moment (Gabin est l’incarnation
idéale de l’ouvrier acculé à la faute) crée une production à la fois abondante
(quelques 1 300 longs métrages en 10 ans), et riche de thèmes populaires filmés dans des
écrins d’élégance. Bien entendu, on ne peut pas à proprement parler d’une unité stylistique
concernant les 125 films sortant annuellement durant les années 30. Seule une poignée
d’entre eux appartiennent à ce que Sadoul a appelé le « réalisme poétique ». Ils mettent en
scène dans la plupart des cas des meurtriers. Le plus généralement des pauvres types
situés socialement au bas de l’échelle, qui transgressent le plus souvent la loi pour l’amour
d’une femme. Employés ou ouvriers, ils sont victimes de tares héréditaires (le mécanicien de
La Bête humaine, Renoir, 1938), d’un système social ou d’une fatalité qui les conduit au
meurtre (Gueule d’amour, Jean Grémillon, 1937 ; Le Jour se lève, Marcel Carné, 1939). Ces
films sont réalistes, parce qu’ils portent en eux non pas la prémonition, mais bien
l’expression de ce qui est déjà là, plein de ce sentiment d’impuissance (la guerre imminente).
Poétiques, parce que ces histoires d’amour impossibles plombées par les revers d’un destin
implacable dégagent, par-delà l’artifice des scènes très composées de studio, la verve
désenchantée de merveilleux dialoguistes comme Jeanson et Prévert, les éclairages clairobscur et les décors quasi irréels de Trauner, une véritable « atmosphère », celle de la
poésie de la rue.
Le « réalisme poétique » trouve l’origine de son acception dans l’expression « réalisme
fantastique » de l’écrivain Pierre McOrlan, définissant ainsi ses propres oeuvres.
Contextes
La technique du flash-back
Dans sa biographie, Ma vie à belles dents, Marcel Carné raconte la naissance du scénario
devenue légendaire. Alors que Prévert, son dialoguiste et ami, est en panne d’inspiration sur
un autre travail, un voisin de palier, Jacques Viot, apporte à Carné un scénario appelé
Le jour se lève. Si l’intrigue ne le passionne pas, sa construction tout en flash-back lui paraît
par contre absolument saisissante et d’une extraordinaire modernité. Viot réécrit son
scénario ; et, malgré sa réticence à travailler le texte en duo avec l’auteur, Prévert
s’attelle aux dialogues.
Selon la plupart des historiens du cinéma, Le jour se lève est considéré comme le premier
film parlant français à utiliser la narration en flash-back (retour arrière). On perçoit mieux
l’incompréhension générale du « public-test » lors des premières projections privées du film.
Carné est contraint de placer ce panneau, juste avant le générique de son film : « Un homme
a tué. Enfermé, assiégé dans une chambre, il évoque les circonstances qui ont fait
de lui un meurtrier ». Cet écriteau (qui introduit toujours le film) explique qu’un homme se
souvient, et que ce sont ses souvenirs que l’on voit à l’écran.
22
rangé, l’ameublement comporte des éléments solides, de vieilles choses
confortables, comme la commode à dessus de marbre, le fauteuil en rotin
ou la lourde armoire. « Dans cet appartement, une pauvre mais authentique
sédimentation humaine semble s’être déposée » (ibid.). Par ailleurs,
l’utilisation des objets par François nous conforte dans l’idée qu’il est un vieux
garçon habitué à vivre seul depuis l’enfance. Il y a les cigarettes, fumées
compulsivement, ou la cravate neuve, dont il enlève comme par habitude
l’étiquette, juste après avoir tiré sur les deux policiers venus l’arrêter. Le
sentiment de solitude est renforcé par la cage d’escalier, seule « ‘rampe
d’accès » qui permette l’assaut de la police.
Le monde ouvrier
Le film évoque les conditions de vie d’un ouvrier modeste à la fin des années 30.
Parmi les objets témoignant de sa vie quotidienne : la mallette à casse-croûte, le
réveille-matin, le ballon de football, la électrique recouverte d’un journal, son vélo
dont il prend un soin extrême… beaucoup de choses sont dites dans cette chambre
sur le contexte culturel et social de François.
Face au film
Les détails de la décoration, dimension à laquelle le public est rarement sensibilisé,
donne au film énormément de signification.
Le jour se lève peut être efficacement utilisé pour éveiller l’attention du spectateur
envers cet aspect de la mise en scène. Il peut également soutenir une réflexion sur la
lecture des symboles et mettre en évidence que les codes changent d’une époque à
l’autre.
La même condition du personnage serait différemment évoquée de nos jours. Quels
pourraient être les éléments décoratifs qui évoqueraient avec plus d’évidence pour le
public contemporain le célibat, l’aliénation au travail ou le dépouillement ?
L’Avant-guerre
Marqué par une ambiance sombre et fataliste, Le jour se lève exprime l’ambiance qui
régnait en France à l’aube de la Seconde Guerre mondiale. Le Front populaire s’est
disloqué (1937), les mesures sociales reculent et la situation économique reste terne.
Désenchanté, le film dépeint, sans militantisme, l’aliénation au travail et le monde
ouvrier sous un jour particulièrement sombre n’est pas sans rappeler, dans un autre
registre, Les Temps Modernes de Charlie Chaplin (1936). Cette morosité valu au film
d’être interdit au jeune public pour « défaitisme ». A la veille de la guerre, le cinéma
se devait de célébrer l’enthousiasme national. La censure s’offusqua aussi du
dénuement d’Arletti dans sa douche et imposa la coupe d’un plan trop osé, coupe
encore perceptible dans le film un peu après la 43e minute.
Contextes
Ligne du temps artistique
1930 - Projection privée du premier film réalisé par Jean Cocteau : Le Sang d’un poète.
1930 - Le premier film parlant français, La nuit est à nous de Roger Lion
1931 - Le Million de René Clair, avec sa vision du petit monde des faubourgs, jette les bases
de ce qu’on appellera ultérieurement le « réalisme poétique » (voir p. 5).
1936 - Les Temps modernes de Charlie Chaplin.
1937 - Pépé le Moko, de Julien Duvivier. Egalement en phase avec le climat délétère d’un
monde au bord de la guerre.
Juin 1939 – Le Jour se lève de Marcel Carné.
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www.lamediatheque.be/ext/thematiques/films_a_la.../VJ5572.pdf
La Médiathèque, mai 2007
Éditeur responsable : Jean-Marie Beauloye
Place de l’Amitié, 6 - 1160 Bruxelles
w
Un poème tricoté avec les mailles du drame
LE JOUR SE LÈVE
Films à la Fiche
VJ5572
Pistes de réflexion quant à la narration
Le Jour se lève appartient au genre policier. Par son intrigue dont le point culminant
est le meurtre, il fait intervenir le personnage du « représentant de l’ordre ». Ce
dernier occupe dans le film de Carné sa fonction naturelle dans le récit policier, et
corrobore, ce faisant, la définition du genre policier du théoricien du cinéma Georges
Altman : « Un film policier n’exprime que la lutte brutale et toute extérieure entre la
société et l’homme qui ose vivre contre elle ». Et de fait, la police assaille la
forteresse exiguë de François pour rétablir l’ordre et montrer qu’en dehors de la
société, « …il n’y a qu’aventure et honte, faire sentir, d’ailleurs, qu’il est inutile de se
dresser contre elle, parce qu’on finit toujours par être vaincu ».
Tragédie et fatalité
Le tragique pèse sur tout le film, à travers la charge symbolique des objets (voir p. 6),
mais également dans le suicide de François, qui scelle son destin, dès lors qu’il fait
taire pour toujours son rival, Valentin (son meurtre le condamne à la prison ou au
suicide). Le récit donne dès le début le dénouement de l’histoire.
Aussi, l’évocation du passé – l’amour avec la jeune fleuriste, ses rapports conflictuels
avec le dresseur de chiens, sa relation avec maîtresse de ce dernier – ne laisse
aucune illusion sur la suite des événements. Dès le début du film, on sait qu’on
assistera à un ballet tragique qui emportera avec lui ses quatre protagonistes
principaux. Les personnages de Carné sont assurément victimes de la fatalité
sociale.
Pistes de réflexion quant au contenu
La solitude
Le décorateur Alexandre Trauner réalise un travail remarquable à travers la
chambre de François. Il nous fait entrevoir par petites touches le sentiment
d’isolement de l’anti-héros, la progressive asphyxie de l’intrigue. La chambre
qu’occupe François fourmille de détails quant à son existence de vieux garçon
et constitue « un documentaire social d’une vérité criante » (André Bazin,
Peuple et culture, 1947). François habite une petite place de banlieue dans
une maison isolée et étroite qui s’étire en hauteur. Sa chambre nous donne
quantité d’informations sur la psychologie de son occupant : méticuleusement
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connaît jamais ses ambitions ni son passé et il se dégage de ses attitudes, ses
sourires et ses palabres une tension malsaine et destructrice. Il ment, écoute derrière
les portes, manipule les plus faibles et Clara avoue qu’il torture les animaux !!! Sa
performance satanique suffit à convaincre Carné qui lui proposera le rôle du diable
quelques années plus tard dans Les visiteurs du soir (1942).
Cette conjugaison de talents tant techniques qu’artistiques offrira un beau succès
critique au Jour se lève. Mais quelques mois après sa sortie, le gouvernement de
Vichy interdit le film jugé trop démoralisant. Néanmoins, cette décision lâche et
hypocrite ne l’empêchera pas de devenir un des plus grands classiques de notre
patrimoine. En 1947, Anatole Litvak tente un remake hollywoodien avec Henry
Fonda et Barbara Bel Geddes (The long night). Malheureusement la réussite n’est
pas au rendez-vous. Malgré ses moyens, Litvak n’atteint jamais la puissance
dramatique qui naquit des talents réunis de Carné, Prévert, Courant, Trauner, Gabin,
Arletty et autre Berry … Les chefs d’œuvres du cinéma sont le fruit d’une alchimie
qu’il est certainement impossible à reproduire, Le jour se lève en fait évidemment
partie. Chérissons-le !!
(1) finalement le film sera mis en scène par George Lacombe en 1946 avec Gabin.
(2) Pour l’anecdote, on retrouve exactement cet aveugle en costume noir et lunettes
rondes dans Le roi et l’oiseau de Prévert et Grimault. C’est en quelque sorte la
version animée du personnage du Jour se lève
Par François-Olivier
Lefèvre- le 22 février 2004
http://www.dvdclassik.com/
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la différence et impose son empreinte grâce à la verve poétique qu’il insuffle à
certaines séquences : le bouquet de fleurs fanées évoqué précédemment, les larmes
d’Arletty derrière la fenêtre ou l’aveugle (2) qui passe son temps à poser des
questions sont autant d’inventions participant au réalisme poétique du film.
Pour porter cette ambiance, trois comédiens, désormais entrés au Panthéon du
cinéma français, rivalisent de talent et délivrent des performances exceptionnelles. Il
y a d’abord Gabin qui exprime avec le plus grand naturel une douceur teintée de
violence. Il est ce personnage perdu dans sa passion amoureuse et ressemble à
l’ours en peluche de sa bien aimée : "Vous voyez, il est comme vous, il a un œil gai
et l’autre un tout petit peu triste" lui dit Françoise. Sans cesse au bord de l’explosion,
il retient ses sentiments jusqu’à cette scène inoubliable où il hurle à sa fenêtre. Il faut
avouer que ce magnifique coup de gueule reste un des plus grands monologues du
cinéma. Gabin permet à François d’exprimer tout son mal-être et l’anecdote raconte
qu’il eut beaucoup de mal à tourner cette séquence : selon certains témoins,
l’interprète finit enfermé dans sa loge où il pleura à chaudes larmes. La puissance
contenue, la douceur du sourire et le regard perdu, c’est tout Gabin ! Un comédien
totalement habité par des rôles qu’il savait choisir à la perfection.
A ses côtés, on retrouve Arletty qui avait connu la notoriété un an
auparavant grâce à Hôtel du Nord. Dans Le jour se lève, Carné et
Prévert lui apportent une nouvelle dimension. Derrière la
Parisienne à la réplique mitraillette, les spectateurs découvrent un
puits d’amour et de tendresse. Cette interprétation lui ouvrira les
portes d’autres rôles mémorables dont celui de Garance dans Les
enfants du paradis (1943).
Enfin, comme tout grand film, Le jour se lève met en scène un "méchant" absolument
génial. En interprétant Valentin, Jules Berry crée un personnage ambigu. On ne
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Dans une autre scène, François est à l’usine. Ce lieu où les hommes travaillent les
uns à côté des autres n’en est pas pour autant un havre d’humanité : derrière leur
masque, les ouvriers œuvrent dans la poussière et le bruit. Aucune communication
n’est permise et lorsque la belle petite Françoise vient avec son bouquet de fleurs, il
faut que François s’éloigne des machines pour se faire entendre. Après quelques
minutes, le bouquet est fané et Gabin déclare avec ironie : "J’te l’avais dit, c’est tout
ce qu’il y a de plus sain ici". Comme dans Les temps modernes de Chaplin, le
message est clair : l’usine et sa modernité n’apportent aucun progrès social, elle
n’est qu’une machine qui broie les personnalités.
Enfin, on se souvient du couple de Quai des brumes obligé de se cacher derrière les
baraquements pour s’aimer. On retrouve cette idée dans Le jour se lève où Carné
filme ses amoureux derrière des fenêtres et dans des endroits exigus. C’est dans la
petite maison de Françoise ou dans la serre fleurie de son employeur qu’ils se
déclarent leur amour. Nous sommes en 1939, l’Allemagne a déjà enclenché sa
machine de guerre et toutes les formes de haine atteignent leur paroxysme. Pour
Carné, l’amour n’a plus sa place dans la rue et Le jour se lève se présente comme
une
œuvre
d’anticipation
poétique,
triste
et
profondément
bouleversante.
Si les décors, la photo et le travail de toute l’équipe technique participent à
l’ambiance désenchantée du Jour se lève il ne faut pas pour autant en oublier le
travail de Prévert formidablement mis en valeur par des comédiens épatants.
En adaptant le script de Jacques Viot, le poète fait une nouvelle
fois preuve de son immense talent. Le film est moins bavard que
Quai des brumes, mais il offre tout de même quelques dialogues
remarquables. Ainsi lorsque Clara déclame "des souvenirs, des
souvenirs, est-ce que j’ai une gueule à faire l’amour avec des
souvenirs", Prévert rivalise avec Jeanson et son célèbre
"atmosphère" offert à la même Arletty un an plutôt (Hôtel du Nord). Mais Prévert fait
17
Ophuls. Dés les années 30, il fuit l’Allemagne nazie pour travailler en Europe. On lui
doit notamment la photographie de La bête humaine (Renoir, 1938), L’homme qui en
savait trop (Hitchcock, 1934) ou plus tard Monsieur Verdoux (Chaplin, 1947),
autrement dit, du beau travail... Son approche expressionniste de l’éclairage est en
parfaite adéquation avec le réalisme poétique du duo Prévert/Carné. Jouant sur les
zones d’ombre et de lumière, sa technique concentre l’éclairage sur le sujet du récit
et oriente la lecture du film. Du spectacle de chiens animé par Jules Berry où tout le
cadre est éclairé (28’45) jusqu’à ces gros plans silencieux où seul un rayon de
lumière dévoile le regard perdu de François (12’57), Courant réalise un travail en
tous points admirable.
Mais si la lumière de Courant allie beauté picturale et efficacité dramatique, les
décors imaginés par l’indispensable Alexandre Trauner ne sont pas en reste. Pour
mieux exprimer la solitude du héros, Trauner construit un immeuble moderne dressé
au milieu d’une place de banlieue. Lorsque la police en fait le siège, François se terre
au fond de son petit studio. Cette pièce rappelle l’appartement de CC Baxter que le
décorateur créera quelques années plus tard dans La garçonnière (Billy Wilder,
1960). On y trouve le même type d’objets et une décoration typiquement masculine.
Quelques souvenirs et beaucoup de vide symbolisent la solitude du héros. Mais c’est
certainement la hauteur du bâtiment qui surprend le plus dans Le jour se lève : avec
ses cinq étages, il domine largement les autres habitations et écrase le paysage de
toute sa laideur. Trauner anticipe ainsi une urbanisation moderne tout en verticalité
et sans le moindre charme qui viendra modifier les
paysages d’après guerre et participer au mal de vivre des
banlieues. Le studio de François, situé au dernier étage,
évoque aussi l’isolement dont il est victime : éloigné de la
rue, le héros est déshumanisé. Lorsqu’il est caché dans
son refuge, Gabin tourne en rond et finit par hurler sa
détresse à la foule de badauds : "François, François, y a
plus de François … laissez-moi seul, tout seul, j’veux qu’on m’foute la paix". Ici la
déshumanisation du protagoniste est évidente, sa volonté de vivre a disparu et la
tragédie finale est annoncée.
16
utilisent cet artifice d’écriture : de Casino (Martin Scorsese) à Il était une fois en
Amérique (Sergio Leone) en passant par Le dernier empereur (Bernardo Bertolucci),
la culture cinéphile est peuplée d’œuvres fonctionnant en flash-back. Mais jusqu’à la
fin des années 30, la narration était fondée sur une sacro-sainte linéarité. Aller à
l’encontre de cette règle était synonyme d’incompréhension pour le spectateur. Et si
Carné s’est laissé tenter, il n’en a pas moins été inquiet : quelques heures avant la
sortie de son film (le 17 juin 1939 au Madeleine Cinema à Paris) il se demandait
encore si le public allait comprendre l’histoire. Partageant cette crainte, la production
inséra avant chaque séance du film un carton expliquant le procédé ! Contrairement
à certaines œuvres plus anciennes qui l’utilisent ponctuellement, le Jour se lève est
essentiellement construit à l’aide de flash-back. D’un point de vue diégétique, la
durée de l’action est relativement courte (quelques heures entre les deux coups de
feu qui ouvrent et concluent le récit) mais pendant ce laps de temps François se terre
dans son abri, fumant cigarette sur cigarette et pense à la série d’évènements qui
l’ont conduit à cette situation. Il plonge à trois reprises dans ses souvenirs et nous
permet de reconstituer les pièces du puzzle narratif imaginé par Jacques Viot.
Néanmoins, si l’utilisation du procédé démontre l’audace du cinéma de Marcel
Carné, il n’en altère pas pour autant son extraordinaire savoir-faire. En respectant
scrupuleusement la règle des trois unités (lieu, temps diégétique et action), le
cinéaste met en place un drame dont la progression captive le spectateur de bout en
bout. Il démontre ainsi qu’en utilisant les règles fondatrices de la narration, il est
toujours possible d’innover. N’est-ce pas là, l’empreinte d’un pur artiste ?
Si
Carné
a
su
renouveler
la
grammaire
cinématographique tout en faisant preuve de la plus
grande maîtrise dans la mise en scène c’est aussi parce
qu’il a su s’entourer de techniciens hors pairs. Après
avoir collaboré avec Eugène Shufftan sur Le quai des
Brumes, il confie l’éclairage de ce nouveau long métrage
à Curt Courant. Comme Shufftan, le directeur photo d’origine allemande a appris son
métier auprès des grands maîtres du cinéma d’outre Rhin tels Fritz Lang ou Max
15
A la fin d’Hôtel du Nord, Pierre se tourne vers Renée et lui
dit : "Le jour se lève, il va faire beau. Viens, maintenant c’est
fini…".
Certains verront dans ce dialogue une invention de Marcel
Carné pour annoncer son prochain film. Mais si Pierre évoque Le jour se lève, ce
n’est qu’une coïncidence amusante. On pourrait parler de signe du destin ou de beau
présage mais il n’en est rien : en 1938 le réalisateur de Drôle de drame n’a aucune
idée précise de son avenir cinématographique. Cependant, une chose est sûre : son
prochain film sera réalisé en partenariat avec ses deux amis, Jacques Prévert et
Jean Gabin. Les trois hommes qui avaient donné naissance à Quai des brumes,
s’étaient promis de retravailler ensemble. Libres de tout engagement, ils se
réunissent en quête d’un scénario. Dans un premier temps, Gabin propose une
adaptation d’un livre de Pierre René Wolf. Le roman, intitulé Martin Roumagnac (1),
n’emballe ni Carné, ni Prévert qui décide de rédiger un scénario original. Le poète
commence son travail d’écriture tandis que le réalisateur fait quelques repérages des
décors susceptibles d’être utilisés pendant le tournage. Le temps passe, Carné et
Gabin s’impatientent, et Prévert finit par leur avouer qu’il piétine et manque
d’inspiration. Il faut donc repartir de zéro lorsque Jacques Viot frappe à la porte de
Marcel Carné (son voisin de palier !!) pour lui proposer un scénario. Le réalisateur
accepte de lire le script et le dévore avant de le proposer à ses deux comparses. Le
trio d’artistes apprécie cette histoire urbaine d’amour triste et accepte le projet avec
enthousiasme… Le jour se lève est né !
Aujourd’hui l’intérêt que les historiens du cinéma portent à cette oeuvre repose
essentiellement dans l’utilisation du flash-back. Pour beaucoup, Le jour se lève est le
premier film parlant utilisant ce procédé que Welles popularisera un an plus tard avec
Citizen Kane. Cependant, ce quatrième long métrage de Marcel Carné cache bien
d’autres
trésors
que
nous
allons
décrire
dans
les
chapitres
suivants
!
Comme chacun le sait, le flash-back est le procédé qui consiste à
revenir en arrière dans le récit. Aujourd’hui, de nombreux films
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13
semble l’innocence même. Aimée par François, elle va pourtant nouer une étrange
relation avec lui.
Le fil directeur entre ces deux femmes est un homme, un dresseur de chien violent et
affabulateur, Valentin . Il a été le patron et l’amant de la première, et il a abusé de
l’innocence de la seconde. De plus, il se plait à se jouer de François, à enfler cette
jalousie presque palpable par moments.
Ce film est le dernier tourné avant-guerre par Marcel Carné, Le jour se lève figure à
juste titre parmi les grands classiques du cinéma. Il est le résultat de la quatrième des
nombreuses collaborations, toutes fructueuses, entre le réalisateur Marcel Carné et le
poète-scénariste-dialoguiste Jacques Prévert. De par sa structure, il s’agit d’une
véritable révolution narrative, puisque le film est un des premiers à être entièrement
construit à partir de flashbacks. Une narration qui a d’ailleurs sensiblement dérouté le
public de l’époque, habitué à ce qu’on le tienne par la main.
Gabin donne une profondeur exceptionnelle à son personnage, véritable tigre en cage
prenant peu à peu conscience du caractère irrémédiable de son acte. La mise en scène de
Carné ajoute encore à cette atmosphère oppressante avec un décor non pas en U, trois
murs véritables et le quatrième servant à la technique, comme c’est le plus souvent le
cas, mais avec quatre murs véritables, les opérateurs accédant à la petite chambre par le
plafond. Cette chambre apparaît comme le seul élément « solide » du récit. Le temps lui
s’étire, se dilate, projette certains souvenirs en avant, en enterre d’autres définitivement,
le tout donnant un impact plus important aux réguliers retours au réel en crise du héros.
Au final un très beau film sur l’amour, la mort, la jalousie, le désespoir, porté par de
grands comédiens et bénéficiant d’une mise en scène soignée et originale. Rarement le
distinguo entre amour et amitié n'a été abordé avec autant de franchise et de sobriété.
http://cinehttp://cine-passion.voila.net/fi/lejourseleve.htm
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http://cinehttp://cine
-passion.voila.net/fi/lejourseleve.htm
François ouvrier sableur vient de commettre l’irréparable, cloîtré dans sa petite
chambre, un parallélisme prend forme : un homme effondré repasse dans sa mémoire
les évènements qui l’ont forcé à exécuter cet acte insensé pendant que toute une
logistique policière destinée à le déloger prend forme.
Il y a vraiment un gouffre d’incompréhension entre un Valentin provocateur et
méprisant la classe ouvrière prenant plaisir à séduire par jeu la fragilité de Françoise
promise à un François sans avenir, victime des conditions déplorables de travail dans
une usine où les décibels meurtriers ruinent les éventuels espoirs de contacts entre les
êtres. Dans cet îlot inhumain, les fleurs se fanent presque instantanément.
François retranché sent que la fin est proche sa raison l’abandonne, victime d’une
technologie professionnelle quotidienne abrutissante mêlé d’un amour contrarié par la
fausse lumière mensongère d’un vieux beau, il s’autodétruit par le crime en prononçant
de sa fenêtre quelque temps après son méfait la phrase célèbre « Quel François ? Y a
plus de François ». Symboliquement tout ceci dénonce à la veille de la Seconde Guerre
mondiale le drame ouvrier qui, par sa condition fragilisé, éprouve de grosses difficultés
à accéder à un concept simple : être doublement heureux par l'amour et l'utilisation
d'un outil de travail décent.
Valentin n’a aucune consistance mais il est bien habillé et ne trime pas, avec de bons
mots il grise Françoise qui rêve d’un ailleurs. De par sa condition François ne peut
lutter. Les provocations volontaires répétées de Valentin déclenchent un mécanisme
évolutif violent chez François, c’est le but recherché, débusquer chez cet être, considéré
comme primaire par Valentin, ses facultés prédestinées à tuer. C’est un peu le schéma
directeur de l’association Carné/Gabin dont le personnage déjà poussé à bout dans Quai
des brumes semble conditionné au meurtre suite à des rencontres avec des éléments
négatifs et perturbant un équilibre précaire. Une vraie malchance dont la finalité est un
destin implacable.
Pour Le jour se lève, Alexandre Trauner fit construire un immeuble imposant censé
représenter par sa froideur le retranchement d’un homme solitaire aveuglé, suite à son
geste, par ses propres démons. L’étonnant procédé du flash-back, novateur pour
l’époque, apporte une approche réflective de faits déterminants conduisant le héros vers
l’acte final spontané et irréfléchi.
Le jour se lève c’est l’histoire d’un homme qui en a tué un autre. Pour quelle raison ?
C’est ce que cette construction à rebours entend nous expliquer. François est seul dans
son appartement, barricadé, avec pour seuls compagnons ses souvenirs qui viennent se
heurter comme autant de papillons nocturnes au miroir de ses pensées. On découvre
alors un homme partagé entre deux femmes. Clara est une femme usée par la vie,
amoureuse de François et souffrant que cet amour ne soit pas réciproque. Françoise
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le personnage, la fatalité sociale mise en place chez Carné et Prévert ne
laisse aucune chance au protagoniste. Ses actes sont pour ainsi dire
programmés par tout son passé, ses rencontres, le décor et les
circonstances de son existence quotidienne, éléments d'un engrenage qui
va broyer sa vie.
Pour ajouter du poids de la fatalité, Carné innova en racontant son histoire
à l'aide d'un trio de flashes-backs. Peu de films avant lui avaient eu cette
audace (On cite toujours The power and the glory,1933 de William K.
Howard sur un scénario de Preston Sturges qui influença Welles pour
Citizen Kane). En tous cas, il revient à Carné d'avoir su imposer ce type
de
récit
au
grand
public.
Carné
a
raconté
dans
son
excellente
autobiographie "La vie à belles dents", la naissance du scénario devenue
légendaire. Un voisin inconnu, collectionneur de tableaux naïfs, Jacques
Viot, lui apporta un jour un scénario intitulé Le jour se lève dont l'intrigue
ne le passionna pas mais dont la construction toute en flash-backs, lui
paru saisissante. Il demanda à Prévert d'abandonner un autre travail en
cours qui avançait mal et Prévert se mit, avec réticence, à travailler avec
Viot, lequel aurait également préféré travailler seul. Quant au décor non
moins célèbre de l'hôtel de Gabin, il fut crée par Trauner d'après les
photos prises à Paris pendant la préparation de Hôtel du nord. Le décor de
l'immeuble fut placé sur l'emplacement même du décor de l'hôtel du nord.
Pour porter à son point d'intensité maximum l'aspect claustrophobique de
la pièce où évolue Gabin, Carné exigea que le décor possède réellement
quatre murs. Les acteurs et les techniciens ne pouvaient s'en extraire que
par le haut.
Jacques Lourcelles: dictionnaire du cinéma
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http://www.cineclubdecaen.com/index.html
l
Le jour se lève
Marcel CARNE
Apogée du film de studio où tout est reconstitué, mesuré au millimètre,
tiré au cordeau pour produire l'effet et l'émotion recherchés. A son niveau
le film manifeste un contrôle de l'image aussi complet que chez Fritz Lang
ou que chez tel calligraphe japonais.
Cette méthode et ce soin sont propices à exprimer une certaine idée de la
fatalité, qui est le sujet du film. Alors que chez Renoir, dans Toni par
exemple, la tragédie jaillit à l'improviste comme d'un trop plein, d'un
débordement d'émotion et de passions dans le cœur de l'homme et
correspondent alors à une sorte de manifestation ultime de la liberté chez
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Le symbole le plus saisissant de l'histoire est sans doute l'étroit immeuble de six étages dans
ce qui est censé être un quartier ouvrier d'Amiens. A mesure que le film avance, cet immeuble
devient l'objectivation de la condition de François isolé, délabré, refuge précaire contre la loi
et la société. Les plans en plongée verticale dans l'escalier -un labyrinthe de barreaux et de
rampes- semblent fonctionner comme une extériorisation concrète de la confusion de François
et du caractère inéluctable des événements qu'il vient de subir..."
Edward Baron Turk,
extrait de l'ouvrage "Marcel Carné et l'âge d'or du cinéma français 1929-1945"
(Ed. L'harmattan).
http://www.universcine.com/
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http://www.universcine.com/
Carné et Debussy : une musique nouvelle
Edward Baron Turk, auteur d'un remarquable ouvrage sur l'oeuvre de Marcel Carné entre
1929 et 1945, s'appuie sur un article de Michelangelo Antonioni, paru en 1948 dans la revue
Bianco e Nero, pour souligner la modernité du cinéaste au sein de l'industrie
cinématographique française à la veille de la seconde guerre mondiale... Extrait d'un livre
passionnant.
Article
" ... Antonioni comparera Le Jour se lève à l'opéra impressionniste Pelléas et Mélisande. Cette
comparaison mérite d'être développée. On peut avancer que Carné est à l' "âge d'or" du
cinéma français ce que Debussy est à la musique française du début du XXe siècle : un maître
de l'atmosphère. Les deux artistes ont cherché à apporter à leur art respectif une plus grande
subtilité et une plus grande économie de moyens. Debussy aspire à une musique dramatique
qui ne soit pas "liée à une reproduction plus ou moins exacte de la nature, mais évoque (...) les
correspondances mystérieuses entre la nature et l'imagination", un programme en accord avec
le projet cinématographique de Carné.
Plus spécifiquement, Le Jour se lève et Pelléas et Mélisande proposent des mondes
symboliques, oniriques, peuplés de caractères fantomatiques et régis par un destin irrationnel
(...) les interludes instrumentaux chez Debussy qui vont et viennent avec fluidité, modulant les
délicats changements d'atmosphère d'une scène à l'autre, ont leur équivalent dans les volets
systématiques qui relient entre elles les scènes de chaque flash-back et les fondus enchaînés
sonores et visuels entre flash-back et présent. Surtout, la richesse et la signification aussi bien
de l'opéra que du film, découlent de l'intervention répétée d'objets quotidiens qui suggèrent
une signification au-delà de la lettre du texte... (...)
7
•
Ciné-Club
" Le décor de Trauner contribue pour sa part, non seulement à la compréhension du
drame, mais plus encore à sa constitution. Comme Le jour se lève serait impensable
sans la musique, le drame se viderait de toute crédibilité sans le décor qui
l'authentifie... Le réalisme de Carné sait, tout en restant minutieusement fidèle à la
vraisemblance de son décor, le transposer poétiquement, non pas en le modifiant par
une transposition formelle et picturale, comme le fit l'expressionnisme allemand, mais
en dégageant sa poésie immanente, en le contraignant à révéler de secrets accords avec
le drame.
C'est en ce sens qu'on peut parler du « réalisme poétique » de Marcel Carné très
différent du « néo-réalisme de l'après-guerre ». En dépouillant presque totalement
l'expressionnisme allemand de ses recours à des transpositions visibles du décor,
Carné a su en intérioriser intégralement l'enseignement poétique, ce que Fritz Lang du
Maudit avait déjà su faire, sans pourtant parvenir à se priver, toujours comme Carné,
d'utiliser symboliquement la lumière et le décor. La perfection du jour se lève, c'est
que la symbolique n'y précède jamais le réalisme, mais qu'elle l'accomplit comme par
surcroît."
André Bazin, décembre 1949, Ciné-Club
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de satanisme impuissant, déchiré, déchirant, Arletty douloureuse et finne, jamais, je ne
crois, furent aussi beaux. Beaux d'être affreux, comme les soldats du destin, et ses
agneaux. Mais le jour tout de même, à toutes fins, se lève."
Jacques Audiberti, 28/03/1942 (inclus dans le recueil "Le Mur du fond-Ecrits sur le cinéma"
ed. Cahiers du cinéma), Comoedia
Les Nouvelles littéraires
"La réalisation de Marcel Carné est excellente, souvent admirable : peu de metteurs en
scène ont à ce degré le don de « faire l'ambiance », comme on dit dans l'argot des
studios. Jean Gabin interprète central a trouvé dans ce film un des rôles qui peuvent le
mieux lui convenir exactement, un peu trop exactement ajusté à sa nature et à ses
moyens, ce qui lui enlève de l'imprévu ; enfin le tour de la narration, cette façon
d'attaquer l'histoire par l'épilogue, par l'assassinat du dompteur de cabots et de revenir
en arrière, de traduire en somme le monologue intérieur du barricadé qui revit sa vie,
cette manière de jouer avec le temps et de mêler le siège des policiers à l'évocation des
mobiles du crime, tout cela a de la puissance et du ragoût."
Alexandre Arnoux, 17/6/1939, Les Nouvelles littéraires
•
La Lumière
"Le travail-bagne, la vie sans âme, l'amour fané, les ciels de plomb, l'air suffocant des
villes, la détresse moderne donnent à ce film une valeur qui, on le conçoit, n'a rien
d'apéritif ni de digestif; mais c'est là une oeuvre d'art sans défaillance ni concession où
Jean Gabin réalise comme jamais son personnage, où Prévert fait s'envoler à l'aise son
authentique poésie libertaire, sur un thème de Jacques Viot, aussi vrai et aussi simple
que la Seine à Billancourt. Acteurs, thèmes et paroles sont fondus, baignés dans des
images qui ne sont jamais vulgaires, banales ou malsaines. Un film noir mais propre."
Georges Altman, 1939, La Lumière
5
•
Le Temps
" Il y a là une sorte de respect amer du fatum des misérables. On devine une religion
obscure de la toute-puissance du mal. C'est à la fois poignant et déprimant. Et j'estime
pour ma part que cette analyse complaisante du supplice d'une humanité aveugle,
conduite par les caprices d'un démiurge cruel, n'appelle pas ce luxe de recherches
artistiques, d'angles savants de prises de vues et tous ces merveilleux effets
photographiques dans lesquels Curt Courant a affirmé, une fois de plus, son
extraordinaire maîtrise."
Émile Vuillermoz, 17/6/1939, Le Temps
•
Comoedia
" Une drague monstrueuse plonge au tréfonds du peuple des hommes comme dans un
océan pour en ramener, ordonné dans un film qui s'appelle Le Jour se lève, le plus
saisissant butin d'horreur. Ce film, de Marcel Carné, sortit un mois juste avant cette
guerre. Les événements et les circonstances empêchèrent qu'il obtint l'attention qu'il
mérite (...) C'est un ouvrage (...) d'une vigueur colossale, peut-être désolante, car elle
ne s'emploie à définir que la détresse. La paix, aussi, comporte ses faits divers. Des
coups de feu retentissent dans les faits divers et les objets - une armoire, une cravate,
un réveil à sonnerie - avec leur face plate et stupide. Dieu sait, ou ne sait pas, combien
ils peuvent détester et repousser les êtres humains dont ils escortent la vie ! (...)
Expressionnisme, roman russe sur pellicule, analyse bactériologique de la malédiction
d'être au monde, je ne me soucierai pas d'attacher un nom à cette formule. En tout cas,
l'assassin Gabin, avec son air buté de renard en pierre de taille, Jules Berry, prodigieux
4
•
L'Action Française
" C'est le film le plus habile que M. Marcel Carné ait signé jusqu'ici. M. Carné vient de
confier à un collaborateur de «Pour Vous» ses inquiétudes sur l'accueil que l'on ferait
au récit du , avec ses retours en arrière. On croit pouvoir le rassurer. Tout
est parfaitement compris. Ce procédé fut d'ailleurs courant au temps du film muet.
Les Américains, depuis le sonore, l'ont employé dans Thomas Garner, avec bien plus
de souplesse encore et de virtuosité. Mais dans l'état de paresse, de routine du
cinéma français, l'essai de M. Carné prend un petit air de témérité. Il ne faudrait
cependant pas que l'on en fit une nouveauté géniale. M. Carné et son ami et
dialoguiste attitré, M. Jacques Prévert, mettent un halo de sensiblerie indulgente
autour des misérables abouliques de leurs films. Ainsi, ces jeunes gens, fiers de leurs
indépendance, rejoignent dans ce qu'elle a de plus niais et de plus fade l'industrie
judéo-sucrière de Pourri-Soir."
François Vinneuil, 16/11/1939, L'Action Française
•
L'Intransigeant
" Un drame sombre, un simple fait divers. Mais le récit est magnifique. Marcel Carné
excelle à camper dans leur cadre faubourien êtres simples, des gens du peuple et des
dévoyés sur qui s'abat une fatalité inexorable et littéraire. Il les dépeint avec
clairvoyance, avec amour, avec une lucidité qui sait accueillir le romanesque et même
la poésie, sinon la précision psychologique. La maîtrise du découpage, la beauté des
images, la qualité du dialogue, la puissance d'une action dissociée cependant par les
besoins de la narration et le rythme volontairement lent adopté par l'auteur font du
Jour se lève un film extrêmement attachant et fort, dont on n'aimera peut-être pas la
substance mais qu'on ne pourra pas s'empêcher d'admirer."
René Lehmann, 1939, L'Intransigeant
3
http://www.universcine.com/
Ils en parlent :
2
http://www.cinemathequeLE JOUR SE LEVE, DE MARCEL CARNE
Nous allons voir, ce soir, Le Jour se lève de Marcel Carné ; un film sorti en salle le 17 juin
1939 avec Jules Berry, Jean Gabin et Arletty, trois acteurs symboliques du cinéma d'avant
guerre, réunis une dernière fois à l'écran. Le film appartient au réalisme poétique qui est un
courant qui se développa en France à la fin des années trente et dont le tandem Jacques
Prévert et Marcel Carné est le plus représentatif, comme les deux collaborateurs de Carné sur
ce film, Curt Courant pour la lumière et Alexandre Trauner pour le décor, arrivés tous les
deux des studios de Berlin après 1933. L'oeuvre de Carné se compose d'une série de films en
collaboration avec Prévert, associée à des actrices et acteurs vedettes et dont les titres restent
dans la culture commune : Drôle de drame (1937), Quai des brumes, Hôtel du Nord (1938) ;
et ensuite les Visiteurs du soir (1942) et les Enfants du paradis (1945). En parlant de ses films
Carné dira : "l'atmosphère et les personnages comptent plus pour moi que l'intrigue elle
même."
Le Jour se lève raconte l'histoire d'un homme qui a tué. Il se remémore alors les actions qui
l'ont conduit à ce geste. La renommée de ce film vient de sa narration en flash-back, un
procédé rare voire inédit à l'époque. Devant le risque d'incompréhension du spectateur, les
producteurs avait fait ajouter un carton explicatif avant même le générique du film et qui était
repris sur l'affiche.
On a dit aussi de ce film qu'il était "un film murmuré" jouant avec l'audition du spectateur sur
des variations d'intensités sonores. Il met ainsi en valeur l'intimité et une parole plus naturelle
; mais par contraste il insiste sur des éclats brutaux de cris ou de bruits. Ces deux
caractéristiques, ajoutées à la conception du décor et à l'utilisation de la lumière, donne à ce
film une dimension esthétique forte.
La réalité représentée reprend la figure populaire de l'ouvrier devenue traditionnelle dans le
réalisme poétique et souvent associée à Jean Gabin. Si la poésie de l'amour persiste dans
l'écriture de Prévert, elle est rejetée en flash-back dans la relation de François et de Françoise,
interprétée par Jacqueline Laurent, la compagne de Prévert. En effet, le monde de 1939 a
changé et le cinéma avec lui. Le pessimisme se renforce. La convivialité et l'espoir suscités
par le Front Populaire sont loin comme ne sont plus d'actualité les atmosphères joyeuses
de camaraderie qui luttait contre l'adversité dans les films des années précédentes.
L'accueil du film fut défavorable : trop esthétisant pour certains, surtout trop démoralisant
selon le gouvernement Daladier. En 1940, le régime de Vichy censure le film. Le film
ressortira en 1942 mais seront retirés du générique les noms de Curt Courant et d'Alexander
Trauner ainsi que la scène de douche d'Arletty. Le film ressortira une troisième fois au cinéma
en 1945 où il connaitra un très grand succès.
Anaïta SHARIFI
Caroline JAUNEAU
HTTP://WWW.CINEMATHEQUE-TOURS.FR/LE%20JOUR%20SE%20L%E8VEPR%E9SENTATION.PDF
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Avant-scène n° 53
Novembre 1965
TELERAMA 2321
6 juillet 1994
Fac-similé de deux pages de « L’Ecran Français » n° 123
4 novembre 1947 ,concernant le remake d’Anatol Litvak
Livre : Jacques Prévert
Yves Courrière
Biographies Gallimard Nrf
En 1947 elle entreprendra un nouveau film, toujours avec le même tandem précité :
LA FLEUR DE L'ÂGE. Mais ce film ne verra jamais le jour : la production fait faillite.
Pour des raisons un peu identiques le film qu'elle commencera l'année suivante avec
Pierre Dudan : BUFFALO BILL ET LA BERGÈRE, subira le même sort.
C'est en 1949 qu'Arletty fera sa rentrée sur les écrans avec PORTRAIT D'UN
ASSASSIN. Le film, en dépit d'une distribution remarquable : Pierre Brasseur, Erich
von Stroheim, Dalio, etc., ne connaît qu'un relatif succès. Elle semble prendre sa
revanche avec le théâtre où son éclectisme la pousse à jouer deux pièces de
Tennessee Williams : en 1950 " Un Tramway nommé Désir " dans une mise en
scène de Raymond Rouleau et, en 1959, " La Descente d'Orphée".
GIBIER DE POTENCE, d'après un roman de Curtis, HUIS CLOS d'après Sartre et
L'AIR DE PARIS où elle retrouve Gabin et Carné, mais sans Prévert, sont les
derniers films qui attirent l'attention sur elle.
Au début des années soixante, Arletty est victime d'un accident visuel : elle ne voit
plus. - Elle se retire en 1962, prêtant sa voix à un ou deux documentaires puis
devient recluse sauf pour les hommages qu'on rend à ses amis d'antan. - Elle meurt,
entouré de ses souvenirs, le 24 juillet 1992, à Paris, âgée de 94 ans non sans avoir
écrit ses souvenirs et donné de multiples interviews.
BIOGRAPHIE
De son véritable nom Léonie Bathiat, elle est née a Courbevoie, le 15 mai 1898,
d'une mère lingère et d'un père auvergnat conducteur de tramways. Elle exercera
plusieurs petits métiers , de dactylo à mannequin.
Un jour, par hasard dans la rue, elle rencontre Paul Guillaume, l'homme qui imposa
l'Art Nègre et le Cubisme. Il conseille à la future Arletty de tenter sa chance au
théâtre et lui donne une lettre de recommandation pour le directeur du Théâtre des
Capucines. Ce dernier l'engage dans un emploi très précis à l'époque :: "petite
femme de revue". En souvenir d'une héroïne de Maupassant, Léonie décide de
s'appeler Arlette. Puis, à l'instigation de Tristan Bernard, dont elle sera l'interprète,
elle mettra un i au bout, puis transformera le i en y pour faire plus "chic anglais up to
date".
En 1930, le cinéma parlant commence à s'imposer en France, Arletty qui avait
toujours refusé de tourner dans les films muets, accepte un petit rôle dans un film de
René Hervil LA DOUCEUR D'AIMER aux côtés de Victor Boucher. Arletty se trouve
"horrible et mal photographiée", et décide de ne pas renouveler l'expérience.
En 1935, Arletty joue un rôle épisodique mais très remarqué : "Parasol" dans
PENSION MIMOSAS réalisé par Jacques Feyder qui a comme assistant Marcel
Carné.
Trois ans plus tard, Carné la dirige dans un film qui l'impose définitivement vedette,
c'est HÔTEL DU NORD où elle lance sa fameuse réplique signée Henri Jeanson :
"Atmosphère ! " Ce dernier dira : "Elle en a fait un monde. Une légende, un mythe.
Ce mot elle l'a rendu célèbre à Londres, aux États-Unis, au Japon, en Chine... et ce
qui est bien plus difficile, à Paris".
Quant à la comédienne, elle déclare, quarante ans plus tard : "Je l'ai revu ce film,
rien n'y est démodé, pas une phrase, pas un mot... Et mon rôle était vraiment un des
plus beaux que puisse espérer une actrice. Une perfection. C'est comme une
musique : "Il n'y a rien à en retirer, rien à y remettre... " En 1939, Jacques Prévert la
révèle sous un jour différent en lui composant le rôle de Clara du JOUR SE LÈVE à
nouveau sous la direction de Carné. Toutefois, elle ne tient pas à s'enfermer dans un
emploi dramatique et, la même année, tourne deux comédies aux côtés de Michel
Simon : FRIC-FRAC - qu`ils ont créé ensemble au théâtre - et CIRCONSTANCES
ATTÉNUANTES.
En 1941, Arletty tourne MADAME SANS-GENE, un rôle qui semble écrit pour elle. À
ses côtés un comédien débutant joue un petit rôle : c'est Alain Cuny avec qui elle
partage la vedette l'année suivante dans LES VISITEURS DU SOIR où elle retrouve
le tandem Carné-Prévert. Ce film consacre Arletty " Star". Dès l'année suivante,
toujours avec le tandem Carné-Prévert et une distribution plus prestigieuse encore,
elle interprète " Garance ", de ses aveux, le plus beau rôle que l'on ait écrit pour une
femme dans le film, peut-être, le plus célèbre de l'histoire du cinéma français : LES
ENFANTS DU PARADIS. Nous sommes en 1943, pour des raisons que l'on devine
le tournage connaît quelques difficultés et le film ne verra le jour qu'au début de 1945
alors qu'Arletty est en résidence surveillée en province pendant deux ans, accusée
d'avoir fréquenté un peu trop l'occupant pendant la guerre ; en effet, elle serait
tombée amoureuse d'un officier allemand.
SCENES DE FILMS
Fric frac
Les visiteurs du soir
Madame sans gêne
Vacances explosives
Le jour se lève
Hôtel du Nord
Les enfants du paradis
Gibier de potence
L'amour, Madame....
http://www.cin-et-toiles.com/acteurs/fiche-arletty.htm
Arletty
"Elle n'est pas charmante, elle est le charme. Elle n'est pas drôle, elle est
l'humour." Jacques PREVERT, dialoguiste du film LE JOUR SE LEVE.
"Arletty symbolise la liberté, l'insolence et le non conformisme. Ses racines
populaires, sa gouaille naturelle, sa voix inimitable et son sens de la répartie
ont rendu immortels les dialogues d'Henri Jeanson ou Jacques Prévert".
STUDIO MAGAZINE
Un remake a été réalisé par Anatole Litvak en 1947, «The long night» avec Henry Fonda et
Vincent Price, mais, comme le dit si bien Jacques Prévert lors d'une interview, "un remake
d'un film, c'est épouvantable".
83 films français ont été réalisés cette année d'avant guerre, dont des films importants comme
«Battements de cœur» d'Henry Decoin, «Le dernier Tournant» de Pierre Chenal, «Ils étaient
neuf célibataires» de Sacha Guitry et «La règle du jeu» de Jean Renoir. Malheureusement,
je n'ai pu trouver aucune statistique vraiment fiable.
Ce film est né grâce au scénariste Jacques Viot, qui proposa à
Marcel Carné
quelques pages et la procédure de récit du «Jour se lève» alors qu'il s'occupait du repérage
d'un autre film ayant pour titre «Rue des vertus». L'idée d'un film se déroulant avec une série
de flash-back séduisait Carné. «Rue des vertus» fut abandonné et l'on garda ses principaux
acteurs pour «Le jour se lève».
D'après une interview de Gabin en 1961, le producteur, considérant ce film non présentable,
aurait eu envie de disparaître. L'oeuvre rencontra pourtant un grand succès et le défaitiste
devint président du syndicat des producteurs.
Le film sortit en salle le 17 juin 1939 au Madeleine-cinéma à Paris. Pendant la période
d'occupation, sous le régime de Vichy, il fut interdit au moins de 16 ans. Motif invoqué:
"démoralisant et défaitiste".
C'est aussi la quatrième collaboration de Marcel Carné avec le dialoguiste
Jacques
Prévert. Ce film est attribué au genre “réalisme poétique”, terme employé après la guerre,
pour désigner le cinéma populiste tragique des années trente, voire un peu plus, dont "Le
crime de monsieur Lange" de Jean Renoir en est le précurseur. Certaines séquences sont dans
un style clair-obscur liées à la période dite "expressionniste allemande". L'importance du chef
opérateur allemand Curt Courant, qui vient de ce cinéma esthétique, est déterminante dans le
travail de la lumière. Le décorateur
Alexandre Trauner explique que, pour donner
l'effet de hauteur de l'immeuble, un rétrécissement vers le haut a été effectué.
La maison de l’image
9 boulevard de Provence
07200 Aubenas
Tel: 04 75 89 04 54
Site : www.maisonimage.eu
Mail: [email protected]

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